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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 2 juillet 2013

Séance de 8 heures 45

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique, et Christian Hirsoil, sous-directeur de l’information générale

M. le président Charles de Courson. Nous recevons ce matin MM. Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique, et Christian Hirsoil, sous-directeur de l’information générale.

La commission d’enquête a entendu, le 11 juin dernier, M. Patrick Calvar, le directeur central du renseignement intérieur. Bien que cette audition se soit déroulée sous le régime du secret, je n’en trahis aucun en vous disant que M. Calvar nous a confirmé avoir fait faire des recherches dans les archives de son service, dans le courant du mois de décembre, afin de savoir si celui-ci disposait d’informations relatives à l’affaire Cahuzac. Il nous a indiqué que le nom de celui qui était alors ministre délégué en charge du budget n’y apparaissait nulle part et que la note réalisée à l’issue de ces recherches rapportait exclusivement des informations sur les pratiques de la banque UBS en France. Cette note a d’ailleurs été transmise à notre commission d’enquête et le nom de Jérôme Cahuzac n’y figure effectivement pas.

M. Calvar nous a rappelé les missions confiées à sa direction centrale pour expliquer l’absence d’informations sur cette affaire. Il semble que la sous-direction de l’information générale (SDIG) avait, davantage que la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), vocation à disposer de renseignements dans ce domaine. C’est pourquoi nous avons souhaité vous entendre ce matin : ce que cette sous-direction a fait – ou n’a pas fait – après les révélations du 4 décembre dernier pourrait en effet relever des éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État.

(MM. Pascal Lalle et Christian Hirsoil prêtent serment.)

M. Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique. En qualité de directeur central de la sécurité publique, j’ai autorité sur la sous-direction de l’information générale, dont les compétences sont clairement définies : elle est chargée de recueillir des informations, de les analyser et d’informer le Gouvernement et ses représentants dans les départements, sur différentes questions de société – dérives sectaires et religions, racisme et xénophobie, anticipation et prévision des grands rassemblements de foule. Elle travaille également sur des sujets tels que la défense de l’environnement, l’économie locale, la vie des entreprises, les professions réglementées, les activités revendicatives des syndicats… Elle surveille enfin ce qu’il est convenu d’appeler les « dérives urbaines », tâche qui recouvre le suivi des différentes communautés et minorités ainsi que des quartiers « sensibles » où est présente une économie souterraine. J’ajoute qu’un travail du même ordre est assuré outre-mer par une division spécialisée.

En ce qui concerne l’objet de votre commission, nous n’avons pas travaillé sur la situation du ministre délégué chargé du budget ; nous n’avons reçu aucune demande en ce sens.

Le seul événement qui a été porté à notre connaissance s’est déroulé le 7 décembre 2012 au palais de justice d’Agen. Le directeur départemental de la sécurité publique du Lot-et-Garonne a appris que Me Gonelle, avocat, avait, dans les couloirs du palais de justice, sollicité du brigadier-chef chargé d’organiser la surveillance des audiences la permission d’utiliser le téléphone portable de celui-ci, qui a accepté. Ce policier a ensuite reçu un message sur ce même téléphone : il émanait de M. Edwy Plenel, de Mediapart, qui rappelait après avoir lui-même été appelé depuis ce portable. Le policier a rappelé le numéro qui s’affichait pour préciser que ce téléphone avait été prêté à Me Gonelle, qu’il fallait rappeler directement.

Cet événement nous a été rapporté – nous avons, vous le savez, une culture du compte rendu – et j’en ai fait part au directeur de cabinet du directeur général de la police nationale dès que je l’ai appris.

M. Christian Hirsoil, sous-directeur de l’information générale. Je n’ai rien à ajouter, si ce n’est que nous n’avons reçu absolument aucune information du service local d’information générale au sujet de cette affaire. Le domaine politique est, je le rappelle, exclu de notre champ de compétences.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avant la réforme du 1er juillet 2008, vos missions étaient remplies par la direction centrale des renseignements généraux (DCRG). La SDIG a-t-elle récupéré les archives de ce service ?

M. Christian Hirsoil. Nous avons effectivement reçu une partie des archives des anciens renseignements généraux : au 1er juillet 2008, un tri a été effectué dans ces archives pour séparer ce qui revenait à la DCRI de ce qui revenait à la SDIG.

Après l’échec du projet de fichier EDVIGE (Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale), nous avons effectué un tri plus prononcé, et toutes les archives comportant des données personnelles qui ne se rapportaient pas strictement à des menaces directes à l’ordre public ont été versées à la mission nationale des archives. À l’heure actuelle, toutes les archives dont nous disposons relèvent donc de notre champ de compétence.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous ne disposez donc plus de renseignements personnels ?

M. Christian Hirsoil. C’est cela.

M. Alain Claeys, rapporteur. S’agissant du fait du 7 décembre, pourquoi êtes-vous alors destinataires d’une note ?

M. Pascal Lalle. Il ne s’agit pas d’une note, mais d’un simple compte rendu du directeur départemental de la sécurité publique du Lot-et-Garonne.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous-même faites alors une note pour le directeur de cabinet du directeur général de la police nationale…

M. Pascal Lalle. Non, je lui rapporte les faits par téléphone.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous n’avez donc aucun renseignement concernant Jérôme Cahuzac dans vos archives. Il est étonnant que votre direction n’ait rédigé aucune note, alors que la DCRI – dont ce n’est pas le rôle – en a fait une, à la demande de la direction centrale : comment l’expliquez-vous ?

M. Pascal Lalle. Je ne peux expliquer que ce qui concerne l’activité de ma direction. Nous n’avons reçu aucune demande d’information ou de note spécifique émanant du directeur général de la police nationale ; je n’ai donc pas sollicité de travail sur cette question. Et aucune information ne nous est remontée, de manière spontanée ou non, du service départemental d’information générale du Lot-et-Garonne.

M. Alain Claeys, rapporteur. D’après votre expérience, est-il courant que rien ne soit fait sur des sujets comme celui-ci, alors que la DCRI recueille, de son côté, des renseignements ?

M. Pascal Lalle. Je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire comment la DCRI a été sollicitée.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous n’avez donc aucune information sur Jérôme Cahuzac, même dans vos archives ? Aucune autre information que celle concernant ce coup de téléphone ne vous est arrivée ?

M. Pascal Lalle. Absolument. C’est le seul événement qui m’ait été relaté.

M. le président Charles de Courson. Dans un message électronique du 11 décembre 2012, dont Mediapart a révélé l'existence, la chef de cabinet de M. Cahuzac, Mme Marie-Hélène Valente, rend compte au ministre délégué d'une conversation téléphonique qu'elle vient d'avoir avec le directeur de cabinet du préfet du Lot-et-Garonne, qui lui a appris que Michel Gonelle avait tenté de joindre Edwy Plenel sur le portable professionnel d'un policier. Elle indique qu'elle « attend la copie du rapport officiel du DDSP », c'est-à-dire du directeur département de la sécurité publique. Lors de son audition, Mme Valente nous a dit qu'elle n'avait jamais eu communication de ce rapport. Ce rapport a-t-il effectivement été rédigé ? S’il l’a été, pourriez-vous nous le communiquer ?

M. Pascal Lalle. Ce rapport existe maintenant, mais il n’a pas été rédigé immédiatement après les faits : je ne l’ai demandé au directeur départemental du Lot-et-Garonne que dans le courant du mois de mai. Il est daté du 21 mai. Je peux bien sûr vous le communiquer.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous effectué des recherches sur Jérôme Cahuzac dans vos archives ?

M. Pascal Lalle. Non, monsieur le rapporteur.

Mme Cécile Untermaier. Je suis surprise que vous ayez reçu cette information tout à fait mineure selon laquelle Michel Gonelle aurait utilisé le téléphone d’un brigadier-chef dans la salle des pas perdus d’un tribunal. Comment expliquez-vous que cette information vous revienne ? Pourquoi demandez-vous ensuite un rapport, sur un sujet qui ne relève pas de vos compétences ?

M. Pascal Lalle. Je l’ai dit, la police nationale a une culture du compte rendu. Il est évident que le directeur départemental ne peut pas laisser cette histoire de côté – le 7 décembre, on parle de l’affaire Cahuzac dans la presse. Il fait donc logiquement le lien avec le contexte médiatique, et il est tout à fait normal qu’il en rende compte, ce qu’il fait de manière purement factuelle : il explique pourquoi un téléphone administratif, confié à un brigadier-chef de police qui a une responsabilité dans un tribunal, a pu être utilisé par une personne dont on parle dans les médias.

Mme Cécile Untermaier. Cet incident fait l’objet d’un rapport : celui-ci est maintenant classé quelque part dans vos archives. Vous disposez donc bien d’informations sur une personne.

M. Pascal Lalle. Je remettrai ce rapport à la commission : vous verrez qu’il ne contient pas d’autres informations que celles relatives à l’utilisation du téléphone.

M. Christian Hirsoil. Il faut bien préciser qu’il ne s’agit ici que d’un rapport administratif du directeur départemental de la sécurité publique à M. le directeur central. Ce n’est pas une note d’information générale, et ce rapport n’est donc pas classé parmi nos notes d’information générale.

Mme Cécile Untermaier. Disposez-vous des informations demandées à la DCRI ?

M. Pascal Lalle. Non.

Mme Cécile Untermaier. Peut-on en conclure que la demande faite à la DCRI était fondée ?

M. Pascal Lalle. Je ne suis pas qualifié pour porter une appréciation sur le fondement de cette demande.

Mme Cécile Untermaier. Le ministère de l’intérieur dispose-t-il d’informations sur les ministres, actuels ou anciens ?

M. Pascal Lalle. Ma direction ne dispose pas de fiches sur les ministres.

M. Christian Hirsoil. La SDIG existe depuis cinq ans, et elle n’a jamais disposé de telles fiches. Je n’ai dans mon bureau que l’affiche réalisée par les services de Matignon, avec les photographies des ministres en poste…

M. Hervé Morin. Quel est le sens de la réforme des renseignements généraux, et pourquoi la petite SDIG n’a-t-elle pas rejoint la DCRI comme le reste des RG ?

M. Pascal Lalle. Cela résulte d’une réforme préparée depuis 2007 et entrée en vigueur le 1er juillet 2008, qui avait pour objectif de renforcer la capacité des services de police en matière de protection des institutions et de contre-ingérence. L’ancienne direction de la surveillance du territoire (DST) et l’ancienne DCRG ont donc été fusionnées ; dans ce cadre, certaines des missions naguère dévolues aux renseignements généraux, pour l’essentiel celles qui se déroulent en « milieu ouvert » ou qui concernent le suivi de l’information économique et sociale, sont revenues à la nouvelle SDIG. Celle-ci a été placée sous l’autorité du directeur central de la sécurité publique, puisque ce service travaille en milieu ouvert et a besoin de la forte assise territoriale dont dispose la sécurité publique grâce à ses directions départementales et à ses commissariats de police.

M. Hervé Morin. Le renseignement est recueilli pour l’essentiel en milieu ouvert : je ne comprends donc pas bien la différence entre les missions de la DCRI et celles de la SDIG… Et la DCRI nous dit que d’éventuelles enquêtes politiques ne relèvent pas de ses missions, mais de celles de la SDIG. Il est curieux que le discours tenu par les deux services soit différent.

M. Alain Claeys, rapporteur. Le directeur de la DCRI a bien précisé qu’une partie des renseignements généraux était demeurée à la SDIG.

M. Hervé Morin. La DCRI a clairement renvoyé la balle à la SDIG.

M. Pascal Lalle. La SDIG n’a jamais eu pour compétence de travailler dans le domaine politique, qu’il s’agisse des partis politiques ou des individus engagés en politique. Même l’ancienne DCRG avait instruction, depuis 1995, de ne plus travailler dans ce domaine-là.

Mme Marie-Christine Dalloz. Cela veut-il dire qu’aujourd’hui, il n’y a plus aucune enquête sur des sujets sensibles en matière politique ?

M. Hervé Morin. Tout cela, vous le reconnaîtrez, est un peu ubuesque : lorsque j’étais au Gouvernement, je me suis opposé à la création du fichier EDVIGE, qui était tout de même poussé par vos services, et qui visait à rassembler des renseignements très divers, politiques, syndicaux, associatifs, jusqu’à des renseignements extrêmement personnels
– marque de la voiture ou orientation sexuelle ! Entre le fichier EDVIGE que voulait mettre en place Claude Guéant et le discours tenu aujourd’hui, il me semble qu’il y a quelque incohérence…

Mme Marie-Christine Dalloz. Officiellement, personne ne s’occupe de ces sujets, en tout cas. Vous dites qu’il n’y a pas de fiches sur les ministres : j’ai du mal à l’imaginer. Dans chaque préfecture, il y a des fiches sur les parlementaires et sur les maires des grandes villes ! De tels renseignements auraient pu éviter le scandale que nous avons connu.

M. Pascal Lalle. Je confirme que la SDIG ne dispose pas de fiches sur les ministres. En cinq ans d’existence, elle n’en a jamais disposé.

M. le président Charles de Courson. Voici exactement ce que m’a répondu M. Calvar lorsque je lui ai demandé s’il ne disposait pas d’éléments sur Jérôme Cahuzac : « Je suis le chef de la DCRI. Il y a une sous-direction de l’information générale dont cela peut être le travail, mais ce n’est pas le mien. »

M. Pascal Lalle. Je vous confirme que de telles enquêtes ne font pas partie des compétences de la SDIG – ni de la direction centrale de la sécurité publique.

M. le président Charles de Courson. Il n’y a donc plus aucun service de l’État capable d’avertir le Gouvernement que – par exemple – tel ministre pose problème ?

M. Pascal Lalle. D’après mes connaissances, c’est bien cela.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous n’avez pas été saisis de cette affaire, mais la DCRI l’a été, alors même qu’elle dit n’avoir pas à connaître ce type d’affaire. Connaissez-vous d’autres cas similaires ?

M. Pascal Lalle. J’ignore totalement ce dont est saisie la DCRI. Lorsqu’elle l’est par la direction générale de la police nationale, je ne suis pas informé de la teneur de la demande.

M. Alain Claeys, rapporteur. N’existe-t-il pas de coordination entre la DCRI et vos propres services ? Rassurez-moi.

M. Pascal Lalle. Un dispositif de liaison et d’échange d’informations dans nos domaines de compétences a été mis en place.

M. Alain Claeys, rapporteur. Fonctionne-t-il de façon optimale ?

M. Pascal Lalle. Il est récent, puisqu’il date du 1er décembre 2012. Il évolue de façon très positive.

M. le président Charles de Courson. Cela veut-il dire qu’avant le mois de décembre 2012, il n’y avait aucune coordination ?

M. Pascal Lalle. Depuis décembre 2012, nous avons renforcé les échanges d’informations entre la DCRI et la SDIG, dans les deux sens, dans des domaines où nos compétences peuvent se chevaucher. En revanche, il n’y a pas de coordination sur les missions : j’ignore totalement quelles commandes sont faites à la DCRI par la direction générale de la police nationale ou par le Gouvernement.

M. Hervé Morin. À aucun moment vous n’avez l’idée de demander une enquête sur l’affaire Cahuzac ou de faire faire des recherches dans les archives, et vous estimez que c’est normal, compte tenu de vos compétences. Mais est-ce qu’il ne pourrait pas venir à l’idée du ministre de l’intérieur d’interroger vos services ?

M. Pascal Lalle. Ni le ministre de l’intérieur, ni le directeur général de la police nationale ne m’ont interrogé.

M. Hervé Morin. Et vous n’agissez pas de vous-même ?

M. Pascal Lalle. Encore une fois, cela ne fait pas partie de nos compétences, et je pense que chacun tient compte de celles-ci pour nous donner des instructions.

M. Étienne Blanc. Une pratique ancienne, qui m’a été confirmée, veut qu’à l’occasion de chaque élection, une sorte de note blanche – quelques pages, non signées, rassemblant des informations très diverses, des bruits, des ouï-dire – soit rédigée sur tous les candidats. Elle est envoyée à la préfecture ou à la sous-préfecture. Plusieurs personnes m’ont contacté pour souligner qu’il est impensable qu’aucune note de cette nature n’ait existé à propos de M. Cahuzac. Connaissez-vous cette pratique ?

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, ne serait-il pas utile d’interroger les services de l’État pour savoir si cette note existe, et le cas échéant, ne pourrions-nous pas nous la procurer ?

M. Christian Hirsoil. S’agissant du « dossier départemental », nous n’en sommes plus chargés. Les renseignements généraux alimentaient effectivement ce dossier, qui faisait un panorama du département ; ce travail a depuis été repris par les préfectures et sous-préfectures. Il n’y a donc rien de tel dans les archives de la SDIG.

M. Alain Claeys, rapporteur. À qui ces informations sont-elles ensuite transmises ?

M. Christian Hirsoil. Elles remontent jusqu’au préfet, je pense – pas jusqu’au niveau national. Ces fiches concernent l’ensemble des élus du département ; elles présentent aussi le département de façon plus générale : c’est un dossier technique.

M. Alain Claeys, rapporteur. Nous allons de notre côté demander au préfet du Lot-et-Garonne et au sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot s’il existe une fiche au nom de Jérôme Cahuzac.