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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 18 juin 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Habert, inspecteur principal, chef de la brigade d’intervention interrégionale d’Orléans, de M. Olivier André, administrateur des finances publiques, pilote d’accompagnement du changement à la délégation Ouest de la DGFIP, et de M. Patrick Richard, contrôleur des finances publiques à la retraite

M. le président Charles de Courson. Messieurs, vous étiez tous les trois en fonction, au sein de la Direction nationale des enquêtes fiscales, à la brigade interrégionale d’intervention de Bordeaux (BII), entre 2000 et 2007. Or, selon les affirmations de M. Michel Gonelle, c’est en 2000 qu’il a fait transmettre un signalement à cette brigade, concernant les avoirs détenus à l’étranger par M. Jérôme Cahuzac. Nous avons, par ailleurs, appris que le dossier fiscal de ce dernier avait été envoyé de Paris à Bordeaux en 2001 et était demeuré à la BII jusqu’en 2007.

Il est important pour nous de mieux comprendre cet épisode et de savoir pourquoi ce signalement n’a débouché sur aucun contrôle de la situation fiscale de M. Jérôme Cahuzac.

M. Habert, M. André et M. Richard prêtent successivement serment.

M. Patrick Richard, contrôleur des finances publiques à la retraite. Je me bornerai à rappeler le contenu de nos missions, en tant qu’enquêteurs de la BII de Bordeaux, ainsi que le rôle joué dans cette affaire par mon collègue Christian Mangier, aujourd’hui décédé.

La brigade interrégionale d’intervention n’a pas vocation à procéder à des vérifications de comptabilité ni à l’examen de la situation fiscale personnelle des contribuables : de telles missions relèvent d’autres services. La nôtre était d’enrichir la programmation de contrôles fiscaux par la recherche de renseignements, soit auprès de sources internes – qu’il s’agisse de l’administration fiscale ou d’autres services de l’État – soit de sources externes, lorsque, comme dans le cas qui nous intéresse, des informations sont fournies par des tiers.

M. Mangier et moi-même avons fait équipe pendant plus de vingt-cinq ans. Nous nous connaissions bien et nous faisions mutuellement confiance. En général, ce que l’un savait, l’autre le savait aussi, car avant de prendre une décision ou d’ouvrir une enquête, nous en discutions entre nous.

Il y a eu quelques cas particuliers au cours de cette période. Dans notre métier, les renseignements – et tous sont bons à prendre – ne sont pas nécessairement donnés aux heures d’ouverture des bureaux : ils pouvaient nous être transmis le soir ou le week-end, dans le cercle privé ou familial. S’agissant du cas qui nous occupe, M. Mangier était seul destinataire de l’information. J’en ai donc déduit qu’il l’avait obtenue dans un cadre privé, car si l’informateur avait été un collègue ou un fonctionnaire exerçant dans une autre administration, nous l’aurions rencontré ensemble.

M. le président Charles de Courson. Vous ne connaissez pas le nom de cette personne ?

M. Patrick Richard. Non. Les faits commencent à dater, mais d’après mes souvenirs, M. Mangier m’a dit un jour avoir obtenu une information – qui, selon ses propres termes, n’était pas de première main – sur la détention, par M. Cahuzac, d’un compte bancaire en Suisse, lequel lui aurait permis de financer ses activités électorales. Il ne paraissait pas en savoir beaucoup plus. Nous avons donc fait ce que nous faisons toujours en pareil cas : nous demandons communication du dossier fiscal de la personne concernée, ne serait-ce que pour nous assurer qu’elle ne faisait pas déjà l’objet d’une procédure – comme une vérification de sa comptabilité – ou d’une enquête par un autre service. Puis nous examinons l’environnement professionnel ou fiscal de cette personne, afin d’une part de vérifier la crédibilité des informations, et d’autre part de déterminer si les revenus susceptibles d’avoir alimenté ce compte étaient d’ordre professionnel et entraient donc dans le cadre de notre mission.

M. le président Charles de Courson. À quel moment cela se passait-il ?

M. Patrick Richard. Il y a peu de temps, je n’aurais pu vous répondre avec précision. Mais les policiers qui m’ont entendu récemment, m’ont dit que cela s’était passé en février 2001, et je n’ai pas de raison d’en douter. La procédure était alors très simple : l’agent ayant besoin de consulter un dossier demandait à la secrétaire – nous en avions encore une, à l’époque – de remplir un formulaire, qu’il signait ; la demande partait par courrier, et on recevait le dossier en retour. Le délai était celui de l’acheminement du courrier postal.

Lorsque le dossier est arrivé, nous l’avons examiné sommairement, comme on le faisait toujours, ne serait-ce que pour vérifier que la personne mise en cause n’avait jamais déclaré de compte bancaire à l’étranger. Nous avons ensuite discuté de son contenu. Je voulais rencontrer la personne ayant transmis l’information, car à ce stade, nous ne pouvions rien faire. Des informations sur des comptes en Suisse ou l’exercice de travail dissimulé, nous en recevions facilement ; mais il fallait en évaluer la crédibilité avant d’entamer quelque action que ce soit. Dans ce but, nous avions coutume de recevoir, dans les locaux de l’administration, la personne ayant donné le renseignement, afin de mesurer sa proximité avec la source principale, de comprendre par quel moyen l’information lui était parvenue, de rechercher de premières pistes pour commencer l’enquête. Dans le cas qui nous occupe, M. Mangier m’a dit que la personne ayant transmis l’information n’en savait pas plus et ne souhaitait pas que je la rencontre. La porte était dès lors fermée, ce qui explique pourquoi il n’y a eu – et j’insiste sur ce point – aucune enquête au sens où nous l’entendions : aucune des procédures prévues par les textes n’a été entamée. Nous n’avions aucun moyen de le faire.

La seule anomalie, dans ce dossier, est sans doute que M. Mangier l’ait traité comme s’il ne concernait qu’un contribuable ordinaire, et non une personnalité exerçant des fonctions électives. Il aurait dû, en effet, en informer le chef de service, ce qui n’a pas été fait.

De même, il est anormal que le dossier ait été détenu si longtemps par la BII. En général, lorsque l’on obtient une information de ce type, on garde le dossier quelque temps dans le coffre-fort, en espérant que de nouvelles informations permettront d’entamer une véritable enquête. Si rien ne se passe, on renvoie le dossier. Or, mon collègue ne l’a pas fait. C’est bien plus tard, en faisant de l’archivage, que l’on a retrouvé ce – très mince – dossier, parmi d’autres, dans le coffre. Il a été renvoyé à ce moment.

M. Olivier André, administrateur des finances publiques, pilote d’accompagnement du changement à la délégation Ouest de la Direction générale des finances publiques. Afin de compléter les propos de M. Richard, je décrirai les process en usage à l’époque à la BII de Bordeaux concernant les relations entre les enquêteurs et le chef de service – c’est-à-dire moi-même –, les demandes de communication des dossiers et leur traitement.

Il y avait une différence importante entre les dossiers des « notoriétés » – dont les élus – et ceux des contribuables « lambda », qu’il s’agisse de sociétés, d’entreprises indépendantes, de personnes physiques exerçant une profession libérale, etc.

Lorsqu’une enquête était susceptible d’être ouverte sur un contribuable ne faisant pas partie de la catégorie des « notoriétés », l’usage était que l’enquêteur vienne m’en parler au moment de solliciter l’ouverture d’un premier acte de procédure – droit de communication ou droit d’enquête. Dans le cas d’espèce, et dans la mesure où il s’agissait d’une « notoriété », la règle – qui n’a pas été respectée – voulait que l’enquêteur vienne me demander l’autorisation de se faire communiquer le dossier. Je la lui aurais certainement accordée, et j’aurais informé ma hiérarchie, à Pantin.

M. le président Charles de Courson. Vous étiez déjà chef de service à l’époque ?

M. Olivier André. J’ai été le chef de brigade à Bordeaux de septembre 1998 à août 2003.

M. le président Charles de Courson. C’est donc vous que M. Mangier aurait dû informer.

M. Olivier André. Oui.

M. Laurent Habert, inspecteur principal, chef de la brigade d’intervention interrégionale d’Orléans. Je n’aurai pas grand-chose à ajouter à ce qui vient d’être dit, même si je connais bien le fonctionnement interne de la BII de Bordeaux, pour en avoir été le responsable de septembre 2003 à septembre 2009. Je n’étais pas présent à l’époque des faits, mais je l’étais lorsque le dossier a été renvoyé, en février 2007. Il faisait en effet partie d’un « wagon » de dossiers renvoyés au même moment afin de libérer de la place dans nos armoires. Mais à l’époque, je n’y ai pas prêté attention.

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Richard, vous avez parlé de « cas particuliers » traités à cette époque. Aucun autre protagoniste de l’affaire n’a été concerné par des demandes de dossier ou la transmission d’informations ?

M. Patrick Richard. Non. Fort heureusement, nous n’avions que très rarement affaire à des dossiers de personnalités en vue. Dans toute ma carrière, qui a duré 39 ans, le cas ne s’est présenté que deux fois. Mais sans même parler des élus, lorsque le dossier paraissait sensible, nous en parlions très naturellement avec le chef de service, ne serait-ce que pour bénéficier de son expertise sur la façon dont l’enquête devait – ou non – être menée.

En outre, M. Cahuzac n’avait pas, à l’époque, la notoriété qu’il a acquise depuis. À nos yeux, il ne s’agissait que d’un député parmi d’autres, qui briguait la mairie de Villeneuve-sur-Lot.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Mangier ne vous a jamais dit qui était son informateur ?

M. Patrick Richard. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Comment les choses se passaient-elles lorsque vous obteniez un renseignement de la part d’une personne appartenant à la même administration que vous ?

M. Patrick Richard. Tout d’abord, j’ai oublié de préciser que notre service avait une compétence nationale : il était donc d’usage que l’agent destinataire du renseignement traite le dossier, quel que soit le lieu de résidence de la personne incriminée.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans l’hypothèse où la personne ayant transmis le renseignement était un inspecteur des impôts n’exerçant pas dans le même département que vous, n’aurait-il pas dû traiter le dossier ?

M. Patrick Richard. Tout dépend du service auquel il appartenait : les inspecteurs des impôts ont des prérogatives locales, régionales ou nationales, selon la nature de leur mission.

M. Alain Claeys, rapporteur. Si une information provenait d’un fonctionnaire des impôts exerçant dans un autre département, vous en étiez informé ?

M. Patrick Richard. Oui, en toute logique. Mais dans un tel cas, entre collègues de la même administration, il ne s’agissait pas d’un échange formel, il n’y avait pas de droit de communication.

M. Alain Claeys, rapporteur. Si cela avait été le cas de l’informateur de M. Mangier, vous auriez donc dû le savoir ?

M. Patrick Richard. En l’occurrence, le Lot-et-Garonne faisait partie de notre circonscription territoriale. Avec M. Mangier, nous nous occupions plus particulièrement de La Rochelle et d’Agen : nos collègues savaient donc que nous étions les interlocuteurs désignés pour tout ce qui concernait ces zones. C’est pourquoi j’ai toujours eu le sentiment
– même si je ne peux en être certain – que l’information venait d’une personne extérieure à l’administration, sans quoi nous l’aurions rencontrée tous les deux, mon collègue et moi.

M. Alain Claeys, rapporteur. C’est le comportement de M. Mangier, le fait qu’il ne vous ait pas informé de l’identité de son informateur, qui vous amène à penser que ce dernier appartenait à la sphère privée de votre collègue, et non à l’administration.

M. Patrick Richard. En tout cas, si c’était un inspecteur des impôts, il avait avec lui une relation privée. Mais à l’époque des faits – et même jusqu’à une période très récente –, je ne pensais pas que l’informateur puisse être de la maison. Même s’il s’agissait d’un fonctionnaire travaillant dans une autre administration, nous l’aurions rencontré ensemble. Cela étant, je peux me tromper. Il peut s’agir d’un fonctionnaire avec lequel mon collègue avait des relations en dehors du cercle professionnel, lors de rencontres sportives, par exemple – il jouait beaucoup au tennis. Je n’en sais rien. Mais si mon collègue n’a pas souhaité que je rencontre l’informateur, c’est parce que ce dernier l’avait expressément refusé.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand votre collègue vous a-t-il prévenu ? Quand il a demandé communication du dossier ?

M. Patrick Richard. J’ai été mis au courant quand la secrétaire nous a apporté le dossier : c’est à ce moment que mon collègue m’en a parlé. Cela n’avait rien d’inhabituel.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous avez donc été informé lorsque le dossier a été transmis à la demande de M. Mangier.

M. Patrick Richard. Oui, via le secrétariat.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans une telle situation – un contrôle visant un parlementaire – l’autorité de l’État dans le département – le préfet – était-elle prévenue ?

M. Patrick Richard. Au cours de ma carrière, il ne m’est arrivé que deux fois de recevoir une information concernant un parlementaire. Dans une telle situation, nous n’informons pas les autorités : seul le chef de service est informé.

M. Alain Claeys, rapporteur. À votre connaissance, aucune information n’a donc été transmise au préfet ou au sous-préfet ?

M. Patrick Richard. À notre connaissance, personne n’a été informé – même pas M. André, ce qui était une erreur. Nous n’avions de comptes à rendre qu’à notre chef de service.

M. Alain Claeys, rapporteur. Lorsque le dossier est arrivé dans votre service, à quelles investigations avez-vous procédé ?

M. Patrick Richard. Je vous l’ai dit : dans un tel cas, on examine l’environnement du dossier. S’agissant d’un compte à l’étranger, on pouvait supposer qu’il était alimenté par des revenus non déclarés. Il fallait donc vérifier que la personne incriminée avait des revenus concernés par nos procédures : TVA, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, etc. La nature de ces revenus devait par ailleurs rendre possible une fraude fiscale importante. Par exemple, un fonctionnaire des finances n’aurait pu dissimuler une part importante de son traitement.

Après cet examen de l’environnement du dossier, nous étions généralement amenés à rencontrer à nouveau la personne ayant transmis l’information, afin de l’interroger sur ses sources, de savoir si elle avait connaissance de la façon dont le compte bancaire était alimenté – soit par son titulaire, soit par un tiers, client ou fournisseur. Mais dans ce cas particulier, nous n’avions aucun angle d’attaque : nous ne connaissions ni le nom de la banque, ni le moment où l’argent avait été versé, ni les enjeux. Nous ne savions rien.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous-même ne saviez rien…

M. Patrick Richard. Je suis convaincu que M. Mangier n’en savait pas plus.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous êtes convaincu que l’informateur – qui, selon vous, n’appartenait pas à l’administration fiscale – n’en avait pas dit plus à M. Mangier.

M. Patrick Richard. En effet.

M. Alain Claeys, rapporteur. Au vu de son dossier, des remarques ont-elles été formulées à l’adresse de M. Cahuzac ?

M. Patrick Richard. Non, aucune. En l’absence d’informations nous permettant de démarrer une enquête – car, je le répète : il n’y a pas eu d’enquête, seulement le traitement d’une information brute, et très succincte –, nous avons décidé, d’un commun accord, de ne pas aller plus loin.

M. Alain Claeys, rapporteur. De même, lorsqu’il a été renvoyé à Paris, le dossier ne comportait aucun signalement de votre part ?

M. Patrick Richard. Je n’ai même pas su à quel moment il avait été renvoyé. Lors d’une opération d’archivage, un nombre important de dossiers ont été retournés aux services expéditeurs, parmi lesquels figurait celui de M. Cahuzac. Mais il aurait pu tout aussi bien être renvoyé deux ans plus tôt. Dès lors que la décision avait été prise de ne pas ouvrir d’enquête, l’agent ayant réclamé le dossier était supposé le restituer, sans fournir d’explication.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour en revenir à M. Mangier, vous a-t-il présenté son informateur comme un ami ?

M. Patrick Richard. Il n’a rien dit quant à la qualité de la personne qui lui avait donné l’information. Or, nous avons pour règle de ne pas nous poser de questions : si le collègue souhaitait nous communiquer l’identité de l’aviseur, nous le rencontrions ensemble ; sinon, on n’insistait pas. Du reste, le problème se posait peu tant les aviseurs dignes de ce nom – connaissant le dossier et disposant d’informations suffisamment pertinentes pour que nous puissions engager une enquête – restaient rares. Généralement, nous faisions les recherches nous-mêmes et obtenions l’information en même temps ; de toute ma carrière, il ne m’est arrivé que deux ou trois fois d’être informé par des personnes appartenant à ma sphère privée, et j’ai toujours pu les faire rencontrer à M. Mangier. Mais dans ce cas particulier, il m’a dit que l’aviseur ne souhaitait voir que lui.

M. Alain Claeys, rapporteur. S’il s’agissait d’un inspecteur des impôts travaillant dans un autre département, M. Mangier aurait-il dû vous informer ?

M. Patrick Richard. Il n’en avait pas l’obligation.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mais était-ce la tradition ?

M. Patrick Richard. Généralement, lorsqu’il s’agissait d’un collègue, nous le rencontrions à deux ; si M. Mangier en a usé autrement dans ce cas-là, c’est qu’il le considérait comme un ami et non comme un inspecteur des impôts – à supposer que c’en fût un.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ainsi, durant cette période, vous n’avez pas eu d’autres informations concernant Jérôme Cahuzac ?

M. Patrick Richard. Non, jamais.

M. Olivier André. Moi non plus.

M. le président Charles de Courson. Vous avez, l’un comme l’autre, suggéré que deux erreurs avaient été commises dans la gestion de cette affaire. D’abord, M. Mangier n’a pas averti sa hiérarchie. Commettait-il souvent ce genre d’erreurs ? À votre avis, pourquoi n’a-t-il pas averti sa hiérarchie ?

M. Olivier André. Il ne s’agissait pas d’un comportement habituel, dans la mesure où le nombre de personnalités relevant de la compétence des BII – qui s’intéressent surtout aux activités professionnelles – restait négligeable. Ce sont les grandes entreprises qui représentent les notoriétés dans notre domaine, et j’ai toujours été informé de tous les éléments les concernant. Il est probable que M. Mangier aura commis une négligence.

M. le président Charles de Courson. M. Mangier aurait-il subi des pressions pour ne pas poursuivre l’investigation ?

M. Olivier André. Je n’imagine pas, étant donné le contexte de l’époque, qu’il ait pu y en avoir dans le cadre d’une procédure fiscale.

M. Patrick Richard. Je suis certain que non. M. Mangier n’était pas homme à se laisser intimider. Il a pu, en revanche, commettre une négligence.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous connu M. Gonelle ?

M. Patrick Richard. Non, j’ai appris son nom récemment.

M. Olivier André. Je ne l’ai pas connu non plus.

M. Laurent Habert. Moi non plus.

M. le président Charles de Courson. Chers collègues, je voulais vous annoncer que M. le rapporteur et moi-même avons trouvé le nom de l’aviseur ; il sera entendu par la commission d’enquête. Comme MM. Gonelle et Garnier nous l’avaient indiqué, il s’agit, Messieurs, d’un de vos anciens collègues, inspecteur des impôts actuellement à la retraite. Vous ne le saviez pas ?

M. Patrick Richard. Non.

M. le président Charles de Courson. La durée anormale de détention du dossier constitue la deuxième erreur que vous avez notée. Existe-t-il des règles, des instructions en cette matière, prévoyant par exemple qu’au bout d’un ou deux ans, on renvoie un dossier, surtout si l’on n’a trouvé aucune piste ?

M. Olivier André. Pas d’instructions, mais du bon sens et des bonnes pratiques. Dès lors qu’on ne peut plus avancer sur un dossier, on le renvoie au service gestionnaire pour qu’il soit classé, actualisé, mis à jour et conservé.

M. le président Charles de Courson. En le renvoyant, l’accompagnez-vous d’une note précisant que l’information n’a pas débouché sur une enquête ?

M. Olivier André. Aujourd’hui, le dispositif informatique de suivi des dossiers et des demandes laisse forcément des traces. Mais à l’époque, on ne faisait pas de notes. En revanche, toute action menée dans le cadre du livre des procédures fiscales était évidemment enregistrée.

M. le président Charles de Courson. Monsieur Habert, c’est vous qui étiez en charge en 2007, quand le dossier a été renvoyé. À cette date encore, aucune instruction n’imposait d’y joindre une note expliquant les démarches entreprises et précisant la raison du renvoi ?

M. Laurent Habert. Non. En revanche, de temps en temps – par mesure de bon sens – on se débarrassait des dossiers dont on ne ferait rien. Mais la durée de stockage d’un dossier pouvait varier de six mois à un ou deux ans, les enquêteurs se disant que si une nouvelle information arrivait, ils pourraient le rouvrir facilement. En tout cas, en 2007, lorsque le dossier a été renvoyé – sans doute avec beaucoup d’autres – à son centre des impôts d’origine, il n’était accompagné d’aucune note explicative.

M. Alain Claeys, rapporteur. Depuis que l’affaire a éclaté, avez-vous été entendus par votre administration centrale ?

M. Patrick Richard. Non.

M. Olivier André. Non plus.

M. Laurent Habert. Moi non plus.

M. Alain Claeys, rapporteur. Et par la police judiciaire ?

M. Patrick Richard. Oui, j’ai été entendu par deux inspecteurs dans les locaux de l’hôtel de police de Bordeaux, en février ou mars dernier.

M. Olivier André. J’ai été entendu le 26 février, à Rennes.

M. Laurent Habert. Je l’ai été en février par les enquêteurs de la Division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF).

M. le président Charles de Courson. Monsieur Richard, vous dites que vous ne connaissiez pas M. Cahuzac ; d’après vous, M. Mangier – votre collègue durant 25 ans –, le connaissait-il ?

M. Patrick Richard. Je ne crois pas. Comme l’a dit M. André, on ne s’intéressait pas tant aux élus ou aux maires qu’aux entreprises, où la fraude pouvait concerner non seulement l’impôt sur les sociétés, mais aussi la TVA. Nos procédures étant très lourdes, les enjeux devaient en valoir la peine. Ne s’intéressant pas particulièrement à la politique, M. Mangier n’avait aucune raison de connaître ce député qui ne faisait pas beaucoup parler de lui à l’époque.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Monsieur Richard, quelqu’un informe M. Mangier de ce que M. Cahuzac a un compte en Suisse ; vous demandez son dossier fiscal, mais n’y trouvez rien de pertinent. Même si vous vous intéressez en priorité aux entreprises, M. Cahuzac n’était tout de même pas un inconnu : n’avez-vous pas conseillé à votre collègue d’en parler à ses supérieurs ?

M. le président Charles de Courson. D’autant plus – vous l’avez dit – qu’il s’agissait de votre premier dossier de notoriété !

M. Patrick Richard. J’ai travaillé avec M. Mangier de 1984 à 2009 ; bien qu’il fût le plus gradé de nous deux, nous entretenions des relations de camaraderie et formions un binôme, partageant toutes les informations. Nous avions une entière confiance mutuelle.

Même si je ne me souviens plus des détails, il s’agissait pour nous d’un dossier comme les autres, et nous l’avons traité en conséquence. J’aurais peut-être pu lui conseiller d’en parler à M. André ; cela aurait d’ailleurs évité que le dossier reste si longtemps dans nos services, car M. André n’aurait pas manqué de nous demander de faire le point sur nos recherches. Aujourd’hui, ce type d’oubli n’arriverait plus : toutes les demandes de dossiers se font via le système informatique, et le chef de service peut à tout moment voir sur quel dossier on travaille. De temps en temps, on reçoit des alertes indiquant qu’on détient un dossier depuis tant de jours et nous demandant si on en a toujours besoin. À l’époque, ce n’était pas le cas ; ces dossiers devenaient d’ailleurs vite inexploitables, car les documents qu’ils contenaient au moment de la demande se prescrivaient avec le temps, et le service ne nous envoyait pas de mises à jour, gardant les nouveaux documents qu’il recevait.

J’assume ma part de responsabilité : j’aurais sans doute dû conseiller à M. Mangier d’en parler, ou bien en parler moi-même, car si c’est mon collègue qui a apporté l’information initiale, nous avons discuté de ce dossier ensemble. Nous n’avons pas averti notre hiérarchie, mais sans aucune malice.

Mme Cécile Untermaier. Aviez-vous l’habitude de vous cacher l’identité de l’aviseur, votre source d’information ? Le silence de votre collègue vous a-t-il surpris ?

M. Patrick Richard. Non. M. Mangier m’a dit que son informateur ne souhaitait rencontrer personne d’autre que lui : j’en ai déduit qu’il s’agissait de quelqu’un de sa sphère privée, et j’ai naturellement fait confiance à mon coéquipier. Ce type de cas arrivait rarement puisque nous ne recevions pas souvent d’informations par ce biais.

Mme Cécile Untermaier. Même si vous ne connaissiez pas l’aviseur, quand votre collègue vous en a parlé, avez-vous eu le sentiment que la source était sérieuse ?

M. Patrick Richard. J’avais surtout la conviction qu’il ne s’agissait pas d’une information de première main, la personne ayant alerté M. Mangier ne faisant que relayer des ouï-dire. Estimant que l’aviseur n’en savait pas plus, je n’ai pas insisté pour le rencontrer. En revanche, j’avais demandé à M. Mangier de voir avec lui si nous pouvions rencontrer la personne dont émanait l’information – on a su depuis que c’était M. Gonelle.

Mme Cécile Untermaier. Avez-vous senti de la part de M. Mangier une réelle détermination à demander le dossier, puis à mener des investigations ?

M. Patrick Richard. Oui, comme avec tout autre dossier. Lorsqu’une information nous paraissait digne d’intérêt, et susceptible d’alimenter le contrôle fiscal, nous nous en saisissions sans états d’âme, quelle que soit la qualité de la personne visée. Dans ce domaine, M. Mangier n’a jamais fait preuve de défaillance ; si l’information lui avait permis de mener des investigations, il l’aurait fait.

Mme Cécile Untermaier. Pensez-vous qu’il a informé l’aviseur de l’échec de vos investigations ?

M. Patrick Richard. Nous avions pour règle de ne pas communiquer à l’informateur les résultats – positifs ou négatifs – de notre travail. Mais je n’exclus pas que, pour mettre un terme aux assauts répétés de cette personne, M. Mangier ait pu lui dire
– comme je l’ai lu dans les comptes rendus des auditions de votre commission d’enquête – qu’il n’avait pas pu obtenir le dossier de M. Cahuzac. J’aurais pu faire de même.

M. le président Charles de Courson. Cela serait à l’origine de la thèse selon laquelle M. Mangier aurait été bloqué dans son étude du dossier ?

M. Patrick Richard. Depuis que l’affaire est sortie, j’y ai beaucoup réfléchi : mon collègue a pu faire cette réponse.

M. le président Charles de Courson. Ce n’est qu’une hypothèse.

M. Patrick Richard. Tout à fait mais ce n’est pas exclu.

M. Jacques Cresta. Monsieur André, vous avez parlé de bon sens, de bonnes pratiques, de procédures – même si l’une d’elles n’a manifestement pas été respectée. Si vos collaborateurs vous avaient saisi de cette information, quelle procédure auriez-vous déclenchée, quel type de suivi vos services auraient-ils assuré ?

Avez-vous été informé des investigations de vos collaborateurs, et le cas échéant à quel moment ?

M. Olivier André. Tout à l’heure, je parlais des procédures inscrites dans le livre des procédures fiscales. Les informations qui circulent en interne au sein des services relèvent plutôt de règles non écrites. Si M. Mangier m’avait informé, j’aurais immédiatement averti ma hiérarchie – la DNEF de Pantin – de l’ouverture potentielle d’une enquête à l’encontre de M. Cahuzac, et demandé communication de son dossier. Suivant l’usage, nous aurions ensuite examiné tous les trois ce dossier, et les enquêteurs m’auraient proposé – ou non – des pistes à explorer. Si le dossier fiscal de M. Cahuzac avait présenté des anomalies justifiant l’ouverture d’une procédure, j’aurais informé ma hiérarchie, sollicité son autorisation, et l’enquête aurait suivi son cours. En l’espèce, rien ne pouvait être fait ; je suppose donc qu’on aurait refermé le dossier et qu’on l’aurait renvoyé, dans un délai normal, au service gestionnaire.

M. Jacques Cresta. Quand avez-vous su que MM. Richard et Mangier avaient effectué ces démarches ?

M. Olivier André. L’information m’est parvenue par bribes : au mois de février, les officiers de police judiciaire de la DNIFF m’ont fait part de la présence du dossier dans mon ancien service durant une longue période ; puis, au fil des auditions de votre commission, a émergé le nom de M. Mangier, et enfin celui de M. Richard.

M. le président Charles de Courson. Dans le fameux enregistrement que l’aviseur avait – d’après la déclaration de M. Gonelle – écouté, figure explicitement le nom de la banque UBS. D’après vos souvenirs, M. Mangier a-t-il évoqué le nom d’une banque ?

M. Patrick Richard. Je n’en ai pas le souvenir. Cela dit, même s’il le connaissait, il a pu estimer que le nom de la banque n’avait pas d’importance à ce stade du dossier.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous eu des contacts avec M. Garnier ?

M. Patrick Richard. Non. Je connaissais M. Garnier de réputation, ayant appris par la presse syndicale ses démêlés avec sa hiérarchie, mais je n’ai jamais eu de relations avec lui.

M. le président Charles de Courson. Et M. Mangier, à votre connaissance ?

M. Patrick Richard. Non, je ne crois pas.

M. Olivier André. Je n’ai jamais rencontré M. Garnier ; étant à Bordeaux, j’ai entendu parler du différend qui l’opposait à sa hiérarchie à propos des suites d’un contrôle fiscal, mais sans savoir en quoi consistait ce différend.

M. le président Charles de Courson. Et vous, Monsieur Habert ?

M. Laurent Habert. Même réponse. En 2003, on parlait encore des démêlés de M. Garnier avec sa hiérarchie, mais je ne le connaissais pas.

M. le président Charles de Courson. Vous n’étiez donc au courant ni des multiples contentieux devant les tribunaux – en particulier le tribunal administratif de Bordeaux – ni du contenu du dossier ?

M. Laurent Habert. Non, et je ne m’y suis pas intéressé.

Mme Cécile Untermaier. Aviez-vous entendu parler de M. Cahuzac à propos du contentieux qui opposait M. Garnier à sa hiérarchie ?

M. Laurent Habert. Je n’en ai pas le souvenir. De toute façon, à cette époque, M. Cahuzac était un inconnu, un député parmi d’autres. On ne connaît pas, dix ans en avance, le nom des futurs ministres du budget !

M. le président Charles de Courson. Je vous remercie, Messieurs, pour vos réponses.