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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 26 juin 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 82

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition du contre-amiral Antoine de Roquefeuil, secrétaire général du conseil supérieur de la réserve militaire.

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Chers collègues, nous auditionnons aujourd’hui le contre-amiral Antoine de Roquefeuil dans le cadre du travail que nous entamons pour la loi de programmation militaire. Il nous paraît intéressant d’aborder ce sujet de la réserve en amont. Ce thème paraît d’autant plus important à l’ensemble de la commission que nous avons l’intention d’y travailler au-delà de l’examen du projet de loi de programmation, espérant vous accompagner, amiral, dans votre rôle d’optimisation de l’utilisation de la réserve. On sent bien que, dans ce domaine, des progrès restent à accomplir. Du reste, les travaux qui ont été menés sur la réserve dans le cadre du Livre blanc nous semblent assez succincts. Nous souhaiterions les pousser davantage.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil, secrétaire général du Conseil supérieur de la réserve militaire. Mesdames, messieurs les députés, c’est une chance que la présidente de votre commission soit un ancien membre du Conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM), ce qui contribue à le valoriser. Entre le Livre blanc, auquel j’ai contribué, et que, contrairement à vous, je trouve positif, et la loi de programmation militaire (LPM), le moment me semble bien choisi pour une audition. De plus, le Gouvernement fait montre, en ce moment, d’une véritable volonté pour établir un plan d’action revoyant le rôle et la place de la réserve. C’est donc un moment charnière très intéressant.

Permettez-moi de vous présenter rapidement le Conseil supérieur de la réserve militaire, dont nous avons ici une représentante en la personne de Mme Édith Gueugneau. Il s’agit d’un conseil de soixante-quatre membres qui est présidé par le ministre de la Défense et qui a pour objectif de donner au ministre des avis et des recommandations sur la politique de la réserve. Ces soixante-quatre membres sont répartis en six collèges comprenant des élus (les députés Yves Fromion et Édith Gueugneau ; les sénateurs André Dulait et Michel Boutant), les « grands patrons » des armées et le délégué général pour l’armement, les organisations patronales, les professions libérales, les organisations syndicales, les associations de réservistes et des personnalités qualifiées couvrant un spectre assez large – des DRH, la directrice de l’École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie, le journaliste Christian Chesnot. Nous nous réunissons régulièrement, soit en groupes de travail soit en assemblée plénière, pour proposer et faire évoluer la politique de la réserve.

Depuis 1872, date de sa création, jusqu’à la suppression de la conscription, la réserve a fonctionné selon les mêmes principes. Elle jouissait d’une bonne image qu’elle devait à ses contributions. Ainsi, le jour de la mobilisation générale pour la Première guerre mondiale, 600 000 réservistes ont répondu à l’appel ; durant les mois de mai et juin 1940, 10 000 officiers de réserve ont été faits prisonniers et le sont restés pendant cinq ans. La population française était mêlée de près à la réserve et avait beaucoup d’estime pour elle. Depuis la fin de la conscription, l’emploi de la réserve a profondément évolué mais pas son image auprès du public, qui est restée désuète. À l’occasion d’un sondage effectué il y a un an, on a ainsi constaté que huit sondés sur dix pensaient qu’il n’y avait plus de réserve en France ; ceux pour qui elle existait la croyaient composée uniquement d’anciens militaires ; quant à ses interventions, elles se limitaient aux catastrophes naturelles ou à une éventuelle troisième guerre mondiale. On est loin de la vérité. Ce décalage important entre le ressenti de la réserve dans la population française et ce qu’elle est en réalité est une première conséquence de son évolution.

Une deuxième conséquence est illustrée par ce qu’a été la réserve au cours des douze dernières années. Alors que l’arrêt de la conscription avait entraîné le démantèlement de tous les régiments de réserve, qui comptaient 300 000 hommes, et que les armées avaient fort à faire pour se reconfigurer en armées professionnelles, en 1999, arriva la loi sur la réserve qui en maintenait les deux piliers : le renfort opérationnel et le lien armée-nation. Or les militaires n’avaient pas forcément de la réserve le même point de vue que le ministère, qui a, fort heureusement, donné une impulsion politique à ce moment-là. De 2000 à 2008, le nombre de réservistes a donc progressivement augmenté jusqu’à 60 000, pour moitié dans la gendarmerie et pour moitié dans les armées. En 2008, le corps subit quatre chocs simultanés : la révision générale des politiques publiques (RGPP) ; le Livre blanc ; les réductions budgétaires accompagnées d’une dérive du titre 2, qui couvre les rémunérations et charges sociales ; le passage de la réserve de la tutelle du ministre à celle du secrétaire d’État.

Un de ces quatre chocs a eu des conséquences positives. Avec la RGPP, les armées ont connu une déflation rapide de 54 000 hommes, qu’elles ont comblée en optimisant l’emploi de la réserve, supprimant les emplois marginaux qui lui étaient dévolus au profit d’emplois utiles permettant aux armées d’être plus fortes dans les pics d’activité.

Les trois autres chocs ont malheureusement eu des conséquences négatives. La première est d’ordre financier. Pendant quatre ans, chaque année, lorsqu’on s’apercevait, au mois de juin, que les 15,7 milliards du titre 2 ne seraient pas respectés, on prenait à la réserve 4 ou 5 millions pourtant fondamentaux pour elle. Il faut savoir qu’un million d’euros représente 10 000 jours de réserve ou, plus concrètement, dix jours pour 1 000 réservistes qui étaient censés en faire vingt. Pendant cette période, on a donc coupé le budget de la réserve.

Deuxième conséquence négative, le passage de la réserve sous la tutelle du secrétaire d’État aux Anciens combattants – dont je ne nie pas l’importance, bien au contraire – a créé un amalgame entre anciens combattants et réserve, ce qui n’a pas contribué à donner l’image jeune et dynamique que l’on souhaitait pour elle.

Le Livre blanc de 2008 est à l’origine de la troisième conséquence négative en envisageant de faire de la réserve citoyenne un volontariat hors réserve militaire. Ce fut un véritable coup pour la réserve citoyenne, que l’on coupa de ses repères et à laquelle on fut incapable de trouver une place pendant ces quatre années.

De façon tout à fait étonnante, la LPM de 2009 n’a pas du tout intégré ces chocs et a entériné la montée en puissance de la réserve sur la période 2009-2015. L’objectif était de passer de 60 000 réservistes en 2008 à 80 000 en 2015, sans pour autant que les moyens soient mis au service de cette dynamique. Une véritable divergence s’est alors installée entre une LPM ambitieuse et un état de la réserve qui ne cessait de s’éroder au fil des années, contribuant à déstabiliser celle-ci. En tenant un discours de soutien très fort à la réserve tout en acceptant parallèlement des restrictions budgétaires et des dispositions allant à l’encontre de ce discours, les autorités politiques entretenaient chez les réservistes et leurs responsables un doute sur leurs véritables intentions. Cela ne pouvait pas continuer.

Quelques chiffres sont révélateurs de cette divergence. Alors que l’on visait 40 000 réservistes dans les armées pour 2015, on n’a jamais dépassé les 33 000 de 2008, en perdant régulièrement ensuite jusqu’à tomber à 27 000 en 2012. Le volume d’activité suit une courbe descendante de 1,3 million de jours en 2011 à 1,15 million de jours en 2012. En termes budgétaires aussi la décroissance est continue, passant de 78 millions en 2010, à 74 en 2011 pour finir à 71 en 2012. Le fait de couper les budgets en milieu d’année est encore plus préjudiciable, il a eu un impact considérable sur les réservistes.

Dernier chiffre à retenir, la part des anciens militaires dans la réserve a complètement explosé, passant de 30 à 40 % à environ 60 % dans l’armée de l’air et 66 % dans la marine. Les raisons en sont multiples. D’abord, la forte décroissance des anciens conscrits du service national, qui sont en train de quitter la réserve et qu’il faut remplacer par une population jeune. Ensuite, les restrictions budgétaires ont poussé les armées à se tourner vers les anciens militaires, qu’elles n’avaient pas besoin de former. Elles sont entrées dans cet engrenage qui n’a pas été stoppé par des directives politiques. Désormais, au lieu d’être le reflet de la société civile, la réserve est faite d’anciens militaires qui reviennent périodiquement. Or ce n’est pas du tout ce que l’on cherche.

Le nouveau Livre blanc a été l’occasion de s’interroger sur l’utilité de la réserve, sur son dimensionnement, sur l’utilisation que l’on comptait en faire. Dans un premier temps, nous nous sommes attachés à décider s’il fallait conserver la logique qui a toujours prévalu dans la réserve, à savoir un équilibre entre le renfort opérationnel des armées et le lien entre la nation et son armée. On pouvait considérer, comme certains pays, que ce dernier n’est pas le problème de la réserve et que, les armées n’ayant pas la capacité de fonctionner sans la réserve, mieux valait privilégier le renfort opérationnel en n’employant que des anciens militaires. Techniquement, cela était possible, et je remercie les deux membres du CSRM ici présents de leur soutien alors que les premières ébauches de rédaction avaient de quoi inquiéter. Le ministère de la Défense a souhaité conserver un équilibre et donc une organisation en deux branches avec, d’un côté, la réserve opérationnelle, et, de l’autre, la réserve citoyenne.

Lorsqu’un réserviste opérationnel est en période de contrat d’engagement à servir dans la réserve opérationnelle (ESR), c’est un militaire comme les autres. Il n’y a pas de missions spécifiques aux militaires d’active et aux réservistes. Il y a les missions des armées qui sont remplies par l’active ou par la réserve. Bien sûr, certaines tâches à haute spécificité ne seront jamais remplies par des réservistes, donc aucun ne pourra embarquer à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engin ou piloter un avion de chasse. Toutefois, dans le cadre des OPEX on fait régulièrement appel à des réservistes qui soit sont spécialistes du renseignement ou des services de santé, soit connaissent la région, soit peuvent intervenir en soutien au titre du maintien en condition opérationnelle (MCO).

Il y a trois types de réservistes opérationnels : les experts – médecins, enseignants, informaticiens, interprètes ; les anciens militaires qui comblent les lacunes, en principe ponctuelles, sur certaines tâches ; les tâches de soutien, qui n’exigent pas une formation trop longue, telles que Vigipirate ou autres tâches de surveillance.

La réserve opérationnelle est essentielle. Aujourd’hui, elle compte un peu moins de 30 000 hommes dans les armées, qui consacrent une vingtaine de jours par an. Sans cette réserve opérationnelle, les armées ne peuvent pas remplir leur contrat opérationnel. Concrètement, sans elle, les hôpitaux des armées ne fonctionneraient pas complètement, car des chaînes entières seraient obligées de s’arrêter, la surveillance du territoire et celle de la façade maritime ne seraient pas assurées, et j’en passe. Pour avoir la continuité de notre action militaire, nous avons besoin de cette réserve opérationnelle. Or, 27 000 réservistes présents vingt jours par an ne suffisent pas à satisfaire les besoins.

La réserve citoyenne, au moins une vingtaine de députés en font partie. Sous la précédente législature, un groupe d’étude était présidé par Jérôme Lambert, qui m’a bien aidé à la rédaction d’un projet de directive ministérielle. Je compte sur les députés pour reconstituer ce groupe si ce n’est déjà fait. Sinon, la réserve citoyenne compte 3 000 volontaires bénévoles qui offrent du temps. Elle va être développée, à commencer par le réseau de réservistes citoyens sur la cyberdéfense dont vous avez certainement entendu parler. Nous réfléchissons à tous les domaines déficitaires pour lesquels pourraient être développés de tels réseaux. On trouve facilement des réservistes citoyens. Ce sont des gens de bon niveau qui sont particulièrement utiles.

Une autre réserve est la réserve de disponibilité, qui incombe à chaque militaire quittant l’armée. Pendant cinq ans, ceux-ci peuvent être rappelés en cas de crise grave sur le territoire. C’est la mise en œuvre de la RSN, la réserve de sécurité nationale, loi que vous avez votée en 2011 mais dont l’absence de décret d’application empêche la mise en place alors qu’un véritable besoin se fait sentir sur le territoire national. Si vous y tenez, je vous parlerai des obstructions à l’œuvre.

Le Livre blanc constitue également un tournant en ce qu’il aborde tous les dysfonctionnements actuels de la réserve en proposant des solutions. Par exemple, il souligne la nécessaire cohérence entre l’effort de formation, la réalisation des missions et la durée des engagements. Pour l’instant, 18 000 réservistes environ effectuent au maximum cinq jours par an. Or, pour que la personne soit bien intégrée, les militaires considèrent que la durée doit être de vingt à vingt-cinq jours. Des dispositions sont donc en train d’être prises pour que davantage de réservistes puissent effectuer vingt jours ou plus, de façon à gagner en efficacité pour les armées.

Autre exemple, la fidélisation des réservistes. Aujourd’hui, les personnels entrent dans la réserve assez tôt, lorsqu’ils sont étudiants, mais n’y restent, en moyenne, que deux ans à deux ans et demi, ce qui impose un effort de formation très coûteux aux armées. Chaque année, nous devons recruter plus de 10 000 nouveaux réservistes qui ne sont pas d’anciens militaires. Ce turnover est trop important, nous devons fidéliser plus longuement les réservistes. Cela passe par un travail avec les entreprises, car, une fois embauchés, nos réservistes étudiants n’osent pas se déclarer réservistes et se consacrent totalement à leur charge professionnelle, qui n’est souvent pas compatible avec la réserve.

Le Livre blanc préconise encore de donner priorité aux domaines déficitaires et duaux. Font partie de ces domaines non seulement la cyberdéfense, mais aussi l’intelligence économique, la linguistique, le renseignement, la maintenance aéronautique, et beaucoup d’autres. Former des militaires coûte très cher, aussi faut-il réfléchir à la réalité des besoins. Je connais un officier qui est aujourd’hui un professionnel du chinois, ce qui paraît étonnant pour un militaire. L’armée voulait avoir un certain gabarit de professionnels du chinois. Pendant cinq ou six ans, elle a sorti des gens du système militaire et les a payés pour apprendre le chinois, en vue de les employer comme attachés de défense ou officiers de liaison. A-t-on intérêt à poursuivre de tels investissements excessivement lourds, alors que deux ou trois réservistes pourraient remplir la mission demandée ? Il y a là une source potentielle d’économies.

Autre préconisation du Livre blanc, la nécessité, que j’ai déjà évoquée, d’un partenariat plus fort avec l’entreprise. La loi n’est pas très généreuse avec l’armée puisqu’elle prévoit qu’un employeur ne peut pas s’opposer à ce qu’un de ses salariés fasse cinq jours de réserve par an. C’est peu au regard des besoins qui sont, je le rappelle, de vingt jours. Nous pallions en passant des conventions avec des entreprises, plutôt des grandes, par lesquelles elles acceptent que leurs salariés s’absentent quinze ou vingt jours par an. Nous en sommes aujourd’hui à 330 conventions et espérons atteindre les 500.

Le rééquilibrage entre le personnel issu de la société civile et les anciens militaires est le dernier point soulevé par le Livre blanc. Il fait l’objet de travaux en cours.

Quelle réserve entend-on préparer pour demain ?

L’enjeu de la LPM sera de concilier les deux piliers que sont le lien armée-nation et l’approche opérationnelle. Alors que le premier demanderait une réserve très large, même composée de gens peu présents, de nature à diffuser l’esprit de défense dans toute la nation, la seconde nécessiterait une réserve plus compacte et géographiquement proche des unités militaires. Il y a là un compromis à trouver.

La conciliation de ces deux impératifs dans le cadre du format défini par le Livre blanc passe probablement par cinq orientations : une réserve sans doute plus compacte, plus professionnelle, résultant de la nécessité d’une présence de vingt jours ; un recrutement volontairement dirigé vers des réservistes issus de la société civile ; une gestion budgétaire rigoureuse donnant au réserviste la plus grande visibilité sur le nombre de jours qu’il effectuera non seulement dans l’année mais aussi au cours des années suivantes ; le développement de réseaux d’experts dans des domaines à déterminer ; le repositionnement de la réserve citoyenne. Je suis d’ailleurs en train de rédiger, avec le cabinet du ministre, une directive qui cadre les enjeux de cette réserve citoyenne ainsi que l’organisation à adopter au sein du ministère de la Défense. J’espère que cette directive pourra être signée rapidement, ce qui permettra de donner une nouvelle impulsion à la réserve citoyenne en septembre ou en octobre.

Pour avoir une réserve qui reste motivée, il est essentiel de tenir un langage de vérité vis-à-vis des réservistes. Pendant quatre ans, le doute et l’absence de cap ont été très préjudiciables au renouvellement souhaité. Quatre idées sont à retenir : la réserve opérationnelle est indispensable au fonctionnement des armées ; la réforme doit intervenir en douceur pour ne pas casser l’efficacité du soutien qu’elle leur apporte ; pour optimiser ses capacités, il faut passer de cinq jours de présence à vingt ; le système de recrutement nécessite grandement d’être amélioré, en trouvant un message qui passe auprès des jeunes afin que notre réserve soit un reflet plus fidèle de la société.

Dès son arrivée, M. le ministre et son directeur de cabinet, m’ont fait part de leur volonté d’élaborer un plan d’action. Le Livre blanc a été une heureuse coïncidence et a servi de support à cette volonté d’avoir, dans les deux ou trois ans à venir, une nouvelle réserve plus conforme et aux besoins des armées et à la représentation nationale.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci pour ces éléments de réflexion et de proposition. Nous partageons avec vous la volonté de développer la réserve et de mieux l’utiliser.

Permettez-moi, avant de vous poser quelques questions, de souhaiter la bienvenue à M. Jean-Louis Costes qui nous rejoint à la commission de la défense.

Je suis souvent interpellée, dans ma circonscription, sur les voies de recrutement de la réserve. De nombreuses personnes me contactent parce qu’elles ne savent pas à qui s’adresser pour postuler. De plus, quand elles arrivent à déposer un dossier, elles attendent très longtemps avant d’avoir une réponse. Sachant à qui m’adresser, je leur fais gagner un peu de temps, mais il y a manifestement un défaut de communication sur le terrain, un accueil des réservistes qui n’est pas correctement assuré.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. C’est, en effet, l’un des dysfonctionnements majeurs que nous avons parfaitement perçus. Il s’explique par le fait que les armées, pouvant recruter d’anciens militaires plutôt que des civils, avaient un vivier suffisant pour remplir les postes de réserve et n’ont pas fait de démarche de recrutement. Par ailleurs, nos centres de recrutements, les CIRFA, rencontrent des difficultés à recruter suffisamment de personnels d’active dans l’armée de terre ou dans certaines spécialités qualifiées et y consacrent toute leur énergie, au détriment du recrutement de la réserve. De ce fait, un candidat réserviste se présentant dans un CIRFA se verra éventuellement communiquer un numéro de téléphone mais aucune prise en charge n’est réellement organisée. Le plan d’action en cours d’élaboration prévoit un effort très important d’optimisation du recrutement, tant nous sommes conscients que celui-ci est actuellement très défaillant.

Mme la présidente Patricia Adam. C’est dommage de laisser les candidats à la réserve, en particulier ceux issus du monde civil alors qu’on les voudrait plus nombreux, face à un mur lorsqu’ils se présentent. Ils repartent très déçus. Quel gâchis !

M. Joaquim Pueyo. Dans le cadre d’un rapport pour avis sur le budget de l’armée de terre, je m’étais intéressé aux réservistes. Le chef d’état-major m’avait dit que, dans l’armée de terre, plutôt que les 22 000 réservistes prévus pour 2015, on atteindrait en réalité à peine 16 000. La tendance à la baisse des effectifs a été constatée à partir de 2009 effectivement, au moment de la restructuration de nos armées. Pensez-vous que la perte du lien physique avec l’armée, liée à la disparition des régiments dans certaines régions, a pu avoir un effet sur les motivations des jeunes ?

Au Royaume-Uni, le statut légal de la réserve est assez précis, notamment vis-à-vis des entreprises. Ne conviendrait-il pas de modifier notre cadre légal, qui date de 1999, pour favoriser la réactivité et la disponibilité des réservistes ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. La première raison de la différence d’effectifs dans l’armée de terre est budgétaire. Les armées ont recruté au maximum de ce qu’elles pouvaient faire en fonction du budget qui leur était alloué. Je peux vous dire que 100 % des 78, 74 et 71 millions de 2010, 2011 et 2012 ont été dépensés.

M. Joaquim Pueyo. Les réservistes sont tout de même plus nombreux dans certaines régions que dans celles où il n’y a pas de lien.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Dans vingt-cinq départements, en effet, il n’y a plus aujourd’hui que le DMD, le délégué militaire départemental, qui n’a pas besoin de plus de deux ou trois réservistes.

M. Joaquim Pueyo. Pour développer le lien entre la nation et l’armée, il faut que tout le territoire soit traité de la même manière.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Je disais tout à l’heure qu’il fallait prendre en considération les deux approches. Les armées adaptent leurs ressources en réservistes à leurs besoins. La marine, que je connais le mieux, a tout de même plus l’utilité de réservistes à Brest, Toulon, Cherbourg et Lorient que dans les Vosges ou dans le Lot-et-Garonne. Les 22 000 réservistes que vous mentionnez s’inscrivaient dans la projection de montée en puissance de 60 000 vers 80 000. Cette projection avait été déclinée par toutes les armées, et l’affectation des 22 000 avait été faite compte tenu des bases de défense. Encore une fois, la restriction budgétaire a été le premier frein à ce que l’on en dispose partout. Quand bien même y en aurait-il autant dans toutes les zones, quel pourrait être leur emploi dans les départements où il n’y a pas d’unité militaire ? La gendarmerie dispose d’un maillage territorial mais, dans le cadre de la défense, le DMD aurait bien du mal à occuper plus que les deux ou trois réservistes placés auprès de lui pour préparer des plans de crise.

Mme la présidente Patricia Adam. Ils pourraient être envoyés ailleurs.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Cela finit par coûter cher. En Lozère, il n’y a pas de réserviste ; on en fait venir de 300 ou 400 kilomètres, en leur payant billets de train et nuits d’hôtel. À raison de plusieurs milliers de réservistes, cela pèse considérablement sur un budget aussi faible que le nôtre. Du reste, les réservistes eux-mêmes n’ont pas envie de perdre une demi-journée pour rejoindre leur lieu de réserve. La plupart d’entre eux abandonnent quand leur unité d’affectation est à plus de 200 kilomètres. Dans les vingt-cinq départements dits déserts militaires, on essaie plutôt de répondre en développant la réserve citoyenne.

Pendant la période où les personnes sont en ESR, elles sont sous statut militaire et leur contrat de travail est suspendu. Une difficulté se posait toutefois en cas de blessure au cours de cette période. Des mesures viennent d’être prises au niveau du ministère de la Défense pour que la personne reste sous statut militaire jusqu’à son rétablissement. Cette protection est importante, sachant qu’on compte chaque année de trente à quatre-vingt blessés parmi les réservistes, pour 90 % dans la gendarmerie et la plupart du temps par accidents de la circulation. Avec cette nouvelle disposition, on n’a pas senti le besoin de changer tout le statut légal. La suite dira si cela est nécessaire.

M. Marc Laffineur. Le secrétariat d’État à la Défense et aux Anciens combattants que nous avions mis en place correspondait à une répartition des missions de la défense entre le secrétaire d’État et le ministre. C’est ainsi que la réserve avait été dévolue au secrétaire d’État.

Parmi les améliorations qu’il convient d’apporter à la réserve, une meilleure compréhension entre armée et entreprises figure en bonne place. Il est sans doute plus facile pour les collectivités locales de libérer leurs réservistes, même si elles se satisferaient d’être prévenues plus à l’avance. Comme elles continuent de les payer et qu’ils touchent en plus une compensation par l’armée, ils sont enclins à faire le plus de réserve possible, et les maires en sont parfois avisés au dernier moment. Vis-à-vis des entreprises, la concertation et l’information doivent être améliorées, car, en fonction de la taille et de l’activité de l’entreprise, il est très important de savoir longtemps à l’avance les dates et les durées d’absence du réserviste.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Nous avons des facilités avec les entreprises de défense, qui voient un intérêt à laisser aller chez le client du personnel qui peut y observer le fonctionnement de leurs matériels et assurer du même coup un retour sur investissement. D’autres entreprises, comme Total par exemple, sont assez ouvertes, reconnaissant qu’elles ne pourraient pas exercer leurs activités de forage, de transport maritime ou de raffinage sans la protection des armées françaises. La quote-part du bénéfice qu’elles tirent grâce à cette protection, elles sont prêtes à la rendre en réservistes, à raison de 400 ou 500, qui viennent vingt ou trente jours par an. Elles sont quelques entreprises à considérer cela comme la moindre des démarches citoyennes qu’elles puissent avoir. Nous avons plus de difficultés avec les PME, bien que travaillant avec la CGPME. Même avec des préavis d’un ou deux mois, les PME ont beaucoup de mal à libérer du personnel sur des périodes assez longues. Je dispose d’une soixantaine de réservistes faisant office d’ambassadeurs auprès des chambres de commerce et d’industrie et du conseil économique et social régional, et qui travaillent à rencontrer les entreprises pour leur expliquer la réserve et l’intérêt qu’elle peut présenter pour elles. Ces rencontres peuvent déboucher sur l’établissement de conventions déterminant le nombre de jours libérés, le préavis, le maintien ou non du salaire et les modalités de protection sociale. Nous ne constituerons pas la réserve que nous souhaitons si nous n’arrivons pas à avoir un soutien minimal des employeurs. Vous avez raison, c’est fondamental.

M. Philippe Nauche. Nous avons vu à propos de Louvois qu’après la perte de certaines compétences, il est très difficile de recréer des mécanismes administratifs. Avez-vous une cartographie des compétences ou des spécialités critiques qui manquent aux armées et qui pourraient être compensées par la réserve ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Les armées tiennent effectivement une cartographie suivie des compétences critiques et les recrutements sont faits en conséquence. La meilleure réponse à votre question est la rapidité avec laquelle a été monté le réseau de réservistes citoyens cyberdéfense et la rapidité avec laquelle est en train de se monter un réseau de réservistes opérationnels pour la cyberdéfense. Aujourd’hui, les besoins en cyberdéfense et en cybersécurité dans les armées sont tels que, n’ayant pas le niveau requis, elles doivent se faire aider par des professionnels de la cybersécurité extérieurs. Dans bien d’autres domaines, c’est la même chose. Toutefois, il ne faut pas oublier que le principe de la réserve est une présence réduite à vingt jours. Une compétence critique ne peut pas être remplie sur 365 jours par des gens qui viennent vingt jours par an. D’autres statuts particuliers existent, qui nous permettent d’avoir des personnes sur des durées plus longues. Dans les domaines linguistique, juridique ou dans l’interprétariat, nous n’avons pas forcément toutes les compétences nécessaires, et nous faisons effectivement appel à des réservistes.

Mme la présidente Patricia Adam. Pourquoi vingt jours seulement ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. La philanthropie des réservistes de haut niveau est réelle mais elle a des limites. Ces personnes gagnent beaucoup plus dans le civil que dans l’armée et on ne peut pas leur demander leur contribution pour un salaire de militaire pendant une année entière. Du reste, cela ne serait possible que sous un autre type de contrat. Il n’y a pas de limitation de principe à la durée des périodes de réserve, on peut demander plus que vingt jours. La limitation vient du réserviste lui-même, qui a un autre métier et qui n’a pas l’intention de passer trop de temps dans la défense. En général, on trouve beaucoup de volontaires jusqu’à vingt ou vingt-cinq jours ; au-delà de trente, hormis quelques cas particuliers, ils sont beaucoup plus rares.

Mme la présidente Patricia Adam. Des retraités du monde civil ou de la défense ont des compétences. Pour Louvois, par exemple, on aurait pu prendre quelques retraités des centres territoriaux d’administration et de comptabilité dans la réserve.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Tout à fait, même si, pour préserver le budget de la réserve, on préférerait trouver une autre solution.

Mme la présidente Patricia Adam. C’est bien pire pour le budget de la Défense puisque, pour l’instant, ce sont 300 millions qui sont sortis.

M. Yves Fromion. Les retraités ont-ils le droit de travailler ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Ils en ont le droit jusqu’à cinq ans après la limite d’âge, qui est de cinquante-neuf ans. Jusqu’à soixante-quatre ans, ils peuvent donc cumuler réserve et retraite.

M. Yves Foulon. Vis-à-vis des entrepreneurs, notamment des PME dont on comprend les réticences, pourrait-on envisager un dispositif légal inspiré de ceux qui existent pour les jurés d’assises ou les pompiers, qui soit plus incitatif financièrement ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Nous réunissons régulièrement des groupes de travail pour réfléchir à des dispositifs compensatoires au profit des entreprises. Systématiquement, les membres de ces groupes proposent des compensations financières. C’est ce qu’a mis en avant la Grande-Bretagne, qui s’est lancée dans un programme très ambitieux de réserve, souhaitant faire passer celle de son armée de terre de 15 000 à 30 000 hommes. Or, étonnamment, ces compensations financières ne sont pas considérées comme un argument suffisant par les entreprises, qui refusent de donner des réservistes. Du reste, cette compensation financière doit être bien calibrée, car c’est autant de budget en moins pour la réserve. Je rencontre très régulièrement des DRH et des chefs d’entreprise, et je vois bien qu’ils attendent plutôt une reconnaissance affichée ou le financement de formations duales que nous assurerions auprès de leurs réservistes. Ils reconnaissent que l’armée est porteuse d’un savoir-être et d’un savoir-faire différents et qu’un réserviste constitue un apport évident dans une société. J’ai le sentiment que, à condition d’avoir un préavis suffisant, la plupart des entreprises seraient d’accord pour vingt jours mais que, au-delà, elles craignent un impact trop préjudiciable sur leur fonctionnement. Ce n’est donc pas seulement une question de compensation financière.

M. Sylvain Berrios. La part des militaires dans la réserve est passée, avez-vous dit, de 30 à 60 % et continue d’augmenter, et les missions confiées aux réservistes tendent à changer. Dans la perspective d’un rééquilibrage en faveur du lien armée-nation, risque de se poser un problème de formation des réservistes à des missions de plus en plus spécialisées. Comment mener à bien une politique de formation spécifique des réservistes et quel serait son impact budgétaire ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Il est exact que la volonté de recruter davantage de réservistes issus de la société civile va obliger les armées à réfléchir à une nouvelle distribution des postes de réservistes, même si la nécessité se fera toujours sentir d’en garder 30 à 40 % pour d’anciens militaires. Le budget formation est difficile à évaluer ; pour l’instant, on l’estime autour de 10 % du budget global. Le premier travail à faire est la redistribution des postes. Le réalisme commande de confier aux réservistes des postes ne requérant pas une formation qui occupe 70 % de leur temps de présence dans l’année. Sur une base de vingt jours, hormis la formation initiale assurée la première année, le cycle de formation maximal doit être de cinq à six jours. Il faudra donc calibrer les postes avec ce niveau de formation. La redistribution débouchera sans doute sur moins de postes à haut niveau de qualification. Compte tenu des réductions de format, des pans entiers d’activité ne seront pas remplis ou seront remplis autrement, voire externalisés.

En 2008-2009, des analyses fonctionnelles sur des bureaux de dix personnes ont mis en évidence que certaines tâches n’étaient remplies que deux mois dans l’année, ce qui a permis de supprimer deux postes et d’attribuer les tâches en question à des réservistes. Or, dans certains bureaux, ces postes supplémentaires sont à haute technicité militaire, ce qui nécessite de trouver une autre solution. Cette déflation est l’un des effets de la modernisation de l’action publique, et on a bien un travail de redistribution de postes à faire.

M. Christophe Guilloteau. Vous n’avez pas parlé de la réserve du service de santé, qui est à part mais néanmoins très demandée et très utile dans les conflits actuels, car les médecins militaires ne sont plus assez nombreux pour couvrir tous les théâtres. Comment fonctionne cette réserve des médecins et des infirmiers ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. En principe, le CSRM ne s’occupe pas de l’emploi, je n’en ai donc pas une connaissance détaillée. Je vois que la plupart des réservistes des services de santé sont des hospitaliers. Si quelques-uns se voient confier des missions d’un ou deux mois sur des théâtres extérieurs, la majorité d’entre eux sont déployés dans les hôpitaux français et remplacent leurs camarades partis, eux, pour six mois ou plus sur des théâtres extérieurs.

Mme la présidente Patricia Adam. Je m’étonne de ce que vous dites parce que, au cours de nos déplacements sur le terrain, nous rencontrons souvent, voire toujours, des réservistes infirmiers ou médecins.

M. Christophe Guilloteau. Sous la législature précédente, nous avions un collègue médecin réserviste qui partait souvent faire de la chirurgie dans le cadre d’OPEX.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Sans doute manque-t-il dans notre vivier quelques spécialités très particulières de médecine. À ma connaissance, cela ne concerne que quelques individus. Les services de santé comptent 3 500 réservistes, dont peut-être cinquante partent en opérations, mais les autres restent dans les hôpitaux sur le territoire national.

M. Michel Voisin. En 1999, j’ai été rapporteur du texte relatif à la réserve, qui faisait suite à la professionnalisation. À l’époque, les estimations étaient faites logiquement par rapport aux effectifs. Je voudrais vous faire part d’une réflexion personnelle concernant le civilo-militaire, qui est lié à la réserve.

Si l’on veut que le civilo-militaire soit efficace, il doit allier le militaire et les civils réservistes. En réalité, la réserve ne fonctionne bien que dans la gendarmerie. Les réservistes y atteignent pratiquement tous leurs vingt jours d’activité par an et arrivent à progresser dans la carrière qu’ils se sont fixée. Ce n’est pas vrai dans les autres armes où les anciens militaires occupent dans la réserve opérationnelle, pendant les cinq ans de la réserve de disponibilité, des postes qui nécessitent d’être entraîné et d’avoir acquis certaines procédures. Il y a aussi des spécialistes – des juristes ou gens de chiffres – qui peuvent être employés à faire des audits. On s’aperçoit que le réserviste est employé au soutien des armées et des forces. Quelqu’un qui est spécialisé dans la climatisation, trouvera forcément un emploi pendant ses vingt jours. Il n’en est pas de même de ceux qui, ne possédant pas de spécialisation, s’engagent pour servir : ceux-là seront obligatoirement un peu floués. Ce problème a-t-il été analysé et pris en compte ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Il est exact qu’il y a une grande différence entre les armées et la gendarmerie. Le réserviste dans la gendarmerie est tout de suite opérationnel et retire donc une satisfaction immédiate. C’est pourquoi la fidélisation est meilleure dans ce corps. Dans les armées, la technicité croissante des tâches a conduit à cantonner les réservistes à des tâches de soutien. Nous en sommes conscients mais c’est bien ce qui leur est le plus ouvert. Malheureusement, on ne voit pas comment les impliquer dans le cœur de métiers plus difficiles.

Par actions civilo-militaires, je pensais que vous entendiez présence des réservistes sur des théâtres d’opérations pour la phase de reconstruction de la paix. Sur cette notion, je dois reconnaître un échec, dû pas tant à l’organisation des armées qu’à celle de notre pays. L’État français est ainsi organisé que chacun des ministères des affaires étrangères et de la défense joue sa partie, les actions civilo-militaires de reconstruction d’un pays étant gérées par le Quai d’Orsay et non par la Défense, contrairement à ce que font les Anglo-saxons.

M. Michel Voisin. Je participe, depuis sa création, à l’Assemblée parlementaire de l’OSCE. Par rapport à des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, sans parler des États-Unis ou de la Grande-Bretagne, nous arrivons toujours avec six mois de retard lorsqu’il s’agit de passer à la phase de reconstruction sur les théâtres d’opérations. Je me souviens d’avoir participé, en qualité de représentant de cette commission, à une grande réunion consacrée au civilo-militaire avec des entrepreneurs et le régiment qui avait été installé au quartier Général-Frère à Lyon. Ce fut l’occasion de constater que nous n’avions vraiment pas la culture adéquate. J’avais discuté avec le Président Chirac de la pertinence de copier les États-Unis, dont la pratique de coopération entre le civil et le militaire était la plus efficace parmi les pays présents sur ces théâtres. La réflexion a été lancée, mais nous sommes vraiment loin derrière les pays anglo-saxons et on peut le regretter. Il y a certainement de quoi faire dans ce domaine. Il en va de l’avenir de nos entreprises et de nos marchés extérieurs censés suivre l’engagement de nos forces. Or nous donnons beaucoup mais nous ne récupérons rien après, contrairement à d’autres qui savent beaucoup mieux s’y prendre que nous.

Mme la présidente Patricia Adam. Cela implique une organisation différente avec le Quai d’Orsay.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Le sujet est éloigné de la réserve mais j’ai participé aux travaux consacrés à ce qu’on appelle l’approche globale, cette démarche qui consiste à suivre une crise du début à la fin. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, qui conduisait ces études, a donné des conclusions indiquant qu’il fallait plus impliquer la défense dans la reconstruction, plus travailler avec les réservistes et s’appuyer sur eux pour être plus performant. Or cela n’a jamais été mis en œuvre en raison de divergences. C’est au point que notre groupement interarmées actions civilo-militaires (GIACM), qui était implanté à Lyon, a été englobé dans une entité plus grande dénommée centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE). Maintenant, la seule action des réservistes ou des gens d’active sur les théâtres d’opérations, c’est faire accepter les forces militaires françaises par la population locale. On a complètement abandonné tout ce pan de la reconstruction. C’est le choix politique qu’a fait notre pays.

Mme la présidente Patricia Adam. Quand ce choix a-t-il été fait ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. La date du passage effectif du GIACM au CIAE remonte au 1er juillet dernier.

Mme la présidente Patricia Adam. En matière d’opérations civilo-militaires de reconstruction, on imaginerait très bien qu’on puisse faire appel à des compétences très diversifiées dans la réserve, qu’elle soit opérationnelle ou citoyenne. Ce n’est pas ce qui doit manquer.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Il y a tout de même une grande différence entre les deux : le réserviste opérationnel a un statut militaire, qui l’engage et le protége ; le réserviste citoyen a un statut civil. Que faire s’il lui arrive quelque chose sur le théâtre ?

M. Michel Voisin. À la fin d’un conflit, au moment de la reconstruction, il y a autre chose à mettre en place dans ces pays, notamment l’instauration de la démocratie avec l’organisation d’élections démocratiques et l’installation de l’administration d’un État. Les États-Unis ont des fondations très efficaces dans ce domaine. Ils arrivent les premiers sur place et usent à la fois du renseignement et d’activités parallèles pour placer leurs industries qui prendront les marchés et participeront à la reconstruction. En la matière, il nous manque vraiment quelque chose.

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Vous avez d’autant plus raison que la loi de 1999 avait inscrit, dans les quatre missions de la réserve, l’action civilo-militaire.

M. Philippe Folliot. Certains événements, par exemple le Tour de France, ne pourraient pas se dérouler s’il n’y avait pas la réserve de la gendarmerie notamment.

Co-auteur, pendant la précédente législature, d’un rapport parlementaire sur les actions civilo-militaires, je vous rejoins sur la succession de deux phases totalement distinctes. D’abord, les actions civilo-militaires parallèles à la présence de nos troupes ont pour but l’acceptation par les populations civiles, dans le cadre d’un conflit asymétrique, de la présence de nos forces. Au début des opérations, dans la phase d’intervention, la présence de l’action civilo-militaire est quasiment nulle. Dans la phase de stabilisation, elle monte en puissance. Puis, au fur et à mesure que nos forces quittent le théâtre, son rôle prend de l’importance. Mais quand il n’y a plus de troupes sur place, les actions civilo-militaires n’ont plus de raison d’être.

Le problème de fond de notre organisation, c’est que rien ne vient réellement prendre la suite sur le plan économique, notamment pour la conquête de marchés. Dans des pays solvables dont les ressources peuvent être exploitées, en Afghanistan par exemple, la Chine n’a pas envoyé le moindre soldat sur le terrain mais elle est très douée pour prendre tous les marchés d’exploitation des mines, les marchés d’assainissement dans les grandes villes et bien d’autres dans lesquels nous avons tout de même des savoir-faire. Nous avons parfois connu des situations à ce point ubuesques que nous avons été totalement incapables de tirer la moindre retombée économique, comme au Kosovo. Il s’agit là, toutefois, d’un aspect totalement distinct des actions civilo-militaires à proprement parler.

Ma question a plus à voir avec l’industrie de la défense. À l’occasion de salons internationaux, certains industriels étrangers n’hésitent pas à faire venir des réservistes en uniforme sur leur stand pour promouvoir leurs produits. Pour notre part, nous nous montrons réticents à l’égard de telles pratiques. Qu’en pensez-vous ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. En France, les réservistes opérationnels sont employés dans des structures militaires. Il n’est pas encore là le temps où on les mettra au service d’une industrie ou d’une entreprise particulière. D’autres pays ont moins de préventions que nous vis-à-vis de telles pratiques, mais en France on se l’interdit complètement : elles n’entrent pas du tout dans les missions dévolues à la réserve.

M. Philippe Folliot. C’est peut-être un tort.

M. Alain Marleix. Vous avez parlé de la Lozère, qui est un département rural éloigné de tout et de la mer en particulier, et qui compte peu de réservistes. Le département voisin, le mien, est tout aussi éloigné des unités, pratiquement plus aucun régiment n’y est implanté. Les délégués militaires départementaux ne sont pas toujours surchargés de travail. Ont-ils une mission spécifique au regard de la réserve, qu’elle soit opérationnelle ou citoyenne ? Beaucoup de réservistes se plaignent du manque de contact avec l’armée. Dans la marine, ils ont la chance de pouvoir lire le très beau magazine Cols bleus, qui entretient un lien permanent utile. D’autres réservistes sont vraiment coupés de tout contact. Entre-t-il dans les missions des DMD de faire du prosélytisme sur l’action des réservistes et de nouer des contacts avec eux ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. Le DMD a deux grandes missions : au titre de maillon de la chaîne d’organisation territoriale interarmées de défense, il tient à jour des plans d’action que pourrait mener l’armée dans son département, et, à cet effet, il reçoit directement des directives de l’EMA ; surtout, il assure le rayonnement en s’appuyant sur les réservistes. Là encore, il reçoit des directives pour employer des réservistes à cette fin de rayonnement et de connaissance du lien armée-nation.

On est passé rapidement de cinq ou six départements sans unité à vingt-cinq. Nous sommes en train d’essayer de recruter des réservistes citoyens pour coopérer avec les DMD et travailler à l’amélioration de ce lien de l’armée avec la nation. Si on ne le fait pas, le risque est grand de se retrouver avec des départements où les Français n’auront jamais vu un militaire de leur vie, ce qui serait très mauvais pour la cohésion nationale. La création de lien fait donc bien partie des tâches du DMD.

M. Michel Voisin. Je m’élève contre les propos d’Alain Marleix. La Lozère n’a pas de marine, c’est vrai, et, beaucoup plus à l’Est, le département de l’Ain n’en a pas non plus. Pourtant, grâce à l’action des réservistes qui se sont totalement impliqués, nous avons une préparation militaire marine dont la promotion a été présentée samedi et de laquelle sortent chaque année trente-cinq jeunes qui entrent dans la réserve après avoir obtenu leur brevet. Il n’est donc pas nécessaire d’être un département maritime pour faire des marins.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, amiral, d’avoir répondu à notre invitation.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-David Ciot, M. Jean-Louis Costes, M. Bernard Deflesselles, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Marc Laffineur, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Marleix, M. Philippe Nauche, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. François André, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Patrick Labaune, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. François de Rugy, M. Philippe Vitel