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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 9 octobre 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 8

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi de programmation militaire et le projet de loi de finances pour 2014

La séance est ouverte à 9 heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avons aujourd’hui le plaisir d’accueillir l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi de programmation militaire et le projet de loi de finances pour 2014.

Amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine. Je suis heureux de venir débattre à l’Assemblée nationale de ces deux projets de loi. Cette année a été riche en réflexions et orientations pour la défense et il me paraît nécessaire de pouvoir vous donner mon point de vue pour la marine.

Avant de les évoquer, je souhaiterais replacer la discussion dans le contexte opérationnel, puisque la réussite des opérations qui nous sont confiées constitue bien la finalité de notre action. Nos missions ne se limitent pas aux opérations extérieures (OPEX), les plus visibles et les plus médiatiques, qui ne sont que la face émergée de l’iceberg constitué par l’ensemble de nos activités. Elles reposent sur un trépied : les opérations permanentes, les OPEX et l’action de l’État en mer.

S’agissant des opérations permanentes, qui constituent le premier pied, citons tout d’abord la permanence de la dissuasion : cela fait plus de quarante ans que la force océanique stratégique assure la partie navale de la dissuasion nucléaire, qui garantit la défense de nos intérêts vitaux. Nos sous-marins sont également soutenus par un dispositif global aéromaritime constitué de frégates et leurs hélicoptères, d’avions de patrouille maritime et de dispositifs de sûreté contre les mines et les malveillances à partir de la mer ou de la terre. Les déploiements de nos bâtiments constituent un autre volet de nos missions permanentes dans le cadre de la fonction stratégique « connaissance et anticipation ». Ils nous confèrent, outre la capacité d’entretien de la connaissance de nos zones d’intérêt, une réactivité toujours appréciée pour intervenir dans des délais courts à tout évènement. Cela a permis, par exemple, à la frégate Latouche-Tréville de s’interposer lors de la prise en otage du pétrolier MT-Adour, dans le golfe de Guinée en juin dernier. Nous sommes également présents en Méditerranée orientale où nous entretenons depuis plus de deux ans une permanence de bâtiments qui alimentent nos renseignements, en mer comme sur terre : les capacités d’interception électromagnétiques, les radars et les systèmes d’écoute nous informent de la situation aérienne au-dessus de la Syrie. Le Chevalier Paul, frégate de défense aérienne, remplit actuellement cette mission et si nous y associons une autre frégate en mer Rouge, nous pouvons couvrir tout le Proche et Moyen-Orient. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a promu le principe de différenciation, qui a été bien appliqué dans cette région puisque la frégate légère furtive Aconit a été remplacée par une frégate de défense aérienne plus armée lorsque la crise syrienne s’est intensifiée. Les patrouilles dans notre immense zone économique exclusive (ZEE) se révèlent également fructueuses : ainsi, le mois dernier, la frégate de surveillance Nivôse a intercepté un bâtiment singapourien, le Pacific Falcon, qui menait sans autorisation des recherches pétrolières dans notre ZEE du canal du Mozambique.

Dans le domaine des OPEX, qui constitue le deuxième pied, la marine a pris part à l’opération Serval au Mali. Au début de la crise, cinq avions Atlantique 2 ont ainsi été déployés au Niger et ont recueilli 80 % du renseignement aérien de l’opération au cours de la période cruciale des premiers jours. Ils ont également été mis à contribution pour guider les troupes au sol et pour bombarder, ce qui constitue une première dans l’histoire de ces avions. Serval a démontré à nouveau, après l’opération Harmattan conduite en Libye, la capacité des armées françaises à s’intégrer et à offrir une boîte à outils complète à la disposition du chef d’état-major des armées. J’insiste sur ce point, car cette faculté de réaction et d’intégration interarmées est presque unique dans le monde. Les commandos de marine ont participé à l’opération Serval et se trouvaient parmi les éléments du commandement des opérations spéciales (COS) sur le terrain lorsque les djihadistes ont attaqué. Un bâtiment a également assuré la projection de nos camarades de l’armée de terre, de même que des frégates ont protégé le flux de matériel militaire affrété. Je souhaiterais également rappeler nos actions au large de la Libye, de la Côte d’Ivoire et, en 2006, l’évacuation de 13 000 ressortissants français et européens du Liban. Cela montre que nous ne pouvons jamais anticiper, au moment de l’adoption d’une LPM, les OPEX qui pourront se dérouler au cours de la période couverte par la loi. Enfin, l’opération de lutte contre la piraterie Atalanta est un succès, puisque plus aucune attaque n’a réussi depuis un an, ce qui a permis au chef d’état-major des armées de suspendre la participation de frégates à cette mission.

Notre participation à l’action de l’État en mer, qui constitue le troisième pied, est, comme les opérations permanentes, continue et souvent ignorée ; nous sauvons chaque année près de 200 vies ; nous neutralisons 2 000 engins explosifs le long de nos côtes – sachant que seulement 20 % de ceux se trouvant près de nos rives ont été remontés à ce jour et que nous devrons intensifier notre effort avec l’arrivée des parcs éoliens en mer – ; nous déroutons chaque année une quarantaine de pêcheurs en infraction et contrôlons plus de 7 000 navires par an, soit 20 navires par jour sur tous les océans. Nous obtenons des résultats spectaculaires dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic : nous avons réalisé, il y a quelques semaines, une prise importante en mer Méditerranée en interceptant le Luna-S chargé de 22 tonnes de résine de cannabis et nous avons intercepté 500 kilogrammes de cocaïne aux Antilles. Lors des deux dernières années, la marine nationale, aidée par les services des douanes, a ainsi saisi l’énorme quantité de 35 tonnes de drogue.

Tel est le quotidien des marins. Tels sont les résultats opérationnels que nous obtenons. Je vous propose de vous donner désormais mon appréciation sur les orientations du Livre blanc, sur le projet de loi de programmation militaire et sur le projet de loi de finances pour 2014. J’avais appelé la rédaction du Livre blanc de mes vœux, car celui de la précédente période – rédigé en 2008 – commençait à s’écarter de manière trop importante de la réalité budgétaire quotidienne. Il était donc important d’aligner les ambitions de notre pays et les missions qu’il souhaite assurer sur ses capacités budgétaires. Ce travail long et difficile a débouché sur le meilleur compromis possible. La LPM et le projet de loi de finances déclinent de manière cohérente le Livre blanc et cette démarche de cohérence constitue la principale vertu de ces textes.

Le Livre blanc offre une feuille de route – à l’horizon 2025 – qui nous permet d’assurer l’autonomie stratégique de notre pays et de participer à l’effort de désendettement de l’État. Il était important de conserver l’ensemble de la palette de nos missions, décision adaptée aux enjeux auxquels nous devons faire face aujourd’hui – notamment dans le domaine maritime – et aux retours d’expérience opérationnels. Le Livre blanc impose le resserrement du format. Celui-ci est consenti et mesuré à l’aune des économies recherchées : la marine perdra 25 % de sa capacité en gros bâtiments amphibies, 25 % de ses pétroliers ravitailleurs et près de 20 % de ses frégates ; elle n’est donc ni favorisée ni épargnée par les économies. Ce resserrement de format s’inscrit – comme celui des autres armées – dans le cadre des orientations définies par le Livre blanc et dans la logique des principes de différenciation et de mutualisation. La différenciation consiste à réserver les moyens lourds pour les crises de haute intensité et à utiliser des équipements plus légers pour assurer les missions de sécurité ; la marine la mettait déjà en œuvre en mobilisant des moyens proportionnés aux missions et aux niveaux de menace, comme les frégates de premier rang et l’aviation de patrouille maritime pour les crises importantes et les frégates de surveillance, patrouilleurs et aviation de surveillance maritime pour l’action de l’État en mer. Nous pratiquions également déjà la mutualisation : ainsi, au plus fort de l’opération Harmattan, nous avons dû suspendre temporairement la participation d’avions de patrouille maritime à l’opération Atalanta ainsi qu’une partie de nos missions permanentes assurées par nos sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) ; par ailleurs, nous avons réduit notre présence dans des opérations comme celles de l’agence Frontex. Pendant l’opération Serval, nous avons dû retarder la formation initiale des équipages des avions Atlantique 2. En outre, au plus fort de la crise syrienne, nous avons allégé le dispositif Atalanta puisque la frégate Aconit est restée en Méditerranée orientale. La réduction de notre format accroîtra le recours à la mutualisation et le chef d’état-major des armées devra effectuer des choix entre les missions. Le Livre blanc nous impose de n’assurer de permanence que dans deux zones et non plus dans trois – golfe de Guinée, océan Indien et mer Méditerranée orientale.

Ces textes sont également cohérents avec la précédente LPM, qui avait repoussé au-delà de 2014 la modernisation des équipements aéromaritimes, à savoir le renouvellement de nombreux équipements de la marine – frégates, SNA, avions Atlantique, hélicoptères légers et pétroliers ravitailleurs. Cette modernisation est désormais lancée. Les nouvelles frégates multi-missions (FREMM) et les hélicoptères Caïman vont remplacer des équipements dont l’âge moyen est de trente-quatre ans, ce qui est énorme ; la deuxième FREMM sera livrée en 2014, ainsi que trois nouveaux hélicoptères NH90. Le premier sous-marin Barracuda remplacera, en 2017, le SNA Rubis qui aura servi trente-huit ans au moment de sa relève. Enfin, soixante missiles de croisière navals seront livrés l’année prochaine et équiperont la FREMM Normandie : ils marqueront un tournant pour la défense de notre pays, car ils permettront de faire peser une menace directe et instantanée maintenable dans la durée.

La cohérence – définie par le Livre blanc, déclinée par le projet de LPM et confirmée par le PLF – réside en outre dans la priorité donnée aux dépenses finançant les activités opérationnelles. En effet, ainsi que je vous l’indiquais, une grande part de notre activité est dédiée aux missions permanentes. Toute réduction d’activité aurait une répercussion directe sur leurs résultats. En outre, cette activité est indispensable pour garantir le maintien du savoir-faire des équipages sur des systèmes complexes tels que des centrales nucléaires, des centres de défense aérienne, des missiles balistiques, ou des catapultages d’avion de chasse.

Le Livre blanc l’indique, le projet de LPM le décline, le projet de loi de finance le confirme : les crédits d’entretien programmé du matériel constituent une priorité forte, et c’est essentiel.

Cette cohérence est donc décidée, actée, déclinée pour cette première annuité. Il est nécessaire désormais qu’elle soit tenue dans la durée en évitant trois écueils.

Le premier consisterait à accepter une exécution annuelle non rigoureusement conforme à la programmation de la LPM, en particulier pour les livraisons d’équipements. Le Livre blanc s’efforce de nous faire franchir le creux budgétaire actuel tout en maintenant une marine en état de remplir toutes ses missions à l’horizon 2025. Cela a induit l’étalement des programmes, mais cette politique atteint aujourd’hui ses limites et l’application des programmes doit maintenant s’exécuter au jour près. Quant à l’âge des équipements, il nous place sous la menace de ruptures capacitaires, comme nous en avons connu avec les Super Frelons, que nous avons dû arrêter avant même l’arrivée des NH90. Nous avons accepté des réductions temporaires de capacités, notamment pour les patrouilleurs outre-mer : alors qu’ils devraient être au nombre de neuf, ils sont actuellement six et ne seront plus que cinq à la fin de la période couverte par la LPM ; leur relève ne débutera qu’en 2024 par le programme BATSIMAR qui devait initialement commencer en 2017. Par ailleurs, nous avons abandonné le programme des bâtiments d’intervention et de souveraineté (BIS) qui devaient remplacer les bâtiments de transport légers (BATRAL), mais nous compensons ce renoncement par l’arrivée des bâtiments multi-missions (B2M) à partir de 2015 et de 2016. Les bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) devront impérativement arriver en 2017, sinon nous aurons à gérer une rupture franche ; ces bâtiments remplacent l’ensemble des équipements de soutien et de remorquage, et ils représentent les seuls moyens anti-pollution de la marine. La moitié des hélicoptères Alouette III s’arrêteront de voler avant la fin de la période de la LPM, mais ils ne seront pas remplacés avant 2030. Tout nouveau décalage de programmes neufs se traduirait par des réductions de capacités et la perte de missions.

J’en viens maintenant au budget opérationnel de programme (BOP) « Marine ». Celui-ci se décompose en trois grands agrégats : la dissuasion, l’entretien programmé du matériel et le fonctionnement global. Toute difficulté budgétaire – hors la dissuasion qui est sanctuarisée – est absorbée par l’entretien programmé du matériel (EPM) ou par le fonctionnement ; cela implique de pouvoir procéder à des ajustements par transferts de crédits, c’est-à-dire de jouer sur la fongibilité entre lignes budgétaires. Mais, je tiens à le répéter : toute encoche budgétaire supplémentaire aura des conséquences sur le fonctionnement de la marine.

Un effort est consenti pour maintenir en 2014 et en 2015 l’activité des forces à son niveau de 2013, celui-ci se situant 15 % au-dessous des normes. Cela permettra de passer ces deux années difficiles sans casser l’outil, mais l’objectif est bien de remonter dès les années 2016-2017 au niveau d’activité normal.

En matière d’activité opérationnelle en général, c’est-à-dire pour tout ce qui concerne l’alimentation, les externalisations des plastrons utilisés pour l’entraînement – je rappelle que la formation de nos pilotes d’hélicoptère à la mer est assurée par un bateau britannique civil à Brest – et les affrètements opérés par l’Abeille Flandre, l’Abeille Bourbon, l’Abeille Languedoc et l’Abeille Liberté, les enveloppes sont correctement dotées en 2014.

Le programme des équipements d’accompagnement – matériel de sécurité, aussières, véhicules spécifiques, outillage, matière première des ateliers, munitions – a bénéficié d’un abondement qui lui permet de retrouver le niveau de ressources de 2012, mais qui reste inférieur au besoin. La diminution de 2013 a conduit par ailleurs à puiser dans les stocks, lesquels ne seront pas reconstitués.

Les crédits de fonctionnement courant – dépenses qui regroupent principalement les frais de formation et de mutation – seront réduits cette année à nouveau de 7 %. Cela me préoccupe, car nous avons déjà pris des mesures pour prolonger les affectations de certains marins et nous sommes arrivés à un plancher pour les frais de mutation et de formation. Il nous faudra de la souplesse dans la gestion des crédits pour pouvoir utiliser l’instrument de la fongibilité au sein du BOP. En effet, la marine est constituée de nombreuses populations de faible effectif, car le fonctionnement d’un bateau exige la présence de compétences très diverses ; dans un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE), il faut ainsi des spécialistes de lancement de fusée, de centrale nucléaire, de la vie sous-marine et de la lutte anti-sous-marine. Deux ou trois officiers d’appontage sont affectés au porte-avions Charles-de-Gaulle et toute la campagne Harmattan s’est déroulée avec un seul de ces officiers, l’autre se trouvant en formation. Cette micro-gestion de micro-populations exige une grande vigilance.

Ainsi, compte tenu du format de la marine, tous les postes budgétaires contribuent directement à l’efficacité opérationnelle de la marine. Toute tension sur l’un d’eux exige un rééquilibrage qui affecte l’ensemble.

Le deuxième écueil consisterait à répartir de manière aveugle les diminutions d’effectifs. La LPM qui s’achève impose à la défense de supprimer 10 000 postes par rapport à ce qui a été déjà opéré : la marine perdra ainsi 650 postes en 2014 – dont 88 officiers – dans le cadre de la contraction en pente douce qu’elle a choisie pour arriver au chiffre de 6 000 – supérieur à celui de 4 000 décidé dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). La nouvelle LPM prévoit une disparition de 23 500 postes, dont 8 000 dans les forces – dans ce quota, 1 300 proviendront de la marine, ce chiffre étant absorbé par le resserrement de format –, 1 100 dans les forces prépositionnées ou de souveraineté – la marine est peu concernée – et 14 400 dans le hors forces. Pour cette dernière partie, une analyse fonctionnelle poussée, que j’avais appelée de mes vœux, est conduite afin que ce soient les doublons et les modèles non vertueux qui alimentent les réductions d’effectif. Nous devons être vigilants et pratiquer la micro-gestion, car, pour la marine s’il manque un seul spécialiste dans un bâtiment, celui-ci peut être contraint de s’arrêter.

Le dernier écueil réside dans le danger de devoir faire face à des discontinuités à l’intérieur de chaque annuité. La difficulté se concentre souvent dans la gestion de la fin de l’exercice. Ainsi, nous attendons toujours la levée de la réserve de précaution, du surgel et des crédits attendus au titre des OPEX, qui représentent 15 % des ressources attendues par la marine, soit deux mois de fonctionnement. Si cette levée n’intervient pas, nous nous trouverons en cessation de paiement à la fin du mois d’octobre. Cette situation se répète chaque année et elle est de plus en plus délicate à gérer au fur et à mesure que les ressources diminuent.

Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que nous entrons dans une nouvelle ère : ne regardons plus vers le passé, car le Livre blanc a permis de fixer des règles claires pour l’avenir. Mais nous sommes dans une période de gros temps budgétaire et nous agissons en marins : nous réduisons la voilure en resserrant le format ; nous suivons le cap défini par la LPM qui a fidèlement retranscrit le Livre blanc et nous barrons de manière stable. Il est désormais nécessaire de suivre ce cap de la manière la plus stable possible, car tout écart ou tout mouvement brusque se paye immédiatement sur la route suivie ou par des dommages irréparables sur le navire.

Les marins ne renonceront pas, car ils n’ont pas l’habitude de renoncer. C’est même leur première qualité. Mais nous faisons partie du même équipage. Si vous pouvez compter sur les marins, eux doivent pouvoir compter sur vous pour que la loi soit appliquée sans être remise en cause dans son exécution, y compris dans la durée. Dans cette tâche, nous aurons donc besoin de votre appui, mesdames, messieurs les députés.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous vous remercions, amiral, et nous essaierons de vous aider à tenir la barre.

M. Gilbert Le Bris. À quelle hauteur la marine, armée la moins dotée en personnels et qui a déjà consenti des efforts importants en la matière, contribuera-t-elle à la diminution des effectifs ? Quel impact ce mouvement aura-t-il sur les micro-populations que vous avez évoquées – spécialistes du nucléaire ou de l’appontage sur porte-avions – et avez-vous déjà identifié des sources de tension ?

La France est un grand pays maritime qui s’ignore ; cet atout mériterait une action sur un temps long, comme nous avons su le faire jadis pour le nucléaire et le spatial. La marine a pour mission de protéger cette richesse, et nos forces de souveraineté déployées outre-mer remplissent toutes les fonctions stratégiques – à l’exception de la dissuasion ; elles maintiennent notre souveraineté dans les ZEE, et vous avez mentionné à ce titre, Amiral, la récente action de la frégate Nivôse. C’est dans ce même esprit que M. Philippe Folliot et moi-même militons pour une souveraineté sur l’île Tromelin qui ne soit pas amputée par un accord avec l’île Maurice. La perspective du programme BATSIMAR étant lointaine et les B2M et BSAH n’étant pas encore disponibles, ne risquons-nous pas une rupture capacitaire lourde ?

Enfin, dans le contexte de la tragédie de Lampedusa, menons-nous des opérations de secours en mer pour les migrants ? Au-delà de notre action dans Frontex, sommes-nous aidés par les autres pays européens ?

M. Alain Marty. N’avez-vous pas le sentiment que notre marine est engagée dans une phase de déclassement ? En 2007, nous disposions de 17 frégates de classe Aquitaine, deux frégates Forbin et cinq frégates La Fayette, ces 24 navires nous plaçant au niveau actuel de la marine indienne. En 2013, nous n’avons plus que 15 frégates : est-ce suffisant pour assurer la sécurité du groupe aéronaval, des SNLE, et pour accompagner un groupe amphibie ?

M. Philippe Vitel. Je nourris beaucoup de doutes quant à l’avenir de notre marine. Nous avons rédigé un rapport en 2012 avec Mme Patricia Adam sur l’action de l’État en mer, ces missions non militaires étant capitales pour la protection de nos compatriotes et pour la défense de notre souveraineté. Nous y soulignions le début d’une rupture capacitaire ; or aucun calendrier ferme n’a été établi depuis lors pour le remplacement des bâtiments. Nous en sommes réduits à requalifier des bateaux que nous nous sommes appropriés dans le cadre de la lutte contre la drogue ou la piraterie. Cela ne fait pas une politique et nous ne croyons plus en notre capacité à assurer toutes les missions.

Où en est-on du MCO des SNA ? La LPM prévoit la livraison d’un seul Barracuda, ce qui implique que certains éléments de la classe Rubis seront prolongés jusqu’à 2030, date de l’arrivée du sixième Barracuda. Le MCO – indisponibilités pour entretien et réparation (IPER) comprises – est assuré à Toulon ; on évoque de placer les IPER des Barracuda à l’île Longue. Les habitants de ma circonscription dans le Var et les industriels se posent des questions : pouvez-vous leur donner des éléments tangibles pour calmer leurs inquiétudes ?

Amiral Bernard Rogel. Monsieur Le Bris, nous savons que nous devons supprimer 650 postes pour atteindre notre cible de 6 000 postes imposée par la précédente LPM ; ces 650 emplois sont presque tous identifiés et nous devons encore désigner une vingtaine de postes d’officiers. En outre, à part les 1 300 postes qui concernent les forces et qui sont la conséquence mécanique de la réduction des formats et du changement du type d’équipage des nouvelles frégates, qui passe de 300 à un peu plus de 100 personnes – cette réduction s’accompagnant d’un accroissement de la technicité qui peut constituer une difficulté, et il faut rester vigilant pour conserver les compétences liées aux vieux bateaux qui vont nous aider à passer la période de l’étalement des programmes –, la marine devra participer à la compression des 14 400 postes qui doit être réalisée sur l’ensemble des structures du ministère. À quelle hauteur ? Je l’ignore, l’analyse fonctionnelle demandée par le ministre de la Défense étant en cours. La réduction de 24 000 postes répond à la nécessité d’équilibrer les équipements, l’activité et les effectifs dans un cadre budgétaire donné. J’ai fait le tour des ports pour expliquer le Livre blanc, la LPM et le PLF à mes troupes et pour leur montrer le cap, et, à cette occasion, j’ai exposé les deux moyens permettant parvenir à cette diminution des effectifs :

– le resserrement du recrutement – celui des officiers doit déjà baisser de 19 % –, qui ne doit pas être trop strict, car le vieillissement global de la population des marins augmenterait le glissement vieillissement technicité (GVT) et ne permettrait pas d’atteindre le but poursuivi alors que la marine parvient chaque année à équilibrer son titre 2 ;

–  les mesures d’accompagnement – pécule, promotion fonctionnelle – afin d’inciter au départ plutôt les officiers supérieurs pour écrêter le sommet de la pyramide de notre masse salariale et encore mieux contrôler notre titre 2 – mais ces départs doivent être contrôlés, car nous avons besoin des compétences de spécialistes qui trouvent, pour 75 % d’entre eux, du travail en moins d’un an quand ils nous quittent.

Nous voyons aujourd’hui toute l’importance de notre ZEE et l’on assiste d’ailleurs à une « territorialisation » de la mer qui tranche avec l’effacement des frontières terrestres. Ainsi, par exemple, la découverte de gisements gaziers en Méditerranée orientale attise des tensions entre les pays riverains – Chypre, Grèce, Turquie, Israël, Syrie, Liban et Égypte. Nous ne pourrons pas surveiller en permanence l’ensemble de notre ZEE qui représente plus de vingt fois le territoire métropolitain, mais nous tâchons de la contrôler au mieux, notamment pour éviter que d’autres viennent y exploiter ses richesses. Je vous avais déjà annoncé, il y a deux ans, des réductions temporaires de capacité pour les moyens en outre-mer : elles subsistent, mais les B2M – bâtiments de soutien civil qui embarqueront des armes légères – remplaceront les BATRAL, qui devaient être remplacés par le programme BIS, et les patrouilleurs continueront d’être exploités avec le risque de rupture franche. Le report de 2017 à 2024 du déploiement du programme BATSIMAR nous fait courir un vrai risque.

Au moment du naufrage de Lampedusa, la marine intervenait dans le cadre de Frontex dans l’ouest de la Méditerranée en mer d’Alboran et trouvait des migrants dans des conditions difficiles – de nombreuses personnes dans des canots pneumatiques –, avant de les remettre aux autorités algériennes. C’est hélas très courant en mer Méditerranée et, sans notre présence, des drames comme celui de Lampedusa peuvent se reproduire fréquemment.

Monsieur Marty, je ne peux en effet que constater la diminution du nombre de frégates de 24 à 15, mais la dernière LPM prévoyait 18 frégates dont cinq n’étaient pas vraiment de premier rang – frégates furtives La Fayette qui ne disposent pas de sonar et dont la capacité de défense aérienne est limitée ; nous avons d’ailleurs retiré l’une d’elle lorsque la tension s’est accrue au large de la Syrie pour la remplacer par une frégate de premier rang, le Chevalier Paul. Disposera-t-on d’une marine cohérente et capable d’assurer ses missions à l’horizon de 2025 ? La réponse est positive et nous conserverons l’une des armées les plus performantes d’Europe. Est-ce suffisant ? Tout chef d’état-major vous demandera toujours davantage pour accroître ses chances de réussir, mais, en l’occurrence, ce n’est pas réaliste compte tenu de la situation budgétaire que nous subissons. Le Livre blanc nous permettra de ne perdre aucune de nos grandes capacités et d’arriver dans de bonnes conditions dans des eaux plus calmes en 2025 afin d’être en mesure de remonter en puissance. Nous avons pris certains risques – le vieillissement des frégates notamment – et s’il est vrai que si nous restons bien placés en Europe, des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie augmentent fortement leurs capacités.

Les huit BSAH remplaceront les remorqueurs du type du Tenace, les bâtiments de soutien régionaux et, dans une certaine mesure, les bâtiments actuellement affectés à la lutte contre la pollution : j’espère que ce programme très important aboutira rapidement, car, dans le cas contraire, la rupture capacitaire franche sera inévitable en 2017.

Monsieur Vitel, je ne peux vous répondre sur les arrêts techniques majeurs des SNA puisqu’un groupe de travail étudie actuellement cette question ; ses conclusions sont attendues avant la fin de l’année. Il s’agit d’un sujet complexe, car il touche l’infrastructure des ports et il convient de trouver le bon lieu pour effectuer les entretiens de longue durée. Les facteurs déterminant de choix seront financiers et la décision n’est pas arrêtée aujourd’hui : quel serait le coût des travaux à réaliser à Brest ? Quel serait l’impact humain du transfert de cette tâche de Toulon à Brest pour les personnels de la marine nationale et pour les industriels ? Quel serait l’impact opérationnel ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. La partie nucléaire des anciens SNLE a été démantelée, mais un programme de déconstruction est-il prévu pour ces bâtiments qui sont dans le port de Cherbourg ?

Amiral, vous affirmez qu’il est indispensable que les premières livraisons du programme BSAH aient lieu en 2017 pour éviter une rupture capacitaire, or le délégué général pour l’armement (DGA) a indiqué qu’il était envisagé d’abandonner le projet initial et de procéder à une acquisition patrimoniale. Ne pensez-vous pas que ce choix risquerait de repousser le délai de livraison ?

M. Yves Fromion. Quel est le pourcentage de notre ZEE que vous surveillez et quel est celui que vous contrôlez ? Comment ces proportions évolueront-elles d’ici à 2017 ?

M. Jacques Lamblin. La baisse du nombre de nos patrouilleurs est inquiétante. La ZEE du Pacifique vous semble-t-elle correctement protégée ?

Le groupe aéronaval concentre des savoir-faire rares et précieux : avons-nous la garantie qu’ils soient conservés à long terme ?

M. Nicolas Dhuicq. Les capacités de notre marine la situent derrière les États-Unis, la Russie, le Japon, la Corée du Sud et l’Inde, et nous devenons une petite puissance maritime, ce que nous n’étions pas à l’époque de Louis XV, où un grand effort fut consenti. Nous abandonnons la mer alors que la majorité de nos approvisionnements s’effectuent par voie maritime ; nous deviendrons donc des prestataires de services de puissances étrangères en Méditerranée et dans la partie septentrionale de l’océan Indien. Vous réduisez le format à un moment où la tolérance à la frustration et la connaissance historique sont de plus en plus faibles dans la population et où une grande partie de vos recrutements se font dans des départements ruraux dépourvus de façade maritime : comment allez-vous faire pour imposer à vos équipages le poids de missions plus difficiles et plus longues, dans une société qui ne supporte plus l’absence ?

Amiral Bernard Rogel. Le moral des personnels constitue l’une de mes préoccupations principales : on choisit d’être marin pour partir loin, longtemps et en équipage ; les conditions ne sont pas confortables – surtout lorsque la mer est formée – et il est vrai que les demandes de lien familial s’expriment de manière plus forte aujourd’hui qu’à l’époque où je suis entré dans la marine. Il convient de veiller à l’acceptation familiale du métier de marin, si spécifique puisqu’il engendre une période d’absence du domicile supérieure à 100 jours par an, parfois dans des conditions d’isolement total – notamment pour les sous-mariniers. Mais, surtout, ce qui est important pour que le moral du marin soit bon, c’est que les missions soient intéressantes, ce qui nécessite des moyens pour que les bateaux soient en mer et non à quai.

Je ne partage pas votre constat selon lequel la France serait une petite puissance maritime, monsieur Dhuicq. Certes, des pays montent en puissance, mais nous restons une marine puissante à l’échelle de l’Europe notamment.

Monsieur Fromion, nous contrôlons toutes les approches maritimes françaises - outre-mer compris - je dirais sur une largeur de 100 kilomètres à partir des côtes et nous tâchons de surveiller le reste de notre ZEE ; il convient néanmoins de ne pas oublier que sa superficie atteint 11 millions de km² et il faudrait une flotte d’ampleur démesurée pour assurer une surveillance permanente de l’ensemble de la zone. Nous contrôlons tous les secteurs dans lesquels le trafic de drogue est développé – Caraïbes, ouest de l’Afrique et ouest de la Méditerranée. L’UE nous impose d’y assurer la lutte contre la pêche illégale, et nous avons déployé une frégate et un avion de surveillance maritime à l’occasion de la campagne européenne du thon rouge : nous ne pouvons pas nous soustraire à cette obligation, car cela nous exposerait à devoir régler des amendes d’un montant proche de celui d’un petit patrouilleur. Cette mission nous conduit aussi dans le golfe de Gascogne, bien entendu, mais également aux îles Kerguelen dont les eaux abritent un poisson rare, la légine, convoité par de nombreux pays asiatiques, ce qui incite à la pêche illégale. Nous sommes ainsi intervenus l’année dernière contre un pêcheur sud-coréen qui se trouvait en infraction. Nous nous concentrons sur les luttes contre le trafic de drogue et l’immigration illégale – dans le cadre de Frontex, en Méditerranée comme à Mayotte.

Madame Gosselin-Fleury, il existe bien un programme de démantèlement des SNLE, dont le DGA est responsable. Pour ce qui est sous ma responsabilité, c’est-à-dire les bâtiments de surface, les déconstructions requièrent des mesures de respect de l’environnement. Le traitement des dossiers est complexe. Nous disposons de 10 millions d’euros par an pour la flotte de surface hors sous-marins et les premiers bateaux sont en cours de déconstruction – notamment la Saône qui posait un vrai problème du fait de son mauvais état. Plusieurs contrats de déconstruction sont maintenant mis en œuvre, pour la Jeanne-d’Arc et le Colbert. Il faut espérer que cette opération se termine rapidement, car dès lors que les SNA du type Rubis seront désarmés, nous risquons d’être confrontés à un encombrement dans le port de Cherbourg.

Nous menons une réflexion pour déterminer la nature du cadre juridique et technique des BSAH : soit nous choisissons le partenariat public-privé (PPP) où les bâtiments sont en leasing avec quatre d’entre eux armés par des équipages militaires et quatre par des équipages civils, soit nous optons pour un mélange comptant une composante patrimoniale et une autre d’affrètement, soit nous privilégions la voie totalement patrimoniale. Nous devons prendre rapidement une décision pour ces bâtiments de soutien qui ne sont pas de combat.

Monsieur Lamblin, la zone de la Polynésie est très étendue, mais si de fortes tensions émergeaient en mer de Chine ou dans la zone Pacifique, nous pourrions affecter des moyens habituellement stationnés en métropole à ces endroits. Nous ne disposons actuellement que de deux frégates de surveillance dans le Pacifique, et nous nous concentrons sur la pêche illégale et la surveillance des zones à fort potentiel de ressources ; nous espérons pouvoir remplacer rapidement les patrouilleurs, d’où notre impatience à voir se déployer le programme Batsimar.

Mon combat quotidien est de conserver les savoir-faire. Du fait du resserrement de format, nous avons deux frégates de défense aérienne – de la classe Chevalier Paul –, deux frégates antiaériennes, quelques frégates anti-sous-marines (ASM), un groupe aéronaval, six SNA et quatre SNLE, d’où la micro-gestion de personnels disposant de compétences très spécialisées et indispensables au fonctionnement de chaque type de bâtiment – par exemple, s’il manque le chimiste sur un sous-marin, celui-ci ne peut appareiller. L’étalement des programmes rend plus difficile encore le maintien de ces savoir-faire, puisque nous faisons naviguer en même temps des flottes anciennes et modernes, et la complexité de la tâche s’accentuera si la réduction des effectifs est trop forte.

M. Daniel Boisserie. Amiral, il conviendrait sans doute de communiquer davantage sur les succès que vous rencontrez dans la lutte contre la piraterie.

Pourriez-vous nous en dire plus sur les faiblesses de la réserve opérationnelle ?

Le Président de la République a mis beaucoup de pression sur M. Bachar el-Assad : avez-vous assisté à ces manœuvres ?

M. Christophe Guilloteau. Au cours de l’opération Serval, la marine a joué un rôle important dans le renseignement et dans le transport. Amiral, vous avez beaucoup parlé du Livre blanc qui fixe à 15 le nombre de frégates de premier rang. Pour ces bâtiments, quelles sont la part du Livre blanc et celle de la LPM ?

M. Joaquim Pueyo. Le règne de Louis XV ne fut pas glorieux pour la France : le traité de Paris de 1763 consacra la perte du Canada, de l’Inde et d’autres territoires. C’est à partir de cette période que le poids international de la France a décliné.

La coopération européenne est nécessaire pour surveiller les zones maritimes sensibles. Amiral, allez-vous formuler des propositions au ministre de la Défense en vue du Conseil européen de décembre prochain, notamment dans le domaine des programmes communs comme celui des missiles anti-navires légers ? Les économies ne seraient pas visibles à court terme, mais des programmes communs bien structurés pourraient permettre à la France et à l’UE de conserver une vraie influence sur les mers.

Mme Édith Gueugneau. Dans le cadre de l’opération Serval, le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Dixmude a acheminé des véhicules et des matériels des différentes unités composant le groupement tactique interarmes (GTIA). Le BPC a ainsi été déployé pour la première fois en mission de transport opérationnelle. Pourriez-vous nous expliquer son rôle dans le succès de l’opération Serval ?

M. Philippe Folliot. La France se croit continentale et européenne alors qu’elle est maritime et mondiale. Amiral, je doute de notre capacité à exercer juridiquement notre souveraineté à Tromelin et à assurer une présence autour de territoires comme les îles Éparses et l’île de Clipperton. Un bâtiment de la marine nationale se rendait tous les ans à Clipperton pour marquer notre souveraineté, mais la contraction des moyens devrait porter la fréquence de ce passage à deux ou trois ans. Pensez-vous que cela soit suffisant pour assurer notre souveraineté sur une ZEE dont la superficie s’élève à 450 000 km², alors que celle de la France métropolitaine n’est que de 345 000 km² ? Ce constat peut être étendu aux terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et au premier chef aux îles Éparses.

Mme Sylvie Pichot. Amiral, pourriez-vous nous préciser le rôle de la marine dans la modernisation des Rafale ? Qui assume l’entretien de ces appareils, une fois ceux-ci livrés par les industriels ?

Amiral Bernard Rogel. Monsieur Boisserie, la lutte contre la piraterie a été couronnée de succès dans l’océan Indien, même si le fait que les attaques ne réussissent plus depuis un an ne signifie pas que le problème soit résolu. Nous n’avons actuellement plus de moyen naval engagé dans la mission Atalanta, mais la frégate Aconit se trouve dans l’océan Indien et pourrait être mobilisée si nécessaire. La situation dans le golfe de Guinée devient en revanche préoccupante, car le brigandage maritime se transforme en véritable piraterie ; nous aidons donc nos partenaires africains à se doter des moyens de surveillance et d’intervention pour lutter contre cette menace.

La réserve opérationnelle est composée de gens indispensables : sans eux, les centres opérationnels de la marine s’arrêteraient de fonctionner. En 2015, nous souhaitons que 7 500 marins réservistes puissent être disponibles 25 jours par an. Cette réserve est économique et nous regrettons que ses effectifs diminuent du fait de la compression des crédits, mais si nous atteignons notre objectif pour 2015, nos centres opérationnels pourront continuer à agir.

Monsieur Guilloteau, le Livre blanc constitue le fondement de notre politique et il a déterminé la LPM et le PLF. Je souhaite que le projet de loi de programmation militaire soit adopté, car il décline le compromis du Livre blanc. On nous reproche souvent de défendre nos périmètres, alors que nous avons réfléchi cette fois en termes d’ambition de la France et de contrainte budgétaire. C’est à partir de ce raisonnement que nous avons défini les missions de la marine, puis que nous avons déduit les capacités nécessaires à leur exercice.

D’ici à la fin de la période de la LPM – prévue en 2019 –, nous disposerons de six FREMM ; au cours des discussions préparant le Livre blanc, j’avais insisté sur la nécessité d’avoir quatre frégates de défense aérienne, et la situation en Méditerranée orientale illustre le besoin de posséder des moyens de protection antiaérienne. Les huit premières FREMM seront composées de six anti-sous-marines et de deux frégates de défense aérienne – équipées de capacités de lutte sous la mer : il s’agit d’une commande ferme et trois autres bâtiments pourraient la suivre. Une fois leur comportement évalué, nous réfléchirons à la façon d’atteindre le format de 15 frégates de premier rang, prévu pour 2025. La LPM prévoit également que les frégates légères furtives possèdent un sonar de coque.

Monsieur Pueyo, c’est aux politiques de décider d’accroître la coopération européenne ! Quand on nous demande de monter une opération comme Atalanta, on le fait en moins de quinze jours. Quels intérêts veut-on partager entre pays européens ? Voilà la question fondamentale. Pour ce qui concerne les forces, deux initiatives sont déjà en cours : l’initiative européenne amphibie, ou EAI comme european amphibious initiative, et celle des porte-avions, l’ECGII ou european carrier group interoperability initiative, qui réunissent les pays possédant de tels bâtiments. La force navale franco-allemande n’est pas permanente, mais elle est mobilisable sur ordre. Nous en avons fait la démonstration en juin dernier au large de Brest pendant un exercice majeur, SPONTEX, auquel ont participé plusieurs marines européennes. Par ailleurs, nous développons le concept de Combined Joint Expeditionary Force (CJEF) avec les Britanniques depuis 2011. Cela nous permettra de résoudre la question de la permanence d’un groupe aéronaval en Europe. Le NH90 est également un programme européen – et même international –, comme les frégates FREMM et Horizon où nous sommes associés avec les Italiens. Il y a lieu d’augmenter par ailleurs la coopération entre les chantiers navals européens, alors que nous sommes souvent concurrents à l’export aujourd’hui. Nous, chefs d’état-major, devrions être plus raisonnables en termes de spécifications et éviter des situations comme celles du NH90 pour lequel nous en sommes à quasiment la vingtième version. Plutôt que de se perdre dans ces exigences, privilégions nos objectifs communs et concentrons-nous sur des réalisations comme l’école franco-allemande du Tigre ou la mise en place d’entités de soutien et de formation.

Madame Gueugneau, le BPC Dixmude avait déjà assuré du transport opérationnel à l’occasion du déploiement de la force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) en 2006 après avoir évacué les ressortissants. Le BPC s’apparente à un couteau suisse : il peut être un porte-hélicoptère d’attaque, comme devant la Libye, un navire-hôpital humanitaire, un navire chargé d’évacuer les ressortissants ou bien encore un transporteur opérationnel. Ce bateau a été conçu en étroite collaboration entre l’armée de terre et la marine, ce qui lui permet de remplir efficacement des missions très diverses. Le Dixmude a transporté plus de 500 hommes et du matériel lourd pour l’opération Serval. Le BPC Tonnerre vient, quant à lui, d’effectuer la relève de la composante française de la FINUL au Liban.

Monsieur Folliot, s’agissant de Clipperton, nous avons un accord avec le Mexique pour les autorisations de pêche, mais il est vrai que la marine ne peut pas être partout.

Nous achevons d’équiper en Rafale la deuxième flottille de l’aéronautique navale - celle-ci comprenant une quarantaine de Rafale à l’avenir. Nous avons progressé dans l’entretien des aéronefs de la marine, qui est dorénavant assuré par le service industriel de l’aéronautique (SIAé), organisme à vocation interarmées piloté par l’armée de l’air et qui travaille avec la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD). Nous avons confié le destin technique de l’aéronautique navale à nos camarades aviateurs et nous nous en félicitons, même si les débuts furent compliqués du fait de la nouveauté d’un tel rapprochement. Ce mouvement ne doit en revanche pas altérer la capacité de la marine à embarquer, et nous devons veiller à pouvoir prélever des personnels de ces deux structures pour que les bateaux puissent prendre la mer.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous vous remercions, Amiral.

La séance est levée à dix-heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. François André, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Gilles Bourdouleix, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Laurent Kalinowski, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Christophe Léonard, M. Maurice Leroy, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Alain Moyne-Bressand, M. Jean-Claude Perez, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, Mme Paola Zanetti.

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Bridey, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Jean-Pierre Maggi, M. Eduardo Rihan Cypel.