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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 4 juin 2013

Séance de 8 heures 45

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Gardette, chef du service du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques

M. le président Charles de Courson. Mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui notre troisième semaine d’auditions. Beaucoup d’éléments ayant déjà été portés à la connaissance de notre commission, nos questions se feront désormais plus précises ; elles porteront notamment sur la demande d’assistance administrative adressée, le 24 janvier 2013, par la France aux autorités suisses.

Nous accueillons ce matin M. Alexandre Gardette, chef du service du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques.

Monsieur le chef de service, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de notre commission d’enquête, qui a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Cahuzac ». Beaucoup a été dit et écrit sur les conditions dans lesquelles la procédure de coopération entre administrations fiscales a été mise en œuvre. Il nous appartient d’éclairer plus particulièrement les limites posées par l’avenant du 27 février 2009 à la convention fiscale franco-suisse et l’interprétation de celui-ci, telle qu’elle résulte de l’échange de lettres datées du 11 février 2010.

Je vais d’abord vous laisser la parole pour une quinzaine de minutes, afin que vous nous présentiez les actions que vous avez menées après le 4 décembre 2012 et les informations dont vous disposiez à l’époque, puis le rapporteur, M. Alain Claeys, vous interrogera ; ensuite, les collègues qui le souhaiteront poseront leurs propres questions.

Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie donc de bien vouloir lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Alexandre Gardette prête serment.)

M. Alexandre Gardette, chef du service du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, j’essaierai de vous apporter les éléments les plus précis possibles, en restant factuel, en remettant des documents au rapporteur et, comme j’ai suivi les auditions précédentes, en focalisant mon propos sur les questions qui m’apparaissent les plus prégnantes. Il va de soi que, si je ne faisais pas le tour du sujet, je serais à votre disposition pour répondre à vos questions.

Au préalable, je tiens à dire que je partage les propos tenus par le directeur général des finances publiques, M. Bruno Bézard, dans son exposé liminaire la semaine dernière – non parce qu’il est mon supérieur hiérarchique, mais parce que nous avons vécu ces événements ensemble, que nous avons travaillé avec professionnalisme et que les accusations d’incompétence ou de connivence nous sont insupportables. Je veux d’ailleurs saluer la dizaine de milliers d’agents plus particulièrement chargés de la mission de contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques (DGFIP), qui essaient de faire correctement leur travail dans un pays où l’appétence pour l’impôt n’est pas la première qualité des habitants et où la passion pour la lutte contre la fraude est assez récente…

Même si je rends hommage au travail d’investigation de la presse en général et de Mediapart en particulier, deux déclarations de MM. Plenel et Arfi devant votre commission, il y a quinze jours, nous ont été particulièrement désagréables : « Dès lors qu’une enquête préliminaire est en cours, il ne peut pas y avoir de manœuvres secrètes d’une autre administration sur les faits qui font l’objet d’une enquête de police », a dit M. Plenel ; et M. Arfi a ajouté : « Les questions posées à l’administration fiscale suisse sont objectivement de mauvaise foi ». Ces propos m’ennuient, car l’essentiel du travail de Mediapart était de très grande qualité, et MM. Plenel et Arfi n’avaient pas besoin d’attaquer l’administration fiscale pour démontrer qu’ils avaient raison sur le fond.

Mon propos liminaire comportera quatre points. Comme j’ai cru comprendre qu’à l’issue d’un débat interne, vous vous êtes autorisés à sortir du cadre chronologique strictement compris entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013 au nom de la nécessaire manifestation de la vérité et de votre volonté de comprendre comment nous en étions arrivés là, je me permettrai de consacrer les deux premiers points aux années 2001 et 2007.

M. Gonelle a déclaré, lors de son audition par votre commission d’enquête : « Le fisc savait depuis 2001 ». Reprenons la chronologie des faits. De quand date l’enregistrement ? On ne le sait pas exactement, mais dans son article du 4 décembre, Mediapart indique « la fin de l’année 2000 ». Durant son audition, M. Gonelle vous a expliqué que, pour le rendre public, trois voies s’offraient à lui : alerter les médias, se conformer à l’article 40 du code de procédure pénale et saisir le procureur de la République, ou signaler le fait au service compétent de l’administration fiscale. Il a dit qu’il avait choisi cette troisième voie mais il l’a fait d’une manière inhabituelle, car l’administration fiscale ne traite pas les informations qui lui parviennent de manière anonyme : cela fait des années que nous travaillons ainsi, et cela a été confirmé en 2010 par la circulaire dite « Baroin » que je remettrai à votre rapporteur.

M. Gonelle explique qu’il a fait appel à un « ami » qui travaillait à l’époque à la direction générale des impôts, que cet ami était lui-même entré en contact avec une connaissance, et que cette dernière personne s’était penchée sur le dossier fiscal des époux Cahuzac au début de l’année 2001. Je précise que la brigade d’intervention interrégionale (BII) de Bordeaux, qui relève de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), était pleinement compétente pour faire venir ce dossier depuis le service gestionnaire – qui, en l’occurrence, se trouvait à Paris.

Pour reconstituer l’historique, j’ai demandé à deux directeurs successifs de la DNEF, M. Bernard Salvat, que vous auditionnerez cet après-midi, et M. Frédéric Iannucci, qui a pris ses fonctions au début du mois de mai, d’interroger les agents qui étaient en poste à l’époque ; en revanche, nous n’avons pas pu rencontrer l’inspecteur qui avait fait venir le dossier de Paris et qui a demandé à un collaborateur de l’étudier, M. Mangier, car il est décédé l’année dernière. Voici ce qu’il ressort de cette enquête.

D’abord, on peut être très précis sur les dates : M. Mangier, inspecteur des impôts à la BII de Bordeaux, qui était apparemment la personne actionnée par l’ami de M. Gonelle, a reçu le dossier fiscal de M. Cahuzac et de son épouse le 12 février 2001 – nous disposons du bordereau d’envoi du dossier.

M. le président Charles de Courson. Ce n’était pas le responsable de la BII ?

M. Alexandre Gardette. Non, et je vais y venir : son chef de brigade, que nous avons interrogé, nous a donné des éléments intéressants.

M. Mangier, donc, avait formulé sa demande de transmission le 9 février 2001, en cochant la case « consultation » pour renseigner le motif – parmi quatre possibilités : « vérification », « consultation », « contentieux » ou « autre ». Le dossier ne sera retourné au service de gestion parisien que le 7 février 2007 – je remettrai tous ces documents à votre rapporteur.

Le 15 janvier dernier, j’ai rassemblé l’intégralité du dossier fiscal des époux Cahuzac à l’administration centrale en prévision de la visite, le 18, de Mme Dufau, commissaire à la division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF), qui venait, sur réquisition, récupérer ces éléments. J’ai interrogé à cette occasion M. Salvat – j’interrogerai ensuite son successeur. Il ressort de l’enquête auprès des personnes qui ont vécu cette époque que le collaborateur immédiat de M. Mangier – je préfère ne pas donner son nom car cette audition est retransmise …

M. le président Charles de Courson. Donnez-le, ce n’est pas un problème.

M. Alexandre Gardette. Il s’agit de M. Patrick Richard.

Ce contrôleur des impôts – grade en dessous de celui d’inspecteur – a travaillé plusieurs années en binôme avec M. Mangier. Il est à la retraite depuis quelques mois. Lors de son audition par le service régional de police judiciaire (SRPJ) de Nanterre en février 2013, il a dit – et il nous a confirmé ces informations – que M. Mangier avait reçu une information verbale relative à l’existence d’un compte en Suisse que M. Cahuzac aurait utilisé pour le financement de sa campagne électorale. Selon M. Richard, cette information n’aurait pas été transmise par un autre agent de la direction générale des impôts, mais par une personne appartenant à la sphère privée de M. Mangier. M. Richard en est convaincu car, contrairement à ce qui se passait dans des cas similaires, M. Mangier n’a pas souhaité que M. Richard rencontre cette personne.

On constate donc une conception plutôt curieuse du renseignement : les agents qui font ce métier ont l’habitude d’avoir des contacts informels, mais s’ils veulent fiscaliser un dossier, il leur faut amener des éléments précis et savoir qui donne les informations. Ce n’est pas le cas ici ; l’information ne comportait aucune précision : ni le nom de la banque, ni la période durant laquelle les fonds auraient été versés, ni le solde du compte. Le dossier avait été prélevé, à toutes fins utiles, pour savoir si le contribuable avait déclaré un compte à l’étranger et s’il était à jour de ses obligations déclaratives.

M. Richard conserve le souvenir d’un dossier peu épais. Aucune pièce en provenance du service gestionnaire n’a été versée au dossier par la BII de Bordeaux après sa réception en février 2001. Le contrôleur a rapidement constaté qu’il ne pourrait pas exploiter l’information reçue – pas de contact avec la source, aucune précision sur le compte à l’étranger – et il en a informé M. Mangier. Aucune suite n’a été donnée à l’affaire et le dossier personnel de M. Cahuzac n’a pas fait l’objet d’un examen détaillé par la BII de Bordeaux. Selon M. Richard, dont les propos ont été confirmés par les deux chefs de brigade en fonction sur la période 2001-2007, il n’existe aucune trace écrite des raisons du prélèvement du dossier et de la justification de l’absence de suite. Et comme il n’y a pas eu de suite, le chef de la BII de Bordeaux de l’époque, M. Olivier André n’a pas été informé du prélèvement du dossier. Il en aurait été informé, comme il se doit, si l’on avait voulu établir une « fiche 3909 » pour programmer un contrôle fiscal.

M. Laurent Habert, qui a succédé à M. André de 2003 à 2009, a confirmé que le dossier était resté par négligence à la BII de Bordeaux jusqu’au 7 février 2007, date à laquelle il a été renvoyé à Paris, sans avoir fait l’objet d’aucune action concrète ni d’aucune alimentation complémentaire par le service gestionnaire. Je précise que MM. André et Habert ont également été auditionnés par le SRPJ de Nanterre en février dernier.

Ce que je retiens de ce premier épisode, c’est que la hiérarchie n’a pas été informée du prélèvement du dossier, que le contrôleur a fait correctement son travail en constatant qu’il ne pouvait rien en tirer et que le dossier est resté à la BII de Bordeaux manifestement par négligence. Toutefois, comme Mme Pécha vous l’a expliqué la semaine dernière, cela n’a pas empêché le service gestionnaire de continuer à recevoir les déclarations annuelles d’impôt sur le revenu et d’impôt de solidarité sur la fortune des époux Cahuzac, et à traiter correctement leur dossier, c’est-à-dire à fiscaliser ce qu’ils déclaraient.

M. le président Charles de Courson. Selon votre analyse, il y aurait donc eu des dysfonctionnements au sein de l’administration fiscale ?

M. Alexandre Gardette. Il s’agit plutôt d’un témoin clé, M. Gonelle, qui dispose d’un élément essentiel, un enregistrement, et qui ne prend contact ni avec le procureur de la République, ni avec l’administration fiscale au sens institutionnel, mais qui en discute avec un ami qui connaît un ami, lequel ami, qui se trouve être inspecteur des impôts, fait venir le dossier sans en référer à sa hiérarchie.

M. le président Charles de Courson. Vous parlez de M. Mangier ?

M. Alexandre Gardette. Oui. M. Mangier demande à son adjoint d’examiner le dossier ; le contrôleur fait son travail et conclut qu’il ne peut rien en faire. M. Mangier ne rend pas compte à sa hiérarchie du fait qu’il a demandé le dossier d’une personnalité sensible – M. Cahuzac était à l’époque député – et ne prend même pas la peine de retourner le dossier qu’il avait prélevé.

M. le président Charles de Courson. M. Mangier étant un membre des services fiscaux, on peut donc conclure à un dysfonctionnement du service !

M. Alexandre Gardette. Non, d’une personne du service.

M. le président Charles de Courson. Certes, mais cette personne a des supérieurs hiérarchiques.

M. Patrick Devedjian. Et en plus, elle est morte…

M. Alexandre Gardette. Dois-je comprendre que vous trouvez « pratique » que M. Mangier soit décédé, messieurs les députés ? Il faudrait dire les choses clairement !

M. le président Charles de Courson. Poursuivez, monsieur Gardette.

M. Alexandre Gardette. J’en arrive à 2007. C’est en avril de cette année-là que l’inspecteur des impôts Rémy Garnier procède à sa dernière consultation du compte de M. Cahuzac sur le logiciel Adonis – sachant qu’il en a consulté une trentaine d’autres, principalement ceux de sa hiérarchie… M. Garnier est à l’époque affecté à la direction interrégionale de contrôle fiscal (DIRCOFI) du Sud-Ouest. Le siège de celle-ci est à Bordeaux, mais M. Garnier est en poste à Agen. Le 24 mai 2007, il a un premier entretien avec son directeur, qui l’interroge sur les raisons de sa consultation dans ce logiciel de dossiers dont il n’avait pas à s’occuper.

Si je m’attarde sur ce point, c’est qu’on nous dit qu’à cette époque nous ne pouvions pas ne pas savoir. Sans revenir sur le contentieux qui a pu exister par le passé, c'est-à-dire avant 2007, entre M. Garnier et M. Cahuzac – il y a eu des procédures disciplinaires et la Cour d’appel a rendu un jugement la semaine dernière à ce propos –, je souhaiterais préciser ce que M. Garnier savait à cette époque et ce qu’il nous a dit pour que nous puissions examiner ensemble s’il y a eu ou non dysfonctionnement de l’administration fiscale.

Dans son mémoire en défense rédigé en 2008, M. Garnier écrit : « J’ai ouï dire que… », et : « Des informations d’origines diverses me permettent d’affirmer que… ». Bien évidemment, cela ne peut pas suffire pour engager un contrôle fiscal approfondi ! Nous sommes dans un pays démocratique : il nous faut un peu plus qu’une source anonyme pour travailler sur des sujets de ce type.

Nous avons interrogé dès le 5 décembre 2012, soit le lendemain de la publication de l’article de Mediapart, les trois directeurs successifs de la DIRCOFI du Sud-Ouest entre 2007 et aujourd’hui : MM. Joseph Jochum, Jean-Guy Dinet et Victor Le Blanc. Après consultation de leurs archives, ils nous ont dit qu’en 2007, M. Garnier ne disposait pas d’autre élément qu’une information externe dont il ne souhaitait pas donner la source. De qui s’agit-il ? De M. Gonelle ? De M. Bruguière ? De quelqu’un d’autre ? Peut-être finira-t-il par le révéler, mais toujours est-il qu’à l’époque, il refuse de donner le nom à sa hiérarchie. Dans ces conditions, et pour les mêmes raisons qu’en 2001, il est considéré qu’il n’est pas possible de lancer un contrôle fiscal.

M. Alain Claeys, rapporteur. En juin 2008, vous étiez sous-directeur de l’encadrement et des relations sociales de la direction générale des finances publiques. À cette époque, avez-vous eu connaissance du mémoire de Rémy Garnier ?

M. Alexandre Gardette. Non, car le service des ressources humaines de la DGFIP comportait deux sous-directions : les sujets disciplinaires et déontologiques ne relevaient pas de la mienne.

M. Alain Claeys, rapporteur. Et la deuxième sous-direction a-t-elle été informée ?

M. Alexandre Gardette. À partir de 2008, le sujet remonte jusqu’au bureau chargé de la déontologie et du disciplinaire ; je suis donc presque certain que mes collègues du bureau RH 2 ont eu connaissance du mémoire de M. Garnier. En revanche, j’ai interrogé mon prédécesseur à la sous-direction du contrôle fiscal, qui m’a dit que celle-ci n’en avait pas été informée. Nous ne découvrirons que le 4 décembre 2012, dans l’article de Mediapart, que M. Garnier justifiait ses recherches par le fait qu’il avait eu une information relative à la détention d’un compte en Suisse.

M. Alain Claeys, rapporteur. Soyons précis, s’il vous plaît. Vous dites qu’en juin 2008, dans les fonctions qui étaient les vôtres, vous n’avez pas été informé de l’existence du mémoire car cela ne relevait pas de votre sous-direction. Mais quid de l’autre sous-direction ? A-t-elle eu le document ?

M. Alexandre Gardette. La sous-direction des ressources humaines l’a certainement eu.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je vous remercie. Vous pouvez poursuivre.

M. Alexandre Gardette. En résumé, au cours de cette période 2001-2007, on voit que l’information arrive à deux reprises de manière anonyme et sans les précisions qui figureront dans l’article de Mediapart le 4 décembre : nom de la banque, périodes de versements, existence d’un enregistrement. Enfin, puisque l’objectif de votre commission est également de vérifier que la DGFIP n’a pas été instrumentalisée, je noterai que cette information sort une première fois en 2001, à quelques semaines des élections municipales à Villeneuve-sur-Lot, puis en 2007, à quelques semaines des élections législatives de 2007, à l’issue desquelles M. Cahuzac sera à nouveau élu député. Je n’en tire aucune conséquence, mais je trouve cette chronologie étonnante…

J’en viens à l’envoi le 14 décembre 2012 d’une demande de renseignements à M. Cahuzac, suivant la procédure dite « 754 ».

J’ai adressé personnellement le 13 décembre 2012 le projet d’imprimé n° 754 à la direction régionale des finances publiques (DRFIP) Île-de-France et Paris. Le document a été rédigé au sein de mes services et il va de soi que j’assume totalement et sa préparation, et son contenu. Comme vous l’a expliqué M. Bézard la semaine dernière, et contrairement à ce qui a pu se dire ailleurs, il s’agissait de demander à M. Cahuzac, non pas de signer une déclaration sur l’honneur attestant qu’il n’avait pas de compte à l’étranger, mais de répondre à un document administratif ainsi rédigé : « Vous seriez ou auriez été détenteur d’un compte bancaire ouvert à l’étranger. L’examen de votre dossier fiscal a permis de constater que vous n’avez pas déclaré l’existence de comptes ouverts à l’étranger sur les déclarations de revenus que vous avez déposées au titre des années 2006 à 2011. Je vous remercie en conséquence de bien vouloir me faire parvenir les éléments suivants (…) ».

On s’est beaucoup interrogé sur les raisons pour lesquelles nous avions recouru à cette procédure.

La première, c’est que, comme MM. Bézard et Parini vous l’ont expliqué, nous étions en cours d’examen de la situation fiscale de M. Cahuzac au titre de ses nouvelles fonctions ministérielles ; il était donc normal de se situer dans ce cadre pour interroger le contribuable. En revanche, il eût été difficile de se contenter d’une réponse orale, d’autant plus qu’il avait déclaré quelques jours auparavant devant vous qu’il n’avait pas de compte à l’étranger : en matière fiscale, une déclaration orale ne suffit pas.

Deuxième raison : nous souhaitions laisser une trace du fait que nous purgions les voies internes d’interrogation du contribuable.

M. Alain Claeys, rapporteur. Cette démarche était-elle vraiment un préalable indispensable à la demande d’assistance administrative à la Suisse ?

M. Alexandre Gardette. Oui, car notre convention avec la Suisse le prévoit explicitement. Si la demande d’assistance administrative était arrivée trop vite dans le processus, les Suisses nous auraient demandé si nous avions épuisé les voies internes.

M. Alain Claeys, rapporteur. Le cabinet du ministre avait-il été informé de cette démarche administrative ?

M. Alexandre Gardette. Non, pour la bonne et simple raison que jusqu’à la fin du mois de décembre 2012, nous appliquions la circulaire dite « Baroin » relative à l’évocation des situations fiscales individuelles auprès du ministre du budget – laquelle disposait : « Il appartient à l’administration fiscale de gérer au quotidien les relations avec les contribuables dans les différentes missions dont elle a la charge. J’entends m’abstenir de toute intervention dans le cours des procédures individuelles de contrôle et veillerai simplement à ce qu’elles soient mises en œuvre avec l’efficacité, la compétence et le souci déontologique qui sont ancrés dans la culture de vos services » – et que la nouvelle circulaire en vigueur depuis le 31 décembre 2012 reprend, sinon la lettre, du moins l’esprit de la précédente – « Il revient donc dans ce cadre à vos administrations de gérer au quotidien les relations avec les usagers dans les différentes missions dont elle a la charge ».

Permettez-moi d’insister sur un point essentiel. Dès le 4 décembre, et surtout à partir du 10, avec la mise en place de la « muraille de Chine », il y a « deux » Jérôme Cahuzac : le ministre du budget, qui reste en fonction pour l’ensemble des missions dont il a la charge, et le contribuable, sur lequel nous avons un doute, que M. Moscovici a qualifié de « méthodique », et que nous allons nous employer à essayer de lever.

La procédure qui est engagée vise donc le foyer fiscal, c’est-à-dire le couple, et s’inscrit complètement dans le cadre de la circulaire que je viens de citer. Il n’aurait pas été normal que M. Bézard tienne M. Moscovici informé du déroulement de ces procédures.

M. le président Charles de Courson. Est-il normal que votre administration n’ait pas informé M. Moscovici de la non-réponse de M. Cahuzac ?

M. Alexandre Gardette. Dans la mesure où celui-ci maintenait publiquement ses dénégations, où il disait essayer d’obtenir de l’administration suisse une réponse directe à sa demande, et où nous avions commencé à réfléchir à une demande d’assistance administrative dès la mi-décembre, la non-réponse à ce formulaire non contraignant – j’y insiste – n’était pas un événement de nature à justifier l’information de M. Moscovici. En raison du déport de M. Cahuzac à partir du 10 décembre, M. Moscovici était désormais le patron direct de l’administration fiscale sur ces sujets ; en tant que tel, ce qui lui importait était de savoir si oui ou non le ministre délégué détenait un compte à l’étranger. La non-réponse de M. Cahuzac n’était une preuve ni dans un sens, ni dans l’autre puisque le document n’était pas contraignant.

D’autre part, comme vous l’a dit M. Bézard, il est bien évident que même si M. Cahuzac avait répondu à ce document, nous aurions quand même envoyé une demande d’assistance administrative à la Suisse ; en effet, notre objectif n’était pas judiciaire – disculper ou incriminer un membre du Gouvernement –, mais fiscal : fiscaliser le compte éventuellement détenu à l’étranger par un contribuable. Pour ce faire, il nous fallait des informations – période d’utilisation, versements, solde – que seule la banque étrangère pouvait nous transmettre.

M. Alain Claeys, rapporteur. Comment cette demande d’assistance administrative s’articulait-elle avec l’enquête préliminaire ouverte le 8 janvier par le procureur de Paris ?

M. Alexandre Gardette. C’est précisément l’objet de mon quatrième point.

Il faut savoir qu’il existe un principe de spécialité concernant les conventions d’échange d’informations judiciaires entre les pays. En vertu de ce principe, la convention d’échange d’informations judiciaires entre la France et la Suisse fait obstacle à ce que les informations obtenues par MM. Van Ruymbeke et Le Loire nous soient transmises en vue de fiscaliser le compte concerné. Bien entendu, nous disposerons d’informations utiles qui nous permettront de reformuler des demandes d’assistance administrative précisément orientées vers certains établissements « financier » – car avant 2010 Reyl n’était pas une banque. Il reste qu’il faut que les informations en provenance de Suisse nous soient communiquées par l’administration fiscale si nous voulons pouvoir les faire valoir dans une procédure fiscale.

J’estime donc que ma démarche du 24 janvier 2013 n’était pas en contradiction avec l’enquête préliminaire qui venait de s’ouvrir. J’ai d’ailleurs tenu Mme Dufau informée de la demande et de la réponse. Je ne lui ai pas dit que cette réponse purgeait le sujet et qu’elle nous permettait de penser que M. Cahuzac ne possédait pas de compte ; je lui ai simplement donné ces éléments de manière à ce que dans le cadre de l’enquête préliminaire, ils puissent se rendre compte qu’il ne s’agissait pas d’un compte classique détenu chez UBS. En tout cas, c’est ce que dit la réponse des autorités helvétiques.

M. Alain Claeys, rapporteur. Venons-en la notion d’ayant droit. Que recouvre exactement cette notion appliquée à la convention bancaire franco-suisse ?

M. Alexandre Gardette. C’est en effet une question centrale ; je remettrai au rapporteur des textes législatifs et un exemplaire d’une convention sur le sujet.

Nous avons retrouvé la trace d’une loi du 30 septembre 1991, qui prévoyait la fin de l’ouverture de comptes anonymes en Suisse. Mais le premier texte essentiel sur le sujet est la loi sur le blanchiment d’argent du 10 octobre 1997, dont l’article 4 prévoit sur l’identification de l’ayant droit économique que « l’intermédiaire financier doit requérir du cocontractant une déclaration écrite indiquant qui est l’ayant droit économique si le cocontractant n’est pas l’ayant droit économique ou s’il y a un doute à ce sujet ». Si la société Reyl a déposé de l’argent chez UBS en tant que gestionnaire des comptes de M. Cahuzac, on se trouve bien dans cette situation ; en d’autres termes, UBS doit requérir de Reyl une déclaration écrite indiquant que l’ayant droit économique est M. Cahuzac.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avant 2010, la société Reyl est négociante en valeurs mobilières ; or cette obligation ne semble pas s’appliquer aux comptes ouverts par de telles structures. Le confirmez-vous ?

M. Alexandre Gardette. Je confirme que nous ne pouvions pas adresser une demande d’assistance administrative bancaire aux autorités helvétiques concernant les établissements Reyl jusqu’au 1er novembre 2010, date à laquelle ils se sont transformés en établissement bancaire. En revanche, la convention entre les banques suisses et l’association suisse des banquiers du 7 avril 2008 – que je vous remettrai – contient le même type de disposition que le texte que je viens de citer.

Concernant l’identification de l’ayant droit économique, l’article 3 de cette convention indique ainsi : « La banque – en l’espèce UBS – peut présumer que le cocontractant est aussi l’ayant droit économique. Lorsque le cocontractant – en l’espèce Reyl – n’est pas l’ayant droit économique – en l’espèce M. Cahuzac – ou lorsqu’il y a doute à cet égard, la banque exige une déclaration écrite au moyen d’un formulaire A indiquant qui est l’ayant droit économique ». Dans la demande d’assistance administrative que j’ai adressée le 24 janvier 2013 à l’administration fiscale helvétique, nous mentionnons bien évidemment la notion juridique d’ayant droit économique, ainsi que ce formulaire « A » – dont je vous laisserai deux exemplaires types : un où il est fait simplement mention que le cocontractant n’est pas l’ayant droit économique, et un plus sophistiqué où une structure du type trust est interposée entre le cocontractant et l’ayant droit économique final.

Si M. Bézard nous a recommandé d’ajouter le terme « ayant droit économique », c’est donc pour des raisons tant juridiques que de clarté. Dans les demandes d’assistance que nous avions adressées à la Suisse précédemment, nous n’avions pas utilisé formellement la terminologie « ayant droit économique » parce que nous demandions systématiquement le formulaire A et que nous considérions que les deux choses étaient réductibles.

M. Alain Claeys, rapporteur. La question est : Reyl a-t-il réellement rempli ce document ?

M. Alexandre Gardette. Je me pose la question depuis le 2 avril. Je n’ai pas encore la réponse : nous attendons les éléments qu’aura obtenus l’instruction judiciaire. Il existe de mon point de vue trois possibilités.

Soit UBS a menti à l’administration fiscale helvétique ; c’est possible, mais peu plausible compte tenu de ce que je sais par ailleurs du dossier UBS – j’y travaille d’assez prêt avec un juge français. En agissant ainsi, UBS se serait mis en contravention avec les règles internes suisses et aurait pris un risque considérable.

Soit les établissements Reyl n’ont pas respecté la législation helvétique et ont menti à la banque qui détenait l’argent de M. Cahuzac avant qu’il ne soit transféré à la fin 2009 à Singapour. Cette hypothèse me semble plus robuste, mais je n’ai aucune preuve pour la vérifier.

En revanche, notre interprétation du droit interne suisse et de la convention franco-suisse me conduit à penser que, contrairement à ce qui a été dit, notre demande était extrêmement large et qu’elle aurait dû nous permettre d’accéder à cette information. Certes, on peut toujours nous reprocher de ne pas avoir interrogé une autre banque qu’UBS, mais lorsque j’ai signé la demande d’assistance administrative, le 24 janvier, seule cette dernière était mentionnée dans les articles en tant que gestionnaire du compte.

Troisième hypothèse, qui est pure conjecture : on ne sait pas le fin mot de l’histoire et quelque chose se serait s’interposé avant 2006 entre Reyl et UBS. Je suis particulièrement irrité par les leçons de rédaction des demandes administratives que M. Condamin-Gerbier nous donne depuis quelques semaines. Tant mieux si ce gestionnaire de fortune est pétri de remords et souhaite donner une multitude d’informations sur des Français titulaires de comptes non déclarés en Suisse, mais c’est quand même quelqu’un qui a participé à l’opacité du système et au détournement des procédures quand il travaillait pour Reyl entre 2006 et 2010 ; et le voilà qui vient nous expliquer que nous n’avons pas rempli la demande comme nous le devions ! Notre demande était large, elle visait l’ayant droit économique, le droit suisse prévoit que les établissements financiers comme les banques doivent nous donner cette information – et pourtant nous avons reçu une réponse négative.

M. Alain Claeys, rapporteur. Qui a eu connaissance de la réponse des autorités suisses ? En particulier, les conseils de M. Cahuzac ont-ils été informés de la démarche française et de la réponse adressée à l’administration française ?

M. Alexandre Gardette. Il est assez probable qu’ils aient été informés de la démarche. En effet, le droit suisse prévoit que les banques suisses doivent informer systématiquement leurs clients lorsqu’une demande provient d’un autre État. Surtout, dans la mesure où nous demandions à l’administration helvétique de remonter antérieurement au 1er janvier 2010, date d’entrée en vigueur de l’avenant à la convention, j’avais signé une lettre de couverture accompagnant la demande précisant que si le contribuable concerné et la banque en étaient d’accord – condition nécessaire –, nous souhaiterions obtenir l’information jusqu’en 2006. Il est donc normal qu’ils aient informé le client ou ses conseils de cette question.

Quant à la réponse, M. Cahuzac n’en a été informé ni par moi, ni par mes collaborateurs – et nous n’en avons pas informé non plus le Journal du dimanche. En revanche, je ne saurais vous dire si UBS ou – mais c’est plus douteux – l’administration helvétique a informé le contribuable du sens de la réponse.

M. Alain Claeys, rapporteur. Que signifie la mention : « Au demeurant, la banque a précisé que sa réponse se fonde exclusivement et expressément sur les périodes temporelles limitées par la requête des autorités françaises » dans la réponse des autorités suisse ? Est-ce une mention habituelle dans des réponses de ce type ?

M. Alexandre Gardette. Les Suisses répondent si peu à nos demandes d’assistance bancaire que nous ne pouvons guère parler d’« habitude » ! Nous avons comparé avec les quelques réponses que nous avions reçues avant celle-ci, et nous n’y avons pas trouvé une telle formule. Toutefois, la réponse à une demande d’assistance bancaire n’est pas normée, et nos collègues de l’administration fiscale helvétique se contentent en général de recopier la réponse que la banque leurfait ; or, à chaque fois, les banques étaient différentes. Nous avons interprété cette mention comme une sorte de « disclaimer », de protection juridique justifiée par le fait que nous étions remontés antérieurement au 1er janvier 2010.

M. le président Charles de Courson. Quelques questions complémentaires.

Vous nous avez apporté des précisions importantes sur ce qui s’était passé au début des années 2000 ; notamment, vous avez expliqué le fait que le dossier de Jérôme Cahuzac ait été envoyé à Bordeaux. Pourtant, est-il normal qu’on envoie sans motif à Bordeaux le dossier d’un contribuable parisien et que ledit dossier ne soit renvoyé que six ans plus tard sans que personne ne s’en inquiète ? N’existe-t-il aucune note clôturant cet examen ? Comment la hiérarchie peut-elle ne pas être au courant ? Il y a là un dysfonctionnement interne à l’administration fiscale ! Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Alexandre Gardette. Je vais essayer, mais je crains de ne pas avoir d’explication supplémentaire à vous fournir.

La DNEF est un service d’enquête. Ce que l’on aurait dû mener, c’est ce qu’on appelle dans le jargon interne une « enquête », c’est-à-dire une procédure qui tend à examiner les documents internes – le dossier fiscal –, ainsi que toute information d’origine externe, et qui aboutit éventuellement à la proposition d’engagement d’un contrôle. La BII, bien que sise à Bordeaux, avait une compétence nationale. Le service de gestion qui a répondu à cette sollicitation en 2001 a donc parfaitement appliqué les procédures internes : il n’avait pas à demander les motifs de la demande, ni à s’opposer au prélèvement du dossier.

M. le président Charles de Courson. Et cela vous semble normal qu’on puisse transférer un dossier du lieu de domiciliation du contribuable vers un BII sans qu’il y ait de justification à apporter ?

M. Alexandre Gardette. Non, mais un grand nombre de dossiers dits « à fort enjeu », c’est-à-dire ceux des personnes plutôt favorisées en matière de patrimoine ou de revenu, habitent dans les quartiers sud-ouest de Paris. Le pôle fiscal Paris sud-ouest, qui gère, en plus des dossiers « communs », une très grande quantité de dossiers de cette nature, n’a matériellement pas la possibilité d’interroger les services d’enquête ou de contrôle quand ceux-ci viennent prélever un dossier – ce qui est en proportion relativement rare. De mon point de vue, il est donc normal qu’en 2001, le service de gestion n’ait pas eu d’information sur le motif de la demande d’envoi.

Comme je vous l’indiquais tout à l’heure, il y a une case à cocher pour renseigner le motif de la demande. Dès lors que M. Mangier l’avait cochée, il avait formellement fait ce qu’il fallait faire pour obtenir le dossier.

C’est quand le dossier arrive à Bordeaux que les choses commencent à ne plus fonctionner normalement. Au début, cela va encore : l’inspecteur confie à son collaborateur direct, le contrôleur, le soin de rassembler des éléments d’information. Le contrôleur fait son travail – soit à peu près la même chose que ce que fera M. Garnier quelques années plus tard : il vérifie les obligations déclaratives et les obligations de paiement. Puis il revient vers son inspecteur en lui disant qu’il ne dispose pas d’élément lui permettant d’aller plus loin.

À partir de là commencent les conjectures. Au lieu de se retourner vers sa source pour savoir si elle a d’autres éléments à apporter ou d’en parler avec l’inspecteur principal chef de brigade, l’inspecteur laisse le dossier en l’état. Je regrette vraiment que le principal intéressé soit décédé l’année dernière. Je ne suis pas certain qu’il ait mal fait son travail, mais je vous concède qu’il n’est pas normal qu’il n’ait pas informé sa hiérarchie. En revanche, il est normal que cela n’ait pas abouti à un contrôle à partir du moment où l’on ne disposait que d’une information anonyme non étayée.

M. le président Charles de Courson. Venons-en à « l’affaire Garnier ». D’après ce que vous avez retrouvé dans les dossiers, quand commence-t-il à avoir des informations ?

M. Alexandre Gardette. Sur l’éventuelle détention par M. Cahuzac d’un compte en Suisse ?

M. le président Charles de Courson. Oui.

M. Alexandre Gardette. Si je me permets de vous demander cette précision, c’est que le contentieux entre les deux hommes débute bien avant…

M. le président Charles de Courson. Ce qui nous intéresse, monsieur Gardette, c’est la situation fiscale de Jérôme Cahuzac.

M. Alexandre Gardette. Fort bien. M. Garnier est réaffecté à la DIRCOFI du Sud-Ouest, au service d’enquête et de programmation, en septembre 2006. Il se voit attribuer un accès général à Adonis, ce qui est normal vu ses fonctions, et commence à la fin 2006 à consulter la situation fiscale d’un certain nombre de ses collègues – en l’occurrence, plutôt des supérieurs hiérarchiques. La dernière trace informatique que nous ayons d’une consultation du compte fiscal de M. Cahuzac date d’avril 2007.

M. le président Charles de Courson. Et la première ?

M. Alexandre Gardette. J’en ignore la date précise, mais ce qui est certain, c’est que c’est entre septembre 2006 et avril 2007. Je ne sais pas en revanche qui lui a donné la piste.

M. le président Charles de Courson. Vous nous avez dit qu’il avait refusé de donner l’origine de son information à sa hiérarchie. Est-ce normal ? Un inspecteur des impôts peut-il refuser de donner sa source à sa hiérarchie ?

M. Alexandre Gardette. De mon point de vue, non : comme je vous l’ai dit, nous ne pouvons pas engager de contrôle sur la base d’informations anonymes. Cela bloquait donc le processus. Néanmoins, il faut comprendre l’état d’esprit de M. Garnier à ce moment-là : il est convoqué le 24 mai 2007 par son directeur pour se voir reprocher d’avoir consulté, à tort, les dossiers fiscaux d’une trentaine de personnes dans l’application Adonis, et c’est le début d’une procédure disciplinaire à son encontre. Je suppose qu’il n’était pas dans un état d’esprit très favorable à l’égard de l’administration…

M. le président Charles de Courson. Dans son « Mémoire en défense » de juin 2008, M. Garnier fait mention d’informations étonnamment précises. Il écrit notamment : « Cet élu a acquis son appartement parisien situé 35 avenue de Breteuil Paris 7e pour le prix de 6,5 millions de francs, financés comptant, en début de carrière, à hauteur de 4 millions ». Comment a-t-il pu obtenir ces données ? A-t-on accès au patrimoine immobilier par Adonis ?

M. Alexandre Gardette. Oui, monsieur le président.

M. le président Charles de Courson. Il évoque ensuite l’existence éventuelle d’un compte en Suisse. Mais comment peut-il affirmer : « J’ai ouï dire qu’il possède un patrimoine immobilier important : villa en Corse héritée de son père, villa à Marrakech, résidence à La Baule » ? Il a accès à l’origine des biens ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Encore faudrait-il vérifier la validité de ces affirmations.

M. le président Charles de Courson. Et encore : « Il emploie une salariée d’origine philippine sans papiers à son service domestique. En 2007, il a été condamné pour ses faits par le tribunal correctionnel de Paris et il a été dispensé de peine. » Comment M. Garnier peut-il connaître ces faits ?

M. Alexandre Gardette. Il est clair que ces informations ne figurent pas dans le dossier fiscal des époux Cahuzac, soit parce qu’elles ne sont pas de nature fiscale – la situation de l’employée philippine –, soit parce qu’elles ne correspondent pas à la réalité du patrimoine des intéressés – votre rapporteur pourra le vérifier.

M. Garnier revenait en septembre 2006 après une première sanction disciplinaire, qui avait été prise à son encontre en 2004 : comme il avait gagné devant la justice administrative, il avait été réintégré dans sa direction d’origine, la DIRCOFI. Inutile de vous dire qu’une situation de ce type est très délicate à gérer. Monsieur Garnier avait été affecté à la brigade d’enquête et de programmation, mais il avait assez peu de travail. Je pense donc qu’il a beaucoup utilisé Internet pour obtenir des informations de toute nature sur M. Cahuzac, qui semblait l’obséder.

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur le président, pour que la Commission soit complètement éclairée sur le sujet, il faudrait qu’elle auditionne M. Garnier. En outre, je vous informe qu’en tant que rapporteur, je demanderai à consulter le dossier fiscal de M. Cahuzac.

M. le président Charles de Courson. C’est entendu, monsieur le rapporteur.

S’agissant de la réponse négative de l’administration helvétique, monsieur Gardette, vous avez fait trois hypothèses. Mais le gouvernement helvétique a informé le gouvernement français qu’il y avait eu pour 80 milliards d’euros de dépôts sur des comptes de résidents français non déclarés à l’administration fiscale française. On considère qu’il y a deux manières d’échapper aux enquêtes : la première est la constitution d’un compte « omnibus », ou « écran », c’est-à-dire un compte détenu par un chargé d’affaires abritant des sous-comptes ; la seconde est un système plus raffiné, qui passe par la création d’une fondation à l’étranger, notamment au Lichtenstein, laquelle détient le compte en Suisse. De toute évidence, la convention franco-suisse ne permet pas de lutter efficacement contre ce type de fraude.

D’ailleurs, votre directeur général nous a donné les chiffres : 4 500 consultations, 6 % de réponse, qui n’ont débouché que dans trois à quatre cas. Avec des montages de ce type, la convention actuelle n’aboutit-elle pas à des réponses systématiquement négatives de la part des autorités helvétiques ?

M. Alexandre Gardette. Une précision, pour commencer : je pense que les autorités helvétiques étaient d’autant plus enclines à informer la France et le grand public des dépôts effectués dans leurs banques qu’elles souhaitaient promouvoir un accord de type « Rubik ». J’ignore si 80 milliards d’euros ont été déposés dans les caisses des banques suisses par des résidents français ; en revanche, je suis certain que la France n’a pas souhaité signer avec la Suisse un accord de type « Rubik », qui consistait à opérer un prélèvement forfaitaire sur ces sommes et à blanchir ou exonérer d’impôt le reste.

Les deux montages que vous avez mentionnés existent. Toutefois, comme je vous l’ai indiqué, je remettrai à votre rapporteur deux exemples de formulaire A, qui montrent que si les acteurs helvétiques respectent la loi suisse au moins depuis 1997, ces deux types de montages ne devraient pas faire obstacle à une réponse sur l’ayant droit économique réel. J’ai ainsi un exemple de formulaire A, dans lequel un intermédiaire, du même type que les établissements Reyl, ouvre un compte dans une banque qui comprend des sous-comptes au nom de plusieurs ayants droit économiques. Je vous transmettrai un deuxième exemple, plus sophistiqué, qui mentionne des structures interposées comme celles auxquelles vous faisiez référence, et qui peuvent être domiciliées non seulement au Lichtenstein, mais aussi au Panama, par exemple. Ce qui est en cause, ce n’est pas la manière dont on a formulé la demande, ni celle dont est rédigée notre convention avec la Suisse depuis l’avenant de 2009, mais le respect de la loi helvétique et la surveillance de ces établissements par les autorités locales.

M. le président Charles de Courson. L’affaire Cahuzac ne prouve-t-elle tout de même pas qu’en raison de ces montages, notre convention avec la Suisse ne nous permet pas de détecter les fraudeurs ?

M. Alexandre Gardette. Il est pour nous évident depuis longtemps que la seule solution serait un échange automatique d’informations entre tous les États sur les titulaires effectifs de comptes, qui nous informerait de leurs soldes. Aujourd’hui, nous ne disposons que d’une assistance à la demande, et nous dépendons de celui qui nous répond.

M. le président Charles de Courson. Et pourquoi n’avez-vous pas saisi simultanément Singapour ?

M. Alexandre Gardette. Nous nous sommes bien évidemment posé la question.

D’une part, les informations dont nous disposions faisaient état d’un transfert en 2010. Nous avons réussi à convaincre les autorités helvétiques de remonter jusqu’au 1er janvier 2006, car je craignais que les informations révélées par Mediapart le 4 décembre ne soient également imprécises sur la chronologie et que si le transfert avait eu lieu fin 2009 – et il semble apparaître que ce soit le cas –, nous ne couvrions pas ce créneau. Or, dès lors que l’on couvrait la période 2006-2012 et qu’il n’y avait pas de transfert vers l’étranger pendant cette période, je pense qu’il aurait été difficile de convaincre les autorités singapouriennes de nous répondre – ce pourquoi nous ne l’avons pas fait.

Il faut en effet savoir que la convention avec Singapour est en théorie moins restrictive que celle avec la Suisse – on a la possibilité de faire une recherche sur la totalité des banques –. Mais, en pratique, comme les autorités singapouriennes ne disposent pas d’un fichier national des comptes bancaires, elles sont obligées d’interroger individuellement les 600 ou 700 établissements bancaires et, surtout, un juge doit accepter la demande française pour chacune des opérations.

Ces éléments combinés : la pratique de l’assistance administrative avec Singapour et le fait que nous avions une réponse négative sur le transfert nous ont amenés à ne pas interroger Singapour en février.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous avez dit que l’administration fiscale n’ouvrait pas d’enquête dès lors que les éléments apportés étaient anonymes. Toutefois, lorsqu’en juin 2008 M. Garnier rédige son mémoire en défense, même si les sources elles-mêmes restent anonymes, il écrit avoir ouï dire que Jérôme Cahuzac détenait un compte en Suisse. Qu’on ne prenne pas en compte cette déclaration écrite me semble choquant !

À plusieurs reprises, vous avez donné plusieurs réponses possibles aux interrogations soulevées. À la question : « Les conseils de M. Cahuzac ont-ils été informés de la démarche française et de la réponse des autorités suisses ? », vous avez répondu : « Il est assez probable qu’ils aient été informés de la démarche ». Cette formulation est étonnante : soit ils en étaient informés, et vous le savez, soit ils ne l’étaient pas, parce qu’il y avait une autre « muraille de Chine ». Quant à votre allusion à l’information publiée par le Journal du Dimanche, transmise « ni par moi, ni par mes collaborateurs », mais probablement par UBS ou par l’administration helvétique, franchement, il faudrait être plus clair ! Vous ouvrez une piste, mais il n’y a pas de certitude.

M. Alexandre Gardette. S’agissant de l’information donnée par le Journal du Dimanche dans son édition du 10 février 2013, sauf erreur, le site du Nouvel Observateur avait publié quelques jours auparavant une observation de même nature, qui donnait déjà le sens de la réponse. Je maintiens – puisque le directeur général des finances publiques m’a déjà posé la question et qu’il m’a demandé de la poser aux trois collaborateurs qui ont travaillé avec moi sur ce dossier et ont reçu la réponse – que la source des médias n’émanait pas du service du contrôle fiscal. Je ne peux évidemment pas m’engager pour d’autres, mais je ne pense pas non plus qu’il s’agisse du directeur général, évidemment. Je ne peux donc pas vérifier l’origine de cette fuite dès lors qu’elle ne vient pas de chez moi.

J’ai donné le sens de la réponse et la réponse des autorités helvétiques à deux personnes : à M. Bézard, qui s’est expliqué devant vous la semaine dernière sur ce qu’il en avait fait, et, le lendemain, à la police judiciaire, en la personne de Mme Dufau ; bien évidemment, je ne suspecte pas la police judiciaire d’être à l’origine de cette fuite. Je ne peux donc pas répondre à cette question, madame la députée, et croyez bien que j’en suis désolé.

Quant à l’information des conseils de M. Cahuzac, je maintiens également ce que j’ai dit : je ne peux pas être certain de ce qui s’est passé entre une partie privée et un établissement bancaire suisse. Là encore, croyez bien que je regrette de ne pas disposer de ce genre d’informations. Toutefois, si le chef du service du contrôle fiscal que je suis aimerait bien évidemment accroître ses informations sur les contribuables, le citoyen que je suis aussi pose des limites à ce que le chef du service du contrôle fiscal souhaiterait…

Soyons précis : la législation suisse permet à un contribuable d’avoir connaissance d’une demande provenant d’un État étranger quand celle-ci le concerne. C’est une première raison interne à la Suisse qui peut expliquer le fait que M. Cahuzac ait eu connaissance du fait que nous interrogions les autorités helvétiques. En outre, dans la lettre de couverture que j’ai signée, j’avais autorisé l’administration helvétique à utiliser cette procédure interne suisse sur les années 2006 à 2009 dans la mesure où nous étions en dehors du cadre de l’avenant à la convention. Il était normal que nous permettions que la banque et les conseils du contribuable soient informés de la demande. Il s’agissait, non pas d’un passe-droit, mais d’un moyen d’obtenir des informations sur une période non couverte par la convention.

M. Alain Claeys, rapporteur. C’était donc une demande de votre part ?

M. Alexandre Gardette. Tout à fait ; ma lettre de couverture comporte un paragraphe qui dit en substance : « Nous souhaitons, s’il y a accord du contribuable et de l’établissement bancaire concerné, que vous nous donniez les éléments sur une période non couverte par l’avenant à la convention, c’est-à-dire 2006-2009 ». Lors de nos conversations téléphoniques avec nos homologues helvétiques, les 22 et 23 janvier, nous avons bien évidemment évoqué le sujet. Ce que nous demandions n’étant pas prévu par la convention, il était normal que nous ne refusions pas l’application du droit suisse sur ce point.

M. Christian Eckert. Je crois que la réponse des autorités helvétiques contient la réponse à notre question : « Après consentement de Maître Edmond Tavernier, représentant M. Jérôme Cahuzac, la banque nous a informés… ». Il y a donc bien eu information de M. Cahuzac.

M. Alain Claeys, rapporteur. J’ai souhaité avoir cette précision parce qu’il était important qu’il soit dit devant la Commission d’enquête qu’une demande avait été faite en ce sens.

M. le président Charles de Courson. Cela nous amène à une question plus large : pourquoi, alors qu’il sait qu’il a un compte en Suisse, M. Cahuzac autorise-t-il l’élargissement de la recherche à une autre période ? N’est-ce pas parce qu’il sait que la réponse ne peut être que négative ?

M. Alexandre Gardette. Permettez-moi de préciser une chose : le droit suisse, tel qu’il est en vigueur, fait obligation d’informer le contribuable ou son conseil qu’une interrogation porte sur lui. Je pense donc que même si je n’avais pas sollicité la Suisse sur la période 2006-2009, M. Cahuzac en aurait été informé.

M. le président Charles de Courson. De la demande, oui, mais pas forcément de la réponse.

M. Alain Claeys, rapporteur. Rien ne figure dans le droit concernant la réponse ?

M. Alexandre Gardette. Nous comprenons du droit suisse que la banque n’a pas l’obligation d’informer le contribuable du sens de la réponse quand celle-ci est négative.

M. le président Charles de Courson. Ce qui était le cas en l’espèce. Nous devrions pouvoir vérifier ce point, puisque nous avons demandé à auditionner le responsable de l’administration fiscale suisse.

M. Alexandre Gardette. Concernant le mémoire de M. Garnier, il faut prendre en considération deux éléments.

Tout d’abord, le contexte, qui est très important : l’intéressé, qui faisait l’objet d’une procédure disciplinaire, était en opposition ouverte avec sa hiérarchie ; la situation n’était donc pas « normale ».

Ensuite, nos procédures : j’ai interrogé les trois directeurs successifs de la DIRCOFI du Sud-Ouest et, en particulier le directeur qui était en poste en 2007. Il m’a indiqué qu’après évaluation des informations recueillies par M. Garnier, ils avaient jugé impossible d’engager un contrôle approfondi sur de telles bases. Je rappelle, en effet, que dans son mémoire, M. Garnier précise que « les informations recueillies proviennent de plusieurs sources extérieures à l’administration fiscale » et parle, un peu plus loin, de « ouï-dire ». Franchement, je trouve préférable que notre administration fiscale refuse d’engager un contrôle sur des informations provenant d’une source anonyme, plutôt qu’elle lance des contrôles approfondis à chaque fois qu’elle obtient ce type d’information !

M. Patrick Devedjian. Et vous avez raison !

M. Jean-Pierre Gorges. Manifestement, M. Gonelle a bien du mal à se faire entendre : à trois reprises, il parle, et, à trois reprises, il se heurte à un mur.

D’abord, en 2001 : vous vous en expliquez avec précision, indiquant que l’administration a fait son travail – et je suis d’accord avec vous : ce n’est pas sur dénonciation que l’on doit agir. Une précision tout de même : M. Mangier était-il autorisé à ne rien dire sur ce classement sans suite ou devait-il en rapporter à la hiérarchie ?

Ensuite, en 2006, M. Gonelle donne à M. Bruguière un document qui prouve que M. Cahuzac a un compte en Suisse : l’enregistrement. M. Bruguière a-t-il contacté l’administration fiscale ? Il était soumis à l’article 40 du code de procédure pénale – c’est d’ailleurs ce qui avait justifié le choix de M. Gonelle : il s’est dit qu’un juge de cette trempe valait davantage qu’un petit juge de province.

M. le président Charles de Courson. Et qu’il connaissait l’article 40 !

M. Jean-Pierre Gorges. Mais, comme vous l’avez fait remarquer, on était alors en pleine période électorale…

Troisième épisode : M. Gonelle transmet l’information à M. Zabulon, qui, a priori, en discute avec le Président de la République. On dispose désormais de faits précis, les protagonistes sont identifiés, il y a matière à agir. Que se passe-t-il alors ?

On nous dit qu’en interrogeant la Suisse, on a obtenu une réponse négative – information qui a d’ailleurs été exploitée beaucoup trop rapidement par certaines personnes, dont Claude Bartolone. Mais à ce jour, qui dit que M. Cahuzac possède un compte en Suisse, excepté l’intéressé lui-même ? Je n’ai vu aucune pièce indiquant que M. Cahuzac détient ou a détenu un tel compte ! La seule personne à l’avoir déclaré est Jérôme Cahuzac.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il a parlé, non pas d’un compte en Suisse, mais d’un compte à l’étranger.

M. Alexandre Gardette. Le fait que M. Gonelle ait eu du mal à se faire entendre en 2001 est de mon point de vue une des conséquences de la procédure qu’il a retenue pour prendre contact avec l’administration fiscale : en parler à une connaissance qui va joindre un ami au sein de l’administration fiscale, ce n’est pas l’idéal… Il semble que cette connaissance semble être M. Mangier, et je confirme bien volontiers qu’il ne me paraît pas normal que ce dernier n’ait pas informé sa hiérarchie, d’abord du fait qu’il avait demandé ce dossier, puis du fait qu’il n’en ferait rien, faute d’élément utile.

Nous n’avons trouvé aucune trace d’une transmission par M. Bruguière d’une information relative à l’enregistrement en 2006-2007 – ni dans les années suivantes, bien entendu. On ne peut pour autant exclure que M. Bruguière soit la ou l’une des sources de M. Garnier. Puisque vous allez l’auditionner, vous pourrez lui demander de préciser ce point.

M. le président Charles de Courson. Il est quand même étonnant qu’un inspecteur des impôts se permette d’utiliser Adonis et qu’il refuse de donner ses sources quand on les lui demande !

M. Alexandre Gardette. Comme je vous l’ai expliqué, il était en conflit ouvert avec sa hiérarchie. Je ne l’excuse pas, mais il faut comprendre le contexte. Il reste qu’en tant que chef du service du contrôle fiscal, comme vous je trouve cela anormal.

Bien évidemment, l’entourage du chef de l’État – en l’espèce, un membre de son cabinet – n’a pas transmis non plus l’information à l’administration fiscale durant la période concernée, c’est-à-dire entre décembre 2012 et janvier 2013.

S’agissant de la Suisse, vous avez raison : nous devons être prudents s’agissant d’informations qui nous sont données principalement par le contribuable lui-même via son blog ; le fait qu’il reconnaisse maintenant un fait qu’il a nié pendant des mois, voire des années, ne nous suffit pas à fiscaliser le dossier. Comme je vous l’ai expliqué, en raison du principe de spécialité, les informations recueillies par les juges nous seront utiles pour travailler, mais nous ne pouvons pas les utiliser directement ; nous serons donc amenés à utiliser toutes les procédures administratives à notre disposition à l’égard de tous les États que nous jugerons utiles d’interroger pour fiscaliser ce ou ces comptes.

M. Jean-Marc Germain. Trois questions.

Premièrement, confirmez-vous que vous excluez totalement l’hypothèse qu’UBS ou les autorités helvétiques n’aient pas apporté une réponse positive à votre question parce qu’ils ne sentaient pas tenus de répondre sur la période 2006-2009 qui n’était pas couverte par la convention franco-suisse ?

Deuxièmement, qui a décidé d’utiliser la convention d’entraide avec la Suisse, et à quel moment ? Il semble ressortir de vos propos que vous êtes à l’origine de la démarche.

Enfin, confirmez-vous que, dans le dossier fiscal de M. Cahuzac, il n’existe aucune information concernant l’existence d’un tel compte, la circulation de rumeurs à son sujet ou le lancement d’opérations de vérification ? Si tel est le cas, cela vous paraît-il normal ?

M. Alexandre Gardette. Je n’exclus pas totalement qu’UBS ait menti à l’administration fiscale suisse ; en revanche, compte tenu du contexte général, cette hypothèse ne me semble pas la plus probable parmi les trois que j’ai formulées.

C’est dès la mi-décembre que nous commençons à envisager la possibilité de faire appel à la Suisse. Je crois me souvenir que ce n’est pas moi qui ai fait cette proposition, mais que Bruno Bézard nous a interrogés sur les possibilités techniques d’avoir recours à une assistance administrative. Nous lui avons répondu que les chances d’obtenir un résultat positif étaient faibles parce que les Suisses risquaient de juger la demande non pertinente compte tenu du fait qu’elle était basée principalement sur un article de presse.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous fait une note à votre directeur général sur le sujet ?

M. Alexandre Gardette. Non, il s’agissait d’un échange oral.

Lorsque j’ai consulté le dossier fiscal complet des époux Cahuzac en janvier dernier, il n’y figurait aucun élément relatif à l’éventuelle détention d’un compte bancaire à l’étranger. Dans la mesure où les informations qui nous ont été transmises, d’abord en 2001 par M. Gonelle interposé, ensuite en 2007 par M. Garnier, avaient à l’époque été écartées par nos services, je ne trouve pas anormal qu’elles ne figurent pas dans le dossier fiscal. Si nous refusions d’utiliser des informations d’origine anonyme tout en les conservant dans les dossiers, au bout d’un temps, on risquerait de penser que tout est vrai.

M. Dominique Baert. Vous avez dit que la demande de dossier fiscal avait été reçue le 9 février et que le coupon d’envoi était daté du 12 février 2001 : c’est très rapide ! Dans ces conditions, comment expliquez-vous que lors de son audition, M. Gonelle ait affirmé qu’il n’y avait pas eu de transmission du dossier ? De toute évidence, les soupçons d’interférence politique à cette période ne tiennent pas. Qu’en pensez-vous ?

Le 23 mai 2013, dans l’émission Compléments d’enquête diffusée sur France 2, un inspecteur des impôts interviewé anonymement, et qui n’est pas Rémy Garnier, déclarait qu’il avait demandé à la DNEF de se procurer le dossier de Jérôme Cahuzac en janvier 2001 et que la direction nationale le lui avait refusé. Comment réagissez-vous à ces propos ?

M. Alexandre Gardette. N’accusant pas M. Gonelle de mentir, puisqu’il a prêté comme moi serment devant votre commission, j’imagine qu’il vous a répété ce que quelqu’un lui a dit en 2001. Je considère pour ma part que nous avons en notre possession des documents administratifs qui prouvent que le dossier a bien été envoyé et retourné aux dates que je vous ai indiquées ; si les documents inclus dans le dossier fiscal de l’intéressé ne sont pas véridiques, je ne peux plus répondre de grand-chose…

Vous me demandez de faire une conjecture sur ce qui a pu être dit à M. Gonelle. Je m’y livrerai donc, bien que j’ignore ce qui s’est réellement passé. Peut-être que, bien qu’« actionné » par la mystérieuse « connaissance » de M. Gonelle, qui a fait l’interface entre ce dernier et la BII de Bordeaux, M. Mangier, par professionnalisme, n’a pas voulu lui indiquer les suites qui avaient été données à une sollicitation de nature amicale, et lui a répondu qu’il n’avait pas récupéré le dossier ou que Paris n’avait pas voulu le lui transmettre.

Autre hypothèse : c’est à une tierce personne que M. Gonelle avait donné l’information – il s’agit peut-être de la personne interrogée dans Compléments d’enquête, mais je n’en ai retrouvé aucune trace. Ne travaillant pas dans un service d’enquête à compétence nationale, cette personne n’aurait pas eu le droit de consulter un dossier géré à Paris, non parce que le contribuable concerné était un député ou une personnalité sensible, mais parce que nos directions de contrôle ont des compétences géographiques – exception faite de la direction nationale des enquêtes fiscales.

M. Dominique Baert. Vous confirmez donc que le dossier a été demandé le 9 février 2001 et expédié le 12 sans aucune interférence politique ?

M. Alexandre Gardette. Absolument.

M. le président Charles de Courson. L’intermédiaire devrait être facile à retrouver, dans la mesure où, s’il a refusé de donner son nom, M. Gonelle a indiqué qu’il avait été président de la Ligue des droits de l’homme de Villeneuve-sur-Lot.

M. Dominique Baert. Dans Complément d’enquête, l’inspecteur des impôts qui s’exprime n’est pas M. Mangier, puisqu’il est décédé, ni M. Garnier, ni le président de la Ligue des droits de l’homme que vous évoquez ; il y a donc encore une autre personne…

M. Alexandre Gardette. Il me semblait que trois personnes étaient impliquées : M. Gonelle, qui avait l’information, un intermédiaire et un agent des impôts. Il est désormais acquis, à la suite de nos recherches, que ce dernier était M. Mangier ; néanmoins, j’avais compris que l’intermédiaire faisait également partie de l’administration fiscale, bien que ne travaillant pas à la BII.

M. le président Charles de Courson. J’avais compris la même chose.

M. Alexandre Gardette. Et je précise que nos agents ont parfaitement le droit d’être concomitamment inspecteur des impôts et président de la Ligue des droits de l’homme du département : ce n’est pas contradictoire !

Quant à votre deuxième question, je ne suis pas capable d’y répondre. J’ai regardé l’émission, mais je n’ai pas réussi à identifier cette personne. J’ignore s’il s’agit de l’intermédiaire en question, ou de quelqu’un d’autre encore.

M. Thomas Thévenoud.  Ce qui est frappant, c’est que M. Gonelle parle beaucoup, mais il ne s’adresse jamais aux bonnes personnes… Et que dire de M. Bruguière ? Il est quand même incroyable qu’à aucun moment dans cette affaire, il n’ait été fait application de l’article 40 ! J’espère, monsieur le Président, que nous auditionnerons M. Bruguière.

Existe-t-il une trace du fait que M. Mangier, après avoir constaté qu’il n’avait pas assez d’éléments, a arrêté la procédure ?

Jugez-vous logique que M. Garnier ait été réintégré dans sa direction d’origine avec droit d’accès illimité à Adonis, alors qu’il sortait d’un contentieux avec sa hiérarchie et son administration ? Est-ce conforme aux usages de l’administration fiscale ?

Vous avez dit que vous aviez examiné le dossier des époux Cahuzac en janvier de cette année. Quelles relations votre administration entretient-elle avec Mme Cahuzac ou avec ses conseils ?

Le formulaire « 754 » est-il un document normalisé ? L’avez-vous modifié ou enrichi – en d’autres termes ?

M. Alexandre Gardette. Malheureusement, M. Mangier n’a laissé aucune trace autre que la réexpédition du dossier en février 2007. Il est bien évident que je ne trouve pas cela normal et, afin d’éviter que cela se reproduise, nous nous efforçons de mettre en place des applications informatiques qui fassent le suivi à la fois de la recherche et des contrôles fiscaux. Il ne me semble pas acceptable qu’en 2013, on n’ait pas à rendre compte d’une activité aussi sensible, soit au corps de contrôle, soit au Parlement.

M. Thomas Thévenoud. M. Mangier arrête l’examen du dossier en 2001 et il met six ans pour le réexpédier ?

M. Alexandre Gardette. Je comprends votre incrédulité : j’ai eu la même réaction lorsque j’ai pris connaissance du dossier complet des époux Cahuzac en janvier dernier. Je ne saurais dire à quelle date précise il arrête ses investigations, mais, d’après le compte rendu que nous a fait son ancien collaborateur, je pense que c’est dans les semaines qui suivent la réception du dossier : son collaborateur a procédé aux opérations de contrôle dans les semaines qui ont suivi la réception du dossier – donc au printemps 2001 – et, ne trouvant rien, il a demandé à son supérieur hiérarchique s’il avait des informations complémentaires ou s’il était possible de rencontrer sa source ; comme la réponse de M. Mangier fut négative, cela s’est arrêté là. Quant à savoir pourquoi le dossier est resté jusqu’en 2007 à la BII de Bordeaux, je ne vois pas d’autre explication que la négligence.

M. Garnier avait été muté d’office à la direction des services fiscaux du Lot-et-Garonne. Il a attaqué cette décision, a gagné et a donc obtenu le droit d’être réintégré dans le service où il était précédemment affecté, l’antenne d’Agen de la DIRCOFI du Sud-Ouest ; il y était auparavant vérificateur, et c’est dans ce cadre qu’il avait contrôlé France Prune. Pour des raisons évidentes, il fut jugé impossible de le réintégrer dans les mêmes fonctions, et c’est pourquoi on lui a confié des missions d’enquête et de programmation. À ce titre, il était logique de lui donner accès à Adonis. Était-ce une bonne idée ? Rétrospectivement, je ne le pense pas.

Nos relations avec Mme Cahuzac sont normales. Lorsqu’on examine la situation fiscale d’un ministre qui vient de prendre ses fonctions, on prend en considération le dossier de l’ensemble du foyer fiscal. Il est de notoriété publique que la situation du couple Cahuzac n’était pas tout à fait « normale », et nos services – notamment la DRFIP 75 – avaient quelques difficultés à obtenir les renseignements voulus. C’est pourquoi, à la fin novembre ou au début décembre, nous avons indiqué aux contribuables qu’il serait souhaitable qu’ils nomment un conseil qui parlerait en leur nom commun ; maître Ranchon, expert-compable des deux membres du foyer, a donc rencontré le 19 décembre l’administration fiscale de Paris, qui lui a posé une série de questions, lesquelles ont été reproduites le lendemain dans un article bien informé de Mediapart… Nos relations avec Mme Cahuzac étaient donc les mêmes que celles que nous avions avec M. Cahuzac, au sens où nous lui posions des questions sur des sujets fiscaux par son conseil interposé.

Le « 754 » est un formulaire globalement normalisé, qui est utilisé dans des circonstances précises. En revanche, la rédaction de sa deuxième page est assez libre : chaque fonctionnaire des impôts l’adapte aux questions qu’il souhaite poser au contribuable. En ce sens, le service du contrôle fiscal y a effectivement mis sa « patte ». Les services parisiens auraient bien entendu été capables de le faire, mais, dans la mesure où le formulaire concernait le ministre du budget, il m’a semblé normal que l’administration centrale prenne la responsabilité de le rédiger.

M. Christian Eckert. D’aucuns ont mis en avant le fait que la banque UBS faisait dès cette époque l’objet d’un certain nombre de procédures administratives, judiciaires et autres. Avez-vous subi une pression de quelque nature que ce soit sur ce dernier dossier ? Y a-t-il eu interférence de M. Cahuzac dans l’affaire UBS ?

M. Alexandre Gardette. Aucunement. Le dossier concernant la banque UBS était expressément mentionné dans l’instruction dite « muraille de Chine » du 10 décembre 2012 : il faisait partie des dossiers que nous ne pouvions plus évoquer avec le ministre délégué de l’époque. J’ai en mémoire une note générale sur ce dossier envoyée au directeur de cabinet de M. Moscovici le 11 décembre, sur le bordereau d’envoi de laquelle notre directeur général avait écrit à la main : « Adressée uniquement au ministre de l’économie compte tenu de la procédure muraille de Chine » – laquelle avait été adoptée la veille. À partir du moment où l’instruction « muraille de Chine » a été connue, nous n’avons rendu compte d’éventuels éléments nouveaux dans l’affaire UBS qu’au « 6e étage », c’est-à-dire au ministre de l’économie.

M. Christian Eckert. Et auparavant, à votre connaissance, le ministre délégué avait-il eu à intervenir dans cette affaire ?

M. Alexandre Gardette. Il faudrait que je vérifie, mais je ne crois pas que nous ayons adressé de note aux ministres sur ce dossier avant celle du 11 décembre. Mais si cela avait été le cas, nous l’aurions adressée aux deux ministres ; ce dont je suis certain, c’est qu’il n’y a eu aucune interférence de M. Cahuzac dans le dossier UBS général.

Mme Cécile Untermaier. Il y avait eu des alertes sur la situation fiscale de Jérôme Cahuzac en 2001, 2006 et 2008. Je crois savoir que M. Garnier avait dénoncé des sous-évaluations. Au-delà de la question de l’enregistrement et du compte en Suisse, dans quel état d’esprit se trouve l’administration fiscale à l’égard d’une situation aussi problématique ?

Vous dites qu’il existe un délai, non contraignant, de trente jours pour renvoyer le formulaire 754. Vous attendiez-vous à une réponse rapide de la part de M. Cahuzac, de manière à ce que l’assistance administrative à la Suisse puisse être demandée rapidement ? Qu’avez-vous pensé quand vous avez constaté qu’il ne répondrait pas ?

M. Alexandre Gardette. En 2001, l’information ne portait que sur la détention d’un compte, non déclaré, à l’étranger et elle n’était pas remontée à la hiérarchie. Elle ne figure pas dans le dossier ; le service d’enquête n’avait pas proposé de contrôle approfondi : il n’y avait par conséquent aucune raison que cela ait des suites.

En 2006, l’information ne parvient pas à l’administration fiscale : c’est M. Bruguière qui est informé par M. Gonelle ; nous n’en entendons pas parler.

En 2008, le service du contrôle fiscal ne tire pas de conclusions du mémoire de M. Garnier sur le dossier fiscal de M. Cahuzac, puisqu’il n’en a pas connaissance ; quant aux directeurs locaux, ils considèrent que les informations ne sont pas suffisantes pour ouvrir une procédure.

Quand il prendra connaissance du dossier fiscal de l’intéressé, votre rapporteur constatera qu’il y a bien eu des contrôles effectués depuis 1991 : le dossier n’est pas resté à l’écart de toute procédure, bien au contraire.

S’agissant du formulaire 754, il est vrai que nous n’attendions pas véritablement de réponse ; mais, je le répète, nous aurions de toute façon fait une demande d’assistance administrative. Simplement, si nous avions eu la réponse le 20 décembre, nous l’aurions lancée trois semaines plus tôt.

Mme Cécile Untermaier. Dans un tel contexte de pression médiatique, attendre trente jours, c’est très long !

M. Alexandre Gardette. Dans l’administration, trente jours n’est pas un délai très long – non que l’on travaille lentement, mais il y a des procédures de contrôle ! Nous nous attendions à ce que les Suisses mettent six mois à nous répondre. M. Moscovici ayant beaucoup insisté auprès de Mme Widmer-Schlumpf, de même que M. Bézard auprès de son homologue, nous espérions une réponse rapide – mais pas en sept jours ! Nous avions engagé une procédure fiscale ayant pour objectif de taxer, si compte il y avait, des avoirs à l’étranger ; notre préoccupation première n’était pas la gestion du temps médiatique. Nous laissions cela aux autorités politiques et au Gouvernement.

Mme Cécile Untermaier. M. Moscovici n’a pas été informé de la non-réponse dans le délai de trente jours ?

M. Alexandre Gardette. Je vous le répète : le ministre n’en a pas été informé.

M. le président Charles de Courson. Monsieur Gardette, je vous remercie pour la précision de vos propos.