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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 16 juillet 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, garde des Sceaux

M. le président Charles de Courson. Avant de procéder à l’audition de Mme la garde des Sceaux – que je remercie pour sa présence –, notre rapporteur souhaite faire une déclaration à la Commission.

M. Alain Claeys, rapporteur. Comme sans doute beaucoup d’entre vous, j’ai reçu hier un courriel de la part de Mediapart m’invitant, le mercredi 17 juillet à onze heures, à une conférence de presse organisée conjointement par Mediapart, M. Charles de Courson, président de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac, et M. Yann Galut, rapporteur du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale.

Dans un souci de transparence, je tiens à vous informer que je n’irai pas à cette conférence de presse. La presse est libre dans notre pays, et Mediapart a amplement démontré – notamment dans l’affaire Cahuzac – ses capacités de révélation. Cependant, dans le cadre de notre Commission d’enquête, nous avons depuis le départ choisi nos auditions en commun, et je souhaite qu’il en reste ainsi. Si ce support de presse dispose d’informations supplémentaires, nous pouvons en auditionner à nouveau les journalistes. C’est le cadre que je me suis fixé, en tant que rapporteur, et que j’entends respecter jusqu’au bout de notre travail.

M. le président Charles de Courson. J’ai été averti de cet événement samedi. Des journalistes m’ont appris que M. Condamin-Gerbier, que nous avions auditionné, se trouvait en détention provisoire en Suisse, en vertu de l’article 273 du code pénal helvétique qui stipule : « Celui qui aura cherché à découvrir un secret de fabrication ou d’affaires pour le rendre accessible à un organisme officiel ou privé étranger, ou à une entreprise privée étrangère, ou à leurs agents, celui qui aura rendu accessible un secret de fabrication ou d’affaires à un organisme officiel ou privé étranger, ou à une entreprise privée étrangère, ou à leurs agents, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire ou, dans les cas graves, d’une peine privative de liberté d’un an au moins. En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire peut également être prononcée ».

Cet article justifie, certes, l’ouverture d’une instruction pénale contre M. Condamin-Gerbier pour service de renseignements économiques ; en dévoilant certaines informations – notamment la fameuse liste de personnalités impliquées dans la fraude fiscale –, il n’a clairement pas respecté le secret professionnel, même au regard du droit français. Cependant, dans la mesure où il a été auditionné par les commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale, son arrestation pose problème en matière de relations entre la France et la Confédération helvétique. Hervé Falciani – protagoniste d’une autre affaire – a demandé et obtenu la protection des autorités françaises ; si chacun est libre d’aller ou non à cette conférence – qui n’est pas liée à l’activité de notre Commission –, ne devrions-nous pas attirer l’attention du Gouvernement, et notamment de Mme la garde des Sceaux, sur la nécessité d’assurer la protection des personnes auditionnées par les commissions parlementaires ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Nous étudierons les démarches juridiques nécessaires, en lien avec la garde des Sceaux et le Gouvernement ; mais je n’irai pas à cette conférence de presse où je suis invité en tant que membre de la Commission.

M. le président Charles de Courson. Chacun est libre de ses décisions, mais la conférence n’interfère en rien avec nos travaux. En revanche, la mise en détention provisoire d’une personne qui révèle des pratiques illégales au regard du droit français pose problème, d’autant que M. Condamin-Gerbier est citoyen français. Le Gouvernement ne devrait-il pas mener une action à l’égard de la Confédération helvétique ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il ne faudrait pas se tromper de débat. L’emprisonnement de M. Condamin-Gerbier en Suisse ne concerne pas notre Commission. En revanche, la tenue de cette conférence de presse me paraît grave. Je rejoins notre rapporteur pour exprimer mon étonnement et mon indignation de voir deux députés de cette Assemblée – l’un de la majorité, l’autre de l’opposition – se faire convoquer par Mediapart, un des objets de notre investigation. En effet, nous devons nous prononcer sur le moment que Mediapart a choisi pour révéler ses informations, le caractère complet ou tronqué de ces dernières, et la manière dont ce site d’information s’est comporté vis-à-vis des différents acteurs que nous auditionnons. Cette démarche me semble déontologiquement incompatible avec l’objet de notre Commission, voire avec l’appartenance au Parlement, et vous me voyez navrée du comportement de ces deux députés, et en particulier de notre président. Leur participation à cet événement conduit à préjuger l’issue de nos travaux, d’autant que nous ignorons ce que Mediapart compte annoncer à cette occasion.

M. le président Charles de Courson. Avant de prononcer des jugements aussi péremptoires, vous devriez lire les textes. L’invitation de Mediapart est ainsi formulée : « Nous souhaitons vous associer à cette conférence de presse. En tant que membre de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, votre présence nous semble importante pour mieux informer sur la problématique de la défense des lanceurs d’alerte ». Il s’agit de se pencher sur le statut des salariés des banques suisses qui ont apporté des informations aux autorités françaises. M. Falciani a été emprisonné pour avoir révélé la « liste HSBC », et voilà qu’aujourd’hui M. Condamin-Gerbier se trouve à son tour en détention provisoire. Le problème général des lanceurs d’alerte est indépendant de l’objet de notre Commission d’enquête ; par ailleurs, je respecte la liberté de chacun.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je ne souhaite aucune polémique mais pour les raisons que j’ai évoquées, je n’assisterai pas à cette conférence de presse. Il faut être clair, elle est organisée conjointement par Yann Galut, député socialiste et rapporteur du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, Charles de Courson, député UDI et président de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac, et Mediapart.

M. le président Charles de Courson. La conférence concerne l’opportunité d’accorder aux lanceurs d’alerte un statut protecteur, dont les modalités et l’extension restent à définir. En quoi cela interfère-t-il avec les travaux de notre Commission d’enquête ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Les « textes » que vous avez évoqués se résument donc à une lettre !

M. Georges Fenech. Depuis la commission d’enquête relative à l’influence des sectes, toutes les personnes auditionnées bénéficient d’une immunité totale sur le territoire national. Mais en quoi sommes-nous concernés par la décision d’une autorité judiciaire étrangère ? Je suis moi aussi réservé quant à l’opportunité, pour le président de notre Commission d’enquête, de participer à une conférence de presse liée – même indirectement – à l’objet de notre enquête, et pouvant interférer avec nos travaux.

M. le président Charles de Courson. Mon statut de président de cette Commission d’enquête ne m’empêche pas de rester un homme libre. Le statut juridique des lanceurs d’alerte représente un véritable problème. Pour la deuxième fois – voire davantage, car d’autres exemples ont existé dans le passé –, un citoyen français ayant travaillé en Suisse est mis en détention provisoire pour avoir révélé à l’administration française et au Parlement français des cas de collaboration dans la fraude fiscale. En quoi ce sujet interfère-t-il avec les travaux de notre Commission ?

En revanche, chacun étant maître de ses décisions, je respecte le refus de notre rapporteur de se rendre à cette conférence de presse. Pour ma part, étant libre de mes propos à l’extérieur de cette Commission, j’irai exprimer ce que je pense concernant la nécessaire protection des lanceurs d’alerte.

Madame la ministre, cette Commission d’enquête a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de « l’affaire Cahuzac ». Sans aborder les éléments de fond de l’enquête, qui relèvent du secret de l’instruction, nous souhaitons mieux comprendre comment cette affaire très délicate a été conduite, notamment par la justice.

(Mme Christiane Taubira prête serment.)

Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, garde des Sceaux. Je commencerai par vous expliquer la relation qui lie le ministre, le parquet général et le parquet, le rôle que la chancellerie peut tenir dans une affaire comme celle-ci, et les formes possibles d’intervention au cours du déroulement d’une procédure. J’évoquerai également le cadre dans lequel s’est effectuée la remontée d’information du parquet général vers la chancellerie, son contenu et l’usage qui en a été fait.

Votre Commission étend ses investigations sur une période qui s’étend du premier article de Mediapart jusqu’à la fin provisoire de la procédure, c’est bien parce que les faits sont d’abord rendus publics dans les médias, avant de faire l’objet d’un premier acte judiciaire – la plainte en diffamation déposée par le ministre mis en cause. Cette plainte m’est soumise pour transmission au parquet général sur la base du 1° bis de l’article 48 de la loi du 29 juillet 1881, et transmise sous signature de mon directeur de cabinet, mais sous ma responsabilité. La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) s’est alors posé la question de savoir si cette transmission devait ou non être effectuée par le garde des Sceaux. La jurisprudence est recherchée, elle n’existe pas. Reste que le rôle du garde des Sceaux en cette occasion consiste à transmettre la plainte sans prendre le risque de dépasser les délais de prescription, et surtout sans entraver la liberté du procureur. La plainte de M. Cahuzac – qui n’a été rédigée ni par la chancellerie, ni même par le ministre mis en cause, mais par ses avocats, lesquels sont indépendants – est donc transmise par mon cabinet au procureur général, qui la transmet au procureur, qui en a évalué la recevabilité.

De façon générale, la remontée d’information suit un cadre juridique organisé, reposant sur l’article 5 de l’ordonnance de 1958 et sur les articles 30 et suivants du code de procédure pénale. Sa dimension opérationnelle est précisée dans le protocole du 27 novembre 2006, sur lequel nous travaillons depuis que le Gouvernement a décidé d’inscrire dans le code de procédure pénale l’interdiction des instructions individuelles. Un projet de loi en ce sens suit actuellement les étapes de la navette parlementaire, la deuxième lecture au Sénat étant prévue pour cet après-midi.

Le parquet général transmet des notes de synthèse à la DACG, qui en fait suivre quelques éléments au cabinet. Le volume assez conséquent de l’information transmise se justifiait à une époque où le garde des Sceaux pouvait donner au parquet des instructions individuelles ; avec leur disparition, et pour soulager les parquets, les parquets généraux et l’administration, de la masse d’informations à collecter ou à traiter, nous estimons possible de le diviser au moins par deux.

Plusieurs paramètres interviennent dans la sélection des informations par les parquets généraux, puis par l’administration qui les transmet au cabinet, enfin par le cabinet qui me les livre : la gravité des faits, la qualité des personnes pouvant être mises en cause ou celle des victimes, le lieu de l’infraction, le nombre de victimes, le caractère prioritaire de l’incrimination au regard des orientations de politique pénale, sa relation avec un problème juridique particulier, la nécessité d’une entraide internationale, les risques de médiatisation ou une médiatisation effective. Les informations qui me sont transmises servent à préciser les orientations de politique pénale, à déployer des moyens à la mesure d’une affaire – comme dans le procès de la société Poly Implant Prothèse (PIP) –, à répondre à la représentation nationale lors des questions d’actualité, questions orales sans débat ou questions écrites, mais également aux particuliers ou associations qui sollicitent le Président de la République – directement ou par le biais du garde des Sceaux –, à définir des modifications de textes – l’affaire d’Uzbin en Afghanistan a par exemple eu des répercussions sur la loi de programmation militaire –, et à ajuster nos procédures avec les pays étrangers dans le cadre de l’entraide internationale.

Dans le cas de l’affaire Cahuzac, après la transmission par la chancellerie de la plainte en diffamation du ministre du budget au parquet, le procureur de la République a rapidement requalifié la plainte, estimant qu’il s’agissait d’une diffamation publique envers un particulier, et non envers un membre du Gouvernement. Il n’y a aucune conséquence à cela. Quelques temps après, M. Cahuzac a présenté une autre plainte conforme à cette requalification. À partir de là, nous avons été informés des procédures, à titre de confirmation ; en effet, vu la médiatisation intense de cette affaire, nous devions vérifier l’exactitude des informations qui paraissaient dans la presse – par exemple l’annonce d’ouverture d’une enquête préliminaire –, afin, notamment, de pouvoir répondre à la représentation nationale. En revanche, nous ne recevions pas d’informations antérieurement à la réalisation des actes en question.

Plusieurs échanges d’information entre le parquet général et la DACG d’une part, la DACG et le cabinet d’autre part, ont concerné des sujets techniques et juridiques, notamment à propos de la loi du 29 juillet 1881 – la référence juridique de cette affaire –, dont les magistrats s’accordent à reconnaître la complexité, due à de nombreuses mesures dérogatoires. Les informations qui me sont parvenues – et que j’aurais pu utiliser pour répondre à la représentation nationale ou pour permettre au Premier ministre de confirmer ou d’infirmer une annonce – concernaient les grandes avancées de la procédure, lorsqu’elles avaient déjà eu lieu – auditions importantes, ouvertures d’enquête préliminaire ou d’information judiciaire –, ainsi que la date présumée du retour de l’enregistrement du laboratoire où il avait été envoyé pour expertise. Nous nous sommes aussi fait envoyer un communiqué de presse du procureur pour être sûrs que ce qui avait été dit de sa déclaration correspondait bien à la réalité de ces propos.

M. Alain Claeys, rapporteur. Madame la ministre, vous dites avoir été informée de l’évolution des procédures telles que le dépôt, par M. Jérôme Cahuzac, de la plainte en diffamation. Avez-vous transmis ces informations à certains de vos collègues ministres, au Premier ministre ou au Président de la République ?

Mme la garde des Sceaux. Je n’ai transmis aucune information au Président de la République, ni aux autres ministres, y compris l’intéressé. À quatre reprises – trois fois par texto, une fois par le biais d’un appel –, j’ai brièvement informé le Premier ministre des grandes avancées de la procédure, notamment de l’ouverture effective de l’enquête préliminaire, que la presse avait annoncée deux jours plus tôt. Le procureur et le procureur général vous ont d’ailleurs confirmé qu’ils n’avaient pas reçu d’instruction individuelle dans ce dossier, et qu’ils ne m’ont pas transmis les informations à l’avance.

M. Alain Claeys, rapporteur. Entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, M. Jérôme Cahuzac ou ses collaborateurs ont-ils eu, avec vous ou avec votre cabinet, des contacts en lien avec les révélations de Mediapart ?

Mme la garde des Sceaux. Pas du tout. Je n’ai pas discuté de cette affaire avec Jérôme Cahuzac. Le 4 décembre, Mediapart publie son article retentissant ; le 6 décembre, M. Cahuzac dépose plainte ; puis viennent ses dénégations devant l’Assemblée nationale. J’essayais de me faire confirmer les informations publiées dans la presse, de façon à en informer le Premier ministre qui pouvait ensuite en tirer les conséquences et prendre des décisions politiques. En effet, il existe des règles, y compris non écrites, dans notre pays – je pense à la jurisprudence Balladur-Jospin –, l’usage obligeant à écarter un ministre mis en cause. Si cette démarche soulève des questions sur la présomption d’innocence – certains membres du Gouvernement mis en cause ayant ensuite été blanchis par la justice –, l’on ne cependant pas aborder cette question quand elle concerne des responsables au plus haut niveau, qui représentent la France et parlent au nom de la puissance publique, comme on le ferait pour un citoyen.

Mon seul souci a consisté à ne pas être tributaire exclusivement des informations diffusées dans la presse, et à choisir les points sur lesquels il fallait confirmer l’état des procédures au Premier ministre. Je n’en ai pas parlé avec le ministre du budget, d’autant que pas plus que vous, je n’avais de raison d’interroger les déclarations qu’il avait faites devant l’Assemblée nationale. À mes yeux, il fallait simplement que la justice fasse correctement son travail – et elle l’a fait. La diligence avec laquelle cette affaire a été traitée par le parquet, à différentes étapes, est quasiment sans précédent par rapport à des affaires comparables. C’est par exemple le parquet qui a soumis l’enregistrement à l’expertise, et donc la justice qui a apporté la preuve de l’absence de diffamation, alors que dans notre droit, en vertu du principe de l’exceptio veritatis, c’est à la personne qui met en cause de le faire. Je vous affirme sous serment que je n’ai rien transmis à M. Cahuzac, ni discuté de cette affaire avec lui, ni avec son cabinet.

M. Alain Claeys, rapporteur. Votre cabinet a interrogé une douzaine de fois la DACG ; a-t-il, à un moment ou un autre, pris contact directement avec le procureur général ou avec le procureur de Paris ?

Mme la garde des Sceaux. Pas que je sache. Le procureur et le procureur général ont dit ne pas avoir eu de contacts avec mon cabinet. Ils en avaient eu un, en revanche, avec la directrice de la DACG, qui vous l’a d’ailleurs confirmé. L’appel de la directrice – justifié par l’urgence et le caractère exceptionnel de la situation – est intervenu le 18 mars, parce que la presse affirmait que la voix sur l’enregistrement avait été identifiée comme étant celle du ministre du budget. Le lendemain, celui-ci a été invité à démissionner.

M. Alain Claeys, rapporteur. Votre cabinet a-t-il demandé à la DACG la liste des auditions et investigations envisagées ?

Mme la garde des Sceaux. À ma connaissance, non. Comme je vous l’ai indiqué, si le parquet transmet des notes de synthèse à la DACG, seules me parviennent des alertes qui le méritent ; à moi de juger ensuite s’il faut ou non en parler au Premier ministre, sans l’informer systématiquement. J’ai, par exemple, estimé utile de transmettre l’information relative à l’audition de M. Gonelle : je suis informé qu’il a été entendu – pas qu’il va l’être – et qu’il a déposé une copie de l’enregistrement que le parquet a décidé de faire expertiser.

M. Alain Claeys, rapporteur. Un point a retenu à plusieurs reprises l’attention de notre Commission. Le 1er février, après avoir eu connaissance de la réponse apportée par les autorités suisses à la demande d’entraide fiscale, le pôle financier du parquet de Paris a demandé à la DACG si cette réponse pouvait être versée à la procédure judiciaire. La DACG a préparé une réponse – qui faisait part de ses réserves – qu’elle a d’abord transmise à votre cabinet, mais celui-ci n’a pas réagi. Faut-il y voir le souci de ne pas intervenir, même très indirectement, dans la procédure ou une approbation tacite du contenu de la note ?

Mme la garde des Sceaux. Lorsqu’elle est nécessaire, l’approbation du cabinet doit toujours être explicite, une approbation tacite reviendrait à renvoyer à l’administration une responsabilité qui relève du cabinet.

Sur la question que vous évoquez, le cabinet n’avait pas à intervenir. Il s’agissait d’une expertise juridique et il est normal que le procureur général ait interrogé la DACG. Je répète aux procureurs qu’ils doivent s’adosser à l’administration – y compris dans les affaires économiques et civiles –, interroger la direction des affaires civiles ou la DACG, et solliciter leur expertise juridique et technique. En juin 2012, quand j’ai demandé au ministère public d’être présent dans les procédures collectives, j’ai rappelé au ministère public qu’il pouvait le faire. Mais, il y a des questions dont le cabinet n’a pas à se mêler et il le sait très bien. En effet, nous avons annoncé dès le début que nous ne ferions pas d’instructions individuelles, ni n’interférerions avec les procédures, et qu’il fallait veiller à ne pas y être amenés même par maladresse ou par inadvertance.

Le cabinet n’avait donc pas à se prononcer sur cette question. Je n’ai su que par la suite que le procureur général l’avait posée à la DACG. Qu’en dépit de l’avis réservé de celle-ci, le procureur de la République ait décidé de verser la pièce au dossier constitue d’ailleurs la preuve de la liberté du parquet général et du parquet.

M. Alain Claeys, rapporteur. Le parquet de Paris a-t-il été informé de la demande d’entraide fiscale ?

Mme la garde des Sceaux. M. Molins a indiqué qu’il n’en avait pas été informé. La chancellerie ne l’a pas été non plus. L’administration n’a eu connaissance de cette demande que du fait de la réponse des autorités suisses.

M. le président Charles de Courson. Estimez-vous normal que votre administration n’ait pas été tenue au courant de la saisine ?

Mme la garde des Sceaux. Même si l’on peut considérer l’administration fiscale aurait pu avertir l’administration de la justice, on ne peut pas lui faire grief de ne pas l’avoir fait, car il s’agit de procédures de nature différente. La jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question remonte à 1974, réitéré ensuite en 1996, 2006 et 2012, preuve d’une véritable constance. La Cour considère que la procédure fiscale qui vise à définir l’assiette et le montant de l’impôt est une procédure administrative, donc autonome par rapport à la procédure pénale. La Cour estime d’ailleurs que cette autonomie est compatible avec les termes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le Conseil constitutionnel s’est également prononcé en 1997, en mettant en avant le principe de proportionnalité : si l’autonomie des procédures fait que la personne mise en cause peut subir des sanctions à la fois pénales et fiscales, le Conseil enjoint de veiller à ce que le total des sanctions ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. Peut-être aurait-elle dû le faire mais l’administration fiscale est parfaitement fondée, en droit, à introduire une procédure sans nous en informer.

M. Alain Claeys, rapporteur. Plus généralement, jugez-vous normal que l’administration fiscale ait poursuivi ses investigations, notamment en formulant une demande d’échange d’informations auprès de la Suisse, alors que l’enquête préliminaire était engagée ?

Mme la garde des Sceaux. En toute sincérité, on aurait sans doute pu avoir un avis sur le moment mais c’était impossible puisqu’on ignorait cette procédure ; le seul enjeu important a posteriori reste de savoir si cette enquête fiscale a, d’une façon ou d’une autre, entravé ou fragilisé l’enquête pénale. La réponse est incontestablement négative. Par conséquent, puisque c’était possible en droit et qu’il n’y a pas eu de préjudice dans les faits, que faut-il reprocher à l’administration fiscale ? D’ailleurs, si elle avait choisi de ne pas introduire de procédure, on n’aurait pas manqué de lui en faire grief.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous connaissance de précédents où une enquête de coopération fiscale ait été déclenchée en même temps qu’une procédure pénale ?

Mme la garde des Sceaux. On ne m’a pas indiqué de précédents contraires. Cette démarche relève de l’usage lors de grands accidents ferroviaires ou d’avion. Ainsi, dans le drame de Brétigny-sur-Orge, à côté des enquêtes pénales d’ores et déjà ouvertes, on mènera une enquête administrative. Les conséquences qu’impliquent les affaires pénales et fiscales sont de nature très différente, et une « négociation fiscale » entre l’administration et une personne convaincue de fraude n’interdit pas une sanction pénale.

M. le président Charles de Courson. Connaissez-vous d’autres cas où le parquet n’aurait pas été informé d’une saisine par voie fiscale ? Existe-t-il des précédents où, comme dans cette affaire, la saisine de l’administration fiscale helvétique serait déclenchée huit ou dix jours après l’ouverture de l’enquête préliminaire ?

Mme la garde des Sceaux. On ne m’a pas rapporté de précédents contraires, qui montreraient que dans cette affaire, on a agi contre le droit ou en dehors des pratiques d’usage. Le ministre de l’économie et des finances en parlera plus savamment, mais cette demande était tout à fait concevable dans le cadre des conventions entre la Suisse et la France. L’administration fiscale avait le droit de faire ce qu’elle a fait, et n’était pas tenue de m’en informer. Je n’ai pas d’exemple.

M. le président Charles de Courson. C’est donc, à votre connaissance, le seul cas où l’on ait agi de la sorte ?

Mme la garde des Sceaux. Non, je pense au contraire que c’est l’usage. Je me renseignerai sur les précédents, et si jamais on trouve un cas où le ministre s’est interdit d’ouvrir l’enquête fiscale, ou bien où le parquet avait été informé, je vous le transmettrai par écrit.

M. Alain Claeys, rapporteur. Le 12 mars 2013, le parquet de Paris a adressé aux autorités judiciaires de Genève une demande d’entraide pénale. Comment qualifieriez-vous la coopération pénale avec la Suisse ?

Mme la garde des Sceaux. Je ne crois pas avoir qualité pour le faire. En tant que ministre de la justice, je dirai simplement qu’au regard des termes des conventions franco-suisses, les choses se passent correctement et, dans cette affaire, les délais de procédures ont été particulièrement satisfaisants.

M. Alain Claeys, rapporteur. Êtes-vous intervenue auprès de votre homologue suisse ?

Mme la garde des Sceaux. Non, je n’ai pas eu à le faire et je n’ai pas à le faire. Seules quelques procédures – comme l’extradition – exigent l’intervention du ministre ; l’entraide pénale concernant la collaboration entre deux autorités judiciaires, je n’avais aucune raison de contacter le ministre de la justice suisse. Il revient au procureur ou au procureur général de faire le nécessaire, et éventuellement de nous avertir s’ils rencontrent des difficultés – ce qui n’a manifestement pas été le cas. Ils ont même signalé que les commissions rogatoires internationales sont d’habitude traitées dans des délais plus longs.

En revanche, des progrès restent à faire sur le contenu des conventions qui définissent les obligations mutuelles.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ma dernière question dépasse l’objet de notre Commission d’enquête. Quelle protection la France peut-elle offrir aux lanceurs d’alerte au niveau international, par exemple à travers les conventions avec la Suisse ?

Mme la garde des Sceaux. En matière internationale, la prudence impose de s’en remettre à l’expertise juridique. Le sujet, actuellement débattu à l’échelle nationale, se révèle complexe, certains faisant valoir qu’il ne faudrait pas rendre le statut de lanceur d’alerte trop large, en l’étendant à trop d’infractions, au risque de le diluer ou de le faire subrepticement basculer vers la délation. À l’échelle internationale, nous agissons dans le cadre de nos accords bilatéraux ou multilatéraux ; je veillerai à lancer rapidement une expertise sur la question puisque la décision des autorités suisses de placer M. Condamin-Gerbier en détention provisoire ravive le sujet. Je ne sais d’ailleurs pas s’il doit être considéré comme un lanceur d’alerte ; mais il a fourni des informations qui peuvent permettre à la justice d’identifier des incriminations et leurs auteurs.

M. le président Charles de Courson. À partir de quelle date avez-vous eu des doutes quant à la véracité des déclarations de Jérôme Cahuzac selon lesquelles il ne détenait aucun avoir non déclaré à l’étranger ?

Mme la garde des Sceaux. Puisque j’ai décidé de dire la vérité, je vous dis toute la vérité. Ce n’était pas une préoccupation. Pour moi, il fallait que la justice fasse son travail et je ne me suis pas posée pour me demander si Jérôme Cahuzac était coupable ou non. La justice avançait, Cahuzac niait, je n’ai pas fait d’analyse de ses dénégations. A posteriori oui, mais sur le moment, sincèrement, non. À aucun moment je ne me pose la question. Je me souviens du 18 mars, où s’enchaînent les réunions à la chancellerie. Comme je n’ai presque jamais mon portable, je découvre vers le milieu de l’après-midi, parmi les quatre ou cinq notes qui me sont signalées, le résultat de l’expertise, transmise par la police scientifique et technique à l’autorité judiciaire, et qui se situe à mi-chemin du vraisemblable et du non vraisemblable. Je ne suis donc pas plus avancée et je ne m’interroge pas, même à ce moment-là, d’autant que, je le rappelle, l’information judiciaire est ouverte contre X, ce qui permet de penser que le parquet s’interroge, même après le retour d’expertise. Le Premier ministre prendra alors ses responsabilités puisque le ministre du budget est amené à démissionner. Je ne peux pas vous indiquer à quel moment j’ai commencé à douter parce que ce serait faux. Je ne me suis pas non plus demandé s’il disait vrai, d’ailleurs. Ce n’était vraiment pas mon souci.

Mme Cécile Untermaier. Madame la ministre, merci pour vos propos clairs, notamment concernant les procédures administrative et judiciaire. J’espère que le rapport retiendra l’explication que vous avez donnée, qui est tout à fait satisfaisante. Si dysfonctionnements il y a, ce ne sont pas ceux de la justice. On mesure la qualité des travaux menés depuis mai 2012 dans le sens de l’indépendance de la justice.

En tant que garde des Sceaux, n’avez-vous pas été surprise que Jérôme Cahuzac ne porte pas plainte pour faux et usage de faux à raison de l’enregistrement évoqué par Mediapart dès le lendemain de l’article publié ?

Ne trouvez-vous pas regrettable qu’il ait fallu, même si ce n’est peut-être pas le seul élément, la lettre de Mediapart du 27 décembre pour que l’enquête préliminaire soit ouverte ?

Enfin, on conçoit bien que l’affaire n’ait pas été la préoccupation majeure des membres du Gouvernement, attelés à leur tâche.

Donc je souhaiterais avoir votre avis sur l’articulation entre la procédure judiciaire et la procédure fiscale, au moins pour les préconisations du rapport de la commission d’enquête.

Mme la garde des Sceaux. Franchement, je ne me suis pas posé la question de la plainte pour faux et usage de faux. Je n’ai pas lu la plainte en diffamation, un vrai « pavé ». Je l’ai transmise, c’est mon rôle, comme j’ai transmis pour M. Montebourg il y a quelques mois, ou pour M. Moscovici contre un hebdomadaire aussi. Je n’ai pas poussé plus avant la curiosité, je n’ai d’ailleurs pas la disponibilité de le faire. La plainte a été rédigée par un avocat, sous sa responsabilité et celle du mise en cause.

Il est important de rappeler que l’affaire a démarré sur une base médiatique – et non judiciaire –. La plainte a été déposé à la suite de l’article « Le compte suisse du ministre du budget ». Celui-ci envoie à la garde des Sceaux une plainte à transmettre. La DACG a le réflexe de s’interroger pour savoir si c’est en tant que ministre ou de particulier qu’il est visé. En l’absence de jurisprudence, l’alternative consiste, pour le ministre, soit à prendre le risque d’en construire une, soit à transmettre en neutralité, ce que nous avons fait, en veillant à éviter la prescription – de trois mois dans les deux cas de figure –, et conscients que le procureur a toute liberté pour requalifier la plainte le cas échéant. Ce qui m’a été expliqué, par la suite, c’est que la première plainte faisait référence à plusieurs articles de la loi de 1881 et que le procureur a lui-même sélectionné ceux qui étaient pertinents. À ce moment-là, je ne me suis pas demandé si la procédure suivie était la bonne ou pas.

Et heureusement ! Si j’avais cherché à savoir si c’était, ou non, la bonne qualification, on me reprocherait aujourd'hui de m’être mêlée de l’efficacité de la plainte d’un ministre contre un média. Le risque, c’était tout de même la nullité. Le procureur aurait pu ne pas poursuivre s’il avait jugé que la qualification n’était pas la bonne, mais il a préféré requalifier, comme il en a le droit. Je suis contente de m’en être tenue à une stricte neutralité. Sinon, j’aurais aujourd'hui à expliquer pourquoi j’ai fait du zèle en vérifiant si la plainte était susceptible d’aboutir.

Concernant l’enquête préliminaire, je rappelle que, le 23 décembre, deux plaintes ont été reçues, mais elles n’ont pas encore donné lieu à la fixation de la consignation – s’agissant de la désignation du juge d’instruction, je ne suis pas sûre. Le procureur aurait déjà pu décider d’ouvrir une enquête préliminaire mais, alors, on n’aurait pas été exactement conforme au droit, c’est ce que j’ai expliqué à propos de l’exceptio veritatis : normalement, c’est à l’accusateur qu’incombe la charge de la preuve. On peut réinterpréter les faits à la lumière de ce qui a suivi, mais, le 23 décembre, il n’y a rien d’autre que les deux plaintes en diffamation. Et le 8 janvier, à la suite de la lettre de Mediapart, le procureur décide d’ouvrir l’enquête préliminaire et d’apporter la preuve, par l’expertise, que l’accusation portée par les médias est fondée.

L’enquête administrative possible en droit n’a pas fragilisé la procédure pénale. Pour le bon fonctionnement de l’État et des institutions, c’était peut-être mieux de les mener en parallèle. C’est d’ailleurs une des questions que nous nous posons dans le cadre des débats sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Avec le ministre du budget, nous avons mis en place un dispositif d’échange d’informations entre l’administration fiscale et la justice à propos des signalements faits par l’administration fiscale, pour améliorer les choses. Cela dit, rien n’interdit de réfléchir à une obligation d’information.

M. le président Charles de Courson. Pensez-vous préférable de maintenir le statu quo, c'est-à-dire de ne pas interdire de mener parallèlement les deux enquêtes, même si, d’après le procureur de Paris, cela ne se fait pratiquement jamais, ou faut-il suspendre l’enquête fiscale en cas d’enquête préliminaire ?

Mme la garde des Sceaux. Je croyais avoir dit qu’il avait le droit de le faire, même si on peut considérer que ce n’est pas satisfaisant. J’ai évoqué le texte sur la fraude fiscale à la faveur duquel, avec mon collègue du budget, nous préparons une circulaire commune qui, par exemple en incluant des magistrats de l’ordre judiciaire dans la commission des infractions fiscales, mettra en place des dispositifs permettant l’échange d’informations.

Il y a deux questions : l’échange d’informations en respectant l’autonomie des procédures et la suspension de la procédure fiscale en cas de procédure pénale. Je n’ai pas de doctrine en la matière parce qu’on ne manquerait pas de m’objecter la capacité de l’administration fiscale à percevoir l’impôt et les pénalités. Pourquoi la procédure pénale devrait-elle geler les actions en recouvrement, alors que la procédure fiscale n’a pas d’effet délétère sur la procédure pénale ? La réponse n’est pas binaire.

Mme Marie-Françoise Bechtel. La commission a déjà soulevé la question. Il y a dans la conception française de la séparation des pouvoirs une stricte distinction entre la procédure administrative et la procédure judiciaire. Et si, un jour, celle-ci devait suspendre celle-là, on ne pourrait plus, par exemple, engager de poursuites disciplinaires – de nature administrative – contre un fonctionnaire au motif qu’il fait l’objet d’une procédure pénale.

Je remercie Mme la garde des Sceaux de la clarté de ses propos qui n’en a pas altéré l’énergie. C’est la première fois qu’une commission d’enquête intervient a posteriori pour examiner dans quelles conditions le Gouvernement et l’administration ont répondu à la mise en cause d’abord médiatique, ensuite pénale d’un membre du Gouvernement. Nous cherchons des critères quant à la rapidité de leur action. Mes deux questions sont les deux faces d’un même problème.

Vous avez rappelé que, dès votre arrivée au ministère, vous aviez donné des instructions extrêmement claires pour que les parquets agissent en toute indépendance et que seule l’information nécessaire remonte à votre cabinet. Avez-vous eu besoin de rappeler fortement ces consignes, voire de les réitérer, parce que, précédemment, un tel comportement n’allait pas de soi ? En d’autres termes, dans un passé récent, les procédures auraient pu être beaucoup plus longues, voire retardées par le garde des Sceaux.

Avez-vous le sentiment que la justice a agi, dans cette affaire, avec une diligence exceptionnelle ?

Mme la garde des Sceaux. J’ai dit, en arrivant, qu’il fallait être très vigilant sur les comportements et sur les propos, simplement parce que nous rompions avec une pratique qui était totalement légale. Le code de procédure pénale autorisant les instructions individuelles, les parquets et les parquets généraux étaient habitués ou s’attendaient à en recevoir dans les procédures pénales. Il m’a fallu l’expliquer à l’administration, et aussi réunir régulièrement les procureurs et les procureurs généraux, en moyenne tous les deux mois, à partir du mois de juin, pour étudier l’organisation du travail dans ce contexte nouveau. Pour ces raisons, j’ai fait preuve de pédagogie, au strict sens de la répétition. J’ai dit à chacun de se réorganiser sachant qu’il n’y aurait plus d’instruction individuelle, ce qui suppose, de la part des procureurs généraux, une attention plus grande encore, une implication plus forte encore en matière d’animation et de coordination de l’action publique, une responsabilité plus clairement assumée en matière d’instruction données aux parquets – en ce qui les concerne, écrite et versée au dossier, comme le prévoit le code de procédure pénale. Et nous leur exprimons la confiance que nous leur faisons dans la remontée des informations.

Ces dernières années, ont été menées des procédures extrêmement sensibles, à forte intensité médiatique, comme Clearstream, Karachi, les frégates de Taïwan, HSBC, etc., dans lesquelles le garde des Sceaux était fondé à donner des instructions individuelles. Il était donc important de rappeler nos principes mais il a été vite évident que tout le monde avait compris. Pour réorganiser le travail dans le ressort des juridictions, j’ai mis en place des groupes de travail, la commission Nadal, qui étudie le champ de compétence du ministère public, l’organisation des parquets, les relations avec les autres partenaires – la direction de la police financière etc… de façon à pouvoir fonctionner sans instruction individuelle.

La justice a-t-elle été diligente ? Incontestablement, oui. Le seul mérite de la chancellerie, c’est d’avoir suivi les engagements du Président de la République, de ne pas avoir entravé la justice. Nous avons même facilité son travail puisque nous sommes vigilants à affecter les effectifs et les moyens en fonction des procédures sensibles. Mais l’essentiel du mérite revient au ministère public.

M. Georges Fenech. Une simple remarque, d’abord, sur votre analyse, madame la garde des Sceaux. Selon vous, la procédure fiscale, parallèle, voire concurrente à la procédure pénale, n’a pas préjudicié à l’enquête judiciaire. Pourtant, François Molins nous a dit avoir éprouvé des doutes à la lecture du JDD. Il n’y a pas eu préjudice, mais il aurait pu y en avoir un.

Confirmez-vous n’avoir eu aucun contact avec vos collègues du Gouvernement à propos de cette affaire, que ce soit M. Valls ou M. Moscovici ? En somme, une « muraille de Chine » a-t-elle été dressée entre vous et eux ?

Que pensez-vous de l’article 40 du code de procédure pénale étant précisé que la Présidence de la République était manifestement informée, au moins en la personne de son secrétaire général par Me Gonelle de la détention d’un compte à l’étranger par M. Cahuzac ? Disposiez-vous de cette information ? Que pense la garde des Sceaux de la non-application de l’article 40 par les services de l’Élysée ?

Que pensez-vous du Président de la République annonçant des mesures, immédiatement après le déclenchement de l’affaire, notamment la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ? Estimez-vous, en tant que garde des Sceaux, que le CSM a une quelconque responsabilité dans l’affaire Cahuzac ? A-t-il, dans sa forme actuelle, manqué de vigilance dans son rôle de garant de l’indépendance de la justice ?

Enfin, vous nous avez dit que l’expertise de l’enregistrement avait conclu à une chance sur deux. En réalité, c’est davantage puisque les experts parlent de 60 %. Une fois au courant, puisque c’est à partir du résultat de l’expertise que l’étau judiciaire va se resserrer autour de Jérôme Cahuzac, informez-vous le Premier ministre de ses conclusions de façon que des conséquences politiques puissent être tirées ? On a le sentiment que les membres du Gouvernement sont, pour ainsi dire, tétanisés et qu’ils n’osent pas prendre d’initiative. D’ailleurs, vous déclarez vous-même ne pas vous interroger ! Alors que toute la presse en parle, que l’affaire est évoquée au Parlement, tout semble freiné par la crainte. L’expertise constitue une étape dans le dévoilement du mensonge du M. Cahuzac. Puisque vous en connaissez le résultat, le transmettez-vous au Premier ministre ?

Mme la garde des Sceaux. S’agissant de la procédure fiscale, M. Molins s’est dit surpris d’apprendre l’existence de la procédure, mais il déclare clairement qu’elle n’a pas préjudicié à son enquête. Je veux bien que vous extrapoliez mais le responsable de la procédure vous a déclaré sous serment que cela n’a pas eu de conséquence ! Je veux bien répondre sur ce qu’il faudrait faire à l’avenir, mais, quant à ce qui s’est passé, je ne peux pas mieux dire que M. Molins. Tout le reste n’est qu’hypothèses !

M. Alain Claeys, rapporteur. Je cite la question et la réponse de M. Molins : – question – « Trouvez-vous normal, alors qu’une enquête préliminaire est ouverte, que l’administration fiscale ait poursuivi ses investigations, notamment en formulant une demande d’échange d’informations auprès de la Suisse ? » – réponse de François Molins – « Clairement, non. Je ne suis à la tête du parquet de Paris que depuis un an et demi, mais je me suis renseigné pour savoir s’il existait des précédents. La culture fiscale et la culture pénale sont, vous le savez, très différentes ; elles n’ont pas les mêmes objectifs. Chacun a des obligations : nous avons l’obligation de dénoncer au fisc tous les faits qui sont de nature à constituer des fraudes fiscales ; le fisc a l’obligation de dénoncer à l’autorité judiciaire tous les éléments qui pourraient constituer des infractions de droit commun. À Paris, cela fonctionne bien, les signalements sont fréquents dans l’un et l’autre sens. » Je poursuis par une autre question : « Cette démarche administrative a-t-elle retardé la procédure judiciaire ? » Réponse du procureur : « Absolument pas. Elle intervient le 1er février, donc avant la demande d’entraide pénale qu’elle n’a pas retardée. Nous avons seulement joint la réponse suisse au dossier, et continué les investigations dans notre logique propre, où l’élément fondamental était de savoir si l’enregistrement était réel et si la voix du locuteur était bien celle de M. Cahuzac. »

Mme la garde des Sceaux. J’ajoute que les éléments de la procédure pénale ne peuvent pas servir à l’administration fiscale car cela empêcherait la perception de l’impôt.

Enfin, que cela vous étonne ou vous déplaise, monsieur le député, je n’ai pas eu de contacts avec mes collègues ! Je n’ai jamais parlé de cette affaire, ni avec M. Valls, ni avec M. Moscovici. Jamais ! Et ce n’est pas une question de « muraille de Chine ». Ma responsabilité, c’est que la justice fonctionne. Et il se trouve qu’elle a bien fonctionné ! Qu’elle a été efficace ! Qu’elle a été diligente ! Je n’ai pas de conversations avec mes collègues ministres sur les procédures judiciaires. Nous avons autre chose à faire. Que cela change des habitudes, je veux bien en convenir, monsieur le député, mais je vous répète que je n’ai pas eu d’échanges ni avec M. Valls, ni avec M. Moscovici, ni avec M. Cahuzac, ni avec personne d’autre. Et je dépose sous serment.

Avant que vous m’interrogiez, j’ai déclaré que j’estimais de ma responsabilité, lorsque la presse faisait état d’une enquête préliminaire, d’en informer le Premier ministre. Il est à longueur de temps soumis à des questions ; il est donc important qu’il sache si, oui ou non, il y a enquête préliminaire. Plus de huit jours avant le retour de l’expertise, un média a annoncé que la voix de l’enregistrement était bien celle du ministre. Ma responsabilité était bien de tenir le Premier ministre informé de ce que l’expertise ne nous était pas revenue à cette date. C’est tout ! C’est un fonctionnement normal, raisonnable et responsable.

Quant à l’article 40, à ma connaissance, vous avez auditionné une personne dont il a été indiqué qu’elle avait reçu un appel de M. Gonelle. La question vaut pour elle, pas pour les services du Président de la République. Vous avez dû lui poser les questions qui convenaient. Je ne suis pas venue commenter le comportement de tel ou tel.

Vous vous obstinez, monsieur le député, à lier la réforme du CSM à l’affaire Cahuzac. L’engagement n° 51 du Président de la République, pendant sa campagne de réformer le CSM, ne vaut pas pour vous ; les déclarations faites au mois de juin par ma voix, par le Premier ministre et par le Président de la République ne valent pas. L’élaboration du texte en juin 2012, les consultations ouvertes depuis octobre 2012, cela ne vaut pas pour vous ! La présentation du texte au Conseil d’État, avant la procédure Cahuzac, non plus ! Si vous persistez à faire le rapprochement entre la réforme du CSM et l’affaire Cahuzac, c’est votre liberté, mais ne me demandez pas d’inventer un roman ! Le CSM n’est pas concerné, et je ne vais pas faire des gammes sur ce qu’il aurait fait, n’a pas fait, a mal fait ! Cela n’est pas la première fois que vous liez l’affaire Cahuzac à l’engagement pris par le Président de la République, avant le 8 mai 2012, de réformer le CSM.

Concernant l’expertise de l’enregistrement, vous dites 60 %, mais, moi, je n’en sais rien. Je sais seulement que l’expertise est revenue et qu’elle ne concluait pas formellement dans un sens ou dans un autre. C’est pourquoi j’ai dit qu’elle était à mi-chemin.

M. Charles de Courson. L’échelle de l’évaluation va de – 2 à + 4, et la note des experts est + 2. Voilà les faits.

Mme la garde des Sceaux. Pourquoi dire que nous aurions été « tétanisés » ? Je me suis seulement assurée que la justice fonctionnait. Et je suis fière, même si le mérite en revient essentiellement au ministère public, que la justice ait fonctionné de cette façon parce que, en d’autres temps, sur des affaires de ce type, il y aurait risque de démembrement de la procédure, de délocalisation, et d’instruction individuelle – sans qu’elle soit nécessairement écrite ou versée au dossier.

M. Jean-Marc Germain. Une remarque, d’abord. On peut tout à fait suspendre la procédure administrative, comme on le fait pour des contentieux visant des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, quand une enquête pénale est en cours pour pouvoir qualifier les faits. Et c’est ce qui se passe, j’imagine, pour tirer les conséquences en termes de redressement fiscal du compte non déclaré de M. Cahuzac puisque c’est la justice qui va tirer l’affaire au clair.

Vous estimez de votre responsabilité, madame la garde des Sceaux, d’être agnostique à propos de l’existence d’un compte non déclaré au nom de M. Cahuzac, et de laisser travailler la justice. Avez-vous eu connaissance de la réponse à la demande d’entraide administrative, au moins par des moyens indirects comme l’article du JDD ? Comment l’avez-vous analysée ? Et quelle a été votre réaction ?

Mme la garde des Sceaux. Je n’ai pas eu connaissance de la réponse par l’administration fiscale. J’ai su par la suite que le procureur général se demandait si elle devait être versée au dossier. Je me suis juste assurée que les procédures avaient été respectées, c'est-à-dire que l’administration fiscale n’avait pas obligation de nous prévenir. Elle a considéré qu’il était de sa responsabilité de saisir les autorités suisses. Je ne suis pas allée plus loin.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous lu la réponse ?

Mme la garde des Sceaux. Non, même après. Je vais passer pour un animal étrange, mais je ne suis pas en responsabilité des affaires fiscales.

M. le président Charles de Courson. Il y avait une note qui est remontée au cabinet…

Mme la garde des Sceaux. Non ! La note n’est pas remontée au cabinet. Le procureur général a interrogé la DACG – et je n’en ai pas connaissance, ce qui est normal – quant à savoir s’il fallait verser les éléments au dossier. Et la DACG interroge le cabinet sur la question du Procureur, qui ne répond pas. Ce n’est pas une note qui remonte au cabinet.

M. le président Charles de Courson. La division nationale des investigations financières et fiscales (DNIFF) transmet au procureur la réponse – qui n’a pas eu la question. Il hésite et saisit la DACG par une note dont on nous a dit qu’elle avait été transmise à votre cabinet. Notre rapporteur vous a posé la question tout à l’heure, d’où celle de M. Germain, qui est tout à fait légitime : « Avez-vous eu, vous ou votre cabinet, le texte de la réponse ? »

M. Jean-Marc Germain. Comme la réponse était publique avec le JDD, autour du 1er février, je vous demandais si vous aviez eu connaissance directement de ces informations et comment vous aviez réagi. Le procureur général nous a bien dit que cette information n’avait pas eu d’influence sur le cours de l’enquête et il nous a expliqué que son intime conviction s’était forgée au moment du retour de l’expertise de l’enregistrement. Je voulais savoir si vous aviez eu une réaction particulière même si vous vous étiez fixé comme ligne de conduite de ne pas vous faire d’opinion et de laisser travailler la justice.

Mme la garde des Sceaux. Je n’en ai pas eu connaissance, je n’ai pas cherché à savoir. Si je l’avais fait, peut-être aurais-je su mais je ne vois pas quel usage j’en aurais fait.

M. le président Charles de Courson. Peu importe, mais M. Germain est libre de poser des questions.

Mme la garde des Sceaux. Quand on travaille vingt heures par jour, on a autre chose à faire.

M. Jean-Marc Germain. Je partage votre attitude, madame la ministre, et, à votre niveau de responsabilité, il est très important de faire la part de ce qui relève de sa responsabilité en tant que chef d’une administration et des questions d’ordre politique que tout un chacun peut se poser.

Ma deuxième question rejoint celle de M. Fenech à laquelle vous avez largement répondu. À partir du résultat de l’expertise, dont vous avez été informée le 18 dans la soirée, et qui vous laisse partagée, puisqu’il n’est pas formel, comment les événements s’enchaînent-ils, depuis ce moment jusqu’à l’ouverture de l’information judiciaire puis à la démission du ministre ?

Mme la garde des Sceaux. Je ne suis pas informée de l’information judiciaire. J’apprends le 18 mars assez tard dans la journée, du retour de l’expertise, qui était annoncée dans toute la presse pour le 15 mars, et dont un média déclarait depuis dix jours qu’elle confirmait que c’était bien Jérôme Chauzac. L’information judiciaire est ouverte le lendemain. Je le déclare sous serment : je n’ai eu aucune information avant que l’acte ait été accompli. Et je ne suis pas la seule à le dire, puisque le procureur et le procureur général vous l’ont dit aussi. À ce stade, le Premier ministre estime que des décisions doivent être prises vis-à-vis du ministre.

Ça peut vous paraître étonnant que je n’aie pas passé mes journées à suivre l’affaire, mais c’est ainsi. Entre le 19 mars – ouverture d’une information judiciaire contre X, je le répète – et le 2 avril où un média révèle que le ministre serait mis en examen –, je n’ai aucune information. Même lorsque les procédures sont lancées, je n’ai pas d’information. Autant le parquet peut me confirmer qu’il a ouvert une enquête préliminaire, autant les juges d’instruction n’informent pas de leurs actes de procédure. Le 2 avril, la presse sait des choses que le parquet n’est pas en mesure de me confirmer.

M. Daniel Fasquelle. Madame la ministre, nous sommes en droit de vous poser des questions même si certaines d’entre elles vous déplaisent. Vous n’avez pas à répondre sur le ton agressif que vous avez utilisé envers M. Fenech. Nous sommes ici pour avoir un échange et toutes les questions posées méritent une réponse.

La plainte de Jérôme Cahuzac a été déposée sur le fondement de l’article 48 1°bis de la loi de 1881 qui protège les membres du Gouvernement. Or, ce n’est pas en tant que tel que Jérôme Cahuzac était visé, mais à titre personnel à raison d’un compte à l’étranger non déclaré. Vous trouvez qu’il n’y a pas eu de dysfonctionnement et que tout était normal. Il y a tout de même un « conflit d’intérêts » entre le ministre et le contribuable Cahuzac, selon l’expression d’Edwy Plenel qui se demandait pourquoi la DACG avait laissé passer la plainte sans réagir. Il a constaté qu’une deuxième plainte avait été déposée par Jérôme Cahuzac, mais elle n’a jamais été signifiée à Edwy Plenel. Il y a bien là un dysfonctionnement, en dépit de vos affirmations selon lesquelles tout va bien et que tout s’est bien passé.

Vous dites que la plainte a été requalifiée, mais je n’ai pas les moyens de vérifier immédiatement, je ne sais pas si c’était même juridiquement possible, et si elle l’a été. Confirmez-vous ?

Mme la garde des Sceaux. Monsieur le député, j’ai répondu à toutes les questions qui m’ont été posées. Que mes réponses ne vous conviennent pas, je veux bien l’entendre. Mon ton me revient : je réponds sur le fond avec le ton qui sied à une commission d’enquête mais si, comme M. Fenech, on me fait un procès d’intention en mettant en cause le CSM et le Gouvernement, taxé d’opportunisme, je réponds sur le ton qui convient à une accusation répétitive, itérative, obstinée. Que mon ton ne vous plaise pas, j’en suis profondément désolée, mais je mets dans ma réponse l’énergie que je juge nécessaire.

Concernant les plaintes, non, il n’y a pas eu de dysfonctionnement, même si cela vous déplaît aussi, sans doute. Et s’il y en a eu, signalez les moi !

Je ne vois pas le conflit d’intérêts parce qu’une plainte a été transmise selon la voie prévue à l’article 48 1°bis de la loi de 1881.

Oui, le procureur a requalifié et il a la latitude pour le faire. Dans le cas contraire, les avocats de M. Cahuzac auraient invoqué la nullité. Je ne sais pas pourquoi M. Edwy Plenel n’a pas été informé de la deuxième plainte, mais ce n’est pas à moi d’informer les parties à une procédure.

M. Daniel Fasquelle. Sans l’obstination de Mediapart, et si Edwy Plenel n’avait pas interpellé le procureur, en lui fournissant certains éléments, il n’y aurait peut-être pas eu d’enquête préliminaire. Comment expliquer la situation ? J’y vois un très grave dysfonctionnement. La preuve, c’est qu’on a une enquête administrative qui peut susciter les doutes les plus sérieux. De son côté, le Président de la République est informé en décembre par la presse, Michel Gonelle et d’autres canaux – Edwy Plenel dit, et je suis d’accord, que qui voulait savoir pouvait savoir fin décembre. Et le pouvoir ne réagit pas. La question n’est pas de savoir si la justice a subi ou non des pressions, mais de savoir si, informé de faits délictueux extrêmement graves, il a alerté ou non la justice. Pour moi, il y a dysfonctionnement dès lors que le pouvoir n’a pas transmis à la justice les informations qu’il avait. Confirmez-vous qu’on aurait pu, en interrogeant un procureur en Suisse et en passant par la voie judiciaire, faire la lumière beaucoup plus rapidement sur l’affaire Cahuzac ? Pourquoi surtout un tel attentisme de la part du Gouvernement ?

Mme la garde des Sceaux. Je vois où vous voulez en venir : charger le Président de la République de choses qui ne relèvent pas de lui, et le Gouvernement de l’entraide judiciaire et pénale qui ne relève pas non plus de lui. N’ayant pas la moindre chance de vous convaincre, je ne me fixe donc pas cette ambition.

Reprenons les séquences. Lorsque Mediapart écrit le 23 décembre, il y a deux plaintes en diffamation qui n’ont pas encore donné lieu à désignation d’un juge d’instruction et à la fixation d’une consignation. Mediapart insiste et le procureur décide d’ouvrir une enquête financière. Tout le monde fait des hypothèses, moi aussi. Si le ministre du budget avait été innocent, l’enquête préliminaire l’aurait servi. On aurait alors pu accuser le parquet de télescoper une action en diffamation pour blanchir un ministre parce que c’est à la personne qui met en cause d’apporter la preuve de ses affirmations. Je veux bien qu’on refasse l’histoire, mais voilà les faits ! Le parquet agit de façon inhabituelle puisqu’il décide d’ouvrir une enquête préliminaire et de faire émerger des preuves. C’est tant mieux pour tout le monde – parce que cette affaire fait des dégâts considérables – s’il a fallu moins de six mois pour engager une procédure sérieuse.

M. Daniel Fasquelle. Je ne suis pas convaincu, vous vous en doutez, d’autant qu’on confond en permanence la plainte en diffamation et l’action qu’aurait pu, ou dû, engager le Gouvernement au titre de l’article 40, informé qu’il était d’un fait délictueux extrêmement grave.

D’après une journaliste du Point, qui vient d’écrire un livre sur l’affaire Cahuzac, une réunion s’est tenue le 16 janvier 2013, à l’issue du conseil des ministres, autour du Président de la République, en présence du Premier ministre, de Pierre Moscovici et de Jérôme Cahuzac. En avez-vous eu connaissance, madame la ministre ? Comment se fait-il que vous n’y ayez pas participé ?

Mme la garde des Sceaux. Cela aurait été un sacré dysfonctionnement si le Grade des Sceaux y avait participé ! Je n’ai pas eu connaissance de cette réunion et j’en ignore le contenu, et ce qu’il en est sorti. Le 16 janvier, l’enquête préliminaire est déjà ouverte.

Le ministre de l’économie saisit les autorités suisses, et on lui reproche d’ouvrir une procédure fiscale en même temps qu’une procédure pénale. Et là vous reprochez au Gouvernement de n’avoir rien fait. Une enquête préliminaire a été ouverte dans des conditions assez inhabituelles – et tant mieux – le 8 janvier.

M. Philippe Houillon. Une seule question – que je ne poserai pas à Mme la garde des Sceaux de crainte de m’attirer ses foudres – pour me rafraîchir la mémoire.

Monsieur le rapporteur, à propos de cette affaire qui n’intéressait manifestement personne, confirmez-vous que le ministère de la justice, via la DACG, a eu plus de 50 contacts avec le parquet, ainsi que nous l’a déclaré la directrice des affaires criminelles et des grâces ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Les chiffres précis ont été fournis au cours de l’audition, et confirmés par lettre.

M. Philippe Houillon. De mémoire, c’est 56, mais je n’ai plus le chiffre en tête.

M. le président Charles de Courson. « Entre le 6 décembre 2012 et le 2 avril 2013, le parquet général de Paris a adressé 56 comptes rendus à ma direction, – je cite la directrice – laquelle en a transmis 54 au cabinet. »

M. Philippe Houillon. Pas d’autre question, monsieur le président.

Mme la garde des Sceaux. Je connais cet effet de prétoire, pour déconcerter le jury. Je l’ai dit dès le début, les échanges entre le parquet général et la DACG sont fréquents et réguliers. Nous travaillons d’ailleurs depuis plusieurs mois pour les réduire, parce qu’ils prennent beaucoup de temps aux procureurs généraux et aux procureurs. Puisque nous ne donnons pas d’instructions individuelles, il y a beaucoup d’informations dont nous n’avons pas besoin, ou dont nous n’avons besoin qu’à la fin. Mon cabinet peut facilement vous prouver ce qui a changé dans les rapports entre le procureur et la DACG, entre la DACG et mon cabinet, et entre mon cabinet et moi.

M. Alain Claeys, rapporteur. Tout ça nous a été remis. Mais notre collègue Houillon avait peur de perdre la mémoire…

Mme la garde des Sceaux. Aux effets, j’oppose les faits !

M. le président Charles de Courson. Nous sommes donc convenus que vous nous fourniriez une note, madame la ministre, sur les précédents éventuels de saisine de l’administration fiscale dans le cadre de conventions internationales, postérieurement à l’ouverture d’une enquête préliminaire ; et sur les cas de non-transmission à la justice des saisines d’autorités fiscales étrangères. Madame la ministre, je vous remercie d’être venue jusqu’à nous.