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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 21 mai 2013

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Amélie Verdier, directrice du cabinet de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget, de M. Guillaume Robert, directeur-adjoint du cabinet, et de M. Frédéric Bredillot, conseiller spécial chargé de la fiscalité

M. le président Charles de Courson. Je précise que les trois témoins que nous accueillons ont rempli auprès de M. Jérôme Cahuzac, jusqu’en mars dernier, les fonctions qu’ils exercent à présent auprès de M. Bernard Cazeneuve.

Madame, messieurs, cette commission d’enquête a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements du Gouvernement et des services de l’État dans l’affaire Cahuzac. En votre qualité de proches collaborateurs du ministre, la commission a un certain nombre de questions à vous poser, sur lesquelles elle attend de votre part des réponses précises.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie de bien vouloir chacun à votre tour lever la main droite et dire « je le jure ».

(Mme Amélie Verdier, M. Guillaume Robert et M. Frédéric Bredillot prêtent serment successivement)

Madame, Messieurs, pourriez-vous nous exposer pour commencer les actions qui ont été les vôtres depuis le 4 décembre 2012, et nous préciser la nature des informations dont vous disposiez.

Mme Amélie Verdier, directrice du cabinet de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Mes collaborateurs et moi-même souhaitons répondre le plus complètement possible à vos interrogations sur l’action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion de l’affaire ayant abouti à la démission de M. Jérôme Cahuzac.

D’abord, je tiens à préciser que les situations fiscales individuelles des ministres ne sont du ressort d’aucun membre du cabinet du ministre chargé du budget, ni du directeur-adjoint, ni du conseiller spécial chargé de la fiscalité ici présents. J’ai été la seule à connaître certains éléments de la situation fiscale du ministre avant les révélations de Médiapart.

Par ailleurs, pendant l’essentiel de la période visée par votre commission d’enquête, s’appliquait une instruction, dite « muraille de Chine », qui a organisé le déport du ministre du budget et donc de son cabinet, de la gestion par l’administration fiscale de cette affaire.

M. le président Charles de Courson. La lettre formalisant cette instruction date du 10 décembre.

Mme Amélie Verdier. L’instruction, adressée à la direction générale des finances publiques, a en effet été signée le 10 décembre. Elle s’accompagnait d’une autre instruction à mon attention émanant du ministre.

M. le président Charles de Courson. Pouvez-vous nous remettre une copie de cette dernière, car nous ne disposons que de la première note ?

Mme Amélie Verdier. La deuxième note est très brève : « Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint copie de la note que j’adresse ce jour à M. le directeur général des finances publiques pour mise en œuvre ».

M. le président Charles de Courson. Donc, aucun membre du cabinet, à l’exception de vous-même, n’avait à connaître des situations fiscales individuelles.

Mme Amélie Verdier. Tout à fait, je n’ai eu du reste pour ma part qu’à en connaître très peu de chose.

Le principe d’une instruction a été évoqué dès le 6 décembre avec le directeur général des finances publiques. Le 7, le ministre a confirmé son intention de signer une telle note, ce qu’il a fait le 10 décembre. Entre le 4 et le 10, ma seule action concernant l’affaire a consisté à m’entretenir avec mon homologue au ministère de la justice afin de m’assurer de la procédure à suivre pour la plainte en diffamation que M. Jérôme Cahuzac entendait déposer. Aucune action relative à la situation fiscale du ministre n’a été menée pendant cette période.

Du 10 décembre à la démission de Jérôme Cahuzac, l’instruction a été strictement respectée. Ni les membres du cabinet, ni moi-même, ni à ma connaissance M. Cahuzac n’ont été informés des actes de l’administration aux fins d’enquêter sur sa situation.

Depuis le 20 mars, en tant que directrice de cabinet de M. Bernard Cazeneuve, j’ai eu connaissance d’éléments, peu nombreux, que j’ignorais antérieurement, ayant trait à l’action de l’administration pendant la période passée.

Je veux dire enfin nos interrogations sur un point : dans quelle mesure sommes-nous tenus dans nos réponses au secret professionnel ou fiscal ? Si j’ai le moindre doute à cet égard, monsieur le président, monsieur le rapporteur, j’en appellerai à votre interprétation. Il convient aussi de savoir si les réponses que nous souhaitons, en tout état de cause, vous apporter, doivent être rendues publiques.

M. le président Charles de Courson. Le secret fiscal ne concerne que les membres de l’administration fiscale à laquelle aucun des membres du cabinet n’appartient. Vous ne pourriez donc pas nous objecter le secret fiscal.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pourriez-vous nous préciser la manière dont fonctionne le cabinet du ministre délégué au budget ? Parmi les conseillers du ministre de l'économie et des finances, quels sont ceux qui remplissent les mêmes fonctions auprès du ministre délégué au budget ? Comment ces « doubles casquettes » sont-elles mises en œuvre ?

En quoi a consisté « l'examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement » ? Quels ont été la durée et le degré d'approfondissement de celui-ci ? À la demande de qui et par qui a-t-il été réalisé ? Quelle forme prennent les conclusions de cet examen ? Ses résultats sont-ils communiqués au ministre du budget ? Pouvez-vous nous dresser la chronique de cet examen dans le cas de M. Jérôme Cahuzac ?

Étiez-vous au courant des questions posées à M. Cahuzac par la direction régionale des finances publiques pour l'Ile-de-France et Paris à propos de sa déclaration de patrimoine faite au titre de l'impôt sur la fortune ?

Mme Amélie Verdier. Il est vrai que certains membres du cabinet du ministre délégué sont aussi conseillers auprès du ministre de l’économie et des finances. Dans le domaine fiscal, deux conseillers sont communs. Ils ne traitent pas des situations fiscales individuelles, a fortiori de celles des ministres. Ils n’en ont donc été à aucun moment saisis. Au quotidien, le fonctionnement des deux cabinets en matière fiscale est très intégré, pour la préparation des projets de lois de finances notamment. Ce mode de fonctionnement n’a eu aucune influence sur la gestion de l’affaire Cahuzac, et aucun conseiller commun n’a eu à connaître, avant ou après le 10 décembre, d’éléments concernant la situation fiscale du ministre.

M. le président Charles de Courson. Seules deux personnes, vous-même et votre homologue auprès de M. Pierre Moscovici, connaissaient donc la situation individuelle du ministre ?

Mme Amélie Verdier. Je ne peux pas répondre pour mon homologue. Les informations sur la situation fiscale des membres du gouvernement sont à destination des ministres. Je vais y revenir. Quant au processus de vérification de la situation des ministres, j’ai été le seul membre du cabinet à être informé de son déroulement.

M. le président Charles de Courson. Vous ne répondez pas pour votre homologue mais je suppose que vous avez eu des échanges avec lui après le 10 décembre.

Mme Amélie Verdier. Je n’ai eu aucun échange avec lui après le 10 décembre à ce sujet.

J’en arrive à la seconde question du rapporteur. Conformément à la tradition républicaine, à l’arrivée d’un nouveau gouvernement, l’administration fiscale procède, en toute indépendance, à un examen de la situation fiscale de chacun des ministres. Cette vérification, effectuée dans les jours qui suivent la nomination du gouvernement, s’appuie sur les déclarations des membres du gouvernement et sur tous les éléments qui pourraient être portés à la connaissance de l’administration par la presse ou par des tiers.

J’ai retrouvé une note du 6 juin 2012 qui décrit ce processus et en propose la mise en œuvre, proposition pour la forme puisqu’il s’agit d’une tradition républicaine. L’administration s’assure de l’exactitude de la valorisation des biens mobiliers ou immobiliers, de l’exhaustivité des revenus déclarés ou de la cohérence des déclarations successives et vérifie toutes les informations reçues par d’autres moyens.

Par courtoisie, le ministre du budget prévient ses collègues de cette procédure.

Le ministre du budget a confirmé qu’il fallait faire cette vérification. Je n’ai pas eu connaissance des résultats de la vérification. Je sais, ayant accès à l’agenda du ministre, qu’un rendez-vous entre lui et le directeur général des finances publiques a donné lieu à un premier point de situation fin juillet. Il a été suivi de contacts pour étudier les questions soulevées.

Les vérifications sont menées par les services locaux, habituellement chargés de l’examen des dossiers fiscaux ; elles ne font pas l’objet d’une procédure dérogatoire.

S’agissant du ministre du budget lui-même, je n’ai pas eu connaissance de l’ensemble du dossier. En raison de sa situation personnelle complexe – je vous fais part de cette information possiblement attentatoire au respect de la vie privée puisque vous m’y avez invitée, Monsieur le président – je disposais d’informations sur sa déclaration de patrimoine.

M. le président Charles de Courson. Qu’entendez-vous par « complexe » ?

Mme Amélie Verdier. La complexité découlait de problèmes de valorisation de biens immobiliers et de l’existence d’un foyer fiscal commun. En disant cela, il me semble aller un peu loin en ce qui concerne le secret fiscal mais j’ai entendu ce que vous m’avez indiqué, Monsieur le président, à savoir que vous considérez que j’en suis déliée.

M. le président Charles de Courson. Le secret fiscal ne s’applique pas aux membres du cabinet.

Mme Amélie Verdier. On pourrait faire valoir pourtant la théorie du secret partagé, ainsi que nous l’a exposé la direction des affaires juridiques du ministère.

M. le président Charles de Courson. Madame, ce ne sont pas vos collaborateurs qui définissent les règles. Vous témoignez devant les représentants du peuple français.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je reviens à ma troisième question : étiez-vous au courant des questions posées à M. Jérôme Cahuzac par la direction régionale des finances publiques pour l'Ile-de-France et Paris à propos de sa déclaration de patrimoine faite au titre de l'impôt sur la fortune ?

Mme Amélie Verdier. J’étais au courant de certaines des questions posées.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous réagi ? Des instructions ont-elles été données ?

Mme Amélie Verdier. En vertu de la circulaire Baroin, le ministre s’abstient d’intervenir dans une procédure fiscale individuelle, d’autant moins dans son propre cas. Je vous confirme qu’aucune instruction, de quelque nature que ce soit, n’a été donnée, ni à la direction générale des finances publiques, ni aux services locaux chargés du dossier du contribuable Jérôme Cahuzac.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je pourrai, dans le cadre de mes prérogatives de rapporteur, demander par écrit les renseignements fiscaux utiles au travail de la commission.

Mme Amélie Verdier. Je vous répondrai volontiers.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pouvez-vous expliquer à la commission comment a fonctionné la muraille de Chine ?

Mme Amélie Verdier. La muraille de Chine a été élevée dès les premiers jours de l’affaire. Alors que le premier article de Mediapart avait paru le 4 décembre, j’ai le souvenir d’une première conversation avec le directeur général des finances publiques, le 6 décembre, sur la nécessité de formaliser une organisation naturelle qui permet que le ministre ne puisse être soupçonné de gérer cette affaire. Le 7 décembre, un rendez-vous avec le directeur général des finances publiques et la directrice des affaires juridiques a été consacré à la rédaction de l’instruction.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour la bonne information des membres de la commission, l’instruction du 10 décembre sera distribuée.

Mme Amélie Verdier. Cette note traite, d’abord, de la situation fiscale du ministre. Son esprit général est de s’assurer qu’aucune information ne soit transmise au contribuable Cahuzac qui ne le serait pas à tout contribuable visé par une procédure fiscale. Afin d’éviter toute confusion, l’instruction précise que toutes les demandes de documents ou les informations relatives à la procédure devront être adressées exclusivement à ses avocats et non à son cabinet. Il est demandé que son dossier soit géré par l’administration comme celui d’un contribuable quelconque et que celle-ci ne rende compte, directement ou indirectement, ni au ministre, ni à son cabinet, de l’avancement du dossier.

Le second sujet traité par la note concerne la banque UBS. Cette affaire, qui est sans lien avec celle qui vous occupe, se trouvait déjà sur la place publique. Afin de lever tout soupçon d’instrumentalisation, il semblait important de préciser que le ministre était privé de toute information sur son avancement. Je cite le paragraphe : « Tout dossier dont la DGFiP (direction générale des finances publiques) aurait à connaître relatif à la banque UBS, sera, s'il nécessite d'être porté à la connaissance du ministre, directement soumis au ministre de l'économie et des finances par l'intermédiaire de son directeur de cabinet. » Ni le ministre chargé du budget, ni son cabinet ne devaient être informés du travail de l’administration.

Cette note a été scrupuleusement respectée. Non seulement aucune instruction n’a été donnée à l’administration sur le dossier fiscal du ministre, mais, à partir du 10 décembre, comme cela avait été le cas depuis mai 2012, le cabinet ignorait le déroulement de la procédure qui s’y rapportait.

Les seuls éléments portés à ma connaissance sur la situation patrimoniale du ministre, que j’évoquais précédemment, étaient antérieurs à cette note.

M. le président Charles de Courson. Le ministre du budget est délégué auprès du ministre de l’économie et des finances ; les attributions qui lui sont déléguées par ce dernier le sont au moyen d’un décret. Je m’étonne donc que la note soit signée du seul ministre délégué. Pourquoi M. Pierre Moscovici ne signe-t-il pas l’instruction qui retire une compétence à son ministre délégué pour garantir l’étanchéité de l’action de l’administration fiscale ? Pouvez-vous éclaircir le montage juridique ayant abouti à cette étrangeté, qui modifie un décret par une note unilatérale ?

Mme Amélie Verdier. Nous avions à cœur de mettre fin aussitôt à une situation d’ambiguïté potentielle. Or, la modification d’un décret est une procédure longue.

Sur le plan juridique, le ministre de l’économie et des finances est destinataire de toutes les notes du directeur général des finances publiques. En outre, cette instruction ne prévoit pas le renvoi de la compétence pour la totalité d’une matière. Il ne s’agit pas pour le ministre de se dessaisir de la fiscalité mais de demander à ne pas être informé sur certains sujets.

M. le président Charles de Courson. Comment expliquer que M. Pierre Moscovici ne signe pas une note concernant les compétences qu’il a déléguées au ministre du budget ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. L’instruction ne porte pas sur l’organisation des compétences. Elle organise le retrait du ministre délégué de certains dossiers pour des raisons déontologiques. Elle est sans rapport avec les décrets d’attribution. Je ne vois pas l’ombre d’un problème.

M. le président Charles de Courson. Chère collègue, je m’étonne simplement que M. Pierre Moscovici ne soit pas signataire ou cosignataire.

Mme Marie-Françoise Bechtel. M. Cahuzac pouvait décider seul de se décharger de certaines responsabilités.

Mme Amélie Verdier. De toute façon, les décrets d’attribution ne sont pas signés des seuls ministres. S’il s’était agi de la réorganisation des compétences, la signature du ministre de l’économie et des finances n’aurait pas suffi. Par cette instruction au directeur général des finances publiques, le ministre du Budget demandait seulement à ne pas connaître les informations relatives à sa situation personnelle ou à la banque UBS dont disposait l’administration fiscale.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans le cadre de la muraille de Chine, le cabinet du ministre du Budget n’a donc joué aucun rôle dans la demande d’entraide fiscale adressée à la Suisse au sujet d’un éventuel compte de M. Jérôme Cahuzac ?

Mme Amélie Verdier. Je le confirme. Je n’avais même pas connaissance du projet et du calendrier de l’administration sur cette question. À compter du 10 décembre, la gestion de cette affaire m’était étrangère.

M. le président Charles de Courson. Le ministre ne vous en a jamais parlé ?

Mme Amélie Verdier. Les seuls éléments portés à ma connaissance par le ministre sont ceux dont ses avocats lui avaient fait part.

M. le président Charles de Courson. Vous n’avez jamais évoqué la saisine de l’administration fiscale helvétique ?

Mme Amélie Verdier. Le ministre ne pouvait pas le faire.

M. le président Charles de Courson. Et le directeur général des finances publiques qui était placé sous son autorité ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai jamais assisté à un entretien entre le ministre et le directeur général des finances publiques, ni eu moi-même un entretien avec ce dernier, au cours duquel cette question aurait été abordée. Depuis le 10 décembre, la question de la situation fiscale du ministre était exclue de nos échanges.

M. le président Charles de Courson. Vous avez appris par la presse que le directeur général des finances publiques sollicitait les services fiscaux helvétiques ?

Mme Amélie Verdier. Le ministre m’a dit que ses conseils avaient été sollicités par l’administration fiscale suisse, ce qui laissait penser qu’une demande d’entraide avait été formulée. Il me semble qu’il en a fait état publiquement. Je n’ai reconstitué le déroulement de la procédure qu’une fois mes fonctions prises auprès de M. Bernard Cazeneuve.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ma question suivante s’adresse à M. Guillaume Robert : savez-vous quel était le but du séjour à Genève de M. Jérôme Cahuzac début 2010 ? Agissait-il dans le cadre de ses fonctions de président de la commission des finances ?

M. Guillaume Robert, directeur-adjoint du cabinet. Je ne sais pas à quelle date aurait eu lieu ce déplacement. Je suis devenu conseiller de M. Cahuzac à compter du 23 février 2010, date de la démission de M. Didier Migaud de la présidence de la commission des finances.

M. le président Charles de Courson. Le ministre a reconnu être allé à Genève. Selon la presse, ce déplacement aurait eu lieu deux jours avant son élection à la présidence de la commission des finances. Vous n’étiez pas informé de ce déplacement ?

M. Guillaume Robert. Si ce déplacement a eu lieu deux jours avant l’élection de M. Jérôme Cahuzac, mon employeur était encore M. Didier Migaud. Je n’ai donc pas eu à connaître cette information.

M. le président Charles de Courson. Ce matin, nous avons obtenu copie d’un mail adressé par sa chef de cabinet à M. Jérôme Cahuzac le 11 décembre 2012, et intitulé : « pour vous détendre un peu ». Je vous en donne lecture : « Je viens d'être appelée par le dir cab du préfet pour me raconter la chose suivante : "vendredi soir se trouvant au Tribunal à Agen, Gonelle en panne de portable emprunte celui d'un policier qu'il connaît bien. Or, c'est le portable de permanence du commissariat et la messagerie a enregistré quelques heures plus tard le message suivant ; "n'arrivant pas à vous joindre, je tente au hasard sur tous les numéros en ma possession. Rappelez Edwy Plenel ". J'ai demandé de consigner le message à toutes fins utiles… j'attends la copie du rapport officiel du DDSP ; il va falloir être prudent dans la remontée de l’info pour que celui-ci puisse être le cas échéant une preuve utilisable. Signé : Marie-Hélène ». Mme Valente, qui était, en tant que chef de cabinet, placée sous votre autorité, a t-elle fait état de ce mail auprès de vous ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai pas eu connaissance de ce mail. Mme Valente m’a fait part d’un appel, dans mon esprit émanant de la préfecture du Lot-et-Garonne au sujet d’un contact entre M. Edwy Plenel et M. Gonelle, qui lui paraissait étonnant car ce dernier affirmait alors qu’il n’avait pas fourni l’enregistrement à Médiapart. C’est cet échange qui a été porté à ma connaissance.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous été destinataire du rapport établi par le directeur départemental de la sécurité publique ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai pas souvenir d’un rapport. À la lecture du mail, je pense que l’expression « preuve utilisable » renvoie peut-être à la possibilité d’identifier la source de l’enregistrement diffusé par Médiapart, puisque M. Gonelle niait être cette dernière.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous eu connaissance du mémoire rédigé par M. Rémy Garnier en 2008 dans lequel il faisait état de soupçons sur l’existence d’un compte détenu par M. Cahuzac ?

Mme Amélie Verdier. Je profite de votre question pour établir la chronologie du « dossier Garnier ». Celui-ci, inspecteur des impôts à la retraite, a sollicité un rendez-vous avec le ministre pour évoquer sa situation personnelle et la procédure disciplinaire engagée à son encontre par l’administration fiscale. Afin de préparer la rencontre qui a eu lieu en octobre 2012 dans le Lot-et-Garonne, deux notes, que je tiens à votre disposition, avaient été rédigées, récapitulant les différentes procédures le concernant. Nous n’avions alors connaissance ni du mémoire en défense ni des multiples courriers qu’il avait adressés aux ministres successifs. Sans entrer dans le détail de ce dossier, il s’agit d’un homme sollicitant le soutien du ministre dans les nombreuses procédures qu’il avait engagées contre l’administration et contre ses collègues.

Je n’ai pas assisté à l’entretien – sur lequel M. Fabrice Arfi nous a interrogés – mais je sais que le ministre n’a pas souhaité se mêler de la procédure visant M. Rémy Garnier. Vous le comprendrez, si je vous lis quelques extraits de la lettre adressée par M. Garnier au ministre le 16 mai 2012 : « Vive la République exemplaire, le règne sans partage d’une droite insolemment décomplexée aura duré deux législatures, dix années d’un saccage sans précédent des services publics dont le champ de ruines s’élargit sans cesse, n’épargnant aucun secteur ; l’administration fiscale en sort doublement meurtrie par la perte progressive de ses moyens matériels et humains et surtout par l’altération de ses valeurs essentielles héritées de la Révolution de 1789. Dès le 14 juillet 2002, je protestais contre mon déplacement d’office d’une brutalité inouïe par un communiqué en octobre 2001 au titre évoquant la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et plus particulièrement le principe d’égalité devant l’impôt… »

M. Rémy Garnier écrit donc à M. Jérôme Cahuzac le 16 mai 2012 pour dénoncer la responsabilité du chef de l’administration dans sa situation. Dans les documents dont nous disposons alors, il n’est nullement fait état d’un supposé compte suisse de M. Cahuzac.

Lorsque l’article de Mediapart paraît, il est demandé au directeur général des finances publiques d’examiner le dossier disciplinaire. C’est à cette occasion qu’apparaît le mémoire produit en défense lors de l’une des nombreuses instances auxquelles M. Rémy Garnier était partie.

À cette date, j’ai eu connaissance de ce mémoire, daté du 11 juin 2008. Sur les douze pages qu’il comporte, une est consacrée à M. Jérôme Cahuzac, les autres à divers collaborateurs ou supérieurs hiérarchiques de M. Garnier. Sous le titre « S’adonner à Adonis », il fait référence à l’application informatique permettant de consulter des comptes. M. Rémy Garnier s’est ainsi affranchi des règles du secret fiscal et des instructions de sa hiérarchie puisque, à aucun moment, le dossier de M. Jérôme Cahuzac ne lui a été confié.

Les informations contenues dans le mémoire ne sont pas celles que l’on trouve habituellement dans le mémoire d’un inspecteur des impôts effectuant un contrôle. On peut y lire : « Il se nomme Jérôme Cahuzac, son statut d’élu semble lui conférer une immunité à vie ». Au milieu d’informations fantaisistes, dont il concède qu’il ne les a pas lui-même vérifiées, et fausses pour certaines, comme il l’a reconnu ultérieurement, est mentionnée l’ouverture d’un compte bancaire à numéro en Suisse.

Je ne sais pas si ce mémoire avait été porté à la connaissance des ministres précédents. Je peux dire que cela n’a pas été le cas pour M. Jérôme Cahuzac.

M. le président Charles de Courson. Des notes internes à l’administration fiscale ont-elles été rédigées pour avertir votre ministre du contenu de ce mémoire et des informations le concernant ? Avez-vous interrogé les services sur l’information dont disposaient les ministres précédents ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai pas eu connaissance de telles notes. À cette période, nous avions mis en place la muraille de Chine. Je n’ai donc pas engagé plus de recherches sur le cas de M. Rémy Garnier.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je m’étonne, à l’instar du président, que le ministre délégué ait signé lui-même un courrier pour se retirer une compétence. Un tel courrier aurait dû être, au minimum, cosigné par son ministre de tutelle. Cette manière de procéder me paraît en complet décalage par rapport à ce qui se fait d’ordinaire.

Je m’étonne également que le ministre délégué ait accepté de rencontrer M. Rémy Garnier en octobre 2012, à Villeneuve-sur-Lot bien qu’il ait eu connaissance du mémoire rédigé par celui-ci le 11 juin 2008.

Mme Amélie Verdier. Il n’en avait pas connaissance.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous avez pourtant déclaré que vous lui aviez préparé un dossier pour cette rencontre. Ces informations n’y figuraient-elles donc pas ?

Mme Amélie Verdier. Non.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le 3 décembre 2012, veille de la révélation de Mediapart, vous étiez informée, vous l’avez dit tout à l’heure de la révélation de Mediapart avant sa publication.

Or, le 3 décembre, nous avons siégé dans l’hémicycle de 21 heure 30 à minuit – la séance a été levée, ce soir-là, beaucoup plus tôt que les jours précédents – pour examiner le projet de loi de finances rectificative pour 2012, et le ministre délégué a passé toute la soirée au téléphone. Nous avons bien senti qu’il se passait quelque chose. Je crois me souvenir que vous étiez assise au banc derrière lui. De quelle information avez-vous disposé à ce moment-là ?

Mme Amélie Verdier. S’agissant de votre première question, je le répète : l’instruction du 10 décembre 2012 visait non pas à retirer une compétence au ministre délégué, mais à organiser le travail de manière pratique pour éviter tout conflit d’intérêt. Elle a été rédigée sur la suggestion du directeur général des finances publiques en lien avec la directrice des affaires juridiques, laquelle s’est appuyée sur des cas de conflits d’intérêts potentiels qu’elle avait eu à traiter dans le passé et qui ne concernaient d’ailleurs pas le domaine fiscal. Nous avons intégralement repris le texte proposé par le directeur général des finances publiques et la directrice des affaires juridiques. De mémoire, je n’ai suggéré qu’une seule modification : enlever le prénom « Gilles » dans l’intitulé du cabinet August et Debouzy. Nous avons, en outre, discuté de la rédaction du paragraphe relatif à la banque UBS : nous souhaitions qu’elle soit suffisamment large pour éviter toute ambiguïté dans la manière dont le ministre se déportait des affaires relatives à la banque.

Quant à votre deuxième question, peut-être n’ai-je pas été suffisamment claire : la DGFIP a réalisé deux notes au mois d’octobre, la première pour préparer la rencontre du ministre avec M. Garnier, la seconde, après ladite rencontre, pour faire état d’un article de presse. Dans aucune de ces deux notes, il n’a été mentionné que M. Garnier avait, dans l’un des nombreux mémoires qu’il avait rédigés, mis en cause le ministre délégué.

Je n’ai pas procédé à la réalisation de ces notes. Le fait que M. Garnier ait adressé de nombreux courriers à tous les ministres successifs, le caractère quelque peu fantaisiste des éléments qui y figuraient, le manque de cohérence de l’ensemble – je ne le dis nullement pour lui porter préjudice – ne plaidaient guère en faveur de son dossier.

Le ministre a accepté le rendez-vous. Il disposait, dans les notes, d’une présentation de la procédure disciplinaire. Je n’ai pas participé à l’entretien et n’en ai pas eu d’écho particulier. Je doute cependant que les allégations faites par M. Garnier en 2008 aient été évoquées. Ce n’est donc qu’après cet entretien que nous avons eu connaissance du mémoire en défense de M. Garnier.

Pour répondre à votre troisième question, le 3 décembre dans l’après-midi, un journaliste de Mediapart a cherché à joindre le ministre, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un membre du cabinet chargé de la communication. J’ai été informée de ce contact. J’étais en effet assise derrière le ministre délégué pendant une partie des débats. Il était soucieux de savoir de quoi il retournait et s’interrogeait sur l’opportunité de rencontrer ce journaliste. Je me souviens lui avoir demandé – plusieurs fois, d’ailleurs – si les allégations de Mediapart étaient fausses ; il m’a immédiatement répondu que oui. Il a passé effectivement sa soirée au téléphone. Cela dit, je n’ai pas été présente tout le temps.

M. le président Charles de Courson. J’étais également présent dans l’hémicycle et confirme les propos de Mme Dalloz.

Mme Amélie Verdier. Dans mon souvenir, les échanges ont simplement porté sur l’opportunité de rencontrer le journaliste de Mediapart et sur le meilleur moment pour le faire.

M. Gérald Darmanin. Je cherche à comprendre comment le ministère et, plus largement, le Gouvernement ont été informés de l’affaire.

S’agissant, premièrement, de l’organisation de votre cabinet, quelles étaient les relations entre le ministre délégué et son conseiller aux affaires réservées, M. Lemarchand, dont le nom a été cité ce matin par Mediapart et qui était en copie du message électronique adressé au ministre délégué par la chef de cabinet ? D’autre part, vous avez indiqué plusieurs fois que vous n’assistiez pas à tous les rendez-vous, ce qui peut tout à fait se comprendre. Quelle était la répartition des dossiers au sein du cabinet ? Doit-on comprendre que vous ne vous occupiez pas des affaires politiques ou réservées du ministre et que les sujets politiques n’étaient pas abordés devant les conseillers techniques ?

Deuxièmement, l’affaire a-t-elle été évoquée au cours des réunions de cabinet que vous teniez ? Établissiez-vous des relevés de décisions de ces réunions et, dans l’affirmative, pouvez-vous les communiquer à la Commission ?

De même, vous participiez en principe chaque semaine à une réunion avec les directeurs de cabinet des autres ministres sous l’autorité du directeur de cabinet du premier ministre, en présence du secrétaire général du Gouvernement – lequel rédige un compte rendu qu’il ne verse qu’aux archives nationales. Au cours de cette réunion, avez-vous, le directeur de cabinet de M. Moscovici ou vous-même, évoqué les complications de l’affaire Cahuzac ou été interrogés à ce sujet ?

Mme Amélie Verdier. Pour répondre à votre première question, M. Yannick Lemarchand n’était pas membre du cabinet du ministre délégué chargé du budget.

M. le président Charles de Courson. Quelles étaient ses fonctions ?

Mme Amélie Verdier. Il exerçait des fonctions à Villeneuve-sur-Lot. À mon avis – mais je n’ai pas eu à en connaître directement –, il travaillait pour le suppléant de M. Cahuzac ou, plus probablement, pour la mairie.

M. le président Charles de Courson. Il travaillait donc au sein du cabinet du maire de Villeneuve-sur-Lot ?

Mme Amélie Verdier. Je ne peux pas le dire précisément. En tous les cas, il travaillait dans le Lot-et-Garonne et n’a jamais assisté aux réunions de cabinet que j’ai organisées. En revanche, lorsque le ministre délégué se rendait dans sa circonscription, la chef de cabinet, qui était chargée de préparer ces déplacements, était en contact avec lui, notamment pour dresser la liste, comme c’est l’usage en pareil cas, des sujets à aborder et des personnes à rencontrer.

Je n’ai pas bien compris, monsieur le député, votre question sur le partage entre sujets politiques et techniques au sein du cabinet.

M. le président Charles de Courson. Les réunions des cabinets se tiennent traditionnellement le mercredi matin pendant que les ministres participent au Conseil des ministres. En outre, conformément à une tradition bien établie, pour coordonner l’action gouvernementale, le directeur de cabinet du Premier ministre réunit tous les directeurs de cabinet, une fois par semaine ou tous les quinze jours. L’affaire Cahuzac a-t-elle été évoquée au cours de l’une ou l’autre de ces réunions ? Des comptes rendus ont-ils été établis ?

Mme Amélie Verdier. L’affaire Cahuzac a en effet été évoquée en réunion de cabinet. Au lendemain de la publication de l’article de Mediapart, j’ai réuni l’ensemble des membres du cabinet. Je leur ai indiqué, très simplement, qu’il y avait eu des révélations, que j’avais moi-même interrogé le ministre délégué sur leur véracité et qu’il m’avait répondu n’avoir jamais détenu de compte en Suisse. J’ai précisé qu’il n’y avait pas de vérité établie au sein du cabinet, et invité chacun des membres à se faire sa propre opinion, voire à interroger le ministre délégué. Ces allégations ne mettant pas en cause l’action du ministre délégué en tant que tel, j’ai encouragé chacun à poursuivre sa tâche à son service.

Il n’est pas fait de compte rendu écrit des réunions de cabinet. Vous pouvez néanmoins interroger les deux membres du cabinet ici présents, qui y ont participé.

Pour votre parfaite information, monsieur le président, les réunions du cabinet du ministre de l’économie et des finances se tiennent en effet le mercredi, mais celles du cabinet du ministre délégué ont lieu le lundi.

En revanche, le sujet n’a pas été abordé, à ma connaissance, lors des réunions de directeurs de cabinet présidées par le directeur de cabinet du Premier ministre. Il n’y avait pas lieu de commenter une affaire qui concernait M. Cahuzac en tant que personne. Le travail avait été organisé de cette manière, et c’est bien comme cela que les choses se sont passées au cours de cette période. Comme je l’ai indiqué précédemment, les questions qui concernaient la situation de M. Cahuzac lui étaient adressées directement. En tant que ministre, il s’en était déchargé.

M. le président Charles de Courson. La communication ou l’attitude à adopter sur cette affaire n’ont donc jamais été évoquées, ni au cours des réunions de cabinet, ni au cours des réunions des directeurs de cabinet ?

Mme Amélie Verdier. Non. Comme je l’ai indiqué, j’ai organisé, au lendemain de la publication de l’article – ce devait être, pour le coup, un mercredi –, la réunion exceptionnelle que j’ai mentionnée. C’est la seule fois où l’affaire a été évoquée en réunion de cabinet. Ensuite, j’ai à nouveau réuni le cabinet de manière exceptionnelle le 19 mars.

M. Gérald Darmanin. Si un parlementaire ou une personnalité politique éminente fait l’objet d’un contrôle fiscal, l’administration le signale-t-elle au cabinet et, le cas échéant, à vous-même ou au ministre délégué ? Je pose la question non pas à propos de l’affaire Cahuzac, mais de manière générale. Quelle est la pratique ? Cela s’est-il produit au cours de la période pendant laquelle vous avez dirigé le cabinet de M. Cahuzac ?

D’autre part, dans un article du 12 avril 2013, le journal Libération a fait état d’un contrat signé par MM. Cahuzac et Moscovici avec une agence de communication, qu’ils auraient chargé d’organiser leur communication. Si les informations de Libération sont exactes, cette relation contractuelle aurait duré jusqu’à la fin du mois de janvier pour M. Cahuzac. De plus, la conseillère chargée de la communication de M. Cahuzac travaillait directement ou indirectement avec cette agence avant de prendre ses fonctions au sein de votre cabinet. Cette conseillère ou cette agence, rémunérée par Bercy et chargée de la communication de M. Cahuzac en plein cœur de l’affaire, ont-elles pu influencer la manière dont les services fiscaux ont interrogé les banques suisses ou la façon dont M. Moscovici ou son cabinet ont répondu aux parlementaires, à la justice ou, le cas échéant, au cabinet du Président de la République à la suite des révélations de M. Gonelle ?

M. le président Charles de Courson. Pouvez-vous également préciser le nom de cette agence ?

Mme Amélie Verdier. S’agissant de votre première question, comme je l’ai indiqué précédemment, les ministres ne donnent aucune instruction sur des dossiers individuels, même pour programmer un éventuel contrôle fiscal. Les ministres sont en revanche tenus informés régulièrement des contrôles engagés sur des dossiers particulièrement signalés. Il revient au directeur général des finances publiques d’apprécier les contrôles qu’il convient de signaler et de décider de la périodicité de cette information.

Quant à votre deuxième question, un contrat portant sur l’appui à la définition d’une stratégie de communication avait en effet été conclu par les deux ministres.

M. le président Charles de Courson. Avec quelle agence ?

Mme Amélie Verdier. Avec Euro RSCG et, plus précisément, avec M. Gilles Finchelstein.

Ce marché a été essentiellement mis en œuvre pendant la période d’examen des lois de finance. En pratique, il a été très peu utilisé par le ministre délégué. Quelques prestations, quelques rendez-vous communs portant sur la stratégie financière globale ont été organisés avec la conseillère communication. À aucun moment, ce contrat n’a été utilisé pour « gérer » l’affaire Cahuzac.

M. le président Charles de Courson. Quels sont les éléments qui vous permettent de l’affirmer ?

Mme Amélie Verdier. Comme je l’ai indiqué, les quelques prestations fournies – j’ai d’ailleurs participé à l’une de ces réunions – correspondaient bien à l’action de M. Cahuzac en tant que ministre délégué. Le secrétaire général a ensuite attesté le service fait qui correspondait bien à l’action du ministre.

M. le président Charles de Courson. L’agence a-t-elle perçu une rémunération forfaitaire ou à la prestation ?

Mme Amélie Verdier. Il s’agissait d’un contrat-cadre avec un prix plafond. Chaque mois, un relevé des prestations réalisées était établi, sur la base duquel était attesté le service fait. Nous avons donc une connaissance précise des prestations, ce qui me permet de répondre de manière assez catégorique.

M. Hervé Morin. M. Gonelle indique avoir transmis l’enregistrement de la conversation de M. Cahuzac à la direction régionale des finances publiques en 2001. Selon lui, l’administration centrale aurait décidé de ne pas donner suite. Des éléments relatifs à cet épisode figuraient-ils dans le dossier fiscal de M. Cahuzac au moment de sa prise de fonctions ?

Vous avez évoqué la « muraille de Chine » et la réunion de crise que vous avez légitimement tenue avec l’ensemble des membres du cabinet. Cependant, entre le 4 et le 10 décembre 2012, la « muraille de Chine » n’était pas encore en place. Au cours de cette période, l’affaire a-t-elle été évoquée dans des discussions internes au ministère ou avec des collaborateurs du Premier ministre ou du Président de la République ?

À votre connaissance, même si vous ne gériez pas l’agenda de M. Cahuzac, le ministre délégué a-t-il eu des rendez-vous à ce sujet à l’Élysée ou à Matignon ? Si oui, lesquels ?

Compte tenu de votre expérience de Bercy, trouvez-vous naturel qu’un ministre délégué chargé du budget rencontre, à titre personnel, un simple inspecteur des impôts ? Cela ne doit pas être fréquent ! De plus, celui-ci avait commis de très nombreux courriers et rapports, dont certains passages sont en effet sujets à caution.

Enfin, à partir de quel moment avez-vous, vos collègues et vous-même, nourri des doutes ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai pas eu accès à l’intégralité du dossier fiscal du ministre délégué. Je n’ai pas eu connaissance d’éléments qui auraient été transmis au directeur régional, puis au directeur général des finances publiques, ou auxquels celui-ci n’aurait pas donné suite.

M. le président Charles de Courson. Pour être plus précis, les informations qui nous ont été communiquées par M. Gonelle concernent les années 2001 et 2002.

Mme Amélie Verdier. Je n’ai pas d’éléments à vous indiquer à ce sujet.

Du 4 au 10 décembre 2012, la « muraille de Chine » a été respectée comme si elle existait déjà. Certes, elle n’a été formalisée que le 10 décembre, mais aucune instruction d’aucune sorte concernant l’affaire n’a été donnée ni avant ni après cette date. Et aucune information particulière relative au dossier fiscal de M. Cahuzac n’a été communiquée au cabinet entre le 4 et le 10 décembre.

M. Hervé Morin. Avez-vous été amenés, un membre du cabinet ou vous-même, à rédiger des notes pour M. Cahuzac ou à lui donner des conseils, compte tenu de votre expérience ?

Mme Amélie Verdier. À quel sujet ?

M. Hervé Morin. Au sujet de l’affaire qui éclate le 4 décembre.

Mme Amélie Verdier. Comme je l’ai indiqué, aucun membre du cabinet en dehors de moi-même n’a eu connaissance de la situation fiscale de M. Cahuzac. Encore n’ai-je eu accès, comme je l’ai précisé, qu’à certains éléments. Je n’ai pas eu à me prononcer ni à donner de conseils sur la gestion de son dossier, sauf sur les questions que j’ai évoquées précédemment : son foyer fiscal qui pouvait l’amener à réaliser certains paiements de manière distincte. Tels sont les seuls éléments que j’ai été amenée à traiter.

La « muraille de Chine » a été formalisée le 10 décembre, mais elle a été élevée dès le déclenchement de l’affaire. Nous n’avons rédigé aucune note, ni rien transmis de particulier au ministre délégué à ce sujet.

Je n’ai pas eu connaissance de rendez-vous dédiés à l’affaire entre le ministre délégué et le Premier ministre ou le Président de la République. Il va de soi qu’il avait des entretiens avec eux. J’ai assisté à certains d’entre eux, mais l’affaire n’a pas été abordée en ma présence. Je n’ai pas d’autres éléments à vous communiquer à ce sujet.

S’agissant du caractère normal ou non de la rencontre entre le ministre délégué et M. Garnier, il convient de préciser que celui-ci est un inspecteur des impôts à la retraite, résidant dans le Lot-et-Garonne et relativement connu localement – la revue de presse réalisée par la DGFIP, qui figurait dans le dossier que j’ai visé au mois d’octobre, montrait qu’il s’était autoproclamé « Colombo » et qu’il se disait victime d’un acharnement. De plus, M. Garnier demandait à rencontrer le ministre délégué dans le cadre de son dossier disciplinaire. Pour être franche, je me suis dit, comme tout directeur de cabinet, que cet entretien faisait partie de la série de rendez-vous locaux qui font perdre un peu de temps au ministre dans le traitement des dossiers de fond. Néanmoins, il ne m’a semblé ni étonnant, ni illogique qu’il ait lieu.

M. le président Charles de Courson. Cependant, en remettant au ministre délégué le dossier que vous allez nous communiquer, vous n’avez pas appelé son attention sur les accusations qu’avait portées M. Garnier contre lui ?

Mme Amélie Verdier. Je le répète : nous n’en avions pas connaissance à ce moment-là ; elles ne figuraient pas dans les notes que je vais vous remettre.

M. le président Charles de Courson. Quand avez-vous eu connaissance du dossier pendant devant les tribunaux ?

Mme Amélie Verdier. Les notes reprenaient les procédures en cours : M. Garnier les détaillait à longueur de correspondance, y compris celles qu’il avait lui-même engagées à l’encontre de ses collègues et de ses supérieurs. L’objet de l’entretien était, pour M. Garnier, de demander au ministre délégué de lui accorder une protection fonctionnelle. À ma connaissance, le ministre délégué lui a répondu qu’il ne souhaitait pas intervenir dans cette affaire, ni dans un sens ni dans l’autre. D’autant plus que la plupart des procédures opposaient M. Garnier à ses supérieurs et à l’administration. M. Garnier considérait notamment que, n’ayant pas été promu, il avait fait l’objet d’une sanction. C’était, somme toute, un dossier disciplinaire classique.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour que les choses soient bien claires : avant ce rendez-vous avec M. Garnier, vous avez préparé un dossier pour le ministre délégué.

Mme Amélie Verdier. C’est, plus précisément, la chef de cabinet qui s’en est chargée.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans ce dossier ne figurait pas le mémoire de douze pages dans lequel M. Garnier porte des accusations contre M. Cahuzac.

Mme Amélie Verdier. C’est exact.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand avez-vous eu connaissance de ce mémoire ?

Mme Amélie Verdier. L’article paru le 4 décembre ayant fait référence à ce mémoire, l’administration l’a alors recherché. Au bout d’un certain temps – M. Garnier ayant produit de nombreux documents –, elle l’a retrouvé.

M. Christian Assaf. Donc, dans les deux notes rédigées par la DGFIP pour préparer le rendez-vous du mois d’octobre, il n’est fait mention à aucun moment des accusations portées par M. Garnier contre le ministre délégué.

Mme Amélie Verdier. Nullement, en effet.

Je reprends les notes – Un seul lien avait été établi à l’époque avec le ministre délégué : M. Garnier avait infligé un redressement fiscal à une entreprise située dans sa circonscription.

M. le président Charles de Courson. Il s’agit de la fameuse coopérative France Prune.

Mme Amélie Verdier. Les notes font également état du fait que M. Garnier avait gravement manqué à ses obligations de fonctionnaire dans le traitement de certains dossiers. Je ne pense pas utile de vous refaire tout l’historique, sauf si vous le souhaitez.

M. le président Charles de Courson. Vous nous remettrez le dossier complet à la fin de l’audition.

Mme Amélie Verdier. Quant aux éventuels doutes que nous avons pu nourrir, compte tenu de la nature de l’information publiée le 4 décembre, j’ai interrogé clairement le ministre délégué. Il m’a répondu de manière très directe qu’il n’avait jamais détenu de compte en Suisse. J’ai regardé le lendemain son intervention lors de la séance des questions au Gouvernement et c’est elle qui m’a, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, convaincue. D’abord, il est normal d’avoir confiance dans le ministre avec lequel on travaille, sinon on ne reste pas à son service. Ensuite, pour avoir exercé mes fonctions auprès de M. Cahuzac au quotidien pendant plusieurs mois, j’avais pu mesurer l’importance que revêtait pour lui le Parlement. Pour moi, il n’était donc pas imaginable qu’il tienne de tels propos s’ils n’étaient pas exacts.

À mesure que les révélations paraissaient dans la presse, nous avons pu nourrir des doutes à certains moments, et interroger à nouveau le ministre délégué. Nous avons, évidemment, été ébranlés par le communiqué du procureur de la République publié le 19 mars : les faits devenaient assez précis. Le lendemain, M. Cahuzac m’a répété qu’il ne fallait jamais douter et qu’il n’avait jamais détenu de compte en Suisse.

Mme Cécile Untermaier. La « muraille de Chine » est édifiée le 10 décembre. Le 14 décembre, l’administration fiscale demande à M. Cahuzac d’attester qu’il n’a pas de compte en Suisse. Existe-t-il un lien entre les deux événements ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai pas eu connaissance de la demande de l’administration fiscale : elle a appliqué l’instruction et n’est pas passée par moi pour interroger M. Cahuzac. Je ne vois pas de lien, ni n’en imagine, entre la question posée et la « muraille de Chine ». En tout cas, l’administration a fait son travail, peut-être même un peu plus rapidement que d’habitude : une information de presse ayant fait état d’un possible compte en Suisse, elle a demandé à l’intéressé s’il détenait ou non un tel compte. Mais ce sont là des éléments dont j’ai eu connaissance ultérieurement, après être devenue directrice de cabinet de M. Cazeneuve.

M. Jean-Marc Germain. Je voudrais revenir sur la question du secret fiscal. Dès lors que la directrice de cabinet a eu connaissance de dossiers fiscaux individuels, la question du respect du secret fiscal se pose également pour elle. Néanmoins, la solution que vous avez retenue, monsieur le président, me paraît sage : le secret fiscal s’arrête lors de la présente audition publique, et le rapporteur pourra nous communiquer les informations complémentaires qu’il aura recueillies.

Madame la directrice, depuis que vous dirigez le cabinet de M. Cazeneuve, vous avez sans doute pu reconstituer un historique du dossier fiscal de M. Cahuzac. Je prolonge la question de M. Morin : existe-t-il, dans ce dossier, des traces d’une saisine de l’administration fiscale qui aurait été suivie d’une enquête fiscale ? M. Gonelle nous a dit avoir saisi les services fiscaux de manière informelle en 2001, et le juge Bruguière, qui a également détenu une copie de l’enregistrement, a pu le faire à nouveau en 2006.

Par ailleurs, même si ce n’est pas vous, mais le directeur de cabinet du ministre de l’économie et des finances qui a pris la décision, quel a été le rôle de l’administration fiscale à partir du moment où la justice a été saisie le 8 janvier 2013 ? De manière générale, sur le plan juridique, les services fiscaux peuvent-ils ou, le cas échéant, doivent-ils poursuivre leur enquête une fois que la justice est saisie ?

Mme Amélie Verdier. À aucun moment je n’ai eu connaissance des éléments qui auraient été transmis à l’administration fiscale en 2001, 2002, 2006 ou 2007.

M. Jean-Marc Germain. N’y avait-il rien dans le dossier ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai pas connaissance du dossier fiscal de M. Cahuzac.

M. Jean-Marc Germain. Même a posteriori ?

Mme Amélie Verdier. Non.

M. le président Charles de Courson. M. Germain soulève une question que nous avons longuement évoquée ce matin : une enquête judiciaire et une enquête administrative peuvent-elles se dérouler en parallèle ? Ou bien la seconde doit-elle être suspendue ? Existe-t-il une jurisprudence ou une pratique en la matière ? Cette question ne concerne pas spécifiquement l’affaire Cahuzac.

Mme Amélie Verdier. Je confirme que je n’ai été ni de près ni de loin associée aux décisions prises. Je rappelle les faits : la justice a ouvert, le 8 janvier 2013, une enquête pour blanchiment de fraude fiscale. Pour sa part, l’administration a enquêté – j’en ai eu la confirmation ultérieurement – sur l’existence d’une éventuelle fraude fiscale.

M. Jean-Marc Germain. Si vous ne vous étiez pas déportée et si l’affaire avait concerné un autre ministre, auriez-vous recommandé à votre propre ministre, une fois la justice saisie, de poursuivre ou d’arrêter l’enquête administrative ? J’aborde là un cas d’école.

Mme Amélie Verdier. Comme je l’ai indiqué précédemment, ni le ministre délégué ni le cabinet ne donne l’instruction d’engager ou d’arrêter un contrôle, ni de prendre quelque acte que ce soit dans un dossier individuel.

S’agissant de la procédure suivie par l’administration fiscale et des actes pris par celle-ci pendant la période que vous évoquez, je ne peux pas vous répondre, dans la mesure où je n’en ai eu qu’une connaissance partielle, a posteriori.

M. Jean-Marc Germain. Mais, d’une manière générale, les enquêtes fiscales sont-elles interrompues lorsque la justice est saisie ou se poursuivent-elles en parallèle du travail effectué par la justice ?

Mme Amélie Verdier. J’avais commencé à vous répondre. D’abord, comme je l’ai précisé, la justice a ouvert, le 8 janvier, une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale. Ce chef d’inculpation est distinct de celui de fraude fiscale à proprement parler, même si l’un est la conséquence de l’autre.

Ensuite, s’agissant du cas théorique, il n’est pas exclu que la justice et l’administration fiscale coopèrent. Cela s’est d’ailleurs produit en l’espèce, j’en ai eu la confirmation ultérieurement.

M. le président Charles de Courson. Nous poserons à nouveau la question au directeur général des finances publiques, lorsque nous l’auditionnerons.

Mme Amélie Verdier. Si je puis apporter un commentaire plus général, il me semble a posteriori, au vu des actes pris par l’administration fiscale, qu’elle a, comme c’est normal, essayé d’exploiter toutes les informations en sa possession pour analyser la situation du contribuable concerné et tenter d’établir s’il y avait eu ou non fraude fiscale.

M. Philippe Houillon. Le 4 décembre, Mediapart a publié l’article que l’on connaît. Le lendemain, à l’Assemblée, le ministre délégué a été obligé de mentir en répondant à la question d’un de nos collègues. Ensuite, l’affaire a pris petit à petit de l’ampleur. Elle a abouti à l’ouverture d’une enquête préliminaire le 8 janvier 2013, puis à la démission du ministre délégué. Or, vous décrivez tout cela, madame la directrice, comme un non-événement. Je prendrai, à cet égard, deux exemples.

Premièrement, je m’étonne que M. Garnier ait demandé une protection fonctionnelle, dans le cadre de la procédure disciplinaire dont il faisait l’objet, au ministre qu’il avait lui-même mis en cause dans son mémoire en défense !

Deuxièmement, vous passez très rapidement sur le contrat à propos duquel notre collègue vous a interrogée. Le montant de ce contrat, signé le 9 octobre pour une durée de trois mois, s’élevait à 136 000 euros : ce n’est pas rien ! Il a été conclu avec M. Finchelstein, collaborateur de M. Fouks, patron de Havas Worldwide. Si j’en crois le document que j’ai sous les yeux, il portait sur les objets suivants : prestation de conseil pour la mise en place d’une stratégie de communication ; suivi de l’opinion ; soutien à l’expression du ministre ; coaching. Or, une « bombe atomique » est tombée et le prestataire – qui a touché tout ou partie des 136 000 euros – ne serait même pas intervenu ! Et ce, alors même que l’affaire Cahuzac devenait la préoccupation première non seulement de Bercy, mais du Gouvernement ! Cela ne laisse pas de m’étonner.

Bien sûr, je suis en partie convaincu par vos propos, madame la directrice : le ministre délégué vous a répondu clairement et si vous avez continué à travailler avec lui, c’est que vous aviez confiance en lui. Mais, tout de même, l’affaire était un sujet quotidien au sein de votre ministère. Je n’imagine pas que vous n’ayez pas été davantage associée à sa gestion. J’aimerais donc en savoir un peu plus sur l’ambiance, ainsi que sur l’action des prestataires en communication. À en juger par ce que j’ai entendu depuis le début de cette audition, il ne se serait rien passé !

M. Alain Claeys, rapporteur. Je comprends votre préoccupation, cher collègue. Madame la directrice a répondu en partie : il s’agit d’un contrat-cadre avec un prix plafond, les paiements étant débloqués, si j’ai bien compris, en fonction des prestations fournies. Mais la Commission peut aller plus loin en demandant au ministère de l’économie et des finances de préciser la nature des prestations.

M. le président Charles de Courson. Je vous invite donc, madame la directrice, à nous communiquer copie du contrat et à nous indiquer les prestations réalisées dans ce cadre.

M. Philippe Houillon. Le contrat a été passé avec M. Finchelstein, conjointement par MM. Moscovici et Cahuzac. Il est donc nécessaire qu’on nous explique la manière dont les deux ministres travaillaient en la matière. Peut-être n’apprendrons-nous rien, mais il nous faut une réponse sur ce point.

Mme Amélie Verdier. Je n’ai pas ici toutes les pièces relatives à ce contrat, mais nous vous les transmettrons.

Vous m’avez interrogée, monsieur le député, sur l’ambiance. Bien sûr, nous parlions de cette situation perturbatrice et difficile à vivre. Mais le cabinet travaillait au service du ministre délégué, non pour M. Cahuzac. La seule manière de faire – tel avait été mon conseil après en avoir discuté avec le directeur général des finances publiques – était de séparer les choses. Cela vaut aussi pour le contrat que vous évoquez : il a été signé par les deux ministres en vue de les aider à définir leur stratégie de communication ; il n’avait nullement vocation à être utilisé par M. Cahuzac pour l’affaire dans laquelle il était mis en cause.

D’autre part, lorsque le ministre délégué intervenait sur une radio, nous savions, bien sûr, qu’il pouvait être interrogé sur cette affaire. Certes, il nous est arrivé d’en discuter avec lui, de voir comment il sentait les choses. Mais aucune réunion n’a été dédiée à ce sujet, et il définissait seul sa position. La gestion de cette affaire ne relevait pas du cabinet, en tout cas telles que je concevais son rôle. Je ne dis pas que cette affaire n’était pas présente à notre esprit, mais que le cabinet s’est consacré, au cours de cette période, à l’action du ministre délégué, en particulier aux textes qui relevaient de sa compétence.

Mme Marie-Françoise Bechtel. J’ai été très intéressée par toutes les questions posées. Je vais essayer de formuler, moi aussi, des questions factuelles.

Je témoigne ma sympathie aux fonctionnaires ici présents. Nous avons tout lieu de penser qu’ils sont compétents et honnêtes. Malgré la sobriété de leurs propos, ils ont dû vivre une période particulièrement difficile.

À l’instar de M. Houillon, je m’interroge sur la communication de M. Cahuzac. Les explications fournies sur la manière dont les deux ministres ont utilisé le contrat qu’ils avaient conclu avec Euro RSCG me paraissent assez claires. Néanmoins, M. Cahuzac n’a-t-il pas fait appel à des services de communication, dédiés à sa personne, pour gérer l’affaire qui le concernait, à partir du mois de décembre ou de janvier ? Si tel est le cas, sur quels fonds ces prestations ont-elles été rémunérées ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai eu connaissance d’aucun contrat ou action particulière visant à recruter une agence de communication dédiée à la gestion de crise pour les besoins de M. Cahuzac.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Donc, rien de tel n’est passé par le cabinet ?

Mme Amélie Verdier. Rien, en effet.

Mme Marie-Françoise Bechtel. M. Cahuzac a vécu une période très délicate entre janvier et mars. Compte tenu de ce que vous savez de lui, excluez-vous qu’il ait pu recourir, sur ses fonds propres, aux services d’une agence ou de conseillers en communication spécialisés ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai connaissance de rien de tel. Je pense qu’il aurait été amené à m’en parler, mais je ne peux rien exclure. En tous les cas, aucune réunion avec une équipe remplissant les fonctions que vous décrivez ne s’est tenue dans les locaux du ministère.

Mme Marie-Françoise Bechtel. S’agissant de la « muraille de Chine », il ne fait pas de doute que le ministre délégué pouvait, en toute légalité, donner une instruction de cette nature. En revanche, il serait intéressant de savoir s’il l’a fait spontanément ou si son ministre de tutelle a inspiré cette démarche. Qu’en est-il, à votre connaissance ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai pas nécessairement eu connaissance de tous les contacts entre le ministre délégué et son ministre de tutelle. La « muraille de Chine » m’a été suggérée par le directeur général des finances publiques. Nous en avons discuté très rapidement, mais cela a pu faire suite à des échanges qu’il aurait eus lui-même avec le ministre de l’économie et des finances. Donc, je n’écarte, ni ne confirme votre hypothèse.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Les deux cabinets n’ont-ils pas échangé à ce sujet ?

M. le président Charles de Courson. Je me pose la même question : le ministre de l’économie et des finances a-t-il, au moins, donné son accord ? Le directeur général des finances publiques a proposé cette instruction et vous avez contribué à sa rédaction. Avez-vous appelé votre homologue, directeur du cabinet de M. Moscovici ? Vous a-t-il donné son accord ou en a-t-il parlé à son ministre ? Nous poserons aussi la question à M. Moscovici, lorsque nous l’auditionnerons.

Mme Amélie Verdier. J’ai informé le directeur de cabinet de M. Moscovici que le ministre délégué allait signer cette instruction. Puis je la lui ai transmise, une fois signée.

M. le président Charles de Courson. Vous a-t-il donné son accord au nom de son ministre ?

Mme Amélie Verdier. Il n’avait pas à le faire.

M. le président Charles de Courson. Mais les dossiers dont M. Cahuzac se déchargeait revenaient dès lors à M. Moscovici ?

Mme Amélie Verdier. De toute façon, par ses compétences, il était déjà saisi de ces dossiers.

Mme Marie-Françoise Bechtel. M. Moscovici n’avait pas nécessairement, sur le plan légal, à donner son accord. Néanmoins, compte tenu des liens entre les deux ministres, il est surprenant qu’il n’ait pas été au courant de cette initiative du directeur général des finances publiques.

Mme Amélie Verdier. Je n’affirme rien de tel. Mais, s’il en a été informé, ce n’est pas moi qui en ai pris l’initiative : je n’en ai pas discuté au préalable avec son directeur de cabinet. Je comprends votre interrogation. Cependant, notre préoccupation était de mettre en place la « muraille de Chine » le plus vite possible. Nous avons d’ailleurs appliqué l’instruction avant même qu’elle ne soit signée par le ministre délégué.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Sans en savoir davantage, vous n’excluez donc pas que l’idée ait pu venir de M. Moscovici ?

Mme Amélie Verdier. Je ne l’exclus pas.

M. Thomas Thévenoud. D’où vient l’expression « muraille de Chine » ?

Mme Amélie Verdier. À ma connaissance, le directeur général des finances publiques. Il revenait d’ailleurs de mission en Chine.

M. le président Charles de Courson. Je crois me souvenir que l’expression a été employée par le ministre de l’économie et des finances devant l’Assemblée.

Mme Amélie Verdier. C’est par ailleurs un terme couramment utilisé dans le domaine financier, lorsqu’il s’agit d’éviter les conflits d’intérêts.

M. Jean-Pierre Gorges. Les directeurs de cabinet sont généralement au courant de tout. Un point nous étonne : l’administration fiscale a adressé une demande d’entraide à la Suisse alors qu’une enquête judiciaire avait été ouverte. Avez-vous été informée de cette procédure ? Avez-vous appelé l’attention sur le fait qu’une enquête judiciaire était ouverte ?

Peut-être l’enquête administrative ne nuisait-elle pas à l’enquête judiciaire. Mais la question posée à la Suisse était fermée et, pour tout dire, orientée : on connaissait la réponse à l’avance. Avez-vous eu connaissance de la formulation de la question ? Avez-vous donné un avis sur ce point ?

Enfin, au vu de la réponse reçue, beaucoup – jusqu’au président de l'Assemblée nationale – ont considéré que M. Cahuzac était blanchi. M. Plenel l’a dit ce matin : l’affaire a bien failli être close à ce moment-là. De votre point de vue, y a-t-il eu une opération « Il faut sauver le soldat Cahuzac » ? Les faits que j’ai rappelés le laissent penser compte tenu de la façon dont a procédé Mediapart dans la diffusion des informations qu’il détenait. Sans doute le ministre délégué avait-il encore l’espoir de passer au travers des mailles du filet à ce moment-là.

Mme Amélie Verdier. Je n’ai jamais évoqué la question de savoir ce que devait ou ne devait pas faire l’administration fiscale sur le dossier de M. Cahuzac pendant cette période, ni avec le directeur général des finances publiques, ni avec le ministre de l’économie et des finances, ni avec son directeur de cabinet. Je ne sais rien d’une éventuelle opération « Il faut sauver le soldat Cahuzac ». Si une telle opération a eu lieu, je n’y ai été associée ni de près ni de loin. Je n’ai pas eu connaissance du moindre échange avec le ministre délégué à ce sujet.

Maintenant, si vous m’interrogez sur mon sentiment personnel, dès lors que le ministre délégué m’avait affirmé que les informations de Mediapart n’étaient pas exactes, j’avais évidemment envie que cette affaire s’arrête.

A posteriori, il me semble que l’administration fiscale a fait son travail en lançant une procédure d’entraide fiscale. Le parquet de Paris la mentionne d’ailleurs dans son communiqué du mois de mars. Il faudrait voir ce qu’en dit le parquet, mais je n’ai pas l’impression qu’elle ait ralenti en quoi que ce soit le cours de la justice.

M. le président Charles de Courson. Je signale à l’attention de mon collègue que M. Cahuzac était non pas un soldat, mais un général !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Compte tenu de ma connaissance des cabinets, je m’étonne que vous n’ayez rien vu ni rien su. Je souhaiterais que vous le confirmiez devant la Commission : cela s’est-il bien passé ainsi ? N’y avait-il aucune archive au cabinet ? M. Gonelle nous a cité des noms, en particulier celui de M. Mangier, fonctionnaire de la direction nationale d’enquêtes fiscales à Bordeaux. Il aurait eu connaissance du compte de M. Cahuzac, mais n’aurait rien fait remonter, à moins qu’on ne lui ait interdit de mener une enquête.

Mme Amélie Verdier. Je vous confirme que je n’ai eu connaissance de rien de tel. Les cabinets détruisent leurs archives, seule l’administration fiscale a pu, le cas échéant, conserver des traces. Lorsque j’ai pris mes fonctions au mois de mai 2012, je n’ai trouvé qu’un seul document sur mon bureau : le programme de stabilité.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je suis tout de même étonné. Vous étiez la directrice de cabinet du ministre mis en cause ! N’y avait-il vraiment aucune trace des enquêtes menées antérieurement ? N’avez-vous à aucun moment été informée, ne serait-ce que de manière informelle ?

Mme Amélie Verdier. Les choses se passent de manière non pas informelle, mais organisée : le processus de vérification de la situation fiscale des membres du Gouvernement que j’ai décrit précédemment aboutit, le cas échéant, à ce que certaines questions soient posées. Tout cela est, au contraire, très formel. En outre, l’organisation du travail n’est pas dictée par la nécessité d’examiner tel ou tel élément découvert subitement.

M. Daniel Fasquelle. Reste à savoir si la « muraille de Chine » n’était pas plutôt une ligne Maginot ! Il revient à notre commission d’enquête de le déterminer.

Vous avez dit, madame la directrice, que vous aviez envie que cette affaire s’arrête. Or, il y avait un moyen très simple pour ce faire : il suffisait que M. Cahuzac demande à la banque UBS d’indiquer s’il détenait ou non un compte auprès d’elle. Le Canard enchaîné avait évoqué cette possibilité, et je l’avais moi-même fait, dès le 5 décembre. Nous en avons d’ailleurs parlé à nouveau avec Mediapart ce matin. Pourquoi n’avez-vous pas conseillé cette procédure au ministre délégué ? Ne me dites pas que vous n’avez à aucun moment évoqué cette affaire avec lui !

Mme Amélie Verdier. Je n’ai rien dit de tel. Le ministre délégué m’a informée de certains éléments, mais il ne me revenait pas de lui dire ce qu’il devait faire, à titre personnel. Tout avait été organisé, justement, pour que sa situation fiscale soit traitée séparément.

M. Daniel Fasquelle. La séparation portait non pas sur vos échanges avec le ministre délégué, mais sur le fait que vous ne deviez pas donner d’instruction particulière à l’administration. En tant que directrice de cabinet, votre rôle était de conseiller le ministre délégué. Or, l’affaire aurait pu prendre fin en quelques jours s’il avait écrit à la banque UBS. Lui avez-vous conseillé de le faire ?

M. le président Charles de Courson. Madame la directrice, le ministre délégué vous avait affirmé ne pas détenir de compte auprès de la banque UBS et vous l’avez cru. Lui avez-vous conseillé d’écrire à la banque ?

M. Daniel Fasquelle. Et si vous ne l’avez pas fait, pourquoi ?

Mme Amélie Verdier. Les débats sur la bonne formulation de la question à poser à la banque ont en effet agité la presse et, peut-être, l’hémicycle. Pour ma part, je ne suis pas spécialiste de droit bancaire suisse. Comme je l’ai indiqué précédemment de manière très spontanée, le ministre délégué a en effet évoqué avec moi les conseils que lui donnaient ses avocats sur ce point. Nous avons discuté ensemble de la meilleure manière de procéder.

M. Daniel Fasquelle. Encore une fois, il y avait une question toute simple à poser à la banque. Lui avez-vous conseillé de le faire, oui ou non ?

Mme Amélie Verdier. Je vous demande pardon : quelle question ?

M. le président Charles de Courson. Je me permets de reformuler la question de M. Fasquelle. M. Cahuzac aurait pu adresser la question suivante à la banque UBS : « Pouvez-vous me confirmer que je détiens un compte auprès de vous ? ». La banque aurait répondu par oui ou par non.

Mme Amélie Verdier. M. Cahuzac traitait ce point avant tout avec ses avocats. Mais je confirme qu’il l’a également évoqué avec moi. Je lui ai indiqué qu’un tel courrier me semblait absurde : sortie de son contexte, la phrase « Pouvez-vous me confirmer que je détiens un compte auprès de vous ? » risquait d’être considérée comme un aveu.

M. Daniel Fasquelle. Il convenait de poser la question suivante : « Pouvez-vous me confirmer que je ne détiens pas de compte auprès de vous ? ».

M. le président Charles de Courson. Si vous adressez la question ainsi formulée à la banque UBS, elle ne vous répondra pas.

Mme Amélie Verdier. Je trouve intéressant que vous débattiez entre vous de la bonne manière de poser la question…

M. le président Charles de Courson.  Notre collègue vous a posé une question précise : avez-vous conseillé au ministre délégué d’écrire à la banque UBS en lui posant la question dans les formes, à savoir « Pouvez-vous me confirmer que je détiens un compte auprès de vous ? »

M. Daniel Fasquelle. Cette éventualité a nécessairement été évoquée à un moment ou à un autre. Si le ministre délégué ne l’a pas fait, pourquoi donc en a-t-il été ainsi ? Cela aurait dû vous mettre la puce à l’oreille.

Mme Amélie Verdier. Je confirme que la question a été évoquée. Sauf erreur, M. Cahuzac a fini par poser la question ainsi formulée : « Pouvez-vous me confirmer que ni un de mes ayants droit ni moi n’avons détenu un compte auprès de vous ? ». Je crois que la banque n’a pas répondu, mais je ne connais pas le détail de cette correspondance.

Je le répète : M. Cahuzac décidait de sa stratégie avec ses avocats. Ce n’est pas moi qui ai été chargée de faire une analyse juridique sur ce point. Le débat étant sur la place publique, nous nous sommes bornés à dire au ministre délégué qu’il fallait faire quelque chose et tenter d’obtenir au plus vite une réponse de la banque.

M. le président Charles de Courson. Ne vous êtes-vous pas inquiétée, madame la directrice, lorsque vous avez découvert, dans la presse, que M. Cahuzac refusait de signer une déclaration attestant qu’il ne détenait pas de compte en Suisse ? Cela a d’ailleurs duré plus d’un mois.

Mme Amélie Verdier. Je n’étais pas au courant qu’une telle question lui avait été posée, ni qu’il avait tardé à y répondre.

M. Alain Claeys, rapporteur. La presse n’a fait état de ces informations qu’au mois d’avril. M. Plenel l’a rappelé ce matin.

Mme Amélie Verdier. En effet, je n’ai pas souvenir que cette information ait été publiée lorsque M. Cahuzac était ministre délégué.

M. le président Charles de Courson. Je pose ma question différemment : n’étiez-vous pas au courant que la DGFIP avait demandé à M. Cahuzac de signer une telle attestation ?

Mme Amélie Verdier. J’ai déjà répondu à cette question. Je confirme que non.

M. le président Charles de Courson. Ne vous en a-t-il jamais parlé lui-même ?

Mme Amélie Verdier. Non.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Au sein de l’administration, en particulier à la DGFIP, personne ne vous en a donc parlé ?

Mme Amélie Verdier. Une instruction très claire avait été donnée : ni le ministre délégué ni sa directrice de cabinet n’avaient à connaître des actes que l’administration prenait pour traiter cette affaire.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est juste. Et personne au cabinet de M. Moscovici ne vous a donné d’information à ce sujet ?

Mme Amélie Verdier. Je n’ai jamais évoqué ce sujet avec M. Moscovici ni avec son cabinet tant que M. Cahuzac a été ministre.

M. le président Charles de Courson. M. Moscovici était, lui, au courant : il le déclare dans la presse. Nous l’interrogerons à ce sujet lorsque nous l’auditionnerons.

M. Christian Assaf. M. Fasquelle a posé à M. Cahuzac une question désormais fameuse lors de la séance des questions au Gouvernement, le 5 décembre. Avez-vous su ou pressenti qu’une telle question serait posée au ministre délégué ? Si oui, le cabinet a-t-il préparé une réponse et dans quelles conditions l’avez-vous fait ? La réponse prononcée par le ministre délégué a-t-elle été fidèle à celle que vous aviez proposée ?

À quelle date avez-vous eu connaissance, madame la directrice, monsieur Robert, de l’existence du compte de M. Cahuzac ?

Mme Amélie Verdier. Le ministre délégué s’attendait à être interrogé lors de la séance des questions au Gouvernement du 5 décembre. Nous ne lui avons pas préparé de réponse et n’avons tenu aucune réunion spécifique à ce sujet. Il avait prévu d’expliquer qu’il n’avait jamais détenu le compte évoqué par la presse. Il a dû s’interroger sur l’opportunité de préciser « en Suisse » ou, de manière générale, « à l’étranger ». De mémoire, je crois qu’il a finalement mentionné les deux.

Comme je l’ai indiqué, j’ai nourri quelques doutes, mais je n’ai eu la confirmation explicite de l’existence du compte que lorsque M. Cahuzac a lui-même reconnu les faits.

M. le président Charles de Courson. Je vous remercie, madame la directrice, messieurs.