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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 16 avril 2013

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 70

Présidence de M. Philippe Nauche, vice-président

— Examen pour avis du projet de loi autorisant la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République de Côte d’Ivoire (n° 426) (M. Bernard Deflesselles, rapporteur pour avis)

— Examen pour avis du projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti (n° 425) (M. Nicolas Bays, rapporteur pour avis) 4

— Examen pour avis du projet de loi autorisant la ratification du traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal (n° 427) (Mme Marie Récalde, rapporteure pour avis) 8

— Désignation d’un rapporteur sur la proposition de résolution européenne de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion sur la relance de l’Europe de la défense (n° 912) et examen de cette proposition 12

— Amendements examinés par la Commission 17

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante.

La Commission examine pour avis sur le rapport de M. Bernard Deflesselles, le projet de loi autorisant la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République de Côte d’Ivoire (n° 426).

M. Bernard Deflesselles, rapporteur pour avis. Ces accords de défense traduisent dans les textes la rénovation complète de nos partenariats avec les pays africains, voulue et annoncée par le Président Sarkozy dans son discours du Cap du 28 février 2008 et inscrite dans le Livre blanc de 2008. Notre Commission a déjà examiné en 2011 les accords de défense avec le Cameroun, la Centrafrique, le Gabon et le Togo et c’était à l’époque la première fois que le Parlement était appelé à se prononcer sur ce type d’accords.

La signature du traité avec la Côte d’Ivoire ouvre une nouvelle page de la relation militaire bilatérale que nous entretenons avec ce pays, probablement le plus francophone d’Afrique, depuis de nombreuses années. Ce partenariat doit permettre à la Côte d’Ivoire de répondre aux nombreux défis inhérents à une sortie de crise : restructuration de son outil de défense, restauration de l’État de droit et réintégration dans l’architecture de paix et de sécurité régionale. Pour la France, l’appui logistique que constitue sa base de Port-Bouët, qui héberge la force Licorne, a montré toute son utilité depuis le déclenchement de l’opération Serval au Mali. La constitution d’un second pôle de stabilité francophone en Afrique de l’Ouest, avec le Sénégal, est d’autant plus importante dans le contexte de crise en région sahélienne.

Selon un de mes interlocuteurs, la Côte d’Ivoire ressemble aujourd’hui à un « pays qui a eu un tremblement de terre et en subit encore les secousses ». Après presque dix années de guerre civile, l’appareil de défense et de sécurité est en effet à reconstruire intégralement. Cela est un réel défi pour un pays qui ne disposait, avant la crise, que d’une petite armée, sa sécurité extérieure étant alors assurée par les accords de défense conclus avec la France.

Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire doit s’approprier la réforme de son secteur de la sécurité, et conduire une politique de désarmement-démobilisation-réinsertion, au bénéfice des populations ivoiriennes mais également pour les ressortissants et investisseurs étrangers afin de stimuler la relance économique du pays. L’une des grandes difficultés est de surmonter les antagonismes qui existent au sein des forces armées ivoiriennes. Pendant toute la crise, deux armées ont en effet cohabité : les Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire (FDSCI) au Sud, et les Forces armées des Forces nouvelles, au Nord (FAFN). Elles ont été agrégées par le Président Ouattara le 10 mars 2011 dans les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FCRI). L’amalgame au sein des unités existe en théorie mais la cohabitation reste difficile et le brassage demeure incomplet. Les besoins en matière d’équipement sont par ailleurs très importants, le pays étant sous embargo depuis une dizaine d’années.

Depuis plus de dix ans, la France est fortement présente sur le territoire ivoirien avec la force Licorne, stationnée au camp de Port-Bouët. Engagée initialement pour assurer la sécurité des ressortissants français après la tentative de coup d’État, cette force s’est rapidement transformée en force de contrôle du cessez-le-feu, puis de soutien du déploiement de la mission de la CEDEAO fin 2002, à laquelle a succédé début 2003 la mission de l’ONU. La signature de l’accord politique de Ouagadougou, en 2007 a confié à Licorne le soutien de l’ONUCI pour veiller à la mise en œuvre de cet accord. Le mandat des Nations unies a été régulièrement prorogé depuis, la résolution 2062 du 26 juillet 2012 ayant reconduit ce mandat pour un an. La normalisation de la situation dans le pays, à partir de l’automne 2011 a cependant conduit la France à réduire considérablement son dispositif militaire, qui est passé de plus de 4 000 hommes au plus fort de la crise à 466 aujourd’hui. Il devait même être réduit à 300 hommes mais cette réduction a été reportée une première fois pour prendre en compte le suivi des élections législatives en décembre 2011, puis une deuxième fois pour tenir une posture de vigilance liée aux événements au Mali.

La mission principale de la force, déployée uniquement à Abidjan, est désormais de défendre les intérêts et ressortissants français. Elle concourt également à des opérations dans la sous-région, comme le soutien de l’opération Serval au Mali. Elle accompagne enfin la reconstruction de l’armée ivoirienne. La Côte d’Ivoire met à disposition des forces françaises le camp de Port-Bouët et l’installation abritant le détachement d’intervention lagunaire à Abidjan. Cette présence, complétée par les nombreuses facilités de transit qui lui sont accordées, offre de nombreux avantages stratégiques et opérationnels. La force Licorne offre tout d’abord une réserve opérationnelle interarmées crédible, réactive et déployable en et hors de la Côte d’Ivoire. Les forces qui y stationnent possèdent l’ensemble de leurs moyens de combat, commandement, appui et soutien. Elles peuvent ainsi de manière autonome, ou avec l’appui de moyens aériens ou maritimes, se déployer dans la sous-région ou venir renforcer d’autres bases pré-positionnées en Afrique (Gabon ou Tchad). L’acclimatation des militaires aux conditions locales constitue également un avantage certain.

Ce hub stratégique garantit ensuite à la France un accès sécurisé et multimodal à la façade occidentale de l’Afrique. L’emprise de Port Bouët est à proximité immédiate de l’aéroport international Houphouët Boigny et du port d’Abidjan. Ces deux plates-formes offrent une porte d’entrée et de sortie pour la projection de force et les flux depuis la métropole tant pour le fret aérien et maritime que pour les personnels. Enfin, c’est une zone adaptée pour réceptionner, reconditionner et intégrer toutes forces et leur équipement avant leur engagement. Aussi, à partir de cette base, les armées sont-elles en mesure de projeter (par voie routière, ferrée, maritime ou aérienne) les forces terrestres, maritimes et aériennes vers leurs différentes zones d’engagement puis de les soutenir, tout en bénéficiant d’un site discret et sécurisé. Ces facilités ont montré toute leur pertinence durant la crise malienne.

Après une suspension de près de dix ans, notre coopération militaire avec les Ivoiriens reprend. La coopération militaire opérationnelle, pilotée par l’état-major des armées, a ainsi recommencé dès la fin de l’année 2011. Son objectif est d’aider la Côte d’Ivoire à construire un outil de défense crédible, au service de sa population, capable d’assurer à terme son rôle de nation cadre de la Force africaine en attente et de contribuer aux opérations de maintien de la paix sur le continent africain, ce qui permettra une présence francophone dans ces opérations de maintien de la paix. Notre coopération s’inscrit à la fois dans le long terme, autour d’une réflexion stratégique qui conduit à l’élaboration d’un Livre orange, sur le modèle du Livre blanc français, et sur les moyens et courts termes, avec des actions concrètes adaptées aux besoins immédiats : nous aidons par exemple en ce moment la montée en puissance d’un bataillon logistique ivoirien de 180 hommes appelé à être projeté prochainement au Mali. La coopération structurelle est assurée par la direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des affaires étrangères. Deux conseillers français sont notamment placés auprès du Président Ouattara et du ministère délégué à la défense pour les aider dans leur réflexion stratégique.

Je vais, pour terminer, dire quelques mots sur le traité lui-même. Initiées en mai 2008, les discussions sur le traité ont été interrompues pour éviter toute instrumentalisation de l’accord par M. Gbagbo en vue de contourner l’embargo sur la coopération militaire avec la Côte d’Ivoire. Elles n’ont pu reprendre qu’avec l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités ivoiriennes. Préparé par la partie française, le projet d’accord, annoncé par le Président Sarkozy lors de sa visite à Abidjan en mai 2011, puis remis au Président ivoirien par le ministre français de la défense début juillet 2011, n’a nécessité que deux sessions de négociations et a été paraphé le 16 novembre 2011 et signé le 26 janvier 2012, à Paris. Le traité comporte 21 articles. Il ne s’écarte pas du modèle d’accord négocié récemment avec les autres pays africains (Gabon, Sénégal, Djibouti, Cameroun, Centrafrique, Togo, Comores). Sur ce point, le traité avec la Côte d’Ivoire se rapproche plus encore des accords conclus avec les quatre premiers États, puisqu’il contient, à l’instar de ces derniers, une annexe relative aux facilités accordées aux forces françaises stationnées ou en transit sur le territoire de République de Côte d’Ivoire.

Compte tenu de tous les avantages que représente cette présence militaire française en Côte d’Ivoire, je donne un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi.

M. Damien Meslot. La reprise de la coopération militaire avec la Côte d’Ivoire inclut-elle la livraison d’armes ? Quel est le coût de notre coopération de défense avec ce pays ?

M. le rapporteur pour avis. La livraison d’armes n’a pas repris, le pays étant encore sous embargo. Cet accord de défense reprend la forme de ceux signés avec d’autres pays africains, comme le Togo, le Sénégal ou encore Djibouti. La Côte d’Ivoire est très proche de la France, par l’histoire comme par son envie de coopérer. Il s’agit d’un pays en devenir et le partenariat est notre intérêt mutuel.

La coopération de défense s’élève à deux millions d’euros pour le volet structurel, qui comprend notamment la mise à disposition de deux conseillers pour le Président de la République et le ministre de la défense.

M. Sylvain Berrios. Qu’en est-il de la coopération dans le domaine du renseignement ?

M. le rapporteur pour avis. Tous nos accords de défense incluent une clause relative à des échanges de vues sur les risques et vulnérabilités régionales. Mais dans le cas ivoirien, notre coopération reprend à peine. Attendons que ce pays arrête ses grandes orientations stratégiques dans son Livre orange pour voir comment notre coopération pourra se développer.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

La Commission examine pour avis, sur le rapport de M. Nicolas Bays, le projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti (n° 425).

M. Nicolas Bays, rapporteur pour avis. C’est avec plaisir que je vous propose ce soir l’examen de l’un des trois derniers accords de défense liant la France à ses partenaires africains, clôturant ainsi le cycle de rénovation des accords nous liant au Cameroun, aux Comores, à la Côte d’Ivoire, à Djibouti, au Gabon, à la République Centrafricaine, au Sénégal et au Togo.

Ces nouveaux accords, s’ils comportent des différences, parfois notables, en fonction des particularités de chaque pays, ont tous un socle commun fait de partenariat, de respect mutuel et de transparence. Et c’est en vertu de cette transparence que ces traités sont désormais soumis au Parlement qui a exprimé, lors de la loi de programmation militaire 2009-2014, sa volonté d’être associé, toujours plus étroitement, à la politique étrangère et à la politique de défense de la France. L’ère postcoloniale de la « Françafrique » et des clauses secrètes est définitivement révolue. Ces nouveaux accords ont également en commun une caractéristique essentielle : la volonté de les inscrire dans le cadre plus large de la coopération internationale et du processus d’appropriation de sa propre défense par le continent africain selon le concept d’architecture de paix et de sécurité mis en œuvre par l’Union africaine, ce dont il convient de se réjouir. Élaboré lors du sommet de l’Union africaine à Durban en 2002, le concept d’Architecture africaine de paix et de sécurité a pour objectif de permettre à l’Afrique de gérer elle-même la prévention et la résolution des crises pouvant survenir sur le continent. Plusieurs instruments ont été progressivement mis en place : un comité d’état-major, un fonds pour la paix, un groupe de sages, un système continental de veille et d’alerte précoce, le Conseil de paix et de sécurité, sur le mode du Conseil de sécurité de l’ONU, et la Force Africaine en Attente, destinée à intervenir sur le terrain. Cette Force Africaine en Attente est divisée en cinq brigades régionales d’environ 5 000 hommes, de composantes militaires, policières et civiles, stationnées dans leur pays d’origine et pouvant être déployées rapidement. Chaque brigade est rattachée à une Communauté économique régionale. Cette force doit être opérationnelle en 2015. Djibouti fait partie de la brigade Est, qui compte 14 pays. En conformité avec le préambule du traité réaffirmant l’engagement de la France à soutenir les mécanismes africains de sécurité collective, les forces françaises accompagnent la mise en place, complexe et moins rapide qu’initialement prévu, de la Force Africaine en Attente.

Mais cette appropriation à l’échelle de la région et du continent, commence par la prise en charge autonome de sa propre défense par chaque pays, avec l’appui de ses partenaires. Les forces françaises ne doivent plus se substituer mais soutenir, conseiller, former, entraîner, équiper dans le respect de l’indépendance et la souveraineté de l’État d’accueil. C’est ainsi qu’aucun des traités ne contient ni clause de maintien de l’ordre interne ni, hormis pour Djibouti, de clause de sécurité. Cette clause de sécurité, voulue par les autorités djiboutiennes et par laquelle la France s’engage à contribuer à la défense de l’intégrité territoriale du pays après échanges de vues et consultation des parties, ce qui exclut toute intervention à caractère automatique, est au cœur des raisons de la présence des forces françaises à Djibouti qui constituent la force prépositionnée la plus importante, d’environ 1 900 hommes. En effet, la France, qui a acheté le site en 1862 aux sultans afars d’Obock et de Tadjourah, a immédiatement identifié ce territoire de la Corne de l’Afrique comme une place stratégique de premier plan dont l’intérêt n’a cessé de croître au cours du XXe siècle. Djibouti, dont les côtes bordent le Golfe d’Aden et la Mer Rouge, contrôle, avec le Yémen, le détroit de Bab el Mandeb, à l’embouchure sud de la Mer Rouge ouvrant ensuite sur le Canal de Suez, et voit transiter une partie importante du trafic maritime mondial militaire et commercial, dont les approvisionnements pétroliers.

Mais Djibouti est un petit pays d’environ 850 000 habitants entouré de géants dans un contexte particulièrement instable : le conflit somalien, des relations tendues avec l’Érythrée dont les relations avec l’Éthiopie sont au point mort, le Soudan, le Yémen, dont de nombreux ressortissants sont présents sur le sol djiboutien, la piraterie, la montée de l’islamisme, une terre de passage propice aux trafics, l’afflux des réfugiés, les appétits territoriaux, à peine voilés, de la Somalie et de l’immense Éthiopie dont Djibouti est le seul port depuis l’indépendance de l’Érythrée… En résumé, il s’agit « d’un tableau effrayant » comme a pu le dire l’un de mes interlocuteurs. Seule la présence militaire française dissuasive a protégé ce pays des convoitises régionales et lui a assuré une stabilité durable garante de son développement économique.

L’intérêt géostratégique de cet îlot de stabilité, grâce à la présence continue de la France, je le répète, n’a pas échappé aux nations étrangères. Le Japon a ouvert sa première base à l’étranger lui permettant d’intervenir dans le cadre de la lutte contre la piraterie et les États-Unis, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ont ouvert en 2011 leur seule base permanente en Afrique. Nos partenaires européens allemands, espagnols sont présents dans le cadre de l’opération Atalante et l’Italie envisage l’installation d’une base permanente. S’il convient de se féliciter de la présence de ces nouveaux acteurs sur place, qui ne sont pas des concurrents et qui poursuivent les objectifs communs de maintien de la paix et de mise en place des structures correspondantes, la France doit cependant se montrer vigilante. Son influence traditionnelle, historique et culturelle, dans le seul pays francophone de l’Afrique de l’Est, pourrait faire face à une forme de logique du plus offrant. J’estime donc nécessaire de mettre en garde contre un possible risque d’éviction, qui n’est pas à l’ordre du jour aujourd’hui, mais qu’il ne faut pas négliger dans les décisions qui seront prises à l’avenir concernant nos forces stationnées à Djibouti.

Nos forces sur place remplissent des missions que l’on peut répartir en deux groupes, celles qui s’articulent autour de la coopération et celles qui incombent traditionnellement aux forces prépositionnées. Dans le cadre de la coopération en matière de défense, et selon les termes du traité, nos forces peuvent contribuer, on l’a vu, à la défense du territoire djiboutien, participent à la surveillance de ses espaces aérien et maritime, apportent leur concours au renforcement de l’armée djiboutienne, soutiennent localement et régionalement la mise en place des structures africaines de maintien de la paix, réalisent des actions civilo-militaires au profit de la population. Dans le cadre du prépositionnement, elles assurent la projection rapide de forces aguerries en cas de crise, sont un point d’appui pour les forces extérieures, pour l’opération Atalante et pour la projection aérienne vers l’océan Indien en complément de la base des Émirats arabes unis, assurent la protection et l’évacuation de nos ressortissants, entretiennent des contacts avec les armées de proximité et contribuent au renseignement, forment des troupes françaises, djiboutiennes et étrangères au combat en zone désertique et, enfin, réalisent des exercices de grande ampleur sur ce type de terrains.

D’aucuns, à l’occasion de l’opération Serval, se sont interrogés sur les performances de l’armée malienne et sur les résultats de la coopération. En ce qui concerne les forces djiboutiennes, si des efforts sont toujours à faire, l’armée djiboutienne, qui comporte une armée de Terre, une armée de l’Air et une marine est à même, selon notre état-major, de défendre les frontières du pays face à une menace faible. Elle a, et c’est un succès à saluer, pu déployer fin 2012 un bataillon d’environ 1 000 hommes en Somalie dans le cadre de l’AMISOM. Outre le manque de moyens et un parc de matériels vieillissants provenant essentiellement de cessions d’armées étrangères, la coopération avec l’armée djiboutienne se heurte parfois à une conception dépassée, peu adaptée à l’évolution du contexte international et des menaces. Mais il semble, toujours selon notre état-major, que les choses évoluent dans le bon sens.

Venons-en au traité lui-même. Basé sur un modèle commun dont il s’écarte peu, hormis la clause de sécurité précitée, il regroupe en un seul texte tous les volets de la coopération et de sa mise en œuvre. Les points marquants du traité sont : la possibilité, inscrite dans le préambule, d’associer aux activités prévues dans le traité d’autres États africains et des membres de l’Union européenne ; la clause de sécurité, bien sûr, sur laquelle je ne reviens pas ; l’instauration d’un comité de suivi présidé par une personnalité civile de chaque partie, non encore désignée, se réunissant au moins une fois par an pour donner une cohérence aux activités déterminées par le traité. La convention financière et fiscale signée en 2003 entre les deux États prévoyait une évaluation annuelle qui n’aurait jamais eu lieu. Il est donc, à mes yeux, important que ce comité se mette effectivement en place et que ceci fasse, peut-être, l’objet d’un contrôle,

J’en viens pour terminer au soutien médical et à la fermeture programmée de l’emprise de l’hôpital Bouffard en 2015. En écho à la réorganisation des forces françaises à Djibouti en 2011, l’hôpital Bouffard est apparu surdimensionné et coûteux pour le seul soutien des forces françaises et des personnes à leur charge. Son coût, 20 millions d’euros, dont 11,5 au profit de la population djiboutienne a d’ailleurs fait l’objet d’une recommandation de la Cour des comptes en 2010. À terme, les forces françaises disposeront d’un centre médical interarmées assurant les activités de médecine générale et d’un nouveau centre médico-chirurgical interarmées assurant l’activité hospitalière. L’activité de l’hôpital baissera graduellement afin d’assurer la continuité de la prise en charge des patients. L’hôpital Bouffard assure aujourd’hui les soins des personnels stationnés et de leurs familles, des forces armées djiboutiennes et de leurs familles, de militaires étrangers, de civils djiboutiens soignés à titre onéreux ou gracieux dans le cadre de l’aide médicale à la population. Il sera rétrocédé « en l’état », certains matériels restant sur place. Les forces armées djiboutiennes seront prises en charge par le système de santé du pays, dont l’offre de soins publics et privés est relativement abondante et comporte plusieurs hôpitaux publics, des praticiens et des cliniques privées. Le sort de l’hôpital Bouffard, au terme du processus de rétrocession, est toutefois incertain. Sera-t-il repris par les forces armées djiboutiennes, qui semblent le souhaiter, ou deviendra-t-il un établissement privé ?

Pour terminer, considérant l’importance que revêt la présence française dans cette région du monde et le cadre juridique protecteur qu’offre ce traité, je donne un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi et à la ratification de ce traité par le Parlement.

M. Damien Meslot. Je souscris totalement aux propos du rapporteur, sauf lorsqu’il évoque la Françafrique et nos anciennes colonies : il faut vraiment que vous fassiez un complexe pour revenir en permanence sur le rôle de la France ! L’apport de la France a été bénéfique puisque nos partenaires africains souhaitent que nous restions à leurs côtés sur le continent.

Par ailleurs, c’est bien la ligne fixée par le Président Sarkozy lors de son discours du Cap en 2008 que ces accords de défense mettent aujourd’hui en œuvre. Le Président Hollande ne fait que la poursuivre.

Enfin, en matière de politique africaine, je préfère la Françafrique de Jacques Foccart à celle du fils de l’ancien Président Mitterrand condamné par la justice pour de bas intérêts mercantiles !

Sous ces seules réserves, je partage les conclusions du rapporteur et voterai ce projet de loi.

M. Philippe Nauche, président. Nous n’allons pas revenir sur ces vieilles affaires et nous demander pourquoi certaines ont donné lieu à des poursuites judiciaires et d’autres pas. Autres temps, autres mœurs…

M. Joaquim Pueyo. Il ne faudrait pas trop creuser l’histoire de nos relations avec l’Afrique, avant les condamnations auxquelles M. Meslot a fait référence. Les exigences en matière de transparence n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui…

M. Damien Meslot. Nous n’avons pas à rougir de ce qu’a fait notre pays !

M. Joaquim Pueyo. Ce n’est pas la question. Nous n’allons pas revenir sur la colonisation alors que nous examinons ces accords de défense. Par son action au Mali, ou en Côte d’Ivoire récemment, la France est très bien considérée en Afrique.

Ce qui me préoccupait dans cet accord avec Djibouti était la question du service de santé mais je crois que le rapporteur a bien répondu à mes interrogations.

M. le rapporteur pour avis. J’ai effectivement auditionné le Service de santé des armées qui m’a assuré que le changement de périmètre n’entrainerait aucune lacune sanitaire sur place.

M. Joaquim Pueyo. Pour terminer, je dirais que nos présidents de la République, chacun avec leur propre personnalité, ont toujours été attachés à ce continent.

M. Michel Voisin. Je crois que nous pouvons dire que notre présence a eu des bénéfices des deux côtés. Chacun a sa propre opinion mais tournons-nous vers l’avenir ! Pour le passé, chacun a raison.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

La Commission examine pour avis, sur le rapport de Mme Marie Récalde, le projet de loi autorisant la ratification du traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal (n° 427).

Mme Marie Récalde, rapporteure pour avis. La France entretient, depuis plus de trois siècles de relations denses, une proximité toute particulière avec le Sénégal, qui témoigne de la force du lien qui unit nos deux pays. Ce lien tient évidemment à une histoire partagée, qui a fait dire au Président François Hollande, lors de son discours du 12 octobre 2012 à Dakar, que « la France se souvient qu’en 1914 et 1940, elle a pu compter sur le concours de nombreux Sénégalais enrôlés de gré ou de force sous le drapeau tricolore et dont le courage a permis à la France d’être ce qu’elle est aujourd’hui ». C’est aussi le fruit d’une tradition de coopération dans tous les domaines, d’un courant d’échanges humains et d’un partenariat étroit en matière culturelle et économique, qui fait de la France un partenaire économique de premier plan du Sénégal et de ce dernier le pays d’Afrique subsaharienne qui bénéficie le plus de la contribution de la France. Dès lors, le renforcement d’une coopération militaire bilatérale constructive ne peut bien sûr que constituer une priorité pour la France, d’autant plus que celle-ci est militairement présente de longue date au Sénégal et y développe une coopération étroite dont la forme a récemment évolué.

La coopération en matière de défense a été, jusqu’en 2011, réalisée par des forces pré-positionnées permanentes au Sénégal : les « Forces françaises du point d’appui de Dakar », de 1960 (date de l’indépendance du Sénégal) jusqu’en 1974, puis par les « Forces françaises du Cap Vert » (FFCV), qui ont compté jusqu’à 1 158 hommes, et qui ont été dissoutes le 31 juillet 2011 pour créer les « Éléments français au Sénégal » (EFS). Depuis le 1er août 2011, la coopération militaire relève ainsi des EFS, qui ont été créés un effectif initial de 365 hommes et un objectif de 300 hommes en 2014, et qui constituent ce qu’on appelle un « pôle opérationnel de coopération ». Cette réduction du format des forces françaises basées au Sénégal résulte de la réorganisation des forces de présence, conséquence directe des orientations du Livre blanc de 2008 et de la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

À la différence d’une base opérationnelle avancée, un pôle opérationnel de coopération ne dispose pas de troupes pré-positionnées en mesure d’intervenir avec un très bref préavis, notamment en cas de menaces sur nos ressortissants, car sa mission principale est la coopération militaire opérationnelle régionale. Les EFS ne doivent donc pas être considérés comme des troupes pré-positionnées, mais comme un point d’appui, disposant toutefois de capacités d’accueil pour recevoir des renforts via une escale aéronautique et une station navale ainsi que d’un commandement de forces projetées au travers du maintien d’un noyau de poste de commandement interarmées de théâtre.

Les principales missions de ces Éléments français au Sénégal sont :

– de satisfaire au partenariat bilatéral en matière de défense avec le Sénégal ;

– de conduire des actions de coopération opérationnelle bilatérale et régionale dans le cadre de l’appui à l’architecture africaine de paix et de sécurité, notamment en matière de formation des contingents de la Force en attente de la CEDEAO (FAC) et de soutien aux missions de maintien de la paix ;

– d’être en mesure, en cas de crise, de participer à l’autoprotection de nos emprises au Sénégal et d’intervenir, en soutien des forces françaises, dans la zone des pays du Sahel et en Côte d’ivoire.

Au regard de l’étendue des missions que doivent remplir les EFS, j’appelle l’attention sur le fait que l’objectif fixé à 300 hommes en 2014 est certainement sous-dimensionné et qu’un effectif d’environ 400 hommes serait certainement plus adapté.

Si la coopération de l’armée française avec les Forces armées sénégalaises (FAS) s’est immédiatement développée dès l’indépendance du Sénégal, elle a évolué progressivement d’une « coopération de substitution », où les coopérants français occupaient des postes de responsabilité et étaient directement insérés au sein des FAS, vers une réelle « appropriation », dans laquelle les militaires français assument des fonctions de conseillers auprès des autorités militaires sénégalaises. Ce partenariat militaire avec le Sénégal reposait jusqu’ici essentiellement sur un accord de coopération en matière de défense signé le 29 mars 1974 qui apparaît aujourd’hui à bien des égards obsolète. Il était donc nécessaire de donner une nouvelle impulsion à une coopération bilatérale qui présente un intérêt certain pour la France. En effet, le Sénégal, et plus largement l’Afrique subsaharienne, demeure un espace prioritaire pour la France. De plus, l’armée sénégalaise est une puissante force régionale militaire qui n’importe pour l’instant que peu d’équipements militaires français. Par ailleurs, la France encourage fortement la poursuite de l’appropriation par l’Afrique de sa propre sécurité et les forces armées sénégalaises participent de façon croissante aux opérations sur le continent africain. Enfin, la France peut utilement s’appuyer sur le Sénégal dans sa lutte contre le terrorisme islamique, comme vient d’ailleurs de l’illustrer récemment l’opération Serval au Mali.

En effet, les EFS ont, d’une part, été particulièrement sollicités lors du déclenchement de Serval, dans la mesure où ils ont fourni de nombreux détachements de liaison auprès des différents contingents africains et ont formé l’ossature initiale du poste de commandement interarmées de théâtre. Ils ont par ailleurs soutenu les convois terrestres vers la frontière malienne, tandis que la plate-forme aérienne de la base « Senghor militaire » permettait l’accueil et le soutien d’une dizaine d’avions impliqués dans l’opération Serval et que le port réalisait l’accueil et le soutien des transits maritimes et terrestres. Je constate avec fierté que la présence des EFS au Sénégal et leur connaissance directe du milieu ont été déterminantes dans la réussite de l’opération Serval compte tenu de la rapidité de son déclenchement. D’autre part, il faut également se féliciter de constater que si le Sénégal ne participe pas à l’opération Serval en tant que tel, il a cependant immédiatement répondu à son déclenchement par un soutien politique ferme et a su prendre toute sa place au sein de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), avec une contribution de 647 hommes au mois de mars 2013.

Il faut donc se réjouir de la signature, le 18 avril 2012, lors de la visite à Paris du nouveau président sénégalais Macky Sall, du traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal qui rénove la relation de défense entre les deux pays, ainsi que du projet de loi autorisant sa ratification qui nous est aujourd’hui proposé. Cette signature intervient à l’issue de négociations entamées dès 2008 qui ont connu des débuts difficiles, notamment sous l’ère de l’ancien Président du Sénégal Abdoulaye Wade, mais de multiples contacts avec les autorités sénégalaises ont permis de lever progressivement ces difficultés initiales. Ce traité s’inscrit pleinement dans l’esprit du Livre blanc de 2008 qui aspire à une nouvelle approche des accords de défense bilatéraux, fondée sur les principes de réciprocité et de transparence. Plusieurs dispositions de ce traité comportant des dispositions relevant du domaine de la loi, notamment celles de l’article 7 qui accordent aux membres du personnel sénégalais des exonérations douanières sur le territoire français, celles de l’article 10 qui stipule que « les membres du personnel appartenant aux forces armées peuvent détenir et porter une arme de dotation sur le territoire de l’État d’accueil », et celles de l’article 15 qui dérogent au principe de territorialité de la loi pénale française, le Parlement doit aujourd’hui, conformément à l’article 53 de notre Constitution, autoriser sa ratification.

À cette occasion, je rappelle que la loi de programmation militaire du 29 juillet 2009 avait prévu que le Parlement serait désormais informé de la conclusion et des orientations des accords de défense. Or, il semble bien que nous n’ayons pas été informés jusqu’à ce jour de ce traité. Au moment où nous nous apprêtons à examiner la prochaine loi de programmation militaire, je souhaiterais insister pour que cette disposition novatrice soit à l’avenir mieux appliquée, dans la mesure où elle contribuerait utilement à une meilleure information du Parlement sur les affaires de défense. Notre commission a décidé, au regard des forts enjeux de ce traité, de se saisir pour avis de ce projet de loi. Je suis en effet intimement convaincu de la nécessité pour les deux pays de faire évoluer leur relation et de renforcer leurs actions de coopération en matière de défense.

Il convient également de mettre à profit la nouvelle dynamique créée par l’entrée en fonction quasi concomitante des deux présidents de la République François Hollande et Macky Sall en 2012, pour renforcer une relation bilatérale déjà très bonne. Le déplacement du président François Hollande au Sénégal le 12 octobre 2012, premier déplacement en Afrique depuis son élection, qui faisait suite à la visite de travail du président Macky Sall à Paris du 6 au 10 juillet 2012, témoigne en effet de façon concrète de l’étroitesse de nos relations.

Cet accord, sans pour autant être un traité de défense, couvre désormais un champ très vaste de coopération. Il énumère ainsi plusieurs grandes formes de coopération militaire (article 4) qui n’étaient pas explicitement évoquées dans l’accord du 29 mars 1974 et qui offrent désormais un large champ de possibilités pour les futures actions de coopération militaire. Le traité met également en place une structure de suivi de la coopération (article 5) et ouvre la possibilité novatrice d’associer d’autres partenaires, qu’il s’agisse de l’Union européenne, de l’Union africaine, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ou même de tout autre État, aux activités militaires bilatérales initiées dans le cadre du traité (article 2). D’après les informations que j’ai recueillies, la procédure de ratification n’a pas encore été engagée par le Sénégal, mais le Secrétariat général du gouvernement sénégalais devrait néanmoins être prochainement saisi du projet de loi autorisant la ratification pour transmission au conseil des ministres. Il est donc nécessaire que le Parlement français autorise sans attendre la ratification de ce traité, d’autant plus qu’il offre un cadre juridique protecteur à notre coopération militaire avec le Sénégal. En effet, ce traité, qui énonce de façon détaillée l’ensemble des facilités accordées aux forces françaises et aux forces armées sénégalaises (Annexe I et III), regroupe désormais en un seul instrument les différents volets de notre relation de défense. Par ailleurs, les garanties essentielles de protection des droits des personnels civils et militaires français sont assurées (article 15). Enfin, la protection des informations classifiées sera mieux organisée à l’avenir (article 17).

Compte tenu de ces éléments, je vous propose d’autoriser la ratification d’un traité qui offre un cadre présentant toutes les garanties de sécurité juridique pour le développement de relations profitables aux deux pays et qui confirmera à notre partenaire sénégalais qu’il existe une réelle volonté politique française de développer la coopération militaire entre nos deux pays.

Comme le rappelait François Hollande lors de son discours à Dakar le 12 octobre 2012, c’est en effet « épaule contre épaule », pour reprendre les paroles données par Léopold Sédar Senghor à l’hymne national sénégalais, que la France et l’Afrique avanceront ensemble !

M. Damien Meslot. Il y a, en Casamance, un mouvement séparatiste actif ; en est-il question dans l’accord de défense ? Par ailleurs, quel est le coût prévisionnel de la mise en œuvre de cette convention ?

Mme la rapporteure pour avis. L’accord ne comprend aucune référence relative à ce mouvement séparatiste. Quant au coût annuel de la coopération opérationnelle que l’accord institue, il atteint 47 000 euros pour la formation de près de 2 600 militaires des forces sénégalaises, et 430 000 euros de budget alloué en 2012 pour l’ensemble des formations effectuées par les Éléments français au Sénégal.

M. Michel Voisin. En matière de coopération franco-sénégalaise, il faut également mettre en valeur l’hôpital Saint-Louis à Dakar, qui est un établissement de référence.

Mme la rapporteure pour avis. C’est exact. Plus généralement, il faut souligner l’excellente entente entre les forces françaises et sénégalaises, dont le niveau de compétence est très bon.

Il s’agit, en somme, d’un traité original, qui ouvre la voie à un nouveau type de coopération.

Conformément aux conclusions de la rapporteure pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

La Commission désigne ensuite Mme Marie Récalde, rapporteure sur la proposition de résolution européenne de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion sur la relance de l’Europe de la défense (n° 912), et procède à l’examen de cette proposition.

Mme Marie Récalde, rapporteure. La proposition de résolution que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui est le résultat de travaux menés pendant plusieurs mois par nos collègues Joaquim Pueyo et Yves Fromion dans le cadre de la Commission des affaires européennes, à laquelle ils ont présenté deux rapports d’information.

La résolution qu’ils ont présentée en conclusion de ces travaux a été adoptée mardi dernier à l’unanimité, moins deux abstentions, par la Commission des affaires européennes. Son but : que notre Assemblée contribue à l’effort de relance de l’Europe de la défense qui a été impulsé par les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012.

Je m’attacherai donc à vous présenter brièvement les enjeux de cette relance, avant de vous exposer le contenu de cette proposition.

Pourquoi la relance de l’Europe de la défense ? La question peut paraître simpliste et la réponse évidente : parce que depuis trop longtemps, si j’ose dire, elle piétine.

En réalité, les enjeux sont un peu plus complexes. En effet, l’essentiel des instruments juridiques nécessaires à une politique de défense ambitieuse existe d’ores et déjà : l’essentiel est dans le traité de Lisbonne.

Le traité de Lisbonne est en effet sous-tendu par une véritable ambition de renforcement de la politique européenne de défense. Celle-ci, d’ailleurs, n’avait pas dix ans lorsque le traité a été négocié : l’Europe a commencé à se doter d’une politique de défense commune à partir de l’initiative franco-britannique de Saint-Malo, en 1998. Développée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Cette politique de défense a d’abord porté le nom de « politique européenne de sécurité et de défense », avant que le traité de Lisbonne procède à sa refondation, sous le nom de « politique de sécurité et de défense commune », ou PSDC.

Qu’a apporté ce traité, concrètement ? Plusieurs instruments assez prometteurs :

– il a consolidé la place de la PSDC dans les missions de l’UE et affirmé l’objectif d’une défense commune, et pas seulement d’une politique de défense commune ;

– il a renforcé l’Agence européenne de défense, afin d’en faire un véritable catalyseur de projets industriels ;

– il a établi entre les États membres une clause de défense mutuelle, comparable à celle qui lie les membres de l’OTAN, sans pour autant entrer en contradiction avec celle-ci ;

– surtout, il a prévu une procédure de coopération renforcée ad hoc, spécifique à la défense : la « coopération structurée permanente ».

Alors, bien sûr, ces instruments ne sont peut-être pas parfaits : on peut regretter un éparpillement des structures de décision, ou la faiblesse des mécanismes communautaires de financement de la PSDC. On peut toujours demander plus, mais ce serait s’enfermer dans le registre incantatoire, ce que nos collègues Yves Fromion et Joaquim Pueyo refusent, à juste titre.

Et si, déjà, tout le traité de Lisbonne était mis en œuvre, l’Europe de la défense aurait plus de consistance qu’aujourd’hui. La crise malienne en a d’ailleurs bien montré les limites, que nous évoquons semaine après semaine avec le ministre lorsqu’il vient nous rendre compte du déroulement de l’opération Serval.

C’est donc par pragmatisme que la proposition de résolution qui nous est soumise, loin de toute tentation utopique, s’inscrit résolument dans le cadre des travaux actuels visant à relancer la PSDC.

Ces travaux ont été lancés en décembre dernier par le Conseil européen, qui a donné mandat à la Commission et à la Haute représentante, Mme Ashton, pour lui faire des propositions dans trois objectifs :

– augmenter l’efficacité, la visibilité et l’impact de la PSDC ;

– renforcer le développement des capacités de défense ;

– renforcer l’industrie de défense européenne.

Le Conseil européen a fixé un calendrier à ces travaux : il doit consacrer sa réunion de décembre 2013 à l’examen des propositions qui lui auront été faites. Il y a là une occasion à ne pas manquer ; 2013 peut marquer un tournant pour l’Europe de la défense.

L’initiative de nos collègues Yves Fromion et Joaquim Pueyo vise ainsi à ce que l’Assemblée apporte sa contribution à ces travaux de façon pragmatique, elle suit les trois axes définis par le Conseil européen.

Pour augmenter l’efficacité, la visibilité et l’impact de la PSDC, ils proposent notamment l’élaboration d’un document stratégique partagé, un Livre blanc européen, et recommandent vivement de mettre en œuvre, enfin, la coopération structurée permanente : c’est autour d’un noyau d’États pionniers que l’Europe de la défense peut se constituer. Ils soulignent l’intérêt de « l’approche globale » suivie en matière de PESC, c’est-à-dire la mise en cohérence de toutes les politiques extérieures de l’Union, région par région : politique commerciale, actions civiles, missions militaires, aide au développement, etc. Ils recommandent aussi une simplification de l’architecture institutionnelle.

Pour renforcer le développement des capacités en matière de défense, ils proposent de mettre en cohérence les capacités nationales, c’est-à-dire que les États coordonnent leurs capacités de façon à ce que, à l’échelle européenne, on évite les doublons ainsi que les lacunes. Puisqu’aucun pays européen ne peut plus posséder l’ensemble des capacités – soyons réalistes –, autant que nous ne faisions pas tous les mêmes « impasses ». Puisque nous sommes d’ores et déjà interdépendants, assumons-le, et organisons-nous pour n’en être que plus efficaces. La mobilisation des instruments financiers existants, certes imparfaits, est nécessaire pour accompagner cette manœuvre.

Enfin, pour renforcer l’industrie de défense européenne, nos collègues proposent une politique concertée de consolidation industrielle, passant par exemple par la relance de la fusion EADS-BAE Systems. Ils recommandent aussi d’harmoniser la demande d’équipements entre les États membres, de façon à unifier nos marchés, pour un meilleur fonctionnement de nos coopérations industrielles. Ils proposent également de mobiliser les fonds européens de soutien de la R&D au profit des technologies duales, et de faire jouer un système de préférence communautaire vis-à-vis des États – et il y en a beaucoup, et pas des moindres… – qui n’ouvrent pas leurs marchés d’armement à nos industriels.

Enfin, dans un double souci d’équité et de protection des capacités militaires européennes en période de tensions budgétaires, ils proposent que les États qui investissent peu dans la défense de l’Europe apportent une contribution à ceux qui paient le prix d’un outil de défense performant ainsi que, parfois, le prix du sang. Il est proposé qu’à tout le moins, les dépenses militaires contribuant à la défense de l’Europe soient exclues du calcul des déficits publics excessifs passibles de sanctions européennes. Les outils de défense français et britannique, principalement, pourvoient à la sécurité de l’Europe entière ; ce « bien commun » a un prix ; qu’à tout le moins, les États ne soient pas placés en position soit de subir des sanctions financières lorsqu’ils font le choix courageux de ne pas le sacrifier aux vicissitudes budgétaires du moment, soit de sacrifier leur défense, et avec elle celle de l’Europe.

Voici les principales orientations de la proposition de résolution qui nous est soumise. Je vous recommande son adoption, avec cinq modifications rédactionnelles.

M. Joaquim Pueyo. La rapporteure a réalisé une très bonne synthèse d’un travail commencé il y a plusieurs mois, qui nous a conduits à effectuer de nombreux déplacements, à Varsovie, Berlin, Bruxelles, Londres, Dublin et Madrid. Je souhaiterais faire deux observations.

En premier lieu, nous avons souhaité être pragmatiques. Si l’OTAN protège l’Europe, il est néanmoins nécessaire de renforcer la défense européenne, car les États-Unis se tournent désormais davantage vers l’Asie du Sud Est que vers l’Europe et celle-ci devra pouvoir prendre un jour le relais. En second lieu, nous disposons avec le traité de Lisbonne de tous les outils pour faire évoluer l’Europe de la défense avec notamment les coopérations structurées permanentes. Lors d’une récente rencontre à Varsovie, le président Hollande et la chancelière Merkel ont souhaité relancer l’Europe de la défense. En effet, si nous disposons de bons accords bilatéraux ou trilatéraux (Weimar, Lancaster House), qui ont fait leur preuve notamment en Libye, il n’existe pas encore de véritable Europe de la défense.

Cette proposition de résolution se veut à la fois pragmatique et ambitieuse. S’agissant de la dernière proposition qu’elle comporte, mon collègue Yves Fromion et moi-même avons souhaité, après de longues discussions, qu’une part des crédits affectés à la défense de l’Europe ne soit pas pris en compte dans le calcul des déficits publics susceptibles de donner lieu, s’ils sont excessifs, à des sanctions européennes. On sait, bien sûr, que ce point est difficile et que les Allemands ne seront surement pas d’accord, mais il n’est pas normal que les États qui financent des opérations militaires liées à la défense de l’Europe en portent seuls la charge. Cette résolution s’inscrit également dans la perspective de la réunion du Conseil européen consacrée à la défense européenne, prévue en décembre 2013. Il nous faudra bien entendu encore de nombreuses années pour aboutir, et nous sommes à un moment crucial où beaucoup de pays, à l’exception de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la Pologne, ont réduit leurs capacités militaires, ce qui est porteur de difficultés à l’avenir, sachant que nous ne sommes pas dans un monde de paix.

M. Michel Voisin. Je félicite les rapporteurs pour leur proposition de résolution et la rapporteure pour la synthèse qu’elle en a faite.

En réalité, l’Europe de la défense est, comme je l’avais dit lorsque j’étais orateur du groupe UMP lors de l’examen du budget 2012, un vœu pieu. À l’époque, seule la gauche m’avait initialement applaudi. Dans cette résolution, il serait bon qu’il y ait également un paragraphe demandant une mise en adéquation des engagements sur les théâtres extérieurs avec les capacités militaires des États. Les « caveats » sont différents d’un pays à l’autre, ce qui engendre des retards ou des difficultés opérationnelles. Il faut régler ce point.

M. Nicolas Bays. Pour être un européen convaincu et avoir participé à de nombreuses tables rondes sur l’Europe de la défense, notamment avec MM. Hervé Mariton et Gwendal Rouillard, il me semble que deux facteurs expliquent le ralentissement de l’Europe de la défense.

Il y a en effet un problème de définition de la notion même d’Europe de la défense : tous les États ne l’entendent pas de la même manière. Cette résolution a le mérite de préciser la position française.

Par ailleurs, la perception des risques qui visent l’Europe n’est pas partagée. Les menaces ne sont pas les mêmes sur l’ensemble des territoires européens, avec en particulier les pays de l’ex-bloc soviétique qui restent tournés vers l’Est, et d’autres comme la France, concentrés sur l’arc de crise évoqué par le dernier Livre blanc. Il est donc important de recenser pays par pays les menaces perçues.

M. Philippe Vitel. Je constate que toutes les bonnes intentions ne pourront trouver une application qu’avec un cadre budgétaire associé. En moyenne, les budgets de défense européens ont diminué de 10 % ces trois dernières années, passant de 195 milliards en 2011 à 180 milliards en 2012. Dans les réflexions autour du Pooling and Sharing, je constate que beaucoup d’États ne se consacrent qu’à des niches, les Pays-Bas n’ayant par exemple plus de chars, et que ce phénomène deviendrait dangereux s’il s’étendait à tous les pays. S’agissant de la BITD, j’apprécie particulièrement le passage de la résolution qui évoque le problème de la propriété intellectuelle partagée. Souvent dénoncée par les industriels sur ce point, l’Agence européenne de la défense pourrait revoir sa position.

Ce qu’il manque dans ce texte, c’est une évolution de l’AED vers un soutien aux PME-PMI de la défense. Avec les fonds FEDER, c’est un volet majeur qui fait défaut pour animer l’Europe de la défense. Sur la dernière recommandation formulée par le texte, je pense qu’il n’est effectivement pas normal que l’on ne tienne pas compte, dans l’application du pacte de stabilité et de croissance, des efforts effectués pour un État au bénéfice de la sécurité de tous les Européens. Il est également bon de décrire clairement les raisons de l’échec de la fusion EADS-BAE. Il faut convaincre nos amis allemands qu’ils ne vont pas dans le bon sens.

M. Michel Voisin. Il faudrait insister sur le fait que l’appartenance à l’Union européenne devrait nécessairement conduire les États membres à effectuer leurs achats d’équipement militaires en priorité auprès des industries de défense européennes.

M. Joaquim Pueyo. C’est effectivement essentiel sinon nous n’aurons plus d’industrie d’armement pour l’Europe d’ici quelques années ; la situation de la Suède est, de ce point de vue, préoccupante. Il faut sauver l’industrie européenne.

Mme Marie Récalde, rapporteure. Pour répondre à M. Voisin, la coopération structurelle permanente évoquée à l’alinéa 21 de la proposition sera effectivement le meilleur instrument d’une harmonisation des conditions d’emploi des forces, y compris des fameux « caveats ».

M. Nicolas Bays. Vous avez raison de parler d’harmonisation, et c’est d’ailleurs tout l’intérêt du livre blanc évoqué à l’alinéa 19. Les finances sont effectivement, comme souligné aux alinéas 24 et 25, le nerf de la guerre. En définitive, je crois qu’on ne peut que se satisfaire de ce texte.

M. Michel Voisin. Le groupe UMP apporte son total soutien à cette proposition de résolution.

La Commission est saisie des amendements rédactionnels n°s CD1 à CD5 de Mme Marie Récalde, rapporteure ; elle adopte l’ensemble des amendements, puis elle adopte la proposition de résolution ainsi modifiée.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.

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AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement CD1 présenté par Mme Marie Récalde, rapporteure :

Article unique

À l’alinéa 29, avant et après le mot : « bannière », supprimer les guillemets.

Amendement CD2 présenté par Mme Marie Récalde, rapporteure :

Article unique

I. À l’alinéa 29, substituer au mot : « communautaire » le mot : « européen ».

II. Par conséquent, procéder à la même substitution à l’alinéa 39.

Amendement CD3 présenté par Mme Marie Récalde, rapporteure :

Article unique

À l’alinéa 32, supprimer les mots : « par exemple ».

Amendement CD4 présenté par Mme Marie Récalde, rapporteure :

Article unique

À l’alinéa 37, remplacer les mots : « (propriété intellectuelle partagée) » par les mots : « notamment le régime de propriété intellectuelle partagée, ».

Amendement CD5 présenté par Mme Marie Récalde, rapporteure :

Article unique

À l’alinéa 37, substituer au mot : « communautaires » le mot : « européens ».

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Bernard Deflesselles, M. Francis Hillmeyer, M. Damien Meslot, M. Philippe Nauche, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Lucien Degauchy, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Éric Jalton, M. Patrick Labaune, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. François de Rugy, Mme Paola Zanetti