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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 28 janvier 2014

Séance de 17 heures 45

Compte rendu n° 31

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, sur l’évolution du contexte stratégique et le rôle de la dissuasion française.

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante-cinq.

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui un cycle d’auditions sur la dissuasion nucléaire, que je souhaite le plus complet possible et qui se poursuivra après la période de suspension des travaux. Vous vous souvenez que ce sujet avait été abordé à plusieurs reprises lors de nos travaux sur le projet de loi de programmation militaire (LPM). Différents groupes politiques avaient alors souhaité qu’un débat puisse avoir lieu. Je respecte donc l’engagement que j’avais alors pris alors devant vous puisque notre commission va auditionner de nombreuses personnes – militaires, civils, experts, représentants ONG, etc. qui bien entendu ne partageront pas nécessairement le même point de vue sur cette question.

Nous aborderons la question au travers de tous ses aspects, politiques et philosophiques, stratégiques, industriels et économiques, sans oublier naturellement les caractéristiques de notre outil de dissuasion. De la sorte, l’ensemble des membres de la commission sera associé à ces travaux, dont une partie sera ouverte à la presse, comme c’est le cas aujourd’hui.

Je suis donc heureuse d’accueillir en ouverture M. Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, pour une audition sur l’évolution du contexte stratégique et le rôle de la dissuasion française. Vos travaux sur la dissuasion et ses enjeux sont bien connus, et reconnus. Il m’a donc semblé utile de vous recevoir dès le début, pour en quelque sorte planter le décor, en abordant la question de la prolifération, du nouveau paysage stratégique et en vous entendant sur la pertinence de la dissuasion.

Sans plus attendre, je vous laisse la parole.

M. Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Je me permettrais tout d’abord féliciter la commission de la Défense pour l’organisation de ce cycle d’auditions. Il s’agit d’une initiative très importante. En effet, je fais partie de ceux qui estiment qu’il ne peut y avoir de consensus sur la dissuasion sans questionnements et sans débat sur sa raison d’être et sur l’attachement de la France à ce concept.

Je commencerai par quelques mots sur ma vision du contexte stratégique en insistant évidemment sur les évolutions à l’œuvre dans le domaine du nucléaire. Ce contexte est caractérisé par la montée de ce que j’ai appelé le « nationalisme nucléaire », à savoir des politiques marquées à la fois par un nationalisme exacerbé, le refus du statu quo régional avec un désir d’influence et, parfois, une volonté de révision des frontières, et une expansion des capacités nucléaires. Cette expansion s’observe dans plusieurs pays : Chine, Pakistan, Corée du Nord, Iran – même si celui-ci n’a pas encore franchi le seuil nucléaire.

La Russie est également concernée. Certes on observe une rétraction de ses capacités nucléaires, mais on assiste également à une modernisation de celles-ci avec le développement d’une nouvelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et de missiles. En outre, ces dernières années, la Russie est revenue à la « permanence à la mer », abandonnée à la fin de la Guerre froide, avec une reprise des patrouilles régulières de SNLE, le retour d’initiatives et de postures agressives vis-à-vis de ses voisins qui rappellent le conflit entre les deux Grands et qui se matérialisent parfois par la violation de leurs espaces territorial, aérien ou maritime par le biais de patrouilles stratégiques. Enfin, la Russie procède à des exercices appelés Zapad, qui se concluent fréquemment de manière assez inquiétante avec une simulation de frappe nucléaire, généralement dirigée sur les pays de l’OTAN…

La Chine, pour sa part, est entrée, après des décennies d’échec, dans le club des puissances possédant une composante nucléaire sous-marine, même si celle-ci reste balbutiante. Elle n’observe aucune transparence sur son arsenal nucléaire mais il est certain que le pays dispose d’une forte capacité à monter en puissance. Les statistiques relatives à l’arsenal chinois font l’objet de débats. Les chiffres publiés par certains think tanks américains sont, à mon sens, sujets à caution, et en tout état de cause, le pays dispose d’un fort potentiel de développement de son arsenal.

La Corée du Nord, l’Inde, Israël ou le Pakistan n’abandonneront pas leurs arsenaux dans le contexte actuel et prévisible. Aussi, sauf événement majeur ou surprise stratégique, devons-nous par conséquent nous habituer à vivre pour longtemps dans un monde comptant au moins neuf États nucléaires.

La prolifération nucléaire est à la fois une cause et une conséquence des crises régionales. Une cause lorsque la possession d’armes nucléaires encourage l’aventurisme – on l’a constaté à plusieurs reprises au cours des 60 dernières années. Une conséquence lorsque certains États tirent argument soit d’une menace dans leur voisinage, soit des interventions occidentales pour sanctuariser leur propre territoire grâce à la dissuasion.

L’Inde et le Pakistan ne sont évidemment pas des adversaires de la France et se comportent en puissances nucléaires plutôt responsables. Toutefois leur attitude suscite des interrogations : développement rapide – à la fois quantitatif et qualitatif – des arsenaux nucléaires ; intention de se doter de composantes maritimes ; risque de conflit persistant en Asie du sud ; questions sur l’avenir du Pakistan.

La Corée du Nord est en route vers la maîtrise de la portée intercontinentale, même si le chemin sera probablement encore long. La Corée du Nord n’est pas un État irrationnel ; c’est un État imprévisible, avec sa propre rationalité, ce qui précisément le rend dangereux.

L’Iran représente à l’évidence une question centrale pour l’avenir du paysage nucléaire mondial. Si nous ne parvenions pas à un accord final satisfaisant – non seulement pour l’Europe mais également pour les États de la région – le risque de poursuite de la prolifération nucléaire serait grand. Je rappelle que la technologie de l’enrichissement de l’uranium est depuis longtemps sur le marché noir, de même – et c’est encore plus inquiétant – que des plans d’armes nucléaires d’origine pakistanaise.

Je souhaiterais maintenant évoquer les différents types de menaces. Il n’existe pas, aujourd’hui, de menace militaire classique contre la France. En revanche, il existe une menace potentielle contre l’Europe, celle d’une crise qui impliquerait la Russie et dans laquelle notre dissuasion n’aurait peut-être pas de rôle direct à jouer, mais dont l’existence pourrait produire un effet indirect sur les évolutions d’une telle crise.

La menace balistique est de plus en plus prégnante et se double d’une prolifération grandissante des missiles de croisière y compris à longue portée. Une question reste ouverte, dont seul le Président de la République serait juge : une menace de missiles conventionnels pourrait-elle relever de l’atteinte potentielle à nos « intérêts vitaux » ?

Inversement, la menace chimique est, de mon point de vue, en voie de diminution voire de marginalisation. Si la destruction de l’arsenal chimique syrien se déroule de manière satisfaisante, nous aurons franchi un grand pas vers la marginalisation de cette menace.

Des interrogations se font jour quant à la menace cybernétique. Est-il concevable qu’une telle menace puisse porter atteinte à nos « intérêts vitaux » ? Il s’agit d’une question complexe, relativement nouvelle. À mon sens, tel n’est pas le cas aujourd’hui. Ma réponse pourrait être différente dans 15 ou 20 ans – voire avant – mais à ce jour, si la menace cybernétique est réelle pour nos intérêts économiques, elle ne me semble pas constituer un risque majeur pour nos « intérêts vitaux ».

Enfin, la menace biologique pourrait connaître de nouveaux développements à l’avenir, notamment assis sur le génie génétique, mais nous n’en sommes pas encore là. Il s’agit d’une menace très particulière. Des tentatives de militarisation des charges biologiques – placées sur des missiles balistiques –, avaient été entreprises par le passé en Irak et en Union soviétique sans toujours être couronnées de succès. J’estime qu’il ne s’agit pas d’une menace essentielle aujourd’hui. Je n’en dirais pas autant quant à ses perspectives d’avenir avec des développements scientifiques et technologiques qui pourraient lui donner une acuité nouvelle dans les prochaines décennies.

Dans le contexte que je viens de détailler, quelle est la pertinence de la dissuasion nucléaire française ? Je ne suis certes pas le premier à le dire mais il me semble utile de le rappeler : il ne s’agit pas d’une question de prestige. Le Président Sarkozy l’avait d’ailleurs dit explicitement dans un discours. Il convient de tordre le cou à une idée, encore très prégnante à l’étranger, et selon laquelle la France maintient sa dissuasion dans le but de préserver son prestige international. La question de l’influence est différente, j’y reviendrai. Il ne s’agit pas non plus de conserver notre siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Il y a une coïncidence de fait entre ces deux données, mais aucun lien de causalité.

J’estime que la dissuasion remplit aujourd’hui quatre fonctions. En premier lieu, elle garantit la liberté d’action d’un des trois seuls pays au monde – États-Unis, Grande-Bretagne et France – dont l’influence et les responsabilités politiques et militaires se situent à l’échelle mondiale. Cette garantie joue tout d’abord vis-à-vis de l’adversaire, avec ce que je caractérise comme la « contre-dissuasion ». Contrairement au scénario traditionnel de la Guerre froide, il s’agirait davantage de neutraliser la dissuasion du pays adverse que d’exercer directement notre dissuasion. Tel serait le cas vis-à-vis d’un pays qui tenterait de nous empêcher d’intervenir dans sa région ou de soutenir un pays allié ou ami.

Cette liberté d’action joue également par rapport à nos grands alliés. J’ai à ce sujet une thèse personnelle, dont on peut débattre : je ne suis pas certain que le France aurait pu s’opposer aux États-Unis de manière aussi frontale et active en 2002-2003 si elle avait été dépendante de cet allié pour le maintien de sa sécurité et la préservation de ses intérêts vitaux. L’Allemagne s’était certes également opposée, mais moins brutalement et moins activement que la France. Je soutiens ce point de vue avec d’autant plus de sérénité que j’estimais la position de notre pays un peu excessive. La question reste ouverte, mais l’existence de la dissuasion française a peut-être eu cette vertu de permettre aux autorités politiques de l’époque d’exercer plus aisément ce qu’elles estimaient être leurs responsabilités en toute autonomie vis-à-vis des États-Unis.

Récemment, un ancien responsable politique remettait en question la croyance en cette liberté d’action permise par le nucléaire en faisant observer que lorsque notre pays s’engage au Mali, la dissuasion est inutile. C’est évident, mais tel n’est pas le sujet ! La dissuasion ne s’inscrit évidemment pas dans des scénarios de type Mali.

Deuxième fonction, la dissuasion contribue à la sécurité de nos alliés, notamment en crédibilisant les engagements de défense souscrits par notre pays en vertu de traités multilatéraux ou bilatéraux. De mon point de vue – mais en la matière, seule l’appréciation du Président de la République importe – la liberté et l’existence des pays de l’Union européenne relèvent des « intérêts vitaux » de la France tant les intérêts vitaux des différents États membres sont aujourd’hui imbriqués.

La troisième fonction est héritée de la Guerre froide : il s’agit de garantir notre survie, notre existence même, dans l’hypothèse où une menace majeure dirigée contre l’Europe se matérialisait à l’horizon des trente prochaines années.

Enfin, la dissuasion contribue au rayonnement de notre politique étrangère. Il ne s’agit pas d’une question de prestige mais d’image. La possession d’une force de dissuasion conforte l’image d’une puissance indépendante, non pas cette fois dans notre rapport aux États-Unis, mais dans notre rapport au reste du monde. Cette fonction est peut-être même encore plus utile depuis que la France a repris toute sa place au sein des structures militaires intégrées de l’OTAN. J’étais personnellement favorable à cette réintégration, mais à condition que nous conservions une force de dissuasion indépendante. Si tel n’avait pas été le cas, les conséquences pour notre pays en termes d’image auraient été très négatives. Il s’agit d’une hypothèse théorique, dans la mesure où le départ des structures militaires intégrées en 1967 et la constitution parallèle d’une force de dissuasion étaient, pour le général de Gaulle, les deux faces d’une même pièce.

La dissuasion remplit ces quatre fonctions à un coût qui, me semble-t-il, est parfaitement supportable. J’ai conscience qu’il s’agit d’un jugement de valeur et je comprends qu’on puisse ne pas le partager, mais tel est mon point de vue d’expert mais aussi et de citoyen. La dissuasion française est plus chère que la dissuasion britannique – elle est quasiment deux fois plus coûteuse – mais tel est le prix de l’indépendance et de l’image de l’indépendance.

Puisque j’ai l’honneur d’être le premier intervenant de ce cycle d’auditions, je me permettrais enfin d’ouvrir le débat en contestant quatre idées reçues.

En premier lieu, on entend souvent que l’existence de la dissuasion et son concept sont « sanctuarisés ». Madame la Présidente, un certain nombre d’entre vous mesdames et messieurs les députés et moi-même étions membres de la commission du Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale. Il est faux de dire que le sujet de la dissuasion était tabou au sein de la commission, nous en avons parlé ! Des séances entières ont été exclusivement consacrées à ce sujet. S’agit-il alors de sanctuarisation budgétaire ? Si l’on analyse les données depuis 25 ans, on observe que le budget consacré à la dissuasion a d’abord baissé en valeur relative avec une diminution de sa part dans le budget total de la défense ; puis il a décru en valeur absolue. Et à ma connaissance, il n’est pas aujourd’hui immunisé contre les « coupes » budgétaires. Au total, nous cherchons à conserver notre posture de dissuasion minimale au moindre coût.

Deuxième idée reçue : la dissuasion empêche la modernisation des moyens « classiques », elle dessert le conventionnel. Une telle assertion est triplement fausse. Je développerai ici un certain nombre d’arguments suggérés dans le Livre blanc de 2013. Cette idée est d’abord fausse d’un point de vue conceptuel. Je l’ai rappelé, le nucléaire conférerait la liberté d’action dans une crise grave en Europe, en Asie, au Moyen-Orient. Par ailleurs, on observe un lien entre le nucléaire et le conventionnel en termes de capacités. Si la France n’avait pas maintenu son effort de dissuasion, je ne suis en effet pas certain que notre pays aurait pu préserver le format de certaines capacités clés, maritimes et aériennes : sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), frégates anti sous-marines (FASM), avions de patrouille maritime, avions ravitailleurs, etc. On peut presque renverser l’argument ! C’est peut-être le nucléaire qui a permis de maintenir – du moins de ne pas trop rogner – certaines capacités conventionnelles. Enfin, du point de vue des performances techniques et humaines, les exigences du nucléaire – en termes de fiabilité, de sécurité, de performance – tirent vers le haut l’ensemble de notre appareil de défense. Si la France a un outil militaire et une industrie de défense d’une telle qualité, c’est en grande partie grâce à la dissuasion.

Troisième idée reçue : nous pourrions facilement abandonner notre composante aéroportée puisque le Royaume-Uni – pays le plus proche de la France du point de vue de l’exercice de la dissuasion – l’a fait. C’est oublier que les Britanniques ne sont pas dans la même situation que nous. Leur composante océanique est en réalité « louée » aux États-Unis puisque les missiles font l’objet d’un pool commun américano-britannique, et ses performances techniques sont bien supérieures à celles de la composante océanique française, notamment en termes de précision. L’existence de notre composante aéroportée nous permet de maintenir un éventail d’options qui crédibilisent la dissuasion dans des scénarios plus divers que par le passé. En outre, d’une certaine manière, la Grande-Bretagne dispose toujours d’une composante aérienne : celle de l’OTAN. En effet, par défaut, l’exercice de la dissuasion britannique se pense dans le cadre de l’OTAN.

Quatrième et dernière idée reçue : la doctrine nucléaire serait fossilisée depuis la fin de la Guerre froide, avec les mêmes concepts, les mêmes réflexes, le même vocabulaire, etc. En réalité, les éléments fondamentaux de la doctrine de dissuasion sont très souples et adaptables. Ce n’est pas parce que le contexte a radicalement changé que les concepts sont devenus non pertinents : la notion d’« intérêt vital » reste valable quel que soit le type d’adversaire. C’est la menace qui peut varier. La notion de « dommages inacceptables », critère qui dimensionne les capacités de notre force de dissuasion peut s’appliquer aussi bien à l’Union soviétique hier, qu’à la Chine, la Russie ou une puissance régionale aujourd’hui.

Par ailleurs nous avons ajusté notre posture, notre doctrine. Notre dissuasion n’est plus focalisée sur la Russie, elle n’est plus, par nature, la dissuasion du faible au fort née lorsque nous faisions face à la menace unique, majeure et immédiate représentée par l’Union soviétique. En outre, elle a intégré une dimension européenne. Depuis François Mitterrand, tous les Présidents de la République se sont accordés sur le fait de ne pas laisser la dissuasion hors de l’espace européen. L’idée d’une France frileuse dont la dissuasion s’arrêterait à ses frontières n’est plus d’actualité depuis longtemps. J’ajoute qu’elle n’était pas non plus celle du général de Gaulle.

En outre, au milieu des années 1990, notre dissuasion a été inscrite dans le cadre juridique de la légitime défense. Le Président Sarkozy avait encore précisé ce cadre en évoquant des « circonstances extrêmes de légitime défense », ce qui n’est pas neutre.

Notre pays a également abandonné depuis longtemps toute conception d’emploi tactique, pré-stratégique ou non stratégique. Dès le milieu des années 1990, il a été clairement établi que l’emploi de l’arme nucléaire, qui représenterait une rupture historique majeure, ne pourrait s’opérer que dans des situations extrêmes, des circonstances par nature « stratégiques ».

Cinquième type d’ajustements : la dissuasion n’est plus, et depuis longtemps une dissuasion « anti-cités », concept de la Guerre froide.

Enfin, la dissuasion a pris en compte son articulation avec la défense antimissile. Il s’agit d’un élément appelé à perdurer dans le contexte stratégique, même si les projets de l’OTAN seront probablement revus à la baisse. Dans ce domaine il y a consensus et la position du Président Hollande est cohérente avec celle de ses deux prédécesseurs : dissuasion et défense antimissile sont complémentaires et l’une ne saurait se substituer à l’autre.

Le débat sur la dissuasion est donc utile et nécessaire, certaines théories et idées reçues méritent d’être questionnées et je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

Mme la présidente Patricia Adam. Sur le sujet de la dissuasion, je rappelle que nous souhaitons auditionner les autorités militaires, la direction générale de l’armement, des associations hostiles au nucléaire militaire, l’ambassadeur britannique, le général Bentegeat, des spécialistes de la Russie, de la Chine et des États-Unis, organiser une table ronde avec les industriels et auditionner également des aumôniers militaires qui ont ardemment souhaité être entendus. Je poserai une seule question : quelle est la perception des pays européens vis-à-vis de la possession de l’arme nucléaire par la France ?

M. Bruno Tertrais. Leur appréciation est très variable. Avec le Royaume-Uni, nous avons initié, dans les limites de nos visions stratégiques parfois différentes, une coopération qui date maintenant de plus de vingt ans et nous partageons, sur beaucoup de points, la même approche, au point d’avoir engagé un programme commun, le programme Epure. À l’autre bout du spectre, certains pays nordiques ont un discours beaucoup plus réservé et considèrent le nucléaire militaire comme un anachronisme voire un obstacle à l’intégration européenne. Des pays comme l’Espagne, l’Italie et la Belgique font preuve d’une sympathie mesurée et prudente. Les pays baltes et surtout la Pologne manifestent un véritable intérêt ; la Pologne est le seul grand pays de cette région avec lequel on peut avoir un dialogue constructif sur le nucléaire militaire. Pour les Allemands, il s’agit d’un sujet difficile et sensible sur lequel les administrations successives n’ont pas toujours su se positionner. Je note qu’on échangeait avec l’Allemagne beaucoup plus sur le nucléaire militaire dans les années quatre-vingt qu’aujourd’hui, ce qui est anormal. Il est dommage que ce sujet reste largement en dehors de notre dialogue stratégique. Le sommet de Lisbonne a par exemple été l’occasion d’un incident franco-allemand au sujet de la défense antimissile, nos partenaires l’envisageant alors comme un substitut au nucléaire militaire. Je considère qu’il n’est pas sain que ce sujet soit peu abordé, y compris entre spécialistes.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Existe-t-il une alternative crédible à l’arme nucléaire ? Je pense en particulier à la défense antimissile. Par ailleurs, la dissuasion peut-elle encore jouer un rôle face aux menaces terroristes ?

M. Bruno Tertrais. On peut certes rêver d’alternatives à l’arme nucléaire mais la question de la crédibilité de la dissuasion aux yeux de l’adversaire demeure essentielle. Il existe deux types d’alternatives à l’arme nucléaire. En premier lieu, une alternative technique avec une défense antimissile efficace surtout contre la menace balistique. La défense contre des missiles de croisière à longue portée reste quant à elle délicate. On peut aussi penser à l’alternative que constitueraient des missiles conventionnels classiques de nouvelle génération, comme les futurs missiles américains à propulsion hypersonique. Ce premier type d’alternative est très coûteux pour une efficacité douteuse ; surtout elle ne fait pas peur, à la différence des images terrifiantes d’Hiroshima et de Nagasaki que chacun conserve en mémoire. La première vertu de la dissuasion nucléaire est en effet de faire peur.

La deuxième alternative réside dans un système de sécurité collective. La dissuasion nucléaire est pour moi une garantie en cas d’échec de la paix libérale au sens kantien. Le nombre de conflits traditionnels est certes en diminution sur la longue durée et peut-être que la sécurité collective deviendra le paradigme dominant dans cinquante ans, la dissuasion s’effaçant alors, mais nous en sommes loin et il n’y a aujourd’hui, à mon sens, pas d’alternative crédible à la dissuasion nucléaire.

S’agissant de la deuxième question, je pense qu’il n’existe pas de situation où la dissuasion nucléaire pourrait être utilisée face aux menaces terroristes sauf peut-être dans le cas d’un terrorisme nucléaire directement commandité par un État détenteur. Il s’agit là d’un scénario extrême mais qui avait déjà été évoqué dans un discours de Jacques Chirac en 2006. Les Britanniques partageaient d’ailleurs ce point de vue.

M. Philippe Folliot. Il est essentiel que l’on puisse débattre de la dissuasion nucléaire qui n’est pas un sujet tabou. Votre exposé fait ressortir des points de convergence avec ma position mais soulève également quelques points d’interrogation. Historiquement, je pense contrairement à vous que le discours du général de Gaulle relatif à la dissuasion nucléaire ne s’adressait pas aux Russes mais aux Américains. Il s’agissait de démontrer à ces derniers que la France était prête à jouer un rôle international de façon indépendante. Vous avez raison de souligner que la dissuasion nucléaire a été un facteur de paix pendant la guerre froide et même après. La dissuasion est une affaire de technicité reposant sur des armes, des vecteurs et une réelle fiabilité : la France en dispose. Par rapport à d’autres pays, la France se situe néanmoins dans la situation totalement différente où elle maîtrise seule sa dissuasion, contrairement aux Britanniques par exemple qui ne peuvent pas s’engager sans l’aval des États-Unis. Je souhaiterais également insister sur un point à mes yeux essentiel qui est la singularité de notre pays, où le Président de la République, chef des armées, décide seul de l’emploi de l’arme nucléaire. Les Allemands pourraient certes se doter de l’arme nucléaire mais ils n’auraient pas la même capacité à la mettre en œuvre dans la mesure où il faudrait recueillir préalablement l’accord du Parlement. C’est à mon sens un élément majeur de notre dissuasion. S’agissant de la défense antimissile, je note qu’entre le bouclier et le glaive, ce dernier l’a toujours emporté dans l’histoire. En revanche, certains points peuvent être débattus. Notre groupe, l’UDI, reste favorable au maintien de la dissuasion mais, au regard des contraintes budgétaires actuelles, on peut légitimement s’interroger sur le fait de savoir si on doit conserver le même format ou adapter celui-ci avec un spectre moins large. Cela permettrait de dégager des moyens financiers au profit des forces conventionnelles, d’où le débat sur l’abandon progressif de la composante aérienne. Chacun sait que cette dernière est désormais modernisée jusqu’à l’horizon 2030. Dans ces conditions, je souhaiterais savoir si on peut la conserver jusqu’à cette échéance sans effort financier supplémentaire. Par ailleurs, est-il possible de chiffrer les économies engendrées sur le poste « recherche et développement » si un abandon de la deuxième composante après 2030 était décidé dès maintenant ? Enfin, on sait que l’armée de l’air souffre d’un déséquilibre profond entre l’aviation de combat, qui assure à la fois des missions nucléaires et des missions classiques et l’aviation de transport. Ne convient-il pas de rééquilibrer cette situation ?

Mme la présidente Patricia Adam. Je souligne que nous aurons également des auditions concernant les aspects financiers de la dissuasion nucléaire.

M. Bruno Tertrais. M. Folliot, je diverge avec vous sur votre appréciation historique. Le général de Gaulle s’adressait clairement aux Russes lorsqu’il s’exprimait au sujet de la dissuasion nucléaire. En privé, il faisait même savoir que l’objectif de cette dernière était de pouvoir tuer 40 millions de Russes. C’était sa conception, très claire, de la notion de suffisance. Je vous remercie d’avoir rappelé le lien qui existe entre notre organisation constitutionnelle et la dissuasion. Nos institutions ont en effet été en partie façonnées par l’arme nucléaire et une des raisons du choix par le général de Gaulle de l’élection au suffrage universel direct du Président de la République était d’assurer la crédibilité de notre dissuasion. S’agissant de la défense antimissile, je dirai qu’il s’agit d’une question d’efficience et je trouve que celle-ci coûte assez cher pour une efficacité toujours limitée. Pour ce qui concerne le format de notre dissuasion nucléaire, il s’agit in fine de décisions et de jugements politiques, qui relèvent en dernier ressort du Président de la République, seul à même d’apprécier quels sont pour nous les dommages inacceptables. Quand on parle de réduction du format, j’estime que le diable est toujours dans les détails. En effet, je crois que nous nous trouvons au pire moment pour abandonner la composante aéroportée, qui « ne nous coûte pas cher et nous rapporte gros ». Dans deux, trois ans, nous disposerons d’une composante nucléaire aérienne totalement duale ; les exemples récents de nos opérations en Libye et au Mali montrent que la composante aérienne nucléaire peut également assurer sans contrainte des missions de type conventionnel. Le commandant des forces aériennes stratégiques vous confirmera certainement que l’entraînement aux missions nucléaires permet d’assurer dans les meilleures conditions des missions de longue durée, dans l’espace sub-saharien par exemple.

C’est une bonne chose de débattre de la dissuasion nucléaire mais il est essentiel d’examiner avec soin tous les arguments et surtout d’apprécier ce qu’elle nous rapporte au regard de ce qu’elle nous coûte.

Mme la présidente Patricia Adam. Des débats sur ce point ont été tenus au sein de la commission du Livre blanc.

M. Bruno Tertrais. Et également au sein de la commission chargée de l’élaboration du précédent Livre blanc.

M. Olivier Audibert Troin. Même si certaines voix, y compris celles d’anciens Premiers ministres, ont pu s’élever pour s’interroger sur l’utilité de notre outil de dissuasion à deux composantes, le Livre blanc a tranché la question en réaffirmant que cet outil constitue la garantie ultime de notre souveraineté, et à ce titre notre assurance-vie.

Dans quels scénarios de crise pensez-vous que notre outil de dissuasion soit susceptible d’entrer en jeu ?

Par ailleurs, tous les États membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU possèdent l’arme atomique. Ne faut-il pas voir là un lien entre le statut de puissance nucléaire et celui de membre permanent ? À tout le moins, un membre permanent du Conseil qui renoncerait à son outil de dissuasion nucléaire ne risquerait-il pas de voir son statut de membre permanent remis en cause ?

M. Bruno Tertrais. La position française sur la dissuasion nucléaire est parfois vue comme plus conservatrice que d’autres, à l’image de celle que le président Obama a solennellement affirmée comme étant celle des États-Unis, à savoir que si les puissances nucléaires « donnaient l’exemple » en renonçant à leurs arsenaux, cela favoriserait la lutte contre la prolifération. C’est ce que l’on appelle couramment la stratégie du « global zero ». Je pense que cette position est illusoire, et j’en veux pour signe le fait que la considérable réduction capacitaire consentie en matière nucléaire depuis une vingtaine d’années par les puissances nucléaires historiques n’a pas mis de frein à la tentation de la prolifération ces dernières années. L’idée du « global zero » repose, à mon sens, sur une erreur de pronostic. Si la France devait renoncer à posséder un outil de dissuasion crédible, cette décision lui vaudrait à coup sûr les louanges de certains ; mais elle n’aurait assurément aucun effet sur la prolifération nucléaire. Tout cela me rappelle une plaisanterie qui avait cours il y a quelques années aux États-Unis, et qui consiste à dire que « si l’arme nucléaire devenait hors-la-loi, seuls les hors-la-loi la posséderaient »…

En revanche, je ne reprendrais pas à mon compte l’idée que l’arme atomique constitue une sorte d’assurance-vie : l’image est impropre, dans la mesure où l’on ne voit pas très bien quel capital serait versé à qui après le décès…

Vous me demandez dans quels scénarios notre outil de dissuasion pourrait entrer en jeu : j’en vois trois. Le premier est celui d’une agression directe contre l’Europe ; à cet égard, la trajectoire politique de la Russie ne permet pas d’exclure que des pressions exercées sur un État voisin en viennent un jour jusqu’à comporter un risque militaire. Dans cette hypothèse, la possession par des Européens d’un outil de dissuasion nucléaire constitue une incitation à la raison pour tout pays agresseur. L’OTAN elle-même reconnaît d’ailleurs depuis quarante ans que les outils français et britanniques de dissuasion participent pleinement du dispositif dissuasif de l’Organisation. J’ajouterai que si la Géorgie avait été membre de l’OTAN – ce qui ne veut pas dire que je souhaite l’entrée de Tbilissi dans l’organisation – Moscou aurait sans doute hésité avant d’envahir son territoire.

Le deuxième scénario est celui d’une intervention militaire française au Moyen-Orient ou dans l’espace sud-asiatique : la possession d’un outil de dissuasion crédible nous mettrait alors à l’abri d’un chantage que pourrait exercer un État de la zone concernée qui posséderait des moyens balistiques et ou nucléaires. Le troisième scénario auquel je pense est celui dans lequel un État ami ou allié viendrait à être attaqué au cours d’une crise en Asie de l’est: notre outil de dissuasion pourrait nous permettre de soutenir, politiquement ou militairement, l’État concerné. Cela rejoint l’idée que j’évoquais il y a un instant d’une logique de « contre-dissuasion ».

Concernant les liens que l’on pourrait être tenté d’établir entre la possession de l’arme atomique et celle d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, je crois qu’il faut se garder de toute corrélation entre ces deux statuts. L’Inde a pu croire un temps que l’accession au statut d’État nucléaire lui permettrait d’entrer au Conseil de sécurité. Comme son Premier ministre d’alors l’avait dit au président Clinton avant les essais de 1998, « si vous nous refusez l’entrée au Conseil par la porte, nous entrerons par la fenêtre » ; or cela n’a pas été le cas, même s’il est vrai que l’on regarde l’Inde un peu différemment depuis qu’elle s’est dotée d’un arsenal nucléaire. La meilleure mesure que l’on puisse prendre contre la tentation de la prolifération consisterait d’ailleurs à conférer à certaines puissances non-nucléaires un siège de membre permanent du Conseil, comme la France le propose par exemple pour le Japon ou le Brésil: cela montrerait qu’il n’y a pas besoin de l’arme atomique pour siéger à la « table des grands ».

M. Gilbert Le Bris. Comme le disait le général Charles Ailleret, notre stratégie de défense nucléaire s’applique « tous azimuts ». Je pense pour ma part qu’un outil de dissuasion doit être proportionné à la « taille » du pays concerné – c'est-à-dire à sa puissance économique, à ses ambitions politiques, etc. – ; que conserver un outil de dissuasion crédible suppose de suivre les évolutions technologiques en cours ; et que même si elle constitue un armement de non-emploi, l’arme atomique reste une arme d’ultime recours.

Je me demande toutefois s’il faut concevoir la défense antimissile balistique comme un outil de théâtre ou un outil stratégique, selon que sont concernés ou non nos intérêts vitaux. Si l’on attaque Abou Dhabi, nos intérêts vitaux seraient-ils vus comme atteints au même titre que si l’on attaque le territoire métropolitain ou un de nos territoires ultramarins ? Je me pose également la question de savoir si la permanence à la mer de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins est indispensable.

M. Bruno Tertrais. Concernant la défense antimissile balistique, il y a toute une gradation envisageable entre un système de théâtre et une couverture stratégique au sens propre. D’ailleurs, si l’on considère que notre territoire métropolitain a vocation à être couvert par le système de défense antimissile de l’OTAN alors que ce n’est pas le cas de nos territoires ultramarins – sur lesquels il est vrai la menace balistique est limitée ! – il faut admettre que l’on fait d’ores et déjà une différence entre différentes zones du territoire. En outre, ce qui peut être vu comme tactique par les uns peut être considéré comme stratégique par les autres : par exemple, que des roquettes rudimentaires puissent être tirées de Gaza sur Sdérot peut être vu par les Israéliens comme un enjeu « stratégique » tant sont inacceptables les pertes civiles que cela peut causer, alors que ce sont des moyens « tactiques ».

Concernant Abou Dhabi, l’accord qui lie la France aux Émirats arabes unis est le seul véritable accord d’engagement de défense matérialisé par une présence permanente que nous ayons conclu avec un État qui n’est pas membre de l’OTAN. Même si l’accord n’a été assorti d’aucune déclaration de garantie nucléaire, il n’est peut-être pas anodin, en termes d’effet dissuasif, que l’État qui s’engage ainsi à en défendre un autre soit une puissance nucléaire… La crise syrienne a d’ailleurs modifié la perception des élites des pays du Golfe en la matière : elle a montré la différence entre des États-Unis parfois vacillants, et une France prête à s’engager avec une parole présidentielle a du poids.

Pour ce qui est de la permanence à la mer, je suis sceptique quant à l’idée que l’on pourrait mettre en sommeil notre outil de dissuasion. Une dissuasion « en pointillés » risquerait à mon avis de perdre sa crédibilité du point de vue technique, comme du point de vue humain – tant il est vrai qu’elle n’est crédible que si nos hommes sont parfaitement entraînés et motivés. Je crois que l’efficacité de notre outil de dissuasion tient précisément à sa permanence. Mais le débat est légitime : la question a été beaucoup discutée au Royaume-Uni, et il n’est pas mauvais que le débat ait lieu en France également.

M. Philippe Nauche. Comme en témoignent les propos qui ont été tenus depuis le début de cette réunion, il existe un assez large consensus politique autour de l’utilité de notre outil de dissuasion.

Cependant, à vous écouter, il semble difficile de distinguer ce qui relève de la rationalité et de la conviction intime. Vous avez souligné que nous n’étions plus dans la configuration d’une dissuasion du « faible au fort » mais est-ce que, politiquement, nous serions pour autant prêts à entrer dans une dissuasion « du fort au faible » ? Je m’interroge en fait sur la crédibilité réelle, opérationnelle, de notre outil de dissuasion : les images des bombes de Nagasaki et d’Hiroshima n’impressionnent pas seulement les victimes potentielles de notre arme nucléaire mais certainement aussi ceux qui seraient amenés à décider de son utilisation. Quelle est donc la crédibilité réelle de cet outil aux mains d’une démocratie occidentale ?

M. Bruno Tertrais. Il y a évidemment une limite à démontrer l’efficacité de notre dissuasion, surtout si l’on parle de l’avenir.

Mais si l’on regarde sur les presque soixante-dix années écoulées depuis Hiroshima et Nagasaki, nous disposons d’une base de données solide. À mon sens, il est très difficile d’expliquer l’absence de conflit majeur entre grandes puissances au cours de cette période si l’on ne prend pas en compte la dissuasion nucléaire. Il n’y a pas eu non plus de conflit militaire direct entre États nucléaires au cours de ces années. Si on regarde l’Asie du sud, on constate par exemple qu’il n’y a pas eu de conflit militaire majeur entre l’Inde et le Pakistan depuis 1998.

La démonstration de la crédibilité de l’outil nucléaire est donc possible à travers l’histoire. Cette démonstration n’est pas purement mathématique, mais d’un point de vue statistique, on peut dire que l’arme nucléaire limite le risque de grave conflit militaire interétatique, notamment lorsque les deux protagonistes en sont dotés. Mais naturellement, il s’agit de politique et nous n’aurons jamais de certitude à 100 %.

Je n’aime pas l’expression « du fort au faible » car l’éventualité de l’usage de l’arme nucléaire se situerait forcément en cas de situation extrême. Cela signifierait que le « faible » a commis un acte irréparable, d’une telle violence que l’on envisage d’utiliser notre arme nucléaire. Je préfère que l’on parle plutôt d’asymétrie. Ce qui est en jeu, ce n’est pas la taille du pays mais bien le type d’agression qu’il est capable de commettre.

Mme Émilienne Poumirol. J’aimerais savoir si l’arme nucléaire est réellement l’arme la plus dangereuse aujourd’hui. S’il est difficile aujourd’hui de l’acquérir, certains pays peuvent en revanche produire des armes biologiques, bactériologiques ou chimiques. Ces armes ne représentent-elles pas, finalement, un danger plus grand que l’arme nucléaire ?

M. Bruno Tertrais. Je voudrais profiter de cette réponse pour faire une distinction entre les armes chimiques et biologiques, d’une part, et les armes radiologiques, d’autre part. Les premières sont difficiles à acquérir et mettre en œuvre. Les deuxièmes disposent d’un rapport coût efficacité très intéressant. Même si elles ne tuent pas beaucoup de monde, les armes radiologiques peuvent provoquer des vagues de panique dans la population très importantes. C’est un problème en soi qui demande beaucoup d’attention.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. François André, M. Olivier Audibert Troin, M. Guy Chambefort, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Francis Hillmeyer, M. Marc Laffineur, M. Gilbert Le Bris, M. Christophe Léonard, M. Alain Marty, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Émilienne Poumirol, Mme Marie Récalde, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Daniel Boisserie, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Yves Foulon, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Jacques Moignard, M. Joaquim Pueyo, M. François de Rugy

Assistait également à la réunion. - M. Gérard Charasse