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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 27 février 2013

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 61

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, pour un point hebdomadaire sur l’opération Serval au Mali..

La séance est ouverte à huit heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous accueillons ce matin, comme nous le faisons chaque semaine en ce moment, M. le ministre de la défense, pour un point général sur la situation militaire au Mali.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Je vous rappelle que nous avons enserré l’Adrar des Ifoghas : nous sommes présents à Kidal et à Tessalit ; nous avons un soutien de sécurité des Algériens, au nord, et nous bénéficions de la présence active des Tchadiens à l’est.

Les opérations au sol se poursuivent avec les forces tchadiennes. Des combats très violents se déroulent dans la zone de l’Adrar des Ifoghas, mais aussi dans la zone de Timétrine.

Nous sommes donc au contact de notre adversaire principal, AQMI.

La résistance farouche que nous rencontrons montre que nous arrivons là au repère principal. Nos adversaires sont là chez eux ; ils y vivent de longue date : certains se sont repliés là après les années noires algériennes. Cet endroit est aussi un point de passage et de repli sur ce que j’appelle « l’autoroute narco-jihadiste », qui va de la Somalie jusqu’à la Guinée-Bissau.

Nous avons commencé, avec les Algériens au nord et les Tchadiens à l’est, des opérations destinées à les prendre en tenaille. Cela implique des actions aériennes, mais aussi des actions au sol. Du 19 au 24 février, des accrochages violents ont eu lieu quotidiennement.

Aucun de nos soldats n’a été blessé. Les Tchadiens ont perdu vingt-trois militaires dans une seule opération. L’état-major tchadien va maintenant, semble-t-il, mieux s’articuler avec nous.

Nous poursuivons donc cet enserrement, en coordination avec l’armée tchadienne, mais la zone est évidemment très vaste. Ce processus est donc très lent.

Nous avons neutralisé de très nombreux jihadistes. Nous nous heurtons, je l’ai dit, à une résistance très déterminée. Nous arrivons là à leur sanctuaire. Nous trouvons beaucoup plus de matériel que nous n’en avons découvert dans la zone de Gao, et du matériel très performant : matériel de vision nocturne, fusils de précision, déclencheurs d’engins explosifs improvisés (improvised explosive device, IED) par téléphone, ceintures d’explosifs…

Face à cet adversaire aguerri, les troupes françaises se comportent de manière extrêmement professionnelle. Les opérations se poursuivent de façon méthodique. Nous sommes vraiment dans le dur !

Dans la zone de Gao, nous poursuivons nos patrouilles avec les soldats maliens et nigériens ; les dispositifs de nos adversaires sont un peu plus artisanaux. Nous menons des recherches dans les villages alentour pour dénicher les membres du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), qui mène des actions dissymétriques. L’opération la plus importante a eu lieu le 21 février, lorsqu’une trentaine de terroristes du MUJAO se sont infiltrés dans la ville de Gao ; ils ont été repoussés par les forces maliennes et les nôtres. C’est là que deux soldats français ont été blessés. On peut craindre que d’autres opérations de ce type ne se déroulent dans la zone de Gao. L’exploration de la région se poursuit de façon méthodique ; nos équipes sur le terrain sont opérationnelles pour appuyer les forces maliennes.

À Tombouctou, la situation est stable à ce stade.

Nous poursuivons notre progression dans les Ifoghas, et nous patrouillons à partir de Gao pour repérer les jihadistes.

Au nord comme au sud, les jihadistes neutralisés sont jeunes, voire très jeunes, même au nord. Ils sont de nationalités très diverses : c’est bien là le cœur du jihadisme international.

Pour continuer de progresser dans l’Adrar des Ifoghas, la question du renseignement est essentielle. Nous collaborons avec les Américains ; nous avons mis en place un dispositif de rassemblement et de vérification des renseignements que nous recevons. La géographie est très difficile : il y a des grottes, des souterrains…

Quant aux forces africaines, elles se rassemblent : elles comptent aujourd’hui environ 6 000 hommes, si l’on intègre les Tchadiens. Au nord, nous sommes un peu plus d’un millier, et les Tchadiens 1 800. Au sud, les unités africaines sont en cours d’implantation, avec un élargissement de leur zone de présence : il y a notamment des Nigériens, qui sont de bons soldats, mais aussi des soldats togolais, sénégalais, guinéens et nigérians.

L’état-major de la mission internationale de soutien au Mali (MISMA), dirigé par un général nigérian, prévoit que ses effectifs compteront rapidement 8 000 soldats, dont les niveaux de qualification seront toutefois très divers.

La mission de l’Union européenne pour l’entraînement des soldats maliens (European Union training mission, EUTM) est pré-opérationnelle. La France est nation-cadre et la force est dirigée par le général Lecointre. Environ 80 militaires, sur les 500 prévus, sont présents sur place ; les autres arrivent progressivement, sans problème. Nous rencontrons en revanche quelques difficultés pour trouver des protecteurs pour ces instructeurs. J’ai évoqué le problème à Bruxelles la semaine dernière lors d’une réunion de l’OTAN à laquelle participaient de nombreux ministres de la défense européens : il n’est pas convenable que la France assure seule cette protection. Le message a, je crois, été entendu : les Belges, les Tchèques et peut-être les Espagnols devraient nous envoyer des soldats pour assurer cette protection.

La formation commencera courant mars et s’échelonnera sur une année. Ce sera extrêmement utile, notamment pour le respect des droits de l’homme. Conscient du problème des exactions le général Dembélé, chef d’état-major de l’armée malienne, a déjà pris des mesures contre des officiers qui n’avaient pas été suffisamment vigilants.

La dimension internationale de ce conflit, enfin, relève surtout du ministre des affaires étrangères. Le passage de la MISMA à une mission de stabilisation des Nations-Unies au Mali (MINUMA), relevant d’un autre statut juridique, doit se faire par une résolution du Conseil de sécurité, que nous sommes en train de négocier. Ce changement pourrait se réaliser dans le courant du printemps ; nous souhaitons en tout cas qu’il ait lieu avant l’été : vous savez que des élections sont prévues au Mali au mois de juillet. Notre rôle serait alors d’appoint, de soutien – selon ce que seront précisément les termes de la résolution.

Vous voyez donc que nous sommes en train de resserrer notre étau. Les affrontements sont quotidiens.

Je n’ai pas évoqué la question des otages enlevés au Cameroun. Boko Haram, qui est à l’origine de ces enlèvements et en a d’ailleurs commis d’autres la semaine précédente, appartient à la grande nébuleuse du jihadisme narcotrafiquant : c’est une variante, mais ce sont les mêmes méthodes. Nous sommes en contact avec les autorités du Cameroun et du Nigéria. Tout est mis en œuvre pour libérer les otages.

M. Philippe Folliot. À quand remontent les dernières preuves de vie des otages du Mali ? Les preneurs d’otage ont-ils la volonté de se servir d’eux comme monnaie d’échange ?

M. le ministre. Je parle ici, vous l’avez constaté, de façon très libre. Mais sur le sujet des otages, vous comprendrez que je ne peux absolument rien dire.

M. Philippe Meunier. Parmi les jihadistes neutralisés, combien viennent de la zone subsaharienne ?

M. le ministre. Au nord, c’est bien le lieu où le jihadisme international s’organise. Le cas du MUJAO est plus complexe.

M. Philippe Meunier. Il n’y a donc pas de recrutement de terroristes venus du sud du Sahel ?

M. le ministre. Il y en a sans doute à Gao, mais c’est alors un recrutement autant mercantile qu’idéologique.

Nous trouvons, au nord, mais aussi au sud, du matériel destiné à commettre des attentats – ceintures d’explosifs, IED… –, et pas à un seul endroit. Cette traque se poursuit.

M. Christophe Guilloteau. Sur les photos que nous avons vues, nos soldats ne portent pas les tenues dites FELIN (Fantassin à équipement et liaisons intégrées). On entend dire qu’elles seraient trop lourdes et trop chaudes. Elles ont pourtant coûté fort cher.

M. le ministre. Les photos ne sont pas prises dans l’Adrar. Mais je vérifierai l’usage qui est fait de ces tenues.

M. Yves Fromion. Le budget de la défense va encore perdre 380 millions d’euros. Compte tenu de notre engagement, et par rapport à la loi de finances initiale pour 2013, où en est ce budget aujourd’hui, notamment pour l’armée de terre ?

M. le ministre. Il y a eu un gel, puis un surgel, comme pour les autres budgets. En tout, cela représente 384,5 millions d’euros. J’espère une amélioration météorologique et donc un dégel…

M. Philippe Vitel. Un attentat-suicide, dirigé contre le MNLA, a eu lieu hier soir à Kidal. Cette action ne risque-t-elle pas de remettre en cause nos liens avec ce mouvement ?

D’autre part, vingt-trois soldats tchadiens ont été tués lors d’une seule opération. C’est énorme : ces soldats sont-ils vraiment préparés ? Peut-on leur faire confiance ? N’en faisons-nous pas aujourd’hui des victimes ?

M. le ministre. Le MNLA n’est ni notre ami, ni notre ennemi. L’attentat de Kidal doit être mis en relation avec les rivalités historiques entre différents groupes : il y a des affrontements entre différents groupes de Touaregs, ainsi que de vieux affrontements entre Touaregs et Arabes. Nous n’avons pas pour mission de régler ces problèmes complexes par les armes.

M. Yves Fromion. La mission donnée par le Président de la République est de permettre à l’État malien de fonctionner : ces rivalités ne l’en empêchent-elles pas ?

M. le ministre. Nous voulons que le Mali vive en paix.

Quant aux soldats tchadiens, ils sont aguerris et d’une grande bravoure, mais ils n’ont ni l’équipement ni l’entraînement des soldats français.

Parmi les vingt-trois soldats tchadiens qui ont trouvé la mort dans cette opération, plusieurs ont été tués par trois tireurs d’élite, très bien armés et très professionnels.

M. Nicolas Bays. Les terroristes disposent d’un important matériel, notamment de véhicules armés. Pouvez-vous nous dire combien de ces véhicules ont été détruits ? Que leur reste-t-il ?

M. le ministre. Nous avons éliminé de nombreux véhicules, notamment de nombreux pick-up armés depuis une semaine ; il en reste, mais, au sud comme au nord, nous avons surtout frappé durement leurs moyens de ravitaillement, en particulier en essence. L’Algérie a fermé ses frontières : certes, c’est un désert et elles ne peuvent pas être tout à fait étanches, mais un pick-up doit circuler sur une route. C’est donc plus facile à contrôler.

M. Michel Voisin. Y a-t-il des blessés parmi les forces françaises ?

M. le ministre. Il y a eu quelques blessés légers dans les parachutages ; au moment où je vous parle, nous n’avons pas de blessés graves. Il faut bien être conscient que ce sont des opérations très difficiles et très dangereuses.

Nous nous chargeons de soigner les blessés tchadiens, à Niamey. Il y en a une soixantaine.

Mme Geneviève Gosselin. Y a-t-il des prisonniers ? Quel est leur statut juridique ?

M. le ministre. Vous avez raison de souligner l’importance du statut juridique : c’est surtout vrai pour nos propres forces. La question n’est pas réglée : nous rencontrons des résistances ; mais il faut qu’elle le soit pour permettre la transformation de la MISMA en opération de maintien de la paix. Le Mali doit donc valider très vite le dispositif SOFA (Status of Forces Agreement) qui permettra de garantir le statut de nos propres forces.

Quant aux prisonniers, la question se poserait si nous en avions, mais nous n’en avons pas à ce stade.

M. Bernard Deflesselles. Nous aurions 4 000 soldats sur le terrain malien au 26 février, et 5 200 en tout pour l’opération. Pouvez-vous confirmer ces chiffres ?

Cette opération dure depuis six semaines : y a-t-il déjà un retour d’expérience, et celui-ci sera-t-il utilisé pour la révision en cours du Livre blanc, qui doit servir à préparer la loi de programmation militaire ?

M. le ministre. Il y aura bien sûr un retour d’expérience ; il est même déjà entamé. Je retiens aujourd’hui quatre sujets : le renseignement, avec notamment la question des drones – nous avons des drones en activité, les Américains ont envoyé des Predator ; le ravitaillement en vol ; le transport des troupes ; le prépositionnement. Ces questions ne sont pas neuves…

M. Bernard Deflesselles. Vous avez compris ma question, monsieur le ministre : l’armée de terre sera-t-elle maintenant traitée avec plus de bienveillance ?

M. le ministre. Les opérations que nous menons sont interarmes. La performance de l’armée de terre est tout à fait remarquable, je veux le redire ici : c’est sans doute l’une des conséquences des opérations menées en Afghanistan. Nos forces sont aguerries et se sont adaptées très rapidement à ce nouveau théâtre d’opérations. Nous avons au Mali deux groupements tactiques interarmes (GTIA) très performants.

Sans force de protection significative, il est évident que nous ne pourrions pas remplir de telles missions.

M. Yves Fromion. Les relèves seront-elles suffisantes ?

M. le ministre. Nous n’en sommes pas là : j’espère que nous n’aurons pas à faire appel à elles. Ce sera le cas si cette opération continue avec la même rapidité. Vous savez que la saison des pluies arrive : si elle ne doit pas les rendre impossibles, elle risque de compliquer singulièrement nos opérations.

M. Alain Moyne-Bressand. Peut-on attendre un soutien d’autres pays, qui pourraient se sentir concernés par la lutte contre le terrorisme international ?

M. le ministre. Il y a d’abord des contributions financières. Une conférence des donateurs s’est réunie à Addis-Abeba au mois de janvier ; les promesses de dons s’élèvent à 450 millions de dollars, venant de pays parfois lointains comme le Japon. Ces sommes doivent servir à financer la MISMA ; nous souhaitons qu’elles puissent également permettre de mieux équiper l’armée malienne, ce que ne fait pas l’EUTM.

Les Américains nous apportent à l’heure actuelle une aide significative en matière de renseignement. Les Canadiens continuent de nous apporter une aide logistique, notamment en avions de transport. Nous recevons de l’aide d’autres pays encore – Belgique, Royaume-Uni… Toutes ces contributions sont utiles pour compenser nos faiblesses, que j’ai rappelées tout à l’heure.

Il est possible – je n’en sais rien aujourd’hui – que le passage au statut juridique d’opération de maintien de la paix permette que d’autres pays s’engagent plus fortement. Certains pays ont en effet l’habitude d’envoyer des effectifs si l’opération se fait dans le cadre de l’ONU. Les forces africaines continueront de constituer le cœur de la force internationale : cette nouvelle mission, qui aurait un autre statut juridique, une autre organisation et des missions mieux identifiées, sera dans la continuité de la MISMA.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci beaucoup, monsieur le ministre.

La séance est levée à neuf heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Jean-David Ciot, M. Bernard Deflesselles, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. François André, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Lucien Degauchy, M. Nicolas Dhuicq, M. Éric Jalton, M. Patrick Labaune, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, M. Jacques Moignard, Mme Sylvie Pichot, M. François de Rugy