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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 4 juin 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Sivieude, directeur des vérifications nationales et internationales (DVNI), M. Bernard Salvat, ancien directeur national des enquêtes fiscales (DNEF), et Mme Maïté Gabet, directrice nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF)

M. le président Charles de Courson. Je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de notre Commission d’enquête. Messieurs, Madame,vous dirigez ou avez dirigé jusqu’à une date récente les trois directions à compétence nationale de la DGFIP spécialisées dans le contrôle fiscal : la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), qui procède au contrôle fiscal des entreprises les plus importantes, la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), chargée de la recherche de la fraude, et la direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF), qui contrôle les personnes physiques dotées d’un patrimoine important ou dont la situation est jugée sensible.

Nous cherchons à savoir si, au-delà des services centraux, vos trois directions ont été sollicitées pour enquêter sur la situation financière ou fiscale de M. Cahuzac.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous remercie de bien vouloir lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Olivier Sivieude, M. Bernard Salvat et Mme Maïté Gabet prêtent serment.)

M. Olivier Sivieude, directeur des vérifications nationales et internationales (DVNI). Je suis à la tête de la DVNI depuis 2008, c’est-à-dire depuis cinq ans. Celle-ci contrôle les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel excède 150 millions et les prestataires de services dont le chiffre d’affaires excède 75 millions, soit un total de 3 500 groupes ou entreprises établis en France et, si l’on y ajoute leurs filiales, de 70 000 entreprises.

Mes 500 collaborateurs procèdent à 1 400 contrôles par an. En 2012, le montant des rappels, droits et pénalités, portant essentiellement sur les impôts dus par les sociétés s’est élevé à 4,6 milliards. La DVNI, qui ne s’intéresse pas à la situation des particuliers, ne réalise pas d’examen de la situation fiscale personnelle (ESFP) et ne contrôle pas l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Elle n’effectue de rappel sur l’impôt sur le revenu (IR) que dans le cadre du contrôle des entreprises, quand la situation des dirigeants est vérifiée, pour savoir, par exemple, s’ils ont bénéficié d’avantages en nature, si leur rémunération est excessive et s’ils ont déclaré des plus-values sur des titres ou des stock-options. C’est seulement dans ce cadre que nous pouvons être amenés à effectuer des rappels sur l’IR.

Je suis interrogé par votre Commission d’enquête parce qu’un article de Valeurs actuelles a affirmé que des vérificateurs de la DVNI auraient participé, dans le cadre de l’affaire Cahuzac, à une enquête en Suisse. C’est faux, voire grotesque : nous ne contrôlons jamais les particuliers ; de plus, nous n’avons pas le droit d’aller à l’étranger. Aucune administration de contrôle fiscal, de quelque pays qu’elle soit, ne peut faire de contrôle hors de son territoire national. Enfin, la DVNI n’effectue ni recherche, ni enquête. Ni moi ni mes collaborateurs ne sommes donc concernés par cette affaire.

M. Bernard Salvat, ancien directeur national des enquêtes fiscales (DNEF). L’action de la DNEF s’inscrit dans les orientations données par la direction générale des finances publiques (DGFIP), qui nous adresse des lettres de mission. Depuis trois ans, c’est-à-dire depuis le début de mon mandat, la direction nous a prescrit de renforcer la lutte contre les fraudes graves, notamment dans le domaine de la fiscalité des entreprises. Nos cibles principales sont les carrousels en TVA et la fraude internationale. Nous disposons de différents droits : du droit de communication au droit d’enquête, ainsi que de la possibilité d’effectuer des vérifications, voire des perquisitions. Au terme de l’enquête, la comptabilité des entreprises est vérifiée par les directions partenaires, comme la DVNI ou les directions de contrôle fiscal, très rarement par la DNEF. La procédure est calée sur le plan juridique. Nos opérations sont rarement censurées par les tribunaux, tant au stade de l’enquête qu’à celui de l’exploitation des renseignements que nous fournissons pour vérification.

Conformément aux orientations que nous avons reçues, nous avons nettement accru notre production. En trois ans, nous avons multiplié par deux et demi le nombre des contrôles et amélioré la qualité de nos travaux, comme en témoigne l’élévation du taux d’aboutissement de nos propositions de contrôle. En matière de résultats financiers, de recouvrement et de suites pénales, l’évolution est très favorable. Nous avons également développé des actions préventives, notamment pour les carrousels, car l’affaire du CO2 est encore dans nos mémoires. La prévention concerne les secteurs sensibles que sont l’énergie, la téléphonie ou le commerce des véhicules d’occasion. Nos travaux sont montés en gamme, ce qui se concrétise par une importante programmation – une centaine d’affaires – au profit de la DVNI. Dans le secteur de l’économie numérique, nous avons mené des opérations lourdes. Depuis trois ans, la DNEF n’a donc été ni passive, ni en retrait. Elle soutient honorablement la comparaison avec ses homologues italien, allemand et britannique. C’est une direction très active mais en matière de fiscalité des entreprises.

Par rapport aux personnes physiques, la DNEF est en retrait pour des raisons tant techniques que juridiques. Quand l’administration fiscale entreprend des recherches extérieures approfondies pour apprécier la cohérence de la situation fiscale d’un contribuable, en particulier en matière d’impôt sur le revenu, elle commence un ESFP et lui adresse un avis de vérification. De ce fait, le rôle de la DNEF est extrêmement limité, sauf à créer les conditions d’un vice de forme qui pourrait être exploité au niveau contentieux et qui compromettrait l’imposition finale.

Nous ne sommes présents que dans des opérations collectives centrées non sur un contribuable en particulier mais sur une thématique. Ainsi, nous avons lancé, sur la base de l’article L.96-A du Livre des procédures fiscales, plusieurs actions sur la thématique des comptes à l’étranger et obtenu des banques la liste des opérations à destination de paradis fiscaux au-delà d’un certain seuil. La DNEF joue donc un rôle important en matière de lutte contre la fraude des personnes physiques, notamment à l’international, mais son action ne vise que très peu de cas particuliers. L’administration peut procéder à un contrôle sur pièces, comme le font les directions gestionnaires ou la DNVSF sur les dossiers haut de gamme, mais on créerait un risque juridique en procédant autrement. Les actions collectives, qui sont inscrites dans la feuille de route de la DNEF, ne concernent que deux brigades et occupent moins de vingt personnes sur un effectif de 300.

Nous travaillons peu sur les particuliers. Quand un contribuable relève d’une catégorie sensible, nous n’agissons pas sur initiative. Nous passons systématiquement par un contact préalable avec l’administration centrale et par une commande. C’est à cette famille de dossiers sensibles qu’appartient le dossier des parlementaires. Avant juin 2011, la DNEF n’était pas habilitée à interroger nos fichiers à leur sujet. Ceci donne une idée de l’orientation de nos travaux : nous ne nous intéressons aux personnes physiques d’un certain niveau que lorsque nous recevons une commande précise de la direction générale.

M. Alain Claeys, rapporteur. Comment expliquez-vous que la direction de l’antenne de Bordeaux de la DNEF ait demandé au centre des impôts parisiens le dossier fiscal de M. Cahuzac ? En poste depuis 2009, avez-vous eu connaissance de ce prélèvement ? Est-il habituel qu’un service procède par lui-même à des investigations sur un contribuable domicilié à Paris ? Pourquoi le dossier n’est-il revenu à Bordeaux qu’en 2007, alors même que son prélèvement n’aurait eu aucune suite ?

M. Bernard Salvat. En matière de recherche, il n’y a pas de compétence d’attribution stricte. Tous les services de recherche bénéficient d’informations, à partir desquelles ils tirent des fils. La règle est de laisser faire le service qui a reçu l’information.

M. Alain Claeys, rapporteur. Bordeaux était à l’origine de l’information ?

M. Bernard Salvat. Oui, c’est possible.

M. Alain Claeys, rapporteur. Utilisez-vous des informations anonymes ?

M. Bernard Salvat. Vous connaissez la doctrine de la DGFIP à cet égard : en principe, nous n’exploitons pas d’informations anonymes. (Exclamation de M. Hervé Morin.)

M. le président Charles de Courson. Elle est récente !

M. Bernard Salvat. Il y a eu une évolution.

Le travail des enquêteurs n’est pas sectorisé. Celui qui dispose d’informations tire les fils de l’enquête, qu’il mène jusqu’au bout. Les brigades de la DNEF, réparties sur le territoire national, ne sont pas cloisonnées par régions. Quand on se saisit d’un dossier, on n’en connaît pas encore les ramifications. Le cloisonnement induirait une perte de compétences et d’efficacité. La règle est que l’enquêteur va au bout de son travail, avec tout l’encadrement administratif nécessaire. Si la brigade de Bordeaux a bénéficié d’une information grâce à des personnes localisées dans le Sud-Ouest, elle pouvait consulter le dossier parisien. C’est plus simple aujourd’hui, puisque nous utilisons une application informatique, qui est cependant tracée. Quoi qu’il en soit, pour la DNEF, dont les enquêteurs bénéficient d’une compétence nationale, le fait que la brigade de Bordeaux ait demandé un dossier à Paris ne constitue pas une anomalie.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous eu l’occasion de regarder ce dossier de plus près ? Pourquoi, parti à Bordeaux en 2001, n’en est-il revenu qu’en 2007 ?

M. Bernard Salvat. Resituons-nous dans le contexte : en 2001, M. Cahuzac n’avait pas la notoriété qu’il a acquise par la suite.

M. le président Charles de Courson. Il était député entre 1997 et 2002. Battu en 2002, il a été réélu en 2007. Il a été élu maire de Villeneuve-sur-Lot en 2001.

M. Bernard Salvat. En demandant le dossier, la brigade a fait une démarche officielle, qui a été tracée, comme le montre le document qui vous a été remis ce matin. Il ne s’est donc rien passé d’anormal.

M. le président Charles de Courson. Ce matin, nous avons découvert que, lorsque le dossier a été transmis, votre subordonné n’en a même pas informé son chef de brigade.

M. Bernard Salvat. Je ne me prononcerai pas sur ce point.

M. le président Charles de Courson. Confirmez-vous qu’il s’agit d’un dysfonctionnement administratif, comme on nous l’a dit ce matin ?

M. Bernard Salvat. Il y a plusieurs degrés dans l’approche d’un dossier. Quand on s’en saisit parce qu’on identifie une piste de recherche, on ignore s’il va prospérer ou si l’enquête va rapidement s’arrêter. Il faut commencer par l’examiner.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pourquoi, en 2001, votre antenne de Bordeaux s’intéresse-t-elle à une personne physique, alors que vous contrôlez essentiellement des entreprises ?

M. Bernard Salvat. Avant d’être ministre, M. Cahuzac était chirurgien. L’enquêteur a pu penser qu’il existait un lien entre cette activité et l’information dont il disposait.

M. Alain Claeys, rapporteur. Sachant qu’il y avait eu une demande à Bordeaux, avez-vous mené votre enquête au niveau de la direction ?

M. Bernard Salvat. Non. La DNEF n’a pas été sollicitée par la direction générale. Nous n’avons jamais travaillé sur le dossier Cahuzac.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous êtes-vous demandé pourquoi ce dossier avait été demandé en 2001 et pourquoi il était revenu en 2007 ?

M. Bernard Salvat. Nous ne prenons les dossiers des personnalités que si la direction générale nous le demande, ce qu’elle n’a pas fait depuis 2009.

M. Alain Claeys, rapporteur. Fallait-il une autorisation de la direction générale pour que le dossier soit transféré à Bordeaux ?

M. Bernard Salvat. Les faits remontent à 2001. Je ne peux parler que de la période que j’ai connue.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous dites pourtant que, pour travailler sur le dossier d’une personne physique, il faut l’autorisation de la direction générale.

M. Bernard Salvat. Actuellement, nous la demandons pour les dossiers sensibles.

M. le président Charles de Courson. Depuis quand ? Depuis la circulaire Baroin ?

M. Bernard Salvat. C’est généralement la direction générale qui nous demande de traiter les dossiers. C’est plutôt dans ce sens-là que les choses se passent.

M. le président Charles de Courson. Depuis quand ?

M. Bernard Salvat. C’est comme ça depuis mon installation, en septembre 2009.

M. le président Charles de Courson. Et auparavant ?

M. Bernard Salvat. Je ne sais pas.

M. le président Charles de Courson. Allons, monsieur le directeur, il y a une continuité de l’État…

M. Bernard Salvat. Vous m’avez fait prêter serment de dire la vérité. C’est ce que je fais.

M. le président Charles de Courson. Vous pouviez vous renseigner sur ce qui se passait avant votre arrivée.

M. Bernard Salvat. Je connais la période où j’ai été en poste. Pour le reste, je n’ai rencontré mon prédécesseur que pendant deux heures. Je ne peux donc pas vous en dire plus.

M. le président Charles de Courson. Vous pouviez l’interroger.

M. Bernard Salvat. Je ne suis plus directeur de la DNEF. Vous avez interrogé ce matin M. Alexandre Gardette, ainsi que d’autres responsables de la DGFIP. Nous n’avons pas travaillé sur le dossier Cahuzac. Je ne m’y suis donc pas intéressé.

M. Alain Claeys, rapporteur. Depuis décembre 2012, votre direction n’a donc jamais eu à regarder les interférences avec Bordeaux ?

M. Bernard Salvat. J’ignorais qu’il y avait eu une interférence avec Bordeaux. Je l’ai appris lors de l’ouverture de l’enquête judiciaire.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous été sollicité dans le cadre de l’enquête ?

M. Bernard Salvat. Pas personnellement. On m’a seulement demandé quel était le chef de brigade.

M. Alain Claeys, rapporteur. Qui vous l’a demandé ?

M. Bernard Salvat. L’officier de police judiciaire qui s’est rapproché de nous.

M. Alain Claeys, rapporteur. À quelle époque ? Après le 5 décembre ?

M. Bernard Salvat. Je ne souviens plus de la date exacte. L’enquête était déjà lancée. Quand on m’a demandé quel était le chef de brigade alors en poste à Bordeaux, j’ai chargé mes services de retrouver son nom, que j’ai communiqué à la direction générale. Celle-ci a dû prendre l’attache des services de police.

M. Alain Claeys, rapporteur. En tant que directeur national, saviez-vous que ce dossier n’était revenu qu’en 2007 ?

M. Bernard Salvat. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Même quand vous avez été sollicité par la police judiciaire, vous ne vous êtes pas demandé pourquoi le dossier était parti à Bordeaux ?

M. Bernard Salvat. Nous avons répondu aux questions qu’on nous a posées, mais je n’ai pas enquêté personnellement sur l’affaire Cahuzac.

En tant que directeur de la DNEF, je disposais d’un tableau de bord recensant les affaires pouvant présenter un enjeu fiscal important, celles présentant ce qu’on peut appeler un « risque médiatique » ou une originalité en matière de fraude. Ce document opérationnel, qui portait sur une période de deux ans, ne permettait pas de savoir que le dossier Cahuzac avait été prélevé en 2001.

M. Alain Claeys, rapporteur. Est-ce parce que M. Cahuzac possédait une société de conseil que vos services de Bordeaux pouvaient s’intéresser à lui ?

M. Bernard Salvat. C’est une hypothèse. Sur les personnes physiques qui n’ont pas d’activité professionnelle, nous intervenons peu, alors que nous regardons le dossier des dirigeants d’entreprise. Je suppose que l’agent qui s’est intéressé à celui de M. Cahuzac l’a fait à raison de l’activité professionnelle de ce dernier. Alors, il n’était pas infondé à le regarder. Si ce n’est pas le cas, de nos jours, sous mon mandat, nous n’examinons le dossier des particuliers que sur demande expresse.

Mme Maïté Gabet, directrice des vérifications de situations fiscales (DNVSF). La troisième direction nationale, celle des vérifications de situations fiscales (DNVSF), est chargée de contrôler le dossier des personnes physiques les plus significatives.

Créée en 1983, elle a pour mission historique le contrôle fiscal externe des personnes physiques, c’est-à-dire la mise en œuvre de l’ESFP et, le cas échéant, la vérification de comptabilité, lorsque ce dossier est lié à celui d’une entreprise ou d’une activité professionnelle. Son périmètre d’intervention s’apprécie en fonction de différents critères : importance, complexité, dimension internationale et notoriété du dossier. À ce titre, elle ne dispose pas d’un portefeuille qui lui serait réservé, alors que la DVNI a compétence exclusive pour contrôler les multinationales, au-delà d’un certain chiffre d’affaires. N’ayant pas de compétence dédiée ou exclusive, la DNVSF agit en fonction des propositions qui remontent des services territoriaux, des services d’enquête ou des services de l’ordre judiciaire, dans le cadre de l’exercice des droits de communication respectifs.

Récemment, la DNVSF s’est vue confier une nouvelle mission : la surveillance et le contrôle corrélé revenus-patrimoine des dossiers à très fort enjeu, pour les personnes dont le revenu global dépasse 2 millions d’euros ou dont l’actif brut à l’ISF dépasse 15 millions. Nous recevons, dans ce cadre, des ordres de mission stratégiques de l’administration, et bénéficions d’une compétence exclusive de contrôle sur pièces. Nous ne procédons pas nécessairement au contrôle approfondi qu’est l’ESFP, mais nous avons l’obligation de couvrir notre portefeuille sur une période triennale qui correspond au délai de prescription en matière d’impôt sur le revenu. Pour ce faire, nous disposons d’une compétence juridique nationale qui nous permet d’intervenir sur l’ensemble du territoire. Notre direction, qui n’est pas une direction d’enquête mais de contrôle, possède 300 agents répartis sur une quinzaine de brigades. Je suis à sa tête depuis mai 2012.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous participé à une mission en Suisse ?

Mme Maïté Gabet. Non. Pour mon travail, je n’ai pas le droit de quitter le territoire national.

M. le président Charles de Courson. L’avocat de M. Cahuzac dit avoir alimenté le compte en Suisse de son client grâce à des versements en espèces effectués par des patients de la clinique et à des versements provenant des entreprises pharmaceutiques Servier, Fabre et Lilly. Avez-vous contrôlé celles-ci ou découvert des anomalies dans les comptes de la clinique de M. Cahuzac ? Je vous rappelle que nous cherchons à découvrir ce que les administrations savaient, le 4 décembre, et quelles informations avaient pu remonter auprès des ministres chargés de ces questions.

M. Olivier Sivieude. Le 4 décembre, la DVNI ne savait rien. Les sommes perçues par une clinique ne concernent, a priori, pas notre niveau de compétence, puisque nous travaillons sur les entreprises dont le chiffre d’affaires excède 150 millions et sur les prestataires de services dont le chiffre d’affaires excède 75 millions. En revanche, nous vérifions la situation des laboratoires pharmaceutiques et ceux cités sont clairement dans notre domaine de compétence.

M. le président Charles de Courson. Vous contrôlez alors le groupe ? Pouvez-vous identifier des versements effectués par une filiale soit en Suisse soit dans un autre pays sur le compte d’une personne ou d’une entreprise située en France ?

M. Olivier Sivieude. Les vérificateurs se demandent si des commissions ont été versées à des prestataires et si celles-ci sont justifiées, ou, selon la formule d’usage, si elles ont été versées « dans l’intérêt de l’entreprise ». Nous sommes particulièrement vigilants à l’égard des versements effectués dans des pays à fiscalité privilégiée, cependant nous procédons non de manière exhaustive mais par sondage. J’ajoute que, pour acquitter ces rémunérations, les groupes peuvent utiliser des filiales établies hors de France, qui échappent à notre domaine de contrôle.

Quant à savoir si des contrôles ont permis, en l’espèce, de repérer quelque chose, je n’en sais rien. J’ignore à quelle date les versements se sont produits. Ils semblent être assez anciens. Je n’ai aucune connaissance à cet égard.

M. le président Charles de Courson. D’après la presse, les faits remontent aux années quatre-vingt-dix, mais les versements ont pu perdurer.

M. Olivier Sivieude. Pour une période aussi ancienne, nous n’avons même plus les dossiers.

M. le président Charles de Courson. Nous cherchons à savoir de quelles informations disposaient les services de l’État. Vous êtes-vous intéressé à d’éventuels versements d’honoraires, via des filiales, à la Société Cahuzac conseil, dont le siège était en France ?

M. Olivier Sivieude. Pensant que vous me poseriez la question, j’ai interrogé mes services. Ils m’ont répondu que nous n’avions plus les dossiers et qu’on ne trouvait pas trace de recherches concernant ce contribuable.

M. Bernard Salvat. Nous n’avons pas enquêté sur ce dossier. En outre, quand des filiales étrangères versent des commissions, nous n’en avons pas nécessairement connaissance en France.

Lorsqu’une entreprise française qui fait du commerce international ne possède qu’une filière française, nous exploitons sa déclaration, qui mentionne l’ensemble des versements. Nous nous intéressons alors aux commissions qui seraient versées dans les paradis fiscaux. Mais quand des fonds transitent par une filiale possédant une autonomie fiscale et située dans un pays étranger, nous n’avons pas l’information. C’est généralement ce canal qu’utilisent les fraudeurs. Si les groupes effectuent un versement par le biais d’une filiale étrangère, la probabilité que nous l’apprenions est quasiment nulle. Seule une enquête approfondie permet de rassembler l’information qui se trouve dans les fichiers de manière passive, mais nous ne remontons pas très loin dans le temps. Tous nos fichiers sont validés par la CNIL, qui ne nous permet pas de conserver une information plus de dix ans.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand vous entendez les déclarations de M. Gonelle – vous étiez encore Directeur –, vous n’avez pas la curiosité de savoir ce qui s’est passé à Bordeaux ?

M. Bernard Salvat. Si la direction générale m’avait demandé d’enquêter, je l’aurais fait, mais elle traitait elle-même le dossier. Dès lors, je n’ai pas à m’immiscer dans sa gestion, puisqu’elle était dans les meilleures mains. Je rappelle que toute intervention est tracée.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous n’avez pas anticipé une question éventuelle de la direction générale ?

M. Bernard Salvat. Dans les dossiers de cette nature, on n’anticipe jamais. Les services appliquent strictement la règle : nous travaillons sur commande de la direction générale.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il n’aurait pas été anormal que le directeur de la DNEF se demande pourquoi un dossier a été transféré à Bordeaux, où il est resté six ans.

M. Bernard Salvat. Je ne sais pas que le dossier a été transféré en 2001, puisqu’aucun fichier ne recense les prélèvements.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il existe au moins un accusé de réception, qu’on nous a transmis ce matin. Il atteste qu’un dossier parti en 2001 est revenu six ans plus tard.

M. Bernard Salvat. Les prélèvements sont tracés à l’adresse où le dossier est géré, mais ne sont pas recensés dans un fichier qui serait à la disposition du directeur de la DNEF. C’est pourquoi celui-ci ne peut pas faire de requête sur des faits qui remontent à huit ans.

Mme Cécile Untermaier. À la différence de la DNEF, les brigades interrégionales d’intervention (BII) contrôlent le dossier des particuliers. Est-ce une brigade de ce type qui a demandé le dossier de M. Cahuzac ?

M. Bernard Salvat. Les BII peuvent mener des enquêtes et, si besoin, formuler une demande de perquisition, qui doit être validée par la direction. Les brigades nationales d’investigation (BNI), situées à Pantin, effectuent des recherches, sans aller toutefois jusqu’à la perquisition. Si celle-ci s’avère nécessaire, elles passent le relais aux BII.

Quand un service fait de la recherche de renseignements, il possède une part d’initiative. Par exemple, la découverte d’un véhicule suspect peut déclencher une enquête permettant d’aller très loin. Quand une affaire est anodine, elle peut passer par des rouages administratifs sans remonter au plus haut niveau, à moins que le dossier ne mérite d’être soumis à un visa hiérarchique élevé.

Qu’un enquêteur de Bordeaux disposant d’une information ait eu le réflexe d’examiner un dossier, pour savoir ce qu’on pouvait en faire, n’a rien de choquant. Il l’a gardé sept ans. C’est un peu long, mais il arrive que des dossiers restent longtemps dans nos armoires, parce qu’ils ont une vie faite de contentieux. Quoi qu’il en soit, le transfèrement est tracé, jadis sur le papier, aujourd’hui sur une application informatique. Si le service d’origine avait eu besoin du dossier, il l’aurait réclamé à la BII de Bordeaux.

Depuis 2002, tout étant dématérialisé, les dossiers papiers ne récupèrent plus d’information intéressante. Le dossier ne présentait donc quasiment plus d’intérêt sur le plan fiscal depuis 2005.

M. Jean-Pierre Gorges. À ceci près que, pour dématérialiser un dossier, il faut l’avoir à un moment donné !

M. Bernard Salvat. La logique était que tout vérificateur détenait le dossier papier. C’était une manière d’affirmer sa responsabilité. Cette logique est caduque, puisque nous travaillons désormais sur des données dématérialisées.

M. Jean-Pierre Gorges. Manifestement, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, les fonctionnaires semblent avoir agi de manière très professionnelle, mais cela n’a pas toujours été le cas, auparavant. M. Gonelle s’est fait trois fois fermer la porte au nez.

En 2001, quand il prend contact avec des gens qui étudient le dossier, trois élus pointent le fait que M. Cahuzac organise des manifestations avec les laboratoires pharmaceutiques. Celui-ci menace de les attaquer. Telle était l’ambiance qui planait sur Villeneuve-sur-Lot ! C’est dans ce contexte que M. Gonelle va transmettre l’enregistrement par l’intermédiaire d’amis. Ce n’est sans doute pas la bonne procédure, mais le dossier ne met que trois jours pour descendre de Paris. Malheureusement, l’homme qui a eu le dossier est décédé. À l’époque, contrairement à ce que vous avez affirmé, M. Cahuzac est connu. L’affaire commence donc rapidement, avec un fonctionnaire qui n’informe personne et qui gardera le dossier jusqu’en 2007, ce qui est pour le moins mystérieux.

En 2006, l’enregistrement se retrouve dans les mains d’un juge très connu.

Vient alors l’épisode Garnier : quelqu’un travaille sur le sujet, passe l’information, mais les portes se ferment.

Enfin, après le 4 décembre 2012, M. Gonelle prend contact avec une personnalité qu’il connaît, M. Zabulon, qui travaille à l’Élysée. Il lui explique la situation. La porte se ferme à nouveau. Quelqu’un est-il intervenu pour empêcher le dossier d’avancer ? Comment un fonctionnaire a-t-il pu détenir un dossier sans jamais en informer personne ?

M. Bernard Salvat. Je ne pense pas qu’il y ait eu une intervention, car je n’en ai jamais vu en trois ans. Les enquêtes sont menées dans les règles de l’art et les dossiers aboutissent.

Ma lecture est la suivante. Quelqu’un possède une information sur l’éventualité qu’un contribuable possède à l’étranger un compte non déclaré, à une l’époque où il n’est pas obligatoire de déclarer ce type de comptes et où la convention avec la Suisse exclut toute possibilité de poser des questions. Dans le dossier, le vérificateur ne trouve aucune information relative à l’existence de ce compte, ce qui se produit par exemple quand le contribuable fait état d’un crédit d’impôt étranger. Il ne trouve sans doute pas non plus de déclaration d’honoraires effectuée par la filiale étrangère d’un groupe pharmaceutique. Il est donc dans une impasse, puisque je doute fort qu’un élément du dossier atteste la présence de ce compte et qu’il n’a pas le moyen juridique de trouver l’information. Le dossier reste donc en l’état.

M. le président Charles de Courson. Nous auditionnerons M. Garnier le 12 juin, ce qui devrait nous permettre d’en savoir un peu plus.

M. Bernard Salvat. Encore que…

Mme Marie-Christine Dalloz. Depuis une semaine, je me demande s’il arrive à la DGFIP, à la DVNI, à la DNEF et à la DNVSF d’organiser des réunions de travail. Il semble que, même si chacun respecte sa procédure, celles-ci suivent des tunnels qui ne se croisent jamais. C’est sans doute une des clés de ce dossier.

M. Bernard Salvat. Je l’ai dit : nous sommes chargés de plus de cent affaires vérifiées par la DVNI. Les groupes de travail sont nombreux. Nous développons des axes de recherche avec le concours de vérificateurs. Nous sommes également en lien avec la DNVSF. Autant dire que les trois directions nationales font collaborer de manière très étroite le renseignement, la recherche et le contrôle, qui se divise en deux branches – entreprises haut de gamme et personnes physiques.

M. Olivier Sivieude. Nous avons conscience qu’en unissant nos forces, nous gagnons en efficacité. C’est pourquoi nous menons conjointement information, coordination et formation. Des vérificateurs de la DVNI et de la DNVSF travaillent sur les mêmes dossiers.

Mme Maïté Gabet. Le service du contrôle fiscal dirigé par M. Gardette, que vous avez entendu ce matin, comporte une mission de coordination et de pilotage des trois directions nationales.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Dans cette administration où prévalent, nous a-t-on dit, rectitude et rigueur, je trouve étrange qu’un fonctionnaire de l’administration fiscale ait pu analyser un dossier sans saisine formelle. Est-il vrai que les dossiers des politiques sont traités à part ? Quelles sont vos relations avec TRACFIN et avec les groupes d’intervention régionaux (GIR), qui intègrent des fonctionnaires des douanes, des services fiscaux, de la police et de la gendarmerie ? Qui coordonne l’ensemble ? Enfin, je m’étonne que, lorsque des dysfonctionnements sont constatés, nul ne semble s’y intéresser.

M. Bernard Salvat. Quand on prend un dossier sur la base d’une information semblable à celle qu’a divulguée M. Gonelle, on ne peut savoir s’il débouchera sur une véritable enquête. On le consulte pour savoir de quoi il retourne. À ce stade, c’est une opération simple, qui est tracée. Elle n’est donc pas informelle. Nous nous assurons, par ailleurs, que la vérification obéit à une motivation strictement professionnelle.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Connaît-on le nom du fonctionnaire qui était ami avec M. Gonelle ?

M. Bernard Salvat. On connaît celui de l’agent qui a demandé le dossier à Paris et qui l’a reçu. Une fiche mentionne en outre la période pendant laquelle il l’a conservé.

On sait toujours qui a fait quoi. Le fonctionnaire qui a demandé le dossier en devient responsable, et on peut l’interroger sur ses motivations. En l’espèce, après avoir vu le dossier, le vérificateur ne l’a pas exploité. Il s’est contenté de le garder, sans doute un peu trop longtemps. Si l’enquête avait prospéré, il y aurait eu formalisation, et des éléments nous seraient remontés. C’est parce que l’affaire n’a pas débouché sur une enquête que rien n’est parvenu jusqu’à nous.

Mon tableau de bord pour 2009-2012 ne mentionne pas toutes les consultations de dossiers. Quand on se saisit de celui d’une entreprise, on regarde la situation des dirigeants et de leurs associés. On vérifie rapidement sept ou huit dossiers sans aller plus loin. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une enquête ; c’est quand la consultation débouche sur des enquêtes périphériques qu’il apparaît dans le tableau de bord, et que l’information remonte jusqu’à moi.

Tout le monde consulte des dizaines de dossiers. Je ne suis averti que quand on dépasse ce stade. Il n’est donc pas étonnant, puisque la consultation de Bordeaux n’a pas eu de suite, que la direction n’en ait pas été avisée. Il n’y a pas lieu de faire de rapport sur tous les dossiers.

M. le président Charles de Courson. Vous n’empêcherez pas la Commission de s’interroger, puisque, selon M. Gonelle, il y aurait eu une intervention pour classer l’affaire.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Gonelle a une caractéristique : il ne passe jamais par des voix officielles. Il faut toujours qu’il s’adresse à un ami, voire à l’ami d’un ami, ce qui complique notre travail.

M. Bernard Salvat. Je n’ai eu à connaître aucune intervention. D’autre part, on ne rédige pas un rapport chaque fois qu’on ouvre un dossier, même pour dire qu’on n’y a rien trouvé. S’ils veulent en savoir plus, les chefs de brigade effectuent un contrôle interne. Nous réduisons la paperasserie, qui coûte cher et diminue notre efficacité.

Par ailleurs, nous prenons toutes les précautions pour éviter la curiosité malsaine. Depuis plus de dix ans, sont classés « sensibles », à l’initiative des directions déconcentrées qui en définissent les critères, le dossier des parlementaires et des personnalités locales du monde des affaires ou du monde médiatique. L’accès aux données est filtré et ces dossiers sont traités non par les services mais en direction, bien qu’ils soient examinés aussi régulièrement et avec la même impartialité que les autres. Quand il s’agissait de dossiers papiers, ils étaient conservés dans des coffres, un registre consignant la date de la consultation, le motif qui la justifiait et l’identité de la personne qui l’effectuait. À présent que nous travaillons sur informatique, la traçabilité est incluse dans les applications, afin d’éviter des fuites. Enfin, il existe un traitement pour les élus qui accèdent à des fonctions ministérielles.

La DNEF reçoit toutes les dénonciations que TRACFIN transmet à la direction générale des finances publiques. Nous travaillons les dossiers, en recherchant le moyen de les exploiter selon les procédures fiscales, après quoi ils sont transmis aux services pour contrôle. Nous recevons de TRACFIN quelque 150 dossiers par an. Dans la plupart des cas, ils sont envoyés à la justice.

M. le président Charles de Courson. Vous n’avez jamais reçu de TRACFIN une information concernant M. Cahuzac ?

M. Bernard Salvat. Non.

M. Étienne Blanc. Les hauts fonctionnaires, hauts magistrats ou hauts responsables d’administration sont-ils classés comme « personnes sensibles » ?

M. Bernard Salvat. Les directions peuvent inclure dans cette catégorie des personnes dont le dossier présente une sensibilité locale ou nationale. La seule limite est que les directions doivent ensuite les gérer, notamment ressaisir les déclarations, alors que leurs effectifs ne leur permettent pas de se charger d’un grand nombre de dossiers.

M. Étienne Blanc. Le responsable d’une question critique dans un cabinet ministériel est-il considéré comme « personne sensible » ?

M. Bernard Salvat. À ma connaissance, non.

M. Jean-Pierre Gorges. La déclaration de patrimoine qu’établit un parlementaire en début et en fin de mandat est-elle transmise au fisc ?

M. Bernard Salvat. Non.

M. Jean-Pierre Gorges. Le dossier demeure à Bordeaux à l’époque où M. Cahuzac n’est plus parlementaire, et remonte à Paris en 2007, quand il est réélu. Peut-on établir un lien entre les faits ?

M. Bernard Salvat. Non. C’est quand le nouveau chef de brigade prend ses fonctions qu’il découvre le dossier et prend l’initiative de le renvoyer. Il n’y a pas d’interférence entre nos services et le monde politique. Les déclarations de patrimoine faites par les parlementaires ne sont pas exploitées par les services fiscaux. Nous recevons leur déclaration de patrimoine s’ils sont assujettis à l’ISF. S’ils ne le sont pas, nous n’avons pas à connaître leurs actifs.

M. le président Charles de Courson. À votre connaissance, la situation de M. Cahuzac avait-elle été contrôlée avant qu’il devienne ministre ?

Mme Maïté Gabet. Non.

M. le président Charles de Courson. Je vous remercie.