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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 28 mai 2013

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Bézard, directeur général des finances publiques, accompagné de M. Bastien Llorca, sous-directeur du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques, et de M. Gradzig El Karoui, chef de la mission affaires fiscales et pénales

M. le président Charles de Courson. Nous commençons une série d’auditions de responsables de la direction générale des finances publiques (DGFiP) en recevant son directeur général, M. Bruno Bézard, qui a souhaité se faire accompagner de M. Bastien Llorca, sous-directeur du contrôle fiscal, et de M. Gradzig El Karoui, chef de la mission affaires fiscales et pénales.

Cette commission d’enquête a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de « l’affaire Cahuzac ». Les différentes initiatives prises par le ministère de l’économie et des finances entre la publication du premier article relatif à cette affaire, le 4 décembre 2012, et les aveux de Jérôme Cahuzac, le 2 avril 2013, nous intéressent donc tout particulièrement. Étant donné son champ de compétence, la DGFiP a visiblement joué pendant cette période un rôle important, que votre témoignage nous permettra de mieux comprendre.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie de bien vouloir chacun à votre tour lever la main droite et dire « je le jure ».

(M. Bruno Bézard, M. Bastien Llorca et M. Gradzig El Karoui prêtent successivement serment.)

Pourriez-vous nous exposer pour commencer les actions qui ont été les vôtres depuis le 4 décembre 2012 et nous préciser la nature des informations dont vous disposiez ?

M. Bruno Bézard, directeur général des finances publiques. Il est devenu habituel, lors d’une audition, de commencer en affirmant que l’on est heureux d’être là : jamais je ne l’aurai pensé aussi fort qu’aujourd’hui. Nous vivons en effet une époque formidable où il est possible de tout dire sans nul besoin de connaître la matière – bien au contraire ! – et sans aucune limite : ainsi ceux qui n’avaient encore jamais vu de demande d’assistance administrative internationale dissertent-ils sur les plateaux de télévision sur la façon dont elles doivent être rédigées. Ceux qui n’avaient jamais vu auparavant de dossier de contrôle fiscal expliquent avec autorité la façon dont les formulaires doivent être remplis et le sens d’un délai non contraignant. On m’invente des missions secrètes en Suisse. J’ai même appris, il y a quelques jours, que j’avais fait pilonner les 38 millions de documents, signés par les ministres de l’économie et du budget, qui accompagnent habituellement les déclarations de revenus pour expliquer aux contribuables le sens de l’impôt, ce parce qu’ils portaient le nom de M. Jérôme Cahuzac : intéressant lorsqu’on sait que j’ai moi-même fait demander aux ministres de renoncer à cet envoi, en faisant valoir que ces lettres ne sont jamais lues et dans un souci d’économie !

Voilà quelques exemples de ce que l’on peut lire aujourd’hui dans la presse. Pour résumer : ceux qui ne savent pas parlent tandis que ceux qui savent ne peuvent pas parler, liés qu’ils sont par le secret fiscal et par la tradition peut-être excessive de silence de l’administration. Celle-ci perd ainsi toutes les batailles de communication parce qu’elle se refuse à les livrer – étant entravée par le secret professionnel. C’est pourquoi, après avoir refusé toutes les sollicitations médiatiques – fort pressantes depuis quelques semaines –, je suis vraiment heureux de pouvoir m’exprimer dans la seule enceinte qui me paraisse appropriée – devant la représentation nationale – et, non pas d’être délié du secret fiscal dans une audition qui est publique, mais d’avoir, comme les textes le prévoient, la possibilité et même le devoir de répondre aux questions du rapporteur et de lui transmettre des documents.

Cela fait aujourd’hui exactement vingt-cinq ans que je me consacre avec énergie et passion au service de l’État. J’ai choisi cette voie, dont je n’ai jamais dévié, car ce choix est avant tout celui de l’éthique et de la rigueur au service du pays et celui du respect d’une seule boussole, celle de l’éthique et de la déontologie – quelles que soient la situation, les injonctions ou les sollicitations « amicales ». Il m’est donc assez insupportable d’entendre répéter – parfois par incompétence, par mauvaise information ou pour alimenter des jeux politiques – que l’administration dont j’ai pris la responsabilité le 5 août dernier n’aurait pas fait son travail, soit par inertie, soit parce qu’elle était placée sous la responsabilité de M. Cahuzac – pour voler, donc, à son secours –, soit pour toute autre raison. De tels propos sont intolérables à double titre : premièrement, parce que si l’on ne parle guère des 115 000 agents dont je suis responsable, ils sont pourtant les premières victimes de l’affaire Cahuzac. Compte tenu de la culture de loyauté qui est celle de Bercy, ils viennent en effet de subir un choc psychologique majeur et sont aujourd’hui l’objet des invectives de contribuables en difficulté leur opposant le très mauvais exemple du ministre du budget de l’époque, alors en charge de la lutte contre la fraude. Et deuxièmement, parce que ces suggestions, insinuations et affirmations sont totalement contredites par les faits, dès lors que l’on accepte de faire l’effort intellectuel de se replacer dans la situation qui prévalait entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013 et de consulter les documents existants.

La vérité est que mon équipe, spécialement M. Gardette que vous allez entendre, et moi-même nous sommes totalement mobilisés sur ce dossier depuis le début avec comme obsession absolue de faire en sorte que l’administration fiscale ne puisse à aucun moment se voir reprocher soit de ne pas avoir effectué son travail, soit de l’avoir effectué de façon non conforme à l’éthique républicaine. Ce point n’a cessé d’être au cœur de notre démarche. Et chaque fois que l’on m’a proposé une action ou que j’en ai moi-même suggéré une, j’ai systématiquement demandé que l’on me confirme sa totale conformité à la pratique suivie pour tout autre contribuable.

En outre, dès le premier jour, j’ai précisément veillé à ce que l’on ne puisse jamais accuser la DGFiP d’avoir été instrumentalisée ou d’avoir participé à une instrumentalisation. J’entends depuis plusieurs semaines que la DGFiP aurait été instrumentalisée par le pouvoir politique. Or j’affirme solennellement et sous serment que jamais cela n’a été le cas : il n’est pas vraiment dans mes habitudes d’accepter d’amicales pressions, voire de me faire instrumentaliser, sans m’en apercevoir. Je crois faire partie de cette école de la fonction publique qui considère que le devoir de loyauté cesse lorsque la légalité ou l’éthique s’interpose. D’autres dossiers d’actualité bien connus illustrent ma capacité à dire non lorsque je l’estime nécessaire – on me fait plutôt le reproche d’une rigidité osseuse excessive, mais je considère qu’un haut fonctionnaire doit disposer d’une colonne vertébrale ! Je mets donc au défi quiconque de démontrer une instrumentalisation de la DGFiP, pour la simple et bonne raison que du 4 décembre 2012 au 2 avril 2013, mais aussi après, je n’ai cessé un seul instant de penser que mon rôle et mon honneur étaient de l’éviter.

J’ai également entendu dire, tantôt que notre demande d’assistance administrative avait été trop tardive, tantôt qu’elle avait été trop précoce, que nous aurions dû la formuler de manière encore plus large, mais en même temps qu’elle n’était pas nécessairement compatible avec l’existence d’une enquête judiciaire, ou encore qu’elle était trop large ou trop restreinte parce qu’elle relevait à l’évidence de la volonté de « sauver le soldat Cahuzac ». J’ai même entendu dire de la part de commentateurs qui ne l’avaient jamais lue qu’elle était mal rédigée, que la question posée était de mauvaise foi ou que nous en connaissions déjà la réponse lorsque nous l’avons posée. La seule chose que je n’ai pas encore entendue – mais cela ne saurait tarder –, c’est que M. Cahuzac lui-même l’aurait rédigée à la place de mes collaborateurs. On nous a même reproché le caractère secret de cette demande d’assistance administrative – comme si le secret fiscal n’existait pas en France.

En réalité, mon équipe et moi-même avons précisément étudié la façon d’utiliser cet outil – imparfait mais néanmoins utile – dans le respect d’un droit conventionnel contraignant et obtenu de couvrir la période temporelle la plus large possible, puisque nous sommes remontés jusqu’au 1er janvier 2006, en nous appuyant sur l’argument de la prescription en France qui n’avait aucune conséquence juridique dans une relation bilatérale. Nous avons également visé les ayants droit économiques de M. Cahuzac : il n’est donc pas de demande d’assistance administrative plus large que celle-là, cela n’existe pas. Et bien que la simple lecture des statistiques montre à quel point le bilan de notre relation administrative avec la Suisse est peu satisfaisant, c’est dans un délai sans précédent, de sept jours, que nous avons obtenu la réponse à notre demande.

De fait, lorsque nous avons étudié la possibilité de requérir l’assistance administrative de la Suisse, la première réaction de nos équipes a été le scepticisme quant à notre capacité d’obtenir une réponse, compte tenu de la pratique de la Suisse et du caractère peu documenté de notre demande – nous ne disposions en effet à l’époque d’aucun autre élément que les allégations de Mediapart. Nous nous sommes néanmoins donné le maximum de chances d’y parvenir, c'est-à-dire obtenir une réponse quelle qu’elle soit : j’ai notamment provoqué un appel du ministre Pierre Moscovici à son homologue suisse, Mme Eveline Widmer-Schlumpf. M. Gardette et moi-même avons également eu deux conversations avec nos homologues – M. Tanner, directeur de l’administration fiscale, et son responsable des relations internationales, M. Alexandre Dumas – afin de les prier de traiter cette demande avec le plus de diligence possible, et de remonter le plus possible dans le temps. Nous avons ainsi obtenu qu’ils remontent au 1er janvier 2006, au lieu du 1er janvier 2010 alors qu’ils n’étaient tenus par aucune obligation juridique.

J’ai reçu cette réponse par courriel le 31 janvier dans l’après-midi et ne l’ai communiquée dès le lendemain matin qu’à une seule personne d’une seule institution : le service de police judiciaire conduisant l’enquête : la division nationale des investigations financières (DNIF). J’en ai en outre immédiatement informé Pierre Moscovici, à qui je n’ai toutefois pas communiqué le document et qui ne me l’avait d’ailleurs pas demandé. Je communiquerai à votre rapporteur la demande d’assistance que nous avons adressée à la Suisse ainsi que la réponse précise que nous avons obtenue.

On nous demande également pourquoi notre interrogation n’a porté que sur UBS : mais parce que c’était là le seul et unique sujet en cause au moment de notre demande d’assistance ! L’accusation portée par Mediapart, qui l’a répétée quelques jours avant l’envoi de notre demande à la Suisse, et même encore après réception de la réponse, ne faisait état que d’un compte chez UBS, fermé puis transféré à Singapour en 2010. Jamais un compte dans une autre banque n’a été mentionné dans cette période, c'est-à-dire avant l’envoi de la demande d’assistance, le 24 janvier.

Certains réécrivent l’histoire en soutenant que la simple mention, dans quelques articles, de personnes physiques, MM. Dreyfus et Reyl, gravitant autour de M. Cahuzac – tout comme de quelques autres résidents fiscaux français – valait affirmation nouvelle, selon laquelle le compte en question se serait trouvé, non pas chez UBS, mais à l’établissement Reyl. Or cela est inexact ! Il suffit pour s’en rendre compte de relire les articles publiés à l’époque.

Notre demande d’assistance administrative a porté sur une période de temps commençant bien avant janvier 2010 : nous avons voulu remonter en deçà de cette date, à laquelle nous aurions pu nous tenir, pour « capturer plus large ». Et si nous avions eu connaissance à la mi-janvier de l’implication d’un autre établissement bancaire, nous aurions bien évidemment également interrogé les Suisses sur celui-ci, étant entendu que, comme nous l’avons amplement démontré au cours de longs débats avec les présidents des commissions des finances de votre assemblée ainsi que du Sénat – et comme cela a d’ailleurs été confirmé par le gouvernement suisse – , nous ne pouvions formuler d’interrogation générale : il nous fallait spécifier le nom de la banque concernée.

Si nous n’avons pas interrogé Singapour, c’est que le point que nous souhaitions vérifier était l’existence d’un transfert d’UBS vers cet État, en 2010. La demande que nous avons adressée à la Suisse couvrait tout transfert d’UBS vers tout autre pays, ce sur une période infiniment plus large – allant du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2012 – que celle mentionnée par la presse dans ses allégations. Et si nous avons pu obtenir une réponse portant sur ces sept exercices, au lieu de trois comme le prévoit la convention fiscale qui nous lie à la Suisse, c’est parce que nous avons insisté !

Pouvions-nous adresser une demande de coopération administrative alors même que la justice était saisie ? Oui, bien sûr ! Rien ne s’oppose, et c’est heureux, à ce que l’administration fiscale poursuive son travail pendant une enquête préliminaire. Il peut d’ailleurs arriver, même lorsqu’une information judiciaire est ouverte et qu’un juge d’instruction est désigné, que nous adressions ce type de demande d’entraide administrative en étroite articulation avec le juge ou à sa demande, en vertu du principe de spécialité selon lequel on distingue le canal fiscal du canal judiciaire. Nous avons en revanche estimé devoir transmettre immédiatement à la justice – et à elle seule – le texte de la réponse suisse, dès que nous l’avons reçue. Nous avons d’ailleurs travaillé depuis le début à livre totalement ouvert avec la justice, et en particulier avec le service de police judiciaire de la DNIF en charge de l’enquête préliminaire, auquel nous avons donné accès, dès sa demande à la mi-janvier – soit au tout début de l’enquête préliminaire –, à l’intégralité du dossier de M. Cahuzac depuis plus de vingt ans.

Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais vous dire exactement comment les choses se sont déroulées et vous préciser quelles ont été notre philosophie et notre règle de conduite depuis le début.

C’est le 4 décembre dernier, lorsque l’article de Mediapart a été publié, que j’ai entendu pour la première fois une allégation concernant M. Cahuzac. Consternation. Incrédulité. Très vite, la quasi-totalité de la classe politique et des médias prend la défense de l’intéressé, critique les méthodes d’investigation de Mediapart et estime que les allégations sont infondées et diffamatoires. J’ai le souvenir d’un imitateur de talent parodiant cet événement en produisant un enregistrement inaudible dans lequel on ne saisissait que le mot « aéroport » et en déduisant dans l’hilarité générale que M. Cahuzac était responsable des attentats du 11 septembre !

Ce même 4 décembre, M. Cahuzac affirme à son cabinet et à son administration que de telles accusations sont totalement infondées et diffamatoires. Je ne rappellerai pas ici les termes utilisés par l’intéressé pour qualifier le journal en question. Le lendemain, devant la représentation nationale, il nie solennellement et avec force avoir jamais eu un compte à l’étranger. Nous sommes donc tous consternés et choqués par ces accusations à l’égard d’un responsable politique, par ailleurs encensé sur tous les bancs, qui hurle son innocence – et qui, accessoirement, est mon supérieur hiérarchique direct. Oui, mais ! Ma vie en général et ma carrière au service de l’État m’ont cependant appris que l’impensable ne peut jamais être totalement exclu, si choquant soit-il. C’est pourquoi je me dis immédiatement, le 5 décembre, que le rôle précis de la DGFiP sera évidemment un sujet de débat public dans cette affaire et qu’il nous faut donc faire preuve d’exemplarité et documenter dès le début toute notre action.

Le 5 décembre, je décide de demander le déport de M. Cahuzac de tout sujet pouvant le concerner personnellement – mon souhait étant d’éliminer le conflit d’intérêts potentiel entre un ministre, responsable hiérarchique de l’administration fiscale, et le contribuable faisant potentiellement l’objet d’investigations de la part de cette même administration. Cela nous conduit à aborder la question de la « muraille de Chine ». Le même jour, j’annule tous mes engagements et je me mets personnellement à la rédaction d’une note écartant le ministre Cahuzac, non seulement du traitement de ce qui devenait « l’affaire Cahuzac » mais aussi de toute information relative au traitement d’un dossier a priori sans lien mais dont le point commun est le nom d’une banque – UBS. Et si nous avions disposé d’informations concernant une autre banque au cours de cette période, je l’y aurais ajoutée. Discutant de cette note avec la directrice juridique du ministère – qui a elle-même eu à gérer quelques affaires complexes liées à la prévention des conflits d’intérêts –, nous tombons d’accord sur une rédaction.

Le 6 décembre, j’indique aux deux directeurs de cabinet que je considère comme tout à fait indispensable d’ériger cette « muraille de Chine » afin de pouvoir travailler dans des conditions incontestables. Une administration est au service de l’État et non de personnalités politiques. Au terme de quelques échanges, le principe est retenu, le texte quasiment inchangé est finalisé à ma demande le 7 décembre au cours d’une réunion chez la directrice de cabinet de M. Cahuzac, en présence de la directrice des affaires juridiques et de moi-même. Ce texte me revient alors formellement signé le 10 décembre.

En vingt-cinq ans de carrière, et après avoir eu à traiter des dossiers parfois fort délicats, c’est la première fois que j’ai estimé devoir écarter mon patron direct d’un dossier le concernant, alors même qu’il venait la veille de réaffirmer son innocence. Peut-être pourrait-on considérer que cela ressemble davantage à de l’audace, voire à du courage, qu’à une attitude servile ou à celle de quelqu’un prompt à se laisser manipuler. Je vous invite, Mesdames et Messieurs, à trouver des déclarations, émises entre le 4 et le 10 décembre, allant dans le sens des accusations de Mediapart : vous n’en trouverez guère. Et pourtant nous avons fait tout ce que je viens de dire.

Des questions ont été posées quant au principe et à la forme de la « muraille de Chine ». Je réaffirmerai tout d’abord que c’est moi qui en ai pris l’initiative et qui ai utilisé cette dénomination. Il s’agit en effet d’une procédure très classique dans toutes les entreprises et organisations où se pose ce type de problèmes – comme j’en ai fait l’expérience lorsque j’ai eu la responsabilité d’entreprises publiques : un responsable pouvant se trouver dans une situation de conflit d’intérêts ponctuelle ou plus longue se déporte alors au profit d’une autre personne. Dans la forme, il ne s’agit jamais d’un retrait de délégation à l’initiative d’une autorité supérieure, mais d’un acte individuel de déport au profit d’une personne désignée, signé par la personne concernée par le conflit d’intérêts – et en l’occurrence, fortement suggéré par son directeur général des finances publiques.

Enfin, je ne vois guère en quoi la brièveté du texte en réduirait la portée. Je pense en général que la force des propos est inversement proportionnelle à leur volume. Votre président ayant relevé que la véritable muraille de Chine a souvent été contournée – ce qui est historiquement exact –, je peux témoigner devant vous qu’après le passage furtif de tel ou tel éclaireur, je n’ai pas vu d’envahisseur mongol s’aventurer près de cette construction, qui a donc tenu.

Cependant, ce 10 décembre, tout Paris, à quelques exceptions près, croit encore à l’innocence de M. Cahuzac…

Que faisons-nous, pourtant ? Le 14 décembre, à la demande de notre administration centrale, la direction régionale des finances publiques de Paris adresse une demande formelle portant en langage fiscal le nom de « 754 » à M. Cahuzac : il s’agit pour lui, non pas du tout de nous confirmer qu’il n’a pas de compte à l’étranger, mais de bien vouloir nous fournir toutes les informations nécessaires, et notamment les avoirs, sur le ou les comptes qu’il détiendrait ou aurait détenus à l’étranger. J’ai entendu dire à tort que nous avions demandé à M. Cahuzac, comme à tous les ministres, de nous confirmer dans un délai impératif de trente jours qu’il n’avait pas de compte en Suisse : c’est totalement inexact. D’abord, cette requête fut limitée à M. Cahuzac, dans le cadre d’une procédure dite « procédure 754 », par laquelle nous lui avons demandé de nous donner toutes les informations possibles sur ce compte, et non pas de nous confirmer qu’il n’en avait pas ! La différence est majeure. Je fournirai ce document à votre rapporteur à l’issue de cette audition.

Cette procédure n’a rien à voir avec le processus d’examen de la situation fiscale de l’ensemble des membres du Gouvernement : il s’agit là, je le répète, d’une demande spécifique adressée au seul Jérôme Cahuzac. D’ailleurs, entre nous, afin de préserver la muraille de Chine, nous appelions celui-ci « le contribuable concerné », et non plus « le ministre », sur ces sujets-là. Nous lui avons adressé cette demande en ne disposant que d’éléments très limités : à savoir l’article de Mediapart, sans aucun autre élément de documentation. Ce fut la première fois dans l’histoire de l’administration fiscale – nous avons estimé que l’importance du sujet le justifiait – que l’on envoyait un formulaire 754 sur le fondement d’un dossier aussi peu étayé.

Une telle demande était une pièce de procédure nous permettant ensuite de passer à l’étape suivante – celle de l’assistance administrative avec la Suisse – car il nous fallait d’abord épuiser les voies internes.

Le vendredi 21 décembre, Mediapart titre en page 3 : « L’administration fiscale enquête sur son propre ministre », expliquant que la direction régionale des finances publiques de Paris enquête depuis quelques jours sur les déclarations d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) de M. Cahuzac – sous-entendant qu’en sus des révélations sur un compte éventuel en Suisse, nous aurions par ailleurs déclenché un contrôle fiscal de M. Cahuzac. Souhaitant rectifier les faits, nous publions le lendemain, soit le samedi 22 décembre, en fin de soirée, les termes précis de notre intervention, indiquant : « Aucun contrôle ou enquête n’est en cours à l’encontre d’un membre du Gouvernement. Comme c’est l’usage pour chaque nouveau Gouvernement, la DGFiP procède à un examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement. C’est cette procédure qui est en cours et qui vise à assurer que la situation de chacun des membres du Gouvernement est irréprochable et exemplaire. » Cela est parfaitement exact et tout à fait incontestable. Nous ne nions aucunement que des investigations soient en cours sur la personne de M. Cahuzac, comme d’ailleurs sur d’autres membres du Gouvernement. Mais il ne s’agit juridiquement et techniquement ni d’une enquête ni d’un contrôle – notions qui correspondent à des procédures de droit fiscal bien précises puisque encadrées par le livre des procédures fiscales. Mediapart semble très frappé par cette mise au point puisque le journal publie dès le lendemain un nouvel article et M. Edwy Plenel lors de son audition de mardi dernier évoque ce sujet à cinq reprises. Y est sous-entendu que la DGFiP aurait été instrumentalisée pour voler au secours de son ministre, qu’elle est tellement peu fière de son texte qu’elle l’a publié nuitamment et qu’elle a évité la voie formelle d’un communiqué en dictant des mots à des agences afin d’éviter toute traçabilité. Tout cela est absolument faux, si ce n’est le fait que nous ayons travaillé tard ce samedi 22 décembre. Nous n’avons rien dicté oralement à des agences mais envoyé un courriel, que je vous remets. C’était donc parfaitement traçable. Le texte que nous avons publié est parfaitement exact techniquement. Nous y affirmons clairement que des travaux sont effectivement en cours sur la situation fiscale de certains membres du Gouvernement. Cela est bien normal puisqu’il s’agit là de la procédure générique d’examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement. Ce communiqué ne « noie » donc absolument pas « le poisson » ! Au contraire, il réaffirme que cette procédure est en cours et je vous rappelle qu’elle ne portait pas que sur M. Cahuzac.

Je reviens à présent sur la date du 14 janvier, qui a pris une importance extraordinaire depuis quelques semaines. Si l’on en parle, c’est parce qu’elle se situe trente jours après la date d’envoi du formulaire 754 à Jérôme Cahuzac. Il nous a été demandé indirectement quelles conclusions nous tirions de l’absence de réponse de sa part. Or, celui-ci venant devant la représentation nationale et sur tous les plateaux de télévision de confirmer avec force, « les yeux dans les yeux », « en bloc et en détail », que ces allégations étaient mensongères, imaginez-vous une seule seconde que nous nous attendions à ce qu’il envoie à son centre des impôts un document indiquant qu’il s’était trompé devant l’Assemblée nationale et qu’il possédait bel et bien des comptes en Suisse ? Le délai de trente jours mentionné dans ce formulaire n’étant absolument pas contraignant – il mentionne même « si possible », l’administration ne peut, s’il n’est pas respecté, en tirer de conséquences juridiques sous forme d’une taxation d’office – contrairement à ce qui se passe habituellement en l’absence de réponse d’un contribuable. Il ne se passe donc strictement rien le 14 janvier. Et je n’en parle même pas au ministre, à qui je n’ai d’ailleurs rien dit de l’envoi de ce formulaire, dans la mesure où je n’ai pas à lui rendre compte de l’ensemble des diligences de l’administration fiscale relatives à des dossiers individuels – fût-ce celui du ministre délégué au budget – ; Sauf sur un point : j’ai estimé que lorsqu’il s’agit de contacter un État étranger, il convenait d’en parler au Gouvernement

Le 14 janvier, nous étions en train de préparer notre demande d’assistance administrative : ce jour correspond donc à un non-événement. Et que M. Cahuzac répondît ou pas, nous aurions adressé cette demande de toute façon. Il nous fallait simplement attendre de purger la procédure interne puisque les conventions de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoient qu’un État ne s’adresse pas à un autre sans avoir appliqué les mesures internes dont il dispose.

À la date du 24 janvier, nous avons déjà beaucoup travaillé à la rédaction du texte et pris la précaution de rajouter l’expression d’« ayant droit économique ». J’ai eu deux conversations téléphoniques avec mon homologue et son collaborateur les 22 et 23 janvier pour leur annoncer notre intention de leur faire parvenir cette demande et les prier de la traiter rapidement et d’accepter de remonter dans le temps. Nous recevons leur réponse par courriel le jeudi 31 janvier.

Pour terminer, je souhaiterais revenir sur un épisode détestable, qui m’a beaucoup marqué, au cours du week-end des 9 et 10 février. Un journal paraissant précisément le week-end titre alors : « Les Suisses blanchissent Cahuzac ». Cet article fait parler non seulement l’entourage du ministre de l’économie, mais surtout, sous le sceau de la confidence, « une source administrative à Bercy » – alors même qu’aucun contact n’a eu lieu avec nous, et pour cause. Curieuse méthode ! Le rôle de la DGFiP consiste à assurer, avec les moyens dont elle dispose, l’application de la loi fiscale, et non pas de communiquer ni de contribuer à la communication des membres du Gouvernement. Non seulement nous n’avons eu aucun contact avec la presse postérieurement à l’arrivée de la réponse suisse – ni antérieurement d’ailleurs –, mais j’ai précisément refusé de prendre au téléphone ce journaliste qui, mystérieusement, avait obtenu mon numéro de portable. Le moins que l’on puisse dire, c’est donc que la DGFiP n’a été à l’origine d’aucune opération de communication, ni n’y a participé, directement ou indirectement. Ce n’est pas notre rôle. Vous comprendrez donc ma fureur en lisant cet article ! J’avais d’ailleurs recommandé aux autorités politiques la plus grande discrétion sur la réponse suisse dès réception de celle-ci, rappelant tout d’abord les contraintes du secret fiscal mais aussi le fait que cette réponse, bien que précise, était nécessairement partielle. Mardi dernier, l’un des intervenants a indiqué que cette réponse suisse était à l’évidence à prendre avec des pincettes. Je suis tout à fait d’accord sur ce point et c’est d’ailleurs exactement ce que nous avons fait : nous l’avons mise au coffre, transmise à la justice et prise avec des pincettes.

Les questions relatives à la situation fiscale de M. Cahuzac ne se limitent pas à la détention de comptes à l’étranger non déclarés mais concernent également d’autres aspects partiellement divulgués par la presse, notamment dans des articles des 21 et 23 décembre – points sur lesquels je souhaiterais pouvoir informer votre rapporteur et lui remettre un ensemble de documents. La DGFiP a mené ses diligences sur cette autre partie du dossier conformément aux textes qui régissent le secret fiscal. Et je puis dire sans déroger au secret fiscal que toutes les anomalies détectées à l’examen du dossier à l’été ont été portées à la connaissance du contribuable, d’abord par mon prédécesseur, puis par moi-même, avant d’être directement traitées à notre demande par le service local avec le conseil du contribuable, dans les conditions de droit commun.

Tel est le témoignage aussi précis que possible que je tenais à porter devant vous. J’ai eu l’occasion depuis le dénouement partiel du 2 avril, date à laquelle j’ai appris la nouvelle, de me demander en mon âme et conscience si nous avions bien agi à tout moment. J’ai revu chaque étape et j’affirme aujourd’hui sous serment que oui : je considère que, dans ce dossier très difficile qui mettait directement en cause son patron, la DGFiP a été extrêmement rigoureuse. Elle a certes été discrète mais c’est là son devoir. Elle a également été particulièrement proactive, comme l’illustre le simple énoncé de la chronologie, et a veillé à la neutralité républicaine qui s’impose à toute administration.

M. Alain Claeys, rapporteur. S’agissant de la muraille de Chine, la demande de déport que vous avez rédigée le 5 décembre et transmise le 7, et qui a été signée le 10, a-t-elle fait l’objet d’une note ?

M. Bruno Bézard. Pas d’une note formelle comme on en rédige dans l’administration à l’attention du ministre, mais d’un document que j’ai rédigé moi-même et transmis aux deux directeurs de cabinet en leur indiquant quel était mon souhait.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans la dépêche de l’AFP, vous affirmez qu’aucun contrôle ou enquête n’était en cours à l’encontre d’un membre du Gouvernement, tout en mentionnant l’examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement. Comment qualifier la démarche entreprise par la direction régionale des finances publiques d’Île-de-France le 21 décembre ?

M. Bruno Bézard. La démarche entreprise par la direction régionale n’est que la poursuite normale du processus d’examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement, tradition républicaine en vertu de laquelle, dès la nomination d’un Gouvernement, les services locaux de l’administration fiscale examinent sur pièces – sous notre coordination – les dossiers des ministres et nous signalent d’éventuelles anomalies, qui correspondent en fait, dans 95 % des cas, à des questions que l’on résout : il peut s’agir par exemple de s’assurer que le contribuable n’a pas sous-évalué sa résidence principale, ou de vérifier le nombre d’enfants à charge qu’il a déclarés, ou encore de lui signaler que s’il a déclaré une pension alimentaire, l’administration fiscale ne dispose pas de son jugement de divorce. Il peut y avoir aussi des sujets plus lourds évidemment.Nous rendons compte au ministre sous forme d’une note, que je tiens à votre disposition, du résultat de cet examen sur pièces – qui ne permet nullement de détecter un compte à l’étranger – et qui se déroule en plusieurs étapes. Il arrive en effet que l’on demande à certains membres du Gouvernement d’expliquer ou de justifier certains points. Ces échanges prennent donc un certain temps. Cet examen ne constitue pas véritablement une procédure prévue explicitement dans le livre des procédures fiscales. Nous avons d’ailleurs fait des propositions au Gouvernement en vue d’améliorer ce dispositif.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quant à la « procédure 754 », vous nous avez précisé qu’elle ne consistait pas à demander au contribuable s’il détenait un compte à l’étranger, mais quels sont les avoirs qui seraient détenus à l’étranger. Quelle est la valeur juridique de ce document ?

M. Bruno Bézard. Il commence dans les termes suivants : « Je vous remercie de bien vouloir me faire parvenir les éléments suivants : ». Suit une liste dans laquelle figurent les termes : « identification des comptes bancaires ouverts, clos ou utilisés à l’étranger (voir feuillet joint). » Il est précisé : « Cette demande ne revêt pas de caractère contraignant. Elle est établie conformément aux dispositions de l’article L10 du livre des procédures fiscales qui permet à l’administration fiscale de demander aux contribuables des renseignements sur les éléments qu’ils ont déclarés. Afin de traiter votre dossier dans les meilleures conditions, je vous remercie de m’adresser votre réponse si possible dans un délai de trente jours à compter de la réception du présent courrier. » Le détail de la demande, figurant en annexe, était ainsi libellé en l’espèce : « Selon des informations récemment parues dans la presse, vous seriez ou auriez été détenteur d’un compte bancaire ouvert à l’étranger. Or l’examen de votre dossier fiscal a permis de constater que vous n’aviez pas déclaré l’existence de compte(s) ouvert(s) à l’étranger, ni sur les déclarations de revenus que vous avez déposées au titre des années 2006-2009, ni sur l’impôt de solidarité sur la fortune. Je vous remercie en conséquence de bien vouloir me faire parvenir les éléments suivants :

– l’identification des comptes bancaires ouverts, clos ou utilisés à l’étranger en 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012 ;

– le montant des avoirs figurant sur ces comptes au 1er janvier 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012 ;

– le cas échéant, le montant des revenus de source étrangère y afférant au titre des années 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012. »

Ces termes ne correspondent donc pas au propos de ceux qui affirment que nous avons demandé au ministre Cahuzac de bien vouloir nous confirmer qu’il ne disposait bien sûr d’aucun compte à l’étranger. Ce type de document n’étant pas contraignant, le fait que nous ne recevions pas de réponse n’emporte pour nous aucune conséquence.

M. Alain Claeys, rapporteur. Cette demande « 754 » ayant été faite par votre direction, le ministre n’en était pas informé ?

M. Bruno Bézard. Cette demande a été adressée par le service local des finances publiques à la demande de la direction générale des finances publiques – dont vous auditionnerez le directeur régional. Et je vous confirme que je n’en ai pas informé le ministre car je n’ai pas à le faire.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans quelle mesure cette demande constituait-elle un préalable indispensable à la demande d’assistance administrative à la Suisse ?

M. Bruno Bézard. En trois ans, nous avons procédé à plus de 4 500 demandes d’assistance administrative dans le monde entier. Ce sont donc des professionnels qui en sont chargés. Les conventions OCDE, qui constituent le modèle sur la base duquel nous déclinons nos conventions bilatérales, prévoient que l’on ne contacte pas un État étranger sans avoir purgé les voies internes. C’était donc ce qu’il convenait que nous fassions : n’adresser cette demande d’assistance administrative à la Suisse qu’une fois écoulé le délai non contraignant de trente jours.

M. Alain Claeys, rapporteur. Lorsque vous adressez cette demande à la Suisse, le ministre de l’économie en est informé : lui précisez-vous alors que les voies internes ont été purgées ?

M. Bruno Bézard. Non, car je n’ai pas à entrer dans ce détail technique. Lorsqu’il me demande si l’on peut faire une demande d’assistance administrative, je lui réponds que c’est techniquement possible mais qu’il sera difficile d’obtenir une réponse, compte tenu des statistiques, que cela n’aura d’effet que s’il appelle sa collègue, Mme Widmer-Schlumpf et que, même dans ce cas, il n’est pas certain que nous obtenions une réponse rapide et claire.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous affirmez que, lorsque vous recevez cette réponse, le seul service à en être informé est le service de la police judiciaire. Dès lors, quel est le degré d’information dont bénéficie Jérôme Cahuzac ? On nous dit que ses conseils sont informés de la procédure par les autorités suisses : est-il également informé de ses résultats ?

M. Bruno Bézard. J’ai transmis à la police, et à elle seule le document proprement dit. J’ai effectivement transmis l’information à M. Moscovici. Et M. Cahuzac est manifestement parfaitement informé par ses conseils de la question, mais aussi du sens de la réponse.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous avez pris vos fonctions à la direction générale des finances publiques le 5 août 2012. Entre cette date et le mois de décembre de la même année, avez-vous été informé de l’existence d’un rapport rédigé par Rémy Garnier ?

M. Bruno Bézard. Sans doute obtiendrez-vous davantage d’informations sur ce point de la part de mon prédécesseur, qui a eu à traiter du contentieux disciplinaire dont cet agent a fait l’objet. Je n’ai pour ma part jamais été informé du fait que, dans son mémoire du 11 juin 2008, M. Garnier mettait en cause M. Cahuzac par une phrase. Je n’ai donc appris l’allégation relative à la détention par M. Cahuzac d’un compte en Suisse que le 4 décembre, comme tout le monde.

M. le président Charles de Courson. Vous n’avez pas répondu précisément à la question de savoir si l’examen de la situation fiscale des ministres était borné dans le temps. La directrice de cabinet de M. Cahuzac a demandé aux services en octobre 2012 de lui préparer une note pour un entretien du ministre avec Rémy Garnier. Le dossier est donc remonté au cabinet pour établir ce document. L’administration était donc au courant de la note de Rémy Garnier en date du 11 juin 2008 qui évoque un compte en Suisse. Et vous n’étiez pas au courant ?

M. Bruno Bézard. Ceux qui gèrent au sein de l’administration les procédures disciplinaires étaient évidemment au courant du mémoire qui a été adressé le 11 juin 2008 à l’administration dans le cadre d’une procédure devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. Je n’ai pas cette information lorsque je transmets les deux notes pour répondre à une demande tendant à faire le point de la procédure disciplinaire concernant M. Garnier. J’ignorais d’ailleurs à ce moment-là qu’elles étaient destinées à préparer un rendez-vous avec Rémy Garnier. Les mémoires disciplinaires de tous les agents, y compris ceux mettant en cause différentes autorités – dont le député de la circonscription – ne remontent évidemment pas au directeur général ! Si tel avait été le cas, je l’aurais évidemment indiqué au ministre par une mention manuscrite sur la note.

M. le président Charles de Courson. Lorsque vous recevez la réponse des autorités suisse vous en informez M. Moscovici – vous ne lui remettez pas cette réponse.

M. Bruno Bézard. Je lui montre sur mon Ipad – la seule et unique personne à qui je transmets le document c’est à la police judiciaire. C’est M. Gardette qui l’a fait, le lendemain matin auprès de Mme Dufau, directrice de la division nationale des investigations financières et fiscales, la DNIFF.

M. le président Charles de Courson. L’article du JDD mentionne « l’entourage du ministre de l’économie ».

M. Bruno Bézard. Il cite aussi des sources administratives ! Vous voyez la coupe est pleine.

M. le président Charles de Courson. Vous n’avez pas fait de démenti ?

M. Bruno Bézard. On ne fait pas de démenti à chaque fois que la presse écrit quelque chose d’inexact. Le seul démenti que j’ai fait c’est quand la presse a écrit que j’avais conduit une mission en Suisse en décembre.

M. le président Charles de Courson. Les avocats de Jérôme Cahuzac ont-ils eu communication de la réponse par l’administration suisse ?

M. Bruno Bézard. Posez la question aux deux parties concernées. La seule chose que je peux vous dire, c’est que le droit suisse prévoit que le contribuable est averti de la réception d’une demande d’assistance administrative. Ils sont d’ailleurs en train de modifier ce point à notre demande et à celle de la communauté internationale.

M. le président Charles de Courson. Ma question porte sur la réponse de l’administration suisse. A-t-elle été transmise aux avocats de M. Cahuzac.

M. Bruno Bézard. Je n’en sais rien mais tout laisse à penser que oui.

M. le président Charles de Courson. Je reviens à la question de savoir si l’examen de la situation fiscale des ministres est borné dans le temps.

M. Bruno Bézard. Cet examen n’est pas borné dans le temps – c’est d’ailleurs là un point qu’il faudrait changer.

M. le président Charles de Courson. Est-ce à dire que cet examen se fait en dehors de tout cadre juridique ?

M. Bruno Bézard. Oui, mais il ne faut pas y voir malice. Tous les gouvernements ont adopté cette pratique et c'est plutôt bien ainsi. Dans les autres pays, les pratiques sont très variables. Celle de la France est saine et républicaine, mais il faut l'améliorer.

M. le président Charles de Courson. Il n'est pas normal que le ministre responsable de l’administration fiscale soit informé du contrôle le concernant. C'est là un défaut de cet examen fiscal, auquel la loi sur la transparence donnera peut-être une base juridique.

M. Bruno Bézard. Les propositions qui sont actuellement sur la table tendent à remédier à ce défaut en instituant une haute autorité. Cependant, lorsque l'administration fiscale sent qu'un conflit d'intérêts est possible, elle s'organise et met en place la muraille de Chine.

M. Christian Eckert. L'article 10 de l’avenant à la convention avec la Suisse dispose dans son deuxième paragraphe que les échanges ne peuvent intervenir qu'une fois utilisées les sources habituelles de renseignements prévues par la procédure fiscale interne – c’est le mécanisme que vous avez décrit et qui impliquait le respect du délai d'un mois.

D’autre part, l’alinéa e) de cet article dit explicitement que la demande doit comporter « dans la mesure où ils sont connus, les nom et adresse de toute personne dont il y a lieu de penser qu'elle est en possession des renseignements demandés ». L'échange de courriers intervenu entre les deux administrations fiscales en vue de la mise en œuvre de la convention précise de même que l'État requérant doit absolument transmettre toutes informations en sa possession permettant d'identifier l’établissement bancaire tenant le compte du contribuable concerné. Je tenais à rappeler ces dispositions, cruciales s’agissant d’apprécier l’action de l'administration dans cette affaire.

Je terminerai par une question : M. Cahuzac vous a-t-il interrogé sur la procédure d'échange d'informations en cours entre les deux administrations fiscales ?

M. le président Charles de Courson. Dans l'échange de lettres du 11 février 2010 entre les deux administrations fiscales, pouvez-vous expliquer ce que signifie la mention : « Dans le cas exceptionnel où l'autorité requérante présumerait qu'un contribuable détient un compte bancaire dans l'État requis sans pour autant disposer d'informations lui ayant permis d'identifier avec certitude la banque concernée, elle fournira tout élément en sa possession de nature à permettre l'identification de cette banque » ?

M. Bruno Bézard. Ces deux questions appellent des réponses précises. Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur général, l'architecture juridique de nos relations avec la Suisse, mais il y a de la part de ce pays une assez forte différence entre les intentions exprimées dans les textes et la pratique. J’ai évoqué les statistiques effrayantes des délais de réponse et, surtout, des absences de réponse. Nous sommes ici pour parler du droit mais, en Suisse, la pratique est totalement déconnectée du droit.

La convention est encadrée par un échange de lettres en date du 11 février 2010, effectué à la demande du gouvernement de la Confédération. Celui-ci refusait en effet de signer l’avenant sans cet échange, qui restreint le texte de la convention. Le paragraphe 6 de la lettre adressée par l’administration fiscale suisse est ainsi rédigé : « Dans le cas exceptionnel où l'autorité requérante présumerait qu'un contribuable détient un compte bancaire dans l'État requis sans pour autant disposer d'informations lui ayant permis d'identifier avec certitude la banque concernée, elle fournira tout élément en sa possession de nature à permettre l'identification de cette banque. L'État requis donnera suite à une telle demande à la condition que celle-ci soit conforme au nouvel article 28 de la convention, notamment au principe de proportionnalité… ». Ce paragraphe était du reste inutile car, même sans cela, les Suisses auraient toujours refusé de communiquer ces renseignements hors ces conditions, mais il stipule précisément qu'on ne peut formuler de demande générale qui ne vise spécifiquement une banque, ni sans donner un minimum d'informations. Il s'agit là de l'état du droit entre la France et la Suisse.

Par ailleurs, le gouvernement suisse, par la voix de son secrétaire d'État a déclaré dans un article récemment publié par le journal Le Temps que cette convention, assortie de l’échange de lettres, ne permettait en aucune façon d’aller à la pêche aux renseignements sans identifier formellement une banque. Le dossier est d’une clarté cristalline.

M. Christian Eckert. Sans esprit de polémique, j’observe que ce point d’une importance cruciale fait l’objet de divergences entre nous. Ainsi, M. Gilles Carrez, président de la Commission des finances, qui a participé, avec d’autres, à la négociation de cet avenant ou de l’échange de lettres, avait considéré que ces instruments élargissaient le champ de la convention d’échange d’informations. Votre interprétation, monsieur le directeur général, à laquelle je souscris, est tout à fait inverse : cet échange de lettres restreint la possibilité d’interrogation.

M. Bruno Bézard. Le 12 avril 2013, le gouvernement suisse a déclaré – et cette déclaration n'est nullement « off » mais complètement officielle – que, « dans le cas d’une demande d’entraide administrative, le nom de la banque ne doit être mentionné que dans la mesure où celui-ci est connu. Il faut cependant que le principe de proportionnalité soit respecté, raison pour laquelle il est possible de formuler une demande portant sur plusieurs banques éventuelles, mais pas sur toutes, car cela reviendrait à une pêche aux renseignements ».

M. le président Charles de Courson. Vous auriez donc pu ajouter la compagnie Reyl.

M. Bruno Bézard. S'il y avait eu alors sur la place publique des informations sur l'existence d'un compte à la banque Reyl, c’est bien sûr ce que nous aurions fait.

En ce qui concerne M. Cahuzac, il a effectivement essayé de me demander des détails sur cette procédure d'entraide administrative. Je ne lui ai pas répondu et lui ai indiqué que je n'avais pas à lui répondre.

M. le président Charles de Courson. À quelle date ?

M. Bruno Bézard. Je ne me souviens pas de la date précise, mais c'était entre le 24 et le 31 janvier.

M. le président Charles de Courson. Vous avez déclaré que vous n'aviez pas saisi l'administration fiscale de Singapour parce que vous aviez fait figurer dans votre saisine des autorités helvétiques la mention : « et tout autre pays dans le cadre d'un transfert ». Votre réponse n'épuise pas la question. Pourquoi n'avez-vous pas fait, pour plus de sûreté, deux demandes – l’une à la Suisse et l’autre à Singapour ? Mais pouviez-vous le faire en application de la convention entre la France et Singapour ?

M. Bruno Bézard. La convention conclue avec Singapour est moins restrictive que celle que nous avons avec la Suisse car elle n’a pas été assortie du même échange de lettres et permet donc, en théorie, d'interroger sur un ensemble de banques. En pratique, après vérification de l'ensemble des demandes d'assistance administrative, il apparaît que nous ne l’avons jamais fait et je ne pense pas qu’aucun pays l’ait jamais fait avec Singapour. Ce pays est, comme d’autres, en train de changer sa procédure depuis certaines affaires, notamment Offshore Leaks, mais il devait jusqu’ici demander l’autorisation d’un juge pour chaque investigation, dans chaque banque. Chaque fois que mes collaborateurs ont demandé à leurs homologues de Singapour s’ils pouvaient les interroger de façon générique – ce que, je le répète, la convention n’interdit pas –, la réponse était positive, mais soulignait qu’il n’existait pas de fichier centralisé et que les autorités devraient interroger 700 à 800 banques, en recourant chaque fois à un juge. Je ne suis donc pas sûr que nous aurions eu une réponse.

Quant à votre première question, il me semble, même si je respecte votre point de vue, que notre démarche épuise techniquement le débat, car nous avons précisément interrogé la Suisse sur tout transfert vers tout autre pays.

M. le président Charles de Courson. Je ne partage pas votre sentiment.

Je voudrais vous poser aussi la question déjà posée à plusieurs reprises par M. Jean-Marc Germain – au point que nous la désignons désormais comme la « question Germain » – : comment expliquer que la réponse des autorités suisses ait été négative alors qu’il est apparu deux mois plus tard que M. Cahuzac détenait un compte en Suisse ?

M. Bruno Bézard. Cette question, il nous faudra nous la reposer dans quelques semaines, lorsque l’instruction aura suffisamment avancé ou lorsque nous saurons exactement ce qui s’est passé – ce que j’ignore actuellement – grâce à des mécanismes juridiques tels que celui qui figure à l’article L101 du livre des procédures fiscales, qui permet à l’administration fiscale d’obtenir des informations par la justice. Attendons donc de savoir ce que les juges auront trouvé.

En interrogeant les autorités suisses sur M. Cahuzac, j’ai demandé que la question soit élargie à ses ayants droit économiques. Ayant, par un hasard de ma carrière, négocié la création de Tracfin et les accords internationaux relatifs à ces questions, je me souvenais en effet que nous avions alors introduit cette notion – en anglais « beneficial owner » – et j’ai donc demandé à mes collaborateurs, le 22 ou 23 janvier, de vérifier si cette notion était encore valide et pouvait être employée pour « ratisser » le plus largement possible afin d’éviter de nous faire piéger par un prête-nom.

Oui, monsieur le président, cette question est intéressante et nous aurons plus d’éléments pour y répondre lorsque la justice aura achevé son travail.

M. le président Charles de Courson. Vos collaborateurs ont-ils des hypothèses pour répondre à cette question que nous nous posons tous ?

M. Bastien Llorca, sous-directeur du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques. Comme l’a indiqué le directeur général, les éléments dont nous disposons actuellement sont beaucoup trop ténus pour formuler des conjectures. Nous nous fondions alors uniquement sur des affirmations ou allégations de la presse évoquant un compte à l’UBS – dont rien ne disait qu’il n’était pas ouvert dans une autre banque. Dès lors qu’étaient mentionnés dans la demande les éventuels ayants droit économiques, si le compte était ouvert à l’UBS et si la structure interposée a bien respecté le droit suisse qui lui fait obligation, en contractant avec une autre banque, d’indiquer l’ayant droit économique, l’UBS aurait été en mesure de nous communiquer l’information.

M. le président Charles de Courson. Ma question était plus large. Pour avoir procédé à 426 saisines pour la Suisse, vous avez une certaine pratique de cette procédure. Que découvrez-vous concrètement ?

M. Bastien Llorca. Sur 426 demandes adressées à la Suisse, nous n’avons obtenu satisfaction que dans 29 cas, que la réponse ait été qu’il n’existait pas de compte ou, au contraire, qu’il en existait. En outre, la réponse ayant été le plus souvent de la première sorte, une faible proportion seulement de ces 29 s’est révélée fiscalement exploitable. Les éléments obtenus sur d’éventuels montages par le biais de la coopération administrative – dans le domaine bancaire du moins – sont donc assez minces.

L’absence de réponse de la part de la Suisse résulte souvent de blocages procéduraux que nous nous employons à lever au moyen de discussions précises avec nos homologues. Le directeur général et son homologue suisse se sont d’ailleurs entretenus du sujet à plusieurs reprises.

M. Bruno Bézard. Notre demande – dont je vous remettrai tout à l’heure le texte – comportait notamment la question suivante : « M. Cahuzac est-il ou a-t-il été 1) titulaire d'un compte ou de plusieurs comptes ouverts auprès de la banque UBS ou 2) l'ayant droit économique de ce ou ces comptes ? » Nous demandions ensuite la référence du ou des comptes bancaires et les « relevés de fortune », comme on dit dans ce jargon. La dernière question, sur laquelle j'appelle votre attention, consistait à demander, « en cas de transfert du ou des comptes visés au point qui précède, la date de transfert et l’État ou territoire de destination ».

M. le président Charles de Courson. Cela ne signifie-t-il pas que cette convention bilatérale est en fait inapplicable et donc inefficace ? Si vous nous répondez plutôt oui, cela m’amènera à vous soumettre à une question au deuxième degré : fallait-il, comme le demandent certains, saisir les autorités suisses, sachant de quelle utilité pourrait être la réponse ?

M. Bruno Bézard. Merci, monsieur le président, de souligner vous-même le piège logique dans lequel vous essayez de m’entraîner !

Il fallait assurément formuler cette demande d'assistance administrative. Du reste, ne seriez-vous pas le premier, monsieur le président, à nous reprocher de ne pas l'avoir fait ?

De surcroît, cette procédure n’est certainement pas sans utilité : si, à la suite des 426 demandes adressées à la Suisse, très peu de poissons sont revenus dans nos filets, quelques-unes de ces prises étaient intéressantes. Elle est clairement imparfaite mais, pour le dire en termes choisis, c'est son application qui n'est pas totalement conforme à l'esprit de la convention. Avec certains pays, l'application est plus proche du droit : il en est qui ne nous répondent pas à chaque fois que notre demande n’est pas pertinente.

Pour lutter demain contre la grande fraude fiscale internationale, qui rapporte des millions de dollars à des avocats et à des banques d'affaires – et à d’autres encore, car je ne veux stigmatiser aucune profession – pour cacher des fraudes au cinquième degré, grâce à cinq, dix ou vingt structures interposées, ces instruments relevant d'une philosophie qui était celle de l’OCDE voilà 40 ans ne sont évidemment plus adéquats. C’est la raison pour laquelle nous plaidons pour l’échange automatique d’informations.

J’ai assisté voilà quinze jours, pour la première fois, à une réunion de mes homologues du monde entier ou presque et nous avons évoqué cette question. Il se présente aujourd’hui une opportunité politique de faire bouger les choses. Même Singapour, qui pendant des années a refusé tout mouvement à cause du lobbying de ses banques, a changé de pied. Certains pays d’Europe n’ont pas encore compris cette leçon de l’histoire, mais il faut évidemment améliorer nos instruments. Nous avons quant à nous essayé d’utiliser au mieux ceux dont nous disposions et je crois pouvoir vous dire qu’une demande d’assistance plus large, présentée plus rapidement et reposant sur un dossier aussi peu étayé n’existe tout simplement pas.

M. le président Charles de Courson. Et la réponse ?

M. Bruno Bézard. Le juge dira si elle était conforme à la réalité.

M. Émeric Bréhier. Monsieur le président, ce qui intéresse notre commission d’enquête, c’est la manière dont étaient posées les questions.

M. le président Charles de Courson. J’évoquais la réponse de la Suisse.

M. Christian Eckert. Je voudrais brièvement revenir sur le choix de la période sur laquelle la demande portait, certains l’ayant également mis en cause. Une demande d’assistance administrative doit avoir un motif – ici la taxation d’un avoir qui aurait été dissimulé. Nous ne pouvons donc agir que pour recouvrer de l’impôt sur le revenu, ce qui est difficile si l’on ne connaît pas les comptes et les flux, ou de l’impôt de solidarité sur la fortune, pour lequel le délai de prescription est de six ans. C’est précisément la raison pour laquelle la question a été posée à partir de 2006, date avant laquelle nous n’avions pas intérêt à agir. La réponse de la Suisse est formulée en deux temps : au titre de la convention pour la période de 2010 à 2012 et au titre d’une mission de bons offices pour la période antérieure.

M. le président Charles de Courson. Le problème de fond est plutôt celui de la portée de cette convention.

M. Thomas Thévenoud. La commission d’enquête a pour objet les éventuels dysfonctionnements survenus dans l’action du Gouvernement et des services de l’État en France, et non la qualité de la réponse de l’administration fiscale suisse.

Je tiens à vous remercier, monsieur le directeur général, de la précision et de la clarté de vos réponses et je regrette que nos collègues de l’opposition ne soient pas plus nombreux pour les écouter. Je confirme que, comme vous l’avez évoqué en préambule, certains fonctionnaires des finances publiques subissent en ce moment, à la suite de cette déplorable affaire, des réactions agressives de la part des contribuables qu’ils sont amenés à interroger.

Comment s’est faite, lorsque vous êtes entré en fonctions au mois d’août dernier, la transmission d’informations entre votre prédécesseur et vous-même ? Si j’ai bien compris, vous aviez déjà l’un et l’autre connaissance de certaines anomalies dans le dossier fiscal de M. Cahuzac, mais pas d’un compte à l’étranger. Avez-vous évoqué la situation fiscale de ce ministre et les demandes d’informations sur les autres membres du Gouvernement ?

M. Bruno Bézard. La tradition dans l’administration française n’est pas de ménager une longue période de recouvrement entre celui qui part et celui qui arrive. Je le regrette, car une telle mesure pourrait améliorer la continuité du service public, comme c’est le cas dans certains pays où ce recouvrement peut durer plusieurs semaines. Pour nous, la transition a duré une journée. C’est bref, mais cette journée a été suffisante pour aborder les dossiers importants. M. Parini, que vous entendrez tout à l’heure, pourra vous confirmer qu’il a évoqué la situation des membres de l’exécutif. Il avait d’ailleurs signé le 24 juillet, soit peu de temps avant la passation de pouvoirs – qui a eu lieu le 5 août –, une note dans laquelle il évoquait la situation de l’ensemble des membres de l’exécutif sous l’angle de cette procédure que j’ai rappelée tout à l’heure. Il a également mentionné, à propos de M. Cahuzac, un sujet que je ne peux pas évoquer ici à cause du secret fiscal, mais pour lequel votre rapporteur aura accès à tous les documents. J’affirme solennellement, et M. Parini pourra vous le confirmer, qu’à aucun moment un compte occulte à l’étranger n’a été évoqué lors de cet entretien – tout simplement parce que M. Parini, même si ce n’est pas à moi de le dire à sa place, n’en savait rien.

M. Thomas Thévenoud. Le nom de M. Garnier a-t-il été cité lors de cet entretien ?

M. Bruno Bézard. Absolument pas.

M. Thomas Thévenoud. Lorsque M. Cahuzac a tenté d’avoir connaissance de la réponse des autorités helvétiques, l’a-t-il fait lui-même ou par l’intermédiaire de ses conseils ? Quels ont été vos contacts avec ces derniers ?

M. Bruno Bézard. Aucun contact. Je m’y suis refusé. J’ai dit dans mon introduction que ma muraille de Chine, à la différence de son modèle historique, avait résisté malgré les passagers furtifs qui s’en étaient approchés pour en évaluer la solidité : c’est précisément à ces tentatives que je faisais allusion. M. Cahuzac a effectivement tenté d’entrer dans le débat sur la demande d’assistance administrative et de voir par exemple comment cette demande était rédigée, mais je le lui ai refusé, comme j’ai refusé tout contact avec toute personne de l’entourage, y compris les conseils – avocats ou toute autre personne – du « contribuable concerné ».

M. Thomas Thévenoud. M. Cahuzac vous a invité à le rencontrer au ministère pour évoquer cette question ?

M. Bruno Bézard. M. Cahuzac était mon ministre et je le voyais donc régulièrement au ministère.

M. Thomas Thévenoud. Vous a-t-il fait venir spécifiquement?

M. Bruno Bézard. Non, pas spécifiquement. Il m’a posé des questions, auxquelles j’ai dit que je ne répondrais pas, et il n’a pas insisté.

M. le président Charles de Courson. Cela a-t-il eu lieu à l’occasion des contacts que vous aviez avec votre ministre ? Par téléphone ?

M. Bruno Bézard. Un ministre a des contacts par tous moyens avec ses directeurs généraux – par téléphone ou à l’occasion d’une réunion, par exemple. Il est classique, dans une entreprise comme dans un ministère, que le patron voie de temps à autre son « N-1 », fort heureusement.

M. le président Charles de Courson. Cela s’est donc passé fin janvier ?

M. Thomas Thévenoud. Fin janvier, à une seule reprise et M. Cahuzac n’a pas fait d’autre tentative, si je vous ai bien compris.

M. Bruno Bézard. Je ne peux pas vous donner la date précise, mais M. Cahuzac a essayé d’entrer dans la question. Je lui ai dit que c’était impossible et je dois reconnaître à sa décharge qu’il n’a pas insisté.

M. Hervé Morin. Tout d’abord, que répondez-vous à ceux qui vous disent que le seul moyen d’avoir la certitude que M. Cahuzac avait un compte en Suisse était de l’inciter à poser la question lui-même pour passer le barrage du secret bancaire suisse ?

En deuxième lieu, vous avez déclaré dans votre propos liminaire que c’était la première fois qu’un « 754 » était mis en œuvre à partir d’une information de presse. Pourquoi avez-vous considéré que le cas de M. Cahuzac le justifiait ? À quels « autres développements » à venir faites-vous allusion ?

En troisième lieu, M. Gonelle a laissé entendre la semaine dernière, lors de son audition par notre commission d’enquête, qu’en 2001, lorsqu’un inspecteur des impôts avait signalé à la direction régionale des impôts l’éventualité que M. Cahuzac détienne un compte en Suisse, une intervention de la direction nationale ou une intervention politique avait empêché toute investigation fiscale. De telles pratiques existent-elles dans la maison dont vous avez la charge depuis un an ?

En quatrième lieu, le directeur de cabinet de M. Moscovici déclare – et cela me semble très surprenant – qu’il n’a rien fait et n’a même qu’à peine évoqué ce dossier avec vous. Est-ce une pratique courante, voire une règle, que le cabinet ne s’intéresse pas aux dossiers personnels ?

Enfin, n’avez-vous à aucun moment été amené à informer Matignon ou l’Élysée de ce dossier ?

M. Bruno Bézard. L’ancien ministre que vous êtes sera à même de juger de la pertinence des réponses que je vais faire sur le rôle d’un directeur de cabinet.

En premier lieu, je n’ai participé à aucun moment aux débats visant à savoir si M. Cahuzac devait poser la question lui-même. Il a en effet déclaré dans la presse que les informations publiées étaient mensongères et qu’il allait lui-même le démontrer en écrivant à UBS – des spécialistes du droit bancaire suisse ont d’ailleurs publié alors des tribunes indiquant comment il convenait de rédiger la question. Mes collaborateurs et moi-même ne faisons pas partie de ces spécialistes.

Il me semble cependant comprendre, en lisant la presse, qu’une telle démarche n’est pas si simple : même lorsque les faits allégués sont faux – ce qui ne semble pas être le cas ici –, il semble assez difficile pour un contribuable qui n’a pas de compte en Suisse d’en obtenir la preuve négative. Il est en tout cas bien documenté dans la presse que M. Cahuzac a déclaré à plusieurs reprises qu’il était en train de mettre en œuvre cette procédure.

M. Hervé Morin. Mais parfois aussi qu’il y était hostile.

M. Bruno Bézard. Il a en effet aussi déclaré que, pour faire une telle demande, il devrait d’abord déclarer qu’il possédait un compte avant de le démentir – c’étaient des circonvolutions logiques qui défiaient l’entendement. Mais je ne vous réponds sur ce point qu’à la lumière de ce que j’ai lu dans la presse.

Le recours au formulaire 754 dans ce cas précis s’explique par le fait que nous voulions purger la procédure interne avant d’adresser à la Suisse une demande d’assistance administrative. En outre, il était tout à fait souhaitable de consigner par écrit les interrogations de l’administration fiscale, même si la dénégation de l’existence d’un compte avait été faite devant un public infiniment plus noble qu’un modeste fonctionnaire des impôts.

Il me semble, en effet, qu’il y aura d’autres développements, car lorsque l’Assemblée nationale, le Sénat, le grand public et l’administration fiscale sauront ce qui s’est réellement passé, nous apprendrons peut-être des choses intéressantes qui nous permettront de lancer des procédures, et peut-être pas à l’encontre du seul M. Cahuzac.

Quant à M. Gonelle, que je ne connais pas, mais dont j’ai écouté l’audition avec une grande attention, il a indiqué que, selon ses informations, un inspecteur de la brigade d’intervention interrégionale (B2I) de Bordeaux – structure relevant de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) –, décédé depuis lors, aurait demandé à Paris, à l’instigation de M. Gonelle et de son ami inspecteur des impôts dont il n’a pas voulu donner le nom, communication du dossier fiscal de M. Cahuzac et que cette communication lui aurait été refusée par l’administration centrale. Je n’étais évidemment pas là à l’époque, mais nos dossiers ne contiennent pas les mêmes souvenirs.

M. le président Charles de Courson. Quels souvenirs avez-vous dans vos dossiers ?

M. Bruno Bézard. Précisément l’inverse. Nos dossiers, que j’ai tous remis à la police, comprennent une fiche de prélèvement du dossier dit « 2004 » – ce qui n’est pas une date, mais l’appellation générique des dossiers des contribuables dans les centres des impôts. Le dossier était destiné à M. Mangier, l’inspecteur aujourd’hui décédé de la B2I de Bordeaux. Mystérieusement, ce dossier est resté à peu près sept ans à Bordeaux, du 9 juillet 2001 au 7 février 2007.

M. le président Charles de Courson. Qu’est-ce qui a été transmis ?

M. Bruno Bézard. Pour transmettre le dossier à la police judiciaire, ce qui a été fait entre le 12 et le 14 janvier, mes collaborateurs sont allés le chercher dans les services où il se trouvait, à Paris. L’un d’entre eux, M. Gardette, que vous aurez l’occasion d’entendre, s’est étonné qu’une partie en soit restée très longtemps à Bordeaux. Je suis donc très surpris qu’on nous indique aujourd’hui que le dossier n’y est pas allé. En réalité, cela n’a aucune importance, mais je suis là pour répondre à vos questions et j’y réponds donc.

M. le président Charles de Courson. Une partie seulement du dossier a été transmise à Bordeaux. Que s’est-il passé ensuite ?

M. Bruno Bézard. Je n’en sais strictement rien. Peut-être pourriez-vous auditionner les directeurs de la DNEF de l’époque.

M. le président Charles de Courson. Nous l’avons envisagé.

M. Bruno Bézard. Je récuse l’information curieuse selon laquelle il n’aurait pas été transmis – bien sûr en sous entendant, – du fait des pressions d’un ministre de l’époque. Deuxièmement, cela n’a en réalité aucune importance. Troisièmement, d’après l’un de mes prédécesseurs, que j’ai consulté voilà deux jours, ce dossier n’aurait jamais dû être transmis, le contribuable ayant sa résidence fiscale à Paris.

Quant au rôle du directeur de cabinet, ce n’est pas à moi de répondre. Vous l’avez auditionné et vous savez très bien, monsieur Morin, comment fonctionne un cabinet. Il est classique et normal que les directeurs généraux aient un contact direct avec le ministre. Les cabinets ne sont pas là pour faire écran. J’ai eu des contacts directs avec M. Moscovici, et c’est bien normal. À d’autres moments, le directeur de cabinet était là, certes un peu par le hasard de l’agenda. Il serait injuste à son égard de dire qu’il n’a rien fait.

M. Hervé Morin. Il n’a pas fait grand-chose.

M. Bruno Bézard. Il vous a expliqué son attitude – mais ce n’est pas à moi de répondre à ces questions.

Enfin, je n’ai eu aucun contact avec Matignon ni avec l’Élysée sur ce dossier.

Mme Cécile Untermaier. Merci aux intervenants pour la clarté de leurs propos.

Au terme du délai de trente jours laissé pour répondre au formulaire 754, l’absence de réponse est-elle réputée signifier que le contribuable concerné n’a pas de compte en Suisse ? Alors que la réponse des autorités suisses a été obtenue très rapidement, comment expliquer que l’on ait attendu ces trente jours avant de les interroger ? Est-ce lié au délai de retour du formulaire ? Avez-vous évoqué avec votre entourage ou avec le ministre cette absence de réponse ?

En deuxième lieu, après avoir reçu une réponse négative à propos d’UBS, est-ce parce que l’affaire est entre les mains de la justice que vous n’envisagez pas d’interroger à nouveau les autorités suisses, cette fois sur la banque Reyl ?

M. Bruno Bézard. En droit fiscal, le fait qu’une non-réponse vaut confirmation d’un fait doit être spécifié par écrit. Si ce n’est pas écrit, ce n’est pas le cas. Le formulaire 754, qui n’appelait pas de réponse binaire puisqu’il demandait simplement des indications sur des comptes détenus en Suisse, accordait pour cette réponse un délai non contraignant de trente jours – le tout assorti de la mention « si possible ». Il n’indiquait nullement qu’à l’expiration du délai, le contribuable serait réputé détenir un compte qui ferait l’objet d’une taxation d’office.

Mme Cécile Untermaier. Ce n’est pas ce que j’imaginais, mais comment interprétez-vous ce silence ? En tant que contribuable, je veille à renvoyer sans tarder à l’administration ses demandes d’information, en biffant au besoin les questions qui n’ont pas d’objet.

M. le président Charles de Courson. Le fait que M. Cahuzac ne réponde pas au bout d’un mois ne vous a-t-il pas inquiété ?

M. Bruno Bézard. Bien sûr que non, car il a répondu dès le lendemain à l’Assemblée nationale en déclarant qu’il n’avait pas de compte. Nous n’avons engagé cette procédure que pour apurer les procédures internes.

Mme Cécile Untermaier. On aurait tout de même pu penser que M. Cahuzac répondrait au formulaire avant trente jours.

M. Bruno Bézard. S’il avait répondu « non », j’aurais quand même fait la demande d’assistance administrative, car je ne l’aurais pas cru.

Quant à votre deuxième question, dès lors qu’une information judiciaire a été ouverte – indépendamment même de la démission du ministre –, nous ne relançons pas la mécanique de la demande d’assistance internationale, mais je vous invite à reprendre les articles de presse pour voir à quel moment ils mentionnent la banque Reyl. Je souligne cependant, sans pouvoir être beaucoup plus précis – sinon à l’égard du rapporteur –, que, dans le déroulement des investigations judiciaires en cours depuis les « aveux » de M. Cahuzac, le 2 avril, l’administration fiscale n’est pas restée inactive.

M. le président Charles de Courson. C’est un peu contradictoire avec ce que vous avez déclaré tout à l’heure lorsque nous vous interrogions sur l’articulation entre la procédure administrative et fiscale et la procédure judiciaire.

M. Bruno Bézard. Permettez-moi de revenir sur ce point, car il n’y aucune contradiction. Vous avez demandé s’il était possible de mener des procédures d’assistance administrative lorsque la justice s’était saisie. Je vous ai dit que nous l’avions fait alors qu’une enquête préliminaire était lancée. Je vous ai dit aussi que, dans certains cas de figure, à l’étape suivante, lorsque des juges sont nommés, nous le faisons à leur demande.

Nous n’avons pas considéré, et je l’assume parfaitement, qu’il fallait faire des enquêtes parallèles et que, dès lors que nous entrions dans une phase lourde d’investigations judiciaires, l’administration fiscale, à qui on aurait reproché de chercher à sauver le soldat – ou le « général », selon votre mot – Cahuzac, pouvait se livrer à ce type d’investigations.

Mme Cécile Untermaier. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le directeur général, de nature à dissiper les accusations de passivité qui auraient pu être adressées à l’administration.

M. Bruno Bézard. Si nous avons été passifs, il faut m’expliquer ce que ce serait que d’être actifs !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Lorsque M. Gonelle a été en possession de l’enregistrement, il pouvait saisir les médias ou agir conformément à l’article 40 du code de procédure pénale. Il a préféré utiliser son entourage – en l’espèce, un ami fonctionnaire des impôts dont il ne déclare pas le nom – et solliciter la DNEF de Bordeaux.

Vous avez rappelé que vous êtes à la tête d’une très grosse administration, qui emploie 115 000 agents. Que pensez-vous de l’attitude du fonctionnaire ami de M. Gonelle, qui a utilisé une information de manière informelle sans appliquer l’article 40 ? Y a-t-il une trace quelconque d’une note administrative adressée à sa hiérarchie pour l’informer qu’il avait été saisi d’un enregistrement curieux, puisque, selon M. Gonelle, il en aurait pris connaissance ? Comment une administration qui cultive une certaine rectitude, comme vous nous l’avez dit, peut-elle ne pas garder trace d’un élément qui peut se révéler assez grave ?

M. Bruno Bézard. Je n’ai jamais dit que l’administration ne gardait pas trace de quoi que ce soit et il se trouve que, dans la tradition républicaine, quand un gouvernement change, le cabinet change aussi : je puis vous confirmer qu’en arrivant, on trouve un bureau vide. L’administration, en revanche, s’efforce d’assurer la continuité républicaine.

Je ne dispose pas d’éléments suffisants sur les propos de M. Gonelle – je n’étais pas là à l’époque – pour savoir ce qui s’est exactement passé. Je suis un peu surpris – peut-être certains membres de la commission d’enquête le sont-ils également – du caractère informel que donnent à cette affaire les connivences locales. Ce n’est pas ainsi que l’on travaille habituellement dans l’administration. Ces procédures sont un peu bizarres. Quand un inspecteur des impôts veut programmer un contrôle fiscal, il doit utiliser une fiche « 3909 » : on ne décide pas d’un contrôle fiscal parce que la tête d’un restaurateur ne vous revient pas, mais on suit une procédure traçable. Ainsi, lorsqu’un inspecteur des finances publiques propose la vérification d’une entreprise ou d’un particulier et que sa hiérarchie la refuse, cela laisse une trace.

L’affaire que nous évoquons ne se situe manifestement pas dans ce cadre. Même si je n’ai pas examiné toutes les archives de mon administration, on ne m’a pas signalé de note à ce propos. Il est un peu étrange, je le rappelle, qu’on nous dise que le dossier n’a pas été transféré à Bordeaux et que l’inverse soit attesté – je rappelle également la surprise de M. Gardette en le découvrant.

M. Christian Assaf. Il ne faut pas négliger cette information, qui est en effet l’argument majeur en faveur d’un dysfonctionnement supposé qui incriminerait votre administration depuis 2001. Faisons toute la lumière sur la forme sous laquelle l’administration régionale a été saisie et a saisi l’administration nationale pour récupérer le dossier, ainsi que sur les raisons pour lesquelles ce dernier est resté sept ans à Bordeaux. Cette déclaration un peu floue laisse penser que votre administration aurait été détentrice de cette information, et l’aurait cachée, depuis 2001.

M. Bruno Bézard. Je vous remercie de poser cette question. Je n’étais pas là à l’époque : j’ai pris mes fonctions le 5 août dernier. Cependant, l’administration n’a rien caché à personne et n’a empêché personne de faire des enquêtes dans les domaines de compétence respectifs de chacun. L’administration fiscale n’est pas un ensemble d’individus qui ont le droit d’aller regarder dans les dossiers fiscaux des parlementaires locaux. Il y a des procédures.

M. le président Charles de Courson. Plusieurs collègues ont réagi à une information que vous nous avez donnée en se demandant pourquoi une partie du dossier de M. Cahuzac avait été transférée à la direction régionale de Bordeaux, où elle est restée des années sans que personne s’en préoccupe. C’est là un point que nous aurons à éclaircir. Le rapporteur et moi-même avions prévu d’auditionner le directeur régional. Il est hélas décédé, mais nous pourrons entendre ses collaborateurs. Peut-être pourrez-vous nous aider dans cette enquête.

M. Bruno Bézard. Deux précisions. Tout d’abord, la question qui m’a été posée aujourd’hui n’était pas de savoir pourquoi le dossier avait été transféré à Bordeaux, mais pourquoi il ne l’avait pas été. Or, à ma connaissance, il l’a été.

M. le président Charles de Courson. En partie.

M. Bruno Bézard. J’ignore si c’est en partie ou en totalité.

Quant à savoir s’il y a un dysfonctionnement derrière tout cela… La question des transferts et des dates n’a pas une très grande importance, car ce n’est pas ainsi que fonctionne le contrôle fiscal dans notre pays.

M. Étienne Blanc. Au cœur de ce dossier se trouve la convention de 1966 qui, si elle ne donne pas satisfaction à la France, s’explique bien quand on connaît le droit suisse et l’importance donnée dans ce pays à la protection des libertés individuelles, à travers la protection du patrimoine – d’où le fait que le secret bancaire y soit protégé constitutionnellement.

Il est difficile d’obtenir des renseignements de la part de la Suisse, mais tout est plus rapide dès que l’affaire devient pénale et qu’une enquête préliminaire est ouverte, surtout si la personne concernée est un ministre important de la République et que circulent des informations selon lesquelles son compte aurait été alimenté dans des conditions méritant enquête. Dès lors, n’avez-vous pas le sentiment qu’on a tardé à lancer une procédure dans le cadre pénal ? N’aurait-on pu, en agissant beaucoup plus tôt de la sorte, éviter à la République un scandale majeur ?

M. Bruno Bézard. La mise en œuvre de l’action pénale n’est pas de mon ressort, mais je puis vous répondre que nous ne pouvons diligenter des poursuites pénales qu’après avoir mené des contrôles sur place. Si respectable que soit le journal concerné, un article de presse ne suffit pas. Nous procédons préalablement à un contrôle approfondi et totalement contradictoire sur le contribuable – examen de situation fiscale personnelle (ESFP) pour un particulier ou vérification de comptabilité pour une entreprise – et diligentons une action pénale si les faits sont suffisamment graves, sous le contrôle de la commission des infractions fiscales qui doit rendre un avis conforme. Nous ne pouvions absolument pas diligenter d’action pénale dans ce cas, mais nous avons fait ce que nous pouvions faire, et ce le plus vite possible. Après nous avoir reproché d’avoir été trop lents, on nous reproche maintenant d’avoir été trop rapides.

En réalité, nous avons fait très vite : l’article a été publié le 4 décembre et, le 1er février, j’avais la réponse de la Suisse sur une interrogation plus large que dans aucun autre dossier d’assistance administrative dans notre histoire. Nous sommes donc allés le plus vite et le plus en profondeur possible, et cela avec beaucoup de rigueur. Je crois vraiment qu’aucune administration en France n’a été aussi rapide et proactive.

M. Émeric Bréhier. Je vous remercie d’avoir répondu avec autant de patience et de diligence.

À vous écouter, vous n’avez lancé la procédure du formulaire 754 – dont finalement peu vous importait la réponse – que pour être en mesure, au terme du délai de trente jours, de montrer à l’administration suisse que l’administration fiscale française avait satisfait à l’ensemble des procédures prévues par la convention et précisées par l’échange de lettres de février 2010, se trouvant ainsi en droit d’engager une démarche de demande d’assistance. On a donc le sentiment que, dès le 14 décembre, le formulaire 754 a pour seul but de conduire à cette demande.

D’autre part, les informations dont vous nous faites part quant au transfert à Bordeaux du dossier fiscal de M. Cahuzac viennent semer quelque doute sur la sincérité des déclarations faites la semaine dernière par le témoin Gonelle.

M. Bruno Bézard. Les documents qu’on m’a donnés semblent montrer qu’il a été procédé à un prélèvement du dossier aux dates que je vous ai indiquées. Nous avons transmis ces documents à la police : ce n’est pas à moi d’effectuer les vérifications nécessaires et je ne puis donc être formel. M. Gardette pourra vous confirmer que, lorsque nous avons regardé ce dossier pour le donner à la police, ce transfert et sa durée l’ont surpris.

Vous avez assez bien résumé le rôle de la procédure du formulaire 754 et je suis surpris de l’importance technique et politique qu’on veut lui donner – le politique n’est pas mon champ d’action et l’absence de réponse au bout de 30 jours n’a aucune importance sur le plan technique. J’ajoute à votre résumé que j’ai voulu formaliser les choses. Le contribuable concerné nous disant face à face qu’il n’avait pas de compte à l’étranger et n’en avait jamais eu, il m’a semblé souhaitable qu’il puisse aussi nous l’écrire – en lui demandant, je le répète, non pas de confirmer qu’il n’avait pas de compte, mais de nous indiquer quels étaient ses avoirs en Suisse, ce qui n’est pas du tout la même chose.

M. le président Charles de Courson. En informant M. Moscovici d’une saisine administrative des autorités fiscales suisses, lui avez-vous également indiqué que son collègue Jérôme Cahuzac n’avait pas répondu au 754 ?

M. Bruno Bézard. On m’a posé trois fois cette question aujourd’hui. Je vous le répète : non.

M. le président Charles de Courson. Il est très étrange de ne pas informer son ministre.

M. Bruno Bézard. Puisque vous semblez accorder une importance particulière à cette question, permettez-moi d’y répondre plus longuement. L’administration fiscale n’a pas à rendre compte à son ministre de l’ensemble des étapes de la procédure qu’elle mène à propos d’un contribuable – et c’est heureux.

M. le président Charles de Courson. Vous avez tout de même un devoir de loyauté à l’égard du ministre.

M. Bruno Bézard. Ce devoir ne signifie pas qu’il faille l’informer à chaque étape de la procédure.

M. le président Charles de Courson. Trois fois on vous pose la question, et trois fois vous répondez que vous n’avez rien dit au ministre.

M. Bruno Bézard. Trois fois, je vous réponds la vérité. Lisez la circulaire signée de M. Baroin qui précise comment l’administration fiscale s’organise sur les dossiers internes. Fort heureusement, je n’ai pas besoin d’aller demander au ministre ce qu’il pense de l’idée d’envoyer un formulaire 754, ni de l’informer que ce formulaire n’est pas revenu.

M. le président Charles de Courson. Ce n’est pas la question qui vous est posée. Vous n’informez donc pas votre ministre au terme du délai d’un mois ?

M. Bruno Bézard. Voilà une heure que je vous explique que ce délai d’un mois n’a aucune importance.

M. le président Charles de Courson. Monsieur le directeur général, je vous remercie. Si nous avons des questions complémentaires, en particulier sur le point que vous venez d’évoquer, nous vous les ferons parvenir par écrit.