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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 26 février 2013

Séance de 18 heures 45

Compte rendu n° 60

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Examen, ouvert à la presse, du rapport d’information sur le retrait d’Afghanistan (MM. Philippe Meunier et Philippe Nauche, rapporteurs).

La séance est ouverte à dix-huit heures quarante-cinq.

Mme la présidente Patricia Adam. Le rapport de la mission d’information sur le retrait d’Afghanistan s’inscrit dans le prolongement d’un travail de suivi qui s’est déroulé tout au long de la précédente législature. Compte tenu de notre engagement actuel au Mali, les enseignements qu’il dégage sont particulièrement précieux. Avec les membres de la mission d’information, nous nous sommes rendus à Bitche auprès du 16bataillon de chasseurs pour évoquer et saluer le travail accompli par nos militaires sur ce théâtre d’opération.

M. Philippe Meunier, rapporteur. À l’heure où nous prenons la parole devant vous, près de 65 % des opérations de retrait ont été effectuées en Afghanistan. Le 1er janvier dernier, ils n’étaient plus que 1 500 hommes sur place, contre 3 600 en juin 2012. Le désengagement s’est passé jusqu’à présent sans incident majeur et dans des délais extrêmement réduits. Cette manœuvre est réussie.

Dans un premier temps, nous regarderons en arrière, pour décrire devant vous la décennie de présence française et analyser les différentes phases de notre intervention en Afghanistan. Nous nous attacherons ensuite à décrire la manœuvre logistique puis nous essayerons de tirer un bilan de l’engagement de nos forces armées d’un théâtre d’opération structurant pour les armées. Pour terminer, nous tâcherons de dresser un tableau de la situation politique et sécuritaire en Afghanistan et nous nous questionnerons sur l’avenir de ce pays et sur les nouvelles formes d’engagement de la France dans cette partie du monde.

L’engagement français en Afghanistan a été avant tout politique. C’est par solidarité avec les États-Unis qu’à la suite du 11 septembre 2001 nous nous sommes engagés dans ce pays. Au sein de l’opération Liberté immuable, nous avons participé à la traque des mouvements terroristes, tandis qu’insérés dans la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), nous avons pris une part conséquente à la sécurisation du territoire afghan et à la reconstruction de son appareil sécuritaire.

Entre l’automne 2001 et aujourd’hui, les modalités d’engagement des forces françaises ont connu d’importantes évolutions. Dès 2002 notre pays s’est particulièrement investi dans la formation de l’armée nationale afghane (ANA), à travers deux dispositifs : le programme Épidote, qui a permis de former plus de 20 000 cadres de l’ANA, et les équipes de liaison et de tutorat opérationnel (ELTO), grâce auxquels nos troupes ont formé et accompagné des bataillons afghans sur le terrain, dans le cadre de manœuvres coordonnées avec la coalition.

En 2008, la France a pris la relève de troupes italiennes dans le district difficile de la Surobi et a accepté de déployer des troupes de combat dans la province contiguë de la Kapissa. Ce faisant, la nature de son engagement se trouvait modifiée, notre armée se trouvant confrontée à une guérilla difficile.

L’embuscade d’Ouzbine, les 18 et 19 août 2008, l’a rappelé d’emblée. Elle avait suscité une forte mobilisation parlementaire, le président de notre commission conduisant sur place une délégation qui, de retour en France, avait formulé des propositions précises d’amélioration de notre dispositif.

Les quatre années d’engagement en Surobi-Kapissa ont mobilisé d’importants moyens. L’état-major des armées a globalement veillé à envoyer sur place les équipements les plus adaptés à disposition : drones tactiques, hélicoptères de combat, équipement du fantassin FÉLIN, etc.

Au-delà, les armées ont mobilisé l’ensemble des moyens disponibles pour réussir la mission.

Je pense tout d’abord au renseignement militaire, très actif sur le théâtre. La DPSD nous a notamment décrit son engagement – particulièrement efficace – face à la menace « green on blue », c’est-à-dire celle que font peser les soldats afghans retournant leurs armes contre leurs formateurs occidentaux. Pour preuve, en 2012 la coalition a comptabilisé 45 attaques de ce type, contre 20 en 2011. J’observe également la renaissance des actions civilo-militaires (les ACM), dont nos collègues Guy Chambefort et Philippe Folliot avaient traité voici deux ans. Plus ou moins tombées en désuétude, elles ont été fortement mises en avant sur ce théâtre bénéficiant d’une concentration de moyens en provenance de plusieurs ministères.

Parallèlement, la France a initié en 2009 un programme de formation de la police nationale afghane (ANP) par des gendarmes européens et notamment français. Nos 200 gendarmes se sont investis sur le terrain, à travers des opérations de formation et de tutorat d’unités, mais également dans deux écoles. L’une, dans le Wardak, est placée sous direction française. Nous avons pu la visiter et avons constaté le grand mérite des personnels. Son transfert définitif aux Afghans est prévu pour le printemps. Le travail de formation des gendarmes est d’autant plus important que nous avons constaté, à Kaboul, le bilan critiquable du programme de formation de l’ANP par l’Union européenne appelé EUPOL. Pour un coût élevé, de 61 millions d’euros par an, il ne semble pas obtenir de résultats satisfaisants : absence d’évaluation, manque de suivi des personnels formés, impossibilité de se rendre sur le terrain. Le contraste avec le Wardak était saisissant.

En bilan, l’Afghanistan compte certainement parmi les principales OPEX des dernières décennies. Nous avons calculé que près de 60 000 de nos soldats y auront été affectés – 88 d’entre eux y laissant la vie – et que, sur la seule période 2002-2012, le surcoût cumulé de l’opération militaire avoisine les 3 milliards d’euros.

Ces moyens ont été utilement mobilisés : à court et moyen termes par des actions de sécurisation, à plus long terme par la formation de l’ANA et de l’ANP.

Au lendemain de son élection, le Président de la République François Hollande a accéléré le retrait de nos troupes, qui avait déjà été avancé par son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Le 31 juillet 2012 débutaient ainsi les opérations de retrait avec le transfert aux autorités afghanes de la base avancée de Surobi. Les dernières troupes « combattantes » ont effectivement quitté l’Afghanistan le 17 décembre dernier.

Les voies terrestres au sud via le Pakistan et au nord via l’Ouzbékistan et le Kazakhstan étant à ce jour impraticables, les opérations de retrait ont emprunté deux voies pour quitter le territoire afghan.

L’une exclusivement aérienne de Kaboul à Paris qui représentait en décembre dernier environ 10 % des opérations de retrait réalisées, en recourant notamment à des Antonov 124 et des Iliouchine, pour un coût estimé à environ 40 000 euros par unité à transporter (UAT). L’autre est pour partie aérienne jusqu’aux Émirats arabes unis, puis maritime jusqu’en France. Elle représentait en décembre dernier près de 80 % des opérations de retrait réalisées, pour un coût estimé à environ 30 000 euros par UAT.

Dans un contexte général de retour des forces de la coalition, le retrait anticipé de nos troupes nous a permis d’éviter l’engorgement des voies de transit, qui devraient être saturées dans le courant de l’année 2013. Toutefois, nous nous interrogeons sur le manque de célérité des autorités françaises à négocier en amont avec les pays limitrophes l’utilisation des voies terrestres. Il apparaît en effet que les discussions avec les gouvernements ouzbek et kazakh ont débuté bien trop tardivement – au moment de la confirmation du retrait des forces « combattantes » – pour obtenir un accord de passage sur leurs territoires respectifs.

Au final, cette manœuvre est une manœuvre réussie mais elle représente aussi une opération coûteuse puisque le coût pour une UAT était estimé à 4 000 euros pour la voie sud et à environ 7 000 euros pour les différentes voies nord. Pour mémoire, le vol aérien direct coûte environ 40 000 euros par UAT et la voie multimodale via les Émirats arabes unis environ 30 000 euros par UAT. L’impossibilité d’emprunter les voies terrestres se solde au final par une dépense supplémentaire de plusieurs dizaines de millions d’euros pour le budget de l’État.

Au-delà de la question des opérations de retrait de nos soldats et de nos équipements, s’est posée celle du sort des personnels afghans, notamment des interprètes, qui, depuis le début de l’intervention, œuvrent à nos côtés pour faciliter la tâche de nos militaires auprès des populations. Depuis 2001, les forces françaises ont fait appel à environ 800 personnels civils de recrutement local (PCRL). À la demande des plus hautes autorités de l’État, un travail a été conduit sous l’égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) par le préfet Philippe de Lagune : prime de licenciement, prime de relocalisation et, pour les plus exposées, octroi d’un visa et d’une aide à la réinstallation en France. À ce jour, 70 PCRL et leurs familles, soit 166 personnes au total devraient être accueillies en France.

M. Philippe Nauche, rapporteur. Le désengagement de nos forces d’Afghanistan dépasse la seule manœuvre logistique.

Sur le plan opérationnel, nous avons tout d’abord relevé la qualité de l’entraînement des personnels. L’armée de terre a, en particulier, consacré des moyens importants aux six mois de mise en condition opérationnelle précédant le départ, avec, notamment, des mises en situation pratiques à Canjuers.

Sur le terrain, les équipements ont bénéficié de constantes améliorations grâce à la procédure d’adaptation réactive. La France y a consacré des ressources importantes : près de 200 millions d’euros par an à partir de 2009. Elles ont permis de faire face aux urgences : surblindage des véhicules logistiques, modernisation des véhicules de l’avant blindés, équipement en systèmes de liaison de données aux normes américaines, etc.

Sur le plan de l’organisation, les armées ont gagné en interopérabilité. Elles ont su agréger des forces disparates pour mener à bien la mission. Le format du groupement tactique interarmes de l’armée de terre a, quant à lui, fait la preuve de sa souplesse et nos capacités de communication et de coordination avec les alliés en sont sorties renforcées.

Surtout, nos travaux sur le terrain nous ont montré l’importance des moyens d’accompagnement des forces de combat : service de santé des armées (SSA), ACM, forces de gendarmerie.

Le SSA a mené et mène en Afghanistan une action méritoire. Pleinement intégré à la manœuvre, il a su moderniser ses procédures. Le service assume également une part majeure de la contribution française à la coalition, en pilotant jusqu’en 2014 le principal hôpital de l’OTAN situé sur l’aéroport de Kaboul.

Face à des conflits asymétriques, les ACM sont aujourd’hui indispensables. Le théâtre afghan a permis une véritable modernisation de leur conduite, avec la création du groupement interarmées pour les ACM. Nous avons également relevé la contribution très utile des gendarmes qui sont certainement les plus qualifiés pour mener à bien la formation de forces de polices sur des théâtres difficiles. Leur statut militaire est un atout particulièrement précieux.

S’agissant de l’accompagnement des personnels, là encore, le théâtre afghan a permis une véritable modernisation du dispositif français. Les échos concernant le sas de décompression de Paphos sont très bons et nous proposons d’étendre ce type d’organisation à d’autres théâtres. Nous avons également étudié la prise en charge des blessés, la France en déplore plus de 1 000 pour cette OPEX, avec un éclairage particulier sur les blessures psychiques. Celles-ci ne sont évidemment pas nouvelles, mais l’engagement en Afghanistan paraît avoir favorisé leur prise en compte par les armées et le SSA.

Au-delà, nous préconisons d’intégrer le retour d’expérience afghan dans notre organisation à venir.

Cela suppose en premier lieu de tenir compte des faiblesses réelles dont notre dispositif a souffert. Nous avons notamment relevé la faiblesse de nos moyens de transport, avec une dépendance marquée et préoccupante de notre pays vis-à-vis des Antonov et Iliouchine russo-ukrainiens. En outre, la France souffre d’un déficit capacitaire en drones. Plus que tout autre, l’engagement afghan a mis en lumière le retard français dans ce domaine. Enfin, nous estimons que le partage du renseignement entre alliés demeure encore perfectible.

Nous avons également souligné la difficulté qu’il y a à exercer le contrôle parlementaire : il n’a pas été possible, par exemple, de se rendre en Surobi-Kapissa, alors que cela aurait eu un sens particulier à l’heure du retrait.

Enfin, s’agissant de l’organisation de nos moyens, il importe de conforter les capacités de lutte contre les guérillas ainsi que de reproduire l’approche interministérielle initiée pour le théâtre afghan, avec notamment la création d’une cellule de suivi interministérielle, par exemple pour le Sahel.

Après plus de onze années de présence en Afghanistan, d’importantes améliorations ont été constatées dans ce pays, concernant notamment le renforcement de l’État de droit, la scolarisation des enfants et le développement d’infrastructures essentielles pour le développement économique du pays. Néanmoins, certaines fragilités persistent et pourraient être aggravées demain avec le retrait des troupes de la coalition.

La situation sécuritaire est globalement satisfaisante, grâce au travail des forces de la FIAS et à la montée en puissance de l’ANA, ainsi que des forces de sécurité intérieure afghanes. Nous sommes plus particulièrement préoccupés par l’état de la gouvernance dans ce pays. Le pouvoir afghan tarde à mener les réformes d’envergure qui semblent pourtant indispensables à un réel développement du pays. Le niveau de corruption des élites en place est inquiétant, en atteste le scandale récent de la Kabul Bank où 930 millions d’euros se sont volatilisés. Pour l’avenir, l’enjeu principal est la modernisation du pays. Ce n’est pas là un problème d’ordre financier, l’aide internationale est d’ailleurs très importante ; mais c’est un véritable problème de méthode. Une part importante des efforts de la coalition dans les années à venir devra donc se concentrer sur l’amélioration de la gouvernance. La lutte contre les talibans doit désormais revenir aux seules forces militaires et de sécurité afghanes.

Malgré le retrait de nos troupes, la France continuera demain d’aider l’Afghanistan à parachever sa reconstruction. Dans un premier temps, solidaire de la coalition, la France continuera d’œuvrer aux côtés de la FIAS, puis, au-delà de 2014, elle soutiendra directement l’Afghanistan dans le cadre du traité d’amitié franco-afghan.

Aux côtés de la FIAS pour la période 2012-2014, la France a accepté de rester ou de devenir nation-cadre sur plusieurs projets d’envergure. Elle assure désormais la gestion de l’aéroport international de Kaboul, de l’hôpital militaire basé sur cet aéroport, ainsi que du laboratoire européen anti engins explosifs improvisés. Elle continuera également de former des soldats afghans au sein du programme Épidote.

Par ailleurs, notre pays s’investit dans sa relation bilatérale avec l’Afghanistan. Le traité d’amitié franco-afghan, ratifié en août dernier, vise ainsi à développer une véritable coopération en matière de sécurité et de défense, mais aussi une coopération civile dans de nombreux secteurs tels que l’agriculture, l’éducation, la santé, l’archéologie et la culture.

En conclusion, nous aimerions aborder la question du soutien financier apporté aux forces de sécurité afghane par les pays membres de la coalition. Cette aide, qui devrait être versée jusqu’en 2017, s’élève actuellement à environ 3,38 milliards d’euros par an.

Depuis le sommet de Chicago, les Américains attendent de la France le versement de 10 % des 3,38 milliards d’euros. Notre pays n’a pas nécessairement vocation, en période budgétaire contrainte, à soutenir financièrement des forces armées et des forces de sécurité étrangères. Cette demande nous paraît d’autant plus étonnante que la France, via le traité d’amitié franco-afghan, continuera de soutenir par ses propres moyens l’Afghanistan. Par ailleurs, si une suite devait être donnée à cette demande, il faut noter que le montant en question annulerait en grande partie les économies réalisées du fait de notre retrait d’Afghanistan.

M. Joaquim Pueyo. Je remercie les rapporteurs pour leur excellente présentation de cette opération qui s’est déroulée avec succès. Lors de notre déplacement à Bitche, les officiers présents ont fait des observations sur les équipements utilisés par nos soldats sur ce théâtre. Le système FÉLIN est-il vraiment adapté pour des régions telles que l’Afghanistan ? Des ajustements seraient-ils envisageables ? Par ailleurs, vous avez souligné un certain manque de préparation concernant le rapatriement par chemin de fer de nos matériels. Or, j’ai cru comprendre que si l’on ne recourait pas aux voies terrestres c’était également pour des raisons de sécurité. Néanmoins, à ma connaissance des discussions seraient actuellement en cours pour permettre leur utilisation prochaine. Enfin, j’ai pu constater un besoin de reconnaissance de la part de nos militaires qui ont servi en Afghanistan. Comment mieux y répondre ?

M. Philippe Nauche, rapporteur. Le système FÉLIN présente des aspects très positifs, il permet de véritables améliorations et renforce la sécurité de nos soldats. Mais la principale difficulté vient du fait que l’ensemble de l’équipement pèse plus de 40 kg, ce qui réduit considérablement la mobilité de nos hommes et nécessite un entraînement particulier. Le retour d’expérience d’Afghanistan permettra justement d’envisager des adaptations du système en vue de l’alléger.

M. Philippe Meunier, rapporteur. La voie aérienne est bien sûr la plus rapide et la plus pratique mais elle accroît également le surcoût de l’opération qui est pris sur le budget OPEX. Les Néerlandais ont utilisé la voie terrestre pour leur retrait sans connaître d’incident majeur. Sur les 4 000 conteneurs rapatriés d’Afghanistan par les Pays-Bas seuls 31 ont été volés. Nous avons fait le choix politique d’utiliser la voie aérienne pour un retrait plus rapide de nos forces « combattantes » et cela s’est bien passé.

S’agissant de la reconnaissance due aux soldats opérant en OPEX, je rappelle que la loi du 28 février 2012 a fixé au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, même si je n’ignore pas que certaines associations d’anciens combattants, dont la FNAM, réclament l’instauration d’une journée spécifique de commémoration pour les morts en OPEX. Nous pourrions ouvrir une réflexion sur ce sujet.

M. Philippe Nauche, rapporteur. Les blocages concernant les voies terrestres ne sont pas d’ordre physique mais bien d’ordre diplomatique. Les négociations se poursuivent actuellement avec les autorités afghanes et les pays limitrophes pour permettre leur ouverture. Les Néerlandais ont transité par le Pakistan en 2010 à un moment où cela était encore possible mais, aujourd’hui, pour les raisons que nous connaissons, cette voie n’est plus praticable. Il n’en demeure pas moins que nous n’avons peut-être pas suffisamment anticipé nos opérations de retrait du point de vue diplomatique, puisqu’accéléré ou non, le désengagement de nos troupes devait être effectué avant 2014.

M. Michel Voisin. En tant que représentant spécial de l’OSCE pour l’Afghanistan, j’ai rencontré de nombreux hommes politiques afghans qui ont tous souligné l’importance de la mission des forces françaises mais qui ont également trouvé que la décision politique de retirer nos troupes avait été trop rapide. Pour la suite, les Afghans attendent beaucoup de la France, notamment en ce qui concerne la poursuite des programmes de formation, je pense par exemple à l’instruction des garde-frontières organisé à Douchanbé au Tadjikistan. Va-t-on continuer à leur fournir les cadres nécessaires pour mener à bien ces formations ? Le véritable problème en Afghanistan reste la production d’opium, d’où la nécessité de former convenablement les garde-frontières afghans. Du reste, je partage l’idée que le retrait de nos troupes était indispensable.

M. Philippe Meunier, rapporteur. Le ministre afghan de la défense nous a également fait part de ses regrets au sujet du retrait anticipé de nos forces mais la France a pris toutes ses responsabilités. Concernant la formation des garde-frontières, je n’ai pas d’information particulière mais je peux vous indiquer que la France va poursuivre ses efforts de formation en direction des officiers de l’armée nationale afghane.

M. Philippe Nauche, rapporteur. Nous poursuivrons en effet la formation des officiers ainsi que de l’équivalent de nos forces de gendarmerie mobile. À ma connaissance, la formation des garde-frontières est réalisée dans le cadre de l’OSCE. J’ai été particulièrement frappé, lors de notre entretien avec le ministre afghan de la défense, de la satisfaction exprimée vis-à-vis de la méthode française sur le terrain en Kapissa et Surobi. Notre approche globale et l’accompagnement civilo-militaire ont été particulièrement appréciés. S’agissant de l’évolution démocratique de l’Afghanistan, des aides techniques plus ou moins poussées seront mis en place dans le cadre d’accords de coopération. Cependant, au final, ce sont bien les Afghans qui seront responsables de l’avenir de leur pays. La coopération ne saurait s’assimiler à un tutorat. À mon avis la construction de l’État de droit en Afghanistan prendra du temps.

M. Philippe Meunier, rapporteur. Je tiens à souligner que le ministre afghan de la défense est un francophile, qui était proche du commandant Massoud, et qu’il nous est reconnaissant de l’aide apportée lors de l’occupation soviétique.

M. Francis Hillmeyer. Vous avez évoqué environ un millier de blessés français au cours de cette opération extérieure. Comment ont-ils été rapatriés ? A-t-on plus d’informations sur le type de blessures ?

M. Philippe Nauche, rapporteur. Nous ne disposons pas du bilan précis des lésions répertoriées mais je peux souligner la remarquable organisation de la chaîne d’évacuation avec une médicalisation de l’avant, puis un premier traitement efficace sur place et dès que nécessaire un rapatriement rapide des blessés en France dans les 24 heures. En Afghanistan, le SSA a mis en œuvre tout son savoir-faire. Il a réalisé un travail exemplaire de prise en charge tout au long de l’intervention et continuera d’œuvrer sur place au sein de l’hôpital militaire de KAIA jusqu’en 2014 au moins.

M. Daniel Boisserie. Vous avez souligné la qualité de formateur de nos gendarmes. Leur mission sur place est-elle terminée ? Nous avons également accueilli certains personnels et interprètes afghans en France. De quelle manière cet accueil en France s’est-il organisé ? Sont-ils logés ? Comment se passe leur insertion ? Par ailleurs, de quelle façon est assurée la sécurité des personnels afghans qui resteront en Afghanistan ?

M. Philippe Meunier, rapporteur. Le transfert aux autorités afghanes de l’école de gendarmerie du Wardak est actuellement en préparation. S’agissant des PCRL, 70 dossiers ont été acceptés pour ouvrir droit à un accueil en France. L’examen se fait en fonction de la durée d’engagement au service de la France et des risques de représailles encourus. L’accueil en France reste toutefois une exception.

M. Philippe Nauche, rapporteur. Les dossiers de ces PCRL sont instruits individuellement, en lien avec la DPSD, dans le cadre d’une enquête méticuleuse. C’est une démarche très complète.

M. Philippe Meunier, rapporteur. À ce stade, alors que la procédure est encore en cours, 70 PCRL devraient être accueillis en France, soit 166 personnes en comptant leurs familles. Elles seront par la suite prises en charge par 16 préfectures de région. L’ensemble de la procédure est gouverné par le souci d’assurer aux personnes concernées une sécurité maximale, d’où des conditions de discrétion particulières. En cas d’urgence absolue, un PCRL se voit délivrer immédiatement par le consulat un visa lui permettant, ainsi qu’à sa famille, de se mettre à l’abri en France. Ce cas de figure exceptionnel ne s’est produit qu’une seule fois pour l’instant. Chaque personne obtenant le droit de s’installer en France, se voit délivrer des visas de long séjour conduisant à l’attribution d’une carte de séjour.

M. Christophe Guilloteau. Je me suis rendu plusieurs fois en Afghanistan et y ai constaté l’évolution de notre posture militaire et les regrets qui se sont manifestés lors de notre départ. Notre implication n’était pas vaine. Elle était normale venant d’une grande démocratie. Il nous fallait être au côté des 47 autres pays de la coalition. Le tribut a été lourd avec 88 soldats morts, 700 blessés et un coût de 3,5 milliards d’euros. Il était important pour la France d’être présent.

En outre, l’industrie de la défense a fait, à l’occasion du conflit, des progrès sensibles, que ce soit avec les drones ou les canons CAESAR. Reste-t-il encore aujourd’hui des véhicules à rapatrier ? Les délais pour le rapatriement ont-ils été tenus ? A-t-on constaté des redéploiements vers le Mali ? Contrairement à ce qu’on pense parfois, j’ai l’impression que nous n’avons pas laissé beaucoup de matériel neuf sur place.

M. Philippe Nauche, rapporteur. Sur les 1 150 véhicules engagés, 200 sont encore sur place et les opérations de rapatriement sont en avance sur les échéances initialement prévues, ce qui témoigne de l’efficacité de la chaîne logistique.

M. Philippe Meunier, rapporteur. L’opération Serval au Mali n’a pas eu d’incidence sur le déroulement des opérations de rapatriement des hommes et des matériels d’Afghanistan.

M. Yves Fromion. La situation des grands blessés doit être évoquée ici. La plupart sont pris en charge à l’hôpital d’instruction des armées Percy, où œuvre la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre (CABAT) qui dispose désormais de capacités d’accueil pour les familles sur le site. Ils peuvent bénéficier ensuite d’actions de réinsertion, comme il en est proposé par exemple à Bourges, au centre régional d'éducation populaire et de sport (CREPS) avec le soutien financier des industriels de l’armement. Ainsi, beaucoup d’efforts ont été consentis pour améliorer la condition de nos blessés, mais certains se trouvent tout de même dans des situations difficiles : c’est notamment le cas de ceux qui ont besoin de prothèses très particulières, dont le coût peut dépasser 50 000 euros.

Outre cette remarque, je souhaite vous adresser trois questions.

D’abord, quel type de matériels laisse-t-on spécifiquement sur place ? S’agit-il du matériel hors d’usage selon les standards de nos forces armées ?

Ensuite, est-ce que nos forces encore présentes sur place continuent à soutenir, directement ou indirectement, les opérations de l’ANA ?

Enfin, est-ce qu’en Kapissa-Surobi nos forces ont été relayées par des forces de la FIAS ?

M. Philippe Nauche, rapporteur. Nous ne transférons pas de matériel aux forces afghanes : elles sont déjà suffisamment équipées et utilisent surtout du matériel américain.

M. Philippe Meunier, rapporteur. Il est d’ailleurs peu probable qu’ils soient intéressés par certains de nos matériels – je pense par exemple à nos VAB les plus anciens.

M. Philippe Nauche, rapporteur. S’agissant des opérations de l’ANA, aucun dispositif spécifique de soutien n’est prévu. En Kapissa-Surobi, l’ANA semble de plus en plus autonome. Le soutien américain suffit à pallier les quelques difficultés logistiques.

Mme Marie Récalde. Je tiens à dire combien les travaux de notre mission ont été fructueux, ses auditions nombreuses et toujours intéressantes – certaines nous ont parfois laissés perplexes – et combien il était indispensable de se rendre en Afghanistan pour comprendre certaines choses.

Je veux également saluer le travail effectué sur place et je partage les propos de Christophe Guilloteau sur l’avancée technologique, médicale qu’a permis ce conflit. Il faut aussi souligner l’extraordinaire travail de nos gendarmes, qui se poursuit.

Je tire de ces travaux le sentiment que l’Afghanistan est un pays qui, en quelque sorte, a « besoin de souffler ». Il est en guerre depuis longtemps, et pourtant, il a accompli en dix ans une évolution politique que nous avons mis trois siècles à conduire. Pour l’aider à consolider ces acquis, je crois à l’utilité d’une coopération juridique, institutionnelle, et au besoin décentralisée, qui pourrait être mise en œuvre dans le cadre du traité d’amitié.

M. Philippe Meunier, rapporteur. Nous avons dû nous battre pour nous rendre en Afghanistan. En outre, depuis Kaboul, il n’a pas été aisé de nous déplacer auprès des gendarmes dans le Wardak.

Les forces françaises sur place représentaient 5 % des effectifs de la FIAS, mais leur visibilité était bien supérieure à leur part dans l’effectif de la force internationale : les Français ont occupé le terrain avec toujours un grand respect pour les populations civiles, contrairement à d’autres, qui ont eu tendance à moins sortir de leurs bases. Notre mission consistait à détruire les réseaux terroristes en Afghanistan : elle est accomplie. Est-ce que nous avons profondément changé le pays ? Cela, c’est aux Afghans de le faire. En tout état de cause, notre départ ne conduira pas à l’effondrement de ce pays. Certes, on déplore encore des attentats – tous les quinze jours en moyenne – mais aujourd’hui, l’Afghanistan a une véritable structure étatique ainsi qu’une véritable armée.

M. Philippe Nauche, rapporteur. Je partage l’idée que nous pouvons partir avec le sentiment d’avoir accompli notre mission. Cette mission a été importante pour la France.

M. Christophe Guilloteau. Il faut souligner que si nous avons fourni des équipements au gouvernement afghan, nous en avons aussi beaucoup fourni aux organisations non gouvernementales sur place.

Il ne faudrait pas qu’avec le départ de nos troupes, la presse cesse de parler de la situation en Afghanistan. Les Afghans ont besoin que l’on parle d’eux.

Puis, à l’unanimité, la Commission autorise la publication du rapport d’information.

La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Guy Chambefort, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin, Mme Édith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Christophe Léonard, M. Philippe Meunier, M. Philippe Nauche, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. François André, M. Claude Bartolone, M. Sylvain Berrios, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. François de Rugy