Accueil > Travaux en commission > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 4 juin 2013

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Picart, chef du bureau D 3 de lutte contre la fraude à la direction générale des douanes et des droits indirects

M. le président Charles de Courson. Nous poursuivons nos auditions en accueillant M. Thierry Picart, chef du bureau D 3 de lutte contre la fraude à la direction générale des douanes et des droits indirects.

Je vous remercie, monsieur, d’avoir accepté d’être entendu par notre commission d’enquête chargée de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de l’affaire Cahuzac.

Lors de son audition par notre commission le 21 mai dernier, M. Michel Gonelle a indiqué avoir « entendu dire par plusieurs sources journalistiques concordantes que le chef de la direction des enquêtes douanières – une des divisions de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) – avait obtenu le renseignement dès 2001 » [de la détention par M. Cahuzac d’un compte à l’étranger]. Il vous a ensuite nommément désigné. Nous souhaitions donc vous offrir la possibilité de vous expliquer sur ce point.

Avant d’aller plus loin, il me revient de rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Picart prête serment)

M. le président Charles de Courson. Je vous laisse la parole pour nous livrer vos explications.

M. Thierry Picart, chef du bureau D 3 de lutte contre la fraude à la direction générale des douanes et des droits indirects. J’avais d’abord décidé de répondre directement à vos questions. Puis, après réflexion, j’ai estimé qu’il pouvait être utile de tenter quelques premières clarifications. Je vous remercie donc, monsieur le président, de me donner la possibilité de m’exprimer aujourd’hui.

Si mon nom a été rendu public lors de l’audition de M. Gonelle ce 21 mai, c’est depuis le 3 avril, date de ses premières déclarations à l’AFP, que j’ai été contacté par de nombreux journalistes. Si mon nom n’était pas public, en tout état de cause il circulait bel et bien. Comme je ne pouvais pas leur répondre, certains ont vu dans mon silence une validation implicite de leurs déclarations, parfois contradictoires.

À l’instar de M. Gardette, que vous avez auditionné ce matin, je peux reprendre à mon compte la quasi-totalité du propos introductif de M. Bézard, directeur général des finances publiques, lors de son audition du 28 mai.

Ce n’est pas aux membres de votre commission que je rappellerai que tout fonctionnaire est soumis au secret professionnel, destiné à protéger les citoyens et à éviter que des informations collectées à leur encontre ne soient diffusées publiquement. Tout fonctionnaire est également soumis aux obligations de discrétion professionnelle et de réserve. Tout manquement à ces obligations, rappelées expressément par des dispositions spécifiques du code des douanes, est susceptible de faire l’objet d’une sanction pénale. Dois-je rappeler également que les relations du fonctionnaire avec son employeur, en l’occurrence l’État, ne sont pas régies par une convention, mais par un statut qui protège le fonctionnaire ?

Comme il semble que c’est mon action dans des fonctions antérieures et non à mon poste actuel qui a été évoquée, je pense utile de rappeler brièvement les étapes de mon parcours professionnel.

Je suis entré dans l’administration il y a longtemps, comme inspecteur des douanes. Je suis donc douanier d’origine. De 2000 à 2003, j’ai dirigé la quatrième division d’enquêtes de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, la DNRED, chargée notamment de lutter contre les mouvements financiers illicites. Je n’y étais pas enquêteur chargé des investigations, mais, comme tout chef de service, j’avais une fonction de pilotage. Je pourrai revenir ultérieurement, si vous le souhaitez, sur les missions, l’activité et le fonctionnement de ce service.

De janvier 2004 à juillet 2005, j’ai été mis à disposition du ministère des affaires étrangères. Là encore, je pourrais, si vous le souhaitez, vous fournir toutes les précisions utiles.

Après un très bref retour au sein de la direction générale des douanes, et après avoir réussi la sélection d’accès au grade d’administrateur civil et suivi quelques mois de scolarité à l’ENA, j’ai été affecté à la direction du budget en septembre 2006, où j’ai été chargé du suivi des crédits de la mission « Aide publique au développement ». Les membres de la commission des finances de votre Assemblée confirmeront que la gestion des programmes 110, 209 et 301 n’amènent pas vraiment à entretenir d’étroites relations avec la direction générale des douanes et des droits indirects.

Je suis revenu à cette direction en juillet 2009 au poste de chef du bureau de lutte contre la fraude, que j’occupe actuellement.

Votre commission a souhaité m’entendre après que Maître Gonelle, lors de son audition le 21 mai dernier, a cité mon nom – j’ai entre les mains une transcription que j’ai effectuée moi-même de cette audition. Les questions que vous lui avez posées faisaient suite à ses déclarations à l’AFP le 3 avril 2013.

Je ne reprendrai que deux paragraphes de ce communiqué, qui fait plusieurs dizaines de lignes : « Selon ce que je sais de bonne source et qui m’a été rapporté, un haut fonctionnaire des douanes avait identifié le compte en 2008, a déclaré à l’AFP l’ancien maire RPR et rival politique de l’ex-ministre du budget en Lot-et-Garonne. Ce haut fonctionnaire est élu d’une ville de l’Oise, selon M. Gonelle, qui l’a invité à se faire connaître des magistrats instructeurs. »

Comme beaucoup de personnes intéressées, directement ou indirectement, par votre commission d’enquête, j’ai écouté l’audition de Maître Gonelle. J’y ai relevé quelques différences avec des déclarations antérieures. Même si ce n’est pas l’objet de mon propos, je pourrais vous en faire part. Cela pourrait apporter quelques éléments de contexte intéressants. Mais j’ai aussi relevé au cours de cette audition, des inexactitudes me concernant directement, que je vais corriger, si vous le permettez.

Comme je l’ai dit dans mon propos introductif, je ne suis pas administrateur civil d’origine, mais douanier. Cette erreur, factuelle, n’est pas très grave. C’est néanmoins une petite erreur.

Je n’ai pas dirigé le quatrième bureau, mais la quatrième division, au sein de la DNRED. Là encore, c’est une petite erreur sans gravité, qui peut être facilement corrigée, et qu’une personne pas nécessairement au fait de l’organisation administrative, est susceptible de commettre.

Mais Maître Gonelle est également revenu sur la date des faits allégués. Il a affirmé, je le cite : « Il y a une petite erreur dans la relation qui a été faite de cette interview l’interview de l’AFP ]. En réalité, ce n’est pas 2008. C’est bien avant, en 2001 [ que ce fonctionnaire a eu connaissance de l’existence du compte ].

M. Alain Claeys, rapporteur. Voici la teneur exacte de nos échanges durant l’audition de M. Gonelle. Je lui demande : « Dans une interview du 3 avril 2013, vous indiquez que l’administration des douanes aurait eu connaissance dès 2008 de l’existence du compte à l’étranger de Jérôme Cahuzac. Comment le saviez-vous ? » Il me répond : « En réalité, il y a une erreur dans la transcription de mes propos, car cette administration le savait bien avant 2008. J’ai entendu dire par plusieurs sources journalistiques concordantes que le chef de la direction des enquêtes douanières - une des divisions de la DNRED, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières -, avait obtenu ce renseignement dès 2001, même si j’ignore de quelle façon. Selon mes informations, dont j’ai tout lieu de penser qu’elles sont sérieuses, ce cadre de haut niveau, administrateur civil d’origine, a été interrogé par plusieurs journalistes sur ce fait, sans jamais le démentir ni le confirmer. » Le président lui demande alors : « Quel est son nom ? ». Il répond : « Thierry Picart. ».

M. Thierry Picart. Si vous le permettez, monsieur le rapporteur, Maître Gonelle a dit « il y a une petite erreur » parlant de 2008 versus 2001. Il a surtout dit que ce n’était pas lui qui avait commis cette erreur, mais le journaliste.

Si Maître Gonelle est « avocat, et non procureur ou enquêteur », comme il l’a dit, je suis, pour ma part, enquêteur de formation. Je me suis donc livré à quelques vérifications. Le premier communiqué AFP, qui évoque 2008, a été repris quasiment in extenso par plusieurs journaux. On pourrait penser qu’y est reprise une erreur initiale. Seulement dans d’autres interviews, à d’autres dates, dans Le Courrier picard, Marianne ou Rue 89, c’est aussi la date de 2008 qui est citée. On pourrait évoquer une erreur de transcription. Mais il suffit d’aller sur YouTube, comme je l’ai fait, pour y visionner la vidéo d’une interview à BFM TV, et il ne peut y avoir là d’erreur de transcription. Maître Gonelle, qui met d’ailleurs également en cause la Cour des comptes dans cette interview, y parle bien de 2008. Ce n’est pas une « petite erreur », et si c’est une erreur, ce n’est pas une erreur du journaliste, mais de Maître Gonelle.

S’agit-il d’une « petite erreur » ? Je vais reprendre les articles de presse que j’évoquais tout à l’heure. Il est en effet intéressant de voir la théorie échafaudée derrière la date de 2008. Permettez-moi de donner lecture de quelques-uns de ces articles qui sont à la fois des narrations et des réflexions de journalistes, mais aussi des confirmations des propos de M. Gonelle. Dans Le Courrier picard du 5 avril 2013, on lit : « Selon un haut fonctionnaire des douanes, élu d’une ville de l’Oise (…) ». Je suis élu, mais pas de l’Oise. L’article poursuit : « Quoi qu’il en soit, Gonelle maintient ces affirmations sur le fond. Pour lui, le compte suisse de Jérôme Cahuzac a bien été mis sous l’éteignoir sous la droite au gouvernement. On peut considérer qu’à cette époque, en 2008, il y avait deux sources possibles d’information pour le gouvernement de l’époque. Laissons faire les magistrats instructeurs. »

Presque une semaine plus tard, on peut lire dans Marianne : « Deux autres sources convergent à l’époque vers le puissant ministre du budget et ancien trésorier de la campagne, Éric Woerth. L’une est douanière, l’autre est fiscale. Côté douanes, un spécialiste de l’évasion fiscale, élu depuis dans une ville du Val d’Oise [ l’erreur a été corrigée] rédige une note dans laquelle il mentionne l’existence du compte suisse de Cahuzac, une note sensible qui ne manque pas de remonter jusqu’à la cellule fiscale de Bercy, autrement dit au cabinet du ministre. » Le journaliste de poursuivre : « C’est la clé de l’affaire, avance M. Gonelle. On ne comprend rien si on ne prend pas en compte la relation entre Éric Woerth et Jérôme Cahuzac… »

M. Alain Claeys, rapporteur. De quand date cette interview ?

M. Thierry Picart. Du 13 avril 2013, dans le numéro 834 de Marianne. Soit largement plus d’une semaine après les premières déclarations à l’AFP. Si la date de 2008 avait été une erreur initiale, elle aurait été corrigée. Je reprends : « On ne comprend rien si on ne prend pas en compte la relation entre Éric Woerth et Jérôme Cahuzac qui dira du premier : « En dépit de toutes les enquêtes judiciaires en cours, il est un parfait honnête homme. » Deux rapports enterrés contre une dose de bienveillance future. »

Je vous fais grâce de la lecture de l’article de Rue 89, qui reprend à peu près les mêmes éléments.

2008, une « petite erreur » ? La théorie qui repose derrière cette date est que j’aurais rédigé un rapport, que celui-ci serait parvenu au ministre, lequel, par connivence, ne l’aurait pas diffusé et n’y aurait donné aucune suite.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand M. Gonelle change-t-il de dates pour la première fois ?

M. Thierry Picart. Lors de son audition.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je souhaiterais que l’on vérifie si la date de 2001 n’apparaît bien que lors de son audition.

M. Thierry Picart. Dernier élément important, et ce n’est certainement pas une mise en cause des journalistes de Mediapart qui, comme le disait ce matin sans ironie aucune mon collègue Gardette, ont fait un travail remarquable. Regardons les déclarations faites devant votre commission et ce qui est rapporté dans le livre que j’ai ici entre les mains. Je pourrais reprendre les déclarations de M. Arfi à votre commission. Il a en effet clairement indiqué que ce sont précisément d’éventuelles relations entre M. Woerth et M. Cahuzac qui ont éveillé sa curiosité. La date de 2008 est donc importante.

Cela me fait penser à ces jeux graphiques d’enfant consistant à relier différents points, pour que, petit à petit, apparaisse une figure. Le prochain point devait laisser apparaître Picart, fonctionnaire des douanes. Si ce n’est que Picart n’était pas fonctionnaire des douanes en 2008 ! Alors, Maître Gonelle a dit devant vous qu’il s’agissait d’une « petite erreur » et que c’était en fait en 2001 que j’avais eu connaissance de l’existence du compte et que j’avais rédigé un rapport. En 2001 en effet, j’étais fonctionnaire des douanes. Je dirigeais la 4ème division d’enquêtes qui a vocation à enquêter sur ce type d’affaires. Mais en 2001, le ministre du budget n’était pas le même, si bien que la théorie qui voudrait que le rapport ait été enterré, tombe. 2001 ou 2008, il y a des incohérences dans les deux versions.

Voilà ce que je souhaitais vous exposer avant, bien évidemment, de répondre à vos questions.

M. le président Charles de Courson. Merci de cette introduction. Nous allons maintenant attaquer le fond de l’affaire qui est de savoir si vous avez ou non rédigé un rapport.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il faudra éclaircir ce problème de dates et notamment, monsieur le président, demander à ce que M. Gonelle soit de nouveau auditionné.

M. le président Charles de Courson. En effet. Il n’y a d’ailleurs pas que ce point à éclaircir.

M. Alain Claeys, rapporteur. Nous ne pourrons pas continuer nos travaux si sur plusieurs points demeurent des ambiguïtés.

En dépit de vos explications, monsieur Picart, je vais quand même vous poser mes questions. Avez-vous eu connaissance dans l’exercice de vos fonctions passées – je ne précise pas de date – d’éléments relatifs à la situation financière ou fiscale de Jérôme Cahuzac ? Si oui, quand et dans quelles circonstances ?

M. Thierry Picart. Avant de répondre à votre question, peut-être pourrais-je présenter rapidement l’activité de la 4ème division d’enquêtes de la DNRED que je dirigeais.

M. Alain Claeys, rapporteur. Oui, mais pouvez-vous répondre clairement à ma question ?

M. Thierry Picart. Je ne le peux pas.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour quelles raisons ?

M. Thierry Picart. Tout simplement parce que le travail habituel de cette division était justement d’enquêter sur des personnes ayant transféré physiquement des avoirs à l’étranger. C’était là mon cœur de métier. Je voyais plusieurs centaines de dossiers par an de personnes ayant investi ou transféré des comptes à l’étranger.

M. Alain Claeys, rapporteur. De quelle date à quelle date avez-vous exercé ce métier ?

M. Thierry Picart. De 2000 à 2003.

M. Alain Claeys, rapporteur. De 2000 à 2003, avez-vous eu à traiter, d’une façon ou d’une autre, le cas de Jérôme Cahuzac ? Je vous demande de répondre à cette question.

M. Thierry Picart. Je ne peux ni le confirmer ni l’infirmer.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour quelles raisons ?

M. Thierry Picart. Tout simplement parce que je n’ai aucun souvenir de chacun des dossiers que j’ai traités ou que mon service a traités à cette époque-là.

Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Je n’ai peut-être pas été assez clair dans mon propos liminaire. Si j’ai souhaité évoquer le statut des fonctionnaires, c’est pour dire qu’il protège les fonctionnaires, ce qui leur donne une certaine liberté. Si j’avais la certitude que j’avais travaillé ou que mon service avait travaillé sur ce compte ou reçu un renseignement à ce sujet, je vous le dirais bien sûr.

M. le président Charles de Courson. Votre réponse à la question claire de notre rapporteur est donc : « Je ne me souviens pas d’avoir vu un tel document, eu une telle information. »

M. Thierry Picart. C’est bien ma réponse. Permettez-moi une comparaison, même si elle est exagérée. C’est comme demander à un juge ayant jugé en comparution immédiate s’il a, douze ans auparavant, eu à traiter du cas d’un délinquant ? Il répondra : « Bien sûr, c’est mon métier, je traite tous les jours le cas de délinquants. »

M. Alain Claeys, rapporteur. Il pourrait exister dans votre service une traçabilité à même d’aider votre mémoire.

M. Thierry Picart. Il existe au sein de l’administration des douanes un système d’information « Lutte contre la fraude » dans lequel sont conservées les informations, dix ans au plus, au nom de la protection des libertés individuelles. Les personnes ont droit à l’oubli.

M. Alain Claeys, rapporteur. Si le nom de Jérôme Cahuzac était apparu dans ce système, il en aurait de toute façon disparu aujourd’hui.

M. Thierry Picart. Oui, si cela était antérieurement à 2003.

M. Alain Claeys, rapporteur. En revanche, si la date est 2008, le nom figure encore.

M. Thierry Picart. Bien sûr. Sans méconnaître la séparation entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif, je puis vous dire que l’autorité judiciaire s’est posé la question.

M. le président Charles de Courson. C’est-à-dire qu’elle vous a interrogée ? Nous faites-vous aujourd’hui la même réponse que vous lui avez faite ? Il arrive que l’on évolue dans ses déclarations, que l’on redécouvre des éléments…

M. Thierry Picart. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je ne dirai pas que je consacre tout mon temps à ce qui nous occupe car cela signifierait que je ne fais pas mon travail – que je m’efforce de faire le mieux possible. Mais régulièrement, je sollicite ma mémoire et me demande si nous avons pu traiter ce type de dossier. Pour 2008, les choses sont simples, car cela est factuellement impossible. Pour 2001 en revanche, c’est le type de dossier que nous traitions. Pour autant, cela pouvait ne pas appeler mon attention plus que cela, car c’était notre travail quotidien.

M. Alain Claeys, rapporteur. S’il s’agissait de 2001, le nom de Jérôme Cahuzac aurait disparu des systèmes informatiques de ce service. S’il s’agissait de 2008, le nom devrait encore y figurer.

M. Thierry Picart. Je dois apporter une précision. Pour des raisons de protection des libertés individuelles, tout dépend de la nature des informations. Conformément à la réglementation de la CNIL, s’il n’y a que suspicion de fraude sans infraction constatée, la durée de conservation est limitée à trois ans, au terme desquels les données doivent être effacées – sauf si la suspicion est toujours assez forte, auquel cas la conservation peut être reconduite pour trois ans. S’il s’agit d’une contravention ou d’un délit mineur, la durée de conservation est de cinq ans et c’est seulement lorsqu’il s’agit d’un délit relativement grave, qu’elle est portée à dix ans.

M. Alain Claeys, rapporteur. En tant que citoyen, comment expliquez-vous que M. Gonelle ait changé de date au cours de son audition ?

M. Thierry Picart. Ce n’est pas en tant que citoyen, monsieur le rapporteur, que je vous répondrai, mais en tant qu’intéressé direct. En 2008, les faits allégués ne sont tout simplement pas possibles. Je n’ai pas pu rédiger de rapport. En effet, j’étais alors chargé du suivi des crédits de l’aide publique au développement à la direction du budget. Je ne travaillais pas dans l’administration des douanes et n’avais aucun contact avec elle.

M. Alain Claeys, rapporteur. Si M. Gonelle veut associer votre nom à cette affaire, il faut qu’il change les dates ?

M. Thierry Picart. Exactement.

M. Alain Claeys, rapporteur. Connaissiez-vous M. Gonelle ?

M. Thierry Picart. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il n’existe donc pas de contentieux entre vous ?

M. Thierry Picart. Non, en tout cas pas jusqu’à il y a dix minutes. Ce que j’ai dit le fâchera peut-être.

M. le président Charles de Courson. Comment peut-il connaître votre nom ?

M. Thierry Picart. Si je le savais, cela me rassurerait.

M. Dominique Baert. Vous n’avez pas pu en 2008 rédiger de rapport sur M. Cahuzac, comme le dit M. Gonelle, puisque vous n’étiez pas en fonction là où il prétend que vous étiez. Seule pourrait donc être concernée la date de 2001. Vous dites n’avoir pas gardé la mémoire des dossiers que vous avez traités à l’époque. Mais Jérôme Cahuzac était déjà député-maire de Villeneuve-sur-Lot. Si vous aviez vu passer entre vos mains son dossier, cela vous aurait un tant soit peu interpellé. Si vous ne vous souvenez de rien aujourd’hui, tout laisse à penser que vous n’avez pas rédigé de rapport sur Jérôme Cahuzac à cette époque. Avez-vous, à un moment ou à un autre dans votre carrière, rédigé en quoi que ce soit un rapport sur un compte à l’étranger de Jérôme Cahuzac ?

M. Thierry Picart. Je pourrais vous dire, en effet, que le fait que je ne m’en souvienne pas signifie que nous n’avons pas vu passer de dossier relatif à la personne en question. À ce point, permettez-moi de vous faire part de notre expérience. Lorsque nous avons affaire à des personnes connues ou qui ont une certaine importance, il existe chez celles-ci deux attitudes. Certaines nous font savoir qui elles sont, espérant obtenir un traitement de faveur ou différent. D’autres, pour éviter toute publicité autour de leur nom, ne nous disent pas réellement qui elles sont. Vous parlez de mandat, monsieur. Ce qui nous intéresse, nous, dans notre activité, c’est la profession de la personne, dont nous regardons si elle peut justifier les capitaux dont elle dispose.

Pour vous répondre, il y a en effet de fortes chances que si j’avais vu passer le nom d’un député-maire, je m’en souviendrais. Mais peut-être ce député-maire n’a-t-il pas excipé de ses qualités. Sans trahir le secret professionnel, je me souviens très bien de certains noms. Mais j’ai également découvert la notoriété de certaines personnes tardivement.

M. Dominique Baert. Pouvez-vous répondre à ma deuxième question ?

M. Thierry Picart. Il faut s’entendre sur le terme « rapport ». Je ne fais pas de « rapports ». La chaîne de traitement des dossiers est qu’un binôme d’enquêteurs traite une affaire, à la suite de quoi je fais un petit résumé. Mais de « rapport » destiné à une autorité quelconque, nous n’en faisons pas.

Pour répondre de façon limpide à votre question, je n’ai aucun souvenir, c’est-à-dire je pense n’avoir jamais rédigé le moindre rapport destiné à une autorité politique sur l’existence du compte dont nous parlons.

M. Hervé Morin. Vous arrivait-il de faire des rapports à une autorité politique ?

M. Thierry Picart. À des autorités politiques, non. Comme tout fonctionnaire soumis au devoir de loyauté, il arrivait simplement que j’appelle l’attention de mes supérieurs sur le caractère particulier d’une personne que nous avions en face de nous. Je ne suis qu’un fonctionnaire je ne dirai pas subalterne, mais intermédiaire. Je transmets l’information à ma hiérarchie, et cela s’arrête là.

Mme Cécile Untermaier. L’enregistrement dont Mediapart a révélé l’existence aurait-il suffi pour que vos services puissent le prendre en considération dans la chaîne de traitement que vous évoquez et fassent remonter l’information ?

M. Thierry Picart. Pour resituer votre question dans son contexte, il faut rappeler qu’à une époque, l’administration des douanes était chargée du contrôle des changes et que dans ce cadre en effet, une information relative à la détention d’un compte à l’étranger était intéressante. Mais le contrôle des changes a été supprimé en 1988. Dans le domaine financier, l’administration des douanes s’intéresse aujourd’hui essentiellement au transfert physique de capitaux. La détention d’un compte à l’étranger n’est pas en soi une information capitale. Si ce compte est alimenté par des virements à l’étranger, qu’il est débité par un système de compensations comme cela a été décrit par ailleurs et comme c’est le cas dans une affaire qui a défrayé la chronique il y a peu compte tenu des personnes en cause, cela n’a absolument aucun intérêt pour l’administration des douanes.

Mme Cécile Untermaier. Mais cela pouvait-il déclencher une enquête ?

M. Thierry Picart. La plupart du temps, non. Qu’aurait-on fait ? On aurait convoqué la personne pour lui demander : « Avez-vous un compte bancaire à l’étranger ? Donnez-nous ses relevés, de façon que nous vérifiions comment il est alimenté. Expliquez-nous qu’il l’a été par des transferts physiques non déclarés à l’administration des douanes. »

M. Hugues Fourage. Vous avez été extrêmement précis et rigoureux, monsieur Picart, dans votre propos liminaire, pour lequel vous avez effectué un certain nombre de recherches. Vous ne vous souvenez pas d’avoir eu à traiter d’un dossier concernant Jérôme Cahuzac, mais vous aviez des collaborateurs. Après les déclarations de M. Gonelle, n’êtes-vous pas entré en contact avec vos anciens collaborateurs pour leur demander si l’un d’entre eux se souvenait si votre division avait eu à connaître de ce dossier en 2001 ?

M. Thierry Picart. Plusieurs éléments de réponse. Le premier est que les faits remontent à plus de douze ans et que les fonctionnaires ne restent pas en poste au même endroit ad vitam aeternam. En douze ans, la division que j’ai dirigée a été presque totalement renouvelée. Les fonctionnaires en poste à cette époque-là sont aujourd’hui éparpillés sur l’ensemble du territoire et pour certains, à la retraite et injoignables.

Deuxième élément : si j’avais fait cela, je pense que d’une certaine façon, j’aurais été en conflit d’intérêts. Je ne l’ai donc pas fait. Je crois savoir que certains l’ont fait et que la réponse est négative.

M. Hugues Fourage. « Certains », qu’est-ce que cela signifie ?

M. Thierry Picart. Nous souhaitions apporter l’information la plus précise à l’autorité judiciaire. Lorsqu’à la suite d’une réquisition, certains services ont été interrogés, la DNRED a fait des recherches, à la fois dans le fichier informatique et dans les documents papier pour voir s’il pouvait y avoir trace d’un dossier. Elle a également interrogé tous les enquêteurs qui étaient joignables sur l’existence ou non d’un dossier.

M. le président Charles de Courson. Et quel a été le résultat ?

M. Thierry Picart. Négatif.

M. Jean-Pierre Gorges. Le fait que vous ne vous souveniez pas d’un dossier ne veut pas dire qu’il n’a pas existé. Nous sommes bien d’accord ?

M. Thierry Picart. C’est très clair.

M. Jean-Pierre Gorges. Comment meniez-vous vos enquêtes ? Lorsque vous aviez une information, vous convoquiez la personne pour un entretien, un peu comme le ferait un service de police. Mais à l’époque, disposiez-vous d’outils du type de ceux aujourd’hui à disposition pour savoir si M. Cahuzac possède un compte à l’UBS ? Vous auriez pu disposer de cette information précise puisque le nom de cette banque figurait dans l’enregistrement.

M. Thierry Picart. Comment travaillions-nous ? Nos dossiers débutaient fréquemment avec l’interception par nos collègues en uniforme d’un passeur de capitaux à l’entrée ou à la sortie de Suisse ou d’un autre pays. Nous vérifiions alors, comme le prévoient les textes, l’origine des fonds et recherchions une infraction éventuelle, douanière ou autre. Il y avait donc un pré-requis : il fallait qu’une infraction ait été commise et que des éléments aient été réunis. Il existait parfois une autre source d’information, consistant en la mise en œuvre d’un droit de communication auprès d’intermédiaires financiers, prévu par le code des douanes. Ensuite, nous convoquions la personne pour l’auditionner et, en vertu de dispositions du code des douanes, lui demandions communication de documents, essentiellement liés à des comptes bancaires français.

La deuxième partie de votre question a trait à la possibilité de mise en œuvre d’une assistance. Il existe en effet, soit dans un cadre bilatéral d’État à État, soit dans le cadre d’un accord conclu entre l’Union et les États membres, une assistance administrative mutuelle internationale, équivalent de l’assistance fiscale. La seule difficulté est que l’administration française des douanes a une particularité, en ce qu’elle est la seule à être organisée de la sorte et à posséder ce type de pouvoirs. Nos homologues étrangers sont presque exclusivement des fiscalistes chargés de collecter les droits et taxes sur les marchandises entrant dans l’Union européenne. Sauf erreur de ma part, il existe une convention entre l’Union européenne et la Suisse portant exclusivement sur les échanges de marchandises.

M. Hervé Morin. Où êtes-vous élu, monsieur Picart ?

M. Thierry Picart. Je suis adjoint aux finances à Montmorency, commune du Val d’Oise.

M. le président Charles de Courson. Il nous reste, monsieur Picart, à vous remercier d’être venu devant notre commission.