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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 28 mai 2013

Séance de 8 heures 45

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Rémy Rioux, directeur du cabinet, M. Jean Maïa, conseiller juridique, et Mme Irène Grenet, conseillère en charge de la politique fiscale, au cabinet de M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

M. le président Charles de Courson. Nous poursuivons les travaux de la commission d’enquête avec l’audition de trois membres du cabinet de M. Pierre Moscovici : M. Rémy Rioux, directeur de cabinet, M. Jean Maïa, conseiller juridique, et Mme Irène Grenet, conseillère en charge de la politique fiscale.

Comme vous le savez, cette commission d’enquête a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de « l’affaire Cahuzac ». Les différentes initiatives prises par le ministère de l’économie et des finances entre la publication du premier article relatif à cette affaire, le 4 décembre 2012, et les aveux de Jérôme Cahuzac, le 2 avril 2013, nous intéressent donc tout particulièrement. En votre qualité de très proches collaborateurs du ministre de l’économie et des finances, vous êtes certainement en mesure de nous éclairer sur de nombreux points, et je ne doute pas que les membres de la commission d’enquête aient de nombreuses questions à vous poser.

Auparavant, il me revient de rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous remercie de bien vouloir, chacun à votre tour, lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Rémy Rioux, M. Jean Maïa et Mme Irène Grenet prêtent successivement serment.)

Je vous prie de nous exposer pour commencer les actions qui ont été les vôtres après le 4 décembre et la nature des informations dont vous disposiez.

M. Rémy Rioux, directeur du cabinet de M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Je suivrai un fil chronologique pour vous expliquer ce que j’ai su et fait sur ce dossier à la place qui est la mienne. J’espère vous convaincre de notre bonne foi et de la rigueur de notre travail.

Sans doute serai-je conduit à répéter des éléments déjà exposés par le ministre de l’économie et des finances lors de son audition devant la Commission des finances de votre Assemblée le mercredi 17 avril.

Permettez-moi de formuler tout d’abord trois remarques sur la situation qui précède le 4 décembre, date de la parution du premier article de Mediapart.

Au sein du Gouvernement, le ministre de l’économie et des finances et ses deux ministres délégués – Jérôme Cahuzac, à l’époque des faits, et Benoît Hamon – constituent un pôle. Pour tenir compte du choix, réalisé au moment de la composition du Gouvernement, de réunifier les compétences de l’économie, des finances, du budget et des comptes publics, nous avons mis en place dès notre arrivée, au mois de mai 2012, un fonctionnement intégré. Tout d’abord, toutes les notes adressées par l’ensemble des services placés sous l’autorité du ministre passent par le directeur de son cabinet avant d’être attribuées aux conseillers des différents cabinets – lesquels, pour éviter de perdre du temps, en reçoivent parallèlement une copie dématérialisée. Comme Mme Amélie Verdier vous l’a dit la semaine dernière, nous nous sommes aussi efforcés, par souci d’efficacité, de cohérence et d’économie, d’avoir autant que possible des conseillers communs aux différents ministres. Cela a été le cas avec les cabinets de MM. Cahuzac et Hamon, mais aussi avec celui de Mme Nicole Bricq lorsque celle-ci a été nommée ministre du commerce extérieur.

Il existait quatre conseillers communs avec le cabinet de Jérôme Cahuzac : les deux conseillers en charge de la politique fiscale, le conseiller budgétaire et social et le conseiller juridique. Deux d’entre eux sont à mes côtés ce matin : Mme Irène Grenet, qui est plus particulièrement en charge de la fiscalité des personnes, de la fiscalité locale et de la fiscalité internationale, et M. Jean Maïa, conseiller juridique, qui suit également les sujets de fraude fiscale.

Je tiens à préciser que mes deux collaborateurs n’ont été associés en rien au suivi du dossier qui fait l’objet de votre commission d’enquête. Compte tenu de son caractère très sensible, je suis le seul à l’avoir suivi auprès du ministre.

Je précise également que le recours à l’agence Havas Worldwide, précédemment Euro RSCG, s’inscrivait dans ce cadre de travail en commun entre les différents cabinets. Il s’agissait, pour être clair, de bénéficier des conseils de M. Gilles Finchelstein. Ce contrat n’a aucun lien avec le dossier qui nous occupe.

Deuxième remarque : dès notre arrivée, nous avons évidemment décidé de suivre la tradition républicaine sur deux sujets, à savoir la vérification de la situation fiscale des ministres du nouveau gouvernement et la confirmation qu’il n’y aurait pas d’instructions de la part des ministres sur les procédures fiscales individuelles de contrôle et de recouvrement ainsi que sur les éventuelles poursuites pénales, conformément à la circulaire dite « Baroin » du 2 novembre 2010 concomitante à la suppression de la cellule fiscale qui existait au sein du cabinet du ministre en charge du budget.

Troisième remarque : aucun indice permettant de soupçonner la détention par Jérôme Cahuzac d’un compte en Suisse n’était parvenu jusqu’à moi avant le 4 décembre 2012. En particulier – puisque l’on a évoqué ces sources d’information potentielles à divers stades de l’affaire –, le rapport rédigé par M. Rémy Garnier en 2008 n’a pas été porté à ma connaissance. Puisque toutes les notes transitent par mon intermédiaire, j’ai dû être destinataire des deux notes préparatoires à l’entretien que Jérôme Cahuzac a eu avec Rémy Garnier en octobre, mais je vous avoue que je n’y ai pas prêté attention. Cela n’est guère surprenant : je les ai relues hier et ai constaté qu’elles ne disaient rien de la situation du ministre délégué.

Je n’ai eu aucune information en provenance des douanes – sachant que M. Michel Gonelle a soulevé ce point le 3 avril dernier et a repris ses propos dans son audition du 21 mai. J’ai interrogé au début du mois d’avril la directrice générale des douanes et des droits indirects, que votre commission d’enquête entendra également. Elle m’a indiqué ne pas avoir trouvé trace de cette prétendue enquête. Je crois pouvoir dire que la direction générale des douanes et des droits indirects a également apporté une pleine coopération à la police judiciaire sur ce dossier.

Un autre service du ministère, Tracfin, ne m’a jamais transmis d’information concernant Jérôme Cahuzac. Je rappelle que le code monétaire et financier donne obligation à Tracfin de transmettre au procureur de la République tout soupçon d’infraction dont il aurait connaissance.

J’en viens à la période qui s’ouvre le 4 décembre et qui s’achève avec la démission de Jérôme Cahuzac le 19 mars. On peut distinguer trois actions principales.

Premièrement, une « muraille de Chine » a été mise en place le 10 décembre, date de la signature par Jérôme Cahuzac de l’instruction aux services et de l’instruction à son cabinet – les pièces vous ont été transmises. Dans les faits, cette muraille existait dès la semaine précédente. Nous avons suivi, en l’occurrence, la recommandation que les services du ministère – direction générale des finances publiques et direction des affaires juridiques – ont formulée dès le 6 décembre en s’appuyant sur des précédents, le ministère ayant connu par le passé d’autres situations, sinon comparables, du moins complexes d’un point de vue déontologique et juridique. Mme Amélie Verdier m’en a parlé, j’en ai informé le ministre.

Cette « muraille de Chine » concernait Jérôme Cahuzac lui-même et tout ce qui concernait la banque UBS. Elle a été immédiatement effective et strictement respectée jusqu’au 19 mars. En particulier, je n’ai eu aucun échange avec ma collègue Amélie Verdier sur ces sujets, ni, a fortiori, avec Jérôme Cahuzac.

Il ne s’agissait pas, comme cela a pu être dit au cours de vos auditions de la semaine dernière, de revoir les compétences du ministre délégué, puisque toutes les compétences procèdent in fine du ministre de l’économie et des finances, mais de mettre en place clairement, rapidement et efficacement un mécanisme de déport pour éviter tout risque de conflit d’intérêts.

Du reste, le jour même de la mise en place, le directeur général des finances publiques m’a saisi d’une demande concernant le dossier de la banque UBS en général, demande que j’ai traitée moi-même. C’est bien la preuve que les décisions relevant du champ de l’instruction signée par Jérôme Cahuzac ont été immédiatement mises en œuvre.

Deuxièmement, l’administration fiscale a fait son travail. De mon point de vue, la direction générale des finances publiques (DGFiP) s’est comportée de façon exemplaire dans un contexte particulièrement délicat pour une direction d’administration centrale. Je tiens à dire qu’il n’y a eu, de la part du cabinet du ministre de l’économie et des finances, aucune manipulation de ce grand service de l’État. Le ministre et moi-même avons respecté un principe simple : nous avons laissé l’administration fiscale agir, dérouler ses procédures et coopérer pleinement avec la police judiciaire après que celle-ci eut été saisie, le 8 janvier 2013. Le contraire eût été condamnable. Bref, le cabinet du ministre n’a pas mené d’« enquête parallèle » sur le ministre délégué chargé du budget, il n’a pas fomenté d’opération spéciale, comme l’hebdomadaire Valeurs actuelles a pu l’alléguer le 11 avril.

En revanche, l’administration fiscale a rapidement pris en compte les accusations de Mediapart. Le 14 décembre 2012, sur instruction de l’administration centrale, la direction régionale des finances publiques d’Île-de-France et du département de Paris adresse à Jérôme Cahuzac le formulaire dit « 754 ». Cette démarche correspond à la procédure normale dès lors que l’administration fiscale a connaissance, le cas échéant par voie de presse, de l’existence possible d’un compte à l’étranger non déclaré. Les responsables de la DGFiP vous le confirmeront. Je précise que je n’ai pas été personnellement informé de cette demande au moment où elle a été envoyée.

M. le président Charles de Courson. À quelle date en avez-vous été informé ?

M. Rémy Rioux. Très tard dans la procédure.

M. le président Charles de Courson. C’est-à-dire ?

M. Rémy Rioux. Je ne me rappelle plus la date exacte. Probablement au moment de la démission de Jérôme Cahuzac. Il s’agit de procédures internes à l’administration fiscale.

Troisièmement, la demande d’entraide adressée aux autorités suisses marque une nouvelle étape dans la démarche pour connaître la vérité. C’est l’acte principal sur lequel le ministre est intervenu.

Là encore, il ne s’agissait pas de lancer une enquête parallèle mais de vérifier l’information produite par Mediapart et constamment réaffirmée dans ses articles depuis le 4 décembre : la détention, par Jérôme Cahuzac, d’un compte ouvert à l’UBS, en Suisse, et transféré à Singapour à l’occasion d’un déplacement à Genève au début de l’année 2010. C’est l’accusation précise qui a été plusieurs fois réaffirmée par cet organe de presse.

Pour pratiquer cette vérification, l’administration fiscale disposait d’un instrument juridique délicat à manier mais que le ministre a décidé d’utiliser, la convention passée en 1966 entre la France et la Suisse, qui a fait l’objet d’un avenant le 27 août 2009 puis d’un protocole additionnel et d’un échange de lettres le 11 février 2010. Il ne s’agissait nullement de tenter de « sauver le soldat Cahuzac » mais bien de contribuer à la manifestation de la vérité. Comme l’a dit le ministre devant la Commission des finances, l’affaire durait depuis longtemps et nous avions la possibilité de mettre en œuvre cette procédure.

L’administration fiscale, que vous interrogerez, a préparé la demande avec le plus grand soin à partir de la fin de l’année 2012. Comme il l’a indiqué, le ministre est intervenu personnellement, par téléphone, auprès de son homologue suisse Mme Eveline Widmer-Schlumpf, trois jours avant l’envoi de la demande officielle par les services fiscaux le 24 janvier. Je n’ai pas assisté moi-même à cet entretien important. Nous voulions une réponse claire, quelle que soit sa nature, de la part des autorités suisses.

La préparation méticuleuse de cette requête et le signal politique donné par le ministre étaient pleinement justifiés. Contrairement à ce que certains ont pu écrire, il est très difficile d’obtenir de telles réponses. Au 15 avril 2013, les autorités françaises avaient formulé 426 demandes de renseignement au sujet des banques suisse. Nous n’avions reçu que 29 réponses, soit 6,5 % du total – les autres demandes étant jugées « non pertinentes » par nos collègues suisses –, et l’administration fiscale a jugé que 6 d’entre elles seulement étaient satisfaisantes. En outre, ces réponses sont produites après des délais très longs.

Bref, il est très difficile d’obtenir des informations précises dans le cadre des procédures d’entraide administrative qui lient nos deux pays.

Comme l’a également expliqué le ministre, les questions posées à l’administration fiscale suisse se fondaient sur les informations dont nous disposions à cette date. De ce fait, elles étaient les plus larges possible.

Dans leur objet d’abord : la DGFiP a interrogé les autorités suisses sur l’existence, la clôture et le transfert éventuels d’un compte dont Jérôme Cahuzac aurait été soit titulaire, soit ayant droit économique, ce qui incluait, le cas échéant, l’intervention d’intermédiaires.

Dans l’espace ensuite : la demande portait également, de façon explicite, sur l’éventualité d’un transfert du ou des comptes vers un autre pays et, le cas échéant, demandait d’indiquer quel était ce territoire de destination « afin de permettre la mise en œuvre des dispositions d’assistance administrative qui lieraient la France avec ces États ou territoires ». Notre question incluait bien, ab initio, l’éventualité d’un transfert à Singapour ou ailleurs.

Dans le temps enfin, comme l’a reconnu notamment le président de la Commission des finances, M. Gilles Carrez : alors que nous ne pouvions, en droit, demander des informations ne remontant qu’au 1er janvier 2010, nous avons réclamé avec insistance que l’administration suisse aille jusqu’à 2006, date de prescription applicable à la fois, en France, aux deux impôts concernés dans ce dossier, l’impôt sur le revenu et l’impôt de solidarité sur la fortune. S’agissant de l’ISF, la date est plutôt 2007, mais nous avons essayé de remonter le plus loin possible.

J’ajoute que l’administration fiscale a considéré qu’il n’était pas possible d’interroger la Suisse sur toutes ses banques, contrairement à ce que l’on a pu affirmer. Dans le cadre de notre convention avec ce pays, un protocole précise que toutes les informations de nature à identifier avec certitude la banque concernée doivent être transmises. Une question ouverte aurait très certainement été jugée non pertinente par les autorités suisses, entraînant une réponse soit négative, soit dilatoire. Nous voulions surtout éviter cette situation.

Le porte-parole du secrétariat d’État aux questions financières internationales de la Confédération helvétique a d’ailleurs déclaré, le 12 avril, qu’il est possible de formuler une demande sur plusieurs banques éventuelles mais pas sur toutes, car cela reviendrait à une « pêche aux renseignements » interdite par la convention.

Quant à savoir pourquoi l’administration fiscale n’a pas interrogé les autorités suisses sur l’hypothèse d’un compte chez Reyl et compagnie, la réponse est simple : cette hypothèse n’a commencé à se développer qu’au mois de février, après l’envoi de notre demande d’entraide et après la réponse des autorités suisses le 31 janvier. À la date de la requête, nous n’avions pas d’informations de nature à identifier une banque autre que l’UBS. L’administration fiscale a mentionné celle-ci parce que la convention l’exigeait et parce que c’était le seul établissement dont nous avions connaissance.

Je veux souligner l’exceptionnelle rapidité de la procédure. La réponse, je l’ai dit, nous a été adressée le 31 janvier. La DGFiP aura donc mis seulement sept jours pour l’obtenir, et ce moins de deux mois après la parution de l’article de Mediapart.

Tout au long de cette procédure, nous avons suivi les analyses de nos services, sans jamais chercher à les manipuler. J’en veux pour preuve que je n’ai pas contribué à la rédaction de la demande d’entraide préparée par les services compétents et que je n’ai pas vu physiquement la réponse des autorités suisses, remise dès le lendemain de sa réception à la police judiciaire par la direction générale des finances publiques.

Vous vous posez sans doute des questions sur l’épisode malheureux du Journal du dimanche du 9 février. Je m’en pose moi aussi, d’autant que mon nom a été évoqué ultérieurement comme une des sources possibles de cette information et que l’article cite « l’entourage du ministre de l’économie ». Je tiens à dire devant vous que je n’ai aucune responsabilité dans cette opération. Je n’ai évidemment pas commenté auprès de journalistes un document couvert par le secret fiscal et je partage la colère que le ministre a éprouvée à la lecture de cet article et dont il a fait part à la Commission des finances.

Après le départ de Jérôme Cahuzac le 19 mars, nous avons coopéré rapidement et pleinement avec le Parlement. Des courriers ont été adressés successivement aux présidents des deux Commissions des finances, avec copie aux rapporteurs généraux et, en annexe, toutes les pièces utiles que nous pouvions transmettre. Nous avons également rectifié les affirmations inexactes et les amalgames, notamment dans l’article de Valeurs actuelles dont j’ai fait état.

Pour conclure, je me permettrai de citer les propos de Pierre Moscovici devant la Commission des finances : « L’administration fiscale a fait tout ce qu’elle devait faire, tout ce qu’elle pouvait faire, avec diligence et rigueur. Nous avons à chaque étape trouvé le juste équilibre entre la confiance normale et nécessaire au sein d’une équipe gouvernementale et l’obligation de faire preuve d’un doute par principe, d’un doute méthodique pour contribuer à la recherche de la vérité face aux graves accusations, finalement justes, de Mediapart. À chaque étape, nous avons agi dans le respect des institutions de ce pays et conformément aux principes républicains qui les gouvernent. »

Une procédure judiciaire était engagée et des éléments de nature administrative pouvaient contribuer à la manifestation de la vérité. Ma conviction est que le ministre de l’économie a fait ce qu’il devait faire dans ce cadre.

Nous avons agi avec des moyens juridiques imparfaits. Tout le débat ultérieur sur l’échange automatique d’informations pour lutter contre la fraude fiscale, nous l’avons en quelque sorte expérimenté avec la procédure engagée au mois de janvier, qui est très délicate et complexe à manier si l’on veut obtenir une réponse. Fort heureusement, l’autorité judiciaire dispose de moyens tout autres.

Enfin, l’information que nous avons vérifiée était pour partie inexacte, ce qui explique la réponse que nous avons obtenue à l’issue de cette procédure.

M. le président Charles de Courson. Monsieur Maïa, madame Grenet, souhaitez-vous ajouter quelque chose avant que nous passions aux questions ?

M. Jean Maïa, conseiller juridique au cabinet de M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Non.

Mme Irène Grenet, conseillère en charge de la politique fiscale au cabinet de M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je souhaite revenir sur la période s’écoulant entre le 14 décembre, date de la demande faite à Jérôme Cahuzac sur l’éventuelle détention d’un compte à l’étranger, et le 31 janvier, date de la réponse des autorités suisses. Vous dites n’être pas au courant, à l’époque, de la demande du 14 décembre, et n’en avoir pris connaissance que début avril. S’agit-il d’un formulaire type ? Quelle est la valeur juridique de ce document ? Quel est le fondement juridique du délai de trente jours accordé, si l’on en croit la presse, pour répondre ? Que se passe-t-il en cas de non-réponse de l’intéressé ?

D’après vos propos, le ministre est intervenu au moment de la demande d’entraide fiscale. Donc vous nous confirmez qu’au moment où il fait cette démarche, il n’est pas informé de la demande adressée à Jérôme Cahuzac pour savoir s’il avait évebtuellement un compte à l’étranger. Quoi qu’il en soit, comment la demande d’entraide fiscale a-t-elle été préparée ? Si je comprends bien, elle n’a pas été évoquée au moment de la remise à Jérôme Cahuzac de la demande relative à la détention éventuelle d’un compte à l’étranger. Pourriez-vous nous éclairer sur cette séquence ?

M. le président Charles de Courson. Vous affirmez avoir traité seul de ce dossier. Est-ce à dire que vous n’avez jamais parlé de cette affaire aux deux conseillers qui vous accompagnent aujourd’hui ?

M. Alain Claeys, rapporteur. J’y insiste : quelle est la valeur juridique de cette demande et que se passe-t-il en cas de non-réponse. Confirmez-vous que le ministre n’est pas informé de la demande et de la non-réponse de Jérôme Cahuzac lorsqu’il décide de recourir à l’entraide fiscale ?

M. Rémy Rioux. La demande qui a été faite est une demande tout à fait normale dans les procédures de l’administration fiscale : le formulaire 754-SD est adressé dès qu’une information est susceptible de révéler une situation anormale pour un contribuable. Le directeur général des finances publiques vous expliquera plus en détail les modalités de mise en œuvre de la procédure.

Je confirme que je n’étais pas informé de cette demande – et je ne suis pas certain que j’avais à l’être, d’ailleurs, car il s’agit, je le répète, de la procédure normale et je n’ai pas connaissance, dans ce cas de figure, des éléments – déclarations d’impôt, etc. – du dossier fiscal du contribuable.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quelle procédure l’administration suit-elle lorsque celui-ci n’apporte pas de réponse ?

M. Rémy Rioux. Il est bien précisé dans le formulaire que cette demande ne revêt pas de caractère contraignant. Je ne crois pas que l’absence de réponse soit sanctionnée en tant que telle.

M. Alain Claeys, rapporteur. Lorsque l’on a constaté, au bout d’un mois, qu’il n’y avait pas de réponse de Jérôme Cahuzac, on n’en a pas informé le ministre ?

M. Rémy Rioux. Non. Le formulaire prévoit explicitement le délai de trente jours. Mais au moment de l’expiration de ce délai, on est déjà passé à l’étape ultérieure : la question décisive posée aux autorités suisses.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez donc que vous n’êtes pas informé de la non-réponse de Jérôme Cahuzac ?

M. Rémy Rioux. Je le confirme. Il ne faut pas accorder une importance excessive à cette procédure qui est la procédure normale. La réponse avait été donnée à plusieurs reprises par Jérôme Cahuzac, de façon éclatante et manifeste devant votre Assemblée mais aussi au ministre de l’économie et des finances. À la mi-janvier, on a mis en œuvre la demande auprès des autorités suisses.

M. Alain Claeys, rapporteur. Qui a eu connaissance de leur réponse et qui a pris l’initiative de la transmettre à la justice ?

M. Rémy Rioux. C’est une réponse d’administration fiscale à administration fiscale, dont M. Bruno Bézard a été par conséquent le destinataire. Il en a informé le ministre. Il est le seul détenteur de ce document, dont il a transmis une copie à la police judiciaire dès le lendemain matin.

M. Alain Claeys, rapporteur. Les conseils de Jérôme Cahuzac ont été informés de la procédure. L’ont-ils été de la réponse des autorités suisses ?

M. Rémy Rioux. Par le cabinet du ministre ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Non, par les autorités suisses.

M. Rémy Rioux. Cela, je l’ignore. Mais nous avions accepté que l’administration fiscale suisse prévienne le contribuable de la démarche engagée par les autorités françaises. Il y a souvent, en la matière, des éléments qui retardent ou empêchent l’échange d’informations entre la Suisse et la France, le droit interne suisse prévoyant l’obligation, pour l’administration fiscale de ce pays, de prévenir le contribuable.

M. Alain Claeys, rapporteur. Jérôme Cahuzac a donc été informé de la démarche française. L’a-t-il été des réponses apportées par la Suisse ?

M. Rémy Rioux. Je l’ignore. Il faudra que vous interrogiez l’administration fiscale suisse.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous été informé ?

M. Rémy Rioux. Le ministre a été informé et Bruno Bézard m’a dit le sens de la réponse. Mais je n’ai pas vu le document.

M. le président Charles de Courson. Et le ministre ?

M. Rémy Rioux. Sur un écran, je crois, mais il ne l’a pas eu physiquement entre ses mains. Comme il se doit pour les procédures administratives, le document est toujours resté dans les services.

M. le président Charles de Courson. Vos deux collaborateurs le connaissaient-ils ?

M. Jean Maïa. Non. Je n’ai pas été associé à la gestion de cette procédure. Du fait de l’organisation rappelée par Rémi Rioux au début de l’audition, nous n’avons pas à connaître des dossiers fiscaux individuels.

Mme Irène Grenet. Ma réponse est la même, monsieur le président.

M. le président Charles de Courson. Le directeur du cabinet ne vous en a pas informé ?

Mme Irène Grenet. Absolument pas. Je n’ai été associé à aucun moment, ni de près ni de loin, au traitement du dossier de M. Cahuzac.

M. Rémy Rioux. J’étais en relation directe avec le directeur général des finances publiques, M. Bruno Bézard. Cela n’a rien d’anormal dans le fonctionnement du ministère.

M. le président Charles de Courson. Vous n’en avez jamais parlé à la presse ? À aucun journaliste ? À personne ? Vous êtes formel ?

M. Rémy Rioux. À personne. Je suis formel.

M. le président Charles de Courson. Vous dites que vous n’étiez pas au courant de la demande faite à Jérôme Cahuzac de remplir un imprimé attestant qu’il n’avait pas de compte en Suisse. Mais n’avez-vous pas demandé à vos collaborateurs ici présents, dont c’est la spécialité, s’il existait une telle procédure ? Et vous, monsieur Maïa et madame Grenet, la connaissiez-vous ?

M. Jean Maïa. Je confesse que je ne la connaissais pas.

Mme Irène Grenet. Je ne la connaissais pas non plus.

M. le président Charles de Courson. Vous n’avez donc pas informé votre directeur et votre ministre qu’elle était susceptible d’être mise en place…

M. Alain Claeys, rapporteur. Étiez-vous informé, monsieur Rioux, des questions posées à Jérôme Cahuzac par la direction régionale des finances publiques de l’Île-de-France et de Paris à propos de sa déclaration de patrimoine faite au titre de l’impôt sur la fortune ?

Par ailleurs, l’AFP a publié dans la soirée du 22 décembre 2012 un communiqué de la direction générale des finances publiques indiquant qu’aucun contrôle ou enquête n’était en cours à l’encontre d’un membre du Gouvernement, tout en mentionnant l’examen de la situation fiscale desdits membres. En étiez-vous informé ? Savez-vous qui a pris l’initiative de ce communiqué ?

M. Rémy Rioux. À ma connaissance, il s’agit plutôt d’éléments de langage par lesquels la direction générale des finances publiques expliquait la procédure en cours. Comme l’a expliqué Mme Amélie Verdier la semaine dernière, cette procédure ne consiste pas en un contrôle ou une enquête sur les ministres, mais en une « vérification de bureau », un examen du dossier fiscal par les services locaux de la DGFiP portant, pour l’essentiel, sur l’impôt sur le revenu et sur l’impôt de solidarité sur la fortune. La presse ayant parlé de « contrôle » des dossiers des ministres, la direction générale des finances publiques a souhaité apporter cette précision en transmettant des éléments de langage à l’AFP.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour justifier son intervention auprès des autorités suisses, le ministre a fait état des rumeurs qui couraient au sujet de Jérôme Cahuzac mais aussi de l’absence de réponse à la demande faite le 14 décembre.

M. Rémy Rioux. Le fait que l’administration fiscale ait fait cette demande et qu’elle n’ait pas reçu de réponse au milieu du mois de janvier était certainement un élément d’appréciation qui a conduit à rechercher la vérité par les moyens dont nous disposions, à savoir la mobilisation de la convention passée avec la Suisse.

M. le président Charles de Courson. Le directeur général des finances publiques ne vous a pas averti, dites-vous, que le ministre délégué n’a pas répondu dans le délai d’un mois.

M. Rémy Rioux. Il ne m’en a pas informé. En revanche, nous avons discuté dans le courant du mois de janvier de cette requête, qui était le moyen d’établir la vérité.

M. le président Charles de Courson. Ne vous a-t-il pas, précisément, proposé cette solution en raison de l’absence de réponse du ministre délégué à l’administration ?

M. Rémy Rioux. Non. C’est un élément qui intervient probablement dans l’instruction de la demande adressée aux autorités suisses, de même que la lecture attentive de la convention, de son avenant et de l’échange de lettres de 2010. Mais ce n’était pas un élément d’information dont je disposais.

M. le président Charles de Courson. Vous pensez que votre réponse est crédible ?

M. Rémy Rioux. Vous interrogerez le directeur général des finances publiques sur ce point.

M. Hervé Morin. Je comprends mal que le directeur général des finances publiques vous informe du fait que l’on va interroger la Suisse mais ne vous indique pas que cette démarche est consécutive à l’absence de réponse de M. Cahuzac.

Plus généralement, avez-vous été amené à évoquer ces sujets avec des collaborateurs de Matignon et de l’Élysée ?

Avez-vous regardé, de près ou de loin, le contrat passé avec Havas qui concernait tout à la fois la communication de Jérôme Cahuzac et celle de Pierre Moscovici ?

Avez-vous eu des réunions de travail sur le dossier de la vente de l’hippodrome de Compiègne ?

M. Rémy Rioux. Je me suis déjà expliqué sur le premier point.

Par ailleurs, je n’ai pas eu d’échanges sur ce dossier avec des collaborateurs de Matignon et de l’Élysée pendant la période concernée.

Le dossier Havas est sans lien, je l’ai dit, avec l’affaire qui nous réunit. Je l’ai suivi de près. Le ministère dispose d’un contrat cadre datant de 2010, renouvelé en 2013, et permettant de faire appel à différentes sociétés de conseil en communication. C’est dans ce cadre qu’il a passé un appel d’offres en 2012 et a finalement accordé le contrat à Havas Worldwide pour des prestations de conseil en stratégie de communication pour Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac. Le besoin s’en était fait ressentir au cours de la préparation de la loi de finances et des différents textes portés par le ministre et son ministre délégué. Si votre commission le souhaite, je lui communiquerai les pièces de ce dossier.

M. le président Charles de Courson. Mme Amélie Verdier nous a dit qu’elle le ferait. Nous disposerons du contrat et de toutes les pièces comptables des paiements auxquels il a donné lieu.

M. Rémy Rioux. Il s’agit d’un marché de prestation. Chaque mois fait l’objet d’un paiement en fonction des services fournis.

M. le président Charles de Courson. Nous vous avons adressé un courrier à ce sujet.

M. Rémy Rioux. Nous y répondrons très précisément.

M. Hervé Morin. Et s’agissant de la vente de l’hippodrome de Compiègne ?

M. Rémy Rioux. Les sujets relatifs aux domaines publics étaient clairement dans la délégation du ministre délégué chargé du budget. En raison du fonctionnement que j’ai exposé, j’ai été informé, mais le dossier a été géré par le ministre délégué et son cabinet.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Le point central est la date à laquelle le ministre demande le déclenchement de l’entraide franco-suisse et la nature de cette demande. On pourrait énoncer ainsi les critères que la commission d’enquête est train de se fixer : premièrement, le Gouvernement a-t-il réagi à la bonne date, c’est-à-dire assez tôt ? Deuxièmement, a-t-il réagi de la bonne manière, compte tenu des instruments à sa disposition ?

Je souhaiterais, à cet égard, que vous apportiez des éclaircissements complémentaires.

S’agissant de la demande d’entraide, vous avez affirmé que le ministre avait pris cette initiative en raison d’informations « constamment réaffirmées » dans la presse. Cette réitération vous paraît-elle une raison nécessaire et suffisante ? M. Plenel, à qui j’ai posé la question, semble pour sa part penser qu’il faut déclencher les procédures dès qu’une information apparaît dans le débat public. Je crois percevoir une certaine contradiction lorsque vous laissez entendre par ailleurs que le ministre a lancé la demande d’entraide en raison de l’absence de réponse au formulaire. Quel est celui des deux critères qui a déclenché l’initiative ?

Le ministre a utilisé le seul instrument légitimement à sa disposition, la convention franco-suisse : il ne disposait pas d’autres instruments ou d’autres informations qui auraient pu le pousser à agir vis-à-vis de son ministre délégué, par exemple en lui posant un certain nombre de questions. Les services qui envoient le formulaire n’informent pas les cabinets, lesquels ne demandent pas non plus d’informations. Diriez-vous que cette étanchéité est propre à Bercy et qu’elle est traditionnelle ? On peut en effet en être surpris, mais pas outre mesure pour ceux d’entre nous qui ont déjà eu affaire à Bercy.

M. Rémy Rioux. En parlant d’informations « constamment réaffirmées » par la presse, je parlais de l’information apportée par Mediapart et je voulais répondre au sujet de la banque Reyl, sur lequel je me suis également expliqué. Le 10 février, c’est-à-dire le lendemain de la parution de l’article du Journal du dimanche, un communiqué de Mediapart réaffirme encore que Jérôme Cahuzac détenait un compte à l’UBS et l’avait transféré lors d’un déplacement en 2010. C’est cette affirmation, qui revenait sans cesse sur la place publique, que nous avons cherché à confirmer ou à infirmer par notre requête.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Les critères sont donc bien la réaffirmation et la constance dans le contenu ?

M. Rémy Rioux. Absolument. Il fallait aussi, compte tenu des contraintes juridiques de la procédure d’entraide, que nous posions une question précise.

Du fait de la répétition des articles de Mediapart tout au long de décembre – avec un récapitulatif à la fin du mois –,ces éléments étaient versés au débat public. La presse s’était également fait l’écho de démarches ou de tentatives de démarche de Jérôme Cahuzac et de ses avocats pour obtenir eux-mêmes des réponses des autorités suisses. Le doute persistait donc dans le débat public, et peut-être dans l’esprit de l’administration fiscale en raison de la procédure en cours. C’est dans ce climat que, dans le courant de janvier, il est apparu que le débat durait depuis trop longtemps et qu’il était nécessaire d’obtenir une réponse. L’administration fiscale et le ministre lui-même ont déployé tous les efforts et pris toutes les précautions nécessaires pour que la démarche soit couronnée de succès – ce qui a été le cas, mais dans la limite de la question que nous avions posée et qui reprenait l’information fournie par Mediapart.

Le sujet des dossiers fiscaux à Bercy est toujours très délicat. Les informations sur des situations fiscales individuelles de contribuables sont couvertes par le secret professionnel et ne circulent pas de façon large dans les cabinets. Nous mettons le plus grand soin à éviter tout risque de divulgation. Le ministère des finances a toujours eu des procédures spécifiques – naguère une cellule au cabinet, aujourd’hui un lien organisé avec la direction générale des finances publiques – pour éviter que des situations fiscales individuelles soient connues d’un trop grand nombre de personnes.

M. le président Charles de Courson. Vous n’avez pas répondu à une des questions du rapporteur : que saviez-vous, le 4 décembre, de la situation fiscale de Jérôme Cahuzac après l’examen auquel la situation de chaque ministre est soumise après la nomination d’un gouvernement ? Vous aviez certainement des informations, au moins celles qui sont parues dans la presse. Notre commission entendra bientôt, du reste, les responsables de cet examen.

D’autre part, il est inexact d’affirmer que l’administration a saisi les autorités suisses du seul cas de l’UBS parce qu’il n’y avait pas d’informations concernant la banque Reyl dans la presse. Je tiens à votre disposition les articles en question – dont certains dans la presse suisse –, qui évoquent le deuxième établissement dès le 11 décembre.

Enfin, vous ne répondez pas au sujet de Singapour. Pourquoi n’avez-vous pas suggéré au ministre et au directeur général des finances publiques de saisir aussi ce pays, avec lequel la France a également une convention ?

M. Rémy Rioux. S’agissant de la banque Reyl, il faut reprendre, comme je l’ai fait, l’ensemble des articles mentionnant M. Reyl. À ma connaissance, il n’a jamais été fait précisément mention de la possibilité de la détention d’un compte par Jérôme Cahuzac dans cet établissement. M. Reyl a été cité comme un intermédiaire potentiel dans l’ouverture d’un compte à l’UBS, sa banque ne l’a jamais été comme l’établissement financier dans lequel Jérôme Cahuzac aurait pu avoir un compte. Nous n’avions pas cette information, donc nous ne pouvions pas poser la question aux autorités suisses. Celles-ci l’auraient jugée non pertinente – puisqu’elle n’apparaissait pas dans le débat public – et n’y aurait pas répondu.

L’hypothèse en question apparaît dans un article de M. Antoine Peillon le 1er février, donc après la réponse des autorités suisse. Mais, dans les annexes de cet article qui retracent les démarches effectuées par M. Peillon auprès des différents intermédiaires pour vérifier l’information de Mediapart, on trouve la question que le journaliste avait posée au groupe Reyl : « Pouvez-vous me confirmer que Jérôme Cahuzac, actuel ministre du budget en France, a été l’ayant droit économique bénéficiaire d’un compte ouvert à l’UBS par vos services ? » Il est donc toujours question d’un compte à l’UBS !

Quoi qu’il en soit, notre question sur les ayants droit économiques pouvait permettre aux autorités suisses de répondre sur d’éventuels intermédiaires ou prête-noms.

M. le président Charles de Courson. Et Singapour ?

M. Rémy Rioux. Je vous ai répondu : nous avons demandé aux autorités suisses si le compte avait été transféré dans un autre État entre 2006 et 2012, de manière à mettre en œuvre nos procédures d’entraide administrative avec Singapour en cas de confirmation de cette information.

M. le président Charles de Courson. Pourquoi n’avez-vous pas saisi ce pays directement ?

M. Rémy Rioux. On entre alors dans un autre débat, que votre commission a commencé à poser la semaine dernière, sur la frontière entre enquête administrative et enquête judiciaire. Dès lors qu’une enquête judiciaire est engagée – ce qui est le cas à partir du 8 janvier 2013 –, jusqu’où le ministre de l’économie et des finances et l’administration fiscale sont-ils légitimes pour développer leur propre enquête ?

M. le président Charles de Courson. Vous l’avez fait pour la Suisse.

M. Rémy Rioux. Nous avons estimé que la réponse des autorités suisses, immédiatement transmise à l’autorité judiciaire, était suffisamment claire pour que nous n’ayons pas à ajouter des actes de procédure et nous engager dans une autre voie. La requête auprès de Singapour était techniquement possible mais elle ne nous a pas paru opportune compte tenu de la clarté de la réponse suisse.

M. Dominique Baert. Comme le président, je souhaiterais savoir ce qui est remonté à votre niveau lors de l’examen de la situation fiscale des membres du nouveau gouvernement.

Dans les auditions précédentes, on a fait état de deux alertes de l’administration fiscale concernant Jérôme Cahuzac, en 2001 et en 2008. Au moment où vous prenez connaissance de la situation fiscale des nouveaux ministres, confirmez-vous que vous n’avez été informé en aucune manière de ces alertes par votre administration ?

M. Rémy Rioux. Comme l’a dit Mme Amélie Verdier, nous avons reçu le 6 juin 2012 une note du directeur général des finances publiques de l’époque, M. Philippe Parini, qui expliquait la tradition ancienne et républicaine voulant que l’on soumette la situation fiscale des ministres à une vérification de bureau, de manière à repérer, le cas échéant, des écarts, des oublis de déclaration, des problèmes de valorisation, et à permettre aux intéressés de déposer des déclarations rectificatives pour ne pas être attaqués sur ce plan. Cette note, adressée aux deux ministres, les informe de la mise en œuvre – sauf instruction contraire – de la procédure. Le sujet faisant partie de sa délégation, c’est au ministre chargé du budget qu’il a été rendu compte de l’état de la procédure.

M. le président Charles de Courson. On ne peut pas être juge et partie. Y a-t-il eu des remontées concernant le ministre du budget, dont vous auriez forcément eu connaissance puisque tout passait par vous ? Si tel a été le cas, M. Moscovici aurait dû être informé.

M. Rémy Rioux. Après la mise en place de la « muraille de Chine » début décembre, j’ai eu en effet à connaître des informations relatives au dossier fiscal de Jérôme Cahuzac.

M. Alain Claeys, rapporteur. Rien avant le mois de décembre ?

M. Rémy Rioux. Non.

M. le président Charles de Courson. Vous nous avez expliqué que tout transitait par votre cabinet avant d’être transmis au cabinet du ministre délégué. Comment se fait-il, dès lors, que ces informations n’aient pas remonté vers vous avant le début de l’affaire ?

M. Rémy Rioux. Elles n’ont pas fait l’objet de notes dont j’aurais eu connaissance.

M. le président Charles de Courson. Qui en a eu connaissance ?

M. Rémy Rioux. Le directeur général des finances publiques, qui était en charge de ces vérifications de bureau auprès des membres du Gouvernement, et, je pense, le ministre délégué chargé du budget, auquel il a rendu compte.

M. le président Charles de Courson. Je le répète, on ne peut être juge et partie. Cela ne signifie-t-il pas qu’il existe une faille dans le dispositif ?

M. Rémy Rioux. Avant le 4 décembre, on n’a aucune information, ni même aucun doute, sur la situation de Jérôme Cahuzac. Rien ne permet de soupçonner qu’il puisse détenir un compte non déclaré en Suisse.

M. le président Charles de Courson. Mais il y avait peut-être d’autres problèmes.

M. Rémy Rioux. Je ne peux que vous renvoyer à ce que j’ai indiqué dans mon exposé introductif.

M. Dominique Baert. J’en reviens à ma question initiale : au moment où la situation fiscale des membres du Gouvernement est examinée, avez-vous été informé des alertes de 2001 et de 2008 ?

M. Rémy Rioux. Non. Je n’ai eu aucune information avant le 10 décembre.

M. Gérald Darmanin. Avez-vous parlé de cette affaire lors des réunions de cabinet à Bercy ? De même, au cours des réunions de directeurs de cabinet à Matignon, avez-vous eu à évoquer le sujet lors du traditionnel tour de table du directeur de cabinet du Premier ministre, notamment entre décembre et janvier ?

Sauf erreur de ma part, monsieur Maïa, vous étiez conseiller en matière de lutte contre la fraude à la fois pour le cabinet de M. Cahuzac et pour celui de M. Moscovici. Avez-vous eu à viser, dans vos fonctions auprès de M. Moscovici, une lettre ou un document traitant des questions posées aux autorités suisses, dont nous savons que M. Rioux ne les a pas rédigées ? Après la mise en place de la « muraille de Chine », vous êtes-vous mis en retrait du cabinet de M. Cahuzac ?

Si j’ai bien compris vos propos, monsieur Rioux, vous n’avez jamais lu la réponse transmise par la Suisse, vous ne l’avez même jamais eue entre les mains. Pourtant, le Journal du dimanche vous cite nommément parmi les quatre personnes qui ont lu ce document par lequel, selon l’article, « les Suisses blanchissent Cahuzac ». Pourquoi n’avez-vous pas publié un démenti officiel pour éviter de laisser à penser que vous portiez crédit à cette information ?

M. Rémy Rioux. Ma réunion de cabinet a lieu le mercredi, pendant le Conseil des ministres. Elle rassemble les membres du cabinet de Pierre Moscovici mais y assistent également les directeurs de cabinet des ministres délégués, ainsi que les directeurs adjoints du cabinet du ministre chargé du budget. Compte tenu de l’extrême sensibilité du dossier et de la mise en place de la « muraille de Chine », nous n’en avons jamais débattu au cours de ces réunions et je n’ai jamais divulgué la moindre information dans ce cadre.

A fortiori, je n’en ai jamais parlé lors de la réunion des directeurs de cabinet de l’ensemble des ministres, qui a lieu à Matignon le lundi à 15 heures.

M. le président Charles de Courson. Le directeur de cabinet du Premier ministre ne vous a jamais pris à part pour vous demander ce qui se passait ?

M. Rémy Rioux. Non.

M. Jean Maïa. Je confirme que je n’ai pas été consulté sur l’interrogation des autorités suisses. Aux termes de la circulaire « Baroin », du reste, les conseillers n’ont pas à connaître des dossiers fiscaux individuels.

Par ailleurs, la lutte contre la fraude entre en effet dans mes attributions et j’ai continué à travailler sur le sujet pour les deux ministres dans la période concernée. Le ministre délégué ne s’était pas déporté du traitement de l’ensemble de ces questions. En décembre encore, il présentait au Parlement le « paquet antifraude » de la dernière loi de finances rectificative pour 2012. Nous avons également préparé la tenue du comité national de lutte contre la fraude, présidé le 11 février par le Premier ministre.

M. Rémy Rioux. Il est assez rare que les directeurs de cabinet fassent des démentis. L’article du Journal du dimanche du 9 février ne mentionne d’ailleurs que l’« entourage » du ministre de l’économie. C’est un article ultérieur de l’hebdomadaire qui me désigne nommément comme une des quatre sources potentielles. Je le démens, évidemment, avec la plus grande force. Mais, je vous le concède, je n’ai pas publié de communiqué de démenti au moment de la parution.

M. Daniel Fasquelle. Nous cherchons à établir s’il y a eu les bonnes réactions au bon moment. Je suis assez surpris par vos propos. Les auditions que nous avons déjà menées font clairement apparaître que Mediapart avait révélé l’existence d’Hervé Dreyfus et de la banque Reyl. Le 12 décembre, le journal Le Temps publiait un article intitulé « Les liaisons genevoises de Jérôme Cahuzac ». Le 15 décembre, M. Gonelle prenait contact avec l’Élysée. Et Edwy Plenel estime qu’au 21 décembre, les pouvoirs publics connaissaient en détail l’affaire Cahuzac, y compris le rôle d’Hervé Dreyfus et de la banque Reyl. Finalement, tout le monde était au courant, sauf le directeur de cabinet du ministre de l’économie et des finances ! C’est d’autant plus surprenant qu’Edwy Plenel nous a indiqué que les cabinets du Premier ministre et du Président de la République l’avaient approché le 26 décembre sur cette affaire. Pouvez-vous sérieusement affirmer que, pendant ce temps, vous n’aviez pas d’indices ou de doutes ?

Vous avez laissé l’administration fiscale agir, dites-vous. Mais est-il normal, dans un tel dossier et compte tenu des informations que vous aviez, de laisser se dérouler une enquête dont Edwy Plenel a dit qu’elle était en réalité biaisée ? On savait très bien que les questions posées conduiraient à blanchir Jérôme Cahuzac, et cela a failli fonctionner : l’article du Journal du dimanche concluait à l’absence de compte en Suisse.

Il était également possible, a dit M. Plenel, de demander à Jérôme Cahuzac d’interroger lui-même la partie suisse, de manière à obtenir une réponse qui aurait mis un terme à l’affaire dès le mois de décembre. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

N’est-il pas surprenant, enfin, que Jérôme Cahuzac signe lui-même l’instruction relative à la « muraille de Chine » ? N’appartenait-il pas à Pierre Moscovici de le faire ?

M. Rémy Rioux. Je maintiens que nous avons eu les bonnes réactions dans le bon calendrier. Nous avons obtenu la réponse des autorités suisses dans un délai très rapide : deux mois à peine après l’article initial de Mediapart et une semaine après la formulation de la demande. Dès lors que Jérôme Cahuzac affirmait et réaffirmait qu’il n’avait pas de compte en Suisse – le ministre lui-même indique qu’il lui a posé la question à de très nombreuses reprises –, la seule façon d’en avoir infirmation ou confirmation était bien cet acte auprès des autorités suisses.

L’administration fiscale a eu elle aussi les bonnes réactions, puisqu’elle a versé ses différents actes au dossier.

On peut toujours, a posteriori, affirmer que l’on aurait pu faire autrement et plus rapidement. Je ne le crois pas. À la fin du mois de décembre, je le répète, nous n’avions absolument pas l’information que Jérôme Cahuzac détenait un compte en Suisse. Croyez à ma bonne foi !

Quant à la « muraille de Chine », je ne vois pas où est le débat. Un mécanisme de déport est organisé pour des raisons déontologiques et le ministre délégué chargé du budget, qui a autorité hiérarchique sur l’administration fiscale et sur son cabinet, en donne lui-même l’instruction. Il en a été de même dans les précédents que les services ont conservés concernant des cas de ce genre. Il ne s’agit pas de retirer une compétence au ministère de l’économie et des finances, ce qui supposerait un décret signé du Premier ministre. Mais la « muraille de Chine », je peux en témoigner, a été effective à la date de la signature, et même dans les jours qui l’ont précédée.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous discuté avec votre homologue, la directrice de cabinet de M. Cahuzac, ou les ministres ont-ils discuté entre eux de cette instruction signée du seul Jérôme Cahuzac ?

M. Rémy Rioux. J’ai bien sûr le souvenir d’en avoir parlé avec Amélie Verdier. Ces mesures me paraissaient une évidence. Il fallait les prendre le plus rapidement possible. J’en ai ensuite tenu informé le ministre, qui, de la même façon, a considéré qu’il était évident de procéder au déport du ministre du budget.

M. le président Charles de Courson. M. Cahuzac était ministre délégué. Il est curieux que le ministre dont il dépend ne prenne pas lui-même la décision.

M. Rémy Rioux. C’était Jérôme Cahuzac qui était mis en cause. Il a de lui-même signé un document…

M. le président Charles de Courson. Cela ne vous choque pas ?

M. Rémy Rioux. Non. Ce qui m’aurait choqué, c’est que nous ne le fassions pas ou que nous mettions quinze jours à mettre en place les procédures. On a pris un acte extrêmement rapide…

M. le président Charles de Courson. « On », c’est en l’occurrence Jérôme Cahuzac, pas votre ministre. Pourquoi ?

M. Rémy Rioux. Le ministère des finances s’est mis en position de ne pas être en conflit d’intérêts sur les dossiers ayant trait, de près ou de loin, à la situation de Jérôme Cahuzac.

S’agissant de la banque Reyl, je vous invite à relire plume à la main, comme je l’ai fait, l’ensemble des articles qui mentionnent Dominique Reyl. Nous n’avions pas la matière pour interroger les autorités suisses sur un éventuel compte de Jérôme Cahuzac à la banque Reyl. Pour couvrir la question des intermédiaires, nous avons indiqué dans la demande que Jérôme Cahuzac pouvait être l’ayant droit économique du compte, ce qui voulait bien dire qu’il n’en était pas nécessairement le titulaire. C’est ainsi que nous avons couvert cette hypothèse. Mais cet élément n’était pas présent dans le débat public de manière extrêmement forte à ce moment-là.

M. le président Charles de Courson. Vos conseillers juridiques et fiscaux ici présents vous ont-ils mis en garde sur le fait que cette lettre risquait de n’avoir d’autre réponse que négative ? Dans les mécanismes de fraude, c’est le compte maître et non pas le sous-compte qui apparaît lorsque l’on interroge la banque, ou bien un compte détenu par une fondation domiciliée au Liechtenstein.

Monsieur Maïa, madame Grenet, connaissez-vous ces mécanismes ?

M. Jean Maïa. Je ne prétendrai pas les connaître parfaitement…

M. le président Charles de Courson. C’est pourtant votre métier.

M. Jean Maïa. Mon métier est de conseiller les ministres dans l’élaboration de la politique de lutte contre la fraude.

S’agissant du dossier de M. Cahuzac, je n’étais pas associé à la procédure, si bien que je n’ai pas alerté le directeur de cabinet en quoi que ce soit.

M. le président Charles de Courson. Le directeur ne vous a pas consulté sur les chances d’obtenir une réponse positive de la Confédération helvétique après l’avoir saisie en application de la convention ?

M. Jean Maïa. Cette question ne m’a pas été posée.

M. le président Charles de Courson. Qu’auriez-vous répondu si elle l’avait été ?

M. Jean Maïa. Il aurait fallu que j’approfondisse le sujet car je n’avais pas nécessairement la réponse immédiatement à l’esprit.

M. le président Charles de Courson. Alors que vous êtes spécialiste de la fraude !

Qu’en est-il pour vous, madame la conseillère fiscale ?

Mme Irène Grenet. La question tient à l’organisation même du cabinet. Comme on l’a indiqué, nous ne traitons pas des affaires particulières. En l’occurrence, une demande d’entraide administrative est une affaire particulière, ce qui explique que je n’aie même pas été informée qu’une telle demande était en cours. Les seules informations que j’ai eues étaient celles de la presse.

M. le président Charles de Courson. Et vous, monsieur le directeur, connaissez-vous un peu les mécanismes de fraude fiscale ?

M. Rémy Rioux. Je ne sais pas très bien quelle conception vous vous faites du fonctionnement du ministère, monsieur le président, et des relations entre le cabinet du ministre et les directions générales. L’expertise, la responsabilité, l’analyse des précédents dans nos échanges avec la Suisse, la façon de poser les questions, la connaissance précise des mécanismes de fraude fiscale se trouve essentiellement dans les services de la DGFiP en charge de ces missions. Le premier conseiller du ministre sur de tels sujets – et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé –, c’est le directeur général des finances publiques.

M. le président Charles de Courson. À quoi servent les cabinets, alors ? Vous avez deux spécialistes auprès de vous et vous ne les interrogez pas. Ne trouvez-vous pas cela étonnant ?

M. Rémy Rioux. Je le redis, il s’agissait d’un dossier individuel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous savez certainement que l’administration gère les précédents, monsieur le président !

M. le président Charles de Courson. Qu’il s’agisse d’un dossier individuel n’est pas la question. Avant de prendre une décision, on s’entoure de précautions, on interroge, etc.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ces questions trouveront naturellement leur place tout à l’heure, lorsque nous auditionnerons le directeur général des finances publiques.

M. Jean-Marc Germain. Mes questions concernent les règles applicables par l’administration quand la justice est saisie. Vous avez parlé de l’« équilibre » à trouver en la matière.

Quelles sont ces règles ? Avez-vous eu l’occasion d’éclairer le ministre – puisque, si j’ai bien compris, vous étiez son seul conseiller vis-à-vis de l’administration fiscale – sur l’opportunité de recourir à la demande d’entraide alors qu’une procédure judiciaire était en cours depuis le 8 janvier.

Il apparaît aussi que l’administration fiscale a respecté l’instruction donnée dès la mise en place du Gouvernement pour ce qui est des dossiers individuels. Le directeur général des finances publiques a utilisé les moyens de l’État pour rechercher des informations sans qu’il y ait, de votre part, des instructions en continu. J’aimerais avoir plus de précisions sur ce point.

A-t-on mis un terme à la « muraille de Chine » le 19 mars, date de la démission du ministre délégué ? La directrice de cabinet de M. Cazeneuve a-t-elle repris le dossier en main ? Continuerez-vous d’être informé ?

Avez-vous eu connaissance du dossier fiscal de M. Cahuzac une fois la « muraille de Chine » en place ? Y avait-il trace, dans ce dossier, d’une procédure dont on a fait état, à savoir la saisine de la direction régionale de Bordeaux sur l’information contenue dans l’enregistrement de M. Gonelle ?

Ce que je crois comprendre, finalement, c’est que M. Cahuzac a été ayant droit de Reyl qui avait un compte à l’UBS – puisque Reyl n’est devenu une banque qu’à partir de 2010. Vous avez interrogé les Suisses sur la période 2006-2013. Comment se fait-il qu’ils ne vous aient pas dit que, de 2006 à 2009, M. Cahuzac était ayant droit d’un compte de Reyl hébergé à l’UBS ? La question que vous aviez posée aurait dû induire cette réponse.

M. le président Charles de Courson. Commençons par la dernière question, qui est la plus importante.

M. Rémy Rioux. Je ne sais pas où en est l’instruction du dossier. Ce que je suppose, c’est que le compte n’était plus à l’UBS en 2006. Il avait déjà été transféré ailleurs. La réponse des autorités suisses est alors exacte.

M. le président Charles de Courson. Il semblerait que le transfert soit intervenu en 2009. Mais nous nous posons tous la même question: comment se fait-il que les autorités suisses répondent négativement et que, deux mois plus tard, Jérôme Cahuzac avoue qu’il avait bien un compte ? Quel mécanisme a joué ? Celui des « comptes maîtres » divisés en sous-comptes ? Celui de la détention du compte par le biais d’une fondation ? Les spécialistes de la fraude décrivent ces procédés. C’est bien pourquoi certains affirment dès l’envoi de la lettre que la réponse ne pourra être que négative.

M. Rémy Rioux. Je pense que l’instruction en cours établira ces éléments. Je vous ai fait part de ma propre conclusion, compte tenu des informations qui nous sont parvenues.

M. le président Charles de Courson. Mais comment expliquez-vous l’écart entre la réponse et la réalité,

M. Rémy Rioux. Pour ma part, je comprends que Jérôme Cahuzac n’avait plus de compte aux dates indiquées par les autorités suisses.

M. le président Charles de Courson. D’après ce qu’on lit dans la presse, il semble que ce ne soit pas l’explication.

M. Rémy Rioux. Ce débat nous renvoie à la question de l’équilibre entre procédure administrative et enquête judiciaire. Aucune règle n’interdit de prendre des actes administratifs dès lors qu’une procédure est confiée à la police judiciaire. Dans de nombreux cas, les mêmes faits ou les mêmes soupçons ont donné lieu concomitamment à différentes procédures. L’autorité administrative peut utiliser certains moyens juridiques dont ne dispose pas le juge, sachant que ce dernier, en revanche, dispose de moyens d’investigation, d’audition et de perquisition autrement puissants que ceux, en l’espèce, de l’administration fiscale.

Lorsqu’il existe une telle concomitance, la prudence est d’informer immédiatement la police judiciaire des résultats des démarches administratives. C’est ce que nous avons fait dès le lendemain de la réception de la réponse. La police judiciaire a fait l’usage qu’elle devait faire de cet élément, ses moyens d’investigation lui permettant d’aller plus loin.

L’autre aspect est la préservation de la confidentialité de ces informations.

J’en viens au sujet de la position du cabinet par rapport à l’administration fiscale. Là encore, c’est une question d’équilibre. J’ai entendu, notamment la semaine dernière, que le ministre et son cabinet avaient « manipulé » l’administration fiscale. Je crois vous avoir montré ce matin que nous l’avons au contraire laissée travailler et développer ses analyses et ses procédures. Il me semble que nous avons trouvé la bonne distance, s’agissant d’un dossier fiscal aussi sensible.

Après la démission de Jérôme Cahuzac le 19 mars, la muraille de Chine, de fait, n’existe plus. Depuis lors, le ministre, l’administration fiscale et moi-même avons conservé la gestion et le suivi du dossier, compte tenu des attaques qui ont été lancées et des très nombreuses réponses que nous avons dû apporter depuis les aveux de Jérôme Cahuzac le 2 avril.

M. Jean-Marc Germain. La procédure engagée en 2001 figure-t-elle dans le dossier fiscal de M. Cahuzac ?

M. Rémy Rioux. Je n’en ai pas connaissance.

M. le président Charles de Courson. Les notes relatives à l’entretien entre Jérôme Cahuzac et l’inspecteur des impôts Rémy Garnier sont passées entre vos mains mais vous n’y avez pas prêté attention, avez-vous dit.

M. Rémy Rioux. Elles ne mentionnent pas cet élément, comme Mme Verdier vous l’a indiqué la semaine dernière.

M. le président Charles de Courson. Nous avons pour notre part le document de Rémy Garnier, que je tiens à la disposition des membres de la commission d’enquête : il y a presque une page sur le sujet.

M. Jean-Pierre Gorges. D’après Mediapart, est à l’origine du dossier Cahuzac la façon étrange dont celui-ci, à peine nommé, donne un blanc-seing à la procédure qui a permis la vente de l’hippodrome de Compiègne. Cela a attiré l’attention de cet organe de presse qui s’est mis à tirer la pelote. On se demande même s’il ne s’agissait pas là d’un renvoi d’ascenseur entre ministres détenant des informations.

M. Woerth a indiqué qu’il avait eu communication d’une liste de 3 000 noms de personnes qui détenaient des comptes en Suisse. La façon dont il se l’était procurée avait soulevé un débat mais il existe des éléments, à Bercy, qui retracent cette liste.

Lorsque vous êtes arrivé aux commandes, avez-vous pris connaissance de ces éléments ? Pensez-vous que M. Woerth, lorsqu’il a été question de cette liste, était au courant que M. Cahuzac détenait un compte à l’étranger ?

Avez-vous des informations sur la gestion précédente ? Estimez-vous que les ministres du budget précédents pouvaient être au courant ?

Par ailleurs, estimez-vous plausible que l’on ouvre un compte en Suisse pour 600 000 euros et qu’on le garde ainsi pendant vingt ans ? Selon M. Arfi de Mediapart, ce n’est que le début d’une affaire plus complexe qui conduit à s’interroger sur l’origine de cet argent plutôt que sur la procédure. On parle de laboratoires pharmaceutiques. M. Gonelle a affirmé différentes choses concernant 2001. Bref, pour éviter que les commissions d’enquête ne se multiplient, j’aimerais savoir ici quelles procédures vous avez engagées.

M. le président Charles de Courson. Je rappelle que cette question est hors du champ de notre commission d’enquête.

M. Rémy Rioux. Nous sommes en effet dans le champ couvert par le secret de l’instruction.

M. Jean-Pierre Gorges. Vous donnez l’impression que l’on n’enquête qu’à partir du 4 décembre. Mais il est intéressant pour nous de savoir si, au moment de votre installation au ministère, vous prenez connaissance de questions fiscales soulevées en 2008 et en 2009.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je comprends votre démarche, mais je rappelle que notre commission d’enquête a pour objet d’établir d’éventuels dysfonctionnements du Gouvernement ou de l’appareil d’État entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013.

M. Jean-Pierre Gorges. Ce qui se passe avant peut expliquer les agissements au cours de la période concernée.

M. le président Charles de Courson. Vous posez en réalité de nombreuses questions. La première, si je comprends bien, concerne d’éventuels liens entre Éric Woerth et Jérôme Cahuzac.

M. Jean-Pierre Gorges. Ma question est très précise : au moment de l’installation du nouveau Gouvernement, récupère-t-on les éléments des ministères précédents ? La liste des 3 000 noms a défrayé la chronique. Comprend-elle le nom de M. Cahuzac ?

M. le président Charles de Courson. Je rappelle qu’il s’agissait de comptes ouverts à HSBC.

M. Jean-Pierre Gorges. Peu importe.

M. le président Charles de Courson. Êtes-vous au courant de cette fameuse liste dite « Falciani » monsieur le directeur ?

M. Rémy Rioux. Bien sûr. Mais avant le 4 décembre, je le répète, le ministre et son cabinet n’avaient aucune information sur l’éventuelle détention d’un compte en Suisse par Jérôme Cahuzac.

M. le président Charles de Courson. Permettez-moi de rappeler l’affaire : un informaticien à HSBC a livré le nom de 40 000 détenteurs de compte dans cette banque en Suisse mais il n’a jamais été fait état d’un compte de Jérôme Cahuzac à HSBC.

M. Rémy Rioux. Votre rapporteur général a eu connaissance de cette liste, qui a fait l’objet de procédures de l’administration fiscale.

Permettez-moi de préciser qu’un membre de cabinet, lorsqu’il prend ses fonctions, ne trouve pas une seule feuille de papier dans le bureau où il entre. Les dossiers sont dans les services et ils y sont bien traités, y compris le dossier HSBC.

M. le président Charles de Courson. J’en conclus que la réponse est non.

M. Rémy Rioux. Bien sûr.

S’agissant de l’hippodrome de Compiègne, je suis un peu gêné pour répondre car des instructions sont en cours devant plusieurs juridictions. En avril 2012 est parvenue une demande d’annulation de l’arrêté du 16 mars 2010 autorisant la cession de l’hippodrome, émanant du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel. Il était prévu que Jérôme Cahuzac, dont la délégation comprenait ce secteur, se prononce, mais on a décidé de désigner un expert pour apporter des éléments objectifs.

M. le président Charles de Courson. Le tribunal administratif de Paris se prononcera très prochainement. Laissons la justice opérer !

Mme Cécile Untermaier. Contrairement à ce que nous avons entendu lors de l’audition de M. Plenel et à ce que nous avons lu dans la presse, la question posée par l’administration à la Suisse est une question ouverte qui permet une réponse.

Pour ma part, je voudrais savoir quel était l’état d’esprit du cabinet à partir du 4 décembre, compte tenu de la pression médiatique. Quel était l’état d’esprit de chacun d’entre vous dans la période qui s’est écoulée depuis la parution de l’article de Mediapart jusqu’à la demande faite par Pierre Moscovici aux autorités suisses ?

M. Rémy Rioux. Je confirme que nous avons posé la question la plus large possible eu égard aux informations dont l’administration fiscale disposait et aux contraintes juridiques fortes qui encadrent notre coopération avec la Suisse en la matière. S’il existait un transfert automatique, nous ne serions pas dans cette situation – d’où les travaux de votre Assemblée et de l’exécutif sur ce point.

Pour qualifier notre état d’esprit, on peut parler de surprise ou de sidération face à ce qu’on hésitait, à l’époque, à qualifier d’information. Aucun élément préalable ne nous permettait d’imaginer que cet article allait sortir. Il nous a fallu par la suite, comme l’a dit le ministre, trouver un équilibre entre la confiance indispensable au travail quotidien d’une équipe ministérielle – nous avons d’ailleurs mené ensemble beaucoup de travaux avec les assemblées – et le « doute méthodique » nécessaire à la manifestation de la vérité.

Mme Irène Grenet. Les conseillers n’ont pas eu connaissance de la demande d’entraide administrative de Pierre Moscovici. Pour nous, donc, la période s’achève à la date des aveux de Jérôme Cahuzac, le 2 avril. M. Rioux a bien décrit notre état d’esprit. Lors d’une réunion exceptionnelle, la directrice de cabinet de Jérôme Cahuzac, tout en nous laissant nous forger notre propre opinion, nous avait demandé de poursuivre notre travail de la manière la plus sereine qui soit. C’est ce que nous avons fait jusqu’au 2 avril.

M. Jean Maïa. Je le confirme. Le travail de cabinet étant, comme l’a écrit Olivier Schrameck, un travail de conscience, un élément important pour moi est que le travail sur la lutte contre la fraude n’a été en rien interrompu durant cette période.

Mme Marie-Christine Dalloz. Êtes-vous, monsieur Rioux, à l’origine du document remis à Jérôme Cahuzac pour préparer sa rencontre avec Rémy Garnier ?

M. le président Charles de Courson. La directrice de cabinet de Jérôme Cahuzac a indiqué que la note préparée par les services en vue de cet entretien a seulement transité chez M. Rioux.

Mme Marie-Christine Dalloz. Quoi qu’il en soit, l’administration française a une mémoire dont j’ai souvent constaté l’efficacité. Comment se fait-il, dès lors, qu’il n’y ait rien au sujet de Rémy Garnier, qui a lui-même constitué un dossier sur Jérôme Cahuzac ?

M. Rémy Rioux. Sauf erreur de ma part, l’entretien a eu lieu en octobre, donc avant les révélations. Pour ma part, je n’ai aucune information sur Rémy Garnier – que je ne connais pas. La note de la DGFiP ne contient aucun élément d’alerte.

Mme Marie-Christine Dalloz. Confirmez-vous qu’elle ne contient rien sur les révélations de Rémy Garnier ?

M. Rémy Rioux. Oui. Les documents sont à votre disposition

M. le président Charles de Courson. La directrice de cabinet de Jérôme Cahuzac nous a transmis le document de la direction du contrôle fiscal Sud-Ouest en date du 11 juin 2008, dans lequel il est fait état de la possibilité de l’existence d’un compte en Suisse. Vous n’avez donc pas eu connaissance de ce document et la note, d’après vos souvenirs, ne reprenait pas ces éléments ?

M. Rémy Rioux. Absolument.

M. Alain Claeys, rapporteur. Étant donné la nature de ce document, où il y a tous les éléments, notre commission d’enquête devrait auditionner M. Rémy Garnier.

Mme Marie-Christine Dalloz. S’agissant maintenant de la « muraille de Chine », vous avez indiqué qu’« il fallait déporter » le ministre délégué chargé du budget. Mais, dans le dispositif adopté, non seulement le ministre délégué se déporte lui-même sans intervention de son ministre de tutelle, mais il déporte, en quelque sorte, son ministre de tutelle puisqu’il vous désigne comme interlocuteur privilégié sur ce dossier. C’est à dessein que je pousse les choses à l’extrême, car la lecture du dernier paragraphe est pour le moins surprenante !

M. Rémy Rioux. Permettez-moi de citer ledit paragraphe : « Tout dossier, s’il nécessite d’être porté à la connaissance du ministre, sera directement soumis au ministre de l’économie et des finances par l’intermédiaire de son directeur de cabinet. » C’est la pratique courante : tous les services envoient leurs notes au directeur de cabinet et celui-ci en informe le ministre.

M. Hervé Morin. L’objet de notre commission est de chercher les éventuelles interactions entre les cabinets ou le pouvoir politique et l’action de l’administration. En somme, vous nous expliquez que vous n’avez rien fait jusqu’au 14 janvier. Alors que l’affaire prend une ampleur considérable et met le Gouvernement en grande difficulté, vous ne prenez quasiment aucune décision, aucun acte directif vis-à-vis de votre administration. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir plutôt péché par omission ?

M. Rémy Rioux. Je n’ai pas du tout ce sentiment. La semaine dernière, on nous a accusés d’avoir manipulé l’administration fiscale ; aujourd’hui, on nous accuse d’avoir péché par omission. Compte tenu de ces deux accusations, j’ai la faiblesse de penser que nous étions peut-être sur le bon chemin.

Sous l’autorité du ministre, l’administration fiscale a fait les diligences nécessaires. Et, lorsque nous avons eu besoin d’une intervention pour obtenir une réponse de la part des autorités suisses, le ministre a fait les démarches nécessaires. La réponse – quels que soient ses défauts – est arrivée dans un délai très rapide. Je n’ai donc le sentiment ni d’avoir mal agi, ni d’avoir mal travaillé, ni d’avoir manipulé qui que ce soit, ni d’avoir péché par omission.

M. le président Charles de Courson. Je vous remercie.