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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mercredi 19 juin 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. François Molins, procureur de Paris.

M. le président Charles de Courson. Nous entendons aujourd’hui M. François Molins, procureur de Paris.

Comme vous le savez, cette commission d’enquête a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de « l’affaire Cahuzac ». Nous souhaitons mieux comprendre comment cette affaire très délicate a été traitée, notamment par la justice, mais sans aborder les éléments de fond de l’enquête, qui relèvent du secret de l’instruction.

M. François Molins prête serment.

M. François Molins, procureur de Paris. Je vais vous donner les éléments que vous êtes en droit d’attendre, dans le cadre fixé par l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et par l’article 11 du code de procédure pénale, qui m’astreint au respect du secret des investigations et de l’instruction.

Je commencerai par dire quelques mots du fonctionnement du parquet de Paris, ainsi que des règles qui ont été appliquées aux relations qu’il entretient avec le parquet général et avec la chancellerie.

Pour toutes les affaires que l’on peut qualifier de sensibles, le parquet de Paris, comme tous les autres, est amené à renseigner le parquet général, qui est à son tour tenu de transmettre certaines informations à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG). Il s’agit des affaires significatives, à fortes retombées médiatiques ou qui ont du sens en termes de fixation de la politique pénale. Ces informations fournies par le parquet au parquet général sont nombreuses et précises ; elles doivent être mises à disposition rapidement.

Le procureur général, destinataire de ces informations, a un rôle d’analyse : il indique à la DACG s’il partage l’analyse et les orientations du procureur de la République. Ces informations ont surtout pour rôle de nourrir le dialogue institutionnel qui doit exister au sein du ministère public : le procureur de la République a des pouvoirs de direction de l’action publique ; parmi ceux du procureur général figure celui de donner des instructions positives, de poursuite, aux procureurs.

Dans la conduite de ce dossier, le parquet de Paris n’a eu de relations qu’avec le Parquet général ; il n’y a eu, à aucun moment, aucune instruction d’aucune sorte. J’ai toujours pris mes décisions après analyse et réflexion, avec mes collègues de la section financière, et toujours après avoir respecté les règles du dialogue institutionnel que j’évoquais, et qui doivent exister entre un procureur et son procureur général. J’ai donc toujours indiqué à mon supérieur hiérarchique quelles étaient mes intentions, afin qu’il soit toujours en mesure de faire valoir son point de vue, et éventuellement de donner des instructions positives, ce qui n’est pas arrivé.

Les renseignements donnés au parquet général l’ont été sous des formes diverses : compte rendu téléphonique, courriel, rapports écrits. La DACG, après l’ouverture de l’enquête, nous a demandé quels seraient les actes et les investigations qui nous paraissaient nécessaires dans ce dossier. Nous avons répondu, mais les calendriers n’ont la plupart du temps pas été indiqués à l’avance. En particulier, aucun élément sur les actes importants n’a été donné avant leur réalisation, notamment s’agissant des perquisitions ; le Parquet général n’en a jamais été informé à l’avance. Les comptes rendus sont intervenus après, le plus souvent sous la forme de courriers électroniques contenant des résumés de la teneur des auditions ou des éléments recueillis lors des perquisitions. Il n’y a eu, je l’ai dit, aucune instruction individuelle dans ce dossier.

L’affaire qui nous occupe trouve son origine dans la publication par Mediapart, le 4 décembre 2012, d’un article intitulé « Le compte suisse du ministre du budget Jérôme Cahuzac ». Le 6 décembre, à la suite d’une transmission par le directeur de cabinet de Mme la garde des sceaux, la directrice des affaires criminelles et des grâces saisit le procureur général de Paris d’une dépêche demandant l’engagement de poursuites du chef de diffamation publique contre le directeur de la publication de Mediapart, en application de l’alinéa 1er bis de l’article 48 de la loi du 29 juillet 1881, qui prévoit que si la diffamation est dirigée contre un membre du Gouvernement, la poursuite ne peut avoir lieu que si la demande a été adressée au garde des sceaux, à charge pour celui-ci de saisir le parquet général compétent. Or, à notre sens, il s’agissait là d’une diffamation non pas contre un ministre mais contre un particulier, puisqu’à l’époque des faits, M. Cahuzac n’était pas membre du Gouvernement. Contrairement à l’analyse de la DACG et au regard de la jurisprudence de la dix-septième chambre du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, spécialisée en matière de presse, nous avons estimé qu’il s’agissait d’une diffamation publique envers un particulier, et que le visa dans la plainte de l’alinéa 1er bis de l’article 48 pouvait constituer une confusion, voire le moment venu une cause de nullité des poursuites, dans le cas où l’affaire serait venue devant le tribunal correctionnel. Nous avons alors pris l’initiative de requalifier l’affaire et de ne viser que les articles strictement utiles à la poursuite d’une diffamation publique envers un particulier.

Nous avons donc établi un soit-transmis articulant les faits reprochés, interrompant la prescription et saisissant les services de police, en l’occurrence la brigade de répression de la délinquance contre la personne de la Direction de la police judiciaire de Paris, pour qu’elle procède à une enquête préliminaire.

La polémique, vous le savez, a continué, Mediapart maintenant ses accusations et distillant régulièrement de nouveaux éléments de nature à les accréditer.

Le 18 décembre 2012, M. Cahuzac dépose, entre les mains du doyen des juges d’instruction de Paris, une plainte avec constitution de partie civile du chef de diffamation publique contre un particulier, délit puni par les articles 23, 29 et 32 de la loi sur la presse. Le parquet, à qui cette plainte est communiquée, prend un réquisitoire introductif le 15 février et fait ce que l’on fait toujours dans ce cas de figure : une enquête étant déjà lancée, nous avons demandé aux services de police de nous retourner la procédure d’enquête préliminaire, ce qui a été fait le 19 février ; nous avons immédiatement joint la procédure d’enquête préliminaire à la procédure d’instruction, l’adressant au juge d’instruction, puisque celui-ci était désormais seul compétent pour instruire ces faits.

En matière d’infractions à la loi sur la presse, il est essentiel de bien se rappeler que ces enquêtes ne visent jamais à déterminer la vérité ou la fausseté des faits allégués, mais seulement à s’assurer de l’identité de l’auteur incriminé et, pour la presse, de l’identité du directeur de la publication, ainsi que des domiciles de ces personnes, afin de pouvoir leur délivrer le cas échéant une citation à comparaître.

La loi ne permet donc pas au juge d’instruction de rechercher si les faits dénoncés ou relevés comme diffamatoires sont vrais ou faux : vous le savez certainement, la loi sur la presse dispose que seule la juridiction de jugement peut se prononcer sur ce point, et seulement lorsque le prévenu a été admis à rapporter la preuve la vérité des faits selon les modalités prévues à l’article 55 de cette loi. La preuve des faits ne peut donc résulter que d’un débat contradictoire, qui ne peut pas avoir lieu devant une juridiction d’instruction mais seulement devant une juridiction de jugement.

Nous nous trouvions donc face à un vrai problème : les allégations de Mediapart donnaient lieu à un débat public, mais le fond de ce débat ne pourrait être judiciairement évoqué avant le premier trimestre 2014, compte tenu des délais d’audiencement actuels devant la dix-septième chambre correctionnelle du TGI de Paris.

Le parquet était bien sûr conscient de cette situation : j’avais commencé à me demander s’il fallait agir, et comment. En restant inactifs, nous prenions le risque de faire apparaître le parquet de Paris comme faisant obstacle à la manifestation de la vérité ; or la justice est plutôt là pour aboutir au résultat inverse… Je suis donc parti en congés de Noël avec le dossier.

Le 27 décembre, j’ai lu sur ma messagerie électronique un courriel envoyé à douze heures quatre par M. Edwy Plenel, courriel rendu public peu après, et qui me demande de confier à un juge indépendant les investigations qu’appellent les informations qu’il détenait. Ce courriel va très loin : M. Plenel s’érige en conseiller technique, en me suggérant de confier ces investigations à M. Daïeff, vice-président chargé de l’instruction à Paris, déjà saisi d’une procédure d’information mettant en cause les pratiques de démarchage bancaire illicite et de blanchiment de la banque UBS.

À ce moment, je pouvais ne rien faire et faire dire à Mediapart qu’il lui appartiendrait d’apporter la preuve de ses allégations lors du procès en diffamation – procédure la plus habituelle, puisque le parquet, en général, ne prend pas partie dans ces affaires. Je pouvais aussi diligenter une enquête, mais alors sur quels fondements ?

Sur la fraude fiscale, le parquet ne pouvait rien faire puisqu’une plainte du ministre du budget, après avis conforme de la commission des infractions fiscales, est nécessaire. En revanche, depuis un arrêt de février 2008, la chambre criminelle de la Cour de cassation juge qu’en matière de blanchiment de fraude fiscale, la plainte préalable du ministre du budget, comme le filtre de la commission des infractions fiscales, n’ont pas à s’appliquer, et que le parquet a toujours la possibilité d’enquêter et de poursuivre le délit de blanchiment, infraction générale distincte et autonome, qui n’est donc pas soumise aux règles de procédure du livre des procédures fiscales.

J’ai d’abord exclu – et je l’ai fait savoir au juge d’instruction directement – l’hypothèse de l’ouverture d’une information chez le juge d’instruction saisi de l’affaire contre UBS : les faits allégués n’entraient pas, contrairement à ce qu’écrivait Mediapart, dans la saisine des juges d’instruction, puisque celle-ci était limitée aux personnes qui détenaient des comptes ouverts chez UBS à la suite d’opérations de démarchage illicite, élément que l’on ne retrouvait absolument pas dans ce dossier.

J’ai estimé en revanche qu’il y avait dans ce dossier un élément singulier, un élément matériel qui pouvait fonder une action de notre part : le fameux enregistrement d’une voix présentée comme étant celle de Jérôme Cahuzac. Le parquet se doit de n’avoir aucun a priori, de ne rien préjuger. Il est là pour lancer des investigations et rechercher des preuves d’infraction. Or, soit c’était bien la voix de Jérôme Cahuzac que l’on entendait, et l’enregistrement devenait alors un indice très important de la commission d’une infraction et de la réalité des allégations de Mediapart ; soit au contraire l’enregistrement était un montage, et c’était une manipulation qui aurait pu valoir à ses auteurs des poursuites pour dénonciation calomnieuse ou pour dénonciation d’un délit imaginaire. Si l’enquête ne débouchait sur rien, la procédure serait classée sans suite ; si à l’inverse les allégations de Mediapart s’avéraient fondées, il resterait à décider des suites procédurales les plus appropriées : poursuite d’enquête préliminaire ou ouverture d’une information judiciaire.

Après en avoir parlé avec mes collègues de la section financière, puis avec le parquet général, j’ai fait part oralement à mon procureur général de ma décision d’ouvrir une enquête préliminaire et de la confier à la Division nationale des investigations financières et fiscales (DNIFF) – de mémoire, c’était le lundi 31 décembre. J’ai signé un rapport écrit en ce sens le 4 janvier 2013 et l’enquête a été ouverte le 8 janvier, comme l’a annoncé le jour même un communiqué de presse du parquet de Paris.

L’enquête s’est ensuite déroulée normalement, dans les conditions que j’ai indiquées en préambule. Il me paraît important de dire aujourd’hui qu’il y a eu quelques étapes décisives pour l’orientation de la procédure et la stratégie à adopter : l’entraide pénale internationale, les résultats de l’expertise.

Le 24 janvier, le laboratoire de police technique et scientifique nous a confirmé que l’enregistrement n’avait pas été trafiqué et que, bien que de qualité médiocre, il pouvait permettre une comparaison de voix. Nous en avons rendu compte au parquet général le jour même, par un courriel envoyé à 15 h 26.

Le 31 janvier, dans l’après-midi me semble-t-il, la magistrate chargée de la communication du parquet de Paris reçoit un appel téléphonique d’un journaliste qui lui demande si nous confirmons, ou pas, la transmission par le gouvernement suisse de documents relatifs à l’affaire Cahuzac. Nous n’avons pas répondu directement – et nous avons, je crois, bien fait. Nous avons simplement répété que l’enquête judiciaire était en cours et que nous ne communiquions pas sur son contenu.

C’est en réalité seulement le lendemain matin, vendredi 1er février, que le commissaire chef de la DNIFF nous transmet par courriel, à 9 h 16, la réponse que le Département fédéral des finances suisse a adressée la veille à la Direction générale des finances publiques (DGFiP). La DGFiP a spontanément envoyé ce document à la DNIFF le matin même, à 8 h 55. Le commissaire a ensuite appelé le chef de la section financière du parquet, qui lui donne pour instruction de solliciter de la DGFiP la communication du texte de la demande adressée à la Suisse par les autorités françaises puisque nous n’avions que la réponse. Nous avisons évidemment le parquet général, par un courriel envoyé à 10 h 17. La demande faite à la Suisse nous est adressée par la DGFiP, après que la DNIFF en a demandé communication à notre requête, par courriel dès 14 h 04.

On a pu s’interroger sur la légitimité de la communication de ces pièces par Bercy: la convention d’assistance administrative en matière fiscale signée entre la France et la Suisse prévoit, comme c’est souvent le cas dans ces matières, un principe de spécialité, c’est-à-dire qu’elle interdit l’utilisation des renseignements fournis par l’État requis dans un cadre procédural autre que celui prévu par la convention d’assistance. Or l’article 28 de la Convention prévoit que ces renseignements sont destinés uniquement aux personnes et autorités concernées par l’établissement ou le recouvrement des impôts – assiette, recouvrement ou contentieux administratif sur l’impôt –, qui « ne [les] utilisent qu’à ces fins ». L’utilisation dans une procédure pénale des renseignements obtenus par le biais de cette convention est donc exclue, à moins que les autorités suisses ne l’aient autorisée.

Malgré cette difficulté, j’ai estimé que, dans la mesure où l’autorité judiciaire n’avait pas réclamé ce document mais qu’il était, un peu par accident, arrivé jusqu’à la DNIFF qui nous l’avait communiqué et que le parquet n’était pas l’auteur de la violation de la Convention, ce document constituait un renseignement comme un autre. Dans un souci de loyauté et de transparence, et en vue d’enquêter à charge comme à décharge, j’ai préféré intégrer la réponse des autorités suisses à la procédure. J’ai donc poursuivi l’enquête préliminaire.

Le 12 mars, nous avons adressé aux autorités suisses une demande d’entraide pénale internationale.

Les opérations d’expertise et de comparaison de voix touchaient alors à leur fin ; dès la fin de cette même semaine, des rumeurs annonçant leur résultat ont commencé à circuler dans la presse. Nous n’avons reçu le rapport définitif que le lundi matin 18 mars : les techniciens estimaient que « sur une échelle de -2 à +4, la comparaison se situait à +2 et que, sans une certitude absolue, le résultat de l’analyse renforçait de manière très significative l’hypothèque que Jérôme Cahuzac était le locuteur inconnu de l’enregistrement litigieux ». Le procureur général de Paris en a bien sûr été avisé, par téléphone d’abord, puis par courriel à 12 h 28.

Compte tenu de ces éléments, nous avons repris notre réflexion et estimé que l’information judiciaire constituait désormais un cadre plus approprié pour continuer les investigations, puisque nous disposions désormais d’un indice tangible de la commission d’une infraction. Nous savions, de plus, qu’une autre demande d’entraide pénale internationale, cette fois auprès de Singapour, serait nécessaire à très court terme. J’ai donc avisé le procureur général des résultats des investigations et de ma décision d’ouvrir une information judiciaire ; mon rapport écrit a été adressé au parquet général le lundi soir 18 mars à 20 h 40. Nous avons ensuite préparé un communiqué de presse contenant les éléments objectifs recueillis au cours de l’enquête, et annonçant l’ouverture de l’information. Le projet de communiqué a été adressé par courriel au parquet général le mardi 19 mars à 10 h 25, en précisant qu’il serait diffusé immédiatement après l’ouverture de l’information, qui devait intervenir en début d’après-midi.

Le 19 mars dans l’après-midi, le réquisitoire introductif a été signé, et le communiqué adressé à tous les organes de presse à 15 h 58 précisément.

M. Alain Claeys, rapporteur. Votre exposé a déjà répondu à nombre de nos questions, notamment s’agissant de la plainte en diffamation déposée par Jérôme Cahuzac.

Je voudrais vous interroger sur l’ouverture de l’enquête préliminaire, le 8 janvier 2013 – vous venez alors de recevoir la lettre de M. Plenel ; l’élément que vous retenez est l’enregistrement révélé par Mediapart.

M. François Molins. Tout à fait. Le débat public aurait pu être sans fin, ou en tout cas ne déboucher sur rien de concret pendant des mois : dans notre société démocratique, cela ne va pas sans poser problème. Or la seule personne qui aurait pu saisir la commission des infractions fiscales, c’était le ministre du budget, qui se trouvait être la personne mise en cause. C’était une situation inédite…

Le temps judiciaire n’est ni le temps médiatique, ni le temps politique. Les magistrats sont des gens responsables, et ces décisions ne sont pas de celles qui se prennent à la légère. Ma réflexion avait commencé, mais je n’étais pas encore sûr de ce que j’allais faire : j’attendais de voir comment les choses allaient évoluer.

Je n’ai pas pris ma décision à cause du courrier de M. Plenel, mais il est évident que celui-ci a contribué à accélérer les choses : dès lors que j’étais destinataire d’une lettre, il fallait que je prenne une position.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous déteniez l’enregistrement ?

M. François Molins. À cette date, non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mais M. Plenel faisait état de cet enregistrement dans sa lettre ?

M. François Molins. De mémoire, oui ; mais de toute façon, nous suivons le débat public. Les journalistes protègent leurs sources et ne disent pas comment ils ont obtenu l’enregistrement, mais nous savions à ce moment-là que Mediapart le détenait.

M. Alain Claeys, rapporteur. Trouvez-vous normal, alors qu’une enquête préliminaire est ouverte, que l’administration fiscale ait poursuivi ses investigations, notamment en formulant une demande d’échanges d’informations auprès de la Suisse ?

M. François Molins. Clairement, non.

Je ne suis à la tête du parquet de Paris que depuis un an et demi, mais je me suis renseigné pour savoir s’il existait des précédents. La culture fiscale et la culture pénale sont, vous le savez, très différentes ; elles n’ont pas les mêmes objectifs. Chacun a des obligations : nous avons l’obligation de dénoncer au fisc tous les faits qui sont de nature à constituer des fraudes fiscales ; le fisc a l’obligation de dénoncer à l’autorité judiciaire tous les éléments qui pourraient constituer des infractions de droit commun. À Paris, cela fonctionne bien : les signalements sont fréquents dans l’un et l’autre sens.

J’ai néanmoins la faiblesse de penser que, dès lors qu’on est dans un cadre pénal, malgré la sphère d’autonomie du droit pénal et du droit fiscal, quand une autorité judiciaire est chargée de mener des investigations destinées à déterminer si un crime ou un délit a été commis, elle devrait avoir le monopole de l’action et que rien ne devrait se faire sans que l’autorité judiciaire en soit avisée.

M. Alain Claeys, rapporteur. Cette démarche administrative a-t-elle retardé la procédure judiciaire ?

M. François Molins. Absolument pas. Elle intervient le 1er février, donc avant la demande d’entraide pénale, qu’elle n’a pas retardée. Nous avons seulement joint la réponse suisse au dossier, et continué les investigations dans notre logique propre, où l’élément fondamental était de savoir si l’enregistrement était réel, et si la voix du locuteur était bien celle de M. Cahuzac.

M. Alain Claeys, rapporteur. La demande d’entraide pénale est adressée à la Suisse le 12 mars : avez-vous reçu une réponse ?

M. François Molins. Oui.

M. Alain Claeys, rapporteur. Cette demande aurait-elle pu être faite plus tôt ?

M. François Molins. Cela aurait été possible, mais ç’aurait été une mauvaise chose : pour qu’une demande d’entraide internationale soit efficace, particulièrement dans le domaine fiscal ou parafiscal, il faut qu’elle soit solidement étayée pour pouvoir avancer rapidement. Nous sommes sur des terrains très sensibles, où la coopération pénale internationale n’a pas toujours la même efficacité qu’en matière de droit commun : nous avons donc pour habitude d’éviter d’irriter nos partenaires étrangers par des demandes incomplètes, qui entraînent des demandes complémentaires. Au début de l’enquête, en concertation avec la DNIFF, nous avons d’abord imaginé faire cette démarche rapidement, puis nous avons changé d’avis et préféré attendre.

Le 12 mars, nous disposions d’éléments suffisants pour que notre demande soit complète : nous pouvions alors tirer les conséquences des auditions et viser, non seulement des délits comme la fraude fiscale ou le blanchiment de fraude fiscale, mais aussi le délit de blanchiment lié à des revenus versés par des entreprises pharmaceutiques. Cela permettait notamment de sortir du champ strictement fiscal et d’éviter des difficultés. J’ai alors appelé mon collègue de Genève.

Comme c’est toujours le cas, nous avons envoyé cette demande à Genève directement, avec copie par la voie hiérarchique. L’information judiciaire a été ouverte une semaine plus tard : la demande d’entraide a été jugée tellement bien faite que le juge d’instruction n’a pas estimé utile d’en faire une nouvelle ; il l’a laissé prospérer telle quelle.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous l’envoyez le 12 mars. Quand arrive la réponse ?

M. François Molins. Elle arrive quelques jours après l’ouverture de l’information mais à ce moment-là, les choses se passent entre le juge d’instruction saisi du dossier et le procureur de Genève.

Je souligne que la demande ne se borne pas à demander si M. Cahuzac est titulaire d’un compte ou possède des avoirs ; elle est beaucoup plus large. Elle pose des questions mais vise aussi à obtenir des documents, et elle demande surtout à l’autorité judiciaire suisse d’effectuer des actes – auditions, perquisitions… Je ne peux évidemment pas rentrer ici dans les détails.

M. Alain Claeys, rapporteur. La réponse qui vous a été apportée est complète.

M. François Molins. Oui.

M. le président Charles de Courson. Vous est-elle parvenue rapidement ? Quel est le délai normal ?

M. François Molins. On peut rencontrer des situations très diverses, mais cela se passe aujourd’hui plutôt mieux qu’avant. Avec la Suisse, tout dépend de la qualité de la demande : si celle-ci ne porte que sur une fraude fiscale, il y a souvent des difficultés d’exécution ; si elle renvoie à du blanchiment ou à d’autres délits, c’est plus facile. Ici, cela a bien fonctionné.

M. Alain Claeys, rapporteur. Considérez-vous que l’expertise du support audio a été réalisée dans des délais raisonnables ?

M. François Molins. Je ne saurais pas fixer une norme, mais je crois qu’effectivement le délai était raisonnable. L’enregistrement est vieux – plus de dix ans –, même s’il a semble-t-il été réalisé par un professionnel.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour résumer, vous avez expliqué le traitement de la plainte et l’ouverture le 8 janvier d’une enquête préliminaire. Vous nous faites part de vos réserves sur la demande administrative mais vous dites qu’elle n’a pas retardé l’enquête judiciaire. C’est le résultat de l’expertise qui vous conduit, le 19 mars, à ouvrir une information judiciaire.

M. François Molins. Absolument.

M. le président Charles de Courson. Juridiquement, il y a une autonomie du droit fiscal, vous l’avez dit ; mais vous avez semblé regretter l’absence d’articulation entre les poursuites fiscales et les poursuites de droit commun. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ? Y a-t-il eu des contacts entre vous-même et le directeur général des finances publiques, qui saisit l’administration fiscale, ou son entourage ?

M. François Molins. Nous n’avons eu aucun contact avec la DGFiP.

M. le président Charles de Courson. J’ai cru comprendre que vous avez été quelque peu étonné de découvrir la demande d’entraide administrative envoyée à la Suisse par la DGFiP.

M. François Molins. J’ai effectivement été étonné de découvrir l’existence de cette démarche par des appels de journalistes, qui visiblement savaient, eux, qu’une demande avait été envoyée aux autorités suisses. Ce sont leurs questions qui nous ont mis la puce à l’oreille.

M. le président Charles de Courson. En revanche, vous êtes informé immédiatement du contenu de la réponse, le 31 janvier.

M. François Molins. La réponse des Suisses arrive à la DNIFF le 1er février à 8 h 50 et nous en sommes informés à 9 h 15.

M. le président Charles de Courson. Et c’est là une procédure normale ?

M. François Molins. Je n’en sais rien ! Je n’ai pas d’exemple, dans le fonctionnement de la section économique et financière du parquet de Paris, d’enquête diligentée dans ces matières où, parallèlement à l’enquête judiciaire, Bercy ait effectué ce type de demande. Pour nous, c’est une première !

M. le président Charles de Courson. Ce n’est jamais arrivé ?

M. François Molins. Non, pas dans les relations que nous avons avec la DGFiP. Mais je ne peux évidemment pas commenter le fonctionnement de la DGFiP.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je voudrais tout de même redire, pour l’édification de la commission, qu’il existe en France, État de droit, un principe très ancien qui remonte aux lois des 16-24 août 1790 : il peut y avoir un parallélisme parfait, une étanchéité totale, entre une procédure administrative – dont la procédure fiscale est une branche – et la procédure judiciaire. C’est la raison pour laquelle, par exemple, il peut y avoir en parallèle une procédure disciplinaire et une procédure judiciare contre un fonctionnaire. Qu’en tant que représentant de l’autorité judiciaire, M. Molins éprouve quelque chagrin à voir que la procédure judiciaire ne recouvre pas tout, je peux parfaitement le comprendre. Mais, encore une fois, cette concurrence est parfaitement conforme à toutes nos traditions et à tous nos principes depuis plus de deux siècles !

M. le président Charles de Courson. Merci de le rappeler, ma chère collègue…

Mme Marie-Françoise Bechtel. Nous perdons notre temps à nous arrêter sur des problèmes qui n’en sont pas.

Monsieur le procureur, notre commission recherche les critères qui permettent de déterminer à quel moment il est pertinent que le Gouvernement, l’administration, et l’autorité judiciaire agissent lorsque surgit une affaire sensible, mettant en cause un homme politique. D’après votre expérience, la date du 8 janvier est-elle la plus juste ? Auriez-vous pu agir différemment, plus vite ou plus lentement ?

M. François Molins. Il est très difficile de vous répondre. Globalement, j’ai le sentiment que si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. Il aurait été difficile d’agir plus tôt – la décision n’était pas facile.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Avez-vous en tête d’autres éléments de comparaison ?

M. François Molins. Je ne vois pas d’autre cas où un ministre en exercice aurait été mis en cause de cette façon.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Peut-être avec d’anciens ministres…

M. François Molins. De mémoire, non. Franchement, pour moi, c’était une situation tout à fait inédite.

M. Charles de Courson. Le fait que M. Cahuzac ait eu la responsabilité des services fiscaux pose, nous l’avons vu, des problèmes particuliers.

M. Hervé Morin. Avez-vous eu des conversations avec des collaborateurs d’autorités politiques ?

Avez-vous eu des désaccords d’appréciation avec le procureur général ?

Avez-vous transmis la réponse des Suisses à la demande d’entraide pénale à la chancellerie ?

M. François Molins. Je n’ai eu aucun contact que ce soit avec des collaborateurs politiques, que ce soit du ministère de la justice, de Matignon ou de l’Élysée. Le seul contact que j’aie eu avec la chancellerie est une conversation téléphonique d’une minute à peu près, le 18 mars en début d’après-midi : c’est d’ailleurs quelque chose de tout à fait normal ; dans une chaîne hiérarchique, il n’est pas choquant que l’on ait besoin d’un renseignement immédiat et que l’on aille directement à la source. En l’occurrence, la DACG m’a demandé les conclusions de l’expertise et ce que j’envisageais de faire : j’ai répondu que j’allais ouvrir une information judiciaire. Nous en sommes restés là.

Je n’ai reçu à aucun moment le moindre message politique que j’aurais pu de quelque façon que ce soit interpréter comme un frein à ce que j’allais faire.

Mes relations avec mon procureur général sont bonnes ; nous respectons le dialogue institutionnel. Je ne lui ai pas demandé d’instructions ; je l’ai toujours informé de mes intentions, le mettant en mesure de faire valoir ses observations. Il n’a jamais cherché à contrecarrer les décisions que j’avais prises. C’est, je crois, un fonctionnement très harmonieux.

M. Charles de Courson. Un procureur libre dans un parquet libre ?

M. François Molins. On peut le dire comme ça !

J’ajoute que, si je parle ici à la première personne du singulier, mes analyses correspondaient à celles de mon procureur adjoint financier et à celles de la section économique et financière : le travail du parquet est un travail de groupe.

S’agissant de l’entraide, nous ne transmettons aucune pièce de procédure. C’est la meilleure façon de conserver le secret, même cette notion est un peu galvaudée de nos jours… Nous avons, par contre, transmis – le jour où nous l’avons reçu, c’est-à-dire le 1er février – le résultat de la demande fiscale transmis à la DNIFF par la DGFiP mais, de mémoire, c’est la seule pièce que nous ayons transmise au parquet général.

M. Patrick Devedjian. Vous l’avez transmise au parquet, mais pas à la chancellerie.

M. François Molins. Il n’y a pas eu de relations avec la DACG.

M. Philippe Houillon. Vous avez parlé d’un enregistrement assez professionnel ; cela nous a étonnés, car à notre connaissance il a été réalisé plutôt par inadvertance. Pourriez-vous développer ce point ?

M. François Molins. Mon propos manquait de précision : ce n’est pas l’enregistrement lui-même, mais sa copie qui a été réalisée par un professionnel.

Mme Cécile Untermaier. Avez-vous connaissance d’autres demandes administratives faites à la Suisse ? Quelle est votre analyse du contenu de la demande rédigée par Bercy ?

M. François Molins. Je n’ai pas connaissance d’autres demandes. Quant à votre seconde question, il m’est bien difficile de commenter cette demande : encore une fois, nous agissons dans des cadres très différents. En matière fiscale, on demande si la personne est titulaire d’un compte ou d’avoirs ; c’est, je pense, assez formaté. En matière pénale, c’est complètement différent. Je ne peux pas rentrer dans les détails, mais vous comprendrez qu’il n’y a guère de points communs entre une demande d’assistance qui tient sur une page et se résume à quelques questions, et une demande d’entraide pénale internationale qui fait une dizaine de pages, rappelle des faits, pose des questions nombreuses. Ce sont deux procédures difficilement comparables.

Mme Cécile Untermaier. Cela expliquerait que les réponses soient différentes…

M. Charles de Courson. Comprenez, monsieur le procureur, que nous sommes troublés par le fait que la réponse à la demande d’entraide fiscale ait été négative, quand votre demande d’entraide judiciaire obtenait une réponse positive.

M. François Molins. Les questions ne sont vraiment pas posées de la même façon. Les demandes judiciaires comprennent notamment des questions sur le blanchiment : dans certains pays, notamment la Suisse, on n’est pas titulaire d’un compte d’où l’on retire facilement de l’argent ; les pratiques sont diverses et nombreuses : noms d’emprunt avec les master accounts, fausses domiciliations, ouvertures de compte au nom d’un établissement financier qui divise les comptes en sous-comptes, mécanismes d’empilage… Les questions sur ces sujets sont très précises : cela a été le cas dans ce dossier comme dans tous les autres où interviennent les juges d’instruction financiers.

M. Jean-Pierre Gorges. La copie que vous expertisez est-elle celle fournie par M. Gonelle ?

M. François Molins. Je ne peux pas vous répondre : ces informations sont couvertes par le secret de l’instruction.

M. Jean-Pierre Gorges. Pouvez-vous nous dire de quel type de support il s’agit ?

M. François Molins. Je ne peux pas non plus répondre à cette question.

M. Jean-Pierre Gorges. Je vous pose la question parce que j’étais surpris que M. Bruguière ne se rappelle pas si l’enregistrement était sur une clé USB, une disquette ou une cassette. Par ailleurs, il est toujours possible, quel que soit le système d’exploitation, de connaître la date à laquelle l’enregistrement a été fait. Avez-vous obtenu ce renseignement ?

M. François Molins. Je ne peux toujours pas vous répondre…

M. Jean-Pierre Gorges. Vous l’avez compris, il y a un débat au sein de la commission d’enquête : était-il opportun de lancer une enquête administrative dont le champ sera nécessairement très réduit par rapport à celui de l’enquête judiciaire ?

Comment avez-vous réagi en lisant l’article du Journal du Dimanche qui blanchissait M. Cahuzac, puis en entendant le Président de l’Assemblée nationale, notamment, estimer qu’il fallait cesser de parler de cette histoire ?

M. François Molins. Encore une fois, les questions posées par la DGFiP n’ont pas gêné le déroulement de l’enquête préliminaire. Ce qui est gênant, c’est d’être questionné par des journalistes qui sont en possession d’informations qui donnent à penser que des demandes ont été faites et que des réponses vont arriver : si elle répond, l’autorité judiciaire peut se trouver en porte-à-faux. J’ai donc totalement refusé de répondre à ces questions.

Il y a eu, vous avez raison, un déchaînement médiatique : je vous avoue qu’en lisant le Journal du Dimanche, j’ai eu quelques doutes ! Nous sommes des gens responsables, nous imaginons bien les conséquences politiques, le tohu-bohu qui peuvent résulter de telles affaires. Mais je savais ma démarche sérieuse.

M. Jean-Pierre Gorges. L’article du Journal du Dimanche ne pouvait-il pas arrêter votre démarche ?

M. François Molins. Non : en réfléchissant, j’en suis revenu à cet élément matériel fondamental qu’était l’enregistrement. La pièce qui revenait de Suisse était de toute façon dans le dossier. Il nous fallait seulement attendre le résultat de l’expertise en cours sur l’enregistrement.

M. le président Charles de Courson. Comment expliquez-vous qu’un journaliste vous interroge, le 31 janvier, sur un retour de l’administration suisse, alors que c’est ce même jour seulement que la DGFiP reçoit l’information ? Autrement dit, d’où peuvent venir les fuites ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur le président, vous posez des questions dont vous connaissez les réponses…

Monsieur le procureur, savez-vous si la personne concernée est informée de l’existence d’une demande d’entraide administrative à la Suisse ? La réponse elle-même lui est-elle communiquée ?

M. François Molins. Je ne suis pas spécialiste de droit fiscal, mais je pense que la procédure suisse prévoit, en cas de demande de ce type, surtout lorsque la demande peut excéder les termes d’une convention, une information de la personne concernée.

M. le président Charles de Courson. D’où pensez-vous que peut venir la fuite, puisque le DGFiP nous affirme qu’il a seul eu communication de la réponse, qu’il n’aurait montrée, sur écran, qu’à M. Pierre Moscovici et à lui seul ? D’après les affirmations de M. Bézard, faites sous serment, la fuite ne vient pas de la DGFiP.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. le procureur nous dit que M. Cahuzac a été informé par les autorités suisses.

M. François Molins. Je ne sais pas d’où peut venir la fuite, monsieur le président. Les possibilités sont nombreuses. L’emballement médiatique a été immense. Les journalistes ont été très actifs dans ce dossier ! L’un d’eux a pu apprendre qu’une demande était partie, sans pour autant savoir qu’une réponse a été apportée.

M. Jean-Pierre Gorges. Le rapporteur est-il concerné par l’impossibilité d’obtenir des informations sur le support sur lequel se trouve l’enregistrement ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Le secret de l’instruction me sera opposé !

Ce qui nous intéresse, c’est de connaître les droits de celui qui est mis en cause dans le cadre suisse. On a la certitude que Jérôme Cahuzac, ou ses conseils, ont été informés de la demande, mais pas celle qu’ils ont eu communication de la réponse apportée.

M. le président Charles de Courson. Nous devrions recevoir prochainement la réponse des autorités helvétiques sur ce point.

M. François Molins. Je confirme que, dans la mesure où la question porte sur une période qui excède celle de la convention fiscale franco-suisse, la personne concernée a la possibilité de s’opposer.

M. le président Charles de Courson. La réponse le précise, en effet.

Vous avez parlé du principe de spécialité stipulé par la convention fiscale franco-helvétique. Or vous avez eu communication de la réponse. Est-ce normal ?

M. François Molins. Non, je ne crois pas, pas sans l’autorisation de la Suisse. En tout cas, je n’aurais pas eu le droit de la demander, en vertu du principe de spécialité.

M. le président Charles de Courson. Mais alors pourquoi vous l’a-t-on transmise ?

M. François Molins. Je l’ignore, monsieur le président.

M. le président Charles de Courson. Et vous ne l’avez pas renvoyée ?

M. François Molins. Non. Nous menons une enquête qui a pour but de parvenir à la manifestation de la vérité : au nom de quoi m’opposerais-je à l’entrée dans la procédure, même si cela peut poser des problèmes, d’un document qui est finalement plus à la décharge de M. Cahuzac qu’à charge ?

M. le président Charles de Courson. D’après votre pratique de ce type d’affaires, comment s’articulent la convention de coopération fiscale et la convention de coopération judiciaire ? Nous commençons à nourrir quelques doutes sur l’efficacité de la première, mais la seconde semble bien fonctionner. Avez-vous souvent découvert par la coopération judiciaire des choses que n’avait pas révélées, ou qu’avait même démenties, la coopération fiscale ?

M. François Molins. Aujourd’hui, nous n’avons pas, au parquet de Paris, d’autre exemple d’une demande d’entraide fiscale faite alors qu’une enquête judiciaire était en cours. Il m’est très difficile de vous répondre : certainement mais il faudrait une étude plus approfondie ; je peux la demander. Encore une fois, ce sont des cadres extrêmement différents qui peuvent expliquer les différences. L’entraide fiscale se limite à la notion de titulaire de compte et d’ayant droit et ne prend pas en compte la dimension du blanchiment.

M. le président Charles de Courson. La notion d’ayant droit est-elle vraiment claire ? Il existe en effet les fiducies, les comptes globaux, omnibus,…

M. François Molins. Vous avez raison, cette notion n’est pas claire, c’est même une nébuleuse ! Elle renvoie à un grand nombre de montages financiers possibles.

M. Étienne Blanc. La mise en place d’un procureur financier indépendant aurait-elle pu accélérer la procédure, améliorer son fonctionnement ? Vous aurait-elle permis d’obtenir plus facilement gain de cause ? Vous ne verrez bien sûr aucune malice dans ma question, qui ne sort pas du sujet : avec un parquet enfin indépendant, rapide et efficace, connaîtrions-nous plus vite la vérité ?

M. Alain Claeys, rapporteur. En l’occurrence, il me semble que le parquet a agi de façon parfaitement indépendante.

M. François Molins. La justice, monsieur le député, n’aurait fonctionné ni mieux ni moins bien. Dans le projet de loi actuellement en discussion, les garanties de compétence et d’indépendance sont strictement identiques à celles de l’actuel procureur de Paris.

M. le président Charles de Courson. Merci, monsieur le procureur, de votre franchise, de votre clarté et de votre précision.