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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 17 juillet 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 87

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information sur le contrôle de l’exécution des crédits de la mission « Anciens combattants » pour les exercices 2011 et 2012 (Mme Sylvie Pichot et M. Marc Laffineur, rapporteurs). 2

— Examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information sur l’opération Serval au Mali (MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche, rapporteurs). 9

La séance est ouverte à neuf heures.

La Commission examine le rapport de Mme Sylvie Pichot et M. Marc Laffineur en conclusion des travaux de la mission d’information sur le contrôle de l’exécution des crédits de la mission « Anciens combattant » pour les exercices 2011 et 2012.

Mme Sylvie Pichot, rapporteure. Il nous revient de vous présenter les travaux de la mission d’information sur l’exécution des crédits de la mission « Anciens combattants » pour les années 2011 et 2012.

L’exécution de ces crédits se déroule généralement sans surprise majeure, les paramètres à prendre en compte, le nombre de bénéficiaires et le montant des prestations, n’étant pas soumis à des aléas significatifs en cours d’exécution. Tel a été le cas pour les exécutions 2011 et 2012.

Aussi, pour enrichir cette analyse budgétaire, nous avons souhaité rencontrer les principaux responsables des programmes de la mission, tels que directeur du service national, la directrice de l’Office national des anciens combattants (ONAC), le directeur de la mémoire du patrimoine et des archives ou encore le directeur de l’Institution nationale des Invalides (INI) mais aussi les associations d’anciens combattants. Nous nous sommes également rendus en Algérie pour comprendre comment fonctionnait le service des anciens combattants sur place – et nous avons été surpris par son niveau très élevé d’activité.

Nous avons choisi, après l’analyse de l’exécution des crédits des années 2011 et 2012 de consacrer une partie de notre rapport au dispositif d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, à l’avenir de l’Institution nationale des Invalides et à la réforme de l’Office national des anciens combattants.

Examinons tout d’abord l’exécution des crédits.

Conformément à la programmation triennale des finances publiques pour les années 2011 à 2014, les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » ont suivi une trajectoire régulière de baisse au cours des années 2011 et 2012.

Cette baisse est le corollaire, d’une part, de la diminution du nombre de bénéficiaires des pensions militaires d’invalidité et de la retraite du combattant et, d’autre part, de la diminution des effectifs de la direction du service national. Elle n’a cependant pas empêché l’augmentation du montant de certaines prestations.

Hors dépenses de personnel, les dépenses du programme 167 « Liens entre la nation et son armée » se sont élevées à 32,8 millions d’euros en 2012, soit 5 % de plus que prévision de la loi de finances initiale pour 2012, 31,2 millions d’euros. Ces dépenses sont presque stables car elles n’ont augmenté que d’1 % par rapport à 2011.

Ces crédits financent l’organisation de la Journée défense et citoyenneté ainsi que la politique de mémoire, notamment la commémoration du centenaire de la Grande Guerre.

Concernant le programme 169, qui finance les pensions militaires d’invalidité et la retraite du combattant, les dépenses sont également très proches de la prévision puisque 2 909,8 millions d’euros ont été exécutés en 2012, soit légèrement en dessous de la prévision, qui était de 2 914,6 millions. Elles sont en diminution de 3,5 % par rapport à 2011.

Les annulations de crédits pendant l’année 2012 ont été une nouvelle fois importantes : 37,6 millions d’euros, dont 24,60 millions destinés à abonder les crédits de la mission « Défense » pour couvrir les dépenses de personnel et de carburants. Cela n’a cependant pas nui au versement des différentes prestations prévues par ce programme.

Les dépenses liées à la retraite du combattant se sont élevées en 2012 à 815,6 millions d’euros, soit 1,6 % de plus que la prévision, qui était de 802,5 millions d’euros. Cette augmentation est due principalement, malgré la baisse des effectifs, au passage de 44 à 48 points au 1er juillet 2012. Le coût budgétaire théorique de cette mesure en année pleine est de 72,38 millions d’euros.

Conformément aux amendements parlementaires à la loi de finances, le Gouvernement a remis au Parlement plusieurs rapports.

L’un fait le point sur la situation, souvent évoquée ici, des veuves des plus grands invalides de guerre et sur les pistes envisagées pour augmenter le niveau de leurs pensions à proportion de celles touchées par leurs époux. Il a estimé à 44 millions le coût d’une telle mesure, ce qui nous semble un peu exagéré, compte tenu du faible nombre de veuves concernées : le rapport les estime à 8 000 alors qu’elles sont vraisemblablement moins nombreuses. C’est un sujet sur lequel notre commission devra se pencher à l’avenir.

L’autre rapport étudie la possibilité d’étendre l’aide différentielle aux conjoints survivants aux résidents étrangers. Le coût potentiel de cette mesure est prohibitif : 55 millions d’euros. Ce n’est donc pas envisageable pour l’instant mais cela ne doit pas nous faire oublier la fragilité juridique du dispositif actuel, servi aux seuls ressortissants français.

Venons-en à présent aux trois thèmes que nous avons choisis cette année.

Plus de trois ans après son entrée en vigueur, le dispositif d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français n’a pas répondu aux attentes qu’il avait suscitées : 11 indemnisations seulement ont été versées pour moins de 300 000 euros au total, sur 800 dossiers reçus, alors que 30 000 personnes sont potentiellement concernées et que 10 millions d’euros sont inscrits chaque année.

Nous avons rencontré les associations de victimes et avons pu mesurer leur souffrance et leur sentiment d’être injustement oubliées. Seul 1 % des dossiers déposés auprès du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ont été indemnisés.

Nous avons également rencontré le CIVEN qui nous a expliqué ses méthodes d’analyse des dossiers, notamment l’appréciation de la « présomption de causalité », que les associations souhaiteraient voir appliquer de façon automatique. Les membres du CIVEN sont également surpris par le faible nombre de dossiers déposés.

Que faire ? La situation semble aujourd’hui bloquée. Tout le monde s’accorde à dire que quelques centaines, au maximum quelques milliers, de personnes devraient pouvoir être indemnisées. Le Gouvernement a déjà élargi la liste des maladies radio-induites et les zones géographiques ouvrant droit à indemnisation sans que cela aboutisse à des résultats significatifs.

Nous pensons qu’il faut d’abord rétablir le dialogue avec les victimes. Pour cela, le CIVEN doit sortir de sa position d’attente et, avec l’aide des services du ministère de la Défense, aller chercher, grâce aux archives dont il dispose, les dossiers des travailleurs fortement irradiés pour leur proposer, le cas échéant, une indemnisation. Cela témoignerait d’une volonté politique forte de sortir du blocage constaté.

Concernant les populations, le CIVEN devrait se rendre en Polynésie et en Algérie pour les rencontrer et expliquer ses méthodes de travail.

Faut-il également, comme le demandent les associations et certains parlementaires, supprimer le calcul de causalité de probabilité et mettre en place une indemnisation automatique, sans analyse individuelle des dossiers ?

Nous estimons ne pas disposer d’assez d’éléments pour nous prononcer sur ce sujet et attendons les résultats de l’audit interne demandé par le ministre de la Défense à l’Inspection générale des affaires sociales et au Contrôle général des armées ainsi que le rapport demandé au Gouvernement par le Parlement par un amendement à la loi de finances pour 2013.

M. Marc Laffineur, rapporteur. Nous nous sommes également penchés sur l’Institution nationale des Invalides (INI), une institution à longue histoire, qui a fait récemment l’objet de débats entre le ministère de la Défense et celui de la santé au sujet de son financement.

Nous pensons que l’INI remplit une mission unique pour la prise en charge de certains malades et dispose d’une expertise rare dans quelques domaines précis, dont, par exemple, celui des esquarres. Son activité n’est donc pas comparable à celle d’autres établissements de santé et il faut préserver sa spécificité.

Le dialogue doit être renoué avec le ministère de la Santé pour assurer la pérennité de son financement et le projet d’établissement pour les années à venir doit lui permettre de poursuivre sa modernisation.

L’Office national des anciens combattants est également en pleine mutation. Il a hérité, au cours dernières années, de nouvelles compétences en matière de mémoire et de délivrance des titres et accompli dans le même temps une transformation complète de son organisation, tout en diminuant ses effectifs et en modernisant son système de gestion de la carte du combattant avec l’installation du logiciel KAPTA.

Il est temps désormais de réfléchir à la façon dont il pourrait mieux accueillir la « nouvelle génération du feu ». Celle-ci adhère moins aux associations d’anciens combattants et n’a pas forcément la culture « ONAC ». Celui-ci pourrait pourtant, grâce à son réseau départemental très dense, être un point d’appui et de soutien important pour ceux qui reviennent d’OPEX. Un pôle autour de la prise en charge de la souffrance morale de nos soldats pourrait ainsi être développé dans les années qui viennent.

Nous nous sommes rendus en Algérie en mai dernier dans un des trois services de l’ONAC au Maghreb. Nous avons été surpris par l’activité qui y régnait : l’ONAC compte là-bas pas moins de 60 000 ressortissants, dont près de 50 000 anciens combattants, et 6 000 veuves.

On observe notamment un afflux de demandes de cartes du combattant qui trouve son explication dans trois sources :

– l’assouplissement des critères d’attribution de la carte du combattant, tout d’abord. Depuis le 1er janvier 2004, la durée de présence exigée sur le territoire algérien entre le 1er novembre 1954 et le 2 juillet 1962 a ainsi été ramenée de douze à quatre mois ;

– l’alignement, depuis le 1er janvier 2007 et la « décristallisation » des prestations du feu, du montant de la retraite du combattant servie aux ressortissants des anciennes colonies françaises sur celle servie aux ressortissants français. Avec un montant fixé à 665,76 euros par an, la retraite du combattant est devenue très attractive pour les Algériens puisqu’elle représente un peu plus de quatre mois du salaire minimum algérien ;

– la baisse de la pression sociale exercée, enfin. Il aurait été impensable, quelques années en arrière, de revendiquer la qualité d’ancien combattant de l’armée française au titre de la guerre d’Algérie. Cette démarche est aujourd’hui pleinement acceptée et ne fait plus l’objet de débat au sein de la population, comme en témoignent les longues files d’attente devant les locaux de l’ONAC, en plein centre d’Alger.

Nous nous sommes également rendus au cimetière du Petit Lac à Oran, où sont regroupées la majorité des sépultures militaires françaises d’Algérie (plus de 10 000 corps) et le cimetière marin de Mers el-Kébir, qui regroupe plus de 1 000 corps. Ces deux sites ont fait l’objet de rénovations récentes et sont parfaitement entretenus.

Nous nous sommes entretenus avec des membres du Conseil de la Nation, l’équivalent du Sénat, et le ministre des moudjahidine, Chérif Abas. Nous avons également évoqué la question des disparus français et il nous a été rappelé que des Algériens aussi avaient disparu. Une meilleure concertation entre nos deux pays est donc sans doute nécessaire sur ce point.

Nous avons aussi été sensibilisés à la question des pupilles de la nation, orphelins de militaires algériens morts dans les rangs de l’armée française. Bien qu’adoptés par la France, ils ne bénéficient d’aucune facilité pour l’obtention de visas ou l’acquisition de la nationalité française.

M. Jacques Lamblin. J’ai rencontré récemment des responsables du mouvement de défense des pupilles de la Nation qui n’entrent pas dans les dispositifs d’indemnisation des orphelins prévus par les décrets de 2000 et 2004. Y a-t-il une possibilité de prendre en compte ces pupilles pour les indemniser ? Le cadre juridique actuel prévoit soit un versement en capital, soit une rente. D’après ce qu’ils m’ont indiqué, le plus important pour eux serait d’être reconnus. Dès lors, leur accorder une rente plutôt qu’un capital serait moins onéreux et constituerait déjà une belle avancée. Ne peut-on pas avancer par étapes dans ce dossier ?

M. Marc Laffineur, rapporteur. Il s’agit là d’une question récurrente. Il a été en effet décidé en 2000 d’indemniser les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites et en 2004 ceux dont les parents ont été victimes de la barbarie nazie. Si le choix leur est laissé entre un versement en capital ou une rente, la grande majorité d’entre eux choisit le versement en capital. Au risque de choquer, l’extension de ce dispositif à tous les orphelins de guerre qui le demandent pose deux problèmes : un problème de coût, estimé à deux milliards d’euros et également un problème moral dans la mesure où il n’est pas possible d’indemniser tous les orphelins de guerre, une Nation reposant aussi sur l’impôt du sang. Je reconnais néanmoins que cette demande est parfaitement compréhensible.

Mme Sylvie Pichot, rapporteure. Cette thématique est abordée très régulièrement par les orphelins d’anciens combattants qui se sentent exclus de tout dispositif. La question du coût est néanmoins centrale et M. Kader Arif, ministre délégué aux Anciens combattants, a d’ailleurs exclu d’élargir à tous les pupilles les mécanismes de réparation des deux dispositifs existants.

M. Jacques Lamblin. Les associations de défense des pupilles de la Nation sont bien conscientes du coût que représenterait un tel versement en capital. Mais le choix de leur accorder une rente, dont le coût annuel serait bien moindre, constituerait toutefois une avancée.

M. Marc Laffineur, rapporteur. Il n’existe pas une seule association de défense des pupilles de la Nation mais des dizaines, qui expriment toutes des positions différentes. Par ailleurs, si certains pupilles sollicitent seulement une certaine forme de reconnaissance, il faut être bien conscient que celle-ci est naturellement le préalable à une revendication de réparation financière !

M. Yves Fromion. N’est-il pas possible d’établir une distinction entre les personnes impliquées dans les combats, comme les résistants dont l’acte d’engagement mérite d’être salué, et ceux morts de façon indirecte, j’allais dire presque par hasard ?

Mme Sylvie Pichot, rapporteure. Cette proposition serait très complexe à mettre en œuvre dans la mesure où, lors de la Seconde Guerre mondiale par exemple, beaucoup de personnes ont été fusillées pour l’exemple, sans qu’elles se soient illustrées par un réel engagement.

M. Marc Laffineur, rapporteur. La difficulté vient du fait qu’on a commencé à faire des catégories de pupilles de la Nation. Il ne faudrait surtout pas replonger dans ce travers.

M. Philippe Vitel. Je voudrais évoquer le problème des dossiers d’endettement des rapatriés d’Algérie. Certaines personnes, très âgées, sont de plus en plus sous le coup de menaces d’expulsion. Il est impératif de trouver le moyen de leur éviter cette humiliation.

M. Alain Moyne-Bressand. Combien d’anciens combattants sont aujourd’hui indemnisés et sur quel théâtre d’opérations ont-ils combattu ? Y a-t-il des Harkis indemnisés en Algérie et par qui ? Avez-vous par ailleurs réfléchi à la problématique de l’indemnisation d’anciens combattants qui sont intervenus sur de théâtres nouveaux. Nous sommes par exemple souvent sollicités par des militaires qui ont été touchés par l’attentat de Beyrouth en 1983 ?

M. Philippe Folliot. La « décristallisation » est certes une mesure de justice, mais elle produit également des effets pervers. En premier lieu, les statistiques indiqueraient que beaucoup de bénéficiaires dans des pays étrangers jouiraient de façon étonnante d’une durée de vie remarquable. Avez-vous abordé ce problème dans votre rapport ? Est-on vraiment sûr que tous les bénéficiaires se présentent bien une fois par an aux autorités concernées ? En second lieu, les mécanismes de réversion semblent souvent aboutir en pratique à ce que des anciens combattants épousent de très jeunes femmes.

Mme Sylvie Pichot, rapporteure. S’agissant de la « décristallisation », nous sommes très satisfaits de nous être rendus sur place en Algérie. Je tiens ici à saluer le travail de l’ONAC et de son directeur, M. Philippe Pagès, qui est très présent et attentif à l’utilisation de l’argent public. Je vous signale par ailleurs qu’il n’existe pas de mécanisme de réversion pour les retraites d’anciens combattants.

M. Marc Laffineur, rapporteur. En Algérie, la question se pose moins pour les retraites des officiers que pour celle des sous-officiers et un contrôle, avec une présence physique obligatoire, est exigé tous les ans. Dans les autres pays, ce sont des receveurs qui vérifient les conditions d’attribution au cours de tournées d’inspection. La problématique des rapatriés ne fait pas partie de notre mission. Pour ce qui concerne les statistiques, on compte aujourd’hui 1,2 million d’anciens combattants, dont plus d’un million d’anciens de la guerre d’Algérie, le reste concernant essentiellement les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale et ceux engagés dans les opérations extérieures, ces derniers étant au nombre de 30 000 environ.

Mme la présidente Patricia Adam. Il n’y a pas qu’en Algérie que l’on rencontre des hommes d’âge avancé épousant des jeunes femmes…

M. François André. Il est parfois intéressant de s’interroger sur les raisons pour lesquels certains crédits sont sous-consommés. C’est le cas notamment de ceux destinés à l’indemnisation des victimes de dommages résultant des essais nucléaires, dont la sous-consommation chronique révèle les difficultés d’application du dispositif législatif.

En la matière, l’enjeu est double.

D’une part, il est juridique. En effet, dans de nombreux cas, les tribunaux administratifs annulent les décisions de refus d’indemnisation rendues par la puissance publique, au motif que le « risque négligeable » qu’elle invoque n’est pas suffisamment motivé. Cela conduit les demandeurs à redéposer une nouvelle demande d’indemnisation, sans pour autant pouvoir disposer d’éléments nouveaux à verser à leur dossier.

D’autre part, l’enjeu est également financier. Dans le contexte budgétaire actuel, le risque est loin d’être nul de voir Bercy tirer argument de la sous-consommation de ces crédits pour les réduire drastiquement, ce qui pourrait conduire à une situation de sous-dotation budgétaire si la procédure d’indemnisation était améliorée, comme il est souhaitable !

Le problème ne tient pas au dispositif législatif concerné, mais à ses conditions d’application. Il faudrait en effet examiner les procédures suivies devant le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), et assouplir les critères requis pour établir le lien de causalité entre les dommages et l’exposition aux essais nucléaires. Il faut en tout état de cause une reconnaissance d’une forme ou d’une autre pour les personnes qui ont été manifestement exposées lors d’essais.

M. Christophe Guilloteau. La question des pensions de réversion soulève de véritables difficultés. Nous avons pu mesurer, lors de notre récent déplacement au Mali, que la décristallisation de leur montant avait rendu le dispositif très attractif, et que l’âge de certains de ses bénéficiaires est parfois un peu trop canonique pour être crédible… Qu’est-il prévu pour que les services diplomatiques contrôlent que les bénéficiaires sont toujours en vie ?

M. Marc Laffineur, rapporteur. On ne saurait prétendre qu’il n’y a aucune fraude en la matière, mais en principe, la pension ne peut être servie que si son bénéficiaire a, au moins une fois par an, un contact physique avec les services administratifs compétents pour son contrôle.

S’agissant des victimes des essais nucléaires, la question est délicate. En effet, les études épidémiologiques montrent qu’en moyenne, la prévalence des cancers parmi les personnes exposées à ces essais n’est pas supérieure à ce qu’elle est pour l’ensemble de la population. Mais le faible nombre de cas d’indemnisation conduit à se poser des questions.

Mme Sylvie Pichot, rapporteure. La loi a été votée pour répondre au besoin de reconnaissance des victimes des essais, or le taux de refus devant le CIVEN dépasse 99 %... Le devoir de reconnaissance de l’État envers les personnes concernées est essentiel. Mais ce n’est pas au législateur d’établir la réalité scientifique. La solution est à trouver dans un meilleur placement des curseurs dans les critères d’indemnisation.

Aujourd’hui, certaines associations de victimes n’envoient même plus de demandes d’indemnisation au CIVEN, ou en envoient très peu, pour éviter au malade d’avoir à essuyer une décision de refus d’indemnisation. Le rôle, et peut-être la composition, du CIVEN méritent sans doute d’être réexaminés. Notre rapport tire le signal d’alarme, mais c’est au CIVEN qu’il revient maintenant de faire en sorte d’apporter une réponse acceptable au problème, ce qui ne peut pas être considéré comme étant le cas aujourd’hui avec 1 % seulement de réponses positives.

Mme la présidente Patricia Adam. Pour ce qui est des pensions, il est tout à fait possible de demander aux services compétents la répartition de leurs bénéficiaires par âge et par pays.

M. Daniel Boisserie. J’ai rencontré les représentants des veuves de grands invalides, qui ont attiré mon attention sur deux points : d’une part, quand bien même un invalide toucherait une rente qui atteindrait 15 000 euros de son vivant, sa veuve peut se retrouver avec 500 euros seulement à sa mort. D’autre part, les indemnités servies en capital ne sont pas soumises à l’impôt de solidarité sur la fortune. Le dernier rapport administratif sur le sujet ne s’est pas appuyé sur des statistiques fiables. Les estimations varient entre 44 millions d’euros pour le Gouvernement et 258 000 euros selon les veuves. Il faudrait sans doute « creuser » davantage ce sujet, en rappelant que l’âge moyen des veuves de grands invalides atteint presque 85 ans.

M. Jean-Jacques Candelier. Je souhaite évoquer la question des « fusillés pour l’exemple », ces 650 soldats perdus face à des ordres parfois imbéciles. À l’approche du centenaire de la guerre de 1914, ne serait-il pas temps de les réhabiliter ?

Mme Sylvie Pichot, rapporteure. Il n’est pas fréquent que le montant d’une pension d’invalidité atteigne 15 000 euros. Et si l’on allait au bout de la démarche souhaitée par certaines associations, avec le versement d’une pension de réversion strictement proportionnelle à celle de la pension d’invalidité, le résultat serait à l’avantage de certaines veuves, mais au détriment de la majorité d’entre elles. En outre, les veuves ont le droit à l’aide différentielle servie au conjoint survivant (ADCS), versée par l’ONAC : elles ne sont pas abandonnées, et nous y veillons.

M. Marc Laffineur, rapporteur. Les fusillés pour l’exemple relèvent de situations très différentes qui doivent faire l’objet d’une étude au cas par cas.

Mme Sylvie Pichot, rapporteure. Le ministre est également en faveur d’un examen individuel des dossiers.

M. Frédéric Lefebvre. Je souhaite apporter une information en complément des interventions de mes collègues Folliot et Guilloteau pour éclairer le débat. Les Français de l’étranger à la retraite ont l’obligation de fournir personnellement un certificat d’existence annuel. Ce dispositif pourrait servir de modèle pour résoudre les difficultés évoquées.

M. Marc Laffineur, rapporteur. Afin d’éviter les tricheries et les documents falsifiés, le contact physique est déjà obligatoire.

Mme la présidente Patricia Adam. Ce contact est assuré en Algérie par les services de l’ONAC que vous avez pu rencontrer.

Mme Sylvie Pichot, rapporteure. L’ONAC est effectivement présent sur le terrain et se déplace lorsque les personnes concernées ne sont pas en mesure de le faire.

La Commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport de la mission d’information en vue de sa publication.

La Commission examine ensuite le rapport de MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche en conclusion des travaux de la mission d’information sur l’opération Serval au Mali.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Je voudrais tout d’abord avoir une pensée pour les six militaires français, un officier et six sous-officiers, tués dans l’accomplissement de leur mission au service de la France.

Le feu a été engagé le 11 janvier 2013 sur ordre du Président de la République, dans le cadre de ses prérogatives de chef des armées, telles que prévues par l’article 15 de notre Constitution. Dès le 15 janvier, le bureau de notre commission a décidé de créer une mission d’information sur l’opération Serval au Mali, qui s’inscrit pleinement dans son rôle de contrôle et d’évaluation.

Je remercie les membres de cette mission, dont huit se sont rendus au Mali, qui ont tous participé activement à cette mission. Notre programme de travail a été chargé, avec plus de dix-huit auditions et un déplacement au Mali du 23 au 28 avril 2013 pour rencontrer les militaires français en opération et se déplacer sur le terrain afin de mieux appréhender les conditions concrètes de leur engagement. Pour ma part, je me suis déplacé, dans le cadre d’une session nationale de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), en Côte d’Ivoire, où se déroule l’opération Licorne, au Ghana et au Togo, premier pays à avoir déployé une partie de ses troupes au Mali dès le 13 janvier.

Ce rapport, publié à la veille de la prochaine loi de programmation militaire, est attendu et je mesure toute son importance. Je rappelle également que, le 22 avril 2013, l’Assemblée nationale a autorisé, par un vote unanime, la prolongation de l’intervention des forces françaises au Mali, pays ami avec lequel nous partageons une langue commune et dont environ 80 000 ressortissants résident en France, témoignant ainsi d’une vraie cohésion nationale.

Au terme des travaux de la mission, il apparaît en premier lieu que la France est intervenue légitimement au profit d’un État faible de la zone instable du Sahel et qu’elle a su, malgré d’importants défis, y remporter une victoire militaire indéniable et montrer sa détermination à lutter contre le terrorisme.

La France s’est très tôt impliquée dans la résolution de la crise malienne, suivant une recommandation du Livre blanc de 2008 selon laquelle le bassin sahélo-saharien présente un intérêt stratégique pour la France. Le Livre blanc de 2013 reprend d’ailleurs largement cette analyse puisqu’il confirme que le Sahel demeure une zone d’intérêt prioritaire pour la France et analyse les « risques de la faiblesse ».

Il faut en effet se souvenir que l’État malien était fragile de longue date - en proie à de fréquents coups d’État depuis son indépendance en 1960 -, que ce pays grand comme deux fois et demi la France – avec 1 400 kilomètres entre sa capitale et les zones de combat – était devenu une zone de trafics en tout genre et que des groupes armés djihadistes avaient défait le mouvement de rébellion touareg de 2012 revendiquant leur indépendance.

C’est l’offensive imprévue de trois groupes djihadistes (AQMI, MUJAO et Ansar Eddine) qui a précipité l’intervention française, intervention qui, dois-je le rappeler, s’appuie sur une base juridique incontestable, puisqu’elle répond à une demande d’aide formulée par le Président du Mali et qu’elle s’inscrit dans le cadre de l’article 51 de la Charte des Nations unies relatif à la légitime défense.

Les objectifs poursuivis par la France ont tout de suite été clairement énoncés : arrêter l’avancée des groupes terroristes descendant vers Bamako ; préserver l’existence de l’État malien et lui permettre de recouvrer son intégrité territoriale ; favoriser l’application des résolutions internationales.

Bien que certains en doutaient au début, l’opération Serval est une réussite militaire. Une parfaite maîtrise du feu a de plus évité des dégâts collatéraux, toujours possibles dans ce type de conflit. La devise de la Brigade Serval est « Un seul but, la victoire » : cette dernière est désormais militairement acquise, grâce à l’aide de forces africaines.

Par rapport à l’intervention en Afghanistan, où elle intervenait à côté de quarante-sept nations et sous la conduite des États-Unis, la France a joué au Mali un rôle de « leader » et a démontré sa capacité à entrer en premier sur un théâtre.

L’opération Serval a réussi à surmonter des défis considérables : climatique, logistique mais aussi médiatique. J’ai été personnellement impressionné par l’audition de la Délégation à l’information et à la communication de la défense (DIcOD), qui a bien mis en évidence le rôle crucial de la communication militaire.

L’objectif était de reconquérir l’intégrité territoriale du Mali et de détruire le potentiel de combat des groupes armés djihadistes (GAD) ; c’est désormais chose faite. La France a permis au Mali de retrouver une forme d’indépendance et il faut désormais que ce pays puisse s’assumer seul, avec d’abord l’organisation d’élections.

S’il est fréquent d’entendre des critiques sur l’état de notre armée, parfois reprises par les chefs d’état-major eux-mêmes, plusieurs équipements et matériels ont fait, au cours de cette opération, la démonstration de leur haut niveau de technicité, qu’il s’agisse du véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), de l’hélicoptère Tigre, qui a montré toute sa puissance de feu, du canon Caesar, dont quatre ont été engagés dans l’Adrar des Ifoghas ou des Rafale et des Mirage 2000, qui ont réalisé un travail quasi chirurgical, avec des outils performants comme les pods de reconnaissance et les munitions de précision, sans oublier la Marine nationale dont le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Dixmude a amené de Toulon toute une logistique indispensable. Tout cela montre la cohérence globale de nos choix capacitaires et de la complémentarité de nos moyens interarmées.

Toutefois, si la France a su entrer en premier sur un théâtre d’opération distant de plus de 4 000 kilomètres de la métropole, l’opération Serval a été menée avec l’aide de nos alliés naturels, américains – transport aérien, ravitaillement en vol, et qui ont en outre apporté une aide de 50 millions de dollars –, canadiens – transport stratégique –, allemands – transport aérien et groupe médical –, belges – transport aérien tactique et moyens d’évacuation sanitaire –, danois – transport aérien –, espagnols –transport aérien –, hollandais – transport aérien –, britanniques – transport maritime et aérien – et polonais – démineurs et munitions –. L’Europe de la défense a su être présente et il convient donc de remercier nos alliés et partenaires européens.

M. Philippe Nauche, rapporteur. Je partage ce qui vient d’être dit. Il me revient maintenant d’exposer les enseignements que l’on peut tirer de l’opération Serval.

Le premier enseignement à tirer a trait à la coopération sur le terrain et au rôle joué par la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) mais aussi par la population malienne. En effet, il faut souligner que les contingents africains de la MISMA et ceux qui leur sont associés, comme ceux du Tchad par exemple, l’armée malienne et, de plus en plus fréquemment, la population elle-même - qui rassurée par la reconquête du territoire malien et le retour progressif des institutions étatiques, n’hésite plus à fournir des renseignements humains aux militaires qui contribuent ainsi utilement à la découverte de caches d’armes et de stock de munitions- ont fourni une contribution non négligeable à l’opération Serval.

Il y a également des leçons à tirer en termes de déficits capacitaires qui n’ont pu être comblés – au moins partiellement – qu’avec l’appui de nos alliés. Si la France a démontré sa capacité à entrer en premier sur le théâtre malien, le constat doit être modéré par le fait que l’on avait affaire, en face, à une force technologique de niveau moyen.

Des lacunes capacitaires ont ainsi été relevées en matière de capacités de projection, tant stratégique que tactique. Si plus de la moitié des capacités françaises en matière de ravitaillement en vol ont été déployées sur le théâtre malien, celles-ci se sont révélées insuffisantes. Cette dépendance à nos alliés limite fortement notre autonomie stratégique, qui est pourtant le fondement de la stratégie française depuis plusieurs décennies.

En second lieu, l’opération Serval a confirmé les limites de certains matériels existants, le plus souvent anciens. On peut citer comme exemple le cas de l’hélicoptère Gazelle, qu’il est impossible, aux dires des utilisateurs, de faire évoluer pour recevoir des kits de protection en fonction du niveau de menace. La perte de deux hélicoptères Gazelle et le décès tragique d’un des pilotes, le chef de bataillon Damien Boiteux, dès les premiers temps de l’opération Serval, rappellent la vulnérabilité intrinsèque de ce modèle d’hélicoptère. On peut également citer le cas du drone Harfang, qui n’offrait sur la totalité des zones d’opérations que 14 heures de présence continue en vol et ne permettait donc pas de remplir des missions de couverture « information, surveillance et renseignement » (ISR) de façon permanente, compte tenu des élongations. On peut encore citer le cas de l’hélicoptère Puma qui a un rayon d’action trop faible pour couvrir la totalité des zones d’intervention de nos forces au Mali, ce qui a nécessité de disposer de points de ravitaillement au sol.

Par ailleurs, notre rapport insiste sur le fait que la crise malienne a montré les limites des mécanismes européens de gestion de crise existants, même si la détérioration de la situation sécuritaire en janvier 2013 et le déclenchement de l’opération Serval a significativement accéléré le processus de planification opérationnelle de la mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM Mali), créée plusieurs mois auparavant. La mutualisation de fait de moyens européens, sur la base du volontariat, montre qu’une Europe pragmatique de la sécurité et de la défense n’est peut-être pas hors d’atteinte mais qu’elle a un certain nombre de limites qui ont trait à la capacité à décider. Une des caractéristiques de l’opération Serval est en effet d’avoir été menée de façon autonome, avec un processus de décision d’une grande rapidité, ce qui n’est pas une caractéristique du processus de décision européen.

Notre rapport indique également que si l’opération Serval a confirmé les progrès de l’interarmisation, celle-ci peut encore être approfondie, en particulier dans le domaine de l’interopérabilité des moyens d’information et de communication conventionnels, satellitaires et en transmissions de données. Il ressort également de nos travaux que l’opération Serval a montré certaines limites dans le partage et la fusion en temps réel du renseignement, notamment avec les forces spéciales.

Comme d’habitude, le problème du financement des opérations extérieures s’est posé à l’occasion de l’opération Serval qui a engendré, comme pour toute opération extérieure, des surcoûts importants et difficilement maîtrisables. Selon les évaluations fournies à vos rapporteurs par le ministère de la Défense, les opérations au Mali entraînent des surcoûts qui peuvent être évalués à 250 millions d’euros à la fin du mois de mai 2013, constitués à la fois de dépenses de masse salariale et de dépenses de fonctionnement.

Nous sommes heureux de voir que le Livre blanc de 2013 intègre déjà certains enseignements de l’opération Serval : importance du principe d’autonomie stratégique pour nos interventions extérieures ; mention des lacunes capacitaires observées à l’occasion de l’intervention française ; confirmation de la place et du rôle des forces spéciales ; pertinence des forces pré positionnées en Afrique ; nécessité de consolider le dispositif d’alerte de l’armée de terre « Guépard » ; rappel de l’articulation du dispositif de défense français avec les mécanismes européens et internationaux de sécurité et de défense.

Toutefois, la prochaine loi de programmation militaire devra organiser le comblement de ces lacunes et devra en préciser les conditions de réalisation. C’est véritablement un des enjeux majeurs de cette LPM.

Enfin, la dernière partie de notre rapport se penche sur le scénario de sortie de la crise malienne. En effet, si la guerre est gagnée, la paix ne l’est pas encore.

Avec le désengagement progressif, relativement rapide quoiqu’un peu en retard par rapport au calendrier annoncé, de l’armée française, la sécurité du Mali devrait reposer à l’avenir sur les forces armées maliennes, sur les casques bleus de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et sur les éléments français appelés à rester sur place à plus long terme. Ces derniers joueront, à partir de 2014, un rôle d’appui aux Forces armées maliennes ainsi qu’à la MINUSMA.

Par ailleurs, nous analysons dans notre rapport la transition vers les forces africaines et multinationales, avec la MINUSMA qui a entamé sa montée en puissance – avec un objectif final de 11 000 soldats, 1 400 policiers et un millier de civils – et le rôle des pays frontaliers du Mali (Algérie, Burkina Faso, Mauritanie, Niger) dans la stabilisation du pays.

S’agissant du règlement de la crise politique malienne, le processus électoral semble enfin en bonne voie, avec l’annonce des dates de l’élection présidentielle, dont le premier tour devrait se tenir le 28 juillet et le second le 11 août, tandis que le processus de réconciliation nationale, qui demandera du temps, connaît de premiers succès avec la mise en place d’une Commission nationale de dialogue et de réconciliation, et la signature, en juin 2013, d’un accord de cessez-le-feu entre les autorités maliennes et les groupes touaregs stationnés autour de Kidal.

Notre conviction est que la stabilisation du Mali ne sera pas accomplie par la seule résolution de la question sécuritaire : elle nécessite aussi de reconstruire un État et une économie que des années de clientélisme et de tolérance à divers trafics avaient minés, sinon détruits.

Après la reconstruction de l’État dans ses missions régaliennes – avec notamment la mise en place de services douaniers suffisamment robustes pour lutter contre les trafics et la corruption – le redéploiement des services publics élémentaires – eau, électricité, structures sanitaires, infrastructures scolaires – constitue donc une priorité, mise en avant par les autorités civiles rencontrées à Gao. Les membres de la mission d’information ont pu mesurer combien la population locale appréciait la reconstruction, financée par la force Serval, du marché couvert de Gao. Symboliquement, ce marché porte le nom du lieutenant Damien Boiteux, premier mort français de l’opération.

En conclusion, la France a certes remporté une victoire militaire au Mali, mais le pays n’est pas encore totalement stabilisé, la reconstitution des forces armées maliennes prendra du temps et le risque djihadiste au Sahel n’est pas éliminé. Nul doute que la stabilisation de l’ensemble de la région nécessitera donc une approche politique globale dépassant largement un cadre purement militaire.

Mme la présidente Patricia Adam. Je voudrais que vous précisiez comment s’est réalisée la coopération entre les forces armées, les forces spéciales et le renseignement.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Les forces spéciales étaient sur place depuis longtemps et sont intervenues en premier, au déclenchement de l’opération. Elles sont effectivement un peu à part et une meilleure coordination pourrait peut-être se faire à l’avenir avec les forces conventionnelles. Elles ont accompli en tout cas un travail exceptionnel et magnifique.

M. Philippe Vitel. Les rapporteurs me semblent bien optimistes sur le soutien que nous ont apporté nos partenaires européens. Les Belges avaient par exemple fourni deux hélicoptères de soutien médical à l’EUTM qu’ils ont retiré en mai. Depuis quelques jours, ces deux hélicoptères ont été remplacés par des appareils d’une société privée sud-africaine. Que fait l’Europe ? Sommes-nous condamnés à de telles solutions ?

M. Jean-Jacques Candelier. Après un peu plus de six mois, force est de constater que l’intervention militaire française a été efficace et a stoppé l’avancée des islamistes. Alors que j’étais plutôt réservé initialement, cette intervention se distingue bien de celles des Américains en Irak, par exemple.

Les élections présidentielles approchent et sept candidats sur 28 ont souhaité retarder le scrutin. La France va diminuer le volume de ses troupes, qui vont se transformer en une sorte de force parallèle sous l’égide de l’ONU ? Quel sera son véritable rôle ?

M. Philippe Nauche, rapporteur. La difficulté que nous rencontrons avec les autres pays européens est que nous ne disposons pas des mêmes circuits de décisions et des mêmes règles d’engagement de nos forces. La solidarité financière et matérielle est en revanche effective, même si l’exemple cité par M. Vitel est problématique.

Le rôle des forces qui resteront après l’élection présidentielle est clair : il s’agira d’une mission d’appui à la MINUSMA, pour occuper physiquement le terrain et être capable de faire face à des imprévus.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. La mission des hélicoptères belges s’étendait du 29 janvier au 31 mai, ce qu’ils ont fait. La difficulté que rencontrent les Européens lorsqu’ils veulent participer à une opération militaire tient avant tout à nos Constitutions, qui divergent sur les autorités de décisions et les règles d’engagement. Les Allemands et les Danois doivent par exemple respecter un dispositif complexe d’autorisation par le Parlement avant la projection de leurs armées.

Nos forces doivent accompagner le processus électoral et seront réduites à un millier de personnels après les élections. Il ne faut pas non plus oublier que notre présence sur place doit tenir compte du fait que nous avons des otages sur place.

M. Marc Laffineur. Je suis surpris d’entendre les rapporteurs dire que nous avons été beaucoup aidés par nos partenaires européens ! En réalité, nous avons décidé d’intervenir seuls et nous n’avons pas été tellement aidés. Cela n’est d’ailleurs pas étonnant, car nous avions décidé unilatéralement de partir d’Afghanistan avant nos Alliés. Quant à la réalité des rares contributions, elle ne manque pas de poser question, notamment si l’on se réfère aux contraintes d’emploi de l’hôpital de campagne allemand déployé au seul profit de la mission de formation EUTM.

Il faudra s’en souvenir lorsque nous examinerons la loi de programmation militaire, qui amputera encore le budget de la défense.

Vous estimez que nous serons 1 000 à la fin de l’année, mais je suis persuadé que nous serons plus nombreux et que nous y resterons encore longtemps.

M. Jacques Lamblin. Vous avez souligné avec raison la qualité de l’intervention française dans un contexte difficile. Vous avez insisté sur l’efficacité de l’organisation qui a permis de projeter nos forces à plusieurs milliers de kilomètres de notre territoire.

Je voudrais aussi souligner la qualité de nos hommes et de leur encadrement, qui ont fait la preuve de leur motivation et de leur résolution. Si seulement toutes les missions régaliennes de l’État pouvaient être remplies de la même manière ! Nous devrons nous en souvenir lorsque nous examinerons la LPM.

Vous nous avez fait part de points faibles, notamment s’agissant des drones. Avez-vous décelé d’autres faiblesses, y compris en ce qui concerne les matériels individuels, pour lesquels un correctif pourrait rapidement être apporté sans mettre à mal les finances publiques ?

Mme la présidente Patricia Adam. Les moyens mis en œuvre sont ceux de la LPM qui se termine.

M. Yves Fromion. Ce qui montre bien le succès de cette loi !

Mme la présidente Patricia Adam. Vous savez que nos équipements ont une durée de vie d’une trentaine d’années et qu’il faut donc aussi se référer aux choix qui ont été effectués il y a plusieurs décennies. Nous aurons l’occasion d’en reparler à l’occasion de l’examen de la prochaine LPM.

Pour ce qui concerne l’opération Serval, il est important de souligner l’excellence de cette intervention, où nos forces ont utilisé parfaitement les matériels qui étaient à leur disposition.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Vous pourrez prendre connaissance dans le rapport de l’inventaire du matériel utilisé, dont nous avons indiqué les faiblesses : certains véhicules de l’avant blindés (VAB) ont plusieurs dizaines d’années, les hélicoptères Gazelle ne sont pas assez protégés, comme en témoigne le décès survenu le premier jour, les Puma ont un rayon d’action insuffisant et les moyens cartographiques sont à améliorer… En revanche, l’armée dispose aussi de moyens extraordinaires tels que le Tigre, les avions de chasse et les avions de renseignement, les GBU (Guided Bomb Unit) qui sont d’une grande précision. Un Rafale a, par exemple, effectué un vol de 9h30, le vol le plus long jamais réalisé, avec cinq ravitaillements organisés depuis Nancy jusqu’à la cible. Tout ceci démontre que les matériels permettent un déploiement sans difficulté sur un théâtre situé à 4 000 km en dépit des lacunes capacitaires affichées clairement dans le Livre Blanc et qui feront l’objet d’une discussion lors la prochaine loi de programmation militaire.

M. Philippe Nauche, rapporteur. Je ne souhaite pas polémiquer avec Marc Laffineur mais j’observe que les trous capacitaires en matière de drones, d’avions de surveillance et de ravitailleurs, comblés par nos alliés, dont les États-Unis et le Canada, sont tout de même le résultat de la précédente loi de programmation militaire qui n’a pas été complètement exécutée. Il convient donc de regarder cela avec raison.

M. Joaquim Pueyo. Certains de nos collègues semblent contester l’intervention de l’Europe et je souhaite introduire quelques nuances. En l’occurrence, la diplomatie française a parfaitement joué son rôle. La France a décidé seule d’intervenir au Mali, l’Union européenne a approuvé l’intervention et des pays nous ont prêté main-forte. Que pouvait-on souhaiter de plus ? La France a ensuite soutenu la mise en place de missions internationales pour l’après intervention et la stabilisation et la sécurisation du pays.

Vous avez évoqué le matériel mais vous avez aussi rencontré les hommes du rang. Pouvez-vous, compte tenu de la spécificité de l’environnement, nous donner des informations sur l’état moral et physique des soldats ? Le nombre d’hommes va passer de 3 000 à 1 000, le sas de décompression a-t-il été mis en place à Chypre et que savez-vous d’éventuels traumatismes physiques ou psychiques ? J’ai eu l’occasion de rencontrer le 13 juillet le 2e RIMa dont la 1ère compagnie de retour du Mali a défilé à Alençon, et mon impression a été positive, êtes-vous en mesure de la confirmer ?

M. Bernard Deflesselles. Je m’associe aux félicitations des rapporteurs et je souhaite apporter un témoignage en tant que membre de cette mission, qui fut particulièrement enrichissante en raison de la qualité des auditions que nous avons menées sur place, mais aussi avec le chef d’état-major de l’armée de terre, avec le général commandant les opérations spéciales, ou ici-même avec le président de l’Assemblée nationale du Mali et des représentants maliens, et dont l’excellent niveau nous a aidé à la compréhension de la situation. Notre déplacement sur place avait un objectif militaire, celui de conforter les soldats français et d’observer les conditions dans lesquelles s’exerçait leur mission. Nous avons été remarquablement accueillis et nous avons pu comprendre comment 4 000 hommes avaient pu être projetés en un temps record, avoir un éclairage sur les opérations spéciales, rendre visite à la MISMA et rencontrer les représentants de l’Union européenne, qui a envoyé 550 hommes chargés de la formation de plusieurs brigades. Notre conviction sur la qualité de nos soldats en a été renforcée. Dans le cadre de l’objectif politique de cette mission, des discussions ont eu lieu avec le Premier Ministre, le ministre de la Défense et des anciens combattants, des représentants du Parlement malien qui nous ont permis d’apporter, modestement, notre pierre à l’édifice.

Deux enseignements, déjà mentionnés par les rapporteurs, sont à tirer : d’une part, la France est en mesure d’aider un pays ami à maintenir la démocratie et à organiser l’élection du 28 juillet prochain et, d’autre part, le retour d’expérience sur l’équipement permet de mettre en lumière les points positifs, le Tigre, le VCBI, le canon CAESAR, qui fut très apprécié, et négatifs, le trou capacitaire en matière de drones, de Puma, de Gazelle.

Nous avons devant nous un débat important dans le cadre de la prochaine LPM qui portera sur la capacité de la France à conduire des missions similaires à l’avenir.

M. Philippe Nauche, rapporteur. L’état d’esprit des personnels militaires rencontrés est très positif, lié au sentiment du devoir accompli et d’avoir participé à une œuvre utile dont les résultats sont visibles.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Il y a eu de nombreuses évacuations sanitaires, principalement dues à de très graves insolations ; les soldats ne pouvaient tenir plus de quelques jours en situation de combat dans l’Adrar des Ifoghas. Des chocs psychologiques ont été enregistrés notamment chez des légionnaires aguerris qui se sont trouvés face à de tout jeunes soldats drogués qu’ils n’ont, en dépit de leurs efforts, pas toujours pu épargner.

Nous nous sommes rendus avec Mme la Présidente à Lyon-Mont Verdun où nous avons pu apprécier la coordination depuis la France de la logistique aérienne, grâce à des moyens de commandement peu visibles, mais indispensables à l’organisation de l’opération.

Le sas chypriote, mis en place pour les soldats de retour d’Afghanistan, a été activé et a vu passer 1 000 personnes de retour du Mali.

M. Yves Fromion. La meilleure façon de juger de la qualité d’une loi de programmation militaire est d’apprécier la valeur de l’outil militaire qui en est issu. Le Mali, et l’Afghanistan, démontrent que la France dispose d’un outil militaire de premier plan, ce que personne ne peut contester. Les soldats, et pas seulement les légionnaires, se sont trouvés dans l’Adrar des Ifoghas face à des guerriers fanatisés dans des situations comparables à celles de Verdun, face à face, à bout portant, et ont accompli des actions extraordinaires, en tenant psychologiquement, comme me l’ont rapporté des médecins militaires. L’état de l’armée française témoigne ainsi du résultat des lois de programmation militaire et, en dépit des lacunes identifiées, d’une valeur dans l’emploi sur le terrain remarquable et comparable aux meilleures armées du monde et que beaucoup peuvent nous envier. On ne rendra jamais suffisamment hommage à ces hommes et ces femmes qui ont quitté leur unité du jour au lendemain pour se battre et il convient de féliciter les chefs capables de les encadrer ainsi.

Comment la sécurité dans le nord va-t-elle être assurée ? Les élections vont-elles pouvoir se dérouler sereinement dans cette partie du pays ? Comment s’articule l’action de nos forces avec la recherche des otages français, qui peuvent paraître oubliés dans les médias, et existe-t-il des perspectives de libération ?

Mme la présidente Patricia Adam. Les otages ne sont pas oubliés, y compris dans les médias. Le Gouvernement, le Parlement, la population ne les oublient pas mais dans cette affaire la prudence et la confidentialité sont essentielles.

M. Yves Fromion. Je tiens à répondre car je suis mis en cause personnellement. Je n’ai pas dit qu’il s’agissait du Gouvernement mais des médias, je tiens à ce que mon propos soit rapporté exactement.

Mme la présidente Patricia Adam. Les médias apprécieront.

M. Gilbert Le Bris. J’ai apprécié la mise au point de Mme la Présidente, utile pour la sérénité de nos débats. La parole a toujours été libre ici, hier et aujourd’hui, et j’estime, au regard d’interventions précédant celle de M. Fromion, qu’elle doit continuer à être celle d’une commission de travail et non celle d’un meeting électoral.

Je reviens d’une réunion de l’assemblée parlementaire de l’OTAN à Washington, où j’ai été très surpris de constater que nos collègues de commissions analogue à la nôtre dans des pays ayant participé à l’opération au Mali, Canada, Belgique, Pologne, Pays-Bas, etc., ne sont pas, comme nous l’avons été, informés de l’action d’appui de leur pays, dont ils ignoraient parfois l’existence. Cette observation est à prendre en compte dans la perspective d’une Europe de la défense plus pertinente.

Trois thèmes ont été abordés : le rétablissement de la sécurité assuré par la France, le rétablissement économique qui est en cours et auquel participent plusieurs pays, le rétablissement démocratique pour lequel des doutes subsistent chez nos partenaires et sur lequel doivent porter nos efforts.

Je souhaite dire à nos rapporteurs qu’il convient de mentionner le rôle des Atlantique de l’aéronavale dans l’opération malienne, qui se sont, pour partie, substitués aux drones qui nous ont manqué. Il faudra en tirer les conséquences dans la prochaine LPM.

Sait-on où se trouvent les djihadistes chassés du Mali ?

Mme la présidente Patricia Adam. Nous pourrons, une fois le rapport publié, adresser à chaque pays une lettre de remerciements pour l’action menée, signée des deux rapporteurs et de moi-même, ce qui pourra permettre à chacune des commissions de se saisir de cette question si elle le souhaite.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Les ambassadeurs que nous avons rencontrés au cours des auditions ont tous remercié notre pays dont ils ont reconnu l’action exceptionnelle. Nous sommes partis seuls mais les premiers soutiens, belges notamment, sont arrivés très vite, chaque pays étant soumis au délai imposé par ses règles constitutionnelles.

Beaucoup de djihadistes ont disparu, certains ont coupé leur barbe et sont rentrés chez eux ; certains ont, parfois, été dénoncés par la population. Lors de notre visite au Mali, 647 arrestations avaient déjà eu lieu. D’autres djihadistes sont partis à l’étranger, notamment en Libye. Il s’en trouve également dans le nord du pays où a eu lieu le dernier incident avec les forces spéciales ; un français, originaire de Bretagne, a d’ailleurs été capturé au prix d’une opération ayant mobilisé des moyens importants. Parallèlement, la recherche des otages se poursuit mais nous ne disposons d’aucune information à ce sujet.

M. Philippe Nauche, rapporteur. L’essentiel de nos troupes se trouve dans le Nord, où la sécurité est assurée aussi par la MINUSMA et 200 soldats maliens entrés dans Kidal. Il s’agit d’un équilibre subtil entre ce que peuvent accepter les Touaregs et les exigences de l’État malien en espérant que les élections dans le Nord, qui représente une faible partie du corps électoral mais un poids politique important, se passeront dans de bonnes conditions.

M. François de Rugy. Si nous portons tous une appréciation favorable sur le succès de cette opération, il convient de rester prudent quant aux conséquences politiques durables pour lesquelles un bilan est prématuré.

Il me semble que le jugement exprimé sur la participation européenne est optimiste car il ne s’est pas seulement agi d’un problème de processus de décision politique mais bien d’un problème de volonté politique. Ainsi nos homologues Verts allemands, qui sont favorables à ce type d’intervention, m’ont indiqué que la participation allemande n’était pas portée politiquement, a fortiori à quelques mois des élections législatives de septembre. Reconnaissons donc qu’il n’y a pas de communauté d’intérêt et de destin sur ces questions.

Pouvez-vous m’indiquer quelle a été au cours des six derniers mois l’implication de l’armée malienne, celles des Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), auxquels aurait été « sous-traitée » par l’armée française la reprise de Kidal, et celles des forces africaines ?

Combien de soldats français sont-ils appelés à rester au Mali, pour combien de temps et pour quel coût ?

Pour ce qui concerne les enseignements qui devront être tirés dans le cadre de la future LPM, il conviendra d’être plus précis que dans le Livre blanc, ce dernier se bornant à indiquer que « la LPM devra organiser le comblement de ces lacunes et leur mise en œuvre » ce qui est trop général au regard des choix stratégiques et budgétaires qui s’imposeront.

M. Serge Grouard. Je salue tout d’abord l’excellence des personnels militaires français, déjà démontrée dans d’autres opérations.

L’Union européenne, alors même qu’il existe un véritable consensus sur la lutte contre le terrorisme, est passée totalement à côté d’une occasion d’exister politiquement. Tout le monde a suivi les États-Unis quand il s’est agi de l’Afghanistan mais personne n’a suivi la France au Mali. Je ne mets pas en cause la diplomatie française, car les raisons sont malheureusement bien plus profondes et il faut impérativement se poser la question de l’existence politique de l’Europe.

On entend en permanence dire dans cette commission que de précédentes lois de programmation militaire ont été mal appliquées, mal réalisées. Or j’ai eu l’occasion de travailler au sein du ministère de la Défense pendant de nombreuses années sur ces lois de programmation et je suis en mesure de vous indiquer que la précédente a été l’une des mieux appliquées de la Ve République. Il convient donc de cesser de dire qu’elle a été mal appliquée alors qu’elle l’a été à environ 95,5 %...

Mme la présidente Patricia Adam. Pouvons-nous nous concentrer sur le thème d’aujourd’hui ? Un rapport sur le sujet que vous évoquez a été présenté la semaine dernière, un prochain rapport abordera en septembre un autre aspect de l’application de la LPM, vous pourrez alors en débattre.

M. Serge Grouard. J’ai salué l’excellence de nos militaires mais je souhaiterais qu’il soit procédé à une évaluation de l’intensité de l’opération. Sans porter atteinte à quiconque, je pense qu’il s’agit a priori d’un conflit de faible intensité, ce que vous voudrez bien me confirmer. J’ai le sentiment que, dans un conflit de relativement faible intensité, nos soldats compensent par leur excellence la faiblesse de nos moyens. Ce serait donc une erreur de se servir de cette opération pour évaluer les moyens nécessaires aux forces et il faudra anticiper un conflit de plus forte intensité. Ceci n’est pas nouveau car les moyens baissent depuis 30 ans et nous arrivons aujourd’hui à l’étiage, peut-être même en dessous.

M. Philippe Nauche, rapporteur. La notion d’intensité est assez difficile à manier et les matériels dont était doté l’ennemi au cours de l’opération Serval ne peuvent en rendre compte à eux seuls. Il convient en effet de s’attacher aussi à la détermination extrême de l’adversaire lors des combats. La notion d’intensité prend également tout son sens lors de cette opération au travers de la véritable prouesse logistique et de la maîtrise de distances. À l’exception de quelques problèmes ponctuels, la logistique a suivi et permis le rythme des opérations.

S’agissant de l’Europe de la défense, l’état de coopération au cours de l’opération Serval reflète l’état présent de la culture commune de défense. D’ailleurs, si nous déplorons les retards de l’Europe de la défense, nous revendiquons dans le même temps l’autonomie nationale de décision pour l’engagement de l’opération. Il faut donc dresser un bilan honnête : l’autonomie complète de décision, dans un cadre de légalité internationale, implique aussi d’accepter que les autres États n’aient pas les mêmes règles de décision, tout en saluant leur apport. Au demeurant, les forces engagées au Mali ont sans doute trouvé plus aisé d’opérer dans un cadre national plutôt que dans un cadre multinational, dans lequel la multiplicité des autorités de décision et des règles d’engagement n’aurait pas été adaptée au terrain et à la mission.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. L’intensité des combats a été considérable, ce dont témoigne la consommation de munitions d’aviation et d’artillerie. La reprise de Gao a donné lieu à des combats de rue très violents, tandis que dans l’Adrar des Ifoghas ont eu lieu pratiquement des corps à corps ainsi que des affrontements de tireurs d’élites. Si l’on compare avec l’intervention en Afghanistan, l’opération Serval a été plus courte mais plus brutale, et les pertes rapportées à la durée des opérations sont supérieures au Mali.

M. Yves Fromion. La question portait davantage sur la dissymétrie des matériels en présence.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous invite à relire le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui apporte nombre de réponses à cette question.

Mme Marie Récalde. Je salue à mon tour nos soldats engagés dans cette opération. Ma première question porte sur les forces spéciales et le partage du renseignement. Faut-il renforcer les capacités de renseignement du COS, tant en hommes qu’en matériels ? Cela pourrait passer par l’intégration en son sein d’unités comme le CPA 10 et le CPA 30. Il est nécessaire de maintenir l’autonomie budgétaire des forces spéciales, afin de pouvoir permettre l’acquisition de matériels très spécifiques en petites séries. Je considère également qu’il est important que les parlementaires se rendent auprès de nos forces sur les théâtres d’opération, tant pour leur témoigner notre soutien que pour nous informer.

Disposez-vous d’information sur le statut juridique et le devenir des prisonniers faits par nos forces au cours de l’opération, puis remis aux autorités maliennes ?

M. Nicolas Dhuicq. Par-delà l’éthique, le courage et le professionnalisme des soldats français, plusieurs questions se posent dans le cadre de cette opération. La première est que le Mali est un pays divisé, sans accès à la mer ni matières premières. Je m’interroge d’ailleurs sur cette volonté de maintenir des frontières artificielles héritées de la colonisation, et nous n’avons pas fini de connaître des déboires en Afrique si nous continuons sur cette voie. Nous sommes en plein paradoxe, car nous continuons à parler de souveraineté alors que le ministre de la Défense annonce l’acquisition de drones américains. Si l’on se réfère à l’échec de la « germanisation » de drones américains par l’Allemagne, avec un coût de 500 millions d’euros, on peut s’interroger sur le projet de « francisation » de dix des drones que nous allons acquérir. Il y a également une interrogation sur le choix crucial à effectuer entre les ravitailleurs en vol et l’A400M Atlas. Je doute également de la cohérence du raisonnement lorsque l’on annonce des suppressions de postes supplémentaires dans le domaine du soutien, alors même que la projection de nos hommes ne s’est pas faite dans des conditions aussi satisfaisantes qu’on veut bien le dire et que sur le terrain ils ont parfois manqué de l’essentiel. Je pense que le Livre blanc est dénué de toute pensée géostratégique. Nous nous trouvons face à la question fondamentale de savoir si le pays sera encore capable d’intervenir au sol dans les années qui viennent, en faisant pour cela les efforts budgétaires nécessaires, ou si Serval est le chant du cygne des opérations au sol.

M. Philippe Meunier. Cette mission d’information souligne le rôle indispensable de notre commission pour le maintien du lien entre l’armée et la Nation. Le pouvoir politique savait que nous faisions face à des hommes surarmés, mais nous avons attendu pendant des mois sans prendre de mesures pour mettre en place un dispositif davantage durci. Est-ce dû aux déclarations du Président de la République annonçant que nous n’interviendrions pas militairement au Mali, ou bien s’agit-il d’un problème capacitaire ? Nos alliés européens ne nous ont guère suivis, mais n’est-ce pas parce qu’ils ont été eux-mêmes surpris par notre intervention militaire, en contradiction avec les déclarations politiques ayant précédé pendant des mois ? Enfin, combien de combattants djihadistes ont-ils été éliminés et combien en reste-t-il ?

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Les forces spéciales ont effectué un magnifique travail ; elles sont intervenues dès le premier jour, et en ont payé le prix, le premier tué à l’ennemi provenant de leurs rangs. Il est indispensable qu’elles continuent à bénéficier d’un statut particulier. Il existe sans doute des marges de progression en termes de coordination avec l’action des autres composantes. S’agissant des frontières du Mali, elles s’expliquent largement par l’héritage de la décolonisation et il ne nous appartient pas d’y porter atteinte.

M. Philippe Nauche, rapporteur. La Mali ne dispose peut-être pas de ressources naturelles, mais c’est un pays allié et c’est à la demande de son chef de l’État que nous sommes intervenus. Quant à l’anticipation de la crise, il faut bien souligner que c’est cette demande, à la suite de l’offensive djihadiste vers le sud, qui a changé la donne. En outre, beaucoup de forces avaient été pré positionnées dans la région et les militaires avaient dressé des plans ; mais rares sont les observateurs qui auraient parié sur l’erreur stratégique des groupes djihadistes armés de marcher sur Bamako… Sur les pertes de l’adversaire, le nombre de tués est évalué à plusieurs centaines, et il est par définition difficile de savoir précisément combien de djihadistes se sont échappés vers d’autres zones ou se sont fondus dans la population.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Les prisonniers faits sur place ont été remis à la justice malienne, à l’exception de ceux de nationalité française, qui sont traduits devant la justice française.

Mme la présidente Patricia Adam. N’oublions pas que le Mali dispose de quelques minerais rares. Il se trouve en outre sur une route de narcotrafic, bénéficiant aux groupes djihadistes.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Je précise pour terminer que les cartes d’électeur pour les prochaines élections au Mali, hautement sécurisées, ont été réalisées en un temps record par une entreprise française.

La Commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport de la mission d’information en vue de sa publication.

La séance est levée à onze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents.– Mme Patricia Adam, M. François André, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, M. Jean-Louis Costes, M. Bernard Deflesselles, M. Nicolas Dhuicq, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Christophe Léonard, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André, M. Philippe Vitel, Mme Paola Zanetti

Excusés.– M. Ibrahim Aboubacar, M. Olivier Audibert Troin, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Guy Delcourt, Mme Edith Gueugneau, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Alain Marty, M. Jean-Michel Villaumé