Accueil > Travaux en commission > Commission de la défense nationale et des forces armées > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 10 avril 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 67

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration (SGA)

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration (SGA) du ministère de la défense, pour qu’il nous parle du système de gestion Louvois, qui est un sujet particulièrement sensible, dont beaucoup de parlementaires ont été saisis, que ce soit dans leur circonscription ou par le biais de courriels ou de blogs.

Nous souhaiterions avoir un point sur la genèse de ce système, qui engendre un certain nombre de problèmes, et les étapes futures permettant d’avoir un dispositif de paiement des soldes efficace.

Je rappelle que nos collègues Geneviève Gosselin-Fleury et Damien Meslot travaillent sur ce sujet dans le cadre de la mission d’information dont ils sont rapporteurs, et qui devrait présenter son rapport d’ici juillet prochain.

M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration (SGA). Ce dossier est, en effet, sensible, délicat et complexe. De nombreux militaires, notamment de l’armée de terre, ont de fait connu des difficultés depuis un an en raison des retards de paiement de leur solde.

La difficulté ne tient pas à la façon dont chaque armée et service ont appréhendé le raccordement au logiciel unique à vocation interarmées de la solde que constitue Louvois, mais à des questions de logiciel et d’organisation d’ensemble – on a parlé, dans les audits en cours, de difficulté sur « l’écosystème Louvois », autrement dit une série de causes réparties sur toute la chaîne de paiement des soldes.

Ce système a engendré un certain nombre de tensions, dont il faut sortir, car le sujet est grave. Ces difficultés doivent par ailleurs nous conduire à tirer des enseignements sur la conduite des réformes, notamment en vue de la prochaine loi de programmation militaire (LPM).

Je vais donc vous exposer la genèse du système, puis la crise qu’il a engendrée et les solutions qu’on peut lui apporter, et enfin les leçons que l’on peut en tirer.

Avant le projet Louvois, les fonctions soldes et ressources humaines s’ignoraient l’une l’autre. La collecte des informations se faisait au travers de formulaires papier, tandis que le décompte des soldes était effectué séparément, grâce à des applications informatiques de paye.

Ce système présentait des insuffisances. Il était d’une faible productivité : 1 500 personnes étaient employées par les trois armées et la gendarmerie dans les centres payeurs, dont plus de 870 affectées au décompte. En 2004, le coût de la chaîne soldes était estimé à 46 millions d’euros, soit un coût moyen de 10 euros par bulletin de solde, avec des variations importantes, ce coût allant de 6,70 euros dans l’armée de l’air à 13,40 euros dans l’armée de terre.

Au début des années 1990, on a pensé qu’il convenait de développer un logiciel unique pour accroître cette productivité, rationaliser les procédures, disposer d’équipements informatiques homogènes, diminuer leur coût d’entretien, mais aussi être en mesure de faciliter la prise en compte des évolutions réglementaires.

Le premier chantier engagé par les services des commissariats des armées, à partir de 1996, a été l’élaboration d’un mémento unique de la solde. Il a fallu mener un travail très important pour savoir comment traiter telle ou telle prime ou indemnité, car, quand un décret créait une indemnité, chaque armée, chaque service reprenaient ce texte dans une instruction particulière.

Les données liées aux ressources humaines devaient être prises en compte le plus près possible des administrés ou de l’événement justifiant le versement d’une indemnité. Il fallait automatiser le calcul pour éviter des mouvements de pièces justificatives qui étaient source de lenteur et de pertes de documents ; en outre, la création de centres uniques de trésorerie et de liquidation devait permettre d’harmoniser les pratiques.

Une décision du ministre du 26 octobre 1996 a précisé que « le commissariat de l’armée de terre pilotera l’élaboration d’un logiciel de calcul de la solde commun aux trois armées et à la gendarmerie, avec extension ultérieure à la délégation générale pour l’armement ».

Une première phase s’est déroulée de 1999 à 2003, avec l’attribution d’un marché à une société pour fournir un progiciel, et un autre à une société intervenant en tant qu’assistante à maîtrise d’ouvrage.

Des difficultés apparaissent très vite : elles donnent lieu en février 2004 à un constat sévère du Contrôle général des armées (CGA) puis de la Cour des comptes, qui estiment que le projet s’est terminé sans résultat opérationnel après 20 millions d’euros de frais identifiés. Les causes en sont multiples : substitution des objectifs techniques aux objectifs politiques, absence de suivi des bonnes pratiques, manque de compétence de la maîtrise d’ouvrage, procédures de contrôle multiples mais peu efficaces, et conduite du projet approximative et sans référence au coût généré.

Entre 2004 et 2005, on s’oriente vers un système informatique en cours d’élaboration par l’armée de l’air, qui semble donner satisfaction.

Par ailleurs, en 2005, l’Agence pour le développement de l’administration numérique lance la réalisation d’un socle commun, appelé « noyau commun interministériel », fondé sur des technologies de la société SAP, pour le développement de systèmes d’information pour les ressources humaines. L’armée de terre s’oriente vers ce dispositif dès juin 2005. Elle sera suivie par la marine nationale, l’armée de l’air et le service de santé des armées (SSA).

Fin 2005, intervient un « audit de modernisation » de l’Inspection générale des finances (IGF) et du CGA sur les centres payeurs des armées. Sa conclusion, qui servira de feuille de route pour la suite des travaux, préconise de rapprocher les fonctions soldes et ressources humaines, ainsi que d’accélérer la convergence des systèmes d’information de gestion des ressources humaines (SIRH) vers le noyau commun interministériel en y intégrant la paye.

L’organisation du projet est revue : une troisième phase débute en 2006, avec un comité directeur toujours présidé par le directeur central du commissariat de l’armée de terre, qui établit un nouveau calendrier avec un objectif de déploiement du logiciel au cours de 2009.

Dès cette époque, la marine nationale et l’armée de l’air rapprochent leurs fonctions ressources humaines (RH) et soldes au sein d’une même structure. L’armée de terre décide, quant à elle, en 2006, d’attendre pour ce faire que les travaux sur le logiciel soient plus avancés.

Trois marchés sont alors notifiés, dont un le 16 mai 2007 à la société Steria pour définir les choix d’architecture du système d’information et un autre le 21 février 2008 à Eurogroup et MC2I pour l’assistance à maîtrise d’ouvrage. De plus, est confiée à Steria, en mai 2008, une mission d’intégration entre Louvois et les SIRH. L’objectif est de déployer, à partir du calculateur développé au sein de l’armée de l’air, un système allant chercher les données dans les systèmes d’information des différentes armées pour les transférer au calculateur et aboutir à l’édition d’un bulletin de solde et des documents comptables indispensables pour régler les soldes et suivre leur paiement.

Or, en 2009, apparaît l’idée de créer un opérateur national de paye (ONP) pour l’ensemble des services et des agents de l’État : les services du Premier ministre décident que le système Louvois lui sera raccordé à terme.

Mais le comité directeur du projet Louvois rencontre des difficultés pour mener cette opération et, mi-2009, il est décidé de repousser ce raccordement à 2010.

Après les premières phases décrites précédemment, on entre alors, en quelque sorte, dans la seconde étape de Louvois III, qui aboutit à revoir la gouvernance du projet au cours d’une réunion le 25 mai 2010, que j’avais présidée au cabinet du ministre, avec l’ensemble des intervenants. La direction des ressources humaines est désignée pilote de cette nouvelle étape. Tant que cette fonction était assurée par le service du commissariat, la préoccupation principale était le système de paye : or, pour réussir la « bascule » vers l’ONP, il fallait que le système RH fonctionne aussi de façon très solide.

En septembre 2010, est réalisé un audit par la direction générale des systèmes d’information et de communication (DGSIC), qui constate que « Louvois se révèle peu robuste, difficilement maintenable et exploitable ». Cela est dû à la complexité du domaine et aux choix techniques au niveau de sa mise en œuvre dans son environnement fonctionnel. Elle suggère en conséquence une quarantaine de recommandations, qui nécessitent de revoir le programme de déploiement. Des consignes sont données pour qu’elles soient appliquées.

Mais dès le début 2011, on se rend compte que le calendrier prévu soulève une difficulté au regard de la création du service du commissariat des armées prévue pour 2012 et de la fermeture des centres techniques et administratifs du commissariat de l’armée de terre (CTAC), qui s’occupent du calcul et du paiement des soldes. Comme on était confronté à une fuite des compétences dans ces centres, il est décidé de retarder leur fermeture pour conserver celles-ci, en garantissant aux personnels civils concernés des affectations prioritaires sur les lieux qu’ils choisiront après cette échéance. On a néanmoins eu cette fuite de compétences et une désorganisation de la chaîne soldes du commissariat de l’armée de terre.

La chaîne RH a été par ailleurs perturbée par le retrait, au sein des unités des forces, des cellules de proximité de la fonction de gestion des ressources humaines (GRH) de proximité, en vue d’un regroupement au niveau des bases de défense. Les rencontres territoriales sur la réforme organisées en 2011-2012 ont montré ce sujet comme un des points les plus sensibles.

D’où, dès 2012, un retour d’une partie de la fonction RH dans les unités pour éviter une perte d’informations ou de temps dans le traitement de celles-ci.

L’imbrication de plusieurs réformes a fragilisé le dispositif. De premières alertes ont été prises en compte, conduisant à réajuster les calendriers de raccordement lors de deux réunions organisées en septembre et novembre 2010.

Il est décidé, le 4 mars 2011, de raccorder le SSA pour la solde d’avril 2011 après une période de paye en double assez longue et une validation de cette « bascule » par la direction centrale de ce service et l’état-major des armées (EMA).

D’ailleurs, toutes les décisions de « bascule » ont été collectives, présentées par l’ensemble du ministère au ministre, après plusieurs mois de paye en double et après que l’accord des uns et des autres ait été recueilli.

Le raccordement de l’armée de terre a été prévu pour la solde d’octobre 2011 et celui de la marine pour la solde de mars 2012. Parallèlement, le raccordement de l’armée de l’air a été repoussé. Il s’agit donc d’un dispositif encadré et progressif, afin de vérifier que les étapes peuvent être franchies les unes après les autres.

La première étape sur le SSA a fait apparaître des difficultés de paiement d’indemnités liées à des spécificités de ce service, notamment des indemnités de garde hospitalière : les gardes n’étaient pas payées le mois où elles étaient réalisées mais selon des échéances définies par le service ; le volume des dossiers était important et la réglementation n’était pas strictement respectée.

La marine a, avant son raccordement, effectué un travail très important d’information des marins. Elle a également instauré un dispositif permettant aux marins d’accéder aux bulletins de solde à partir de leur poste de travail. Il est vrai que la concentration de la marine sur deux sites principaux facilite ces démarches, d’autant que, dans le cadre de la mise en place des bases de défense, on a maintenu, à Brest et à Toulon, des systèmes administratifs encore très substantiels, auxquels les marins pouvaient s’adresser en cas de difficulté.

L’armée de terre n’a pas pu effectuer un accompagnement aussi important dans la mesure où sa chaîne RH, du fait des autres réformes – sur les bases de défense et la dissolution des CTAC –, a été perturbée : cela peut expliquer les difficultés.

J’en viens à la crise actuelle et aux dysfonctionnements de ce que l’on a appelé « l’écosystème RH-soldes ».

Lorsque le ministre s’est déplacé à Varces le 17 septembre 2012, des militaires l’ont informé de retards très importants dans le paiement des soldes, notamment d’indemnités pour services en campagne. Au moment du raccordement de l’armée de terre au dispositif Louvois, un état des lieux avait estimé à 15 000 le nombre de dossiers à traiter dans les CTAC : or on a découvert un an après qu’ils étaient plus de 140 000. Il y a donc eu un problème de remontée d’informations et d’analyse de la situation.

Les difficultés rencontrées conduisent le ministre à lancer sept audits, dont le principal, effectué par la DGSIC, traitant de « l’écosystème RH-soldes », mais aussi et surtout du calculateur. Le rapport auquel il a donné lieu indique que tous les sous-ensembles de cet écosystème sont potentiellement générateurs d’anomalies. Le rapport précise que Louvois comporte des éléments de fragilité parce qu’une partie des recommandations techniques émises lors du précédent audit n’a pas été suivie. Il émet enfin de nouvelles recommandations techniques et d’ordre architectural pour optimiser le fonctionnement du logiciel, ainsi que sur l’organisation de l’ensemble du dispositif pour mieux le sécuriser, le consolider et l’adapter. Celles-ci sont en train d’être mises en œuvre.

D’autres audits ont été réalisés par des services du ministère sur la chaîne soldes et sur la gouvernance de l’ensemble du dispositif, montrant que la prise en mains de celui-ci par la direction des ressources humaines n’a pas été complète et s’est heurtée à des difficultés. Le fait que les commissariats aient été engagés dans une réorganisation importante a eu un impact sur la mise en place des centres experts des différentes armées et du service chargé de l’expertise en matière de soldes au sein de la direction centrale – le service ministériel opérateur des droits individuels (SMODI).

Nous devons faire face à des trop-versés d’environ 100 millions d’euros, ainsi qu’à toute une série de reprises d’avance de solde qui n’ont pas été effectuées en 2012, des erreurs d’imputation ou des doubles paiements d’indemnités.

Dans le plan d’action que le ministre a annoncé, la priorité a été d’apporter des réponses aux situations individuelles.

Un numéro vert a ainsi été mis en place à partir d’octobre 2012, avec une cellule d’assistance. La situation au 10 avril fait apparaître 25 840 appels, lesquels tendent à diminuer, ce qui montre que l’on arrive à traiter les problèmes – en octobre, le nombre d’appels s’élevait à plusieurs centaines par jour. Ils ont entraîné l’ouverture de plus de 10 000 dossiers, dont 9 300 sont aujourd’hui réglés.

A également été mis en place un groupe d’utilisateurs, qui s’est réuni six fois : il permet de regrouper autour de l’administration des représentants des militaires, des conjoints de militaires et des instances de concertation pour faire remonter le maximum d’informations sur les difficultés constatées.

Le ministre a par ailleurs demandé que soient mises en œuvre des procédures exceptionnelles de paiement pour corriger la situation des familles qui avaient le plus de difficultés. De même, un moratoire sur les trop-perçus a été décidé pour ne pas fragiliser les familles.

A aussi été mise en place une procédure adaptée pour traiter les problèmes d’imposition en vue des déclarations d’impôt sur le revenu.

Ces mesures d’urgence ont permis de réduire les tensions et d’éviter d’avoir des soldes nulles ou négatives – lesquelles étaient dues au logiciel.

Pour rétablir d’ici fin 2013 la confiance dans la capacité du calculateur et de l’ensemble de la chaîne à payer les soldes des militaires et à restituer des titres de paiement dans des conditions de fiabilité garantissant la gestion comptable du ministère, douze chantiers ont été engagés : un chantier de gouvernance de l’ensemble du dispositif, avec la réaffirmation du rôle de pilote de la direction des ressources humaines ; un chantier de communication, confié à la Délégation à l’information et à la communication de la défense (DICoD) ; un travail très important de pilotage de toute la chaîne opérationnelle soldes, confié au service de commissariat des armées, en vue de la réorganiser pour bien répondre aux recommandations des audits ; un autre sur les systèmes d’information conduit par la DGSIC pour mettre en œuvre rapidement la quarantaine de recommandations qu’elle a émises ; un autre sur les référentiels métiers, qui servent à bâtir le mécanisme de calcul de la solde. Un chantier a également été engagé sur l’organisation de la chaîne RH, notamment la GRH de proximité, de même que sur les référentiels réglementaires.

Ce dispositif global est piloté par le directeur de cabinet du ministre et donne lieu à des comptes rendus précis au ministre.

Il faut en effet sortir des mesures palliatives mises en place pour remettre l’ensemble du système d’aplomb d’ici la fin de l’année.

Cela conduit le ministère à s’interroger sur le calendrier de raccordement à l’ONP pour 2017 : il est évident que cette échéance ne pourra pas être maintenue. Nous attendons les conclusions de la mission de l’IGF et de plusieurs autres inspections générales lancées à la demande du Premier ministre sur cet opérateur.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés du système Louvois.

D’abord, il convient de bien cadencer les réformes : il faut veiller à ce que les différents chantiers engagés s’imbriquent bien. Nous avons en l’espèce eu trop de choses à faire en même temps. Je rappelle que 75 % de la réduction des effectifs portent sur les services de soutien, que ce soit dans les unités opérationnelles, le service du commissariat, mais aussi l’ensemble des services administratifs et financiers du ministère.

Il faut aussi un dispositif d’accompagnement du changement. Il y a eu des difficultés dans la marine et le SSA, elles sont cependant moindres que dans l’armée de terre parce que la marine et le SSA ont mis en œuvre un dispositif d’accompagnement important, tant en termes d’effectifs que d’organisation.

Il est également nécessaire d’avancer étape par étape. On se fixe des objectifs très ambitieux, notamment en termes de réduction d’effectifs, mais il faut être sûr de pouvoir franchir chaque étape l’une après l’autre.

Alors que nous sommes en train de revoir l’organisation du paiement des rémunérations pour le personnel civil et que les centres qui s’en occupent se raccordent les uns après les autres au système d’information Alliance, j’ai proposé au ministre de revoir le calendrier de l’opération. On a effectué en début d’année une première étape de « bascule » à Bordeaux de près de 4 400 dossiers : maintenant que cette affaire est bien engagée, on peut envisager de faire de même avec le centre ministériel de gestion de Toulon. Le calendrier est certes retardé, ce qui a un coût en termes de maintenance des systèmes existants, mais c’est préférable. Cela dit, cette opération est plus facile pour le personnel civil, car nous bénéficions d’un mécanisme de paiement sans ordonnancement préalable (PSOP) : nous donnons des éléments de calcul à la direction régionale des finances publiques et la paye du mois N est versée automatiquement le mois suivant – seuls les éléments variables sont à prendre en compte. Il ne peut donc pas y avoir de soldes négatives.

Enfin, il faut faire attention aux prochaines réformes. On va de nouveau chercher à préserver au maximum l’outil opérationnel, ce qui est tout à fait compréhensible. Si de nouvelles réductions d’effectifs devaient porter principalement sur les services de soutien, il faudrait en examiner au préalable la faisabilité. J’ai personnellement quelques préoccupations : s’il y a des marges de manœuvre dans les soutiens et si des fonctions peuvent être rationalisées – telles que l’alimentation, l’infrastructure, l’habillement –, celles-ci comportent des tâches administratives concernant directement le personnel du ministère. Or des dérèglements dans ce domaine peuvent poser de très grosses difficultés, comme nous l’avons vu avec Louvois

Mme la présidente Patricia Adam. Le problème de paiement de la solde avait dès 2011 préoccupé les parlementaires : nous avions alors posé de nombreuses questions, sans avoir tous les éléments de réponse que vous nous apportez aujourd’hui – dont je vous remercie.

Je m’étonne qu’on ait supprimé de façon précipitée des éléments de stabilité, tels les CTAC, alors qu’on était en train de réorganiser le commissariat et que le pilotage des ressources humaines n’avait pas été réalisé. Cela explique les difficultés rencontrées par les services. On a l’impression que la révision générale des politiques publiques (RGPP) a été faite un peu à l’aveugle et n’importe comment.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Lors d’une précédente audition, vous nous aviez expliqué les causes du dysfonctionnement de Louvois et les mesures pour y remédier. Or il semble qu’il y ait de nouveaux dysfonctionnements en 2013 sur des soldes qui paraissaient correctement traitées en 2012.

Lors de la mission que j’ai effectuée hier à Londres avec notre collègue Damien Meslot, l’attaché de défense de l’ambassade de France nous a indiqué que si sa solde avait été correctement calculée et versée depuis sa nomination en mai dernier jusqu’au 1er janvier de cette année, depuis, son indemnité de résidence ne lui était plus versée. Mais le loyer du logement qui lui a été mis à disposition continue à lui être prélevé : comme celui-ci est supérieur à ce qui lui reste de sa solde, il demande des avances, sauf qu’aujourd’hui personne ne sait, entre les avances et les retenues, quel est son crédit.

Pensez-vous que le système Louvois sera un jour efficace ou faut-il envisager de l’abandonner ?

M. Damien Meslot. Vous nous avez fait un historique très complet, peut-être trop d’ailleurs, comme si on voulait noyer dans l’historique les causes réelles du problème. On a abouti à une catastrophe assez importante : or vous donnez l’impression qu’il n’y a pas de responsable. Alors que des dizaines de milliers de militaires n’ont pas été payés, je souhaiterais que des responsabilités soient établies. On n’a à l’évidence pas testé convenablement le système et je suis stupéfait qu’on n’ait sanctionné personne et que nul n’ait été démis de ses fonctions. Si ce sont les mêmes personnes responsables des déboires actuels qui mettent en place les prochains systèmes, nous pouvons avoir quelques craintes !

Par ailleurs, on nous dit que la situation s’améliore, mais sur le terrain, on constate de nouveaux dysfonctionnements, comme s’il y avait des bugs, ce qui nous inquiète beaucoup. Entre le calcul de la CSG, les avances ou les reprises sur solde, les militaires ne savent plus où ils en sont. Allons-nous arriver à nous en sortir ou faut-il changer de système ?

M. Jean-Paul Bodin. L’attaché militaire à Londres n’est pas le seul dans ce cas. Un certain nombre de bugs apparaissent en effet sur des situations qu’on pensait corrigées. Au cours du mois de mars, 36 anomalies majeures sur le système d’information ont été constatées et sont en cours de correction.

On ne peut dire à ce stade s’il faut abandonner le système Louvois. Si on décidait de le faire, on ne pourrait pas avoir de nouveau système avant deux ou trois ans, ce qui nécessiterait, pendant la période intermédiaire, de continuer à utiliser le système actuel. De plus, cela aurait de lourdes conséquences en termes financiers et d’organisation : il faut donc par tous les moyens essayer de corriger le système actuel. S’il peut être consolidé, ce que la DGSIC pense possible, nous pourrons le conserver. Nous nous sommes donné encore quelques semaines pour prendre une décision sur ce point.

Les difficultés auxquelles nous sommes confrontés tiennent principalement à la prise en compte d’indemnités liées aux OPEX et à des missions de courte durée, ainsi qu’à tout ce qui est lié aux déménagements, notamment à l’étranger et outre-mer.

Quant à la question des responsabilités, ce n’est pas à moi d’y apporter une réponse.

M. Philippe Folliot. Si ce problème s’était produit dans d’autres administrations, nous aurions eu des réactions extrêmement violentes. Cette situation est scandaleuse, car plusieurs personnes nous avaient alertés du danger et on ne l’a pourtant pas évité ! Votre absence de réponse à la question des responsabilités est tout aussi inacceptable !

Ces dysfonctionnements sont graves car ils entraînent une perte de confiance. Et même lorsque les calculs sont justes, ils suscitent des interrogations. Cette situation ne peut pas durer.

Il est essentiel que les responsabilités soient établies. S’il y avait eu de tels dysfonctionnements dans la manœuvre des forces, de lourdes sanctions auraient été immédiatement prises. Par ailleurs, certaines familles sont dans des situations particulièrement difficiles, ce que l’on ne peut accepter.

M. Jean-Jacques Candelier. La crise du système Louvois, qui engendre en effet beaucoup de mécontentements, révèle des incompétences. Allons-nous changer de système ? Comment fonctionnent nos voisins, allemands ou anglais ? Rencontrent-ils aussi des problèmes ?

Par ailleurs, s’agissant des victimes des essais nucléaires, il y avait 1 682 demandes le 30 novembre dernier, qui ont donné lieu à quelque 400 décisions, dont neuf positives. De plus, alors qu’on dispose d’un budget de 10 millions d’euros, on a versé 300 000 euros d’indemnités, ce qui n’est pas normal. Pouvez-vous préciser à cet égard les conditions d’application de la loi, qui, selon moi, doit être modifiée ?

M. Jean-Paul Bodin. On ne peut pas dire qu’on n’a pas testé le système car nous avons eu plusieurs mois de paye en double avant le raccordement, qu’il s’agisse du SSA, de la marine ou de l’armée de terre – où la paye en double a duré neuf mois.

Sur la question des responsabilités, il ne m’appartient pas de prendre des décisions. Pour moi, elles sont collectives et touchent autant les services locaux, qui doivent renseigner le système d’information RH, que le sommet de la hiérarchie.

M. Damien Meslot. On ne peut se limiter à une responsabilité collective !

M. Jean-Paul Bodin. Le système d’information n’a pas été complètement renseigné au plan local. Par ailleurs, le calculateur a mal fonctionné, ce qui engage la responsabilité de ceux qui l’ont conçu et mis en place. Mais il y a aussi une responsabilité dans la conduite des réformes, au niveau des états-majors et de l’administration centrale. Nous sommes donc tous concernés. J’assume ma part de responsabilité, ayant moi-même présidé, en tant que directeur-adjoint de cabinet, plusieurs réunions sur ce dossier, au cours desquelles avaient été notamment données des instructions très précises de cadencement de la réforme et prise la décision de retarder de deux ans la fermeture des CTAC.

J’ai fait un long historique précisément pour vous montrer que nous portons collectivement ce dossier depuis plus de dix ans. Nous devons donc essayer d’apporter collectivement des réponses aux problèmes actuels.

Monsieur Candelier, je ne peux vous dire précisément comment font les autres pays.

S’agissant des victimes des essais nucléaires, un comité de suivi s’en occupe et une mission a été demandée à l’IGF et au CGA sur les modalités d’application de la loi, notamment la façon dont le comité d’indemnisation interprète son article 2 et prend en compte les éléments extérieurs à une exposition pendant les essais.

M. Jacques Moignard. Quelle est l’économie attendue de la suppression de 54 000 militaires prévue dans la LPM ?

M. Gilbert Le Bris. Je suis très critique car vous nous avez exposé la chronique d’un fiasco annoncé plusieurs fois ! Certes, ce n’est pas à vous que l’on doit parler des personnes responsables, mais au ministre : nous ne nous priverons pas de le faire !

Ce fiasco est lié à des réformes menées à marche forcée, qu’il s’agisse de celle du commissariat des armées ou des bases de défense, avec pour principe que l’intendance suivrait : or elle n’a pas suivi, ni été au rendez-vous de l’efficacité.

L’approche retenue, fondée sur la centralisation, la massification, la volonté de traiter tout le monde de la même manière, est problématique. Si vous ne vous remettez pas en cause sur ce point, vous aurez d’autres déboires ! Pourquoi vouloir ainsi continuer à faire dans l’administration ce que les entreprises privées ne font plus ?

La façon dont on procède pour le service de commissariat des armées est une hérésie absolue : on veut mettre tout le monde au même régime alors qu’il y a des identités d’armée, dont chacune a sa propre personnalité – même si des rapprochements doivent être réalisés.

Il n’est pas exact de dire que si la marine s’en est mieux sortie, c’est parce qu’elle est davantage concentrée localement, dans la mesure où elle a des forces prépositionnées partout outre-mer et des bateaux naviguant dans le monde entier ; c’est parce qu’elle a une administration et une gestion de proximité, qui permettent d’être plus efficace.

Sans doute sommes-nous trop engagés dans la voie du système actuel et faire marche arrière engendrerait à nouveau des frais financiers, mais ne reproduisons pas les mêmes erreurs !

M. Jean-Paul Bodin. Je suis d’accord sur la nécessité d’une GRH de proximité et sur le fait que ce point a été de ceux qui ont soulevé le plus de difficultés. D’ailleurs, nous sommes en train de remettre de la fonction RH dans les unités.

L’économie liée à la suppression de 54 000 emplois est évaluée à 1,6 milliard d’euros en dépenses de fonctionnement. En ce qui concerne le titre 2, la situation est plus difficile à appréhender. La mise en place de nouvelles grilles de rémunération dans le cadre de la mise en œuvre de la loi de programmation,a un coût. Il est vrai aussi que les dispositifs d’aide au départ et d’accompagnement de la réforme n’ont pas été utilisés avec toute la rigueur attendue ; cependant, ils ont permis d’atteindre les objectifs de réduction d’effectifs.

Il y a également un malentendu dans l’élaboration de la LPM en ce qui concerne le titre 2. Des objectifs en termes d’effectifs ont été fixés, tout en prévoyant une clause de sauvegarde sur le titre 2 – dans la mesure où Bercy savait, dès le départ, que les conditions de rémunération n’étaient pas évaluées au bon niveau. Les objectifs de réduction d’effectif ont été parfaitement tenus.

M. Sylvain Berrios. Je suis stupéfait par ce que vous venez de nous décrire. Depuis 1996, plusieurs projets se sont succédé et je ne pense pas que ce fiasco soit dû à une RGPP aveugle. En effet, le ministère de la défense a su mettre en œuvre plusieurs réformes depuis dix ans : les stratégies ministérielles de réforme, les audits de modernisation, le Livre blanc, puis la RGPP.

Une des causes de l’échec est due au fait que des décisions prises parfois quinze ans auparavant, vers 1996, se sont révélées obsolètes. Mais on ne peut diluer la responsabilité au point de ne pouvoir indiquer les failles dans le commandement de l’opération. Je rappelle que l’objectif était que chacun des ministères puisse avoir un SIRH donnant l’information à l’ONP, qui ne devait pas se substituer à ces derniers.

Se pose par ailleurs la question de la responsabilité des différents prestataires qui se sont succédé et qui ont rendu le mécanisme de calcul déficient : compte tenu de leur coût, s’il s’agissait d’un autre ministère, ce serait un scandale d’État.

Il est vrai que renseigner le SIRH est la première condition du bon fonctionnement du système : les mesures correctrices des problèmes constatés à cet égard doivent être apportées le plus vite possible si l’on veut éviter qu’ils ne se reproduisent.

À quel horizon aurons-nous une solution globale ?

M. Joaquim Pueyo. Quand on met en place un nouveau logiciel, il y a toujours des difficultés, mais le temps de latence a été trop long.

Des pénalités ont-elles été prévues envers les prestataires ?

Par ailleurs, peut-on évaluer le coût des difficultés rencontrées ? On m’a parlé de sommes supérieures à 20 millions d’euros…

Je ne suis pas dans l’état d’esprit de vouloir sanctionner, mais il faut tirer les conséquences de cette affaire sur le rôle des prestataires, qui n’ont pas été à la hauteur des commandes qu’on a pu leur passer.

Cela dit, le plan d’action mis en place en 2012 a été plutôt bien ressenti en métropole par les militaires, qui peuvent avoir des interlocuteurs et bénéficier d’avances.

Je pense qu’il vaut mieux améliorer le logiciel existant que le remplacer, sachant que l’objectif de mutualisation des services n’était pas mauvais. Nous devons avoir une ligne de conduite très sûre pour que l’administration sache où aller.

M. Jacques Lamblin. Merci, monsieur le secrétaire général, de nous avoir expliqué en détail les circonstances de ce naufrage, qui s’est déroulé sur près de vingt ans.

Il y a une dilution non seulement horizontale, mais aussi verticale des responsabilités, car les responsables se sont succédé : le péché originel dans cette affaire tient à l’absence de chef de projet clairement désigné avec un mandat impératif.

Vous avez raison de dire que lorsque les moyens de soutien diminuent, des problèmes apparaissent. On m’a indiqué que certains postes d’informaticiens qualifiés auraient sans doute pu éviter de nombreux problèmes.

Cela dit, il est difficile de mettre en équation les activités des militaires, surtout quand ils sont envoyés en OPEX ou pour des missions de courte durée. D’ailleurs, avant d’être informatisé – lorsque la dimension humaine était prise en compte au moment de la saisie des données –, le dispositif fonctionnait correctement.

Comment régler à court terme le problème du non-perçu ou du trop-perçu, sachant que quand il faudra demander aux militaires de rembourser l’argent qu’ils ont dépensé, ce ne sera pas simple ?

Mme Nathalie Chabanne. La RGPP a conduit à réduire le nombre de personnels de support au motif que des systèmes informatiques perfectionnés viendraient les remplacer. Louvois illustre le type de dysfonctionnement que cela peut engendrer ; d’ailleurs, cela marchait mieux lorsqu’on utilisait des systèmes informatiques internes.

Est-on en mesure de chiffrer le coût de chacun des prestataires qui se sont succédé ? Sera-t-il rendu public ? Qui prend en charge les indispensables mises à jour, voire aux normes, des logiciels ?

M. Jean-Paul Bodin. Je rappelle que le système actuel est régi par des marchés passés à partir de 2007 : un premier, le 16 mai 2007, confié à Steria pour l’architecture du système ; un second, le 21 février 2008, à MCII et Eurogroup pour l’assistance à maîtrise d’ouvrage ; un troisième, le 26 mai 2008, également à Steria, pour l’intégration entre Louvois et les SIRH.

Depuis 2010, nous avons dépensé environ 40 millions d’euros, mais avant le plan d’intervention de 2012, en cours de mise en œuvre. Ces dépenses sont prises en charge sur le budget opérationnel de programme (BOP) « systèmes d’information, d’administration et de gestion » au sein du programme 212, géré par le SGA. Ce BOP rencontre de grosses difficultés financières actuellement.

Une grande partie de celles-ci tient à l’explosion du dispositif RH car, au-delà du coût lié à la mise en place du système que je viens de vous donner, il en existe d’autres touchant par exemple aux dépenses de maintenance des SIRH existant. Par ailleurs, les défaillances sur le calculateur Louvois ont fait apparaître des difficultés sur les SIRH, qui sont censés lui transmettre des informations.

S’agissant des trop-versés, ils sont évalués à environ 100 millions d’euros. Pour 65 % d’entre eux, ils portent sur des sommes inférieures à 5 000 euros. Les dossiers les plus sensibles sont ceux dont les sommes excèdent ce montant et, a fortiori, 15 000 euros. Un plan sera mis en place pour récupérer ces trop-perçus en étalant le remboursement dans le temps. L’objectif est d’avoir effectué cette récupération d’ici un an, si cela est possible, sachant qu’on doit retenir un système individuel de proximité – à l’exception des petites sommes, inférieures à 200 euros, pour lesquelles on peut recourir à un traitement informatisé.

Ce dispositif aura un coût. Se pose notamment la question de savoir si le centre expert de Nancy a la capacité d’absorber la masse des dossiers à traiter – sachant qu’il y a aussi des difficultés du côté du SSA et de la marine.

Je vous transmettrai les éléments de coût étape par étape concernant le système Louvois.

Quant à la responsabilité des prestataires extérieurs, je ne peux vous dire précisément si les marchés précédents comportaient des clauses de pénalité et si elles ont été mises en œuvre : je vous communiquerai également l’information sur ce point.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie.

La séance est levée à onze heures quinze.

*

* *

Information relative à la commission

La commission a désigné M. Jacques Lamblin, membre de la mission d’information sur le contrôle et l’exécution des crédits de la défense pour les exercices 2011 et 2012.

*

* *

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Patricia Adam, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Bernard Deflesselles, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Francis Hillmeyer, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. François André, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Lucien Degauchy, M. Yves Foulon, M. Éric Jalton, M. Patrick Labaune, M. Bruno Le Roux, M. Philippe Meunier, Mme Marie Récalde, M. François de Rugy, M. Philippe Vitel