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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 18 septembre 2013

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 96

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Boissier, président de DCNS, sur le projet de loi de programmation militaire 2

La séance est ouverte à onze heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir Patrick Boissier, président de DCNS, sur le projet de loi de programmation militaire. Bien entendu, nous souhaitons bénéficier de votre analyse sur les choix proposés par le projet de LPM s’agissant des programmes navals déjà engagés (FREMM, Barracuda), mais aussi de la préparation de l’avenir, ainsi que des implications du projet sur le plan de charge de votre entreprise et le maintien de ses compétences. Sans plus attendre, je vous laisse la parole.

M. Patrick Boissier, président de DCNS. Je vais vous présenter rapidement DCNS. C’est une entreprise de droit privé dont 64 % du capital appartient à l’État, 35 % à Thales et 1 % à son personnel. Elle a effectué une transformation spectaculaire ces dix dernières années puisqu’elle est passée d’un service de l’État à une entreprise performante, dynamique, leader sur son marché.

DCNS est surtout une entreprise de très haute technologie, comme il y en a peu dans le monde – seules deux ou trois sont capables de construire des engins aussi complexes que les sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE) que nous réalisons. Notre effectif est très qualifié puisqu’il est composé à 40 % d’ingénieurs, 30 % de techniciens supérieurs et à 30 % d’ouvriers qualifiés.

Nous avons une vision, fondée sur la conviction que la mer est l’avenir de l’humanité et peut constituer pour la France, qui dispose de nombreux atouts, un important vecteur de son développement. Nous nous sommes dotés d’un projet d’entreprise de croissance et de développement car nous ne pouvons dépendre que des commandes la marine nationale. Ce projet s’appuie sur trois piliers : le développement de notre gamme de services et de produits, le développement à l’international, l’exploration de domaines nouveaux, comme celui des énergies marines renouvelables, les centrales nucléaires sous-marines et l’exploitation des richesses des fonds marins.

Notre objectif est de doubler notre chiffre d’affaires d’ici la fin de la décennie. Celui-ci sera de plus de trois milliards d’euros cette année avec un carnet de commandes de 15 milliards d’euros – nous travaillons sur des programmes à très long terme. Il était réalisé à 80 % avec la marine nationale, notre objectif étant de l’équilibrer pour ramener cette part marine nationale à un tiers, un autre tiers au naval de défense à l’international et un dernier tiers aux métiers nouveaux que je viens d’évoquer.

Nous employons 13 800 personnes auxquelles il faut ajouter 3 000 intérimaires et sous-traitants sur nos sites et 10 000 au titre de nos fournisseurs. Nous embauchons près de 1 000 personnes par an et 98 % de notre effectif est localisé en France. Dans un contexte morose, DNCS crée donc chaque année, compte tenu de 700 départs à la retraite, 300 emplois industriels en France. Nous réalisons 40 % de notre chiffre d’affaires à l’exportation mais avec des retombées principalement en France.

Si le projet de LPM aurait pu être catastrophique pour l’industrie de défense et DCNS, je tiens à remercier les commissions chargées de la Défense de l’Assemblée nationale et du Sénat qui ont permis, aux côtés du Ministre, que les enjeux stratégiques, industriels et sociaux soient pris en compte. Je salue particulièrement l’action de Mme la Présidente, de Mme Gosselin-Fleury et de M. Rouillard, qui ont mis tout leur dynamisme au service de l’emploi sur nos sites.

La LPM préserve donc l’essentiel mais il faudra veiller à sa bonne exécution car il n’y a plus aucune marge de manœuvre.

L’activité de DCNS est aujourd’hui répartie à parts égales entre le maintien en condition opérationnelle (MCO) naval, le programme de sous-marins et les systèmes navals de surface. Le MCO étant peu touché par la LPM, je me concentrerai sur ces deux derniers points, au travers de nos deux grands programmes, les sous-marins de classe Barracuda et les frégates multi-missions (FREMM).

La LPM a maintenu le programme de construction des six sous-marins Barracuda, ce qui est une excellente nouvelle, mais en a étalé la livraison, l’achèvement du programme devant être repoussé de deux ans, de 2027 à 2029. La livraison du premier exemplaire serait décalée de six mois, celle du deuxième de 12 mois, celle du troisième de 18 mois et les trois derniers exemplaires de deux ans. Nous sommes en train de finaliser cet accord avec le Gouvernement.

Cet étalement aurait un impact sur la charge annuelle équivalent à terme à 500 emplois pour DCNS et sous-traitants sur l’ensemble des sites. Il ne s’agit naturellement pas de l’impact final sur les effectifs, qui dépendra aussi des contrats à l’exportation et du développement de notre activité en matière d’énergies marines renouvelables. À ce propos, je tiens à vous faire remarquer que notre technologie est mature et que nous pourrions devenir leaders mondiaux et créer jusqu’à un millier d’emplois à Cherbourg. !

L’étalement de la production de sous-marins nécessite aussi que nous fassions le nécessaire pour préserver nos compétences, qui sont rares, afin de garantir notre capacité à faire des sous-marins, et donc notre indépendance. L’exemple britannique est à cet égard instructif. C’est pour cela que nous espérons qu’un programme de remplacement de nos SNLE prenne rapidement la suite du programme Barracuda. Nos activités dans le domaine du nucléaire civil, avec le concept de centrales nucléaires sous-marines, nous permettront de contribuer au maintien de nos compétences.

Le deuxième programme majeur nous intéressant est naturellement celui des FREMM. L’État nous a passé une commande ferme de 11 frégates, avec une cadence de livraison d’une frégate tous les dix mois ; nous avons livré la première, l’Aquitaine, la deuxième est à l’essai et la troisième est mise à l’eau aujourd’hui même.

La LPM n’est pas très explicite : elle prévoit que six frégates auront été livrées avant 2019 et que deux, dotées de capacités de défenses anti-aériennes, le seront par la suite tandis que la décision sur les trois dernières est reportée au-delà de la LPM.

Notre première préoccupation est le rythme de production de nos frégates, qui passera, pour une livraison de frégate avant 2019, de 10 à 14 mois. Le surcoût de cet étalement serait à peu près équivalent au coût d’une frégate. À titre d’information, le coût du programme a déjà augmenté d’une frégate lorsqu’on est passé de 17 à 11 frégates et d’une deuxième frégate lorsque l’on est passé d’une frégate tous les 7 mois à une frégate tous les 10 mois. Les étalements successifs du programme FREMM ont donc déjà coûté l’équivalent de trois frégates au budget de l’État. Il faut bien avoir à l’esprit que ce n’est pas l’augmentation du coût des programmes qui conduit à étaler les commandes mais l’étalement ou la réduction du nombre qui conduit mécaniquement à augmenter le prix de chaque unité.

Cette nouvelle cadence à 14 mois se traduit par un impact à terme sur la charge de l’ordre de 500 ETP, répartis entre 100 ETP pour DCNS, 50 dans l’intérim et 350 dans la sous-traitance. Naturellement l’objectif de notre groupe est de tout faire pour préserver ces emplois en obtenant des commandes à l’exportation. Cela étant, nous saurons gérer ce nouveau délai de 14 mois.

Mais si cette cadence de livraisons devait passer à 18 mois, comme nous l’avons déjà entendu, l’impact serait catastrophique, il atteindrait 1 000 emplois dans la filière et conduirait à supprimer des emplois.

Pour ce qui est du second enjeu, c’est-à-dire le sort des trois dernières frégates, je rappelle que le contrat initial est un contrat ferme de 11 frégates et que nous avons déjà passé les commandes de 11 radars, sonars, etc. auprès de nos fournisseurs et sous-traitants. L’annulation de cette commande aurait des conséquences sociales et industrielles dramatiques : on estime que le coût serait de l’ordre de 900 millions d’euros, soit presque le coût de deux frégates.

Afin de répondre aux contraintes budgétaires du ministère de la Défense tout en garantissant cette commande, une des solutions pourrait être de mettre en place une société de leasing, sous le contrôle de l’État. Elle permettrait de disposer d’un outil à l’export pour répondre à la demande de nombreux clients. L’Allemagne travaille dès à présent à une formule de ce type pour un projet de contrat avec la Pologne. Cet outil serait un bon levier pour trouver de nouveaux clients à l’international pour nos frégates, conserver notre rythme de production et éviter à l’État de verser les 300 millions d’euros liés à l’étalement, voire les 900 millions d’euros liés à une éventuelle annulation des commandes.

Un groupe de travail efficace a été mis en place et nous travaillons très minutieusement sur ce dossier complexe. Il est composé de l’Agence des participations de l’État, de la direction générale de l’armement (DGA) et de DCNS. Le ministère de la Défense est tenu informé en permanence de ces travaux. Notre objectif est de répondre aux attentes claires de chacun : la direction du Budget, qui souhaite que ce dispositif ne constitue pas un financement de hors LPM du programme FREMM, la direction du Trésor, qui veille à ce que ce dispositif n’aggrave pas la dette et le ministère de la Défense, qui attend flexibilité et économies de cette opération. L’objectif est de trouver un accord avant la fin de l’année pour voir cette société fonctionner l’été prochain.

Pour résumer l’impact de la LMP sur nos programmes Barracuda et FREMM, je dirais que nous saurons le gérer à condition de ne pas dépasser certaines limites dans l’étalement des programmes et que nous ayons les développements export que nous souhaitons. À ce propos, notre capacité à exporter dépend pour beaucoup des programmes français et du soutien de la marine nationale et de la DGA– qui sont essentiels et qui ne nous ont jamais manqué.

Je voudrais à présent dire quelques mots sur le programme de bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH), prévu en partenariat public-privé (PPP). Le groupement formé par DCNS et Louis Dreyfus Armateurs (LDA) a participé activement, depuis plus de trois ans, au dialogue compétitif initié par la DGA qui devait conduire à une notification fin 2012. À l’issue de ce dialogue et suite au dépôt des offres finales des deux compétiteurs en lice, le groupement DCNS-LDA est le seul à avoir soumis dans les délais une offre conforme. Or, depuis plusieurs mois, les discussions sont gelées avec la DGA qui semble vouloir remettre en cause le processus d’acquisition suivi jusqu’alors pour s’orienter vers une acquisition patrimoniale. Cette décision aurait alors de lourdes conséquences. Cette décision entraînerait de fait une rupture de capacité pour la marine nationale car la durée d’une nouvelle procédure et les délais de construction reporteraient de trois à quatre ans l’échéance du programme. Elle aurait en outre un impact fort sur l’activité et donc l’emploi dans les chantiers bretons, déjà concernés par les évolutions du programme FREMM. Enfin, en lançant un appel d’offres européen, on menacerait très directement la solution volontairement française que nous proposons. Le contrat BSAH, de plusieurs centaines de millions d’euros, ne bénéficierait alors ni aux chantiers, ni à l’emploi français

Enfin, je voudrais terminer en parlant des partenariats entre la défense et l’industrie pour optimiser les coûts. Nous souhaitons mettre en place des formes innovantes de partenariat, à l’exemple du projet mené à Saint-Mandrier avec d’autres entreprises, destiné à la formation et à l’entraînement des marines française et étrangères. Nous proposons dans ce cas d’espèce une structure juridique innovante, fondée sur une réelle gestion commune par les partenaires publics et privés.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. S’agissant du programme BSAH, pensez-vous que la conjonction d’une remise en cause du PPP et d’un éventuel recours à un appel d’offres européen puisse compromettre la mise en service de huit navires en 2019, selon l’objectif énoncé dans la LPM ? Par ailleurs, êtes-vous optimiste quant à l’exportation de sous-marins Scorpène, à même de compenser l’impact sur l’emploi induit par le décalage des Barracuda ?

Par ailleurs, une dépêche de l’agence Reuters annonçait hier, mardi 17 septembre, le lancement d’un appel à manifestations d’intérêts (AMI) pour quatre fermes hydroliennes pilotes, ce dont je me félicite.

M. Philippe Vitel. Je suis heureux que mes collègues aient défendu chacun leur territoire et, à mon tour, je remercie DCNS d’avoir choisi ma circonscription pour la construction de son nouveau siège au sein du technopôle de la mer.

Nous avions, avec Patricia Adam, évoqué dans un précédent rapport les BSAH et je souhaiterais que vous leviez les incertitudes pour ce qui les concerne. Dans ce cadre, l’Adroit, construit sur fonds propres de DCNS, et mis gracieusement à la disposition de la marine nationale, fera-t-il l’objet d’une acquisition par cette dernière et des commandes ont-elles été enregistrées pour des navires de ce type ?

Il n’y aura qu’un seul Barracuda en 2019 ; il va donc falloir faire durer la classe Rubis avec les moyens de MCO correspondants. Des bruits évoquent un déplacement du MCO des SNA vers Brest, pouvez-vous me rassurer sur ce point essentiel pour l’ensemble de l’activité des acteurs économiques locaux ?

Pouvez-vous nous indiquer, quelle part représente pour DCNS l’activité de grande plaisance sur la base navale de Toulon, qui contribue à la valorisation des entreprises locales de ce secteur, et quelles sont vos ambitions dans ce domaine ?

M. Philippe Meunier. Vous avez annoncé certains chiffres très importants dont un coût de 1,2 milliard d’euros. Pouvez-vous nous indiquer de façon synthétique les surcoûts engendrés par la baisse de volume et l’étalement des programmes Barracuda et FREMM et les éventuelles conséquences pour l’emploi.

M. Patrick Boissier. Le report des commandes de FREMM peut être apprécié en équivalents frégates : ainsi, supprimer les trois dernières frégates revient au coût de deux frégates, et étaler les livraisons à quatorze mois à celui d’une frégate.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avions, dans un précédent rapport rédigé avec Yves Fromion, effectivement observé que les glissements de programme avaient un coût important et pénalisaient l’équipement de l’ensemble des armes.

M. Patrick Boissier. Le coût que j’évoque est l’impact des réductions et des étalements mais ne correspond pas à l’impact final sur l’emploi, qui dépend du reste de notre activité, difficile à évaluer car elle ne concerne pas des séries produites en grand nombre mais un petit nombre d’affaires très importantes. Comme vous le savez, une affaire n’est réputée faite qu’une fois le contrat signé et le premier acompte reçu. Nous avons récemment concrétisé une affaire de Corvette avec la Malaisie et nous avons aujourd’hui un certain nombre de prospects pour les sous-marins et les navires de surface. Par expérience, je reste optimiste jusqu’au dernier moment, et le contrat signé avec le Brésil pour les Scorpène, pour lequel nous n’étions pas donnés gagnants, me donne raison.

J’ai également entendu parler de l’AMI pour les fermes hydroliennes au sujet duquel je n’ai pas d’information nouvelle à apporter.

L’Adroit est un grand succès qui a donné à DCNS une visibilité sur le marché des navires d’une taille inférieure aux frégates, ce qui a certainement facilité la signature avec la Malaisie. L’Adroit a fait ses preuves en mer grâce à la marine nationale qui l’emploie dans différents endroits du globe avec des retombées très positives. Des perspectives sérieuses existent pour des navires de ce type, mais je ne peux pas vous dire avec quels pays tant que les contrats ne sont pas signés. La LPM ne prévoyant pas d’acquisition de navire de ce type, il sera donc vendu s’il trouve preneur. Le contrat de mise à disposition de trois ans signé avec la marine nationale comprend une clause permettant la vente du navire durant cette période, moyennant un préavis.

Le prolongement des Rubis aura des conséquences positives sur la charge de MCO, qui restera à Toulon ; en revanche, la question du lieu du MCO du Barracuda reste ouverte et sera tranchée par les politiques, la DGA et la marine auxquels nous avons communiqué avantages et inconvénients des différentes options envisagées.

En ce qui concerne la grande plaisance, nous avons accueilli à Toulon sept ou huit grands yachts pour entretien, dans le cadre d’un partenariat avec la société Other Angle Yachting, à la satisfaction de ses clients. Il s’agit d’une petite activité de quelques millions d’euros qui assure des emplois. Nous intervenons à Toulon mais pourrions également le faire à Marseille ou à La Ciotat.

M. Philippe Folliot. Votre entreprise représente l’excellence technologique française car elle est quasiment la seule au monde à fabriquer des SNLE, qui sont parmi les objets les plus complexes au monde.

La LPM prévoit au titre des ressources exceptionnelles la cession d’actifs d’entreprises du secteur de la défense. DCNS est détenu par l’État à environ 65 %. Pensez-vous que la part de capital de l’État puisse descendre en dessous de 50 % sans que cela affecte nos capacités et les perspectives de votre entreprise, qui intervient dans le domaine stratégique particulièrement sensible et secret de la dissuasion ?

M. Gilbert Le Bris. Les six Barracuda et les cinq FREMM prévus dans la LPM sont des programmes structurants mais j’aimerais savoir si vos capacités d’exportation, qui se situent aujourd’hui autour de 40 %, peuvent constituer une variable d’ajustement, comme c’est le cas pour le Rafale ? Par ailleurs, comment votre stratégie commerciale s’articule-t-elle entre coûts d’acquisition, dans le cas des huit BSAH qu’il convient, selon moi, d’acquérir le plus rapidement possible, et coûts de possession, dans le cas des FREMM pour lesquelles vous vous orienteriez vers un leasing à l’exportation ?

M. Jean-Pierre Fougerat. Ma question porte sur les effectifs qui, ainsi que vous nous l’avez dit, enregistrent un solde annuel positif de 300 postes depuis 2009. Ce chiffre pourra-t-il être maintenu compte tenu des reports et des étalements envisagés et quelles seront, plus particulièrement, les conséquences en matière d’emploi sur le site d’Indret en Loire-Atlantique ?

M. Patrick Boissier. Nous ne sommes pas les seuls à savoir fabriquer des SNLE, les Américains, les Russes et les Chinois ont également des compétences dans ce domaine.

DCNS est aujourd’hui détenu à 64 % par l’État, 35 % par Thales et 1 % par le personnel, part qui devrait doubler prochainement. Pour ce qui concerne la préservation du pouvoir régalien de l’État au regard de la hauteur de capital détenu, j’ai tendance à répondre par comparaison, je peux citer l’exemple de la filiale d’EADS, Astrium, fabricant des missiles de la force de frappe, dans laquelle l’État détient 12 % des parts et considère qu’il a toujours les moyens d’exercer son pouvoir de contrôle. Pour répondre à la question posée, il est possible de considérer mutatis mutandis que cette part du capital serait suffisante également chez DCNS. Par ailleurs, et sans parler de l’opportunité de le faire, des alliances au niveau européen indispensables face aux nouveaux entrants asiatiques sur le marché ne pourraient se faire sans une diminution de la part de l’État.

Il y aura bien six, et non cinq, frégates en service en 2019, dont une est livrée. Nous espérons en effet que l’étalement de la fabrication des FREMM sera compensé par l’exportation, variable d’ajustement, et même au-delà. Nos efforts en la matière sont d’ailleurs indépendants de la LPM et nous sommes présents sur les différents marchés avec l’excellent navire qu’est la FREMM. La voie du leasing semble être un facilitateur. Je ne fais toutefois pas de différence entre coût d’acquisition et coût de possession : le navire acquis en leasing serait loué sans équipage, sans munition et sans MCO, qui seraient à la charge du « locataire ».

Pour ce qui concerne l’évolution des effectifs, si le nombre de départs est appelé à rester stable en fonction de la pyramide des âges, le nombre d’embauches dépend, lui, directement des commandes et de la charge de travail. Un éventuel étalement des Barracuda et des FREMM se traduirait naturellement par un ralentissement des embauches liées à ces programmes.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le Président, vous avez parlé d’alliances il y a quelques minutes, et lors de votre dernière audition vous aviez beaucoup insisté sur cet axe de votre stratégie d’entreprise. Vous avez rappelé que le marché américain qui représente 10 milliards d’euros était fermé - pas définitivement mais quasiment -, et que le marché européen de huit milliards d’euros était en décroissance puisqu’il ne représente plus qu’un tiers de la totalité, alors que le Sud Est asiatique, le Moyen-Orient ou l’Amérique du Sud étaient à prendre en considération.

Nous sommes aujourd’hui à deux mois d’un Conseil européen consacré à l’Europe de la défense : quelles propositions feriez-vous pour donner à celle-ci un sens très précis pour nos industries de défense puisque, comme vous l’avez dit, il faudra rationaliser les programmes ? Les Européens n’ont pas les moyens, à l’heure actuelle, de répondre à tous les programmes, et nous savons qu’en dehors de la Grèce et de la Pologne chaque pays s’équipe en fonction de sa production intérieure.

M. Jean-Michel Villaumé. Vous nous avez exposé votre projet de développement, votre dynamisme, votre croissance, vos inquiétudes, mais j’aimerais savoir comment vous allez travailler avec les PME, comment vous allez les accompagner, notamment grâce aux partenariats encouragés par le ministère de la Défense avec le pacte PME - défense.

M. Sylvain Berrios. Je souhaiterais revenir sur deux éléments. Tout d’abord, nous avons évoqué plusieurs fois la question de la prolongation de la classe Rubis, et vous avez répondu de façon lapidaire au sujet du surcoût que représenterait cette prolongation en termes de MCO. Pourriez-vous préciser ce surcoût ?

Ensuite, vous avez rappelé au début de votre propos que vous étiez en train de rééquilibrer vos affaires, dépendant aujourd’hui à 80 % de la commande publique française. La France pourra-t-elle donc toujours bénéficier durablement et prioritairement des initiatives et des innovations de DCNS ?

M. Patrick Boissier. Sur les alliances, vous avez rappelé ce que j’avais dit lors d’une précédente audition. Or, ce que je voudrais préciser est que depuis cette dernière audition, les tendances sur les marchés internationaux n’ont fait que se renforcer. Les Américains sont toujours aussi « libéraux » en matière de fourniture d’armes ; si vous n’êtes pas américain produisant aux États-Unis vous ne pouvez pas vendre ! Le marché européen baisse encore plus vite que lorsque je suis venu la dernière fois. En revanche, les marchés exports, eux, se développent de plus en plus vite. L’apparition de nouveaux concurrents se fait donc plus rapidement que ce que l’on craignait, ce qui est encore plus dangereux.

Donc, je maintiens cette nécessité que se crée l’Europe de la défense, en tout cas l’Europe de l’industrie de la défense, à deux conditions essentielles. Tout d’abord, il ne peut y avoir une Europe de la défense en matière de fourniture de matériel que s’il y a une demande commune. Pour l’instant, en Europe, nous avons des marines nationales aux missions assez similaires, mais qui n’expriment pas leurs besoins de la même façon. Ainsi, un programme commun ne peut actuellement se développer qu’en englobant toutes les demandes dans une enveloppe commune, ou bien en s’adaptant aux spécificités de chaque marine nationale, ce qui pose de certains problèmes d’efficacité. Ensuite, la deuxième condition indispensable à la construction d’une véritable Europe de la défense en matière industrielle est qu’il y ait une offre commune, puisque si même avec une demande commune il y a des fournisseurs nationaux en concurrence, chacun voudra préserver sa base nationale, ce qui n’amènera pas à converger.

Pour moi, le meilleur exemple est celui du porte-avions : il y a quelques années on parlait d’un PA2, de plusieurs porte-avions sous forme britannique, on avait commencé à regarder ce que l’on pouvait faire ensemble et ceci s’est terminé comme vous le savez. Ce que je peux vous dire est qu’à l’époque, si chaque pays avait accepté de s’engager dans la définition d’un besoin commun, au prix de l’abandon de quelques spécificités dans chaque marine pour avoir un design commun, puis de réaliser ces porte-avions en commun en fonction de la qualité des capacités industrielles dans chaque État, ce qui aurait peut-être permis de produire un porte-avions tous les six mois pendant 18 mois sur les chantiers de Loire-Atlantique, en y mettant des moteurs Rolls Royce, aujourd’hui nous aurions ces trois porte-avions pour un coût beaucoup moins important que ce qu’engendrera la production strictement nationale. Il me semble que c’est le meilleur exemple de l’inefficacité de la façon dont nous travaillons en Europe. Il faut que nous arrivions à faire en sorte de changer cela. Le rôle des industriels dans cette démarche est alors de se regrouper, de définir une offre commune, ce qui dépend d’une part de l’amélioration des performances de chaque entreprise, et d’autre part de la volonté de s’allier.

En ce qui concerne les PME, qu’elles soient sous-traitantes ou fournisseurs, elles sont aujourd’hui totalement indispensables à DCNS. En effet, DCNS n’est que le pivot d’une entreprise élargie, seule à même de construire les navires destinés à la marine française ou à l’exportation. DCNS souhaite donc poursuivre le développement de partenariats avec ces entreprises. On choisit les meilleures entreprises pour que chaque partie y trouve son intérêt. Nous avons déjà ratifié des chartes de partenariats au sein de l’entreprise ; notamment celle du ministère de la Défense en présence du ministre. Nous travaillons également avec les PME à l’exportation puisque nos marchés internationaux sont aussi l’occasion pour elles de développer des partenariats locaux, et ainsi de s’implanter à l’étranger. Nous avons aujourd’hui de nombreux exemples de PME qui se développent en Malaisie, en Inde, au Brésil, etc.

Concernant le surcoût du MCO pour les SNA de la classe Rubis, je ne sais pas répondre à cette question ; cependant il y aura un surcoût annuel. S’agissant de l’innovation, il faut que DCNS continue d’innover parce qu’elle en a besoin pour se développer et pour perfectionner les produits à destination de la marine nationale. Je vais d’ailleurs en profiter pour faire passer un message. Nous dépensons annuellement environ 10 % de notre chiffre d’affaires en recherche et développement, en fonction de trois sources : le développement de programmes, les plans d’études amont (PEA) et la recherche autofinancée. DCNS a décidé d’augmenter considérablement ses efforts en termes de recherche autofinancée afin d’atteindre 4 % de son chiffre d’affaires, alors qu’elle était à 2,7 %. Comme en même temps le chiffre d’affaires augmente, DCNS va faire tripler son effort de recherche autofinancée sur dix ans. Cependant, il faut ensuite que les PEA suivent ; or, la part des PEA consacrée au secteur naval est extrêmement faible, bien inférieure au poids que représentent les équipements navals acquis par la DGA, et ce chiffre ne cesse de baisser. Je salue la décision du ministre de réaugmenter les crédits de R&T, et j’espère que ceci profitera au naval.

M. Christophe Guilloteau. Monsieur le Président, j’ai bien compris que les reports sur le programme Barracuda avaient une incidence sur votre entreprise, sur l’emploi, et sur la défense nationale, mais qu’à côté de cela vous êtes actifs dans de nouvelles niches civiles, notamment dans le secteur éolien.

J’aimerais revenir sur l’export, dont vous avez dit qu’il représentait 40 % de votre chiffre d’affaires ; même si vous avez développé quelques chiffres, vous n’avez pas évoqué ce que sont aujourd’hui les grands prospects. Je sais que l’Amérique du Sud en fait partie mais j’imagine qu’il y a d’autres points du globe.

M. Gwendal Rouillard. Je soutiens l’idée de créer une société de leasing : l’État stratège doit être inventif en matière de modes de financement.

Je crois aussi à la nécessité pour l’État d’accélérer le développement des énergies marines renouvelables, qu’il s’agisse de l’éolien flottant ou d’autres technologies, dont toutes les façades maritimes françaises pourraient tirer un grand profit.

Enfin, une question : où en est le projet de frégate de taille intermédiaire (FTI), appelé à prendre la suite des frégates de la classe Lafayette et dont le développement me semble crucial pour l’emploi, l’innovation et les exportations ?

M. Patrick Boissier. On a évoqué nos niches de développement : on entend généralement par là de petites activités très profitables, or il faut noter que les nôtres ne le sont pas encore : par nature, ni l’investissement en recherche et développement ni les premières commandes ne sont rentables à court terme.

Les énergies marines renouvelables font partie de nos secteurs de développement, même si l’industrie navale de défense restera notre cœur de métier.

Pour ce qui est des zones dans lesquels nous prospectons des contrats, il n’y a rien à attendre du marché américain, qui nous est fermé, et pas plus du marché européen, sur lequel la plupart des États disposent de capacités nationales de production. En revanche, l’Asie du Sud-Est est un marché prometteur, avec les craintes que suscite auprès des États de la région la montée en puissance de la Chine ; nous sommes donc présents dans tous les appels d’offres lancés par ces derniers. De même, la menace iranienne crée un besoin d’équipement important pour plusieurs États du Moyen-Orient. Nous développons ainsi nos liens avec les Émirats arabes unis, avec l’Arabie saoudite – où un contrat de rénovation de frégates pour 750 millions d’euros est en cours de finalisation – ainsi qu’avec le Quatar, le sultanat d’Oman et le Koweit.

L’Amérique du Sud représente également un marché prometteur, principalement au Brésil, mais pas uniquement. Il ne faut pas non plus oublier la Russie, qui nous a acheté deux bâtiments de projection et de commandement, et où nous continuons nos activités de prospection.

S’agissant du projet de frégate de taille intermédiaire, il en est encore à ses prémisses. Le projet de LPM ne l’intègre d’ailleurs pas. Ce projet vise à la fois à pourvoir au remplacement des frégates de classe Lafayette et à adapter notre offre à certains marchés étrangers, pour lesquels nos FREMM seraient soit surdimensionnées, soit trop automatisées.

La séance est levée à treize heures dix.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. François André, M. Sylvain Berrios, M. Guy Chambefort, Mme Catherine Coutelle, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Christophe Guilloteau, M. Gilbert Le Bris, M. Philippe Meunier, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Alain Chrétien, M. Guy Delcourt, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, M. Damien Meslot, Mme Marie Récalde, M. François de Rugy, Mme Paola Zanetti