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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 4 juin 2013

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et des droits indirects, et de M. Jérôme Fournel, inspecteur général des finances, ancien directeur général des douanes et des droits indirects

M. le président Charles de Courson. Nous achevons notre journée d’auditions en accueillant Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et des droits indirects, et M. Jérôme Fournel, son prédécesseur dans ces fonctions. Je vous remercie tous deux d’avoir accepté d’être entendu par notre commission d’enquête chargée de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de l’affaire Cahuzac. Au cours des deux dernières semaines d’audition, l’administration des douanes a été citée à plusieurs reprises comme ayant été destinataire dès 2001 de renseignements accréditant l’hypothèse d’un compte détenu à l’étranger par M. Jérôme Cahuzac. Aussi avons-nous souhaité vous entendre afin d’obtenir quelques éclaircissements.

Avant d’aller plus loin, il me revient de rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Crocquevieille et M. Fournel prêtent successivement serment)

M. le président Charles de Courson. Madame, Monsieur, je vous laisse la parole.

Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et des droits indirects. J’ai été nommée directrice générale des douanes et des droits indirects le 27 février 2013, fonctions dans lesquelles j’ai succédé à Jérôme Fournel. Je venais d’un autre ministère en arrivant à la tête de cette direction et n’avais connaissance de l’affaire objet de la présente audition que par voie de presse, sans autre information particulière, l’essentiel des développements ayant d’ailleurs eu lieu avant mon arrivée. Je me suis enquis auprès de collaborateurs proches des éléments qui avaient pu être portés à leur connaissance. Je n’ai obtenu que des réponses négatives quant à la possibilité qu’il ait existé ou qu’il existe au sein de l’administration des douanes des documents ou des faits en lien avec l’affaire citée.

Je vais, si vous le permettez, monsieur le président, laisser la parole à Jérôme Fournel, mon prédécesseur. Sauf à répondre à des questions plus précises, sur le fond, en effet, je n’ai pas grand-chose d’autre à vous dire.

M. Jérôme Fournel, inspecteur général des finances, ancien directeur général des douanes et des droits indirects. J’ai été en poste avant Hélène Crocquevieille. Pour autant, cela ne remonte pas jusqu’à 2001. Je vais essayer de vous expliquer ce que l’administration des douanes a pu connaître de l’affaire Cahuzac, pour autant que je le sache.

Cela tient en peu de mots. Au moment où cette affaire a éclaté, la première question était de savoir si la douane judiciaire serait saisie dans le cadre de l’enquête judiciaire qui avait été ouverte. Tel n’a pas été le cas. Le sujet de l’affaire Cahuzac ne se posait donc pas pour l’administration des douanes.

Deux réquisitions judiciaires successives, le 5 puis le 12 février, ont été adressées aux services centraux de la douane, ainsi qu’ensuite à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). L’administration des douanes y a naturellement répondu, comme il était normal. Mais elle n’avait pas d’éclairage particulier sur le sujet.

Parallèlement, un journaliste de Mediapart, M. Arfi, a contacté l’un de mes collaborateurs, que vous venez d’auditionner. Celui-ci m’en a rendu compte aussitôt. Il ne savait pas pourquoi il était contacté, même si on savait que M. Arfi travaillait sur l’affaire Cahuzac. Il m’a dit qu’il ne pensait pas avoir d’éléments liés à cette affaire. Je lui ai conseillé, comme je le fais toujours dans le cas de sollicitations de la presse, de faire preuve de prudence et de discrétion, surtout dans une affaire aussi médiatisée, qui se trouvait de surcroît dans une phase judiciaire. Les choses, en tout cas pour moi, se sont arrêtées là. C’était autour de la mi-février. Quelques jours après seulement, je quittais mes fonctions.

Je m’en tiens aux éléments factuels en ma possession. Les éléments concernant l’affaire Cahuzac se limitent à très peu de chose pour l’administration de la douane. Une autre question, naturelle, est de savoir si une administration comme celle des douanes, chargée du contrôle des flux de marchandises mais aussi des flux financiers, pouvait avoir connaissance d’autres éléments. Il faut savoir que la douane visualise essentiellement des flux physiques, de marchandises ou financiers. Depuis fin 2006, Tracfin n’est plus rattaché à la direction générale des douanes, alors que jusqu’alors, le directeur général des douanes était aussi secrétaire général de Tracfin. Chargée de contrôler des transferts physiques, la douane peut naturellement être conduite à connaître d’éléments relatifs à des transports de fonds. Cela nous arrive très fréquemment. Des centaines, voire des milliers, de manquements à l’obligation déclarative sont constatés chaque année. Les flux sont interceptés à l’occasion de transports matériels de fonds par des personnes. Ce peut être à la frontière d’un pays de l’Union européenne ou d’un pays tiers. Le manquement à l’obligation déclarative est alors sanctionné. Dans le cas qui nous occupe, aucun élément de ce type n’est connu des services douaniers.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans la période où vous avez été directeur général des douanes, c’est-à-dire de 2007 à 2013, vous n’avez pas eu d’information relative à un éventuel compte de Jérôme Cahuzac à l’étranger, ni de la part de vos services ni directement ?

M. Jérôme Fournel. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Lors de son audition juste avant vous, votre collaborateur nous a parlé des systèmes informatiques dans lesquelles sont stockées certaines informations. Y avez-vous effectué des contrôles ou des vérifications ?

M. Jérôme Fournel. Oui, des contrôles et des vérifications ont été faits sur ces données-là, dans la limite naturellement du délai de conservation des données. Tout récemment, la durée d’archivage des données portant notamment sur les manquements à l’obligation de déclaration des transferts de fonds a été portée à vingt ans. Sa durée maximale était auparavant de dix ans, dans les cas de contentieux n’ayant pas donné lieu à transaction, et de niveau national, et non régional. Les délais de conservation des données nous sont imposés par la réglementation de la CNIL, qui vise à garantir le respect des libertés publiques.

Dans ce champ-là et compte tenu de ces délais de conservation, aucune donnée dans les systèmes d’information douaniers ne permettait de retrouver la présence de M. Cahuzac.

M. Alain Claeys, rapporteur. Madame la directrice générale, avez-vous pris des initiatives pour défendre votre collaborateur ?

Mme Hélène Crocquevieille. Des initiatives de nature juridique, non. Des temps d’écoute et d’échange avec lui, oui.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous excluez toute démarche juridique ?

Mme Hélène Crocquevieille. Il n’en a pas eu besoin pour le moment. La tension a été la plus vive pour lui au moment où l’affaire était la plus bruyante sur le plan médiatique et où la presse cherchait à obtenir des informations. C’était peu de temps après ma prise de fonctions.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il a été nommément mis en cause dans une commission où les personnes auditionnées prêtent serment. L’administration a-t-elle pris des initiatives pour le défendre ?

M. le président Charles de Courson. Ce n’est pas seulement la personne du chef de bureau qui est mise en cause, mais le service. Devant notre commission, M. Gonelle a en effet déclaré « avoir entendu dire par plusieurs sources journalistiques concordantes que le chef de la direction des enquêtes douanières – une des divisions de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) – avait obtenu le renseignement dès 2001 ». M. Gonelle avait d’ailleurs déjà tenu des propos analogues dans la presse en évoquant l’année non pas 2001, mais 2008. L’accusation est plutôt que ce fonctionnaire aurait eu l’information, aurait rédigé un rapport qui serait remonté jusqu’au directeur… Ses propos devant notre commission le 21 mai dernier ne vous ont pas inquiétée ?

Mme Hélène Crocquevieille. Pour l’instant, ce collaborateur a été entendu par la police judiciaire. À ma connaissance, il a simplement été entendu. Il n’a pas demandé à bénéficier de la protection fonctionnelle. Aucune démarche juridique n’a donc été entreprise à ce titre. En revanche, des temps d’échange ont été pris avec lui, avec son sous-directeur actuel pour voir comment faire face à la pression médiatique qui s’exerce sur lui.

M. le président Charles de Courson. En l’espèce, ce n’est pas ce fonctionnaire ès qualités qui est accusé, mais un service, car si ce fonctionnaire avait eu une information et avait rédigé un rapport, il n’y aurait là rien de répréhensible : il n’aurait fait que son devoir. Les accusations implicites portées le 21 mai dernier devant notre commission, si nous les avons bien comprises, sont que des informations existaient, que la douane en a eu connaissance, qu’un fonctionnaire a rédigé un rapport et que ce rapport a été enterré.

Mme Hélène Crocquevieille. M. Picart s’en est expliqué.

M. le président Charles de Courson. La question de notre rapporteur est de savoir pourquoi, en tant qu’actuelle directrice de ce service, vous ne l’avez pas défendu. M. Picart se sent peut-être un peu seul. Il est fonctionnaire et nous n’avons rien à lui reprocher.

Mme Hélène Crocquevieille. M. Picart sait que la porte de mon bureau ainsi que celle de sa hiérarchie immédiate lui sont ouvertes. J’ai eu de nombreux temps d’échange avec lui et avec les différents services pouvant lui apporter un conseil en la matière. Encore une fois, lui-même n’a pas souhaité bénéficier d’une protection fonctionnelle à ce stade et n’en a pas, à ma connaissance, besoin sur le plan juridique. S’il sollicitait cette protection, elle serait bien évidemment examinée en fonction de la nature de sa demande.

Mme Marie-Christine Dalloz. Madame Crocquevieille, à qui rendez vous des comptes ? Comment cela se passe-t-il ? À qui et comment faites-vous remonter les informations ?

Monsieur Fournel, en quoi ont consisté les réquisitions dont vous avez fait état ? Quelles réponses y avez-vous apportées ?

Mme Hélène Crocquevieille. Le service des douanes et des droits indirects est placé sous la double autorité du ministre de l’économie et des finances, M. Moscovici, et du ministre du commerce extérieur, Mme Bricq, chacun pour les domaines le concernant. Au sein du ministère des finances, le ministre délégué au budget est, traditionnellement et opérationnellement, l’interlocuteur qui suit les affaires de la douane. Nous rendons plutôt compte à Mme Bricq ou à son cabinet, pour les problèmes ayant trait à la compétitivité à l’exportation ou de relation avec certains secteurs économiques. Lorsque la problématique est davantage douanière, organisationnelle, fiscale ou de tutelle sur les secteurs économiques suivis par la douane, nous rendons plutôt compte au ministre délégué au budget ou à son cabinet.

Mme Marie-Christine Dalloz. La « muraille de Chine » vous concernait-elle ou non ?

Mme Hélène Crocquevieille. Je crains de ne pas comprendre la question.

M. le président Charles de Courson. M. Jérôme Cahuzac avait signé une instruction enjoignant de déporter son dossier ainsi que le dossier UBS. C’était Pierre Moscovici qui en était chargé. Voilà ce qui a été improprement appelé « la muraille de Chine ».

Mme Hélène Crocquevieille. Nous n’avons pas connaissance évidemment de ces éléments-là.

M. Jérôme Fournel. Cela me permettra une transition car de fait, il existe plusieurs « murailles de Chine ». Il y a celle que vous rappeliez, monsieur le président, qui a été instaurée, s’agissant d’une enquête fiscale administrative. Il y en a d’autres, classiques, institutionnelles, constitutionnelles même, sur les affaires faisant l’objet d’une enquête judiciaire, et ce, en vertu de la séparation des pouvoirs.

En l’occurrence, les réquisitions sont des demandes de l’autorité judiciaire aux services administratifs d’apporter leur concours dans le cadre d’une procédure judiciaire. Naturellement, à chaque réquisition, sauf sujet couvert par le secret défense, l’administration des douanes apporte les éléments de réponse qu’elle doit à l’autorité judiciaire. C’est ce que nous avons fait, mais il se trouve que nous n’avions pas d’éléments particuliers à communiquer.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avant d’évoquer pour la première fois la date de 2001 lors de son audition par notre commission, M. Gonelle avait auparavant parlé de 2008 dans de nombreuses interviews. Avez-vous été interrogé en tant que directeur ? Avez-vous fait un rapport au ministre ?

M. Jérôme Fournel. Non. Je n’ai pas été interrogé par le ministre ni son cabinet sur le sujet. M. Gonelle a varié dans ses déclarations s’agissant des dates, en tout cas d’après ce qui en a été rapporté dans la presse.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il a varié dans les dates le jour de son audition.

M. Jérôme Fournel. Un point était important pour nous. En effet, il semblait que M. Picart ait été destinataire de documents. Or, cela était impossible vu la date indiquée par M. Gonelle – en tout cas telle que rapportée dans la presse – puisqu’en 2008, M. Picart n’était pas en poste à la direction générale des douanes.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Picart nous a rafraîchi la mémoire tout à l’heure.

Toutes les interviews évoquaient 2008. C’est l’époque où vous étiez directeur. Alors que je l’interroge sur les dates, M. Gonelle me répond qu’il y a une erreur, que ce n’est pas 2008 mais 2001. Le président lui demande alors s’il connaît le nom du fonctionnaire visé. Il cite alors le nom de M. Picart. Mais avant cela, M. Gonelle n’avait jamais parlé que de 2008. Quelles initiatives avez-vous prises dans votre service ?

M. Jérôme Fournel. Quand il a été fait état de la date de 2008, nous avons recherché si nous pouvions trouver des notes ou des éléments remontant à cette époque-là. Personnellement, je ne me souvenais pas d’une telle note. Or, il se trouve que sur les notes présentant une certaine sensibilité, j’ai rarement un défaut de mémoire aussi profond. Le nombre de services de l’administration des douanes pouvant avoir à connaître de ce type de faits est relativement limité. Ce n’est pas une direction régionale, mais la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, qui généralement en traite. Celle-ci a dit qu’elle ne possédait aucun élément. Les choses se sont arrêtées là.

Puis est sorti le nom de Thierry Picart, et là sont apparues des incohérences de date. Constatant ce défaut de cohérence, nous n’avons pas poussé les recherches plus loin. Si on se replace dans le contexte de 2001, il faut des éléments consistants pour qu’un fonctionnaire des douanes qui reçoit une information, avec beaucoup de précaution vu les incertitudes l’entourant, – information qui de surcroît ne relève pas de son champ de compétences puisqu’il s’agit ni de fiscalité des marchandises ni même de flux financiers, mais de fiscalité personnelle – la transmette à la justice au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ou dans le cadre d’une démarche apparentée. J’ignore la véracité des dires autour de cette information qui aurait été transmise en 2001. Mais il faut garder en tête ce que je viens de dire.

M. le président Charles de Courson. Ce qui trouble notre rapporteur est que vous ne défendiez pas, l’un puis l’autre, votre direction, qui est accusée dans la presse d’avoir possédé une information à laquelle il n’aurait pas été donné de suite. Pourquoi n’avez-vous pas publié un démenti pour dire : « Tout cela est inexact, pour la simple raison que M. Picart n’était pas chef du bureau en question en 2008. Nous avons effectué des recherches dans le service. Il n’y a aucune note de ce type. Ces informations sont fausses. » ? Vous auriez pu aussi adresser une note à votre ministre de tutelle pour dire la même chose. Il est curieux que votre service se trouvant mis en cause, le cabinet, ou le ministre directement, ne vous l’ait pas demandé ou que vous n’en ayez pas pris l’initiative.

M. Jérôme Fournel. La douane a en effet été citée à plusieurs reprises dans divers articles, de manière toujours très floue. Il existe deux façons de gérer ce type de situation sur le plan médiatique. Soit on joue la discrétion, soit on met les pieds dans le plat pour dire « On a fait des recherches. On n’est pas concerné, etc » et fournir des éléments. Il faut voir qu’en cette affaire d’une part, s’il s’agit de 2001, d’éventuelles données n’auraient même pas été conservées – je ne reviens pas sur les durées d’archivage –, d’autre part, une enquête judiciaire est parallèlement en cours.

M. Alain Claeys, rapporteur. Si une enquête judiciaire est en cours, l’administration ne fait rien ?

M. Jérôme Fournel. On respecte la procédure judiciaire. On suspend les investigations et on se place au service de l’institution judiciaire en recherchant les éléments éventuels qu’elle nous demande.

M. le président Charles de Courson. Pour l’administration des douanes, le principe est donc de suspendre son action en cas d’enquête judiciaire ? Votre collègue de la direction générale des finances publiques (DGFiP) nous a dit, lui, que son administration agissait en toute indépendance : aucun texte ne lui imposait de suspendre ses enquêtes au déclenchement d’une enquête judiciaire. C’est d’ailleurs ce qui a été fait pour le volet fiscal de l’affaire qui nous occupe.

M. Alain Claeys, rapporteur. Des enquêtes administratives ont-elles été engagées à l’administration des douanes ?

M. Jérôme Fournel. Il y a une grande différence entre le droit fiscal et le droit douanier. La plupart des affaires douanières commencent par une phase administrative mais débouchent rapidement sur la caractérisation d’infractions pénales. Le dialogue entre l’administration et la justice ne se pose pas du tout, me semble-t-il, dans les mêmes termes en matière douanière qu’en matière fiscale.

M. le président Charles de Courson. Il y a le droit et l’application du droit. Êtes-vous tenu de suspendre une enquête douanière si une enquête judiciaire est en cours sur les mêmes faits ? Si la réponse est non, pourquoi alors cette pratique ?

Mme Hélène Crocquevieille. Votre question est large. Tout dépend de l’objet de l’enquête judiciaire.

M. le président Charles de Courson. Qu’en est-il dans le cas qui nous occupe de la détention ou non d’un compte non déclaré, en Suisse ou ailleurs ?

Mme Hélène Crocquevieille. Ceci ne relève pas de la compétence de l’administration des douanes. Celle-ci n’a pas à investiguer sur l’existence ou non de comptes illicites à l’étranger. Elle n’en a d’ailleurs pas le pouvoir. Elle peut avoir connaissance de tels faits à l’occasion d’un manquement à l’obligation déclarative ou d’une enquête de nature douanière. Dans ce cas, les éléments du dossier, s’il est de nature strictement fiscale ou financière, est transmis aux autorités judiciaires compétentes.

Après que certaines allégations ont été reprises dans la presse, un premier niveau d’investigations a eu lieu à la DNRED ainsi qu’à la direction générale des douanes, qui n’a pas permis de trouver d’éléments, ni dans les systèmes d’information, ni dans les documents papier. Dans ces conditions-là et sachant par ailleurs qu’une enquête judiciaire était en cours, il n’y a pas eu d’enquête particulière.

M. le président Charles de Courson. Pourriez-vous, madame, rédiger une note à l’intention de notre rapporteur, afin de répondre précisément à la question juridique qu’il a posée et à laquelle vous n’avez pas répondu ? L’administration des douanes est-elle tenue, en droit, de suspendre toute enquête douanière si une enquête judicaire est en cours ?

Mme Hélène Crocquevieille. Oui. La phase administrative de l’enquête s’arrête. Ce sont les services enquêteurs de la police judiciaire qui prennent le relais et interviennent alors sur réquisition du parquet compétent.

M. le président Charles de Courson. Est-ce une pratique ou une disposition législative vous l’impose-t-il ?

Mme Hélène Crocquevieille. Je pense que cela est prévu dans les textes mais je préfère vérifier.

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur Fournel, avez-vous informé votre hiérarchie, en l’espèce le ministre de l’économie, des deux réquisitions successives de février ?

M. Jérôme Fournel. On a fait jouer une « muraille de Chine » aussi pour ces deux réquisitions. C’est une pratique générale. Lorsque la douane judiciaire, laquelle est placée sous l’autorité du directeur général ainsi que, fonctionnellement, du ministre, traite d’affaires judiciaires, instruisant au quotidien les enquêtes que les parquets lui confient, elle agit de façon autonome. Il n’est pas de tradition dans l’administration des douanes de faire remonter ces informations jusqu’au ministre. De même, cette administration répond aux réquisitions judiciaires, sans en référer préalablement au ministre.

M. le président Charles de Courson. Là encore, est-ce une pratique ou une disposition législative vous l’impose-t-il ?

M. Jérôme Fournel. Une question est de savoir jusqu’où peut aller la confidentialité des enquêtes judiciaires en regard des pouvoirs du ministre. Le principe retenu par l’administration des douanes, conforme, je le pense, aux dispositions du code de procédure pénale, est que le ministre n’a pas à connaître les éléments relatifs aux enquêtes judiciaires.

Mme Marie-Christine Dalloz. Votre réponse m’interpelle car en l’espèce, il s’agit du ministre du budget. On peut choisir de laisser aveugle son ministre de tutelle. On peut aussi choisir de l’informer des réquisitions formulées.

M. le président Charles de Courson. Lorsque votre collègue de la DGFiP nous a dit qu’il n’avait pas informé le ministre qu’il avait lancé la procédure du formulaire 754, laquelle laissait un mois à Jérôme Cahuzac pour répondre, délai à l’issue duquel celui-ci n’a pas répondu, nous lui avons aussi demandé s’il avait averti son ministre. Il nous a répondu que non. Il faut reconnaître qu’il est délicat pour un ministre, surtout quand il est quotidiennement interrogé sur le sujet, de ne pas savoir ce qui se passe dans ses services. Il ne s’agit bien sûr pas qu’ils influencent les services, mais dans une démocratie, les ministres sont à la tête de leur administration.

M. Jérôme Fournel. J’avais indiqué antérieurement, de manière générale, et l’ai redit à l’occasion de cette affaire, que l’administration des douanes répondrait aux réquisitions judiciaires qui lui seraient adressées. Je l’ai dit, y compris à la directrice de cabinet de Jérôme Cahuzac.

Indépendamment de cela, sur des réquisitions judiciaires concernant une affaire dans laquelle le ministre était potentiellement impliqué, il me paraît normal d’avoir érigé une « muraille de Chine » sur la phase judiciaire de l’enquête entre l’administration des douanes et le ministre lui-même, comme cela avait été fait à la DGFiP.

Mme Marie-Christine Dalloz. La « muraille de Chine » dont il était initialement question consistait à « déporter » Jérôme Cahuzac. Mais en l’espèce, vous avez également « déporté » le ministre de l’économie et des finances. C’est en tout cas le sentiment que l’on a, et cela m’interpelle.

M. le président Charles de Courson. Les directeurs ont dit ne pas l’avoir informé, conformément à une pratique constante. Les décrets d’attribution n’avaient pas placé l’administration des douanes sous l’autorité de M. Cahuzac ?

M. Jérôme Fournel. Elle est placée sous la double autorité de Pierre Moscovici et Nicole Bricq.