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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 11 septembre 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 88

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense (Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Damien Meslot, rapporteurs). 2

La séance est ouverte à seize heures trente.

La Commission examine le rapport de Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Damien Meslot, en conclusion des travaux de la mission d'information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense.

Nous allons maintenant entendre Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Damien Meslot, rapporteurs de la mission d'information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense. Je sais que vous avez attaché une importance toute particulière à l'« affaire Louvois », question qui a été abordée à nouveau avec les militaires que nous avons pu rencontrer lors des Universités d'été de la défense.

M. Damien Meslot, rapporteur. Ce rapport présente la conclusion de plusieurs mois de travaux, conduits en bonne intelligence avec ma collègue, dans une excellente ambiance. Je tiens à le souligner et à l'en remercier.

Notre programme de travaux, très dense, nous a conduits à procéder, depuis décembre dernier, à plusieurs dizaines d'auditions ainsi qu'à sept déplacements sur le terrain. Nous nous sommes ainsi rendus à Belfort - malgré la neige... - à Cherbourg - malgré les intempéries... - à Solenzara, au centre de pilotage et de conduite du soutien, le CPCS, à Toulon, au centre expert en ressources humaines de la Marine, à Nancy, au centre expert en ressources humaines de l'armée de terre, ainsi qu'Abou Dhabi par 47 degrés à l'ombre - la dernière-née des bases françaises, dont le fonctionnement repose largement sur des externalisations - et enfin à Londres, pour y étudier le premier bilan que font les Britanniques de leur politique d'externalisations.

Mme la rapporteure. Nous nous étions fixé d'emblée un champ d'investigation très large : l'ensemble des mesures de réforme du ministère, qu'elles découlent de la dernière LPM ou de la RGPP, à savoir la déflation des effectifs, le report des économies sur les programmes d'armement, l'embasement des armées et la modernisation de l'organisation du ministère. Du fait de l'actualité, Louvois a tenu une place très importante dans nos travaux ; nous y consacrons d'ailleurs plus du tiers de notre rapport : c'est en quelque sorte un rapport à l'intérieur du rapport.

M. le rapporteur. Notre constat d'ensemble est positif: force est de constater que les armées, directions ou services du ministère ont été au rendez-vous de la réforme. Sans entrer ici dans tous les détails, mais pour résumer à grands traits, j'évoquerais quatre points.

Premièrement, les déflations prévues ont été réalisées, et même au-delà, puisqu'on est en avance de 3 000 postes sur le cadencement initialement prévu des déflations. Et pourtant, l'objectif était ambitieux : 54 000 suppressions d'emplois sur la période de programmation 2009-2014.

Deuxième point, la nouvelle chaîne de soutien, profondément remaniée, a été mise en place et commence, si j'ose dire, à «entrer dans les mœurs». La mesure-clé de la réorganisation de cette chaîne, c'est bien sûr la mutualisation des soutiens de proximité au sein des bases de défense, et l'instauration d'un mode de relation client / fournisseur entre les soutenus et les soutenants, en lieu et place du fonctionnement strictement hiérarchique qui prévalait jusqu'alors. La réforme a d'ailleurs été plus rapide et plus profonde que prévu, puisqu'à la suite des premières expérimentations, il a été décidé de réduire le nombre de bases de défense - on en compte 51 en métropole et neuf outre-mer - et d'achever l'embasement dès 2011.

La réorganisation des soutiens ne s'est pas arrêtée là.

Troisième point, moins spectaculaire car moins visible mais tout aussi important : la modernisation des pratiques de gestion. En important des outils et des méthodes de gestion du secteur privé, on a réalisé des économies considérables. À titre d'exemple, la professionnalisation de la fonction « achats » nous fait économiser environ 230 millions d'euros par an, soit 10 % des contrats gérés suivant les nouvelles méthodes.

Quatrième et dernier point : le « choc culturel » qu'a constitué la réforme est en voie d'être surmonté. Les pratiques ont profondément changé, et, comme on nous le disait à Solenzara, les militaires avaient une culture du commandement, et non du management : mais on y vient, en matière de soutiens.

Mme la rapporteure. Il y a un point unanimement reconnu comme positif dans la réforme, c'est son dispositif de pilotage et d'accompagnement. Un pilotage administratif ad hoc a été mis en place, et hormis pour Louvois, il a bien fonctionné.

Surtout, les restructurations ont un impact social et affectent des territoires dont la vie est souvent très liée à l'activité militaire - ce sont des élus de Belfort et de Cherbourg qui vous le disent... Des outils d'accompagnement social et d'accompagnement territorial ont été mis en place, et ils ont fonctionné.

S'agissant de l'accompagnement social, les outils financiers – principalement le « pécule » pour les militaires et l'indemnité de départ volontaire pour les civils – ont été largement utilisés. Néanmoins, l'efficience du dispositif financé par le « pécule » ne semble pas vraiment avérée. Le directeur des affaires financières du ministère estime le coût annuel de versement des pécules à 140 millions d'euros, ce qu'il juge élevé par rapport au montant des économies que permettent ces départs, évalué à 220 millions d'euros par an. L'efficacité du dispositif est encore plus limitée si l'on tient compte des coûts de recrutement en remplacement des personnels bénéficiaires du «pécule». On soupçonne d'ailleurs certains effets d'aubaine, ou en tout cas un manque de ciblage des aides. Mais, en matière d'accompagnement social, il n'y a pas que les outils financiers : l'accompagnement a plutôt bien fonctionné.

S'agissant des dispositifs d'accompagnement territorial, au-delà d'une tendance bien connue au saupoudrage et de certains effets d'aubaine - le tramway de Metz a été en partie financé par la Défense... -, on doit constater que les opérations financées ont plutôt eu un impact favorable sur la création d'activité et d'emplois directs et indirects. Les aides directes aux 240 entreprises qui ont réalisé des investissements dans les territoires touchés par les restructurations sont d'un montant de 30 millions d'euros et ont permis 5 800 créations d'emplois selon le secrétariat général pour l'administration. L'enveloppe globale de 300 millions d'euros a permis de développer des projets utiles et intéressants, à partir de diagnostics territoriaux « sur mesure ». Nous avons pu le constater sur place, à Cherbourg.

M. le rapporteur. Si le bilan global est bon, tout ne s'est pas pour autant toujours passé comme prévu. Notre rapport analyse ainsi les échecs ou les demi-échecs de certains pans de la réforme.

En effet, on misait, pour faire simple, sur trois facteurs pour contenir les dépenses de soutien et dégager de marges pour les équipements : primo, des économies de fonctionnement ; secundo, des économies de masse salariale avec les déflations ; tertio, des recettes exceptionnelles.

Les économies de fonctionnement s'avèrent difficiles à chiffrer, faute d'expertise financière et, notamment - nous l'avons découvert avec surprise -, de comptabilité analytique au sein du ministère. Les recettes exceptionnelles, c'est bien connu, ont suivi un calendrier un peu chaotique : elles sont arrivées plus tard que prévu, et se sont avérées supérieures aux prévisions pour les cessions de fréquences, mais inférieures pour les cessions immobilières. Enfin, et surtout, on assiste à un curieux paradoxe : moins le ministère a d'effectifs, plus il a de dépenses de personnel... Cela s'explique notamment par une tendance au « repyramidage » des effectifs: on supprime beaucoup d'emplois dans les catégories les moins payées, et fort peu de postes d'officiers généraux. Cela s'explique aussi par les mesures de revalorisations de la condition militaire intervenues depuis 2009 et par le coût des aides au reclassement.

Mme la rapporteure. Cela s'explique aussi par une civilianisation des effectifs moins avancée que prévue. En effet, pour des raisons tenant aux obligations statutaires, un militaire coûte toujours plus cher qu'un civil : à salaire égal, il consacre 1 000 heures par an à des fonctions administratives, là où un civil en consacre 1 600 : il a moins d'obligations de maintien en condition, de formation, etc. Dès lors, moins on civilianise les effectifs et moins on contrôle la masse salariale. Il ne s'agit bien sûr pas d'opposer les militaires et les civils : les deux catégories sont nécessairement complémentaires. Mais alors que de nouvelles déflations dans le soutien sont annoncées, il serait intéressant d'étudier les économies pouvant être réalisées en civilianisant les postes administratifs non opérationnels. La déflation dans le soutien a déjà été très importante et pose parfois dans les bases de défense des problèmes proches de la rupture de capacité. Mais pour nombre de postes strictement administratifs aujourd'hui tenus par des militaires dans la chaîne de soutiens, on pourrait dégager des marges de manœuvre en augmentant la proportion de civils.

M. le rapporteur. Une autre ombre au tableau : l'impécuniosité de l'État. La réforme du ministère commence en effet à la veille de la crise, et le ministère de la Défense, fatalement, a pâti lui aussi de la crise des finances publiques. Résultat : des budgets resserrés, des économies pesant prioritairement sur les soutiens pour préserver l'outil opérationnel. Mais cela a sa limite : les bases de défense sont aujourd'hui véritablement paupérisées, et pour les personnels, il est parfois difficile de faire la part des difficultés dues à la réforme et de celles qui résultent simplement du « tour de vis » budgétaire.

Mme la rapporteure. On observe également que la réforme n'est pas toujours allée jusqu'au bout de sa propre logique. Je m'explique : on a souhaité mutualiser les soutiens et les confier aux commandants des bases de défense, à charge pour eux d'optimiser le service rendu. Les groupements de soutien des bases de défense sont pilotés, au niveau national, par un sous-chef d'état-major «soutien» appelé commandant interarmées des soutiens, COMIAS, qui s'appuie sur le CPCS avec des relais intermédiaires que sont les cinq états-majors régionaux de soutien, dont la nécessité et l'utilité ne sont pas avérées. Des chaînes de soutiens spécialisés demeurent pilotées en direct depuis Paris, avec des relais régionaux eux-mêmes éloignés des bases de défense. L'intégration des soutiens n'est donc pas complète.

M. le rapporteur. Nous avions voulu, au début de nos travaux, nous pencher sur le dossier Balard. Tout nous y portait : MM. Cornut Gentille et Cazeneuve y avaient consacré de larges développements il y a 18 mois, et le projet, un temps critiqué, suit finalement son cours. Nous avons donc saisi le ministre d'une demande de communication de certains audits. La réponse qui nous a été faite par son cabinet a été aussi tardive que partielle. On pourrait y voir un très regrettable manque de transparence, ou en tout cas une articulation pour le moins défectueuse entre le ministre et les parlementaires, qui, au sein de notre Commission, ont toujours montré qu'ils savaient, lorsqu'il y a lieu, garder le secret sur les informations qu'on leur transmet. Nous n'avons donc pas pu pousser aussi loin que nous le voulions nos investigations sur le dossier Balard. Ce dossier méritera donc de faire l'objet d'un travail approfondi.

Mme la rapporteure. Venons-en au grand raté de la réforme : Louvois.

Avant tout, une précision : quand on parle de Louvois, c'est par commodité : il faudrait en réalité parler de dysfonctionnements de l'ensemble de la chaîne RH-solde, qui repose sur plusieurs outils informatiques différents. Louvois ne marche pas, c'est certain, mais son raccordement en bout de cette chaîne RH-solde a aussi révélé certains dysfonctionnements d'autres éléments de la chaîne.

Louvois est un projet vieux de quinze ans. Au gré des expérimentations, puis sous l'effet de la RGPP, il a plusieurs fois changé d'orientations techniques, pour arriver à ce que l'on sait.

Les dégâts sont considérables : on voit beaucoup les dysfonctionnements de Louvois dans l'armée de terre, et ils sont réels, mais ils touchent aussi tous les services et toutes les armées qui y sont raccordés. Contrairement à une idée parfois exprimée ici par d'anciens hauts responsables du ministère, Louvois n'est pas le problème de la seule armée de terre. Quand nous sommes allés au CERH de Toulon, nous avons constaté que l'équipe de ce centre anticipe et corrige les erreurs engendrées par Louvois avant la validation finale de la solde par des opérations de contournement. Mais nous avons aussi constaté que lorsque les erreurs dans Louvois sont corrigées, les contournements effectués par le CERH ne sont pas pris en compte automatiquement par le système, ce qui suppose un long travail de réintégration des contournements manuels dans le système Louvois. Pire : au fur et à mesure que l'on corrige des bugs, il en apparaît d'autres. Les plus grands doutes sont permis sur la stabilité intrinsèque de l'outil.

M. le rapporteur. Nous avons donc été conduits à nous demander d'où proviennent ces dysfonctionnements. Il apparaît que les causes en sont multiples.

Premièrement, le calculateur lui-même, développé en interne par les armées sur la base d'un outil de l'armée de l'air (qui ne s'est pas raccordée à Louvois...), a des défauts intrinsèques majeurs.

Deuxièmement, le pilotage du projet a toujours été trop faible au regard des enjeux. Quand l'enjeu, c'est la solde, on doit gérer le projet avec la même rigueur qu'un programme d'armement. Cela n'a jamais été le cas avec Louvois.

Troisièmement, le télescopage des réformes : on a, au même moment, voulu rapprocher la gestion des ressources humaines de la chaîne de paiement de la solde, fusionné les trois commissariats des armées en un seul service gardant ses fonctions de comptable et d'ordonnateur, et créé les bases de défense, ce qui conduit à mutualiser les postes dédiés au traitement de la solde dans les unités.

Mme la rapporteure. En effet, un audit de la direction générale des systèmes d'information et de communication du ministère a mis en exergue dès 2010 une trentaine de dysfonctionnements majeurs dans le calculateur Louvois. Pour autant, la décision de « bascule » a été prise, nous a-t-on dit, en raison des contraintes techniques liées au mauvais état des logiciels de solde de l'armée de terre et de la marine, ainsi que des contraintes sociales, puisque le personnel expert de la solde dans les centres de paiement de l'armée de terre avait fait l'objet de mutations ou de suppressions de postes.

Nous montrons aussi qu'il n'y avait pas de « plan B », et que les tests effectués n'étaient pas probants, car ils n'ont pas été menés avec toute la rigueur nécessaire. Ces tests n'ont été effectués que sur le service de santé des armées uniquement sur des indemnités récurrentes. Aucun test n'a été réalisé durant la période des mutations.

M. le rapporteur. Cinquièmement, ce que nous appelons une « gouvernance des données » défaillantes. Pour faire simple : tout au long de la chaîne RH-solde, ce sont les mêmes données qui circulent à travers plusieurs outils informatiques, en commençant par les systèmes d'information de ressources humaines des armées, les SIRH. Ainsi, si une donnée est mal formatée ou entrée de façon erronée dans un seul des composants de la chaîne, elle produit des erreurs dans le calculateur de la solde qui est en bout de chaîne, à savoir Louvois. Or il apparaît que le traitement des données tout au long de la chaîne n'a jamais été géré en tant que tel.

Aussi, est-ce de la faute du prestataire, la société Steria ? Il est à peu près certain que non, ses services ne sont pas en cause. Alors, qui au ministère de la Défense a pris des décisions inconsidérées ? Toutes les décisions de bascule ont été collectives, mais la responsabilité collective, c'est trop facile : c'est l'irresponsabilité générale. La direction de projet n'était pas robuste, les compétences étaient aussi enchevêtrées que cloisonnées entre les armées et le SGA, mais il ressort tout de même de nos travaux que, dans les textes, c'est bien à la DRH-MD qu'il revenait de piloter le projet. Là sont à rechercher les responsabilités des déboires actuels.

Mme la rapporteure. On peut en effet parler de scandale : un soldat, étymologiquement, c'est celui qui touche une solde. Quand on ne verse pas la solde, on ne respecte pas le soldat.

Notre rapport analyse aussi le dispositif de gestion de la crise qui a été mis en œuvre à partir de l'automne 2012. Nous montrons que si la prise de conscience de la crise a été tardive, la réaction a été adaptée. Les moyens nécessaires y ont été consacrés, et permettent aujourd'hui de compenser plutôt efficacement les erreurs du système, voire de les anticiper et de les contourner. C'est ce qui est fait au CERH de la marine à Toulon. Ainsi, les responsables de ce centre nous ont indiqué que, tous les mois, ils surveillent 15 000 paiements, ce qui représente un tiers des opérations de la marine, pour pouvoir réaliser des opérations de contournement. De même, ils cherchent à anticiper les anomalies lors des mouvements annuels de mutation, ce qui les a conduits à placer sous surveillance le traitement de 4 700 dossiers.

Mais il s'agit uniquement de mesures palliatives, bien sûr, et la question essentielle est : comment va-t-on sortir de la crise ? On ne le sait pas encore.

Le ministre a écarté la troisième : elle supposerait de reconstituer les centres payeurs ; or leurs personnels, qui avaient cette expertise, ne sont plus là. Des audits en cours devraient permettre au ministre de faire, dans les mois qui viennent, un choix entre les deux premières hypothèses. Notre rapport montre toutefois que l'ancien logiciel de l'armée de terre, contrairement à une idée reçue - ou du moins émise ici - n'était pas au bord de l'effondrement : il fonctionne encore pour la gendarmerie.

M. le rapporteur. Notre rapport intervenant à la veille de la discussion de la prochaine LPM, il nous a paru bon de tirer de ce bilan de la réforme quelques enseignements pour l'avenir.

En effet, c'est un nouveau train de réformes qui s'annonce : une fois encore, on « déflate » massivement les effectifs et on entend préserver au maximum l'outil opérationnel. Cela signifie donc que l'essentiel de l'effort, une fois de plus devra porter sur les soutiens. Nous montrons que, pourtant, le résultat d'une telle politique a un nom : Louvois. À force de vouloir rogner sur les soutiens, c'est l'arrière qui ne tient plus, si j'ose dire.

Mon sentiment personnel est qu'il y a un rapport nécessaire, un minimum incompressible dans les soutiens. On ne peut pas faire croire que l'on réduira le budget de la défense sans impact ou presque sur l'efficacité de l'outil opérationnel. Et alors, in fine, il faut savoir quel outil de défense veut la Nation : servir nos hautes ambitions a un coût, un minimum de dépenses en deçà duquel on ne peut pas aller.

Mme la rapporteure. En tout état de cause, nous allons vers une nouvelle « manœuvre RH» compliquée. Et dans ce cadre, je crois qu'elle sera d'autant mieux gérée que l'on saura relancer le dialogue social au sein du ministère, tant avec les militaires qu'avec les civils.

Il y a encore certaines marges de manœuvre : j'évoquais tout à l'heure la civilianisation, à laquelle je crois.

Nous n'avons pas voulu dresser un inventaire « à la Prévert» de recommandations détaillées, qui relèveront du débat sur la LPM voire de mesures réglementaires. Mais nous avons voulu former deux grandes conclusions : d'une part, ne pas céder à la tentation du « tout-externalisations » pour réduire les effectifs à tout prix, et d'autre part, mettre en place un pilotage robuste de la « manœuvre RH ».

M. le rapporteur. S'agissant des externalisations, nous en avons fait le bilan en France, où l'on en a beaucoup débattu mais où on en a fait somme toute peu, et au Royaume-Uni, on en a fait beaucoup mais où on en a somme toute peu débattu. Il en ressort que l'externalisation présente souvent un risque : perdre les compétences nécessaires au suivi des contrats et à la reprise en régie éventuelle des activités, sans présenter toujours des bénéfices importants. Parfois, c'est même l'inverse : la qualité du service peut en pâtir.

Mme la rapporteure. S'agissant de la manœuvre RH, nous plaidons en faveur d'une refonte du référentiel des effectifs en organisation, le REO, qui aurait selon moi deux intérêts principaux : fixer des objectifs de civilianisation précis et détaillés, et mieux identifier les compétences que le ministère doit absolument conserver.

Nous plaidons aussi en faveur d'une organisation plus robuste de la « chaîne RH », nécessaire pour mener à bien la « manœuvre RH » sous-tendant les restructurations à venir. À cet égard, vu les performances contestables de la DRH-MD dans la gestion du dossier Louvois, nous appelons à un renforcement de son expertise, d'autant plus nécessaire qu'elle vient de se voir confier une autorité fonctionnelle renforcée sur l'ensemble des chaînes RH du ministère, y compris les DRH d'armées.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. L'objectif affiché était d'atteindre 25 % de personnel civil : fin 2011, ce taux était de 23 %. Les déflations les plus importantes de personnel civil se sont faites dans le soutien, et notamment dans les bases de défense.

M. Joaquim Pueyo. En juin, le ministre avait rappelé les quatre principes qui guidaient cette réforme : priorité à l'opérationnel, mise en cohérence des structures du ministère afin notamment de supprimer les doublons, recherche d'une plus grande efficacité des services de soutien et, enfin, engagement de chacun à être acteur de son propre changement. Ma question porte sur ce dernier point : dans quelle mesure le personnel a été associé à ces changements et comment l'ont-ils perçu ? Ensuite, pouvez-vous nous apporter des précisions chiffrées sur les évolutions de la masse salariale ?

M. Damien Meslot, rapporteur. Les réformes se sont télescopées avec le tour de vis budgétaire effectué après la crise financière. Les bases de défense, créées en début de programmation, ont été ainsi sous-dotées budgétairement dès le départ ce qui a conduit à des difficultés de fonctionnement.

Aussi, les réformes ont été associées, dans l'esprit de beaucoup, aux effets de cette rigueur budgétaire. Il a donc fallu plus de temps pour les faire accepter.

Il faudrait donc relancer et renforcer le dialogue social pour réussir les réformes à l'avenir.

Mme la rapporteure. Les évaluations chiffrées sur la masse salariale sont les suivantes : le ministère de la Défense espérait 5,4 milliards d'euros d'économies dont 1,4 à la fin de l'année 2011. La Cour des comptes a relevé qu'il y avait eu une augmentation de 1,02 milliard. Quelles en sont les causes ?

En février 2013, un audit mené conjointement par l'inspection générale des finances et le contrôle général des armées a chiffré le coût de la modification de la pyramide des emplois de la Défense à 112 millions d'euros entre 2007 et 2012. Dans le même temps, les mesures catégorielles proposées aux officiers supérieurs et sous-officiers pour les inciter à partir se sont élevées à 75 millions d'euros par an entre 2008 et 2011 alors qu'on attendait au contraire des économies du fait de départs volontaires.

M. Daniel Boisserie. Où en sont les cessions immobilières ? Vous avez indiqué n'avoir pu avoir les informations que vous aviez demandées sur le projet Balard mais pouvez-vous au moins nous donner des éléments sur l'état d'avancement des travaux ? Enfin, avez-vous travaillé sur la gendarmerie, qui connaît un vrai malaise en matière de logement et de locaux, ou était-ce hors du périmètre de votre mission ?

Mme la rapporteure. La programmation prévoyait 2,2 milliards d'euros de recettes issus des cessions immobilières mais seulement 894 millions d'euros ont été réalisés. Il faut avoir à l'esprit que le coût de dépollution des sites, très important, n'avait pas été intégré à la programmation.

M. le rapporteur. La gendarmerie n'entrait pas dans le champ de notre rapport. Concernant Balard, tout a été fait pour nous empêcher d'avoir accès aux rapports - rapports qui ont fuite dans la presse. Ils nous sont été communiqués que partiellement et très tardivement. Faute d'informations complètes, nous n'avons donc pas souhaité approfondir cette question.

M. Jacques Lamblin. Concernant le logiciel Louvois, j'ai le sentiment que le mieux est l'ennemi du bien. L'idée d'automatiser la solde de tous les militaires, alors que chaque solde est un cas particulier, n'était-elle pas trop ambitieuse au départ? Que faut-il faire aujourd'hui : continuer avec Louvois ou lancer un nouveau programme ?

Par ailleurs, j'aimerais savoir s'il y a, selon vous, une taille optimale pour les bases de défense ?

Mme la rapporteure. Louvois était un projet ambitieux mais réalisable. D'autres ministères, mais aussi de nombreuses organisations publiques ou privées, disposent de logiciels de paie comparables. Aujourd'hui, nous n'avons pas le choix, il faut essayer de faire fonctionner aux mieux Louvois, car un changement de logiciel nécessitera deux à trois ans avant que le nouveau système soit opérationnel.

Jusqu'à aujourd'hui, le pilotage du projet était éclaté. Il est aujourd'hui unifié, sous l'autorité de la DRH-MD. En outre, l'accès à l'ensemble des informations permet désormais d'améliorer la totalité des flux.

M. le rapporteur. Si on avait adopté une bonne gouvernance dès le départ et mis les moyens humains et financiers nécessaires, le projet aurait pu aboutir.

S'agissant des bases de défense, je pense que la taille optimale est de l'ordre de 3 000 à 3 500 personnes, même s'il y a naturellement un certain nombre de cas spécifiques.

M. Yves Foulon. Concernant Balard, on sait qu'il y aura un retard de livraison d'au moins un an, en avez-vous analysé les conséquences ?

M. le rapporteur. Non, nous n'avons pas approfondi ce dossier car nous n'en avions pas les moyens.

Mme la rapporteure. On peut cependant dire que cela aura une incidence sur les économies espérées de la mutualisation des services du ministère et sur le calendrier des cessions immobilières.

M. Philippe Folliot. Concernant le dossier Balard, je trouve scandaleux que la presse soit mieux informée que la représentation nationale !

Nous avons récemment voté un texte de mobilisation du foncier en faveur du logement social. J'avais déposé un amendement pour que les emprises de la défense soient exclues de ce dispositif. Avez-vous cependant des exemples de cessions gratuites ou minorées de terrains du ministère de la Défense ? Quel aurait été leur impact sur les ressources exceptionnelles que l'on en attendait ?

M. le rapporteur. Nous sommes d'autant plus surpris de cette absence de communication des pièces demandées que, d'après la presse, ces audits ne révéleraient pas de scandale particulier. Cette absence de réponse du ministre, ou du moins de son cabinet, dénote une certaine désinvolture vis-à-vis des parlementaires. Cela est d'autant plus incompréhensible qu'il ne semble pas qu'il y ait des choses à cacher en la matière. Nous sommes spécialement surpris qu'on nous ait objecté que ces dossiers, concernant la Défense, étaient réservés à la commission des finances. À moins d'entamer une grève de la faim ou d'envisager une occupation du bureau du ministre, nous n'avions pas les moyens d'obtenir les informations demandées !

M. le rapporteur. Il existe cinq EMSD, basés à Paris, Rennes, Bordeaux, Metz et Lyon, qui représentent au total environ 600 ETP. Autant ils ont été utiles lors de la mise en place des BdD pour le conseil et le soutien, autant nous pensons qu'ils pourraient maintenant être concernés par des mesures de réformes, dans la mesure où ils ne sont plus amenés à jouer un rôle fondamental à l'avenir.

Mme la rapporteure. Il existe aujourd'hui soixante bases de défense (51 en métropole et neuf Outre-mer), mais ce sera l'objet de la prochaine LPM de décider s'il convient de conserver ce format.

M. le rapporteur. À titre personnel, je note que certaines unités isolées constituent à elles seules une BdD, ce qui représente un coût qui ne va pas dans la logique de recherche d'économies d'échelle de la réforme. Nous ne disposons pas d'informations particulières émanant du ministère sur les projets de réduction du nombre de BdD, mais il est clair que lorsque l'on regarde la carte de leur implantation, on constate que deux ou trois positions pourraient facilement être modifiées.

Mme la rapporteure. Nous avons effectivement constaté que certaines unités sont parfois positionnées assez loin des BdD, ce qui entraîne des frais de déplacements et des difficultés dans le soutien et doit donc susciter une réflexion sur la réduction du nombre des BdD.

M. Bernard Deflesselles. Lors de nos travaux en tant que rapporteurs, nous avons tous été confrontés à des difficultés pour obtenir certains renseignements, ce qui est d'autant plus regrettable en ce qui concerne Balard qu'il s'agit d'un « porte-étendard » du ministère. Il faut donc aller plus loin et je vous propose, Mme la présidente, d'organiser, sous votre égide, une visite à Balard. J'ai pu discuter à l'occasion des Universités d'été de la Défense avec le responsable en chef du projet Balard en Ile-de-France, ainsi qu'avec le responsable du projet. Tous les deux m'ont indiqué qu'ils réfléchissaient à l'opportunité d'organiser des visites du site. Prenons donc l'initiative d'une visite sur place, car c'est indéniablement un des sujets déterminants des années à venir, avec la perspective d'une livraison prévue, selon eux, en avril 2015, et envisageons éventuellement un rapport spécifique sur le sujet. Celui des emprises immobilières figure bien dans le périmètre de la prochaine LPM, qui prévoit 6,1 milliards de recettes exceptionnelles. Nous savons que la «loi Duflot», qui était une bonne idée au départ, entraîne aujourd'hui des difficultés pour le ministère de la Défense qui possède de nombreux terrains facilement valorisables. Si beaucoup sont cédés pour un euro symbolique, les recettes exceptionnelles ne seront bien sûr pas au rendez-vous !

Mme la présidente. Je partage pleinement cet avis.

M. Jean-Michel Villaumé. Il était prévu, sur la période 2008-2011, une baisse de la masse salariale de 1,1 milliard d'euros alors qu'elle a en fait augmenté de plus d'un milliard d'euros. Vous avez sur ce point la même analyse que la Cour des comptes, mais j'aimerais connaître vos recommandations pour éviter une telle dérive à l'avenir.

Mme la rapporteure. Nous formulons trois recommandations à la fin de notre rapport. En premier lieu, un pilotage fort des ressources humaines et des déflations d'effectifs s'impose. Une telle réforme serait d'ailleurs déjà engagée, avec la DRH du ministère de la Défense qui se verrait confier une responsabilité fonctionnelle sur l'ensemble des DRH. En second lieu, il conviendrait également d'avancer sur le développement d'outils budgétaires et de comptabilité analytique pour faire un meilleur lien entre les BOP et les déflations d'effectifs, mais je crois que le ministère a déjà avancé dans ce domaine, avec le projet «ARAMIS». Enfin, j'insiste sur la nécessité de civilianiser les postes purement administratifs.

En application de l'article 145 du Règlement, la commission autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. François André, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Nathalie Chabanne, M. Jean-Louis Costes, M. Bernard Deflesselles, M. Guy Delcourt, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Jacques Lamblin, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Jean-Pierre Maggi, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, Mme Sylvie Pichot, M. Joaquim Pueyo, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Olivier Audibert Troin, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Luc Chatel, M. Eric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, Mme Émilienne Poumirol, Mme Marie Récalde, M. François de Rugy, Mme Paola Zanetti