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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 27 mai 2014

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 52

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense,

La séance est ouverte à quatorze heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Compte tenu du temps limité dont nous disposons, je vous donne sans plus tarder la parole, monsieur le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense. J’aborderai successivement trois sujets : le Mali, la République centrafricaine et les questions budgétaires.

Au Mali, comme vous le savez, la situation s’est fortement dégradée au cours des derniers jours, surtout à Kidal où un conflit entre les forces armées maliennes et le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) a marqué une rupture dans le processus de normalisation sécuritaire engagé à l’été dernier.

Les événements se sont produits le 17 mai, lorsque le nouveau Premier ministre, Moussa Mara, a voulu venir à Kidal pour affirmer la présence de l’État malien dans le gouvernorat, ce qui lui avait été pourtant déconseillé. Pendant ce déplacement, des échauffourées ont eu lieu, qui ont abouti à de violents affrontements entre les forces maliennes et les groupes du MNLA. Nous avons protégé le Premier ministre, qui a dû passer la nuit à Kidal en raison d’une tempête de sable. Plus tard, les forces armées maliennes ont souhaité prendre une revanche qui a tourné au fiasco militaire et s’est soldée par plusieurs dizaines de morts. Les violences avaient par ailleurs causé la mort de six membres du corps préfectoral malien, dont le préfet de Kidal.

Les éléments français étaient peu nombreux car notre présence sur place est limitée, mais nous avions prévu un soutien en hélicoptères pour protéger le Premier ministre, ce qui s’est révélé utile. Nos forces ont activement œuvré pour éviter tout dérapage supplémentaire, en liaison avec la MINUSMA, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali.

Paradoxalement, ces événements ont favorisé une reprise du dialogue avec ce que l’on pourrait appeler rapidement les peuples du Nord. En cela, selon mon analyse, ils ont ouvert une fenêtre d’opportunité pour relancer l’indispensable processus de réconciliation.

D’abord – et il faut saluer son courage et sa détermination –, le président mauritanien Aziz, président en exercice de l’Union africaine, que j’avais rencontré trois jours auparavant à Nouakchott, s’est rendu vendredi dernier à Kidal, ce qui a d’ores et déjà permis une désescalade de la tension et un début de retour aux positions définies par les accords de Ouagadougou. Un cessez-le-feu a donc été conclu et sa mise en œuvre a commencé – un peu trop lentement à notre avis ; mais les différents échanges téléphoniques qui ont eu lieu, en particulier entre le Président de la République et son homologue malien, attestent d’une volonté de dialogue entre les autorités maliennes et les groupes du Nord, dont le MNLA. Cette volonté sera confortée par la médiation engagée, avec l’accord du président Keïta, par l’Algérie – où je me suis rendu la semaine dernière et où j’ai rencontré les plus hautes autorités de l’État, dont le Président Bouteflika. Il s’agit d’ouvrir la négociation que les différentes parties ont jusqu’à présent esquivée ; c’est en tout cas en ce sens que nous travaillons. Les discussions doivent débuter cette semaine en Algérie, en vue d’établir une plateforme commune au MNLA et aux groupes armés signataires de l’accord de Ouagadougou.

Parallèlement, l’opération Serval se poursuit et nos interventions dans l’Adrar des Ifoghas sont maintenues. Nous avons toutefois décidé de repousser à une date ultérieure la signature du traité de coopération en matière de Défense avec les autorités maliennes ainsi que l’achèvement de la réorganisation de nos forces dans la bande sahélo-saharienne, qui devait se traduire par l’installation à N’Djamena de la nouvelle autorité militaire régionale pour nos forces.

En raison des événements de Kidal, nous avons fait venir de Côte d’Ivoire une centaine d’hommes supplémentaires. Nous renforcerons ce soutien si nécessaire.

Voilà quelle est la situation à l’heure où je vous parle, puisqu’il n’y a pas eu d’éléments nouveaux ce matin.

J’en viens à la République centrafricaine, où je me suis rendu la semaine dernière pour rencontrer nos soldats avant de m’entretenir avec les chefs d’État du Gabon et du Congo-Brazzaville dans leurs pays respectifs.

Quelle est la situation sécuritaire et humanitaire sur le terrain ? Sauf dans le secteur du PK5 où l’on constatait des tensions il y a deux jours, Bangui est à peu près calme même si la situation reste très fragile. Les musulmans commencent à revenir y habiter, certes en petit nombre – 150 à 200 personnes la semaine dernière –, mais c’est bon signe. D’autre part, dans le camp de M’Poko, que certains d’entre vous ont visité, le nombre des réfugiés a commencé à baisser.

En revanche, la situation est assez dégradée en province, en premier lieu dans le sud-est du pays où il y a confrontation entre Sélékas et anti-Balakas. Les tensions sont particulièrement fortes dans la zone de Bambari, où nous sommes présents. Samedi dernier, nos hommes y ont été pris à partie par d’ex-Sélékas ; ils ont dû riposter et neutraliser un pick-up et ses occupants.

Autre sujet de préoccupation dans cette région : un déplacement vers l’ouest, c’est-à-dire vers le centre du pays, de la LRA – Lord’s Resistance Army – ougandaise, groupe d’opposition armé dirigé par Joseph Kony. Jusqu’à présent, il n’était guère nécessaire de s’en inquiéter, car sa capacité de nuisance est plutôt résiduelle : il ne compterait pas plus de 300 personnes armées. Mais ce déplacement les rapproche d’une zone de « condensation » entre les Sélékas et certains groupes anti-Balakas, où nous sommes nous-mêmes présents.

Par ailleurs, il y a eu dans l’ouest du pays une série d’incidents dont je crois vous avoir déjà parlé, en particulier au nord-ouest, du côté de Boguila, où nous avons dû neutraliser il y a quelques jours une colonne de pick-up et de motos chargés d’hommes lourdement armés.

S’y ajoute le triste épisode de la découverte du corps de la journaliste Camille Lepage.

En somme, la situation sécuritaire et humanitaire varie selon les lieux et le degré de présence sur place des groupes Sélékas ou anti-Balakas.

Nos forces, que j’ai rencontrées assez longuement, accomplissent un travail remarquable malgré deux sources de contraintes nouvelles : l’élongation, puisque nous sommes maintenant positionnés sur 800 à 1000 km, en plusieurs points au-delà de Bangui, et la saison des pluies, qui complique ses interventions. La force Sangaris contrôle l’axe logistique entre le Cameroun et Bangui, ce qui permet d’assurer les transports sur cet itinéraire, y compris, désormais, le passage de convois non protégés. Ce point est crucial pour l’assistance aux 600 000 déplacés et aux 2,5 millions de personnes qui ont encore besoin d’aide humanitaire.

J’ai veillé à ce que le plan d’amélioration des conditions de vie de nos soldats à M’Poko progresse de manière satisfaisante. De fait, j’ai pu constater sur place des améliorations significatives, s’agissant en particulier de la climatisation des tentes et de l’approvisionnement en eau et en vivres. Étant donné la pression psychologique subie par nos forces, tenues de faire preuve en permanence d’un sang-froid et d’une vigilance extrêmes, j’ai également décidé de réactiver à leur intention le dispositif de décompression initialement destiné à nos soldats revenant d’Afghanistan, d’abord à Chypre comme auparavant, puis ailleurs, Chypre n’étant pas situé sur l’itinéraire de retour.

Parallèlement, EUFOR RCA s’installe. J’ai pu saluer la semaine dernière les premiers éléments venus d’Estonie et les détachements de gendarmes, qui montent en puissance. La force sera pleinement opérationnelle avant la fin juin, réunissant 800 militaires en tout – moins que ce que nous avions demandé à l’origine.

Quant à la situation politique, telle qu’elle ressort des entretiens que j’ai menés, je reste perplexe car je n’ai observé aucun processus politique susceptible de relayer l’effort militaire de la communauté internationale. Au nord, les principaux chefs des ex-Sélékas se sont réunis à N’Délé il y a quelques jours. À l’issue de cette rencontre, la branche militaire, qui prône en majorité la partition du pays, a pris le dessus, ce qui est très préoccupant. Le mouvement s’est concentré à Bambari comme je l’ai indiqué.

De l’autre côté, la réorganisation du mouvement anti-Balaka n’a pas abouti, les différents courants ne reconnaissant pas de responsable légitime pour les représenter, ce qui complique évidemment beaucoup la tâche de Mme Catherine Samba-Panza. Un peu plus de cent jours après son arrivée au pouvoir, celle-ci m’est ainsi apparue comme un chef d’État de transition volontaire, mais extrêmement fragile.

Il importe donc de s’assurer de trois choses.

D’abord, les chefs d’État du voisinage doivent prendre conscience de la nécessité d’agir ensemble et de réunir la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) afin de fixer des règles claires pour la transition. En l’état, les accords de Libreville, qui remontent à la période Bozizé, interdisent aux membres du gouvernement de transition de se présenter aux élections censées avoir lieu en février 2015. Du coup, personne ne veut participer au nouveau gouvernement et Mme Samba-Panza se retrouve très seule pour essayer de le constituer. Seul un accord des chefs d’État de la région pourrait modifier les règles fixées à Libreville et confirmées à N’Djamena. Le président Déby, que j’ai rencontré à Paris lors de la réunion sur le Nigéria, et les présidents Sassou-Nguesso et Bongo, avec lesquels je me suis entretenu dans leurs pays respectifs, s’y sont déclarés favorables.

Ensuite, un remaniement inclusif paraît souhaitable : j’entends par là l’entrée dans le gouvernement de transition de leaders politiques qui assurent à celui-ci d’être respecté par les différentes tendances religieuses, politiques et régionales du pays.

Enfin, il nous paraît indispensable d’ouvrir rapidement une conférence de réconciliation afin de favoriser une structuration politique.

Pour nous, l’objectif reste l’organisation la plus rapprochée possible d’élections même si, j’en conviens, l’échéance de février 2015 semble désormais peu réaliste.

Par ailleurs, la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine (MINUSCA) va s’installer. Sur ce point, la situation est plus satisfaisante que je ne l’aurais imaginé. D’après mes entretiens avec le président Aziz, la Mauritanie devrait fournir un millier de soldats à la future Mission. Les autres chefs d’État africains consultés ont dit vouloir se maintenir. La MINUSCA aura donc les moyens de jouer son rôle – mais pas avant le 15 septembre, ce qui implique une période de transition forcément très délicate, pour laquelle il faudra miser sur le dialogue politique.

La situation est donc très contrastée : Bangui est relativement pacifié, des tendances encourageantes sont à l’œuvre, la vie quotidienne a repris, mais l’on observe des tensions à l’est ainsi qu’à l’ouest et au nord-ouest, avec des altercations impliquant les anti-Balakas, mais aussi des bandits de grand chemin qui cherchent un peu d’argent et peut-être un destin, dans une situation très chaotique.

Je tiens enfin à vous dire combien j’apprécie le professionnalisme des équipes présentes sur place, sous la conduite du général Soriano, qui mène les opérations avec le doigté, la subtilité et l’attention requises. Nous ne devons faire aucune erreur ; or j’ai le sentiment que, pour l’instant, nos forces se comportent de manière remarquable.

J’en terminerai par quelques considérations sur la loi de programmation militaire (LPM). Les inquiétudes que nous avons légitimement éprouvées, vous et moi, à ce sujet au cours des deux dernières semaines ont été dissipées par les déclarations du Premier ministre, assurant vendredi dernier que le président de la République était très attaché à la mise en œuvre de cette loi, qui serait « totalement préservée d[es] nouveaux efforts » demandés à la Nation, la trajectoire financière devant être maintenue. Cette clarification éloigne les orages que nous redoutions. Je vous remercie du soutien que vous m’avez apporté, toutes tendances politiques confondues, au cours de cette période.

À la fin de l’an dernier, les crédits pour 2013 avaient été amputés de 488 millions d’euros au titre de la contribution de la Défense à l’effort interministériel de réduction des déficits. J’avais à l’époque déposé un amendement à l’article 3 de la LPM qui permettait de mobiliser 500 millions d’euros de recettes exceptionnelles au profit des investissements, pour le cas où cela se révélerait nécessaire en 2014 ou en 2015. Comme le projet de collectif budgétaire pour 2014 prévoit une encoche de 350 millions d’euros sur le budget de la Défense, j’ai demandé l’activation de cette clause. Ces 500 millions d’euros conditionnent en effet le lancement d’un ensemble de programmes structurants au cours de l’année 2014, à savoir : le programme d’avions ravitailleurs MRTT - Airbus A330 Multi Role Tanker Transport -, le programme Scorpion très important pour l’activité de l’industrie terrestre, l’acquisition de systèmes supplémentaires de drones Moyenne Altitude Longue Endurance –MALE –, la commande du quatrième sous-marin d’attaque Barracuda et, en ce qui concerne la dissuasion, le lancement des travaux de développement de la prochaine version du missile M51, le missile M51.3

Le Premier ministre a garanti la trajectoire financière de la LPM, mais il nous faut encore sécuriser les ressources exceptionnelles (REX) dont le budget de la Défense doit impérativement bénéficier entre 2015 et 2017. À ce sujet, je serai très clair avec vous, comme toujours : un problème se pose, que j’espère toutefois pouvoir résoudre. Il apparaît peu probable que nous puissions compter pour 2015 sur le produit de la mise aux enchères de la bande des 700 MHz. Cette recette sera sans doute acquise, au mieux - mais il est possible de s’interroger là aussi - en 2016, pour des raisons liées à l’actualité et aux procédures nécessaires. Je discute actuellement avec Bercy, dans le climat apaisé qui gouverne de nouveau nos relations, de la meilleure manière de dégager des solutions innovantes pour garantir les REX en 2015. Nous devrions y parvenir et j’espère que j’aurai abouti lorsque je m’exprimerai à nouveau devant vous à propos des questions financières, au cours de la deuxième quinzaine de juin.

Entre 2013 et 2014, les crédits inscrits pour les OPEX sont tombés de 630 à 450 millions d’euros. En effet, lorsque le budget et la loi de programmation militaire ont été établis fin 2013, il était prévu que nous serions nettement moins présents en Afghanistan et au Mali et que nous nous retirerions du Kosovo, de l’opération Atalante dans la Corne de l’Afrique et de l’opération Tamour en Jordanie, cependant que la force Licorne basée à Abidjan serait intégrée au dispositif régional des forces prépositionnées. Mais, depuis, le Président de la République a souhaité prolonger notre présence au Mali à un niveau un petit peu plus élevé, à juste titre comme le montrent les événements récents. D’autre part, nous sommes intervenus en République centrafricaine, ce qui n’était pas prévu en 2013. Le surcoût OPEX pour 2014 sera donc supérieur aux 450 millions d’euros qui ont été provisionnés en loi de finances initiale.

Dissipons toutefois tout malentendu : le budget de 450 millions d’euros est celui des OPEX permanentes, toutes choses égales par ailleurs. Au-delà de ce montant, on entre dans le périmètre de la clause de sauvegarde de la LPM et les crédits sont mutualisés au niveau du budget de l’État. L’année dernière, cette disposition a été appliquée, de sorte que les dépenses ont été financées rubis sur l’ongle. Prévue par la loi, elle devra être appliquée en fin d’année, au moment du bilan général des OPEX. L’imprévisibilité découle d’une instabilité inéluctable au niveau mondial : lorsque nous envoyons des Rafale à l’aéroport de Malbork, en Pologne, cela engendre un surcoût, en l’occurrence relativement faible, mais réel et impossible à prévoir.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, monsieur le ministre. Soyez assuré que la commission de la Défense, de même j’en suis sûre que la commission des Finances, contrôlera de près l’exécution de la LPM et que nous serons à vos côtés pour faire en sorte qu’elle soit respectée.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le ministre, vous avez partiellement répondu par avance à la question que je comptais vous poser à propos de l’amélioration des conditions de vie de nos soldats au camp de M’Poko, sur lesquelles nos collègues sénateurs avaient appelé l’attention.

Quelle est la contribution de la France à l’EUFOR RCA ? Pour ce qui est du financement de cette opération, nous savons que chaque État membre doit en prendre sa part, mais qu’en est-il du mécanisme Athena, créé par le traité de Lisbonne et censé prendre en charge les coûts communs ?

M. Charles de La Verpillière. Sans pour autant parler d’enlisement, je constate que les interventions françaises au Mali et en République centrafricaine sont parties pour durer. D’autre part, si rassurant que vous vous vouliez sur le sujet, de nombreuses incertitudes pèsent encore sur votre budget. Enfin, après des élections qui ont accru l’influence des eurosceptiques et des nationalistes au sein de l’Union européenne, ne craignez-vous pas des obstacles au soutien que d’autres pays d’Europe pourraient apporter à nos interventions militaires ?

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le ministre, en décembre, vous nous indiquiez que nos forces resteraient en Centrafrique pendant six mois. Ce délai s’achève. À vous entendre, je crois comprendre que la situation se complique de plus en plus. La MINUSCA, forte de 12 000 hommes, soit 10 000 soldats, 1 800 policiers et 200 civils, s’installera le 15 septembre. Quand comptez-vous relever les 2 000 militaires français encore sur place ? Qui finance leur présence aujourd’hui, et qui la financera après le 15 septembre ?

M. François André. Nous nous accordons largement ici à reconnaître la valeur de nos armées et à saluer la manière dont elles accomplissent leurs missions, qui sont diverses et complexes comme le montre votre mise au point sur la situation en Afrique.

Que la défense contribue au redressement des comptes publics est concevable puisque, comme vous l’avez rappelé l’an dernier, la souveraineté budgétaire participe de la souveraineté tout court. Dans cette perspective, la LPM votée il y a quelques mois à peine constitue le plan pluriannuel d’économies et de rationalisation des dépenses en matière de défense. À vos côtés, à notre place, nous plaiderons fermement ce point de vue et mettrons en évidence les risques majeurs auxquels d’éventuelles réductions budgétaires supplémentaires exposeraient notre industrie, nos capacités et – comme le général de Villiers l’a récemment souligné devant nous – le moral de nos troupes.

Au-delà des délicates discussions budgétaires du moment – même si vous êtes aujourd’hui plus optimiste –, il y a une bataille de l’opinion à mener. Nous devrions ainsi marteler le chiffrage consolidé des diminutions de format successives résultant des réformes de ces quinze dernières années, afin de montrer l’ampleur de l’effort déjà consenti par nos armées. Pourrions-nous donc avoir communication de tous ces éléments, portant aussi bien sur l’évolution des crédits que sur celle des effectifs et des capacités ?

M. le ministre. Monsieur Pueyo, les conditions de vie des militaires à M’Poko étaient difficiles du fait de la rapidité avec laquelle nous avons dû intervenir et de l’extrême pauvreté du pays, mais elles sont en nette amélioration. J’ai pu le constater moi-même sur place.

L’effectif global de l’EUFOR sera de 800 militaires, dont un peu moins de la moitié sont français. Les autres sont des Espagnols, des Italiens, des Estoniens, des Lettons, des Géorgiens, des Finlandais et des gendarmes polonais. J’ai assisté à l’arrivée de certaines de ces unités. Quant au dispositif Athena de prise en charge d’une partie des coûts des opérations européennes, il s’applique à EUFOR, mais selon ses normes actuelles, qu’il me paraît par ailleurs nécessaire de modifier pour augmenter le degré de solidarité européenne.

Monsieur de La Verpillière, s’agissant de la durée de l’intervention au Mali, il est un point sur lequel je n’ai jamais varié : il y aura 3 000 militaires dans la zone, organisés d’une manière nouvelle – dont 1 000 au Mali, mais il ne s’agira plus de l’opération Serval ; déployées à Gao, Niamey, Ouagadougou et N’Djamena, ces forces auront une mission de contre- terrorisme dans toute la zone. Nous avons encore des hommes à Bamako, mais nous allons prochainement achever cette réorganisation.

Quant à la République centrafricaine – je réponds également à M. Candelier –, notre objectif est de revenir le plus rapidement possible à l’effectif initial. Nous avions 400 militaires à M’Poko depuis 2003, soutenus à partir de Libreville : c’est ce chiffre qui doit donner la mesure de notre présence sur place. Je souhaite donc que la MINUSCA prenne dès que possible la place qui lui revient dans le dispositif de sécurité. De même, mon objectif est que l’intervention de l’EUFOR puisse s’arrêter à la fin de l’année, conformément à son mandat actuel.

Il faut pour cela que les parties prenantes trouvent une solution politique à la crise qui perdure. Cela dépend à mon avis des trois conditions que j’ai énumérées – nouvelle discussion au sein de la CEEAC, constitution d’un gouvernement inclusif et organisation d’une conférence nationale de réconciliation –, mais celles-ci relèvent des seuls acteurs politiques, dont les Nations unies. Une fois ces conditions réunies, la MINUSCA, dans sa partie militaire et civile, devra en effet instaurer le dispositif nécessaire à la tenue d’une élection présidentielle. Telle est en tout cas mon hypothèse de travail.

En ce qui concerne le budget, les derniers jours ont été un peu « chauds », pour vous comme pour moi, mais les déclarations du Premier ministre ont clarifié la situation. De toute façon, soyez sans inquiétude : je maintiendrai, à long terme, une vigilance de tous les instants.

Enfin, je ne saurais anticiper les effets qu’auront les élections européennes sur la bonne volonté des autres États membres, mais celle-ci était déjà assez faible. Elle s’est toutefois traduite par plusieurs actes, à commencer par la présence au Mali de 400 militaires néerlandais appartenant à des unités de combat, au bénéfice de la mission des Nations unies. D’autres signes témoignent d’une volonté d’action commune. Je ne peux prévoir la manière dont se construira l’Europe de la défense, mais il s’agit à mes yeux d’une évolution inéluctable.

Monsieur André, je vous remercie de votre soutien à propos de la LPM. Tirée au cordeau, celle-ci n’en garantit pas moins les trois missions majeures de nos armées – dissuasion, intervention, protection du territoire –, aux termes d’un nouveau contrat avec elles, et permet de gérer du mieux possible nos capacités industrielles ainsi que l’emploi dans nos entreprises de défense. Le cadre est contraint mais nous estimons, comme les chefs des armées – le général de Villiers vous l’a dit –, que la voie est praticable. Si l’on veut faire d’autres choix budgétaires, à l’image de ceux de certains pays, nous n’aurons plus la même loi de programmation militaire. Voilà pourquoi je défendrai ce texte bec et ongles.

M. Philippe Folliot. Force est de constater l’indigence de l’effort européen en faveur de la République centrafricaine : une EUFOR de 800 membres, ce n’est rien à l’échelle du continent et des enjeux ! Ces effectifs seront-ils renforcés ? Dans l’affirmative, qui apportera cette contribution supplémentaire ?

Considérez-vous les forces de la MINUSCA comme opérationnelles, ou tout repose-t-il de fait sur Sangaris ? Les effectifs sont une chose, l’efficacité sur le terrain en est une autre.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, le dernier numéro de Jeune Afrique vous surnomme le ministre de l’Afrique. Souffrez donc qu’un membre de la commission des Affaires étrangères de retour du Mali – j’y étais la semaine dernière avec François Loncle – vous interroge ici.

Je fais partie des inconditionnels de Le Drian, qu’il s’agisse de se battre pour le budget de la Défense ou d’essayer d’accomplir notre mission en Afrique. Ne voyez donc aucune attaque dans ce que je m’apprête à vous dire. Je comprends votre rôle, mais je me dois de faire des constatations dont la portée est grave.

Vous avez parlé à propos du Mali d’« échauffourées » et d’« altercation ». Mais c’est une vraie guerre qui a commencé à Kidal ! Deux préfets et six sous-préfets ont été assassinés, trente fonctionnaires pris en otage, des armes lourdes ont été utilisées et l’armée malienne a perdu une bonne demi-douzaine de villes. J’y étais : c’est une catastrophe dont l’État malien est sorti affaibli, l’armée malienne ridiculisée une fois de plus, le MNLA renforcé. J’ignore quels sont les groupes terroristes qui se sont joints à ce dernier mais, très franchement, nous sommes loin d’être tirés d’affaire ! Vous voilà maintenant obligé de retarder la réorganisation de notre dispositif dans la bande sahélo-saharienne (BSS). On peut toujours minimiser, mais la situation est sérieuse. D’autant que, par cette opération, vous vous êtes marié à la classe politique malienne. Or, si j’aime beaucoup IBK et tous ses ministres, je doute que cette stratégie soit la bonne pour la France.

La situation est pire encore en Centrafrique. On annonce maintenant pour l’automne des élections dont on avait promis qu’elles se tiendraient en février ! Comme mon collègue Candelier, je demanderai : combien de temps resterons-nous ? Et pour quel coût ?

Les dépassements sont permanents. Je vous l’ai dit il y a quelques mois en commission des Finances. Vous invoquez des mutualisations, mais j’ai fait le compte : cette année, il va vous manquer 500 millions d’euros, malgré tous vos efforts et le soutien que nous vous apportons sur tous les bancs.

Ces questions méritent mieux que des approximations flatteuses. Les conflits dont nous parlons ne méritent pas de durer. Quelle en est l’issue pour la France ?

M. Christophe Guilloteau. Monsieur le ministre, comment allez-vous récupérer les six milliards d’euros de recettes exceptionnelles prévus, qui vous feront certainement défaut ?

Madame la présidente, il y a quelques instants, l’un de nos collègues, vice-président de la commission, qui était pour une fois parmi nous, a publié un tweet selon lequel le groupe UMP ne serait pas présent à cette audition. Au nom de mon groupe, je vous demande de mettre de l’ordre dans votre famille politique. Ce genre de méthodes est inacceptable.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous ai entendu. Nous ferons le nécessaire.

M. Philippe Nauche. Monsieur le ministre, en Centrafrique, de nombreux documents d’un état civil déjà lacunaire mais essentiel à la tenue des élections et à l’existence même de l’État, ont été détruits. Ce problème fait-il partie de vos préoccupations ?

M. le ministre. Je suis désolé de devoir vous répondre brièvement, mais je suis tout disposé à revenir devant vous lorsque vous le souhaiterez.

Monsieur Folliot, la MINUSCA devrait se déployer de manière correcte. Je n’ignore pas qu’elle réunit des forces armées de qualité inégale, mais les informations dont je dispose, notamment sur le renfort mauritanien qui n’est pas négligeable, me donnent à penser qu’elle constituera une force solide.

Je regrette comme vous la faible présence de l’Europe sur place, qui plus est pour une durée limitée à cette année.

Dont acte, monsieur Lellouche : il ne s’agit pas d’altercations, mais de véritables combats. Vous me reprochez d’être trop lié à la classe politique malienne, mais celle-ci a été démocratiquement élue, sous couvert des Nations unies. Nous souhaitons simplement qu’après le malheur de l’autre jour, les plus hautes autorités de l’État rouvrent le dialogue avec les groupes du Nord – c’est un vieux problème malien. Je crois comprendre que c’est bien ce qui est en train de se passer, mais je n’en suis pas encore entièrement certain.

Je me suis expliqué en début d’audition sur les 6,6 milliards d’euros de ressources exceptionnelles. Nous avons un problème de tuilage : en attendant les produits de cessions que procurera la vente de la bande des 700 MHz, il faut trouver un dispositif transitoire. J’y consacre beaucoup de temps. Je le répète, je défends mon budget bec et ongles.

Monsieur Nauche, le problème que vous soulevez ne relève pas de ma compétence, mais il est évidemment impossible d’organiser des élections sans état civil en règle. Voilà pourquoi il me paraît peu probable que les élections aient lieu en février 2015, même si Mme Samba-Panza m’assure du contraire.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, monsieur le ministre.

La séance est levée à quatorze heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. François André, Mme Sylvie Andrieux, M. Nicolas Bays, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Jean-David Ciot, Mme Catherine Coutelle, M. Guy Delcourt, Mme Cécile Duflot, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Laurent Kalinowski, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marty, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Olivier Audibert Troin, M. Claude Bartolone, M. Sylvain Berrios, M. Philippe Briand, M. Alain Chrétien, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. François de Rugy

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Pierre Lellouche