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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 24 juin 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 59

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition du contrôleur général des armées Jacques Feytis, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous accueillons le contrôleur général des armées Jacques Feytis, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense (DR-MD). Nous avions eu le plaisir de vous entendre dans le cadre de nos débats sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) et le projet de loi de finances en octobre dernier. Compte tenu de l’importance de ce qu’il est convenu d’appeler la « manœuvre RH » pour l’exécution de cette loi, j’ai souhaité que nous puissions à nouveau nous rencontrer et je vous remercie de votre disponibilité.

M. le contrôleur général des armées Jacques Feytis, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense. S’inscrivant dans une logique parfaitement comprise, qui est une logique à la fois d’optimisation des moyens, d’économies mais aussi de maintien des ambitions nationales en matière de défense, la « manœuvre RH » est très ambitieuse car elle atteint les limites de certaines capacités de déflation du ministère. Nous disposons en effet de faibles marges et la manœuvre comporte des risques significatifs qui nous conduiront peut-être à l’ajustement de certains outils qui sont aujourd’hui prévus pour la seule durée de la LPM.

Qu’est-ce que la « manœuvre RH » ? Il faut imaginer la manœuvre des postes, celle des effectifs et le suivi du budget : il ne s’agit donc pas seulement de la déflation des effectifs. Pour qu’elle soit efficace, nous avons besoin de disposer d’une excellente vision de notre organisation. C’est certainement dans ce domaine que nous avons encore quelques fragilités. La manœuvre en effectifs s’inscrit donc d’abord dans une manœuvre en organisation.

Nous allons d’abord regarder le cadre de notre action. Notre objectif, faut-il le rappeler, est d’adapter les effectifs et les compétences du ministère au nouveau format des armées et des services, dans le respect des crédits de masse salariale – on retrouve là le triptyque postes, effectifs et budget. Pour atteindre cet objectif, il nous faut assurer la cohérence quantitative et qualitative entre les cibles en organisation, en effectifs et en masse salariale. J’insiste sur ce point, il ne s’agit pas d’un simple objectif quantitatif, nous avons besoin avant tout de compétences. C’est de cela dont ont besoin les armées pour conduire les opérations. C’est de cela dont a besoin le ministère pour son fonctionnement.

Vous connaissez les objectifs chiffrés : la déflation sur cette LPM doit être de 33 675 agents, dont 23 500 au titre de la programmation 2014-2019 auxquels il faut ajouter le reliquat de la programmation précédente. Au total, sur la période 2008-2018, nos effectifs auront diminué de 25 % (soit 82 000 agents) ce qui est considérable.

L’objectif de la LPM est de préserver autant que possible les forces opérationnelles, qui ne diminueront que de 8 000 postes, ce qui implique de produire un effort très significatif sur les soutiens. Cette concentration de l’effort, nous y reviendrons, rend la manœuvre forcément très délicate. Cet effort sur le soutien représente 64 % de la déflation et s’ajoute à celui, équivalent, qui avait été fait sous la LPM précédente (- 63 %). Pour le mener à bien, nous avons donc besoin de conduire des analyses fonctionnelles très approfondies sur ces soutiens.

Derrière cette question de la déflation, nous ne devons pas oublier que nous avons à garantir, dans le même temps, le renouvellement des générations et des compétences pour maintenir l’efficacité de nos forces. Nous devons donc ne pas diminuer l’effort en matière d’attractivité du recrutement et de qualité de la formation. On doit néanmoins s’interroger sur le comment. Nous devons aussi développer l’attractivité des parcours professionnels et des carrières pour garder nos meilleurs éléments. Cela nous oblige à travailler sur une gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC), tout particulièrement pour le personnel civil. C’est certainement une des fragilités du ministère, le personnel civil étant réparti entre de nombreux employeurs. Cela nécessite de faire un effort de lisibilité sur tous les parcours professionnels.

Je voudrais à présent souligner quelques différences entre la précédente LPM et l’actuelle. En forçant un peu le trait, je dirais que la précédente LPM s’est principalement attachée à faire des gains de productivité. Ces gains ayant été faits, l’effort supplémentaire de réduction nous impose de penser notre activité sur un modèle différent. Il convient désormais de penser certaines activités de manière différente. Notre organisation actuelle ne nous permettra pas de trouver les 34 000 postes à supprimer. Cette transformation des organisations doit être préparée par les employeurs et doit précéder la déflation des effectifs, au risque de générer des vacances de postes. L’atteinte de la cible est réalisable, soit avec les départs, soit en baissant le recrutement mais, si nous ne transformons pas notre organisation actuelle, si nous n’identifions pas maintenant les postes à supprimer, nous aboutirons, au terme de la déflation, à ce qui est qualifié d’échenillage, avec des services en difficulté de fonctionnement. C’est un sujet, j’y reviendrai, qui inquiète particulièrement le personnel, civil et militaire. Nous avons des difficultés et des risques qui portent tout particulièrement sur les domaines du soutien, compte tenu de la priorité accordée aux forces opérationnelles. J’y reviendrai lorsque nous aborderons les risques sociaux.

Lors de la précédente réforme, des gains de productivité avaient été dégagés sans transformation des structures et des processus, à l’exception notable de la création des bases de défense (BdD), réforme majeure et mise en œuvre de manière peut-être trop rapide. L’effort demandé impose désormais de revoir complètement notre organisation. La communauté des gestionnaires, que j’anime au titre de mes responsabilités fonctionnelles, a une vision un peu courte de notre organisation, là où nous étions habitués à avoir une visibilité à cinq ans. Or, notre vision à cinq ans aujourd’hui n’est pas complète. Cela rend difficile les 30 000 mutations que nous devons accomplir chaque été : en effet, il est délicat d’affecter quelqu’un dans une unité qui sera peut-être supprimée dans deux ans.

Par ailleurs, nous sommes passés d’une logique quantitative à une logique de déflation plus ciblée, en particulier dans les fonctions d’encadrement.

En tout, nous avons 6 100 postes de cadres à faire disparaître aux termes de la loi, dont 5 800 d’officiers. La précédente LPM n’avait pas d’objectif ainsi ciblé, catégorie par catégorie, ce qui constituait certainement une erreur, dont nous supportons aujourd’hui une partie des conséquences. Une déflation dépyramidante aurait dû être faite. Le pourcentage d’officiers est actuellement de 16,75 % et notre objectif est de le ramener à 16 %. À l’intérieur du volume d’officiers, nous avons une disparité très importante de missions : si dans les armées les officiers sont largement affectés à des fonctions d’encadrement car il y a davantage de structures de commandement, ce n’est pas les cas au service de santé des armées (SSA) ou à la direction générale de l’armement (DGA), structures dans lesquelles les officiers ne sont pas tous des encadrants. La conduite de la déflation des officiers sera donc délicate car tous les services ne pourront pas y contribuer de la même manière.

Nous avons un autre objectif ciblé de rééquilibrage entre le personnel civil et le personnel militaire, équilibre auquel nous n’avions pas été assez vigilants lors de la précédente programmation. Cela a conduit à un changement entre les proportions personnel militaire et personnel civil : en dix ans, la proportion du personnel civil a légèrement baissé pour représenter 23 % du personnel du ministère aujourd’hui, contre 25 % auparavant. La LPM nous impose désormais de rééquilibrer cette proportion entre les deux populations. Tout ceci doit se faire en définissant le socle des compétences militaires nécessaires à la tenue des contrats opérationnels, notamment dans les soutiens. Les postes qui ne sont pas nécessaires à la tenue des contrats opérationnels, en et hors métropole, auront pour vocation à passer sous statut civil. Ce rééquilibrage doit permettre de faire jouer la complémentarité.

Enfin, dernière différence par rapport à la précédente LPM, la clause d’auto-assurance a remplacé la clause de sauvegarde : notre enveloppe de crédits de titre 2 (crédits de personnel) ne pourra plus être abondée pour faire face aux aléas de gestion. En LPM 2009/2014, il était en particulier prévu de ne pas aller au-delà des déflations d’effectifs programmées, quelle que soit la situation du titre 2. Ce dispositif n’a finalement été que très peu utilisé. Désormais, les marges de manœuvre sont plus réduites, toute dérive devant être compensée sur le seul titre 2.

La manœuvre a commencé, quels risques avons-nous aujourd’hui identifiés ?

Tout d’abord, la déflation des officiers est très ambitieuse et la cible d’environ 1 000 postes supprimés par an est une limite maximale – nous avons une cible à 850 déflations nettes en 2014. Des déflations plus faibles auraient pour conséquences un effet pyramidant en inter catégories (part des officiers dans la population militaire) contraire aux objectifs de la LPM. De plus, au sein de la catégorie des officiers, si nous ne remplissons pas nos objectifs de départs annuels, qui touchent principalement le haut de la hiérarchie, colonels et lieutenants-colonels, nous devrons réduire nos recrutements à la base, c’est-à-dire des sous-lieutenants ou lieutenants, ce qui mécaniquement nous empêcherait de disposer d’une pyramide des grades plus adéquate

L’effort qui nous est demandé en termes de départs est trois fois plus important que celui demandé par la précédente LPM. Dans le même temps, nous avons diminué l’avancement des officiers de 24 % depuis 2012. Ce travail, qui contribue au « dépyramidage » se fait dans le cadre du contingentement auquel nous sommes soumis par le ministère du Budget, qui nous impose de négocier chaque année la structure hiérarchique, grade par grade, de nos armées. Nous nous retrouvons, si vous me permettez cette image, revenus « sous vert budgétaire ». Nous sommes, de fait, sous un pilotage extrêmement serré.

Vous comprendrez qu’il nous est difficile d’imaginer, si nous ne tenions pas nos objectifs de masse salariale, d’aller au-delà des déflations déjà prévues dans la loi. Une déflation supplémentaire des effectifs ne pourrait se faire que par une baisse du recrutement. Les Britanniques ont été contraints d’appliquer une méthode très brutale de ce type, qu’ils ont appelée « black hole » - « trou noir », car elle les a conduits à avoir de vrais déficits de compétences dans certains domaines, déficit qui se fait toujours ressentir.

J’en viens à présent aux risques sociaux assortis à cette opération de déflation. Nous avons comme préoccupation constante de les prévenir, nous en parlons en cesse avec les représentants du personnel, nous formons nos cadres à la prévention de ce risque. En ce qui concerne les restructurations, un stress important, et parfois un drame personnel, peuvent naître chez les personnels à la fermeture de l’unité qu’ils servent. Paradoxalement, de telles manifestations peuvent également se rencontrer chez ceux dont l’unité est préservée mais où beaucoup de postes sont supprimés avec pour conséquence une augmentation sensible de la charge de travail – c’est la conséquence de l’échenillage que j’ai évoqué tout à l’heure. Le personnel militaire nous dit également que les opérations extérieures sont un facteur de stress, pour leurs familles et, par contre coup, sur lui-même. En outre, cette déflation se situe dans un contexte de crise économique qui ne facilite pas les aspects reconversion nécessaires à la manœuvre RH.

Puisque nous sommes sur un principe d’auto assurance, quelles sont les marges qui nous restent pour préserver l’équilibre de nos dépenses de titre 2 ? Nous recherchons toutes les techniques possibles pour équilibrer la masse salariale sans toucher aux effectifs mais nous avons forcément une tension sur cette dernière. Nous avons donc une diminution des mesures catégorielles, ce qui ne facilite pas l’accompagnement de la déflation.

Les moyens de fonctionnement courant – le soutien – rencontrent également des difficultés, dont le dernier rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire s’est fait l’écho. Ces crédits du titre 3 sont pris en ciseaux entre la masse salariale et les crédits d’équipement, du titre 5, qui sont tout aussi indispensables. Cela a un impact sur la vie quotidienne de notre personnel et je tiens à rappeler que la crise de la Gendarmerie nationale de 2001 était partie d’une crise de moyens pour exercer les missions au quotidien. Nous devons donc être très vigilants sur ce sujet.

Il existe cependant des perspectives encourageantes. Les leviers qui ont été votés dans le cadre de la LPM sont efficaces. Et il faut aussi savoir reconnaître quand quelque chose est bien. Le premier d’entre eux est le pécule militaire d’incitation au départ (PMID) : il est attractif puisque les gestionnaires ont réussi à attribuer la totalité de ceux qui étaient à leur disposition cette année, à destination tant des officiers que des sous-officiers. Le deuxième levier, la pension afférente au grade supérieur (PAGS) rencontre également un beau succès : la totalité a été attribuée en 2014 pour les sous-officiers et 76 % à ce stade de l’année pour les officiers. S’agissant du reclassement dans la fonction publique, nous sommes, à 24 % de l’objectif de 2 115 reclassements mais nous ne sommes qu’à mi- année. Nous pourrions avoir des difficultés dans ce domaine. En effet, cette possibilité se tarit car quasiment tous les ministères sont concernés par des objectifs de déflation d’effectifs.

Les outils d’accompagnement à la mobilité, en particulier pour le personnel civil, sont incitatifs et innovants. Nous avons par exemple modifié le bornage kilométrique pour bénéficier d’un accompagnement à la mobilité en région Île-de-France, où ce ne sont pas tant les kilomètres qu’il faut prendre en compte que le temps de transport : le seuil pour bénéficier d’une prime à la reconversion a été abaissé. Nous avons également une indemnité temporaire de mobilité (ITM) qui est un levier destiné à renforcer l’attractivité d’un poste non pourvu : nous avons augmenté le recours à ce dispositif de 50 % en 2014.

J’en viens aux actions menées en faveur de la reconversion, fonction que nous cherchons à optimiser en permanence, notamment en ce qui concerne les officiers. La reconversion des sous-officiers et militaires du rang fonctionne de manière satisfaisante et nous n’avons évidemment pas diminué notre ambition dans ce domaine. En revanche, nous l’avons sensiblement renforcée pour les officiers puisque, comme je l’ai dit précédemment, les cibles qualitatives de la LPM justifient un effort particulier sur cette population. Nous avons ainsi créé une mission de reconversion des officiers en charge d’un dispositif global d’accompagnement sur l’ensemble du territoire. Les officiers commencent à s’y intéresser de manière approfondie en sollicitant des informations de la part des antennes de l’Agence de Reconversion de la Défense (ARD). Si, à ce stade, ils ne sont pas beaucoup plus nombreux à décider de « sauter le pas », il existe un véritable intérêt, une volonté de comprendre ces nouveaux dispositifs, qui sont des dispositifs classiques d’accompagnement individuel avec bilan professionnel, travail sur un projet, proposition de formations, etc. qui permettent au projet – et donc à la reconversion – de prendre corps progressivement de manière efficace.

Des prestations individuelles et collectives ont donc été mises en place qui doivent faciliter l’accès aux emplois de cadre supérieur en dehors de notre ministère. L’ensemble du dispositif bénéficiant aux officiers sera pleinement opérationnel en 2014.

Qu’en est-il des suites de la manœuvre RH dans le cadre de la LPM ? Nous travaillons actuellement sur un modèle de ressources humaines à l’horizon 2025. Il s’agit d’une mutation vers un modèle RH qui se veut plus plastique. Nous recherchons les éléments de rigidité dans la gestion actuelle des ressources humaines et essayons, sans rupture, de faire évoluer ce modèle dans le respect de quatre principes fondamentaux. Premièrement, il s’agit d’assurer la capacité de nos armées à honorer leurs contrats opérationnels. Deuxièmement, il faut préserver la spécificité du métier des armes, ne pas le banaliser, en maintenant l’ensemble du statut général des militaires. Troisièmement, il convient de veiller à ce que les personnels travaillant dans des milieux typiques bénéficient de politiques spécifiques, sous réserve qu’elles soient cohérentes de la vision ministérielle. Il ne faut pas pratiquer l’égalitarisme à l’intérieur du ministère ; ainsi la politique RH d’une armée ne sera jamais identique à la politique RH de la DGA, par exemple. Enfin, nous devons bâtir un modèle qui prenne en compte la complémentarité entre la population militaire et la population civile.

Nos marges d’optimisation portent sur la définition de parcours professionnels, qui doivent devenir très lisibles, et sur l’idée qu’il convient de diffuser qu’une carrière d’officier ne doit pas nécessairement être une carrière complète qui s’effectue jusqu’à la limite d’âge, y compris pour les officiers de recrutement direct. Si les personnels doivent évidemment envisager une première carrière, seuls certains – notamment ceux qui auront été sélectionnés dans le cadre d’enseignement militaire supérieur – doivent pouvoir accéder à une seconde partie de carrière dans les armées. Pour les autres, cela ne sera pas nécessairement possible. Nous évoluerons progressivement, sans rupture brutale, vers ces modèles.

Pour pouvoir mener la manœuvre RH jusqu’au bout, nous allons éventuellement être amenés à procéder à des aménagements sur certains dispositifs. Nous devrons rester attentifs à l’analyse de ce que nous vivons – et je sais que vous y veillerez. Je vous ai présenté le bilan des deux premiers outils après six mois d’exercice. Les suivants, notamment la promotion fonctionnelle, seront mis en œuvre au cours de la programmation. Il nous faut suivre ces outils très précisément : qui les actionne ? Dans quelles proportions ? Quels sont les retours de la part des bénéficiaires ? Le cas échéant nous adapterons ces outils, mais nous serons éventuellement également amenés à demander leur prolongation. En effet, le pécule ou encore la pension afférente au grade supérieur (PAGS) sont limités à la durée de la LPM. En cas de difficulté à atteindre les objectifs, nous devrons peut-être adapter leur volume voire envisager de les maintenir pour une période plus longue.

Au titre des ajustements à effectuer, nous connaissons quelques difficultés de mise en œuvre de la PAGS avec le service des retraites de l’État (SRE). Environ 200 militaires ont utilisé cet outil nouveau, mais les modalités de liquidation nous ont beaucoup déçus car il y a eu un problème d’anticipation pour adapter les systèmes informatiques, ce qui pourrait menacer l’attractivité du dispositif.

Nous devons également avoir une capacité de réflexion sur la nature même des outils si nous ne parvenons pas à atteindre nos objectifs de déflation. À l’heure actuelle, ils sont tous de nature incitative. Conformément aux souhaits du ministre, nous avons exclu, à ce stade, tout recours à des mécanismes coercitifs. Mais si nous ne parvenons pas à conduire la manœuvre – et je rappelle que nous sommes en tension –, peut-être faudra-t-il imaginer des dispositifs plus contraignants.

J’aurais pu aborder d’autres sujets ou les détailler davantage – le rééquilibrage entre populations militaire et civile, la gouvernance de la fonction RH, les systèmes d’information – mais il m’a semblé plus pertinent de me concentrer sur la manœuvre RH.

Mme la présidente Patricia Adam. Sur les trois domaines constitués par la description des postes, les effectifs et le budget, pourriez-vous nous indiquer où vous vous situez concrètement à l’heure actuelle par rapport aux objectifs à atteindre en 2014 ?

M. le CGA Jacques Feytis. Pour l’exercice 2014, nous n’avons pas de difficultés s’agissant de la description des postes : nous savons d’ores et déjà quels sont les postes supprimés, et ils correspondent aux objectifs de déflation des effectifs. C’est à partir de 2015 qu’il existe encore un écart entre l’identification des postes concernés et les objectifs qui nous sont assignés, et année après année, l’écart va s’accentuant si l’on se projette dans le futur. Pour 2014 la situation reste maîtrisable. L’écart n’est pas de grande ampleur car nos projections à la fin de l’exercice effectuées à partir des données disponibles au 31 mars, sans prendre en compte les mesures d’adaptation décidées depuis, nous laissent penser qu’il serait de 227 en effectifs physiques, sur un effectif total de 280 000, et qu’il serait seulement de 130 si l’on raisonne en équivalent temps plein travaillé (ETPT). Il nous appartient malgré tout de prendre les mesures correctrices nécessaires avec les gestionnaires concernés, en espérant que les départs volontaires continueront et que nous serons ainsi en mesure de maintenir les flux de recrutement. Il est indispensable de maintenir ce dernier tant pour des raisons de dépyramidage des effectifs qu’au vu des nécessités opérationnelles des unités. Il convient de rester vigilant pour 2014, sachant cependant que les difficultés seront plus importantes en 2015 en raison de la double difficulté de la description des organisations et de l’accumulation de l’effort à réaliser pour réduire les effectifs.

M. Jean-Jacques Candelier. Le président de la République a récemment indiqué que la LPM devait être respectée, tout en jugeant que des efforts supplémentaires devaient être effectués au travers d’une gestion plus dynamique. Quels sont les efforts qui vous sont demandés à ce titre ? En votre qualité de DRH, êtes-vous optimistes pour l’avenir ? Je relève dans vos propos des inquiétudes et vous avez utilisé le mot « risques » à plusieurs reprises.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. S’agissant des objectifs de civilianisation, je souhaiterais savoir qui est en charge de décrire la nature des postes ? S’agit-il des DRH d’armée, auquel cas il est possible de redouter certains biais, ou bien du DRH-MD ? Les organisations syndicales ont effectué à ce sujet un travail important de recensement et de propositions, base de défense par base de défense, pour déterminer les postes pouvant être occupés par des civils et ainsi effectuer des économies contribuant à limiter les réductions d’effectifs dans les forces. L’avez-vous analysé ? Enfin, en ce qui concerne LOUVOIS, qui a un impact sur la masse salariale, nous avons reçu des informations selon lesquelles les calculs concernant les trop-perçus seraient eux-mêmes en grande partie erronés, ce qui limiterait d’autant les reversements que l’on peut attendre.

M. Daniel Boisserie. S’agissant des départs volontaires, pourriez-vous préciser les raisons qui conduisent les sous-officiers à recourir davantage que les officiers aux outils incitatifs mis à leur disposition ? Vous avez rappelé que l’objectif de réduction des effectifs d’officiers visait à ramener leur part dans les effectifs de 16,75 % à 16 %. Si certaines mauvaises langues ne manquent pas d’estimer que le nombre d’officiers supérieurs serait trop important, il n’en reste pas moins que nos armées sont de plus en plus techniques et spécialisées. Dès lors, comment entendez-vous mener à bien la manœuvre de diminution des effectifs sans mettre à mal l’efficacité de l’outil militaire ?

M. Francis Hillmeyer. Vous avez relevé que « personne n’attend les militaires à la sortie », mais vous avez une mission de reconversion au sens large. Si les dispositifs de départ volontaires sont actuellement privilégiés, quelle forme pourrait prendre l’hypothèse que vous avez évoquée de mise en place éventuelle d’outils coercitifs ? Par ailleurs, qu’en est-il des obligations de formation du ministère dans le cadre des reconversions ? S’agissant des écoles, au vu de la réduction engagée de mille postes d’officiers par an, s’achemine-t-on vers la mise en place d’un numerus clausus ? Enfin le coût humain et matériel des externalisations est-il pris en compte dans ce calcul ?

M. le CGA Jacques Feytis. Vous avez fait référence au compte rendu du dernier conseil de défense, qui nous a tous rassurés sur la sécurisation de la LPM. Les efforts de meilleure gestion auxquels il est fait référence ne portent pas sur les ressources humaines ; je crois comprendre qu’il s’agit davantage de questions liées au fonctionnement, même si n’en étant pas spécialiste, je ne vois pas trop quelles pourraient être les pistes d’économies en la matière. Dans le domaine des ressources humaines, si l’on considère que nous devons absolument tenir les objectifs de masse salariale, quels sont les leviers dont je dispose ? Il n’est pas possible d’accroître le cadencement annuel de déflation, car les objectifs fixés par la LPM sont déjà très ambitieux en la matière. L’autre levier est de veiller à ce que nous donnions aux agents, civils comme militaires, ce qui est nécessaire, notamment en matière indemnitaire. De ce point de vue les marges de manœuvres qui nous sont laissées sont également très faibles, car la maîtrise de la masse salariale passe aussi par celle de ce qu’il est convenu d’appeler le catégoriel. En regard de cette politique restrictive, nous avons un risque social, tout particulièrement s’agissant des agents dont les traitements et soldes sont modestes. Lors du dernier CSFM, les militaires du rang ont ainsi porté un message sur l’érosion constante de leur pouvoir d’achat. Aussi est-il particulièrement nécessaire que nous puissions assurer au plus tôt la transposition au sein du ministère de la Défense de mesures de revalorisation prises début 2014 en faveur des agents de catégorie C de la fonction publique, afin de récompenser les efforts consentis par les militaires du rang. Il s’agit de la juste rétribution des militaires du rang. Ce point est en négociation avec le ministère des Finances et, compte tenu du blocage constaté, une réunion interministérielle a été demandée. C’est là pour moi un risque majeur de la manœuvre RH, qui n’est pas seulement technique et que je ne vous dissimule pas.

L’autre risque que j’avais évoqué, technique, réside dans le fait que si la communauté des gestionnaires ne dispose pas d’une bonne image des postes à supprimer, elle aura beaucoup de mal à affecter les personnels disponibles de manière efficace. Il faut donc repenser nos organisations, même si c’est difficile, pour gagner en visibilité à moyen terme.

Il s’agit donc à la fois d’avoir la bonne visibilité et d’être soucieux de justice sociale.

L’exercice de rééquilibrage entre populations militaire et civile est en cours, et je tiens à cette dénomination à mon sens plus constructive que le terme de « civilianisation ». Il faut en effet jouer des complémentarités entre le statut militaire et le statut civil, et veiller à ne pas opposer les personnels entre eux. Le statut militaire est évidemment très précieux et mérite d’être préservé, mais l’on ne peut pas pour autant cantonner les militaires aux seuls postes opérationnels. Toute la question réside donc dans le bon point d’équilibre dans l’attribution de postes non opérationnels à des militaires. La définition du caractère militaire, civil ou mixte des postes est un exercice qui relève non pas des DRH mais bien des responsables des organisations concernées, c’est-à-dire des chefs d’état-major ou des directeurs. Les DRH mettent les compétences sur les postes décrits. Les analyses sont-elles pour autant toujours objectives ? On peut certes toujours s’interroger, mais j’ai toutes les raisons de croire à leur honnêteté, le travail engagé étant de surcroît largement collaboratif, mené sous l’égide du chef d’état-major des armées avec la collaboration active du directeur du service du commissariat des armées. La tâche n’est pas aisée et je prendrai à cet égard l’exemple de la fonction restauration. Il est certain qu’il convient de conserver une part qui soit assurée par des militaires afin de pouvoir par exemple les projeter sur des théâtres d’opération non stabilisés ou sur des préavis très courts lors de secours aux populations, le relais étant pris ultérieurement par d’autres, comme l’économat des armées. Il en va de même aussi pour des fonctions administratives comme les finances ou les ressources humaines, car il y a également des actes RH en opérations, même si les volumes de personnels concernés ne sont pas considérables. Pour arriver à un résultat efficace, il est donc nécessaire de croiser les points de vue et de bien spécifier quel est le contrat opérationnel y compris sur le territoire national. Les premières conclusions de cette démarche seront bientôt disponibles. Cela permettra d’effectuer une comparaison entre les besoins exprimés et les volumes de personnels disponibles, et de prendre éventuellement des mesures de rééquilibrage entre populations militaire et civile.

En outre, le ministre de la Défense m’a chargé de mettre en place une équipe d’audit RH pluridisciplinaire afin de vérifier dans les unités si la réalité de la description des organisations correspond effectivement aux besoins et quelles ont été les solutions retenues. Les analyses produites par les organisations syndicales ont bien entendu été portées à la connaissance des responsables du travail de description des organisations, de manière très constructive. Ces études sont utiles mais ne se substituent naturellement pas à notre propre capacité d’analyse au sein de la DRH-MD. Nous avons ainsi procédé au début de 2014 à une analyse très fine au sein des bases de défense, ce qui nous a permis de relever quelques erreurs de description de postes. Au travers de ce processus, nous entendons donc tous les acteurs, qu’il s’agisse des employeurs ou des organisations syndicales, tout en nous attachant à développer notre propre vision synthétique. Cette complémentarité ne doit pas conduire à braquer une communauté contre une autre.

Si les sous-officiers utilisent davantage les outils incitatifs d’aide au départ, c’est avant tout parce qu’ils peuvent quitter le service actif plus tôt, en bénéficiant de leur pension à jouissance immédiate à partir de 17 années de service, contre 27 années pour les officiers, ce qui les amène dans la deuxième partie de la quarantaine, période plus délicate pour le départ. L’âge moyen des sous-officiers et, pour beaucoup d’entre eux, leur profil de techniciens rendent en outre assez aisée leur reconversion sur le marché du travail, alors que de nombreux officiers ont avant tout un profil généraliste. Il ne faut pas non plus négliger un aspect d’ordre psychologique : la plupart des officiers se sont engagés en souhaitant mener une carrière complète. Il faut à mon sens que nous arrivions à inscrire dans l’esprit des officiers qu’ils ne feront pas forcément tous une carrière complète, ce qui est certes nouveau pour nous mais qui est déjà le cas dans d’autres grandes armées, comme l’armée britannique par exemple.

La manœuvre de dépyramidage doit effectivement pouvoir être réalisée sans porter atteinte aux capacités du ministère. Indiscutablement, les métiers se complexifient. Pour cela, il convient d’être particulièrement résolu dans le processus de description des organisations, en veillant à faire des demandes équilibrées s’agissant du grade et de la qualification des titulaires de postes et en ayant ainsi un comportement économe en matière de ressources humaines. C’est un effort quotidien car c’est toujours rassurant d’avoir des cadres expérimentés. Lors de l’élaboration de la LPM, il a été clairement décidé de ne pas mettre en place de dispositifs coercitifs pour le départ des personnels militaires. Nous verrons si les outils incitatifs mis à notre disposition permettent d’atteindre les objectifs fixés. Pour l’instant, le bilan 2014 est satisfaisant mais, j’insiste, l’exercice est délicat. Si tel n’était pas le cas, il serait possible d’envisager par exemple des durées maximales de service par grade, à l’issue desquelles, faute de promotion, le titulaire du poste ferait valoir ses droits à pension à jouissance immédiate. Dans tous les cas, de telles mesures devront être associées à un dispositif personnalisé d’accompagnement à la reconversion. Jamais le personnel concerné ne partirait sans rien. Il s’agit, à ce titre, tout simplement de lui marquer la reconnaissance due pour son engagement.

Mme la présidente Patricia Adam. Les Britanniques ont-ils eu recours à de telles mesures ?

M. le CGA Jacques Feytis. Ils ont en effet pour habitude de mettre fin aux carrières de manière nettement plus brutale que nous, sans avoir pour autant de véritable culture d’accompagnement des personnels. Cela engendre d’ailleurs des effets non désirés, comme des départs prématurés de personnels de qualité, qui ne souhaitent pas subir de telles mesures et profitent des occasions de reconversion dès qu’elles se présentent. J’en tire la conclusion qu’il faudrait, le cas échéant, utiliser avec prudence les outils coercitifs.

La gestion des ressources humaines ne peut être réduite à la seule déflation des effectifs. Les opérations se poursuivent, la technicité augmente, et donc l’effort en matière de formation ne peut être relâché. Des marges d’économie sur l’outil de formation sont peut-être disponibles compte tenu de sa taille d’ensemble, mais cette question ne relève pas de ma responsabilité. Au demeurant, il convient d’être vigilant s’agissant des écoles d’officiers, en préservant leurs spécificités par type d’armée, gage d’attractivité. Il ne sera pas possible de maintenir ces écoles si nos flux de recrutement descendent au-dessous d’un certain seuil. Il nous faut donc inciter au départ les hauts de pyramide, la meilleure garantie de la pérennité des grandes écoles militaires restant le départ des plus anciens.  

S’agissant des externalisations, elles ne font pas l’objet d’une priorité actuellement au sein du ministère et ne sont pas considérées comme la solution idéale, ce qui ne veut pas dire que nous n’y réfléchissons pas parfois de manière rationnelle. Dans tous les projets d’externalisation, la question des ressources humaines fait partie des paramètres pris en compte, car nous devons conserver nos personnels même si les tâches sont confiées à des prestataires, sans pouvoir transférer la ressource humaine à l’opérateur. Le dispositif de mise à la disposition, sur une base volontaire, n’étant guère attractif, la plupart des externalisations sont donc souvent économiquement peu intéressantes.

M. Philippe Nauche. Lors de la précédente LPM nous avions constaté une déflation des effectifs, mais pas de la masse salariale. Disposez-vous d’une analyse précise des raisons qui ont conduit à ce résultat ? Quel est l’objectif prioritaire qui vous a été assigné pour la LPM 2014-2019 : réduction des effectifs ou diminution de la masse salariale ? À moins que vous ne poursuiviez ce double objectif ?

M. Michel Voisin. Vous avez évoqué la déflation du nombre d’officiers. La même réflexion m’habite depuis plusieurs années : alors que nous réduisons progressivement le format des armées, nos écoles continuent de produire un nombre proportionnellement élevé d’officiers. Cela a plusieurs effets. Sur le moral des armées d’abord, avec une certaine désaffection des jeunes officiers qui voient leur carrière se terminer rapidement. Il me semble que lorsque l’on connaît le format des armées, il est facile de déterminer le nombre d’officiers nécessaires. Vous avez précisé qu’il fallait en déflater 1 000 ; vous arrivez à 850. Cela va poser problème.

En outre, la récente loi portant réforme des retraites a amené à augmenter l’âge de départ en retraite pour les officiers, ce qui a permis à un certain nombre d’entre eux d’être réintégrés dans le système du pécule. Quel a été le coût de cette réforme sur ce dispositif ?

Enfin, vous nous avez indiqué travailler à un horizon de cinq ans. Je crois savoir qu’en matière d’équipements il existe un plan prospectif à 30 ans. Or il me semble que lorsque l’on songe à équiper nos armées en matériels à un horizon de 30 ans, on doit pouvoir être en mesure de déterminer les effectifs susceptibles d’opérer ces matériels en conséquence… Existe-t-il un document prospectif analogue en matière de ressources humaines ?

Mme la présidente Patricia Adam. Excellente question mon cher collègue.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le contrôleur général, nous vivons un miracle permanent : des jeunes gens, hommes et femmes, continuent de vouloir servir notre pays malgré toutes les mesures que vous nous annoncez. Je suis quelque peu atterré de constater que depuis des années on parle des armées comme d’une administration comme les autres. Je pense qu’il s’agit d’un métier spécifique et je m’interroge sur la pérennité des vocations dans le cadre d’un système aussi fermé. Je me demande si les jeunes gens qui nous écoutent ne seront pas d’autant plus motivés pour partir au Canada, en Russie, en Allemagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande bref, dans tous les pays qui disposent encore d’un élan vital et qui ne sont pas gérés par une administration extrêmement efficace, dans la mesure où elle obéit à celles et ceux qui cèdent à l’idée selon laquelle les économies seraient permises par des réductions de postes dans les administrations régaliennes.

Car enfin, ce système est fou ! On supprime de vrais emplois dans ces administrations et, parallèlement, on crée de sous-emplois avec les contrats aidés, ou encore les postes liés à la réforme des rythmes scolaires. On diffuse à notre jeunesse l’idée selon laquelle s’engager dans des métiers de haute qualification, tel le métier d’officier, serait en fait peu intéressant. Je m’interroge donc profondément sur les modes de sélection à terme. Qui aura la possibilité de faire une carrière longue et qui verra le couperet tomber avant le terme de celle-ci ? Je suis persuadé qu’en termes de pensée stratégique et militaire, les révolutions et les ruptures interviennent souvent par celles et ceux qui ne partagent pas la pensée dominante, qui sont parfois en révolte avec le système. Ce n’est évidemment pas un reproche personnel, mais je pense que vous êtes en train de mettre consciencieusement en place un système profondément mortifère. C’est un système totalement soviétique au sens d’une administration toute-puissante qui tue la possibilité d’innovation et qui fait « rentrer dans un moule », ainsi que certains excellents écrivains russes l’ont parfaitement décrit. Je suis donc profondément inquiet pour les armées françaises à l’avenir. Menez-vous une réflexion quant aux critères sur la base desquels les officiers seront autorisés à poursuivre leur carrière ? Au risque de vexer certains, j’ai parfois la sensation que nos généraux sont davantage politiques et obédients par rapport au pouvoir civil qu’ils ne sont de vrais militaires, ce qui n’est pas absolument pas efficace sur le champ de bataille du futur.

M. Gwendal Rouillard. Ma première question porte sur les ouvriers de l’État. Le ministère de la Défense a pris la décision d’en recruter plusieurs centaines, ce qui continue de faire débat avec d’autres ministères. Où en est-on dans la mise en œuvre de ces recrutements ? Ma seconde question a trait au dispositif Défense Mobilité et à la politique de reconversion. Parvenez-vous, au fil des années, à mesurer l’impact de ce dispositif ? Je constate, au pays de Lorient et en Bretagne en général, que les partenariats mis en place ces dernières années entre le ministère de la Défense et les réseaux d’entreprises au niveau national fonctionnent de mieux en mieux. Les marges de progression résident sans doute dans le fait de nouer des partenariats analogues au niveau local, entre les antennes Défense Mobilité et les réseaux d’entreprises dans les territoires. Appliquer les conventions nationales dans les territoires est positif, mais nouer directement des partenariats à l’échelon territorial et diversifier ainsi les réseaux d’entreprises à même de prêter main-forte aux antennes Défense Mobilité me semble encore plus efficace. Il serait donc sans doute pertinent d’insister sur cet aspect dans les mois à venir.

M. le CGA Jacques Feytis. Monsieur Nauche, vous soulignez à juste titre que lors de la précédente LPM les effectifs ont diminué sans réduction à due proportion de la masse salariale. J’irais plus loin : non seulement la masse salariale n’a pas été réduite à due proportion, mais elle s’est même quasiment stabilisée. Telle est la critique que nous ont adressée la Cour des comptes et Bercy. Lorsque j’ai pris mes fonctions il y a deux ans, j’ai demandé au général Alain Ferran, chef du service de la politique générale et du pilotage des ressources humaines, de conduire une analyse de la situation. Cette stabilisation de la masse salariale résultait-elle d’irresponsabilités dans notre gestion ? Nous avons constaté que la pente correspondant à la masse salariale limitée aux rémunérations et charges sociales (RCS) est la même que la pente correspondant aux effectifs, ce qui est logique. Dès lors, pourquoi la masse salariale globale est-elle restée stable alors que sa part RCS diminuait au même rythme que les effectifs ? Parce que nous étions dans une période économique différente avec, peut-être, une appréciation différente de la nécessité de « tenir » les budgets.

M. Philippe Nauche. L’objectif était peut-être la préservation d’une certaine paix sociale ?

M. le CGA Jacques Feytis. La révision générale des politiques publiques (RGPP) était clairement affichée comme étant une politique de diminution des effectifs, assortie toutefois d’un « retour catégoriel ». Celui-ci était de l’ordre de 100 millions d’euros par an, contre un peu plus de 30 millions d’euros aujourd’hui. Il y avait donc une différence de politique probablement dictée par un contexte économique différent. Dorénavant, il faut maîtriser les déficits. Mon prédécesseur n’avait pas pour objectif clair de « tenir » la masse salariale, il devait essentiellement « tenir » les effectifs. Outre les mesures catégorielles, des mesures générales ont été prises en cours de mandat, alors que nous vivons dorénavant une période de gel du point d’indice. Les seules mesures générales actuellement mises en œuvre sont les mesures SMIC, et vous savez avec quelle difficulté celles-ci sont octroyées aux militaires. Dans ces conditions, il est évidemment plus facile de maîtriser la masse salariale, parfois au détriment de la justice sociale dès lors que les militaires du rang sont touchés…

Mme la présidente Patricia Adam. Ce n’est pas normal.

M. le CGA Jacques Feytis. ... mais la situation devrait toutefois s’améliorer dans les semaines ou mois à venir. Je rappelle également que nous avons connu un plan de restructuration dont j’ose dire que, au sein d’une entreprise privée, celui-ci s’appellerait plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Or un PSE est coûteux. Adapté aux particularités du secteur public et du ministère de la Défense – puisque nous sommes les seuls à être capables d’accompagner de telle manière les évolutions – un tel plan demeure néanmoins coûteux, et ce coût se retrouve naturellement dans l’agrégat masse salariale.

Finalement, quelle est donc la part qui relevait de la qualité de notre gestion stricto sensu ? C’est ce que l’on appelle le glissement vieillesse technicité (GVT), avec la maîtrise des avancements par exemple. Or le GVT pèse assez peu dans la dynamique globale de la masse salariale. Si celle-ci n’a en effet pas diminué en proportion de la baisse des effectifs, c’est parce que sa décroissance potentielle a été compensée par des mesures d’acceptation sociale de la réforme et par des évolutions de grilles répondant aux nouveaux statuts particuliers et au besoin de rattrapage mentionné par les rapports du HCECM. Les mêmes conditions d’acceptation sociale ne sont plus d’actualité, dès lors nous sommes davantage en risque. À l’avenir, peut-être serons-nous obligés de trouver un moyen de rendre acceptable l’effort supplémentaire qui est demandé. Une tension se crée que nous sentons tous, le ministre en premier lieu.

Techniquement, mon objectif est de maîtriser la masse salariale année après année. Sur un agrégat d’environ 12 milliards d’euros, Bercy nous fait des remontrances lorsque nous dépassons celui-ci de 10 millions d’euros. Si l’écart se limite à ce montant, j’estime pour ma part que nous ne sommes ni de trop mauvais gestionnaires ni des irresponsables et qu’un tel résultat témoigne de l’effort collectif qui est fait de la part des employeurs, des gestionnaires et des agents.

Monsieur Voisin vous m’avez interrogé sur les diminutions de recrutements d’officiers. Il y en a eu ces dernières années, les écoles militaires ne recrutent plus comme avant. Je suis ancien élève de l’école militaire interarmes. Il y a 20 ans, ses promotions comptaient 200 élèves, contre 80 aujourd’hui. À Saint-Cyr, 200 élèves étaient intégrés il y a 20 ans et seulement 120 aujourd’hui.

M. Michel Voisin. Certes, mais quel était alors l’effectif des armées il y a 20 ans ? Le problème est là.

M. le CGA Jacques Feytis. Je pense que la diminution des recrutements d’officiers est assez proportionnelle à la réduction des effectifs globaux. Nous nous améliorons collectivement sans cesse. Au titre de mes nouvelles responsabilités dans le cadre de la nouvelle gouvernance RH, j’exerce une pression amicale et bienveillante mais certaine sur mes collègues DRH d’armée afin qu’ils soient vigilants quant aux volumes de recrutements dans les écoles dont ils ont la charge. Toutefois si nous voulons préserver ces écoles, il ne faut pas diminuer les recrutements à l’excès. En deçà d’un seuil critique, se poserait la question de l’existence même de ces écoles, ce qui serait gravissime. Nous devons préserver nos grandes écoles militaires.

Mme la présidente Patricia Adam. Il faut les ouvrir.

M. le CGA Jacques Feytis. C’est en effet une autre solution, à laquelle je suis favorable et à laquelle toutes les armées réfléchissent. Il faut ouvrir le recrutement de ces écoles à des étudiants qui seront heureux de faire Saint-Cyr, l’École navale ou l’École de l’air, même s’ils n’envisagent pas d’être officiers. Ils seront satisfaits de bénéficier des formations offertes et que l’on pourra sans doute adapter à la marge sans les dénaturer, pour vraisemblablement devenir des ambassadeurs enthousiastes de nos armées dans la société civile. En tout état de cause, je peux vous affirmer que les armées ont fait des efforts dans ce domaine.

MM. Michel Voisin et Nicolas Dhuicq. Mais pour exercer quels métiers ?

M. le CGA Jacques Feytis. Je pense qu’un jeune diplômé ingénieur de l’École navale ou de l’École de l’air ou de Saint-Cyr présentera un profil intéressant. Nos officiers ne sont pas forcément recherchés pour leurs compétences techniques militaires. J’ai récemment rencontré un jeune capitaine d’artillerie recruté dans une banque. J’imagine qu’il n’a pas été embauché pour sa maîtrise de la technique de l’artillerie. Ce sont ses compétences génériques qui ont intéressé l’entreprise. De la même manière, je suis persuadé que beaucoup de personnes seront ravies de suivre une formation dans une grande école militaire dans le cadre d’un double cursus ou d’un double master. Il est ainsi possible d’envisager un parcours de trois ans dans l’une des trois écoles militaires évoquées, complété par un an en école de commerce ou d’ingénieur avant de se lancer dans la carrière d’un cadre du secteur privé.

Mme la présidente Patricia Adam. D’autant que notre pays manque d’ingénieurs.

M. Nicolas Dhuicq. Ils partent à l’étranger !

M. le CGA Jacques Feytis. Il nous manque en effet environ 15 000 ingénieurs par an. Que nos écoles militaires contribuent à améliorer cette situation ! Ceci sera en outre facteur de rayonnement. On pourra objecter que l’effort financier afférent sera à la charge du ministère de la Défense. Nous ne sommes certes pas en mesure de mettre immédiatement de telles mesures en pratique, mais nous trouverons des solutions. Toutes choses égales par ailleurs tant son cas est spécifique, Polytechnique est une école militaire certes, mais qui forme des cadres de la société civile. Des solutions peuvent être trouvées, les armées ne sont pas irresponsables et ont veillé à maîtriser tous leurs flux de recrutements, directs, internes ou d’officiers sous contrat.

L’effet de la réforme des retraites de 2010 a été très important sur l’évolution de la population d’officiers ; l’accroissement de deux ans des limites d’âge a de ce fait pesé sur la manœuvre RH de la précédente LPM et pèse d’ailleurs encore sur celle en cours. L’évolution des effectifs d’officiers ne découle donc pas d’une irresponsabilité supposée des gestionnaires, mais bien de l’impact de cette réforme.

Mme la présidente Patricia Adam. Quel a été le coût induit par cette réforme ?

M. le CGA Jacques Feytis. Cet allongement de la durée de cotisation est un facteur de contrainte supplémentaire de la manœuvre RH, mais qu’il est très difficile de chiffrer précisément. La nécessité de recours à des dispositifs ciblés permettant de favoriser les départs et qui représentent pour l’ensemble du Plan d’accompagnement des restructurations (PAR) de l’ordre de 100 millions d’euros par an, est également justifiée par cette contrainte.

Il n’y a pas d’équivalent du PP30 pour les ressources humaines. S’agissant des équipements, on pourrait en première analyse penser que les équipements les plus modernes sont moins consommateurs en personnels et facilitent donc la manœuvre de déflation des effectifs, bien que souvent ils nécessitent des compétences plus élevées et sont donc source de pyramidage. Il convient toutefois de noter que les retards et rééchelonnements de leurs livraisons conduisent à faire coexister des parcs très anciens avec ces nouveaux matériels, ce qui est très exigeant en termes de personnels.

M. Nicolas Dhuicq. L’exemple de l’immobilisation de la flotte de F15 américains montre que la coexistence de plusieurs flottes n’est pas toujours inutile.

M. le CGA Jacques Feytis. Je ne suis pas expert dans ce domaine. Qu’il me soit permis en revanche d’estimer que vous avez choisi des mots très durs pour qualifier le schéma que je vous ai présenté. Si l’on décide de réduire les effectifs, il est logique que ces réductions portent aussi sur les personnels officiers. Globalement, nos structures de commandement doivent être en cohérence avec la base. Sinon, il y a risque de disproportion.

M. Nicolas Dhuicq. On peut également défendre un point de vue politique selon lequel il est déraisonnable de réduire le format de nos armées.

M. le CGA Jacques Feytis. Sans doute, mais à partir du moment où la décision a été prise, il convient de l’appliquer de telle sorte que l’équilibre d’ensemble du corps que représentent les armées soit préservé. Est-ce que cela signifie pour autant que ceux qui resteront seront soumis au diktat de la pensée unique ? Je ne le crois pas. Nous avons peut-être en revanche des élites militaires qui ont tendance à s’autocensurer davantage qu’auparavant, car les règles juridiques applicables ne sont pas aussi limitatives que l’on feint de le croire. L’air du temps y conduit peut-être, alors qu’avec le même système juridique nous avons connu des expressions publiques plus flamboyantes dans les générations précédentes. Mais, il n’est pas interdit de penser, de s’exprimer et d’écrire ! Quant à me prêter des intentions « soviétiques », cela me peine d’autant plus qu’en tant que militaire j’ai passé le début de ma carrière à me tenir prêt à porter l’estocade à ce système !

Comment faisons-nous pour mesurer précisément les flux nécessaires de recrutement ? Nous demandons à chaque armée de définir quels seront ses besoins à un horizon de dix ans. Puis nous appliquons à ces effectifs un taux de correction correspondant à ce que nous savons de l’attrition moyenne au cours de cette période de dix ans à compter d’un nouveau recrutement. À titre d’exemple, pour les élèves issus de l’école spéciale militaire, ce taux représente 35 % de l’effectif sur les quinze premières années. De la sorte, nous arrivons à calibrer correctement nos flux de recrutement au vu des besoins futurs.

M. Michel Voisin. Il était d’usage il y a encore trente ou quarante ans, que les héritiers d’entreprises familiales effectuent leur formation dans des écoles militaires, avant de reprendre en main la gestion de leur PME-PMI en quittant les armées au grade de capitaine.

M. le CGA Jacques Feytis. Je pense que c’est effectivement un bon schéma, qui est d’ailleurs assez naturel chez les Britanniques.

S’agissant des ouvriers de l’État, le ministre a décidé en 2012 de procéder à nouveau à des recrutements. Nous avons travaillé avec les employeurs afin d’identifier pour quelles spécialités ces recrutements étaient possibles. Quatre spécialités ont été identifiées pour lesquelles un effort était nécessaire : la maintenance aéronautique, les frigoristes, les diésélistes et les pyrotechniciens. Nous avons donc entamé la démarche interministérielle en vue d’obtenir l’autorisation de procéder à ces recrutements, dont il ne faut pas dissimuler qu’elle est difficile, compte tenu notamment des travaux de la Cour de comptes et de l’enthousiasme limité tant de la direction générale de l’administration et de la fonction publique que de la direction du budget. Nous avons malgré tout obtenu quelques résultats positifs, dont la transformation en ouvriers de l’État des 300 contractuels qui avaient été recrutés précédemment pour la maintenance aéronautique. Ensuite nous avons un plan sur l’ensemble de la LPM pour recruter 400 nouveaux ouvriers. Il nous faut négocier ces recrutements chaque année, et pour 2014 nous en avons obtenus 105. Il convient de rappeler que le bordereau des salaires des ouvriers de l’État reste gelé et que ce gel emporte rémunération de l’ensemble de l’indemnitaire, ce dernier étant proportionnel à la rémunération de base. Objectivement, la seule progression possible de pouvoir d’achat pour cette catégorie repose donc actuellement sur l’avancement.

En ce qui concerne l’ARD, nos outils de reconversion sont assez efficaces, mais nous sommes confrontés à une situation difficile du marché de l’emploi, tant privé que public. Nous ne sommes ainsi qu’à 24 % de nos objectifs de reconversion vers le secteur public pour l’année 2014. Je pense pour autant que notre outil est bon et qu’il nous faut continuer de développer de nouvelles pratiques. Pour avoir pu vérifier que les partenariats avec les grandes entreprises ne sont pas forcément les plus efficaces, je partage vos constats ; au demeurant, chacun sait que les PME-PMI représentent 75 % de l’emploi salarié en France, et c’est ce terrain-là qu’il nous faut labourer le plus assidûment. Chaque pôle de l’ARD s’y consacre en recherchant des partenariats avec des entreprises locales. Pour les officiers, après une longue carrière dans une institution marquée par ses propres codes, il est parfois difficile de se réadapter aux codes d’autres grandes structures. Cette démarche est souvent plus aisée au sein de PME. Il faut donc développer l’idée selon laquelle nos officiers, après avoir été des cadres des armées, peuvent aussi être des cadres de la Nation, principalement dans le tissu de petites et moyennes entreprises. En outre, ils ne sont rebutés par un emploi en province, où ils ont souvent servi pendant l’essentiel de leur carrière.

M. Michel Voisin. Nous sommes tous des républicains et plaçons l’homme au centre de nos préoccupations. Le fait de se référer systématiquement à la seule évolution de la masse salariale ne vous interpelle-t-il pas ?

M. le CGA Jacques Feytis. Résumer les ressources humaines à la seule gestion de l’évolution des effectifs et au suivi de la masse salariale constitue à l’évidence une vision un peu asséchante du domaine, et cela nous détournerait de la formule de Jean Bodin selon laquelle il n’est de richesse que d’hommes. S’il s’agit certes de mes premières préoccupations, ce ne sont pas les seules : j’attache ainsi une très grande attention à l’attractivité des carrières, aux flux de recrutements, mais aussi à l’accompagnement social. Le ministère compte 644 assistantes sociales, qui effectuent un travail remarquable au service de nos personnels civils et militaires, de leurs familles, mais aussi de nos retraités, soit au total deux millions de ressortissants. Nous sommes en effet très attentifs à la cohésion d’ensemble de cette communauté de défense. Vous pouvez donc concevoir que ces actions nous mettent parfois un peu de baume au cœur et que ce n’est pas seulement la calculette qui domine. Tout DRH préfère être dans une phase d’expansion. Ce n’est pas le rôle dévolu à notre génération.

La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, M. Nicolas Dhuicq, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Francis Hillmeyer, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Marty, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Gwendal Rouillard, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Olivier Audibert Troin, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, M. Guy Delcourt, M. Christophe Guilloteau, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, Mme Marie Récalde, M. François de Rugy, M. Jean-Michel Villaumé