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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 11 juin 2013

Séance de 8 heures 45

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Christine Dufau, commissaire divisionnaire, chef de la division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF) et de M. Éric Arella, contrôleur général de police à la sous-direction de la police technique et scientifique (SDPTS).

M. le président Charles de Courson. Nous accueillons Mme Christine Dufau, chef de la division nationale d’investigations financières et fiscales, et M. Éric Arella, sous-directeur de la police technique et scientifique. Mme Dufau est responsable du service auquel ont été confiées les investigations sur la détention d’un compte à l’étranger par M. Cahuzac depuis l’ouverture, par le parquet de Paris, le 8 janvier 2013, d’une enquête préliminaire sur celui qui était alors ministre délégué chargé du budget pour « blanchiment de fraude fiscale ». M. Arella est à la tête du service de la police technique et scientifique, installé à Écully, qui a été chargé d’expertiser l’enregistrement de 2000 dans lequel Jérôme Cahuzac mentionnait l’existence d’un compte en Suisse.

Nous attendons de vous que vous nous expliquiez le rôle que vous-même ou votre service a joué dans l’enquête, depuis le début de l’enquête préliminaire et jusqu’à ce que Jérôme Cahuzac reconnaisse la détention de comptes à l’étranger.

Mme Christine Dufau et M. Éric Arella prêtent serment successivement.

Mme Christine Dufau, commissaire divisionnaire, chef de la division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF). Mesdames, messieurs les députés, après avoir brièvement présenté la division dont j’ai la responsabilité, je rappellerai les principales étapes chronologiques de la procédure visée par votre commission d’enquête. Je précise qu’il me sera impossible d’entrer dans le détail des actes effectués dans le cadre de cette enquête, en raison du secret de l’instruction auquel je suis tenue.

Le 8 janvier 2013, le procureur de la République de Paris a annoncé la saisine de la division nationale d’investigations financières et fiscales pour enquêter sur des faits de blanchiment de fraude fiscale susceptibles de mettre en cause M. Jérôme Cahuzac. La DNIFF, dont j’ai la responsabilité, est un des services centraux à la Direction centrale de la police judiciaire, qui est spécialisé dans la délinquance financière et prend en charge des enquêtes sensibles et complexes. Elle est composée de plusieurs brigades : la brigade centrale de lutte contre la corruption, composée de policiers et de gendarmes, qui est principalement chargée des atteintes à la probité – corruption, prise illégale d’intérêts, trafic d’influence ; la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, composée de policiers et d’agents de la Direction générale des finances publiques ayant acquis la qualification d’officiers fiscaux judiciaires les habilitant à faire de la procédure pénale, qui est principalement chargée de lutter contre la fraude fiscale complexe ; la brigade de répression de la délinquance financière, qui est chargée de la lutte contre les infractions au droit des affaires – principalement abus de biens sociaux, problèmes de financement de parti politique, faux, délits boursiers. C’est à un groupe de cette brigade que j’ai confié l’enquête qui était susceptible de mettre en cause M. Cahuzac.

Je précise que je n’ai pas confié le dossier à la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, parce que celle-ci ne peut être saisie que sur plainte pour fraude fiscale déposée par la Direction générale des finances publiques devant les magistrats du parquet. En l’espèce, il s’agissait de blanchiment de fraude fiscale, pas d’une plainte émanant de la DGFIP. Quoi qu’il en soit, tous les officiers de police judiciaire de la division, dans quelque brigade qu’ils soient affectés, ont à traiter des enquêtes sensibles et techniques. Cela ne posait donc aucune difficulté.

Dans les domaines que je viens d’évoquer, la division, qui a une compétence nationale, est chargée de dossiers particuliers qui soit présentent un caractère de sensibilité, des enjeux significatifs ou un caractère international important, soit sollicitent une charge d’enquête très lourde. Comme pour tous les dossiers confiés à la division, j’ai supervisé les investigations en liaison avec les magistrats du parquet de Paris. Tous les actes d’enquête – auditions, perquisitions, exploitations techniques, par exemple, de supports informatiques – se sont déroulés jusqu’au 18 mars 2013, date à laquelle M. le procureur de la République de Paris nous a demandé de mettre fin à l’enquête préliminaire. J’ai été en contact très régulier avec les magistrats du parquet de Paris avec lesquels nous faisions des points quasi quotidiens sur les investigations que nous menions.

Le 19 mars 2013, M. le procureur de la République de Paris a annoncé, dans un communiqué de presse, l’ouverture d’une information judiciaire pour blanchiment de fraude fiscale, perception par un membre de profession médicale ou une autorité sanitaire d’avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la sécurité sociale, blanchiment de fonds et recel. Deux juges d’instruction ont été désignés, M. Roger Le Loire, vice-président en charge de l’instruction, et M. Renaud Van Ruymbeke, premier juge chargé de l’instruction. Ils nous ont délivré une commission rogatoire le 21 mars 2013, date depuis laquelle nous poursuivons les actes d’enquête dans ce cadre.

M. Éric Arella, contrôleur général de police à la sous-direction de la police technique et scientifique. La sous-direction de la police technique et scientifique est l’une des quatre sous-directions de la Direction centrale de la police judiciaire. Notre mission consistant spécifiquement à apporter une aide à l’enquête grâce à des moyens techniques, la DNIFF nous a sollicités pour procéder à deux actes de cette nature. Dans un premier temps, il s’agissait de retranscrire la conversation contenue sur le minidisque placé sous scellés et à nettoyer le contenu de cette cassette. Dans un deuxième temps, nous avons eu à procéder à une comparaison de voix entre le contenu de la cassette et des échantillons de voix désignés de M. Jérôme Cahuzac. La mission nous a été attribuée à la fin du mois de janvier. Je l’ai confiée à deux techniciens du Laboratoire d’analyse et de traitement de signal (LATS) du Service central de l’informatique et des traces technologiques (SCITT), qui est l’un des services centraux de la SDPTS et qui a l’habitude de procéder à ce genre d’analyse, pour mettre en œuvre deux méthodes de comparaison de voix.

La mission devait être exécutée assez rapidement. D’emblée, nous avons estimé le temps nécessaire à la finalisation des deux analyses à un mois et demi. Par convention, chaque expert procédait à son analyse de son côté, chacun selon sa méthode, un bilan des deux expertises étant dressé dans un rapport final. Ce rapport a été remis à la DNIFF le 18 mars.

M. Alain Claeys, rapporteur. Madame Dufau, c’est le 8 janvier que le parquet ouvre une enquête préliminaire et qu’il confie ce dossier à la DNIFF. Vous avez parlé à plusieurs reprises d’enquêtes sensibles. Est-ce la complexité de l’affaire qui a justifié qu’elle soit confiée à votre service ou la mise en cause d’un ministre a-t-elle pu jouer un rôle dans ce choix ?

Mme Christine Dufau. M. le procureur de la République de Paris serait le plus à même de répondre. Avec d’autres collègues de la préfecture de police de Paris, nous sommes, dans notre service, organisés et formés pour traiter des dossiers complexes ou sensibles. Dans ce dossier précis, la sensibilité est liée à la personnalité de M. Cahuzac. Il me semble tout à fait logique que le procureur de la République de Paris saisisse un des services formé et habitué à traiter des dossiers dans lesquels des personnalités sont mises en cause. La procédure suivie est habituelle, mais elle est entourée de certaines précautions dès lors qu’un ministre en exercice est impliqué.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quelles sont ces précautions ?

Mme Christine Dufau. Nos enquêteurs agissent avec beaucoup de professionnalisme et en toute discrétion, de manière à éviter la divulgation des actes auxquels nous procédons. Pour notre part, nous nous attachons à monter la procédure logiquement, en recueillant des témoignages aussi précis que possible. La procédure pénale est une procédure écrite. C’est sur la base des procès-verbaux que nous aurons recueillis ou des constatations que nous serons parvenus à faire que le procureur de la République décidera au final si, oui ou non, une infraction est constituée.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans le même temps, l’administration fiscale effectue une demande d’échange d’informations auprès de la Suisse. Trouvez-vous cette démarche normale alors que l’enquête préliminaire est ouverte ?

Mme Christine Dufau. Je n’ai pas à trouver cela normal ou pas normal. L’administration fiscale a répondu à toutes les demandes que nous lui avons adressées et a, de son côté, mené un certain nombre d’investigations. Elle m’a adressé sa demande aux autorités suisses et la réponse de celles-ci ; je les ai mises en procédure en avisant immédiatement le procureur de la République de Paris. Dans le cadre de l’enquête administrative qu’elle conduit, l’administration fiscale agit en toute responsabilité.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez que la réponse apportée, le 31 janvier, par les autorités suisses à l’administration française vous a été transmise immédiatement par Alexandre Gardette, le chef du service du contrôle fiscal.

Mme Christine Dufau. Oui. Il m’a envoyé la réponse quand il l’a eue. Je l’ai mise en procédure en avisant les magistrats du parquet, comme on le fait de tout renseignement obtenu dans le cadre d’une enquête. Ce n’est pas à moi de juger si l’administration fiscale était en droit ou pas de faire sa demande. Elle me l’a transmise ; je l’ai mise en procédure. C’est un renseignement comme un autre et ce n’est pas à moi de juger si je le mets ou pas en procédure.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans le cadre du travail de votre service, avez-vous connaissance de cas de réponse négative de la Suisse à une demande d’entraide fiscale contredite par la suite de vos investigations mettant en évidence l’existence d’un compte caché dans ce pays ?

Mme Christine Dufau. Non.

M. le président Charles de Courson et M. le rapporteur. Aucun cas ?

Mme Christine Dufau. Non. Cela dit, je n’ai pas forcément connaissance du traitement administratif des dossiers par l’administration fiscale pendant une enquête pénale ou à la suite de celle-ci.

M. Alain Claeys, rapporteur. Sur un dossier de ce type, est-il de tradition que l’administration fiscale vous transmette toute information dont elle dispose ?

Mme Christine Dufau. Normalement oui, mais beaucoup de dossiers sur lesquels nous enquêtons vont avoir des incidences fiscales, et il reviendra à l’administration fiscale de traiter le volet fraude fiscale sans que nous en soyons forcément informés. Je n’ai pas connaissance de dossiers où la Suisse avait donné une réponse négative alors qu’il y avait un compte, mais peut-être y en a-t-il eu.

M. Alain Claeys, rapporteur. Selon Mediapart, une demande d’entraide judiciaire a été adressée aux autorités suisses le 12 mars dans le cadre de l’enquête préliminaire. Confirmez-vous cette date ?

Mme Christine Dufau. Je savais qu’il y aurait une demande d’entraide et je savais qu’elle avait été envoyée, mais je ne peux pas donner la date exacte à laquelle elle a été transmise aux autorités suisses. Mieux vaut le demander au procureur de la République de Paris.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous su la réponse ?

Mme Christine Dufau. J’ai su la réponse mais je ne peux pas vous en donner le contenu.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pouvez-vous au moins donner la date à laquelle vous avez été informée ?

Mme Christine Dufau. Pas la date exacte. C’était après l’ouverture de l’information judiciaire, soit après le 19 mars.

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Arella, à quelle date votre sous-direction a-t-elle été chargée d’expertiser l’enregistrement de la conversation entre Jérôme Cahuzac et son chargé d’affaires ?

M. Éric Arella. Nous avons reçu deux réquisitions, la première concernant principalement la retranscription du contenu du minidisque, la seconde, datant du 25 janvier 2013, visant à procéder à une comparaison de voix.

M. Alain Claeys, rapporteur. À quelle date avez-vous eu le support à votre disposition ?

M. Éric Arella. Les échanges entre le service enquêteur, la DNIFF, et les experts du SCITT de la SDPTS se sont noués dans les jours qui ont suivi la première réquisition, avec la remise du document.

M. Alain Claeys, rapporteur. L’enregistrement avait-il pour support un minidisque ?

M. Éric Arella. Tout à fait.

M. Alain Claeys, rapporteur. Le récit fait par Michel Gonelle des conditions dans lesquelles il aurait été réalisé vous semble-t-il plausible ?

M. Éric Arella. Je suis désolé, je ne connais pas ce monsieur.

Mme Christine Dufau. Quand nous avons requis les collègues de la SDPTS, nous leur avons uniquement donné le support sans expliquer dans quelles conditions M. Gonelle avait fait l’enregistrement. Nous leur avons demandé si le support avait été modifié ou pas.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans le cadre de cette expertise, avez-vous pu dater l’enregistrement ou son transfert sur son support actuel ?

M. Éric Arella. Je n’avais pas compris le nom de M. Gonelle, que, bien sûr, j’ai lu dans les médias mais que la SDPTS n’a pas eu à connaître.

Pour répondre à votre question, nous n’avons pas pu dater l’enregistrement ou son transfert.

M. Alain Claeys, rapporteur. Outre les personnes chargées de l’enquête, qui avez-vous informé des résultats de cette expertise ?

M. Éric Arella. Seule la DNIFF a été informée in fine du résultat de l’expertise.

M. Alain Claeys, rapporteur. En dehors de votre direction, personne ne vous a interrogé sur ce dossier ?

M. Éric Arella. Nous n’avons reçu aucune sollicitation de quiconque.

M. Alain Claeys, rapporteur. Confirmez-vous que votre étude sur cet enregistrement a duré un mois et demi ?

M. Éric Arella. Effectivement, il a fallu un mois et demi pour finaliser les deux méthodes de comparaison que nous avons voulu associer pour le traitement de cette expertise. C’est même un temps rapide par rapport à certains dossiers que nous avons pu traiter.

M. le président Charles de Courson. Madame Dufau, je reviens sur le moment du déclenchement de l’enquête préliminaire. Alors que vous êtes spécialisés dans la lutte contre la fraude financière et fiscale, c’était un blanchiment qui était envisagé, avez-vous dit. Cela signifie-t-il que votre saisine n’était pas évidente ou n’ai-je pas bien compris ?

Mme Christine Dufau. Notre saisine en blanchiment de fraude fiscale est tout à fait logique ; nous avons d’autres dossiers de ce type. Mon propos était d’expliquer que la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale n’avait pas été saisie, car elle ne peut l’être que sur plainte de l’administration fiscale pour fraude fiscale. La DGFIP n’ayant pas déposé plainte, cette brigade ne pouvait pas enquêter.

M. le président Charles de Courson. Vous êtes-vous étonnée de ne pas être saisie par la Direction générale des finances publiques ?

Mme Christine Dufau. Pour qu’elle dépose plainte, il aurait fallu qu’elle ait des présomptions. Les magistrats du parquet nous saisissent de dossiers en blanchiment de fraude fiscale alors qu’il n’y a pas de plainte de la Direction générale des finances publiques qui, parfois, se joint au dossier après. Ce n’est pas une anomalie, nous avons d’autres dossiers qui nous arrivent de la même façon.

M. le président Charles de Courson. Monsieur Arella, M. Gonelle nous a expliqué qu’il avait eu deux messages sur son portable : celui de Jérôme Cahuzac relatif à l’inauguration du nouveau commissariat de police de Villeneuve-sur-Lot, puis une conversation. La commission s’est demandé pourquoi il n’avait pas gardé l’enregistrement total. Vos analyses n’ont bien porté que sur la deuxième partie, la première n’a pas été conservée ?

Mme Christine Dufau. En fait, M. Gonelle n’a fait enregistrer que la partie qui est sur le minidisque. Le premier appel est resté dans son téléphone qui a disparu.

M. le président Charles de Courson. Moi-même, j’ai compris qu’il n’avait pas pu le prendre au téléphone et qu’il avait trouvé un message.

M. Alain Claeys, rapporteur. Et moi, qu’il l’avait eu et qu’après avoir fermé son téléphone, il le rappelle par inadvertance.

M. le président Charles de Courson. Comme nous avons décidé de l’auditionner à nouveau, nous éclaircirons ce point. Précisément, quand vous examinez l’enregistrement, êtes-vous techniquement capables de déceler que quelque chose a été coupé avant ?

M. Éric Arella. C’est l’un des objets de l’expertise, qui conclut de manière presque catégorique qu’il n’y a pas eu de manipulation sur le support audio qui a été mis à notre disposition.

M. le président Charles de Courson. Là, ce n’est pas un problème de manipulation. Avez-vous pu voir, dans ce qui vous a été donné, qu’il y avait, avant cette conversation, un message qui a été coupé ?

M. Éric Arella. Je ne sais pas.

M. Christian Assaf. Comme le président, j’ai eu le sentiment, qu’il manquait à ce message un début et une fin, qu’il était partiel. Non pas qu’il y ait eu manipulation, mais qu’il s’agissait de l’enregistrement d’un bout de conversation, pas de l’intégralité.

M. Éric Arella. C’est effectivement possible, mais ce n’est pas certain non plus.

M. Patrick Devedjian. Monsieur Arella, vous avez été nécessairement informé des conditions dans lesquelles l’enregistrement a été opéré, de manière réelle ou prétendue. On ne vous a pas donné le document sans vous dire quelle était son origine expliquée par celui qui l’a recueilli. Ces explications vous paraissent-elles crédibles techniquement ?

M. Éric Arella. Des éléments de contexte ont effectivement été communiqués aux deux experts qui ont été missionnés pour comprendre l’origine. Il était notamment absolument nécessaire de connaître la période à laquelle ce support avait pu être enregistré. Pour l’instant, rien ne nous permet de douter des éléments qui nous ont été fournis.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans le compte rendu de l’audition de Michel Gonelle, il a bien reçu deux messages : « J’ai en effet reçu deux messages sur ma boîte vocale fermée. Lors du premier appel, composé avec un numéro que j’ai reconnu être celui de Jérôme Cahuzac, ce dernier m’annonçait que Daniel Vaillant avait accepté de venir à Villeneuve-sur-Lot pour inaugurer le nouveau commissariat de police, et demandait à me rencontrer pour mettre au point les détails de la réception. […] Après ce premier message, dans lequel il me demandait de le rappeler, venait un autre message […] ».

M. le président Charles de Courson. C’est en effet ce que j’avais compris. L’expertise n’a pas pu déceler qu’il y avait eu un message avant. La cassette ne contenait que la partie de la conversation qui s’était retrouvée sur le portable.

M. Éric Arella. On ne peut pas être précis là-dessus. Effectivement, à la lecture on pourrait dire qu’il s’agit d’une suite de deux enregistrements ou d’un enregistrement dédoublé.

M. le président Charles de Courson. M. Gonelle nous a dit être sûr d’avoir reconnu M. Cahuzac comme l’un des protagonistes de cette conversation parce que le même numéro s’était affiché. Techniquement, pouviez-vous, à partir de la cassette, identifier le numéro de portable duquel provenait le message ?

M. Éric Arella. La recherche de numéro de téléphone ne faisait pas partie de nos missions, qui consistaient, je le rappelle, à améliorer le son du support, à retranscrire la conversation et à procéder à une comparaison de voix. Je ne peux donc répondre à cette question.

Mme Christine Dufau. C’est M. Gonelle qui a fait l’enregistrement du minidisque qui nous a été remis. Nous n’avons pas le téléphone qui a reçu le message, à partir duquel l’enregistrement a été fait. Il est matériellement impossible de connaître le numéro d’appel.

M. Patrick Devedjian. L’enregistrement n’est pas manipulé, vous êtes catégorique ?

M. Éric Arella. C’est effectivement un des éléments de conclusion de notre expertise qui prétend, sans l’exclure totalement, que probablement le support à notre disposition n’a pas fait l’objet de manipulation.

M. le président Charles de Courson. À votre connaissance, une fois vos conclusions rendues, le ministre dont vous dépendez en est-il informé ?

Mme Christine Dufau. Quand j’ai eu le rapport de la sous-direction, j’en ai informé le magistrat du parquet de Paris qui était mon correspondant ainsi que ma hiérarchie.

M. le président Charles de Courson. C’est-à-dire qui ?

Mme Christine Dufau. Mon sous-directeur, M. Bernard Petit, contrôleur général, dont je dépends directement. Nous avons rendu la procédure le 18 mars et le procureur de la République a annoncé l’ouverture d’une information judiciaire le 19 mars.

M. le président Charles de Courson. Votre supérieur hiérarchique ne vous a pas dit ce qu’il en a fait ?

Mme Christine Dufau. Non.

Mme Cécile Untermaier. Sur l’enquête préliminaire du 8 janvier, à qui rendez-vous compte régulièrement de l’avancée de l’enquête ?

Mme Christine Dufau. Je ne rends pas compte directement au procureur de la République mais à un des vice-procureurs en charge de la section qui nous a confié matériellement le dossier. Ce sont des échanges réguliers, quotidiens. Du côté de la hiérarchie policière, je rends compte à mon sous-directeur, non pas des détails, mais des actes principaux.

Mme Cécile Untermaier. Dans les enquêtes préliminaires de cette nature, pensez-vous possible que des informations transitent entre le cabinet du ministre et les services chargés de l’enquête ?

Mme Christine Dufau. Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Moi, je rends compte à mon supérieur qui lui-même rend compte, je le suppose, au directeur central de la police judiciaire, dont il paraît normal, en qualité de responsable de l’activité des services de police judiciaire, qu’il sache ce que font les services placés sous son autorité. À qui lui-même rend-il compte, je n’en sais rien.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur Arella, vous avez été chargé, le 25 janvier, de l’analyse des voix. Comment expliquez-vous le délai entre le déclenchement de l’enquête préliminaire, le 8 janvier, et cette commande passée le 25 ?

M. Éric Arella. En matière d’expertise, ce temps d’enquête est rapide. Au cours de l’expertise, les deux experts ont été gênés par la difficulté de trouver un support de voix de M. Cahuzac le plus proche possible de la date supposée d’origine du document que nous avions sur le minidisque. C’est ainsi qu’il a été nécessaire de procéder à une réquisition ultérieure à l’Institut national de l’audiovisuel pour trouver un document vocal daté des environs de 2000. Nous avons retrouvé un enregistrement de 2002 d’une émission de LCI. Cette réquisition a été faite par la DNIFF à l’INA le 21 février ; nous avons reçu l’échantillon de 2002 le 4 mars. Celui-ci a permis de valoriser notre temps d’expertise et de le rendre plus rapide que la moyenne.

Mme Cécile Untermaier. Je ne visais pas le délai de l’expertise mais la date de commencement de l’expertise. L’enquête préliminaire est ouverte le 8 janvier mais vous n’attaquez l’identification que le 25 janvier.

Mme Christine Dufau. Le 8 janvier, nous ne disposions pas du support. Nous avons suivi une démarche normale en entendant des gens, en recueillant des pièces et nous avons eu des discussions pour savoir si l’expertise était faisable ou pas.

Mme Cécile Untermaier. À quel moment l’avez-vous eu ?

Mme Christine Dufau. M. Gonelle nous l’a remis dans le courant du mois de janvier, mais je ne saurais dire la date exacte.

M. le président Charles de Courson. M. Gonelle a remis aux policiers de la DNIFF une copie de l’enregistrement téléphonique le 16 janvier, et il a été auditionné, à cette occasion, pendant plusieurs heures.

M. Christian Assaf. Au cours des semaines d’instruction, avez-vous la conviction qu’il s’agit bien de Jérôme Cahuzac avant d’avoir procédé à une vérification complète ? Si oui, faites-vous un rapport intermédiaire à votre hiérarchie ?

M. Gonelle nous a dit qu’il est allé voir un technicien, dont il n’a pas voulu révéler le nom, qui s’est occupé de cet enregistrement. Est-ce une société qui a pignon sur rue ? Avez-vous pu rencontrer la personne qui a fait cet enregistrement ? Nous nous interrogeons sur la possibilité de fuites, essayant de savoir à quelle étape cette fuite a pu se produire. L’entreprise qui a procédé au transfert de l’enregistrement vous paraît-elle digne de confiance ? La connaissiez-vous ? Est-elle agréée ?

M. Éric Arella. Il n’y a eu aucun rapport intermédiaire entre le service d’expertise et le service d’enquête ou qui que ce soit. Il y a simplement eu un échange verbal au moment où le besoin s’est fait sentir de se procurer un échantillon de voix de M. Cahuzac plus proche de l’année 2000. C’est quasiment le seul échange qui a eu lieu. Aucun rapport intermédiaire faisant état d’une orientation de l’enquête dans un sens ou un autre n’a été produit.

M. Christian Assaf. À ce moment-là, votre idée est faite. Dites-vous à votre interlocuteur qu’il vous semble qu’il s’agit bien de Jérôme Cahuzac mais qu’il vous faut un enregistrement plus proche en date ? Si oui, à qui le demandez-vous et à quelle date ?

M. Éric Arella. Très franchement, aucun sentiment n’a été exprimé à aucun moment hormis le besoin de supports supplémentaires pour avoir les meilleurs éléments et fournir l’expertise la plus aboutie possible.

Mme Christine Dufau. La société qui a transféré l’enregistrement a été entendue dans le cadre de l’enquête, mais je ne peux pas vous communiquer ce qu’elle a dit.

M. le président Charles de Courson. Vous avez donc retrouvé l’entreprise qui a transféré l’enregistrement de la cassette vers le disque. L’opération est-elle compliquée techniquement ?

Mme Christine Dufau. La société a fait l’enregistrement à partir du téléphone.

M. le président Charles de Courson. Madame Dufau, vous dites avoir informé votre sous-directeur, M. Bernard Petit, le 18 mars. S’agit-il du sous-directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière, qui lui-même dépend du directeur central de la police judiciaire ?

Mme Christine Dufau. C’est cela.

M. Étienne Blanc. La saisine de vos services peut avoir deux origines : le parquet ou la DGFIP. Je n’ai pas bien compris.

Mme Christine Dufau. Nous sommes toujours saisis par des magistrats, soit des procureurs, soit des juges d’instruction. En matière de fraude fiscale, la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, qui a été créée en 2010, ne peut être saisie par des magistrats que si eux-mêmes ont été destinataires d’une plainte de la Direction générale des finances publiques sur des présomptions de fraude fiscale. La DGFIP ne nous saisit pas directement, elle dépose plainte auprès des magistrats du parquet, qui nous saisissent.

M. le président Charles de Courson. Ce qui n’était pas le cas en l’espèce, nous avons éclairci ce point tout à l’heure.

Une question de technique pour M. Arella. Êtes-vous les seuls, en France, à avoir la capacité d’examiner le contenu d’un message enregistré, à identifier des voix ?

M. Éric Arella. Au sein de la police nationale, pour ne parler que des services publics, je pense que nous sommes les seuls à disposer d’experts suffisamment pointus pour procéder à ce type de comparaison de voix. Il en existe aussi dans la gendarmerie nationale.

M. le président Charles de Courson. Connaissez-vous des sociétés privées qui fassent ce genre de travaux ?

M. Éric Arella. Je n’ai pas souvenir que les magistrats saisissent un laboratoire privé, comme cela peut se faire en matière génétique, par exemple. En matière de comparaison de voix, en général, c’est le SCITT de la SDPTS qui est principalement saisi. Je n’ai pas l’impression qu’il existe un laboratoire privé véritablement reconnu.

M. le président Charles de Courson. Les deux journalistes de Mediapart que nous avons auditionnés nous ont dit qu’eux-mêmes avaient fait faire une comparaison par un organisme privé dont ils ne nous ont pas donné le nom. D’où notre question sur l’existence de sociétés compétentes en matière de reconnaissance vocale.

M. Éric Arella. Ce n’est pas impossible, mais personne dans le privé ne me paraît avoir de notoriété sur ce point. Que je sache, aucun laboratoire privé n’est saisi de ce type d’analyse, comme cela peut être fréquemment le cas dans le domaine génétique.

M. le président Charles de Courson. Vos conclusions font-elles état d’un taux de probabilité que l’enregistrement est celui de la voix de M. Untel ou Mme Unetelle ?

M. Éric Arella. Oui. Les deux types d’analyse effectués s’appuient sur une grille de un à sept, et la conclusion rendue établit un rapport de probabilité plus ou moins fort résultant de la comparaison entre le support initial et la voix de M. Cahuzac.

M. le président Charles de Courson. Madame Dufau, lorsque vous avez informé votre sous-directeur des conclusions, le 18 mars, vous avez fait état des probabilités ?

Mme Christine Dufau. Sans rentrer dans le détail de l’analyse, je lui ai donné un résumé des conclusions.

M. le président Charles de Courson. Sur cette échelle de un à sept, à partir de quel échelon considérez-vous la probabilité comme très élevée ?

M. Éric Arella. Le bas de l’échelle permet de discriminer totalement la comparaison. La voix n’est pas un élément comme l’empreinte digitale ou génétique. On ne parle pas d’empreinte vocale mais de signature vocale, ce qui permet d’avoir une probabilité de comparaison mais pas de certitude absolue. En l’occurrence, la probabilité est assez forte mais pas totale.

M. le président Charles de Courson. Madame Christine Dufau, monsieur Éric Arella, merci d’avoir répondu à notre invitation.