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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 12 juin 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 78

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Examen pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces (n° 428) (M. Philippe Meunier, rapporteur pour avis)

— Audition de l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées (CEMA) sur le déploiement du logiciel de solde Louvois

— Informations relatives à la commission

La séance est ouverte à neuf heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous allons tout d’abord entendre M. Philippe Meunier, rapporteur pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces.

M. Philippe Meunier, rapporteur pour avis. Le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui tend à autoriser la ratification d’un accord de coopération entre la France et la Serbie dans le domaine de la défense.

Il faut savoir que notre coopération avec ce pays en matière de défense remonte déjà à 2004. Si la crise de 1999 au Kosovo et la participation de la France à l’opération de l’OTAN ont pu entraîner un gel de nos relations pendant un temps, il semblerait que la page soit tournée aujourd’hui, puisque l’accord dont il est question constitue l’un des principaux engagements internationaux de Belgrade en matière de défense avec un pays européen.

En effet, si la Serbie s’est complètement réinsérée sur la scène internationale, et entretient désormais des relations normalisées avec ses voisins européens et les États membres de l’OTAN, la France est un de ses partenaires privilégiés, avec la Russie, bien sûr, et les États-Unis.

La principale raison de cette relation privilégiée, outre nos liens historiques déjà anciens, tient à ce que la Serbie considère notre pays comme un des acteurs qui ont été les plus objectifs, les moins enclins aux partis pris, depuis la crise de 1999. C’est dans le cadre de ce partenariat stratégique que la France a soutenu très tôt l’adhésion de la Serbie à l’Union européenne. Plus tôt, et aussi plus intensivement, semble-t-il, que d’autres puissances européennes, comme l’Allemagne et l’Italie, traditionnellement plus réceptives aux positions croates.

Ce partenariat a également un intérêt pour la France. La Serbie constitue en effet un point stratégique au développement de notre influence dans les Balkans, puisque c’est le pays le plus important de la région en termes de population et de capacités de défense. C’est un acteur incontournable dans une région toujours stratégique pour la sécurité de l’Europe.

Outre la présence d’officiers français coopérants sur place et la formation de militaires serbes au sein de notre École de guerre, nos actions de coopérations avec la Serbie s’inscrivent plutôt dans le domaine opérationnel ; par exemple, nous avons embarqué un officier de l’ancienne marine serbe sur un navire français participant à l’opération Atalante de lutte contre la piraterie au large de la Somalie. Il n’est pas anodin de noter à ce propos que c’est la France qui a ainsi permis à la Serbie de participer à une opération menée au titre de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne.

En matière d’industrie d’armement, la Serbie constitue un marché potentiellement prometteur à moyen terme, puisque les entreprises des groupes Thales, Sagem, MBDA et Eurocopter travaillent avec elle à la modernisation, l’acquisition, ou le renouvellement de certains équipements.

L’accord en lui-même ne fait qu’apporter un cadre juridique global et complet à ces actions de coopération. Il ne diffère en rien des accords de défense classiques qui lient la France et d’autres États, et son principal intérêt tient à ce qu’il offre un cadre pérenne aux actions de coopération menées depuis 2004, en fixant notamment un statut des forces protecteur pour les nouveaux coopérants que nous pourrions y envoyer.

Cet accord s’inscrit pleinement dans le cadre du partenariat stratégique et de coopération signé entre nos deux pays le 8 avril 2011, lui-même orienté en partie sur l’accompagnement de la Serbie vers son adhésion à l’Union.

D’ailleurs, l’Union a signé un arrangement technique avec la Serbie afin qu’elle puisse prendre part à des opérations menées sous la bannière européenne. Le même type d’arrangement devrait être conclu avec l’Agence européenne de défense d’ici cet été, faisant de la Serbie le troisième État non membre de l’UE à participer à ses programmes.

Vous le voyez, nos relations avec la Serbie ne sont pas nouvelles, et ne demandent qu’à être pérennisées, dans la perspective de l’adhésion de cet État à l’Union européenne, et de l’approfondissement de notre influence dans les Balkans.

En somme, cet accord établit un cadre juridique utile au développement des relations que la France entretient avec un allié historique, qui ne lui a jamais fait défaut. Il s’organise autour de deux grands axes que sont l’armement, pour lequel la Serbie a besoin de la technologie française afin d’exporter les armes qu’elle produit, et les opérations extérieures, avec l’association de la Serbie dans les opérations extérieures de l’Union européenne, ce qui est d’autant plus important que la Serbie est candidate à l’adhésion.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis favorable à l’adoption du projet de loi de ratification de cet accord.

M. Bernard Deflesselles. Vous avez indiqué que la Serbie avait fait un effort considérable en matière de défense. Pouvez-vous nous indiquer la part de la défense dans le PIB du pays et à quel niveau se situe la Serbie en la matière à l’échelle des vingt-sept pays de l’Union européenne ?

M. le rapporteur pour avis. L’armée serbe, la première des Balkans, a la particularité de disposer d’environ 25 000 hommes et de 400 000 réservistes. Le fonctionnement de cette réserve est comparable à celui de la Garde nationale américaine, avec laquelle la Serbie entretient des relations.

M. Daniel Boisserie. La France est encore présente au Kosovo et il semble que l’équilibre des communautés demeure fragile. Comment cet accord s’inscrit-il dans cette problématique ?

M. le rapporteur pour avis. Le Kosovo est en effet un sujet grave. L’indépendance du Kosovo a été reconnue par la France et par de nombreux pays européens, mais pas par tous ; l’Espagne, par exemple, ne l’a pas fait, en grande partie pour des raisons de politique intérieure. Cet accord est un accord de défense qui s’exerce dans les domaines suivants : la politique de défense et de sécurité, l’organisation et le fonctionnement des forces armées, la recherche et le développement dans le domaine de l’équipement militaire, les missions humanitaires et de maintien de la paix, la formation militaire et scientifique, la défense civile, la topographie et la cartographie militaires, le droit et la médecine militaires. Cet accord ne concerne donc en rien le Kosovo, État indépendant. Je tiens à souligner que, si les problèmes entre la Serbie et le Kosovo ne sont pas réglés, le dialogue entre les deux pays a pris un nouvel essor avec le gouvernement issu des dernières élections en Serbie.

M. Jacques Lamblin. Des échanges sont-ils programmés dans le cadre de la formation des officiers serbes ? Vous avez par ailleurs évoqué le soutien technique apporté par la France à l’industrie de l’armement serbe. Existe-t-il des perspectives d’exportation de matériel français déjà identifiées ?

M. le rapporteur pour avis. Les échanges que vous évoquez existent déjà ; ainsi, la France a déjà envoyé des officiers coopérants en Serbie, et une place est réservée à l’École de guerre à un officier serbe. En matière d’exportations, la SAGEM a, par exemple, livré à la Serbie dix-huit centrales inertielles et Thales a remporté un contrat pour la fourniture de postes radio PR4G et de commutateurs. L’armée serbe est équipée d’hélicoptères Gazelle dont la maintenance est assurée par un industriel français. Toutefois, si les États-Unis sont le premier partenaire de la Serbie, ce fait reste porteur d’espoir pour d’autres acteurs, en témoignant que les différends entre pays dans un passé récent ne font pas obstacle à des relations commerciales.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. En tant que présidente du groupe d’amitié France-Kosovo, je nourris quelques inquiétudes quant à cet accord, dont l’objectif principal doit être la paix et dont j’espère qu’il ne renforcera par l’armée serbe contre le Kosovo. Le Kosovo souhaite lui aussi adhérer à l’Union européenne et les dernières négociations entre Mme Ashton, la Serbie et le Kosovo n’ont pu aboutir à un accord car il semble que la Serbie souhaite reprendre les villes du nord du Kosovo. Existe-t-il un accord de défense similaire entre la France et le Kosovo ?

M. le rapporteur pour avis. Les minorités à rassurer au Kosovo sont de mon point de vue les minorités serbes et je vous rappelle à ce titre les récentes destructions de cimetières chrétiens. Les villes du nord sont considérées comme des enclaves serbes dans un territoire dont le peuplement s’est vu radicalement modifié, puisqu’il compte aujourd’hui une majorité d’Albanais et une faible minorité de Serbes. Les tensions sont vives, mais le nouveau gouvernement serbe semble avoir la volonté de les apaiser. Cependant, les chances de réussite nécessitent un climat de respect mutuel des deux communautés, condition qu’en ma qualité de vice-président du groupe d’amitié France-Serbie je vous serais reconnaissant de bien vouloir rappeler, à l’occasion, à vos interlocuteurs kosovars.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Il ne s’agit pas d’opposer les deux pays au travers de ce débat, mais je vous rappelle que les minorités serbes sont représentées dans toutes les instances politiques du Kosovo.

M. le rapporteur pour avis. Je m’en félicite et la présence de l’armée française contribue à apaiser les extrémistes des deux camps.

M. Jean-Jacques Candelier. Je ne suis pas opposé à cet accord. Je note que l’article 6 interdit toute implication de la France dans les opérations de guerre ou de sécurité et il me semble que la Serbie n’a pas perdu tout espoir de regagner un jour le Kosovo.

M. le rapporteur pour avis. L’acceptation de la candidature de la Serbie à l’Union européenne par les États membres indique que la Serbie n’a pas de velléité militaire de reconquête du Kosovo.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

La Commission entend ensuite l’amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées (CEMA) sur le déploiement du logiciel de solde Louvois.

Madame la Présidente Patricia Adam. Avant de vous entendre sur le logiciel Louvois, nous aimerions bénéficier de votre analyse sur les articles publiés hier concernant la sécurité de l’Île Longue.

Amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées. Il faut faire la part des choses entre le désir légitime d’un journaliste d’attirer l’attention, le besoin et le droit de la population d’en connaître et la réalité. Depuis un an deux enquêtes de sécurité avaient déjà été menées sur le site, l’une par l’inspection des armées, l’autre par la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD). Nous éprouvons le dispositif de sécurité au moins une fois par an et ce, sans préavis naturellement. En outre, il y a un mois, le commandant de l’Île Longue a lui-même demandé l’organisation d’une tentative de pénétration du site.

Des vérifications très régulières des huit kilomètres de clôture sont effectuées ! Le site dispose en outre du centre de protection le plus moderne de France ; y compris par rapport aux autres installations sensibles.

La civilianisation du transport trans-rade est quant à elle une réalité depuis déjà fort longtemps, mais je vous laisse imaginer que l’accès est resté très bien contrôlé. Quant aux commentaires sur l’absence de certains dispositifs de contrôle, par exemple de l’iris, il me semble que ces technologies ne pourraient correspondre au volume quotidien des flux de personnels. D’autres moyens, combinant des contrôles techniques et humains, sont mis en œuvre et restent très performants.

Bien sûr, nous ne crions pas sur tous les toits ce que nous faisons, a fortiori s’agissant de dissuasion. Cependant, après le 11 septembre 2001 et certains événements marquants de la décennie, nous avons pris des mesures de protection supplémentaires et des renforcements ponctuels du dispositif sont envisageables et mis en œuvre en fonction de l’évaluation de la menace.

Le ministre a pris les dispositions de nature à répondre aux questions posées par les médias en commandant une enquête à l’inspection générale des armées, qui est placée sous son autorité directe.

Bien entendu, nous aimerions toujours disposer de moyens supplémentaires, mais il convient de rester raisonnable. Par exemple, nous ne disposons certes pas de scanners pour véhicules, qui se justifient dans le cas du port du Havre, mais cela n’empêche pas que les véhicules soient contrôlés. Certains d’entre vous ont visité l’Île Longue et ont pu constater, voire s’impatienter, face à la rigueur du dispositif de contrôle.

J’en viens maintenant au sujet de Louvois. Je m’exprime ici d’abord au nom des militaires de l’armée de terre, de la marine et des services interarmées – service de santé, service du commissariat et service des essences –, qui sont aujourd’hui soldés via le système Louvois. Je suis à la fois furieux et vexé de ne pouvoir influer sur la situation.

Comme vous le savez, ce nouveau système de traitement des soldes connaît des dysfonctionnements jugés mineurs jusqu’à l’été 2012 et devenus majeurs depuis. Or, nous exigeons beaucoup de notre personnel dans ses engagements, quelle qu’en soit la forme. Le ministère de la Défense se doit donc de lui donner tous les moyens d’accomplir ses missions. Ce sujet m’intéresse donc au premier chef.

En tant que premier des militaires et en ma qualité de responsable de la condition militaire et du moral au sein des armées et des organismes interarmées, je ne peux accepter les difficultés matérielles dans lesquelles se débattent beaucoup d’entre nous du fait du mauvais fonctionnement d’un système, quel qu’il soit.

Depuis le décret 2009-1177 du 5 octobre 2009, je suis responsable du soutien et de l’administration des armées, des services et directions interarmées. Mais, en vertu du décret 2009-1179 signé à la même date et fixant les attributions du secrétaire général pour l’administration, c’est la direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) qui « assure le pilotage des systèmes d’information ministériels en matière de ressources humaines, et notamment de solde, de paie, de droits individuels et de pensions. » Ce n’est pas fuir ses responsabilités que de le dire. C’est un fait avéré, qu’il est nécessaire de rappeler.

Je commencerai par évoquer les conditions ayant conduit au raccordement du système Louvois. Je vous exposerai ensuite les actions de mon niveau concourant à cet objectif, sous l’autorité de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, dont vous savez qu’il s’est personnellement saisi du dossier pour surmonter cette crise depuis septembre dernier. Enfin, je vous ferai part des réflexions que tout cela m’inspire.

Au regard de l’organisation de la fonction solde dans les armées, Louvois est un sujet sur lequel j’ai aujourd’hui comme hier peu de leviers.

L’historique de la mise en place de ce nouveau système de traitement de la solde vous a été décrit dans le détail par ceux qui en ont été directement les pilotes, qu’il s’agisse du directeur des ressources humaines du ministère de la défense, du secrétaire général pour l’administration et du directeur adjoint du cabinet du ministre de la défense. Je n’y reviendrai donc pas, si ce n’est pour souligner que, dès ma prise de fonction, j’ai mesuré les difficultés de cette entreprise. J’ai d’ailleurs appelé l’attention du ministre de la Défense par écrit, le 7 mai 2010, sur les risques de rupture de continuité de la fonction solde, en particulier au sein de l’armée de terre – du fait de la déflation rapide des effectifs des centres territoriaux d’administration et de comptabilité (CTAC). Dans ce courrier, j’alertais le cabinet du ministre sur l’impact négatif d’une accélération de la montée en puissance du service du commissariat aux armées (SCA), décidée en mars 2010, et sur ses conséquences sur le processus de solde. Je proposais notamment de prendre des mesures conservatoires destinées à maintenir le personnel qualifié dans les CTAC.

Pour autant, j’ai personnellement donné mon accord avant chaque raccordement d’une armée ou d’un service interarmées, sur la base des assurances qui m’ont été données, en particulier pour ce qui concerne la fiabilité et les modes secours du système.

Les militaires du service de santé des armées ont été les premiers à basculer dans le nouveau système en mars 2011. Un point de situation a été présenté par la mission systèmes d’information-ressources humaines (SI-RH) de la DRH-MD en septembre de la même année. Il en ressortait que les conditions techniques pour le raccordement de l’armée de terre à Louvois étaient remplies, et le bilan du raccordement du SSA était positif. Mi-octobre, une note de la mission SI-RH confirmait que les critères d’exigence en termes de qualité de la solde étaient atteints et que le dispositif de soutien était suffisamment dimensionné. Il m’était annoncé qu’une trentaine d’anomalies majeures étaient identifiées et faisaient l’objet d’un plan d’action.

Sur cette base, après une réunion à laquelle ont participé le cabinet du ministre de la Défense, la DRH-MD, le SGA, l’armée de terre et le SCA, j’ai autorisé le raccordement de l’armée de terre. Ce procédé a été le même pour la marine, qui a basculé à son tour en mars 2012. Comme vous le savez, seule l’armée de l’air n’est pas encore raccordée : elle aurait dû l’être en mars 2013 ; à ce jour, les conditions du raccordement ne sont toujours pas réunies au regard des dysfonctionnements. Il ne semble pas souhaitable d’aggraver ce chaos.

En amont du passage à Louvois, dès l’été 2011, nous savions que la situation du traitement de la solde dans l’armée de terre était fragile. Elle l’était d’autant plus que la mise en œuvre des réformes induites par la RGPP avait conduit à réduire substantiellement le volume des experts des CTAC.

Lors du passage à Louvois et jusqu’au début de l’année 2012, je n’avais pas, à mon niveau, de grande inquiétude. Le nombre d’anomalies majeures m’était annoncé stable, autour d’une trentaine, avec des actions correctives en cours. Pour autant, certaines manifestations de mécontentement de familles de militaires, relayées lors des conseils de la fonction militaire d’armée de mai 2012, ont constitué un premier signal. Le paiement de la solde, et notamment les difficultés de prise en compte des primes et indemnités, a été évoqué lors du conseil supérieur de la fonction militaire de juin 2012, auquel j’ai assisté aux côtés du ministre. Il constituait un deuxième signal sérieux.

Mais à cette époque, les dysfonctionnements constatés me paraissaient toujours surmontables. La DRH-MD continuait à annoncer seulement une trentaine d’anomalies majeures identifiées. Pour avoir exercé des responsabilités directes dans la définition, la réalisation et la mise en service de systèmes d’information complexes, je sais d’expérience que dans tout projet, il faut surmonter une succession de problèmes techniques et organisationnels, solubles si la base de départ est saine, ce dont je ne saurais douter.

C’est au cours de l’été 2012 que les dysfonctionnements ont dérivé dangereusement. Ils ont été directement pris en compte avec détermination par le ministre de la Défense dès le mois de septembre.

Dans leurs interventions devant vous, MM. Jean-Paul Bodin et Jacques Roudière ont décrit en détail leur vision des causes de dysfonctionnement de Louvois. Elles relèvent d’un cumul de problèmes techniques et organisationnels ainsi que d’un cadencement trop rapide dans sa mise en œuvre. Ont été évoquées : la fiabilité insuffisante de certaines données ; l’immaturité du système ; une structure en « tuyaux d’orgue » juxtaposant les directions des ressources humaines d’armées, le service du commissariat des armées – tout juste créé – et la DRH-MD ; la profusion des réformes, ainsi qu’une déflation non maîtrisée des compétences. Nous sommes d’accord sur ces premiers constats.

Ils nous imposent de réagir, pour trois raisons au moins.

La première est que la force morale de nos combattants dépend en partie de la qualité de leur soutien : ils doivent être soulagés au maximum des contingences matérielles, en particulier lorsqu’ils sont loin de leur foyer. À tout le moins, l’institution ne doit pas être la cause de soucis matériels qui viennent perturber la vie quotidienne des familles de nos militaires. Là comme ailleurs, pour reprendre une vieille expression, l’arrière doit tenir.

Ensuite, les dysfonctionnements de Louvois génèrent une double crise de confiance vis-à-vis du bien-fondé des réformes en cours d’abord, et de l’aptitude du commandement à résoudre les difficultés ensuite. C’est une hypothèque sur les réformes à venir, hypothèque inacceptable au regard des efforts considérables que devront encore fournir nos armées.

Enfin, les dysfonctionnements sont ressentis comme révélateurs d’un manque de considération voire de reconnaissance envers ceux qui sont en première ligne, et affectent l’image des armées, ce que les blogs et les médias n’ont pas manqué de souligner, encore la semaine dernière dans un grand quotidien du matin. Là aussi, le résultat est inacceptable.

En appui du plan d’action du ministre, j’ai pris un certain nombre de décisions, mises en œuvre par le commandement interarmées des soutiens. Ces décisions se sont traduites par la mise en place de renforts aux divers échelons fragilisés par une insuffisance de personnel qualifié.

Au niveau du logiciel lui-même, nous avons renforcé le centre de maintenance informatique de la solde (CMIS), à hauteur de deux officiers et de 24 sous-officiers, ce qui revient à doubler l’effectif.

Au niveau des directions des ressources humaines des armées et des structures interarmées, nous avons soutenu l’application des directives de l’armée de terre, de la marine, du SSA et du SCA, notamment en renforçant ces structures par du personnel des groupements de soutien des bases de défense. Ce sont ainsi plus de 200 experts supplémentaires qui se sont relayés depuis le mois d’octobre 2012 pour soutenir ces organismes.

Au niveau des bases de défense, enfin, nous avons directement contribué, aux côtés du SGA, à l’armement de cellules de crise Louvois. Ceci a été rendu possible par la convocation de réservistes et par l’interarmisation du travail des cellules. Des séances de formation du personnel des unités soutenues ont également été dispensées dans les garnisons les plus touchées.

La formation a en outre fait l’objet d’un effort conséquent dans les domaines des ressources humaines et de la solde. À titre d’exemple, alors que 13 militaires des groupements de soutien ont été formés en 2012, c’est plus de 100 qui l’ont été depuis le début de l’année.

J’ajoute que des initiatives locales ont été prises par les commandants des bases de défense pour informer les acteurs locaux, les banques par exemple, des conséquences sociales et humaines des dysfonctionnements de Louvois.

Je tiens donc à souligner le rôle vertueux des bases de défense. Elles sont le premier maillon et cristallisent un certain nombre de critiques sur le terrain, le personnel ayant naturellement tendance à reporter tous les désagréments occasionnés par les réformes sur cette évolution de notre organisation territoriale. Or, vous l’avez vu, c’est au niveau des bases de défense que sont conduites plusieurs actions correctrices. Dire que Louvois est un problème de bases de défense ou lié est une erreur : c’est l’écosystème global qui est malade, la création concomitante des bases de défense ayant parfois compliqué le dossier !

L’enjeu est simple : toutes les mesures prises doivent conduire à une amélioration rapide et pérenne d’une situation qui, je le répète, est inacceptable. La seule chose qui compte à mes yeux est que nos militaires soient payés correctement, et que cette crise soit résolue au plus vite.

Si certains défendent l’option d’un arrêt pur et simple de Louvois, ils sous-estiment sans doute la complexité du traitement de la solde, liée au processus technique d’une part, et à la compétence nécessaire pour le mettre en œuvre d’autre part. Dans l’attente d’un système d’information rénové, je n’ai d’autre choix que d’accepter Louvois. J’ajoute que l’hypothèse d’une connexion à l’opérateur national de paye (ONP) me paraît aujourd’hui totalement irréaliste. Le ministre semble d’ailleurs réservé sur cette question.

Ces considérations sur l’avenir de Louvois débordent du champ de mes attributions, mais pas de celui de mes responsabilités de chef militaire, garant de l’aptitude des forces à remplir leurs missions. C’est bien le terrain sur lequel je peux m’exprimer

Je crois que l’on peut tirer plusieurs leçons de cette crise, des leçons utiles pour l’avenir, dans le contexte des restructurations défini par le nouveau Livre blanc.

J’en retiens quatre. Premièrement, Louvois est le cas typique d’une réforme portée par un présupposé toujours aléatoire et, en l’espèce, particulièrement hardi : celui du bon fonctionnement d’origine de l’outil technique. Or celui-ci n’est jamais garanti à 100 %, quoi qu’en disent les meilleures simulations. Ce principe de bon sens vaut a fortiori lorsque l’on conduit plusieurs réformes simultanément, agrégeant des paramètres organisationnels, humains, techniques et financiers : ne jamais sous-estimer les interactions entre elles ! Dans le cas de Louvois, la mise en œuvre de la RGPP, simultanément avec la mise en place des BDD et la création du SCA ont incontestablement constitué un facteur aggravant. Mais il est vrai, nous n’avons pas eu le choix.

Le phasage des restructurations est un paramètre structurant. Ne pas confondre vitesse et précipitation reste un élément clé de la maîtrise des risques, de l’identification des problèmes et de leur résolution.

Deuxièmement, lorsque l’on engage un projet, il est nécessaire de le diriger. La direction de projet est incontournable pour intégrer tous les aspects d’un système, selon les spécifications des utilisateurs. Je regrette que pour Louvois, elle n’ait pas été suffisamment puissante, en tout cas vu de ma position. Il s’agit d’une règle élémentaire, bien connue dans les programmes d’armement.

Troisièmement, face à l’arrivée d’un nouveau système, il est indispensable que les compétences humaines critiques issues de l’ancien soient garanties.

Comme l’a souligné devant vous le directeur des ressources humaines, les CTAC de l’armée de terre, voués à la fermeture dès 2008 dans le cadre de la réforme, ont vu leurs cadres civils experts anticiper toutes les opportunités favorables de reclassement. C’était parfaitement légal et légitime, mais cela s’est traduit par une perte rapide des savoir-faire dans le domaine de la solde, qu’il n’a pas été possible de pallier dans des délais aussi courts.

L’objectif général de la RGPP de réduire les effectifs en se cristallisant sur les capacités de combat et leur environnement opérationnel a montré ses limites. Là aussi, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

Quatrième et dernière leçon, la reprise du chantier indemnitaire, sur lequel l’EMA est moteur depuis longtemps, est indispensable. L’excès du nombre d’indemnités – il y en a 175 – est en soi un facteur de risque dans sa prise en compte par les systèmes. C’est aussi un surcoût de développement du système proprement dit. Il est urgent d’engager la simplification de notre système indemnitaire.

Je voudrais conclure en rappelant qu’en période de réforme, la condition du personnel est un élément central. C’est même le premier à prendre en compte. Le personnel militaire des armées sert avec discipline, loyauté, disponibilité et un sens du devoir assumé s’il le faut jusqu’au sacrifice suprême. Il l’a choisi et l’endosse pleinement, sans jamais broncher. La moindre des choses est de lui garantir ce qui lui est dû, au plan moral comme au plan matériel. La solde est l’une des manifestations concrètes de la reconnaissance de la Nation pour les services rendus. Il ne saurait être question d’une défaillance dans ce domaine.

L’enjeu auquel nous sommes confrontés est de rétablir la confiance. Confiance du terrain pour sa haute hiérarchie. Confiance du terrain pour la haute administration de l’État. Il en va de la cohésion de nos armées. Il en va de leur crédibilité et de leur efficacité. Il en va de leur aptitude à conduire avec succès les réformes nécessaires à l’adaptation de notre outil de défense. Il en va aussi de leur aptitude à conduire avec succès les opérations militaires ordonnées par l’autorité politique.

Madame la présidente Patricia Adam. Nous sommes tous des élus et savons combien il est difficile de conduire ce type de projets. Je m’étonne qu’il n’y ait pas eu de tuilage. Pourquoi avoir fermé les CTAC sans s’assurer de disposer des secours éventuellement nécessaires ? Ce dossier donne le sentiment d’avoir été conduit « à marche forcée ». Aujourd’hui tous les responsables semblent se renvoyer la balle. Vous avez constaté en mai le risque de rupture dans le paiement des soldes et avez pourtant autorisé le branchement de l’armée de terre ou de la marine.

Amiral Édouard Guillaud. Sur l’ensemble des responsables que vous auditionnez, je suis le seul à ne pas avoir changé de responsabilité depuis le lancement de Louvois, d’où peut-être ma véhémence. Le général Elrick Irastorza m’avait fait part de son inquiétude. J’étais effectivement conscient des « anomalies majeures », mais l’équipe de pilotage avait adopté un « plan d’action » censé y répondre. Je rappelle en outre que la RGPP nous imposait une réduction d’effectifs de 7 500 postes par an. L’année en question, il était prévu de fermer les CTAC. On m’a demandé de choisir entre cela et la dissolution d’unités de combat supplémentaires, c’est-à-dire entre la peste et le choléra. Nous avons signé le couteau sous la gorge.

J’ai donné mon accord pour la bascule et j’ai eu tort. J’assume ma part de responsabilité, mais pas celle des autres ! J’observe aussi que l’on essaie de la faire porter à d’autres et, par exemple, que le SCA est mis en accusation. Créé le 1er janvier 2010, il n’existait même pas au moment de la conception de Louvois… Par ailleurs, la perte de compétence liée au reclassement des civils est naturelle, ceux appartenant à des entités restructurées étant prioritaires dans le reclassement. S’agissant des militaires, elle est la conséquence logique des réductions d’effectifs.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé sur Louvois, que ce soit en Commission ou dans le cadre des travaux de la mission d’information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense, nous conduisent à nous poser un certain nombre de questions sur les causes des dysfonctionnements actuels.

Lorsqu’on a opéré la « bascule » du SSA sur Louvois, le nombre anomalies était relativement faible. Était-ce un test pertinent pour en conclure que Louvois fonctionnerait bien pour la solde de l’armée de terre ? Louvois avait-il correctement traité tous les éléments du régime indemnitaire du SSA ? Le format des tests était-il suffisant ?

Pourquoi n’a-t-on pas recruté les quelques informaticiens de haut niveau dont la direction des ressources humaines du ministère avait besoin ?

On a découvert fin 2012 qu’il y avait 120 000 dossiers en instance dans les CTAC : pourquoi cette information est-elle remontée si tard au sommet de la chaîne hiérarchique du ministère ?

On explique l’urgence de la « bascule » de l’armée de terre vers Louvois par le fait que le logiciel précédent était défectueux. Mais si l’on connaissait l’obsolescence de ce logiciel, pourquoi n’a-t-on pas davantage anticipé les choses, en lançant le projet Louvois plus tôt, afin de se laisser du temps pour procéder à des tests suffisamment longs ?

Pourquoi n’avait-on pas de « plan B » en cas de dysfonctionnement, au vu de la rapidité des tests ?

Amiral Édouard Guillaud. Pour avoir été chargé, dans de précédentes fonctions, de la mise en place du système informatique du porte-avions Charles de Gaulle, j’ai une certaine expérience de la conduite des projets informatiques. Mais concernant Louvois, je n’étais pas le directeur de programme.

Il est vrai que Louvois a fait l’objet de trop peu de tests. Les marchés publics de ce type comprennent toujours une clause optionnelle, permettant le développement de plateformes de simulation ou de tests à la demande du ministère. Mais cette option a un coût, et l’ordonnateur du marché a souvent tendance à « rogner » sur cette dépense. C’est au directeur de programme qu’il appartient d’être suffisamment puissant pour obtenir la réalisation des tests nécessaires ; ils mériteraient d’ailleurs d’être rendus obligatoires.

Il convient de rappeler que, avant Louvois, le taux d’erreur dans le calcul des soldes des armées s’établissait à environ 1 % environ, et que les erreurs étaient corrigées en général dans les trois ou quatre mois. Lorsque le nouveau logiciel a été mis en place, les personnels ont donc naturellement pu penser que les erreurs constatées seraient reprises dans les mêmes délais. D’ailleurs, toutes les armées et tous les services ne partaient pas de la même situation : la marine et le SSA étaient en avance sur l’armée de terre dans l’organisation des opérations qui se tiennent en amont du calcul de la solde, notamment pour ce qui est de la tenue des dossiers administratifs. L’armée de terre, elle, a « basculé » sur Louvois alors que la mise à jour de ses systèmes d’information en ressources humaines était encore en cours, ce qui peut expliquer un plus grand nombre d’erreurs. Par ailleurs, si Louvois ne permet pas de retraiter efficacement des données antérieures à son déploiement, c’est une erreur de spécification du logiciel ; mais il faut préciser que les spécifications ont été définies sans que les armées y soient systématiquement associées.

On dit souvent que l’ancien logiciel de solde de l’armée de terre était obsolète : il est vrai qu’il vieillissait, mais on ne peut pas dire qu’il risquait de s’effondrer de façon imminente à l’automne 2011. Il est d’ailleurs encore utilisé pour la solde de nos 96 000 gendarmes, quelle que soit la complexité de leur régime indemnitaire. Simplement, le vieillissement du logiciel conduit à une hausse des coûts de maintenance.

S’agissant du calendrier du projet Louvois, on aurait en effet pu l’entamer plus tôt, mais cela avait un coût, et il faut préciser que par définition, le choix de remplacer les divers logiciels existants par un logiciel de paie unique rend le processus plus complexe, donc plus lent.

Quant à l’idée d’un « plan B », lorsque nous suggérions qu’il fallait se laisser la possibilité de revenir à l’ancien système de calcul et de liquidation de la solde, cela nous a toujours été refusé, au motif que cela aurait supposé de conserver les CTAC. Leur fermeture a été accélérée par la RGPP, qui a pu constituer un facteur aggravant dans les dysfonctionnements de Louvois : sans la RGPP, Louvois aurait présenté les mêmes dysfonctionnements, mais on les aurait peut-être mieux gérés.

M. Damien Meslot. Les propos de certains responsables que nous avons entendus sur Louvois confinaient à l’autosatisfaction, ce qui ne peut que surprendre…

Dans l’affaire Louvois, on a fait trop peu : trop peu de moyens consacrés au pilotage ; trop peu de sentiment de responsabilité de la part de ceux qui ont décidé la « bascule » de l’armée de terre alors que le rapport du général Lapprend avait mis en évidence beaucoup de risques ; trop peu de filets de sécurité. Louvois illustre bien la folie que constitue la déflation à tout prix ; le « rabotage » des effectifs à ses limites, et in fine, on doit se demander quel outil de défense nous voulons.

On nous dit que les difficultés sont en voie d’être résorbées. Pourtant, sur le terrain, il semble que les correctifs successifs du système ne résolvent certains problèmes que pour en créer de nouveau, ce qui peut donner à penser que les dysfonctionnements proviennent en partie du cœur même du système Louvois.

Cette affaire est l’un des échecs les plus importants que le ministère est connu, et ce gâchis d’argent public est particulièrement regrettable dans le contexte budgétaire actuel. Pourtant, on a un pénible sentiment d’impunité : la responsabilité des décideurs n’est pas recherchée.

La politique de réduction drastique des effectifs fait des dégâts : aujourd’hui, ils portent sur la solde ; mais demain, ils pourraient tout aussi bien toucher des fonctions opérationnelles.

Amiral Édouard Guillaud. Nous avons lu avec beaucoup d’attention le rapport Lapprend – c’est d’ailleurs moi qui ai suggéré de confier cette mission au général Lapprend, dont les qualités professionnelles sont bien connues. Comme vous l’avez souligné, toutes ses recommandations n’ont pas été mises en œuvre.

Il est vrai que la fermeture des CTAC a joué un rôle déterminant dans les difficultés rencontrées dans l’armée de terre. Mais il faut préciser que jusqu’en septembre 2012, nous pensions que le cœur du système était bon, car la marine réussissait à traiter les anomalies au fur et à mesure.

Mais j’en viens à penser que c’est le cœur du système Louvois qui constitue le fond du problème : vraisemblablement, il a été mal, ou insuffisamment, spécifié. Qui a pris ces décisions techniques ? Rien d’étonnant à ce que l’ordonnateur du marché et son attributaire aient tendance à se renvoyer la balle, ce qui nous renvoie au problème de l’organisation de la direction de programme.

Aujourd’hui, je suis très inquiet : on n’observe aucune amélioration dans le fonctionnement de Louvois, pas plus dans la marine ou au SSA que dans l’armée de terre. Mais cela échappe aux compétences de l’état-major des armées, qui subit la situation.

M. Jacques Lamblin. La décision a été prise dans un contexte de réduction des effectifs et alors que les autorités ne disposaient de toutes les informations sur la réalité du système Louvois et les informations. Dans ces conditions, la décision était forcément inadéquate.

J’aimerais que vous nous expliquiez pourquoi les informations qui vous étaient transmises n’étaient pas bonnes. Vous venez par ailleurs de nous dire que vous pensez que le cœur du système n’est pas bon : est-ce une supposition de votre part ou avez-vous eu des remontées d’information en ce sens ?

Amiral Édouard Guillaud. Je n’avais pas de raison de douter de la qualité et de la complétude des informations qui m’étaient transmises par les personnes responsables du projet. Mais je pense que le patron de la cellule de pilotage du projet n’avait pas lui-même toutes les informations nécessaires !

Je n’ai pas trouvé d’écrit me disant que le système ne marchait pas, c’est donc ma conviction.

Je pense qu’il est temps de mettre en place un plan B. Le système est trop coûteux pour les armées, alors que nous connaissons par ailleurs de fortes contraintes budgétaires. Son dysfonctionnement porte atteinte au moral des militaires, auquel je suis très sensible, sans parler de la question des trop-perçus, qui n’est pas réglée, et qui entraîne des problèmes avec l’administration fiscale.

J’attends donc qu’on me dise ce qu’il va se passer. Comme je l’ai déjà dit, le décret de 2009 a confié ces responsabilités au DRH-MD.

M. Jacques Lamblin. Vous avez raison d’insister sur la complétude des informations car c’est un élément important.

Amiral Édouard Guillaud. Je pense qu’il aurait fallu une direction de programme comparable à celle qu’on trouve dans un programme d’armement. C’était le bon modèle, je l’ai déjà dit. Est-ce que les responsables du projet disposaient de l’ensemble des moyens humains nécessaires ? Je ne peux qu’exprimer des conjectures car, encore une fois, cela est hors de mes responsabilités.

M. Sylvain Berrios. Nous avons tous conscience que l’armée a consenti de très gros efforts depuis une quinzaine d’années, supérieurs à ceux consentis par d’autres administrations. Mais on ne peut pas pour autant dire que l’échec de Louvois est la conséquence de ces efforts. Je vois plutôt deux causes à cet échec.

La première est la faillite de la chaîne d’informations : il y a eu clairement une remontée de l’information défaillante.

La deuxième est l’incapacité des armées, mais pas seulement, à maîtriser un système d’information complexe – on l’a déjà vu avec le système Chorus.

Il y a donc nécessité de prendre rapidement des mesures correctives. Pouvez-vous dire, amiral, lesquelles ?

Amiral Édouard Guillaud. Ce ne sont pas quinze mais plutôt vingt années de réformes que l’armée vient de traverser, depuis la chute de l’URSS en 1991.

L’échec de Louvois n’est certes pas la conséquence de ces réformes mais celles-ci l’ont aggravé. Je dirais donc qu’elles ont eu un effet indirect.

Je ne partage en revanche pas votre analyse sur Chorus. Ce système, interministériel je le rappelle, commence à bien fonctionner et donne de meilleurs résultats que le précédent. Les PME en sont satisfaites.

La remontée d’information vers moi a eu lieu, par la chaîne militaire, et de manière très rapide. Pour ce qui concerne les civils du SGA, ils ne dépendent pas de moi ! Il y a bien deux systèmes de remontées d’information au ministère de la Défense, ce qui rend les choses complexes.

Qu’est-ce que je peux faire ? Encore une fois, cela ne relève pas de mes compétences ! Je suis victime de l’échec de ce système. Les armées n’ont pas été suffisamment associées aux spécifications du logiciel et n’ont pas dirigé ce projet. Cela aurait dû être géré comme un programme d’armement, où la DGA fait parfaitement son travail de direction mais où le chef d’état-major a son mot à dire !

M. Maurice Leroy. Vos propos, amiral, sont clairs et constructifs. Vous assumez pleinement vos responsabilités, ce qui n’est pas le cas de toutes les personnes que nous avons entendues ici. Le nom de Louvois a d’ailleurs été bien choisi, à cet égard.

Je sais que le déploiement d’un logiciel de ce type est extrêmement complexe, pour l’avoir expérimenté moi-même à une échelle moindre, celle des services de mon conseil général. Mais si le prestataire a commis des fautes, j’imagine que vous pouvez lui appliquer des sanctions. Qu’en est-il ?

Amiral Édouard Guillaud. Je ne peux pas m’exprimer sur les sanctions car cela ne relève pas de mon autorité. J’ai néanmoins en mémoire des exemples récents de programmes d’armement où le ministère de la Défense a appliqué des pénalités ou prononcé des réfactions. Cela peut donc intervenir.

Le système, vous l’avez dit, est très complexe à gérer. Il existe plus de 175 indemnités différentes dans les armées, qui de surcroît ne sont pas toutes attribuées selon les mêmes règles en fonction de chaque armée. Cela constitue un facteur de complexité important pour le logiciel. Il nous faut donc nous attaquer à ce vaste chantier de leur simplification et de leur harmonisation. Mais ce n’est pas simple car la rémunération des militaires est constituée en grande partie de primes et qu’il serait difficile de les harmoniser par le bas.

Mme la présidente Adam. Amiral, je vous remercie.

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Informations relatives à la commission

La Commission a procédé à la nomination de ses rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2014. Ont été nommés :

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation :

• Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation : Mme Paola Zanetti.

Défense :

• Préparation et emploi des forces : Marine : M. Gilbert Le Bris ;

• Préparation et emploi des forces : Air : M. Serge Grouard ;

• Équipement des forces — Dissuasion : M. Jean-Jacques Bridey.

Sécurité :

• Gendarmerie nationale : M. Daniel Boisserie.

La séance est levée à dix heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Patricia Adam, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Édith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - M. François André, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, Mme Marie Récalde, Mme Paola Zanetti