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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mercredi 19 juin 2013

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Bruguière, magistrat honoraire.

M. le président Charles de Courson. Nous recevons M. Jean-Louis Bruguière, ancien premier vice-président du tribunal de grande instance de Paris chargé de l’instruction et de la coordination de la section antiterroriste.

Nous avons souhaité vous entendre, monsieur Bruguière, car c’est à vous que M. Michel Gonelle a confié l’un des deux exemplaires de l’enregistrement dans lequel M. Jérôme Cahuzac évoquait son compte suisse avec son chargé d’affaires. Or si l’on en croît les déclarations qu’il nous a faites sous serment, le 21 mai dernier, ce n’est pas M. Gonelle qui a transmis cet enregistrement à la presse. Ce fait a d’ailleurs été confirmé par les journalistes de Mediapart.

Comme vous le savez, cette commission d’enquête a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de « l’affaire Cahuzac ». Nous souhaiterions donc savoir qui pouvait bien disposer de cet enregistrement ou, du moins, connaître son existence avant le 4 décembre dernier.

M. Bruguière prête serment.

M. Jean-Louis Bruguière, magistrat honoraire. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d’abord à vous remercier de m’avoir convié, à la suite de la polémique entourant cette affaire, me donnant ainsi l’occasion de m’expliquer devant la représentation nationale.

Je souhaite rappeler les conditions dans lesquelles j’ai été amené à m’engager en politique, avant d’y renoncer définitivement, fin juin 2007, après ma défaite aux élections législatives.

En ce qui concerne M. Gonelle, celui-ci n’est ni un ami, ni même une relation. Je l’ai vu pour la première fois dans les années 2000, alors qu’il était encore maire, pour aborder un problème de voirie. Il souhaitait en effet acquérir, dans le but de construire un rond-point, un terrain situé sur une propriété familiale que j’ai à Villeneuve. Par la suite, dans les années 2004-2005, je l’ai revu sporadiquement dans ce que l’on appelle les « dîners en ville » locaux, sans pour autant nouer avec lui des relations amicales. Nous ne nous sommes donc pas côtoyés à cette époque.

Les choses ont changé en 2006, quand j’ai été approché par Michel Gonelle – mais cela, il ne vous l’a pas dit – et Alain Merly, député de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Tous deux – avec l’appui, comme je l’ai su plus tard, de M. Jean François-Poncet, qui régnait sur l’ensemble du département – souhaitaient me voir conduire une liste contre M. Cahuzac aux élections municipales de 2008. Ma réponse a été négative, je ne comptais pas faire de la politique et j’étais accaparé par mon activité professionnelle. J’ai donc décliné l’offre. Mais je me rendais régulièrement dans le Lot-et-Garonne, et j’ai donc eu l’occasion de revoir M. Merly, M. Gonelle ou M. François-Poncet.

Ces derniers, supposant sans doute que je n’étais pas intéressé par un mandat local, m’ont proposé de me présenter aux élections législatives de 2007, le député sortant, M. Merly, ayant accepté de ne pas se représenter – ce qui se produit assez rarement, d’après ce que j’ai pu comprendre. C’est donc la droite locale qui a pensé, à tort ou à raison, que je pourrais être, compte tenu de mon activité et de mon aura, un bon candidat pour empêcher la gauche de reprendre la troisième circonscription.

La fin de ma carrière approchait – j’ai pris ma retraite en mai 2008. J’ai donc pensé que je pourrais continuer à assumer une mission de service public car c’est ce qui m’intéressait, en exerçant un mandat électif. À la fin de l’année 2006, après avoir réfléchi, j’ai donc donné un accord de principe. Dès lors, j’ai eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises M. Gonelle et M. Merly.

J’ai lu le compte rendu des déclarations de M. Gonelle et je suis obligé de m’inscrire en faux : ce dernier était l’homme lige, politiquement parlant, de la droite villeneuvoise. Dans la troisième circonscription, il y a Villeneuve, et le reste. Si, sur le plan politique, ceux qui ne sont pas de la ville ont du mal s’y implanter ; de leur côté, les Villeneuvois, politiquement parlant, n’ont pas d’influence dans le reste de la circonscription. Alain Merly me pilotait donc dans les autres cantons, et Michel Gonelle à Villeneuve. En effet, je ne connaissais rien ni personne dans la circonscription : j’avais besoin d’informations sur les rapports de force et les enjeux politiques.

C’est dans ce contexte que m’a été remis l’enregistrement. Quant à la date, M. Gonelle s’est montré très précis – il doit avoir des agendas bien documentés – : il parle du 12 novembre 2006. Pour ma part, j’aurais envisagé un moment plus tardif, en 2007, mais il est possible que je me trompe totalement sur ce point. Je n’ai pas noté le rendez-vous sur mon agenda : à ce stade, cela n’avait pas une grande importance pour moi. Cependant, j’étais bien dans la région à ce moment : la date est donc plausible. Quant au lieu, il s’agissait sans doute de son cabinet d’avocat, où je me suis rendu, au plus, deux ou trois fois. M. Gonelle m’a parlé de ce qui lui tenait à cœur – le Villeneuvois –, mais très rapidement, alors que je voulais aborder les grands sujets pouvant préoccuper les électeurs de la circonscription, la conversation s’est focalisée sur M. Cahuzac. J’ai alors compris que le personnage avait une grande importance aux yeux de M. Gonelle. D’une manière générale, j’ai pu observer une forme de sur-réaction, d’inquiétude à l’égard de M. Cahuzac, considéré comme une personne redoutable, d’une intelligence remarquable – ce qui est d’ailleurs exact –, et comme un adversaire politique difficile à affronter. On m’a même dissuadé de participer au débat de deuxième tour, au risque d’être « pulvérisé », entre guillemets, par mon contradicteur. Bien entendu, je n’ai pas tenu compte de cet avis, et le débat s’est bien passé, même s’il a été rude.

Très rapidement, M. Gonelle a évoqué les défauts, ou ce qu’il appelait les failles de M. Cahuzac : son appétit pour l’argent, ses investissements, sa clinique, etc. Et d’une façon un peu mystérieuse, comme toujours chez lui, il a mentionné l’existence d’un compte en Suisse. C’est à ce moment – je suis formel – que M. Gonelle m’a produit cette cassette. Je ne l’ai pas sollicité en ce sens. Comment aurais-je pu le faire, puisque je ne connaissais pas l’existence d’un tel document ? Je l’ai dit, j’étais politiquement « piloté », entre guillemets, par quelqu’un chargé de faire, d’une certaine façon, ma promotion.

Il est vrai que j’ai pris cet enregistrement. En raison du climat de confiance qui existait à l’époque – et qui sera détruit par la suite –, je n’ai pas eu le réflexe de le refuser. Tel était le contexte.

M. Gonelle a dit avoir parlé du financement, par des laboratoires pharmaceutiques, d’installations sportives de la ville. Je n’en garde aucun souvenir, ni d’ailleurs des circonstances dans lesquelles il disait avoir obtenu l’enregistrement. Je crois qu’il m’a affirmé que celui-ci était probablement de mauvaise qualité, mais c’est tout ce dont je me souviens.

Cette conversation a eu lieu un dimanche, si la date est exacte. Le soir même, je suis rentré à Paris, où j’avais des obligations. Quant à l’enregistrement, je ne me souviens plus quel en était le support. Selon moi, il ne s’agissait pas d’un mini-CD. Une fois de plus, je peux me tromper, mais d’après le souvenir, vague, que j’en ai gardé, il s’agissait plutôt d’une clé USB ou d’une minicassette. Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais écouté le contenu de ce document. Pourquoi, me demanderez-vous ? Parce que cela ne m’intéressait pas, mais surtout parce que ma vision de la politique n’était pas celle-là. C’est d’ailleurs une des raisons qui m’ont conduit à abandonner définitivement toute ambition politique.

La politique, selon moi, c’est un combat d’idées, de programmes. J’ai cherché les moyens de valoriser la circonscription : j’ai même trouvé des investisseurs américains prêts à apporter 200 à 300 millions de dollars. On m’a alors dit : « Tu perds ton temps, parce que l’emploi, tout le monde s’en fout ! ». J’ai compris à cette occasion que les réalités étaient ailleurs, et que les problèmes posés n’avaient pas nécessairement de rapport avec un programme politique. Dans la mesure où je voulais faire campagne sur un programme et des idées, il allait de soi que je ne pouvais pas faire de l’enregistrement un élément de cette campagne. Le problème n’était pas M. Cahuzac, mais les idées qu’il portait.

Par ailleurs, quand quelqu’un vous dit qu’il détient un enregistrement, vous vous interrogez. Le terme même génère une certaine suspicion. À supposer qu’il existe réellement – car je ne l’avais pas écouté –, je ne voyais pas comment une personne privée pouvait obtenir un tel enregistrement. Tout le background de l’affaire – y compris les personnages gravitant autour, comme M. Garnier –, je ne l’ai découvert qu’en 2012. M. Gonelle ne s’est jamais ouvert auprès de moi de ce qu’il a pu faire entre 2000 et 2007 : je l’ai découvert dans la presse. Et quand j’ai lu ses explications en décembre dernier, je me suis interrogé. Dans toute ma carrière de magistrat, je n’ai jamais vu une opération de ce genre ! Des incidents, des problèmes de procédures, des captations d’information, j’en ai sans doute connus plus que d’autres, mais pas cela.

En tout état de cause, le procédé est, d’un point de vue légal, pour le moins suspect. On pourrait même admettre une certaine qualification pénale. Je le considère en tout cas déloyal, ou au moins indélicat. On ne fait pas de la politique avec des procès de la sorte, c’était ma conception. Je n’ai donc pas utilisé l’enregistrement, ni n’en ai fait de copie. Je l’ai gardé chez moi, et je n’ai pas subi de cambriolage. Par la suite – j’ai consulté mon agenda : je suis revenu à la mi-décembre, puis à la fin du mois –, je m’en suis débarrassé, sans doute après l’avoir détruit physiquement, je ne m’en souviens pas. Je suis en tout cas certain de l’avoir jeté dans la poubelle familiale. Compte tenu de la méthode employée dans les collectivités territoriales pour retraiter les ordures ménagères, je suis donc assuré que cet enregistrement n’a pas pu être récupéré, même si je n’ai pas mis le support au feu ou dans un broyeur.

Afin que les choses soient claires, je répète que je n’ai pas cherché à lire le support d’enregistrement pour en vérifier le contenu. Je m’en suis débarrassé parce que je ne comptais pas l’utiliser. J’ajoute que d’autres éléments de déloyauté dans le comportement de M. Gonelle m’ont conduit à évincer celui-ci du cercle des personnes que je côtoyais dans le cadre de la campagne électorale, quoi qu’il dise à ce sujet – et j’ai des témoins.

Par ailleurs, il est évident que je n’ai pas donné cet enregistrement à Mediapart. Tout le monde sait que mes relations avec Mediapart ne sont pas des meilleures. Depuis le début, ce média a été un contempteur permanent de mes actions et de ma stratégie antiterroriste, et certains de ses articles auraient pu faire l’objet de plaintes en diffamation. Je ne connais pas M. Plenel, avec lequel je n’ai jamais eu le moindre contact téléphonique depuis que ce site d’information existe. De même, je n’ai parlé avec aucun de ses collaborateurs.

Voilà ce que je voulais vous dire sur les faits qui vous intéressent. Bien évidemment, je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

Après mon échec électoral, en juin 2007, j’ai annoncé clairement aux électeurs que non seulement je ne me présenterai pas aux élections municipales de 2008, mais que j’abandonnais définitivement la politique. Je m’y suis tenu strictement : je n’ai participé à aucun meeting, bien que revenant très régulièrement à Villeneuve, lieu de séjour familial où je me sens bien. J’y compte quelques amis, mais je suis resté totalement en dehors de la vie politique, ce qui ne me paraît pas être le cas de M. Gonelle : en 2007, il n’était peut-être plus un élu, mais il était actif, au sens où il était un référent. On considérait – y compris M. Jean François-Poncet – que l’on ne pouvait rien faire dans la ville sans passer par lui, car, comme on disait à l’époque, il tenait les réseaux.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez, monsieur Bruguière, que vous ne détenez plus l’enregistrement ?

M. Jean-Louis Bruguière. À 100 %.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez que vous l’avez détruit en décembre 2007.

M. Jean-Louis Bruguière. Oui, je l’ai détruit à cette époque. Je suis prudent quant à la date, car mon agenda n’est pas aussi précis.

M. le président Charles de Courson. En décembre 2007 ou en décembre 2006 ?

M. Jean-Louis Bruguière. Je me suis trompé : c’était en décembre 2006, avant les élections, et très peu de temps après la remise.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous l’avez détruit ou jeté ?

M. le président Charles de Courson. Il a dit : « jeté ».

M. Jean-Louis Bruguière. Je veux être précis. À l’époque où il m’a été remis, cet enregistrement n’était pas pour moi un élément essentiel – cela peut paraître surprenant aujourd’hui, si ce n’est qu’il m’a permis de comprendre la psychologie de M. Gonelle : cela a marqué le début de la dégradation de nos relations. Je n’ai en effet pas accepté ce qui pouvait apparaître comme une instrumentalisation. Je l’ai donc écarté.

Le problème est que je ne me rappelle même pas la forme prise par cet enregistrement. Plus j’y réfléchis, et moins je pense qu’il s’agissait d’un CD. Mais je peux me tromper. Je connais les problèmes posés par les témoignages : la mémoire est fragile. Quoi qu’il en soit, je m’en suis débarrassé dans des conditions telles qu’il est impossible que l’on ait pu le récupérer et le dupliquer.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mettons-nous d’accord : avant la fin de l’année 2006, vous vous débarrassez de ce que nous appellerons un support audio, lequel finit à la décharge municipale.

Nous avons auditionné M. Michel Gonelle, sous serment, le 21 mai 2013. Je rappelle à la Commission ce qu’il nous a déclaré : « Lorsque j’ai demandé à Jean-Louis Bruguière s’il savait que Jérôme Cahuzac avait un compte en Suisse, il a aussitôt voulu savoir comment j’en étais informé. Je lui ai donc raconté l’anecdote du téléphone. Apprenant que j’avais conservé l’enregistrement, il a voulu l’écouter. Mais le support était un mini-CD, dont on avait l’usage au début des années 2000, et je n’avais pas avec moi l’appareil permettant de le lire. Il m’a donc dit : “Confiez-le moi, je l’écouterai, puis je vous le rendrai.” Quand je l’ai averti que le son était de très mauvaise qualité, il m’a répondu qu’il avait à sa disposition des gens capables de l’améliorer. Je l’ai cru, car ce juge antiterroriste avait mené de nombreuses enquêtes impliquant des écoutes téléphoniques. »

« Bien que ne le connaissant pas très bien à l’époque, je lui ai fait confiance, car il était auréolé du prestige lié à son titre de premier vice-président du tribunal de grande instance de Paris. Je lui ai donc donné l’un des deux mini-CD que je détenais. Il ne me l’a jamais rendu – alors que j’en étais le légitime propriétaire –, ni ne m’a dit ce qu’il en avait fait. Lorsque l’affaire a été révélée, il a eu des propos – rapportés, je crois, par Paris Match – absolument ignobles et mensongers à mon égard. Il a ainsi prétendu qu’il avait détruit l’enregistrement sans l’écouter, et qu’il m’avait congédié sur le champ de son équipe de campagne. Or, non seulement cette équipe n’était pas constituée en novembre 2006, mais il m’a écrit plus tard de façon louangeuse afin de me remercier pour les bons et loyaux services que je lui avais rendus pendant cette campagne. Visiblement, il ne se rappelait plus avoir envoyé cette longue lettre manuscrite, que j’ai, depuis, remise aux enquêteurs. Ce qu’il a raconté à la presse est donc complètement faux, et je lui en veux beaucoup de ce mensonge qui ne l’honore pas. »

Pouvez-vous commenter ces propos ?

M. Jean-Louis Bruguière. Je m’inscris en faux contre tout cela. J’ai aussi noté qu’il était passé très rapidement sur le rôle joué par Alain Merly…

M. Alain Claeys, rapporteur. Restons-en à ces déclarations. Avez-vous adressé une lettre de remerciements à M. Gonelle ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui, et je vais vous dire pourquoi et dans quel contexte. L’ambiance politique locale, à ce moment, était délétère. Vous savez comment les choses se passent en cas d’échec électoral. On m’en a fait porter l’entière responsabilité, et je l’ai assumée. Mais dans la mesure où je n’avais pas l’intention de me présenter à nouveau, on m’a aussi mis en garde de ne pas adopter une attitude susceptible de pénaliser la droite au moment des élections municipales de 2008. Or, quoi qu’il en dise, la cheville ouvrière de la droite locale était M. Gonelle.

Il a raison : j’avais oublié l’existence de cette lettre, à laquelle je n’ai pas prêté beaucoup d’importance. C’est une question de mise en perspective qui me donne l’occasion de commenter les méthodes de M. Gonelle. Tout juriste sait – et M. Gonelle, avocat, en est un – qu’une lettre a un caractère confidentiel. Même si elle vous appartient juridiquement, son exploitation est interdite par la loi. C’est extraordinaire qu’il ait oublié cela ! Vous pouvez détenir une lettre en tant qu’objet de valeur, mais vous ne pouvez pas l’utiliser sans obtenir l’aval de son auteur. M. Gonelle, cependant, n’a pas pris de telles précautions.

Il en est de même, d’ailleurs, à propos de l’enregistrement…

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez donc lui avoir adressé cette lettre.

M. Jean-Louis Bruguière. Je ne peux pas ne pas confirmer quelque chose qui est vrai. Du reste, la lettre m’a été présentée lorsque j’ai été entendu dans le cadre de l’enquête préliminaire, et j’ai pu l’authentifier.

M. Alain Claeys, rapporteur. Au sujet de l’enregistrement, M. Gonelle vous prête ces propos : « Confiez-le moi, je l’écouterai, puis je vous le rendrai. » Les confirmez-vous ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non, parce que je n’étais pas intéressé par ce document.

M. Alain Claeys, rapporteur. C’est donc un mensonge ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui. Je n’étais pas intéressé. De même, je n’ai jamais parlé d’expertise…

M. Alain Claeys, rapporteur. « Quand je l’ai averti que le son était de très mauvaise qualité, il m’a répondu qu’il avait à sa disposition des gens capables de l’améliorer. » Tout cela est donc faux ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui. Il faut aussi remettre les choses en perspective.

M. Christian Eckert. C’est vrai ou c’est faux ?

M. le président Charles de Courson. Veuillez laisser M. Bruguière répondre.

M. Jean-Louis Bruguière. C’est faux !

Il est important, monsieur le député, de pouvoir apprécier cette déposition à l’aune de ce qui a été dit. J’ai ainsi observé que M. Gonelle, à un certain moment, manipulait ma qualité de premier vice-président et celle de procureur, comme si j’étais venu le voir ès qualités, en tant que magistrat, ce qui n’était pas le cas. En tout état de cause, même si, hiérarchiquement, j’avais la position de procureur, ce n’était pas moi, mais le procureur d’Agen qu’il fallait saisir au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous considérez donc que M. Gonelle a menti, tout en reconnaissant lui avoir adressé une lettre.

M. Jean-Louis Bruguière. Tout à fait. J’avais oublié son existence, jusqu’à ce qu’elle me soit présentée.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous avez déclaré : « Je n’ai jamais transigé sur l’éthique et jamais je n’aurais voulu être élu avec des procédés à mon sens déloyaux. » J’ai donc une question toute simple : pourquoi avoir accepté cet enregistrement ?

M. Jean-Louis Bruguière. La question est très pertinente. Mais vous connaissez sans doute mieux que moi l’ambiance des campagnes électorales – en ce qui me concerne, c’était la première. Il y avait un climat de confiance, il était là pour m’expliquer les choses, et je n’ai pas eu le réflexe de refuser le document. Mais après coup, mon analyse a été celle que je vous ai indiquée. Il est un point fort sur lequel j’ai toujours été intransigeant : on ne fait pas une campagne électorale ad hominem, en essayant de détruire la réputation de l’adversaire.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous connaissez le contenu du support audio.

M. Jean-Louis Bruguière. Je le connais aujourd’hui.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mais M. Gonelle vous en indique le contenu lors de votre conversation, même si, selon vos dires, vous n’avez pas écouté l’enregistrement. Or vous êtes magistrat. Pourquoi, ayant en possession ce document, vous n’avez pas saisi le procureur de la République en vertu de l’article 40 ?

M. Jean-Louis Bruguière. Bonne question. C’est un problème de droit. Je ne sais pas, alors, ce que contient ce document.

M. Alain Claeys, rapporteur. On vous l’a expliqué.

M. Jean-Louis Bruguière. À ce moment, je ne connais que ce que m’en a dit M. Gonelle. Or je ne dispose d’aucun élément pour apprécier la véracité de ses propos – très brefs, au demeurant. Je ne sais pas dans quelles conditions l’enregistrement a été effectué. Je ne sais pas pourquoi et comment…

M. Alain Claeys, rapporteur. Je vous interromps. M. Gonelle dit : « Je lui ai raconté l’anecdote du téléphone. »

M. Jean-Louis Bruguière. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. C’est faux ?

M. Jean-Louis Bruguière. Moi, je n’en ai pas souvenance.

M. Alain Claeys, rapporteur. D’accord : c’est faux.

M. Jean-Louis Bruguière. Attendez, je suis précis : je n’en ai pas souvenance. Lorsque j’ai lu cela dans la presse, j’ai été surpris.

Mais même s’il m’avait raconté cela, selon le principe que l’on appelle en anglais hearsay, ce n’était pas à moi, témoin indirect, d’agir. C’est lui qui était à l’origine du témoignage. Je n’allais pas faire une enquête. Il faut avoir une suspicion suffisamment forte de l’existence d’une infraction pour être fondé, en vertu de l’article 40, à saisir le procureur de la République. Il ne m’appartenait pas, en tant que destinataire, en 2007, d’un document dont je n’avais pas vérifié le contenu – ce que l’on ne peut pas me reprocher –, et donc sur de simples allégations verbales, de considérer qu’il y avait une infraction constituée permettant de saisir le procureur de la République. Telle est mon analyse juridique.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour essayer de résumer vos déclarations, et afin que la Commission soit parfaitement éclairée, je vais vous poser une série de questions courtes.

Vous allez voir M. Gonelle en novembre 2006 pour préparer une éventuelle candidature aux législatives.

M. Jean-Louis Bruguière. Oui.

M. Alain Claeys, rapporteur. A-t-il fait partie de votre équipe de campagne ?

M. Jean-Louis Bruguière. Il a raison de dire le contraire, puisque je l’ai écarté avant que l’équipe ne soit constituée.

M. Alain Claeys, rapporteur. Selon lui, en effet, elle ne l’était pas encore en novembre 2006.

M. Jean-Louis Bruguière. Parler d’« équipe » était un raccourci : je l’ai écarté du cercle des personnes qui m’entouraient, et qui devaient m’aider à comprendre les problèmes de la circonscription avant de m’engager formellement dans la campagne.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez par ailleurs sous serment que M. Gonelle ne vous a décrit ni le contexte, ni le contenu de cet enregistrement ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui. Selon le souvenir que j’en ai, il m’a dit que cet enregistrement contenait des informations ou une discussion concernant un compte en Suisse et impliquant M. Cahuzac. Mais je n’ai pas souvenance de détails supplémentaires.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez que ce n’est pas vous qui avez demandé cet enregistrement ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non, certainement pas.

M. Alain Claeys, rapporteur. Donc, M. Gonelle ment.

M. Jean-Louis Bruguière. Je ne lui ai pas demandé l’enregistrement : je ne vois pas pourquoi je l’aurais fait alors que j’allais ensuite m’en séparer – sans même l’avoir écouté !

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez donc que vous n’avez pas écouté cet enregistrement.

M. Jean-Louis Bruguière. Formel.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez devant la Commission que vous n’avez pas transmis cet enregistrement à des personnes pour en améliorer le son…

M. le président Charles de Courson. À quiconque ?

M. Jean-Louis Bruguière. Formel. Et je vais plus loin : je n’ai jamais conçu l’idée ni eu l’intention de le faire.

M. Alain Claeys, rapporteur. Est-ce que Mediapart a essayé de vous contacter ?

M. Jean-Louis Bruguière. Jamais.

M. Alain Claeys, rapporteur. Jamais ?

M. Jean-Louis Bruguière. Jamais. S’ils prétendent le contraire, qu’ils le prouvent avec des fadettes !

M. Alain Claeys, rapporteur. Quels étaient vos rapports avec Rémy Garnier ?

M. Jean-Louis Bruguière. Je ne le connaissais pas. J’ai découvert tout ce monde – avec effarement – en 2012. Et si j’ai parlé d’instrumentalisation, c’est parce que je n’ai découvert dans la presse qu’en 2012 tout ce qui entourait l’affaire. Je ne connaissais même pas le nom de Garnier. Je ne savais pas que M. Gonelle était son avocat…

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous avez dit n’être ni un ami de M. Gonelle, ni même une relation. Mais sur la situation fiscale de M. Cahuzac, sur cet éventuel compte en Suisse…

M. Jean-Louis Bruguière. J’ignorais tout.

M. Alain Claeys, rapporteur. Personne, à Villeneuve-sur-Lot, ne vous en avait parlé.

M. Jean-Louis Bruguière. On ne m’a parlé de rien. Quant à M. Garnier, j’ai découvert son nom dans la presse, de même que sa position, ou le fait qu’il avait été un des clients de M. Gonelle – ce dernier n’avait d’ailleurs pas à le dévoiler, en raison du secret professionnel –, tout cet environnement qui puisait sa source dès l’année 2000.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Gonelle déclare sous serment qu’il n’a pas transmis ce support audio à Mediapart. Mediapart confirme ce fait. Avez-vous une idée à ce sujet ?

M. Jean-Louis Bruguière. Tout cela ne m’a bien évidemment pas échappé. Je m’interroge : combien y a-t-il d’exemplaires ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Deux, selon M. Gonelle.

M. Jean-Louis Bruguière. Oui, mais au départ, il dit qu’il n’y en a pas du tout.

M. Alain Claeys, rapporteur. Devant la Commission d’enquête, il dit : deux.

M. Jean-Louis Bruguière. Je me réfère à ses déclarations dans les médias. Comme vous avez pu le constater, je ne suis jamais intervenu dans les médias après le 23 ou le 24 décembre. Je connais suffisamment les médias pour savoir les gérer et refuser systématiquement toute intervention.

M. Alain Claeys, rapporteur. Votre hypothèse est donc…

M. Jean-Louis Bruguière. Je n’ai pas d’hypothèse. Je ne veux pas accuser M. Gonelle, car je n’ai pas d’élément pour le faire. Lui, en revanche, m’a accusé formellement : il a dit « M. Bruguière ne peut pas ne pas être pour quelque chose… »

M. Alain Claeys, rapporteur. Une chose nous surprend. Votre interview à Paris Match a eu lieu le 23 décembre, avant l’audition de M. Gonelle par notre commission. Pourquoi êtes-vous si agressif à son égard ?

M. Jean-Louis Bruguière. Quand quelqu’un dit, la main sur le cœur : « Je ne suis pas un délateur », tout en affirmant avoir remis l’enregistrement à un très haut magistrat qui n’est pas du ressort d’Agen, cela fait sourire toute la presse nationale ! Il aurait été plus honnête qu’il me désigne nommément, mais agir ainsi lui permettait de ne pas passer pour un délateur. M. Gonelle emploie toujours le même procédé : parler à demi-mot, afin de pouvoir nier ensuite. Voilà ce qui m’a fait réagir. Du reste, j’ai aussitôt admis qu’il s’agissait de moi, ce qui lui a permis de prétendre que ses propos étaient validés : « Vous voyez : cela prouve que j’ai raison ! ». Ces petites manipulations ne relèvent pas de mon référentiel éthique.

M. le président Charles de Courson. Avant de donner la parole aux orateurs inscrits, je souhaitais vous interroger sur vos relations avec Jérôme Cahuzac avant la campagne précédant les élections législatives de 2007, quand vous vous êtes porté candidat dans la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Le connaissiez-vous ?

Par ailleurs, comment avez-vous réagi à sa tentative, en mai 2007, de faire annuler votre candidature en saisissant le tribunal administratif de Bordeaux sur le fondement de l’article LO 133 du code électoral, selon lequel un magistrat ne pouvait être élu dans le ressort dans lequel il avait exercé ?

M. Jean-Louis Bruguière. Premièrement, je n’avais jamais vu M. Cahuzac. La première fois que je l’ai vu, c’était lors de ce fameux débat d’avant le deuxième tour.

M. Thomas Thévenoud. Vous ne l’avez jamais croisé au cours de la campagne électorale ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non.

Bien entendu, il était présent pendant la campagne électorale, mais cela ne signifie pas que je l’ai vu, ni que je lui ai adressé la parole. Chacun organisait ses meetings de son côté. Je n’ai donc pas croisé M. Cahuzac, sauf lors de ce débat.

De même, je ne l’ai pas revu. Peut-être je l’ai croisé de façon fortuite, à Paris, il vivait non loin de mon domicile actuel, mais c’est tout. Je n’avais pas de contact avec lui. Contrairement à ce que dit M. Gonelle, je ne connaissais pas sa voix et j’étais incapable de la reconnaître. Il ne faisait pas partie de mon entourage. Je suis arrivé dans le Villeneuvois dans les conditions que je vous ai expliquées. Je ne connaissais pas M. Cahuzac autrement qu’en tant que maire ou député.

Si, j’ai dû le rencontrer une fois : je suis allé le voir à cause de l’hôpital de Villeneuve. À l’époque, il était député, et souhaitait exproprier une partie de nos terres pour construire un hôpital. Je lui ai fait savoir que nous y étions opposés et que nous ferions valoir nos droits devant la juridiction compétente si une procédure d’expropriation était entamée. C’est tout. Les seuls contacts que j’ai eus avec M. Cahuzac étaient donc des contacts non politiques, en tant que citoyen. Quant aux contacts politiques, ils se résument au débat d’avant le deuxième tour.

M. le président Charles de Courson. Et qu’avez-vous pensé du recours déposé par M. Cahuzac en vue de faire annuler votre candidature ?

M. Jean-Louis Bruguière. À travers ce recours, M. Cahuzac a usé d’un moyen légal pour tenter d’invalider ma candidature et prendre un avantage politique sur une base juridique ; un juriste ne saurait s’insurger contre pareille initiative autrement qu’en combattant avec les mêmes armes. Le tribunal administratif de Bordeaux a tout naturellement prononcé un sursis ; si j’avais été élu, le Conseil constitutionnel aurait été saisi, donnant lieu à une belle affaire. Ce cas aurait fait jurisprudence – inexistante en cette matière – et je regrette que M. Cahuzac ait renoncé à sa démarche ; même s’il n’y avait plus d’enjeu électoral, la décision de justice aurait permis de résoudre un problème de droit complexe.

M. Thomas Thévenoud. Monsieur Bruguière, c’est une véritable Histoire de France racontée aux enfants que vous nous livrez là ! Vous ne vous souvenez plus de rien – ni du support audio de l’enregistrement, ni de la date où il vous a été remis, ni des conditions dans lesquelles vous vous en êtes séparé. Si tous ceux qui sont un jour passés dans votre cabinet de magistrat avaient eu aussi peu de mémoire, vous en auriez été surpris.

Manifestement, entre M. Gonelle et vous, l’un ne dit pas la vérité à la Commission, et nous devrons éclaircir cette question.

Durant la campagne législative de 2006-2007, où vous étiez candidat UMP dans la troisième circonscription du Lot-et-Garonne, quelles étaient vos relations avec l’état-major parisien de l’UMP ?

M. Jean-Louis Bruguière. Monsieur le député, vous me posez une question politique sans réelle relation avec l’objet de cette commission qui porte sur les dysfonctionnements de l’État ; mais j’y répondrai. Je n’ai jamais été – et ne suis toujours pas – membre de l’UMP ; simple sympathisant, j’ai été investi par l’UMP tardivement – même si je ne me rappelle pas la date exacte –, à la suite d’une commission d’investiture. J’oublie les choses peu importantes, mais mémoire sélective n’est pas mémoire partisane. J’ai été investi juste avant ma déclaration de candidature, sans doute en mai.

M. Thomas Thévenoud. Pendant votre campagne électorale – donc après qu’on vous a remis cette disquette –, avez-vous eu des contacts avec le président ou le secrétaire général délégué de l’UMP ?

M. Jean-Louis Bruguière. Donnez-moi des noms précis.

M. Thomas Thévenoud. M. Sarkozy et M. Hortefeux.

M. Jean-Louis Bruguière. M. Hortefeux, non ; dans le cadre de mes fonctions, je voyais souvent – pratiquement toutes les semaines – M. Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur.

M. Thomas Thévenoud. Avez-vous évoqué avec lui votre campagne à Villeneuve-sur-Lot ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui, mais il s’est contenté de m’encourager.

M. Thomas Thévenoud. Lui avez-vous parlé de votre rencontre avec M. Gonelle ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non.

M. Thomas Thévenoud. Avez-vous eu des contacts avec Mme Cahuzac ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non. Je ne la connais pas, et je ne l’ai jamais vue ; je ne serais pas capable de la reconnaître.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Monsieur Bruguière, ce que vous dites de la manière dont vous avez abordé cette campagne électorale – vous référant à l’éthique et aux idées et rejetant la délation – inspire le respect.

En revanche, comment interpréter le fait de prendre malgré tout cette cassette – ou ce support audio –, la ramener à Paris et la détruire ? Le candidat que vous étiez refuse de s’en servir – soit, c’est tout à votre honneur ; mais comment le citoyen juriste en vous a-t-il pu n’éprouver aucune envie de l’écouter, afin d’en vérifier le contenu ? N’avez-vous pas été interpellé par la focalisation de M. Gonelle sur M. Cahuzac – votre adversaire électoral – et par sa volonté de vous instrumentaliser ?

M. Jean-Louis Bruguière. Certes, j’aurais pu ne pas prendre l’enregistrement. Mais le climat de confiance qui régnait entre nous m’a conduit à le faire machinalement. Je découvrais alors les campagnes électorales : on travaille ensemble, on se sent soudé par une sorte de solidarité.

Contrairement à ce qu’affirme M. Gonelle, c’est lui qui me « cornaquait ». C’est lui qui est venu me chercher, et non l’inverse, lui qui a organisé des déjeuners à Paris, sachant que je ne pouvais pas toujours descendre dans le Lot-et-Garonne, lui qui m’a présenté à tout le monde. Il a dit par la suite que je m’étais entouré de repris de justice dont il ne donne pas de noms parce que, dit-il, il n’est pas un délateur ; mais qui me les a amenés si ce n’est lui ?

Aujourd’hui, avec le recul, j’estime que j’ai eu tort ; mais ce contexte explique que sur le coup j’aie pris cet enregistrement. Ensuite, je n’ai pas voulu l’écouter, car ce n’est pas ainsi que j’envisageais une campagne ; ce geste a d’ailleurs participé à la dégradation de mes relations avec M. Gonelle. Celui-ci prétend qu’il n’a jamais été évincé de mon entourage, mais des témoins peuvent le contredire : cela s’est passé chez moi, d’une façon assez rude, et il ne peut pas ne pas s’en souvenir. Mais je préfère éviter la polémique.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quels autres éléments ont dégradé vos relations ?

M. Jean-Louis Bruguière. Le dernier fut une réunion politique que M. Gonelle a préparée à mon insu, pour valoriser sa propre position, allant chercher le député d’une autre circonscription et récupérant au passage des membres de mon équipe de campagne en formation. Quand je l’ai appris et m’en suis ouvert à M. Gonelle, celui-ci a mis toute la faute sur le compte d’une seule personne. Lorsque je l’ai revue, je me suis rendu compte que tout cela relevait d’une manipulation. La coupe était pleine et la confiance définitivement rompue.

M. Alain Claeys, rapporteur. Une manipulation pour saboter votre campagne ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui. J’ai perdu cette campagne en grande partie à cause de mon camp, même si j’assume ma part de responsabilité dans cet échec.

M. Hervé Morin. Quand on décide de se présenter à une élection législative, l’investiture par une formation politique ne tombe pas du ciel. Comment vous, grand magistrat de la République, êtes-vous devenu candidat ?

Pourquoi M. Gonelle qui vient vous chercher pour vous aider à devenir candidat aux élections législatives devient-il rapidement votre pire ennemi ?

M. Jean-Louis Bruguière. Même si cela vous paraît extraordinaire, on est venu me chercher, et j’ai résisté. En 2006, je me trouvais dans l’exercice de mes fonctions ; je ne souhaitais nullement les abandonner. J’ai compris plus tard pourquoi j’ai été sollicité : cette opération politique fut l’œuvre de M. Jean François-Poncet et qui avait également créé – ou propulsé – Alain Merly. Même s’il ne l’a jamais dit, M. Jean François-Poncet a dû considérer que face à Jérôme Cahuzac, personnage national, il fallait un adversaire lui aussi d’envergure nationale et avec une certaine aura. Mais à la différence de M. Cahuzac, je ne suis pas un homme politique, et mis à part quelques brillantes exceptions, la reconversion des magistrats en politique reste difficile. J’ai compris qu’il s’agissait d’un vrai métier et décidé d’abandonner mes tentatives.

Vous qui êtes un homme politique réputé, ne trouvez-vous pas curieux que M. Alain Merly ne se soit pas représenté aux législatives, alors qu’il est si compliqué d’obtenir une investiture ? Ce n’est pas moi qui l’en ai convaincu ; on lui a demandé de le faire. Au départ, l’opération concernait la mairie de Villeneuve-sur-Lot tenue par M. Cahuzac. M. Gonelle régnait politiquement sur Villeneuve ; même s’il n’était pas directement engagé dans la politique, il y représentait un personnage important, un référentiel. Quand ils ont vu que le mandat municipal ne m’intéressait pas – mon enracinement était d’ordre plus national que local –, ils m’ont proposé de me présenter aux législatives. Quant à M. Merly, il devait ensuite recevoir une compensation aux sénatoriales, mais cela ne lui a pas réussi. Ces équilibres et calculs politiques m’étaient étrangers ; j’ai compris que j’étais perçu comme le candidat « providentiel » capable de remporter les échéances électorales en 2007 et 2008, et utilisé comme tel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Plusieurs témoignages entendus dans le cadre de cette Commission semblent se contredire. Mais entre celui de M. Gonelle et le vôtre, nous nous trouvons devant un véritable abîme de contradictions sur plusieurs points importants. Quoiqu’ayant déposé sous serment, l’un de vous deux ne dit donc pas la vérité.

M. Gonelle a affirmé qu’il vous connaissait à peine, voire pas du tout, lorsque vous avez débarqué un jour chez lui, cherchant – prétend-t-il – des conseils sur la circonscription. Confirmez-vous que vous l’aviez au contraire déjà rencontré auparavant ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui. Je l’ai rencontré pour la première fois lorsqu’il était maire, mais je l’ai revu par la suite. C’est d’ailleurs grâce à lui que j’ai connu M. Jean-Louis Costes…

Mme Marie-Françoise Bechtel. Cette réponse me suffit.

M. le président Charles de Courson. Laissez M. Bruguière vous répondre.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Les réponses de M. Bruguière sont très latérales.

M. Jean-Louis Bruguière. Madame, je ne vous autorise pas à utiliser ce terme. J’ai l’habitude d’être entendu tant par les commissions que par les juridictions, et ce prédicat ne me paraît pas de bon aloi.

J’ai rencontré M. Gonelle plusieurs fois dans des dîners en ville, chez des amis communs, à Villeneuve-sur-Lot. C’est grâce à lui que j’ai connu mon ami Jean-Louis Costes – qui se maintient actuellement au deuxième tour de l’élection partielle de Villeneuve.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je voulais juste que vous confirmiez que vous l’avez rencontré plusieurs fois, contrairement à ce que nous a dit M. Gonelle.

M. Jean-Louis Bruguière. En tant que juriste et magistrat, je connais bien le procédé des auditions ; si vous me posez la question, c’est que vous l’estimez importante. Je vous donne donc des précisions concernant la façon dont j’ai connu M. Gonelle et la nature de nos relations. Cela étant dit, il n’a jamais été ni un ami, ni une relation.

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Bruguière, M. Gonelle a dit dans sa déposition devant la Commission : « Nous avons en particulier évoqué les questions qui se posaient sur [le] train de vie [de M. Cahuzac], les subventions apportées par des laboratoires pharmaceutiques aux associations sportives de la ville, ou le grand rassemblement organisé à Villeneuve, fin 1999 ou début 2000, par le laboratoire Lilly ». Confirmez-vous cette information précise ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non. En tout cas, je ne me souviens pas qu’il ait parlé de laboratoires, ni à ce stade ni après.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous n’avez pas, dites-vous, écouté l’enregistrement que celui-ci vous a donné. On peut comprendre que l’on garde une cassette et qu’on l’écoute, ou que l’on s’en débarrasse sans l’écouter. Mais pourquoi la garder quelque temps tout en se disant trop vertueux pour l’écouter ?

Vous avez, dites-vous, oublié la lettre que vous aviez envoyée à M. Gonelle. Produite lors de l’enquête préliminaire, elle a été rappelée à votre souvenir. Mais aujourd’hui, dans votre déclaration spontanée, vous l’avez à nouveau oubliée, n’y revenant que lorsqu’on vous en a reparlé. Qu’est-ce qui vous gêne dans le contenu de cette lettre pour l’avoir oubliée dans ces deux moments pourtant cruciaux ?

M. Jean-Louis Bruguière. On n’a pas le temps de tout dire dans une déclaration spontanée qui ne dure que quelque six ou sept minutes, et les omissions ne sont pas forcément volontaires. Tout l’intérêt de cette audition est de permettre, dans une forme de maïeutique, d’aller jusqu’au bout des choses.

J’avais en effet oublié cette lettre, au point d’être surpris lorsque la presse en a parlé. Je m’en suis souvenu seulement quand le policier qui m’a entendu dans le cadre de l’enquête préliminaire me l’a produite, ce qui montre le peu d’importance que j’y avais accordé au moment de l’écrire. Cet épisode politique a représenté pour moi une parenthèse plutôt négative, même si je garde un très bon souvenir de la campagne elle-même. Le fait d’aller vers les gens, au contact des réalités locales me manquera ; mais le climat local était délétère, et on a naturellement tendance à oublier des épisodes aussi négatifs.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous souvenez-vous du contenu de la lettre ?

M. Jean-Louis Bruguière. Il ne s’agit pas d’un souvenir puisque je l’ai relue.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Votre sentiment, alors ?

M. Jean-Louis Bruguière. En les privant de leader, mon échec aux législatives et ma décision d’arrêter définitivement la politique et de ne pas me présenter aux élections municipales de 2008 ont provoqué la déception, voire le désarroi des militants. Nos relations avec M. Gonelle s’étaient dégradées et je ne le voyais plus à la fin de la campagne ; M. Gonelle lui-même ne niera pas ce fait objectif puisqu’il affirme s’être écarté de moi. La contradiction est donc d’ordre factuel : l’ayant écarté, je lui ai écrit une lettre. Encore sous l’effet de la campagne, je l’ai fait pour ne pas mettre en péril l’élection municipale à venir à laquelle je ne participerais pas et dans laquelle il serait difficile de gagner face à M. Cahuzac. C’était peut-être une mauvaise stratégie.

Mme Cécile Untermaier. Lorsque Me Gonelle vous présente cette cassette en novembre 2006, vous la prenez tout en sachant déjà que vous ne vous en servirez pas ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non, je n’y ai pas réfléchi, je l’ai prise machinalement. Notre discussion ne concernait pas que la cassette, même si nous avons beaucoup parlé de M. Cahuzac, sujet de préoccupation pour M. Gonelle.

Mme Cécile Untermaier. En décembre 2006, soit un mois plus tard, vous jetez cette cassette. Pourquoi le faites-vous, alors que vous savez, en tant que magistrat, qu’elle peut contenir des éléments extrêmement importants concernant M. Cahuzac ?

M. Jean-Louis Bruguière. Je n’ai pas réagi en tant que magistrat. N’ayant pas été saisi de cette cassette judiciairement, je n’avais pas l’intention de faire une expertise ou de délivrer une commission rogatoire internationale. Peut-être que M. Gonelle le souhaitait, puisqu’il dit dans sa déposition qu’après l’échec de la première tentative de 2000 – où il fait agir, sans succès, un agent du fisc de son entourage dont il refuse de révéler l’identité – l’opportunité s’est reproduite avec M. Bruguière. Le choix du terme « opportunité » en dit long, a posteriori, sur l’instrumentalisation dont j’ai été l’objet. M. Gonelle a dû penser qu’en tant que personnalité importante et magistrat, j’allais faire bon usage de cet enregistrement et le dévoiler à la presse. Mais je n’étais pas dans cet état d’esprit : après l’avoir pris, je me suis dit qu’il ne m’intéressait pas, et je m’en suis débarrassé.

Mme Cécile Untermaier. Quand vous jetez cette cassette en décembre 2006, avez-vous déjà exclu M. Gonelle de votre équipe de campagne ?

M. Jean-Louis Bruguière. L’incident avec M. Gonelle a dû intervenir quelque temps après, sans doute en janvier 2007 – même si je n’ai pas noté ce rendez-vous dans mes agendas. J’ai convoqué M. Gonelle à mon domicile pour lui dire que je ne voulais plus le voir.

Mme Cécile Untermaier. Qui était votre directeur de campagne, et avez-vous parlé avec lui de cet incident ?

M. Jean-Louis Bruguière. Mon directeur de campagne était M. Paqueron, un général de l’armée de l’air à la retraite. Ma campagne ne pouvait pas fonctionner : la lançant mi-mai, je ne pouvais pas gagner aux élections de juin – même si mon score au premier tour ne s’est pas révélé mauvais. Je faisais campagne sur d’autres thématiques, et cet élément qui prend aujourd’hui une grande importance n’en avait pas pour moi à cette époque. Je considérais l’affaire terminée.

Mme Cécile Untermaier. Qui vous a demandé d’écrire la lettre à M. Gonelle ?

M. Jean-Louis Bruguière. On ne m’a pas demandé de l’écrire – c’est moi qui en ai pris l’initiative – mais on m’a demandé de faire en sorte d’atténuer les traces de nos désaccords et de limiter les dissensions dans une équipe et un mouvement déjà très éclatés du fait de mon échec.

Mme Cécile Untermaier. Vous avez dit tout à l’heure qu’on vous avait demandé d’écrire cette lettre pour calmer les choses en vue des élections de 2008.

M. Jean-Louis Bruguière. Je me suis trompé. J’ai pris cette initiative en pensant qu’il s’agissait du meilleur moyen de panser les plaies politiques.

Mme Cécile Untermaier. Vous n’en avez parlé à personne ?

M. Jean-Louis Bruguière. Je ne crois pas. Peut-être à M. Costes, mon suppléant.

M. Jean-Marc Germain. Monsieur Bruguière, vous nous avez dit que, d’après vous, M. Gonelle vous avait remis l’enregistrement plus tard, en 2007.

M. Jean-Louis Bruguière. Je pensais au début 2007.

M. Jean-Marc Germain. Ensuite vous avez pourtant affirmé que vous étiez sûr de l’avoir mis à la poubelle en décembre 2006. Mais si vous hésitez sur le moment où vous l’avez reçu, comment pouvez-vous être sûr de celui où vous l’avez détruit ? Il s’agit d’un élément troublant. Magistrat de très haut niveau, vous détenez – contrairement à ce que vous avez dit – une preuve matérielle potentielle d’un délit aussi grave que la détention d’un compte en Suisse. Étant dépositaire de l’autorité publique – même si vous n’avez pas été saisi à ce titre –, pourquoi ne l’avez-vous pas utilisée en novembre 2006, au titre de l’article 40 ? Que vous l’ayez prise sans y réfléchir ou pour en prendre connaissance, vous en étiez ensuite détenteur. Ne souhaitant pas utiliser cette preuve dans la campagne électorale – car cela ne correspondait pas à votre vision de la politique –, vous vous demandiez forcément ce qu’il fallait en faire. Je reste, pour ma part, convaincu que la destruction a pu intervenir beaucoup plus tard. Précisez-nous ce calendrier !

Ayant jeté l’enregistrement à la poubelle, vous vous dites sûr de sa destruction – alors que vous n’en savez rien –, tout en paraissant gêné. Dans quelles conditions et dans quel état d’esprit – car vous connaissiez la valeur de cette preuve – avez-vous procédé à sa liquidation ?

À la suite de ces événements, vous saviez qu’il existait un enregistrement portant sur le compte en Suisse d’une personnalité de plus en plus connue ; à qui avez-vous communiqué cette information ?

M. Jean-Louis Bruguière. Ayant oublié les dates, je me suis basé sur celles qu’avait retenues M. Gonelle. Il a affirmé m’avoir donné l’enregistrement le 12 novembre 2006 ; découvrant dans mon agenda que je me trouvais ce jour-là dans le Lot-et-Garonne, pour le week-end, pourquoi aurais-je contesté cette assertion de M. Gonelle ? Or, comme je n’ai pas pris mon dossier de campagne à Paris, la destruction n’a pu intervenir qu’à l’occasion de mes visites ultérieures dans le Lot-et-Garonne : le 15 décembre, puis à la fin de l’année. Je vous ai donné ces dates en partant non de mes souvenirs, mais des précisions fournies par M. Gonelle – qui, contrairement à moi, a dû noter tous ses rendez-vous – et des vérifications de mes agendas.

Pour le reste, faisons un peu de droit.

M. le président Charles de Courson. Vous confirmez donc que l’enregistrement vous a vraisemblablement été remis le 12 novembre. Et à quelle date l’avez-vous jeté ? Vous avez parlé de fin décembre.

M. Jean-Louis Bruguière. J’ai laissé mon dossier de campagne dans le Lot-et-Garonne ; j’y suis retourné le 15, puis le 29 décembre. Sachant que je n’ai pas gardé l’enregistrement pendant des mois, c’est sans doute lors du premier retour que je me suis débarrassé de ce document.

M. Jean-Marc Germain. Pourtant, entre ces deux week-ends, vous avez dû vous demander pourquoi vous – à la fois juge et candidat – aviez accepté de prendre ce document, quelle en était la nature, et comment vous pouviez vous en débarrasser. Vous vous êtes forcément interrogé sur la solution à adopter puisque vous avez choisi de le détruire plutôt que de le retourner à M. Gonelle.

M. Jean-Louis Bruguière. M. Gonelle affirme m’avoir remis l’enregistrement le dimanche 12 novembre. Mon agenda professionnel étant très précis, je constate a posteriori – sans m’en souvenir – qu’après un lundi chargé, je suis parti le mardi en Grande-Bretagne. Durant cette semaine de travail extrêmement dense, je n’ai pas pensé à cet enregistrement. Loin d’en être obsédé, je n’ai même pas eu la curiosité de l’écouter, ni de chercher le lecteur idoine ; cela ne m’intéressait pas. Lorsque je suis revenu à Villeneuve-sur-Lot le 15 décembre – même si je ne notais pas ces rendez-vous dans mon agenda –, j’ai sans doute rencontré sinon M. Gonelle, du moins des gens faisant partie du même cadre.

M. le président Charles de Courson. Le document était resté à Villeneuve ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui.

M. Jean-Marc Germain. Retrouvant le document sur le bureau, vous avez bien dû vous demander ce que vous deviez en faire !

M. Jean-Louis Bruguière. Je l’avais classé et remisé dans mon bureau à Villeneuve.

M. Jean-Marc Germain. Le détruire a dû représenter une décision difficile.

M. Jean-Louis Bruguière. Non.

M. Jean-Marc Germain. Vous possédiez une preuve matérielle de la détention par une personnalité importante d’un compte en Suisse ; même si je peux comprendre votre décision – puisque vous n’avez pas été saisi en tant que juge –, la prendre a dû vous en coûter !

M. Jean-Louis Bruguière. Votre perception n’est pas celle du juriste ; une preuve renvoie à quelque chose d’important. Pour un magistrat, cet enregistrement ne représente en rien une preuve, même pas un début de preuve. Ce n’est qu’aujourd’hui, ayant fait l’objet d’une expertise et devenu un scellé judiciaire, qu’il en constitue une, mais à cette époque, ce n’était pas le cas.

Les juges doivent veiller à la protection des libertés publiques, civiles et individuelles ; on m’a assez reproché de faire fi de la présomption d’innocence ou de la liberté individuelle dans le cadre de mes fonctions ; me reprochera-t-on donc de les respecter ? Il ne suffit pas de lancer une accusation pour prouver la culpabilité, même si c’est malheureusement ainsi que fonctionne aujourd’hui la presse, où même le démenti ne fait pas effet. Notre monde – celui de la communication, et donc de la condamnation – impose de rester extrêmement vigilant et prudent.

De plus, ce document m’a été transmis par M. Gonelle ; or je ne sais pas s’il voulait se venger de M. Cahuzac, mais sa surestimation du personnage allait jusqu’à l’obsession existentielle. Cela dit, il n’était pas seul dans ce cas. M. Cahuzac avait réussi à « terroriser » psychologiquement tout l’arrondissement, inhibant les initiatives politiques. Ainsi, tout le monde m’avait dissuadé de participer au débat du deuxième tour – même si je ne me suis pas laissé convaincre. Il est pourtant incroyable, dans un débat démocratique, de refuser d’affronter publiquement votre adversaire sur les enjeux de campagne.

M. le président Charles de Courson. La réponse à la question est précise : le support audio est récupéré le 12 novembre et jeté autour du 15 décembre.

M. Jean-Marc Germain. Mais on ne sait pas toujours pas pourquoi.

M. le Charles de Courson. Qu’est-ce qui motive votre geste ?

M. Jean-Louis Bruguière. Je ne fais pas campagne sur une manipulation, ni même sur des attaques personnelles. J’ai eu tort, mais c’est ainsi.

Ensuite, vous me parlez de « preuve », mais je ne sais pas ce que ce support contient, et je ne veux pas le savoir. De toute façon, les éléments n’étaient pas suffisants sur le plan juridique pour invoquer l’article 40. C’est à M. Gonelle qu’il faut poser la question.

M. Jean-Marc Germain. Vous auriez pu transmettre au procureur.

M. Jean-Louis Bruguière. Non. Pas moi, mais M. Gonelle certainement. Il connaissait les circonstances dans lesquelles il avait recueilli cet enregistrement.

M. Jean-Marc Germain. Avez-vous ensuite l’occasion de faire état des informations dont vous étiez détenteur ? Et si oui, avec qui ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non. Ce n’était pas un débat de campagne. Après, j’ai tourné la page.

M. Charles de Courson. Même pas avec votre suppléant, ou votre équipe de campagne ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non. Je ne pense pas, même si, à la fin de la campagne, il y a eu des rumeurs sur les liens supposés de M. Cahuzac avec des laboratoires – les laboratoires Fabre –, et des allusions vagues à un compte en Suisse. Mais je n’ai pas parlé de la cassette.

M. Jean-Marc Germain. Vous n’avez jamais évoqué avec personne ces informations potentielles concernant l’existence d’un compte en Suisse détenu par M. Cahuzac ?

M. Jean-Louis Bruguière. Je n’ai pas eu d’information sur un compte en Suisse. On m’a dit que…

M. Jean-Marc Germain. Vous n’avez jamais fait aucune allusion ?

M. Jean-Louis Bruguière. La campagne a été courte, je n’ai jamais évoqué la question.

M. Alain Claeys, rapporteur. Et après ?

M. Jean-Louis Bruguière. Après la campagne, j’ai rompu avec tout le monde et je n’ai plus vu personne.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ni pendant, ni après donc. Et au moment où l’affaire sort ?

M. Jean-Louis Bruguière. Dans la presse ? Non.

M. le président Charles de Courson. Seulement dans Paris Match, le 23 décembre 2012, après les déclarations de M. Gonelle.

M. Jean-Louis Bruguière. C’est différent : j’étais mis en cause, et dans des conditions que je ne trouve pas très honnêtes. M. Gonelle ne me cite pas et se défend d’être un délateur, mais il m’oblige à réagir et à m’expliquer. Il s’est répandu dans la presse et a essayé de me salir sur le plan professionnel, s’en prenant même aux services de renseignement français. J’aurais pu l’attaquer.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Une fois l’enregistrement en mains, M. Gonelle nous a dit avoir examiné trois hypothèses : saisir les médias, ce qu’il n’a pas fait ; appliquer l’article 40, ce qu’il n’a pas fait non plus ; et il s’en est remis à un ami pour avertir les services fiscaux. L’interrogeant sur les raisons de son choix, quelque peu étrange pour un bâtonnier, j’ai suggéré des pressions ou la peur. Il a évoqué ses craintes à l’époque, en 2001. Vous parlez de lui comme d’un « homme lige », « incontournable », qui « tenait des réseaux ». J’avoue ne pas comprendre comment un homme puissant pourrait avoir peur. Qu’avez-vous perçu ? De quels réseaux s’agit-il ?

M. Jean-Louis Bruguière. Pas de réseaux occultes – le terme est trop fort –, mais de relations, de contacts politiques. À tort ou à raison, on considérait que, sans M. Gonelle, il était impossible de gagner Villeneuve. Il était inscrit au barreau depuis quarante ans, et il connaissait tout le monde. Il était incontournable.

Quant à M. Cahuzac, tout le monde était au courant de l’affrontement politique à l’issue duquel il avait gagné la mairie de Villeneuve. Dans les échanges que j’ai eus avec M. Gonelle, je n’ai pas eu l’impression qu’il éprouvait du ressentiment envers son rival, ni qu’il était animé d’un esprit de vengeance. Rien ne me laissait penser non plus qu’il nourrissait des craintes qui expliqueraient ce qu’il a fait. Incontestablement, le personnage Cahuzac le fascinait. Probablement était-il devenu pour lui une sorte d’obsession, mais sur un plan psychologique, à cause de son brillant qui impressionnait le Villeneuvois, de ses qualités oratoires, de son art de la dialectique et de sa pugnacité.

Je n’ai rien à reprocher à M. Cahuzac. Le combat politique a été courtois mais rude. Le débat de deuxième tour a été très intéressant car nous étions à peu près à armes égales. Pour une fois, la presse était d’accord sur le caractère équilibré du débat.

Le déséquilibre venait du charisme évident de M. Cahuzac. En outre c’était un gros travailleur qui connaissait ses dossiers par cœur, et il avait réussi à mettre les socialistes en ordre de marche, alors que la droite locale ne cessait de se déchirer.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Nous avons appris d’un inspecteur des impôts qu’il avait dévoilé, dans des mémoires contentieux, des informations sur un compte bancaire, sur une femme de ménage, sur un logement, c’est-à-dire sur des éléments de train de vie, pouvant paraître de nature injurieuse ou diffamatoire. À aucun moment, l’administration fiscale n’a demandé la suppression de ces passages et, dans les onze jugements rendus par la juridiction administrative, il n’y a jamais eu de saisine du parquet. Dans votre carrière de magistrat, avez-vous eu à connaître des saisines directes du parquet par la juridiction administrative ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non. Mais des saisines par des instances administratives comme TRACFIN, oui. Les alertes sont d’ailleurs prévues par la loi. En outre, le code pénal fait obligation à un juge qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance d’une infraction, fiscale notamment, de la dénoncer à l’administration fiscale, laquelle alors a un libre accès à la procédure sans qu’on ne lui oppose le secret de l’instruction.

M. Christian Eckert. Nous confirmez-vous que vous n’avez parlé de l’existence de cet enregistrement ni avant, ni pendant, ni après la période électorale ? Et pas davantage des propos de M. Gonelle sur l’éventuel compte en Suisse de M. Cahuzac ? Jamais, du moins avant que les informations paraissent dans la presse ?

M. Jean-Louis Bruguière. Je n’avais pas raison d’en parler parce que, pour moi, il s’agissait d’un non-événement. Je ne souhaitais pas en parler et je n’avais pas l’intention de mener la moindre enquête à ce sujet. Ma campagne se focalisait sur d’autres arguments.

M. Christian Eckert. Vous avez fait allusion à des déjeuners que M. Bruguière aurait organisés pour vous à Paris. Avec qui ?

M. Jean-Louis Bruguière. Au moins un avec une personnalité connue à Villeneuve-sur-Lot puisqu’elle avait affronté M. Gonelle. Elle était impliquée dans les conflits politiques locaux des années 2000. J’hésite à donner son nom parce que je ne voudrais pas la mettre en difficulté. Elle est sans doute à l’origine de la défaite de M. Gonelle parce qu’elle avait monté une liste concurrente, provoquant une triangulaire.

M. le président Charles de Courson. C’était son adjoint, n’est-ce pas ?

M. Jean-Louis Bruguière. Voilà. Il était dans l’édition… À l’époque, je ne le connaissais pas, pas même de nom. Mais M. Gonelle a considéré que je ne pouvais pas ne pas le connaître, et j’ai compris par la suite qu’il m’a utilisé pour essayer de se rapprocher de lui. L’intéressé me l’a d’ailleurs confirmé par la suite.

M. Christian Eckert. Vous avez parlé de plusieurs déjeuners.

M. Jean-Louis Bruguière. Il en a eu un avec M. Merly, qui avait l’occasion de venir à Paris, et d’autres ont eu lieu à Villeneuve et à Prayssas, dans le canton de M. Merly.

M. Christian Eckert. Au cours de ces repas, il n’a jamais été fait allusion à la cassette ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non.

M. Jean-René Marsac. Vous avez, dites-vous, gardé la cassette quelques semaines dans votre bureau. Celui de votre campagne électorale ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non, à mon domicile.

M. Jean-René Marsac. Nous avons tout de même l’habitude des campagnes électorales, et il n’est pas concevable que vous n’ayez pas évoqué, dans votre bureau de campagne, la stratégie que vous deviez adopter vis-à-vis de M. Cahuzac, et débattu de l’hypothèse d’utiliser des informations qui circulaient à son propos !

M. Jean-Louis Bruguière. Si.

M. Jean-René Marsac. Vous avez forcément discuté de l’opportunité…

M. Jean-Louis Bruguière. Globalement, j’ai dit, sans faire référence à un présumé compte, que je n’accepterais pas que l’on utilise des méthodes ou des informations susceptibles de nuire à la réputation de mon adversaire.

M. Jean-René Marsac. Vous avez donc bien parlé des informations qui circulaient à propos de M. Cahuzac dans votre bureau de campagne !

M. Jean-Louis Bruguière. Bien sûr qu’il y avait des rumeurs. Il y avait aussi des informations que je connaissais – mais que je n’ai pas mises sur le devant de la scène –, concernant l’enquête préliminaire dont M. Cahuzac faisait l’objet à l’époque. Mais je ne voulais pas que l’on en parle.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quelle enquête préliminaire ?

M. Jean-Louis Bruguière. Une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris pour travail dissimulé.

M. le président Charles de Courson. L’affaire du personnel de maison philippin ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui. On aurait souhaité que j’utilise ma position de premier vice-président pour récupérer une copie du dossier pénal. Un, il n’en était pas question ; deux, je ne voulais que cet élément soit utilisé de quelque façon que ce soit. M. le procureur de la République de Paris a d’ailleurs eu la sagesse de ne pas saisir le tribunal avant la fin de la campagne.

M. Dominique Baert. « On » aurait souhaité… De qui s’agit-il ?

M. Jean-Louis Bruguière. Quand le sujet est arrivé sur le tapis, plusieurs personnes – je ne suis pas sûr de me rappeler lesquelles, mais peu importe – considéraient que Jérôme Cahuzac était la cible politique et que la fin justifiait les moyens. Pas moi.

M. Alain Claeys, rapporteur. En plus de l’enregistrement, vous êtes en train de nous dire qu’il y avait toute une série de rumeurs concernant M. Cahuzac ?

M. Jean-Louis Bruguière. M. Cahuzac était considéré comme un personnage important et il y avait des rumeurs. Mais, pour être clair, je n’ai rien entendu de précis et de documenté à propos d’un compte en Suisse. Cela étant, j’ai découvert ainsi que mon adversaire avait une clinique et un appartement dans le septième arrondissement qui aurait été financé en partie avec du cash.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous maintenez n’avoir jamais rencontré M. Garnier ?

M. Jean-Louis Bruguière. Jamais, je suis formel. J’ignorais son nom jusqu’à présent.

M. Charles de Courson. Les faits sont évoqués dans le mémoire de M. Garnier au ministre en date du 11 juin 2008.

M. Jean-René Marsac. M. Gonelle était « incontournable » à Villeneuve, dites-vous. Alors, comment avez-vous justifié son éviction auprès de votre équipe de campagne ?

M. Jean-Louis Bruguière. J’ai pris ce risque en expliquant que M. Gonelle n’avait pas été loyal, notamment après l’incident final qui avait mis certains acteurs de la campagne en difficulté. On leur avait fait porter la responsabilité d’un événement contraire à mes intérêts politiques.

M. Jean-René Marsac. Précisément ?

M. Jean-Louis Bruguière. Il s’agissait d’une réunion de l’équipe qui était autour de moi, qui s’est tenue dans un autre département, avec un député du Lot sans que j’en aie été avisé et au sujet de laquelle l’équipe devait garder le silence. M. Gonelle avait expliqué sa stratégie pour conquérir la circonscription sans même parler de mon existence. À l’époque, je ne m’étais pas déclaré officiellement. La déloyauté était manifeste et j’ai été obligé de soutenir la personne mise en cause.

M. Georges Fenech. Nous sommes en présence de deux versions des faits radicalement différentes. M. Gonelle nous a expliqué avoir remis ce support à M. Bruguière en lui faisant part de son contenu et en précisant que la qualité de l’enregistrement était médiocre. Il a ajouté que celui-ci aurait dit être en mesure de l’améliorer, ce que M. Bruguière a démenti. Dans l’exercice de vos fonctions de magistrat, auriez-vous pu saisir un laboratoire de police scientifique en dehors de toute procédure judiciaire, à titre personnel ?

M. Jean-Louis Bruguière. Ma réponse est un non catégorique. Le seul laboratoire qui était à l’époque capable de ce genre d’opération était le laboratoire de la police scientifique d’Écully, qui dépend du ministère de l’intérieur, et auquel nous avions recours pour l’ensemble de nos opérations. Vous savez à quel point la procédure est strictement encadrée par la loi : il faut des commissions d’expertise très précises, des scellés, et il est impossible de faire appel à un laboratoire public qu’il s’agisse de celui de la gendarmerie ou celui de la police nationale en se servant de passe-droit, pour quelque raison que ce soit.

Et comment aurais-je pu faire une telle expertise sans un échantillon pour effectuer la comparaison ? Je ne connaissais pas M. Cahuzac à l’époque, ni sa voix.

M. Jean-Pierre Gorges. Nous sommes censés nous pencher sur le fonctionnement de l’État entre le 4 décembre et le mois d’avril, et force est de constater que nos questions concernent d’autres périodes. On en revient toujours à cet enregistrement qui ressurgit au gré des échéances électorales.

Reprenons chronologiquement et précisément. Où déposez-vous l’enregistrement ?

M. Jean-Louis Bruguière. J’ai à Villeneuve-sur-Lot une propriété de famille où j’ai un bureau. Cette maison est fermée, personne ne peut y accéder. Je n’ai pas de femme de ménage et l’alarme est branchée quand nous partons.

M. Jean-Pierre Gorges. Ce bureau vous sert-il pour votre campagne électorale ?

M. Jean-Louis Bruguière. Absolument pas.

M. Jean-Pierre Gorges. Combien de jours l’enregistrement reste-t-il dans ce bureau ?

M. Jean-Louis Bruguière. La réponse que je vous ai faite est fonction de la date donnée par M. Gonelle. Je vous ai dit une douzaine de jours, mais c’est peut-être un mois puisque je ne suis pas revenu à Villeneuve avant le 15 décembre.

M. Jean-Pierre Gorges. Quel est l’événement qui vous pousse à détruire l’enregistrement ?

M. Jean-Louis Bruguière. Je me suis mal expliqué. Il n’y a pas d’événement. Si je me fie aux déclarations de M. Gonelle, il m’a confié la cassette le 12 novembre, sans doute l’après-midi ou en fin de matinée. Il s’agissait d’un dimanche et je rentrais en voiture à Paris, avec la sécurité, en début d’après-midi. Logiquement, j’ai dû repasser rapidement à mon domicile villeneuvois où j’ai déposé la cassette en question. À cause de mes obligations professionnelles, je n’ai pu revenir à Villeneuve qu’un mois plus tard, le 15 décembre.

M. Jean-Pierre Gorges. Pendant ce temps, personne n’a pu avoir accès au bureau ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non. Il était sous alarme.

M. Jean-Pierre Gorges. Je me demandais si le 4 décembre 2012 avait marqué le début de l’opération « Il faut sauver le soldat – le général, pardon, monsieur le président – Cahuzac ». Je me demande maintenant s’il n’y a pas eu une opération « Il faut tuer le général Cahuzac ». En 2001-2002, et en 2006-2007, nous sommes en pleine période électorale. Mais pourquoi 2012, alors que M. Cahuzac est devenu ministre ? Le Canard Enchaîné, fait observer que M. Cahuzac était en train de procéder à des coupes claires dans le budget de la défense, de l’ordre de 8 milliards d’euros au grand dam de bon nombre de personnes. L’une d’entre elles n’aurait-elle pas pu informer Mediapart ? Le nouveau ministre du budget aurait d’ailleurs tendance à défendre ce budget. Vous nous avez dit que votre directeur de campagne en 2006 était un général en retraite. Chez moi, mon directeur de campagne a accès à tout et il fait tout. Que je sois sur place ou non, tout lui est ouvert. Alors, je vous demande « les yeux dans les yeux » si votre directeur de campagne a pu avoir accès à ces éléments, même à votre insu, entre le moment où vous les avez reçus et celui où vous vous en êtes débarrassé.

M. Jean-Louis Bruguière. C’est totalement exclu. J’avais établi un sas entre mes locaux de campagne et mon domicile qui est un sanctuaire. On ne vient pas chez moi ; et j’ai évidemment une confiance absolue dans ma femme.

M. Jean-Pierre Gorges. On pourra poser la question à votre directeur de campagne.

M. Jean-Louis Bruguière. Si vous le souhaitez.

M. Jacques Cresta. M. Gonelle vous a remis l’enregistrement avec le secret espoir que vous l’utiliseriez soit au titre de vos fonctions soit dans le cadre de la campagne. Après les élections, avez-vous été à un moment ou à un autre relancé soit par M. Gonelle, soit par ses proches ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non.

M. Thomas Thévenoud. Vous avez appris, au cours de la campagne électorale, certaines informations sur le train de vie et les activités professionnelles de Jérôme Cahuzac à Paris. Qui en est à l’origine ? Est-ce M. Gonelle ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non.

M. Thomas Thévenoud. Des personnes du Lot-et-Garonne ? Ou de Paris ?

M. Jean-Louis Bruguière. À Paris, personne ne m’a dit quoi que ce soit. Ce sont des sources locales, dans le cadre de la campagne officielle. Je ne peux pas être plus précis. Il s’agissait de réunions dans les locaux de campagne. Je ne sais pas si c’est M. Gonelle qu’il m’arrivait de croiser. Même si je me suis séparé de lui, nous nous saluions. Il lui est arrivé de venir à un déjeuner de campagne et je ne l’ai pas mis à la porte. C’était le type de rumeur qui circule dans des locaux de campagne, et que je ne voulais surtout pas utiliser. Je n’ai compris que plus tard qu’une campagne ne se faisait pas uniquement comme je pensais qu’elle se faisait.

M. Philippe Houillon. Une dernière précision. Avez-vous relaté votre entrevue avec M. Gonelle à votre directeur de campagne ?

M. Jean-Louis Bruguière. Non.

M. Philippe Houillon. Vous ne lui parlez de rien ?

M. Jean-Louis Bruguière. Le directeur de campagne a été nommé tardivement, pas avant le mois de mai.

Ce qui a fait déraper ma campagne, et ce qui m’a fait comprendre que j’étais instrumentalisé, politiquement parlant, c’est le choix de mon suppléant. En fait, on voulait utiliser l’image du comandante Bruguière, mais on ne voulait surtout pas qu’il prenne une quelconque initiative parce qu’il ne connaissait rien à la politique. Il devait donc exécuter fidèlement les instructions, en particulier celles de M. Jean François-Poncet. Il avait été décidé notamment que mon suppléant serait Alain Merly. Comme je ne trouvais pas très cohérent de choisir pour suppléant le député sortant qui ne se représentait pas, je m’y suis opposé, car cela ne donnait pas une très bonne image. Mon entourage, y compris M. Gonelle, y a vu un casus belli. À partir de là, les difficultés surgissaient de tous les côtés et, d’après ce que j’ai pu comprendre, M. Gonelle a savonné la planche de plus belle. En tout cas, j’ai rencontré de sérieuses difficultés au sein de mon équipe. Cela se passait trois semaines avant le premier tour et je sentais que je ne maîtrisais plus grand-chose.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Gonelle souhaitait-il votre venue, pour cette élection législative ?

M. Jean-Louis Bruguière. C’est lui qui est venu me chercher, avec M. Merly ! Ma présence résultait d’une stratégie à laquelle ils ont pris part. L’objectif de départ était que je me présente aux municipales à Villeneuve. M. Merly n’était pas concerné.

M. Dominique Baert. Est-ce que, lorsque l’on est venu vous chercher, on vous a fait miroiter l’idée que, compte tenu de votre stature, vous pourriez devenir ministre, ce qui aurait laissé la place libre à votre suppléant.

M. Jean-Louis Bruguière. Je pense que oui, mais je ne l’ai compris que plus tard. On ne me l’a jamais dit.

M. Alain Claeys, rapporteur. Nous ne sommes ni des juges, ni des procureurs. Vous comprenez l’importance pour nous de votre témoignage. Ce soir, vous démentez totalement ce qui a été dit par M. Gonelle et vous affirmez, sous serment, que vous n’avez pas utilisé la cassette, sous quelque forme que ce soit.

M. Jean-Louis Bruguière. Je ne l’ai pas diffusée, ni dupliquée. Ce n’est pas par mon intermédiaire qu’elle est arrivée dans les mains de Mediapart.

M. le président Charles de Courson. Ni directement,…

M. Jean-Louis Bruguière. …ni indirectement.

M. Jean-Louis Bruguière. Monsieur le président, deux observations si vous me le permettez.

M. le président Charles de Courson. Je vous en prie.

M. Jean-Louis Bruguière. Il s’agit des conditions dans lesquelles je suis venu ici. À aucun moment, je n’ai cherché à me dérober ou à gagner du temps. Je le précise parce que le secrétariat de la commission avec qui j’ai été en contact m’a fait part de votre sentiment que je faisais en sorte de ne pas venir témoigner parce que nous n’arrivions pas à trouver une date. Je tiens à dissiper tout malentendu. J’ai témoigné plusieurs fois devant des commissions parlementaires, y compris aux États-Unis, et j’y ai toujours déféré parce que j’y vois un élément important de la vie démocratique.

Deuxième observation, de nature institutionnelle, voire constitutionnelle. Comme je vous l’ai dit, j’ai été cité par voie d’huissier à comparaître comme témoin devant la cour d’assises d’appel de Paris dans le procès de Carlos, qui se tient du 13 mai au 5 juillet. Le calendrier et le programme des auditions sont définis unilatéralement par le président de la cour d’assises dont le pouvoir dans ce domaine est souverain. Je ne pouvais donc pas connaître exactement ma disponibilité, et le parquet général auquel je me suis adressé m’a indiqué que j’aurais à comparaître le 30 mai après-midi et soir – ce que j’ai fait. Le soir, on m’a notifié que je devrais revenir le 17 et le 18 juin. Nous étions convenus avec vous d’une audition au mois de juillet. Mais à cause de vos contraintes, que je comprends, la date a été modifiée et vous vouliez m’entendre le 18 juin. Je vous ai fait connaître mes obligations envers la justice et la convocation a été repoussée au 19, malgré mon obligation d’être à la disposition de la cour d’assises. Je vous ai transmis à la fois la citation à comparaître et une lettre de l’avocat général.

Alors, oui, il y a bel et bien un conflit d’agenda et le problème n’est pas réglé par la loi. Il est pourtant de nature à avoir une incidence sur le fonctionnement normal d’une juridiction de l’ordre judiciaire, puisque son président se voit privé, dans le cadre d’un procès pénal, de la présence d’un témoin.

M. le président Charles de Courson. Monsieur Bruguière, puisque vous posez la question, je suis le président et j’assume. Nous avons eu quelques difficultés à trouver une date. Nous avons dû anticiper la date prévue parce que, dans la logique de nos auditions, il était préférable que vous veniez plus tôt.

S’est alors posée une deuxième question sur laquelle M. le rapporteur et moi-même avons la même position. Vous avez suggéré d’être auditionné à huis clos.

M. Jean-Louis Bruguière. Nullement. J’ai dû mal m’exprimer, c’était un problème de sécurité.

M. le président Charles de Courson. Ce n’est pas un problème.

M. Jean-Louis Bruguière. Le problème, c’est la publicité autour. En fait, je fais la différence entre une requête de convenance et une autre, à mon avis plus importante, liée à un procès pénal.

M. le président Charles de Courson. Nous nous adaptons, monsieur Bruguière. La preuve, c’est que vous êtes venu.

M. Jean-Louis Bruguière. J’espère seulement que l’on ne me réclame pas au tribunal de grande instance de Paris.

M. le président Charles de Courson. Dans ce cas nous vous aurions libéré immédiatement. Nous sommes trop respectueux de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

M. Jean-Louis Bruguière. Le cas de figure pourrait se reproduire et peut-être le règlement de l’Assemblée pourrait-il résoudre le problème dans le respect de l’indépendance de la justice et l’équilibre des institutions.

M. le président Charles de Courson. Monsieur Bruguière, je vous remercie.