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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 16 juillet 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur.

M. le président Charles de Courson. Après avoir reçu la garde des Sceaux ce matin et avant de recevoir le ministre de l’économie et des finances tout à l’heure, nous auditionnons à présent le ministre de l’intérieur : nous aurons ainsi entendu les trois ministres dont les administrations ont été directement concernées par la gestion de l’affaire Cahuzac.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, notre commission d’enquête a déjà auditionné, au cours des dernières semaines, plusieurs responsables de l’administration dont vous avez la charge : le directeur central du renseignement intérieur ; le directeur central de la sécurité publique ; le sous-directeur de l’information générale ; la chef de la division nationale d’investigations financières et fiscales ; le sous-directeur de la police technique et scientifique. Ils nous ont indiqué ce que leurs services avaient ou n’avaient pas fait en lien avec cette affaire, dans le respect du secret de l’instruction s’agissant du travail de la police judiciaire. Nous souhaitons donc désormais connaître les initiatives que vous-même ou votre cabinet avez prises en lien avec la même affaire.

M. Manuel Valls prête serment.

M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur. Il me revient de répondre à vos questions sur l’attitude du Gouvernement et, plus précisément, du ministère de l’intérieur au cours de l’affaire ayant conduit à la démission de M. Cahuzac. Je souhaite vous faire part des éléments essentiels à cet égard, en respectant la chronologie. Je compléterai ensuite mon propos en répondant, avec le plus de précision possible, à vos questions.

Avant la publication des articles de Mediapart les 4 et 5 décembre 2012, je n’ai pas été informé, ni oralement ni par écrit, de l’hypothèse selon laquelle M. Cahuzac avait ou aurait eu un compte en Suisse ou à l’étranger.

Entre le 5 décembre et le 8 janvier, j’ai comme vous entendu M. Cahuzac le 5 décembre affirmer dans l’hémicycle : « Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger, ni maintenant, ni auparavant. » Il m’a également affirmé, personnellement, que les allégations de Mediapart étaient fausses.

Dans la mesure où, à la suite de Mediapart, la presse faisait état de nombreuses interrogations concernant M. Cahuzac, la banque UBS et une « note blanche » que la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) m’aurait transmise et, aussi en raison de l’ancienneté des faits, une seule vérification a été menée : savoir si la DCRI disposait dans sa documentation d’éléments archivés relatifs soit à la banque UBS, soit à M. Cahuzac. La recherche a donné un résultat négatif concernant M. Cahuzac. En revanche, la DCRI a retrouvé, dans sa documentation, la copie d’une dénonciation relative à l’existence d’un possible système de fraude fiscale au sein de la banque UBS. Cette dénonciation remontait à avril 2009 et avait été complétée en février 2011. À l’époque, considérant que la Commission bancaire, devenue par la suite l’Autorité de contrôle prudentiel, était la destinataire principale de cette dénonciation et était compétente en la matière, la DCRI n’avait pas engagé d’enquête de renseignement.

Le 19 décembre 2012, la DCRI m’a transmis une note d’une page résumant ces éléments avec, en annexe, les dénonciations de 2009 et de 2011. C’est, selon moi, parce qu’ils ont eu connaissance de l’existence de cette note – qui ne mentionne à aucun moment le nom de M. Cahuzac – que certains journalistes ont indiqué, à tort, que le ministère de l’intérieur et le ministre lui-même avaient pu être informés en amont. Or, il n’en a rien été.

À la demande de votre rapporteur, j’ai procédé à la déclassification de cette note et de ses annexes, et les lui ai transmises le 12 juin dernier, le lendemain de l’audition de M. Patrick Calvar, directeur central du renseignement intérieur. J’y insiste : interroger la documentation existante de la DCRI et mettre en oeuvre des investigations sont deux choses radicalement différentes. En aucun cas je n’ai demandé à la DCRI d’enquêter sur M. Cahuzac. Je n’avais d’ailleurs pas à le faire.

Le 8 janvier 2013, le parquet a ouvert une enquête préliminaire. En ma qualité de ministre de l’intérieur, je ne pouvais en rien m’immiscer dans une procédure judiciaire conduite par les officiers de police judiciaire sous le contrôle du procureur de la République de Paris.

En résumé, je n’ai jamais disposé d’aucun élément oral ou écrit démontrant que M. Cahuzac détenait un compte à l’étranger. De même, je n’ai jamais disposé, avant la remise du rapport définitif de la police scientifique et technique au procureur de la République de Paris le 19 mars et les conclusions de l’enquête, d’éléments démontrant que la voix de l’enregistrement était effectivement celle de M. Cahuzac. Je vous renvoie à cet égard aux déclarations des responsables de la police judiciaire devant votre Commission le 11 juin dernier. Enfin, j’ai toujours dit au Président de la République et au Premier ministre que je ne disposais d’aucun élément établissant la véracité des informations de Mediapart relatives à la détention d’un compte en Suisse ou à l’étranger par Jérôme Cahuzac.

D’autre part, comme j’ai tenu à l’indiquer dans un communiqué de presse publié le 3 avril dernier, aucune enquête parallèle n’a été menée par mes services, ni avant ni pendant l’enquête préliminaire conduite depuis le 8 janvier 2013 par les services de la direction centrale de la police judiciaire – division nationale d’investigations financières et fiscales et sous-direction de la police technique et scientifique – sous la direction du procureur de la République de Paris. Je ne les ai d’ailleurs pas rencontrés au cours de cette période.

Jamais je n’ai donné instruction aux services de renseignement de mener de telles investigations. Cela n’entre pas dans leurs missions – je l’ai rappelé dans le communiqué du 3 avril et le confirme à nouveau. Toute conception ou pratique contraire relèverait d’une époque désormais révolue.

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur le ministre, confirmez-vous que la seule note que vous ayez reçue est celle de la DCRI en date du 19 décembre 2012 ? Pourriez-vous préciser la manière dont la demande avait été formulée ?

M. le ministre. Ce fut une initiative conjointe de mon directeur de cabinet de l’époque, M. Jean Daubigny, et du directeur central du renseignement intérieur, M. Patrick Calvar.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pourquoi votre cabinet a-t-il interrogé la DCRI, alors qu’il n’était pas de sa compétence de mener des enquêtes sur des hommes politiques, comme nous l’a indiqué le directeur central du renseignement intérieur lui-même ?

M. le ministre. Des informations relayées par la presse avaient fait état d’une « note blanche » qui pouvait comporter des éléments concernant M. Cahuzac et qui m’aurait été transmise. C’est en raison de ces informations que mon cabinet et le directeur central du renseignement intérieur ont pris cette initiative.

M. Alain Claeys, rapporteur. Selon M. Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique, la sous-direction de l’information générale (SDIG) n’a en revanche pas été sollicitée par votre cabinet. Le confirmez-vous ?

M. le ministre. Je le confirme : elle n’avait pas à l’être.

M. Alain Claeys, rapporteur. Cependant, la SDIG a été informée d’un incident mineur : l’utilisation, par M. Gonelle, d’un portable de service pour tenter de joindre M. Plenel. Cette information est-elle remontée jusqu’à votre cabinet ?

M. le ministre. Il s’agit d’un banal concours de circonstance fortuit : un policier a prêté son téléphone portable à une personne qu’il connaissait, en l’espèce M. Gonelle. Lorsque le policier et sa hiérarchie ont réalisé ce qui s’était passé, ils en ont rendu compte, en raison de la médiatisation de l’affaire, ce qui était normal et même nécessaire.

Il est habituel que les préfets – qui représentent chacun des ministres sur un territoire donné – puissent avoir des relations directes avec les cabinets d’autres ministres que celui de l’intérieur. C’est même fréquent lorsque le ministre en question est un élu du département, a fortiori lorsque sa chef de cabinet est une ancienne sous-préfète du même département.

Certains ont allégué que le ministère de l’intérieur aurait porté atteinte au secret des sources ou utilisé les moyens de l’État pour connaître les informateurs de Mediapart. Les explications fournies par Mme Valente à votre Commission et le rapport du directeur départemental de la sécurité publique du Lot-et-Garonne rédigé a posteriori, le 21 mai 2013, ont, de mon point de vue, réduit ces accusations à néant : le policier et sa hiérarchie ont eu connaissance du contact téléphonique entre M. Gonelle et M. Plenel de manière tout à fait fortuite.

Compte tenu de sa banalité, cet incident n’avait donné lieu qu’à une simple remontée d’information : le préfet du Lot-et-Garonne avait adressé un message électronique à la permanence de mon cabinet le 11 décembre 2012. Par la suite, dans le contexte des travaux de la commission d’enquête et des informations publiées par la presse, le directeur départemental de la sécurité publique du Lot-et-Garonne a rédigé le rapport plus formalisé, plus officiel que j’ai mentionné. Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de vous remettre ces deux documents.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pourquoi n’avez-vous pas demandé à la SDIG si les archives qu’elle a héritées de la direction centrale des renseignements généraux contenaient des éléments concernant l’éventuelle détention, par M. Cahuzac, d’un compte non déclaré à l’étranger ?

M. le ministre. Tel n’était pas le rôle de la SDIG.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ce n’était pas non plus celui de la DCRI.

M. le ministre. Je le répète : la presse évoquait une note concernant la banque UBS et, peut-être, M. Cahuzac. Par précaution, compte tenu des accusations portées, nous avons jugé indispensable de vérifier si la DCRI détenait un tel document dans ses archives.

M. Alain Claeys, rapporteur. La brigade de répression de la délinquance financière, chargée de l’enquête préliminaire ouverte le 8 janvier 2013, est placée sous les ordres de Mme Christine Dufau, chef de la division nationale d’investigations financières et fiscales. Celle-ci nous a indiqué rendre compte des principaux actes de l’enquête au sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière. Quel circuit ces informations suivent-elles ensuite et dans quelle mesure parviennent-elles à votre cabinet ?

M. le ministre. Comme je l’ai indiqué, je n’ai pas rencontré – je n’avais pas à le faire – les responsables chargés de l’enquête.

Mon rôle de ministre de l’intérieur est, je le rappelle, d’assurer la sécurité des Français, de préserver ou de rétablir l’ordre public en utilisant les prérogatives et les moyens de la police administrative. Le recrutement, la formation, l’équipement et la gestion de la police sont de mon ressort. Mais en aucun cas je ne peux m’immiscer dans les enquêtes judiciaires, conduites par les officiers de police judiciaire sous le contrôle des magistrats. J’ai appliqué cette règle de conduite pour toutes les affaires judiciaires, a fortiori pour celle-ci : elle concernait un membre du Gouvernement, un de mes collègues.

Néanmoins, il arrive que des informations synthétiques sur les enquêtes en cours me soient transmises – comme à tous mes prédécesseurs – par la voie hiérarchique, c’est-à-dire par le directeur général de la police nationale. C’est notamment le cas lorsqu’elles concernent des affaires intéressant le maintien de l’ordre public ou ayant un fort retentissement médiatique. Il convient en effet de s’assurer que tous les moyens nécessaires sont bien consacrés à ces enquêtes.

Mais je l’affirme clairement : je ne suis jamais destinataire d’aucune pièce de la procédure. Si tant est qu’elles aient jamais existé, ces pratiques n’ont plus cours. Les seuls éléments dont je peux avoir connaissance sont les synthèses que j’ai mentionnées.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ces synthèses peuvent-elles être transmises au Premier ministre et au Président de la République ?

M. le ministre. À ma connaissance, elles ne l’ont pas été en l’espèce. Mais elles peuvent en effet l’être.

M. Alain Claeys, rapporteur. Entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, M. Cahuzac ou ses collaborateurs ont-ils eu des contacts avec votre cabinet ?

M. le ministre. Non.

M. le président Charles de Courson. Au cours des auditions, il nous a été indiqué que les services des préfectures continuaient à alimenter des « dossiers départementaux », qui contiennent des informations relatives aux principaux élus de chaque département. Leur constitution relevait jadis de la direction centrale des renseignements généraux. Avez-vous demandé à avoir communication du dossier de M. Cahuzac ?

M. le ministre. Non, je ne l’ai jamais eu en ma possession. Cependant, je connais bien ces dossiers, qui me sont transmis à l’occasion de mes déplacements dans les départements : généralement très bien faits, ils détaillent la biographie et le parcours politique de tel élu local ou de telle personnalité. Ce sont, du reste, des renseignements que l’on trouve ailleurs, notamment sur Internet, ou que l’on peut acquérir par une bonne connaissance de la carte politique. Mais je le rappelle : aujourd’hui, les responsables politiques et syndicaux n’ont pas à être fichés.

M. le président Charles de Courson. Ces dossiers existent dans tous les départements : ils apportent des informations sur le milieu politique local. La préfecture du Lot-et-Garonne nous transmettra demain ceux qu’elle tient à jour. Confirmez-vous que vous n’avez jamais eu connaissance du dossier de M. Cahuzac ?

M. le ministre. Oui. De toute façon, ce dossier d’information générale n’aurait pas fourni le moindre élément concernant les révélations publiées au mois de décembre 2012.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous, votre cabinet ou vous-même, demandé des précisions sur l’enquête en cours au directeur central de la police judiciaire ou à tout autre service qui y participait directement ?

M. le ministre. Non.

M. le président Charles de Courson. Jamais ?

M. le ministre. Jamais.

M. le président Charles de Courson. N’en avez-vous jamais parlé avec votre directeur ?

M. le ministre. Avec le directeur central de la police judiciaire, jamais.

M. le président Charles de Courson. Et avec votre directeur de cabinet ?

M. le ministre. Nous nous parlons plusieurs fois par jour.

M. le président Charles de Courson. Lui avez-vous parlé de cette affaire ?

M. le ministre. Nous l’avons évidemment évoquée, comme beaucoup l’ont fait à cette époque.

M. le président Charles de Courson. Sans que lui ni vous-même ne sollicitiez les services afin d’obtenir des informations concernant ces accusations ?

M. le ministre. Comme je l’ai indiqué, je n’ai eu connaissance d’aucun élément concernant un éventuel compte de M. Cahuzac à l’étranger ou en Suisse. Les fiches synthétiques qui m’ont été transmises ne contenaient aucun élément relatif à l’existence d’un compte ou laissant penser que la voix de l’enregistrement était celle de M. Cahuzac.

M. le président Charles de Courson. Vous avez donc écouté cet enregistrement ?

M. le ministre. Je ne l’ai jamais écouté personnellement, bien qu’il ait été largement diffusé sur les chaînes de radio. Je n’ai eu connaissance d’aucun élément particulier concernant cet enregistrement et n’en ai jamais demandé. Je vous renvoie à nouveau aux explications précises que vous ont fournies les responsables de la police judiciaire, notamment le sous-directeur de la police technique et scientifique, au sujet de l’expertise et de sa méthode.

M. le président Charles de Courson. À partir de quelle date avez-vous nourri des doutes sur la véracité des affirmations de M. Cahuzac ?

M. le ministre. Je n’avais pas à avoir de doutes particuliers. M. Cahuzac a affirmé ne pas détenir de compte à l’étranger devant la représentation nationale. Je l’ai moi-même interrogé et il m’a fait la même réponse. Dès lors qu’une procédure judiciaire était engagée, mon rôle de ministre de l’intérieur était de la laisser aller jusqu’à son terme. Je n’avais d’ailleurs pas le pouvoir de l’interrompre. J’ai été informé quand la vérité a éclaté. Je n’ai d’ailleurs pas été le seul dans ce cas.

M. le président Charles de Courson. Le laboratoire de police technique et scientifique a procédé en deux temps : il a conclu assez rapidement que l’enregistrement n’avait pas été trafiqué, puis il a déterminé, sur une échelle, le degré de concordance entre la voix de l’enregistrement et celle de M. Cahuzac. N’avez-vous pas été informé du premier ou du second de ces résultats ?

M. le ministre. Non.

Mme Cécile Untermaier. M. Cahuzac vous a affirmé ne pas détenir de compte en Suisse. À quel moment et dans quelles circonstances l’a-t-il fait ? Avec quel degré de conviction ?

M. le ministre. Il l’a affirmé dès le 5 décembre 2012, non seulement devant la représentation nationale, mais à tous ceux qui le connaissaient. Lorsque la presse a publié de nouveaux éléments ou que des interrogations se sont fait jour le concernant, il nous a répété à plusieurs reprises qu’il était innocent, qu’il ne détenait aucun compte à l’étranger. Cela s’est produit au banc des ministres à l’Assemblée et à l’occasion de telle ou telle réunion ou rencontre.

Mme Cécile Untermaier. Dans le cadre de l’enquête préliminaire, M. Condamin-Gerbier a répondu aux enquêteurs que M. Cahuzac détenait certainement un compte non seulement à UBS, mais également à la banque Reyl. Les enquêteurs lui auraient alors indiqué que le ministre de l’intérieur serait certainement informé de la teneur de ses propos. Cette information est-elle remontée jusqu’à vous ?

M. le ministre. Aucun élément ne peut laisser penser que j’ai pu détenir une telle information. Je n’ai reçu aucun procès-verbal à ce sujet. Je suis catégorique sur ce point, comme sur les autres.

M. Georges Fenech. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la clarté et la précision de vos réponses. Avez-vous eu communication, au préalable, des questions de M. le rapporteur ? (Exclamations de plusieurs commissaires du groupe SRC.)

M. le rapporteur. C’est là le premier incident au cours de nos travaux. J’ai toujours respecté l’ensemble des membres de notre Commission d’enquête. Le président et moi-même sommes les seuls destinataires des questions préparées à notre intention. Comme vous, je suppose, monsieur Fenech, je respecte une certaine éthique dans ma vie politique.

M. le ministre. Non, monsieur Fenech. Il arrive que les ministres, comme les parlementaires, préparent sérieusement les auditions de commission d’enquête. C’est ce que j’ai fait. En outre, au cours des derniers mois, j’ai eu à répondre à plusieurs questions de la presse, dont certaines recoupent celles qui m’ont été posées aujourd’hui. Le ministère de l’intérieur, comme tous les ministères, doit apporter des réponses précises non seulement aux parlementaires, mais aussi à l’opinion. Cette audition est pour moi l’occasion de rappeler le rôle du ministère de l’intérieur, les missions et les objectifs des services de renseignement intérieur et de l’information générale, ce qu’ils peuvent et ce qu’ils ne peuvent pas ou ne doivent pas faire. Sauf en cas de flagrant délit, les enquêtes sont menées sous l’autorité non pas du ministre de l’intérieur, mais d’un procureur de la République.

M. Georges Fenech. Je respecte la parole du ministre de l’intérieur et le remercie à nouveau de la clarté de ses réponses. Mais je n’ai pas obtenu de réponse précise à ma question, monsieur le ministre : avez-vous eu communication, avant l’audition, des questions de M. le rapporteur ? (Vives exclamations des commissaires du groupe SRC.)

M. le ministre. Je vous réponds, monsieur Fenech : non.

M. Georges Fenech. Vous avez fait état d’une dénonciation remontant à avril 2009 et complétée en février 2011. Ces éléments sont donc antérieurs à votre prise de fonction. Pourquoi n’avez-vous pas ressenti le besoin de communiquer spontanément ce document important à notre Commission d’enquête ? Vous ne l’avez fait que le 12 juin dernier.

M. le ministre. Vous relevez avec raison que ces éléments sont antérieurs à la prise de fonction du Gouvernement : si j’avais été informé grâce à un document présent dans la documentation de la DCRI, mes prédécesseurs l’auraient également été.

Cette dénonciation ne mentionnait nullement le nom de M. Cahuzac. Elle n’était donc en rien liée aux accusations qui le visaient. À partir du moment où le directeur central du renseignement intérieur a évoqué ces éléments devant votre Commission d’enquête, j’ai, à la demande de votre rapporteur, déclassifié la note de la DCRI du 19 décembre 2012, ainsi que ses annexes, et les lui ai transmises.

M. le président Charles de Courson. Lorsque le directeur central du renseignement intérieur a mentionné l’existence de cette note, M. le rapporteur a contacté immédiatement M. le ministre, qui l’a déclassifiée. Nous avons reçu la note le lendemain de l’audition et ses annexes quelques jours plus tard.

M. Georges Fenech. Comment avez-vous établi le lien entre M. Cahuzac et cette dénonciation qui ne mentionne pas son nom ?

M. le ministre. Peu après le 5 décembre 2012, la presse a fait état d’une « note blanche » relative à la banque UBS et, peut-être, à M. Cahuzac. Les éléments que j’ai transmis au rapporteur avaient donc déjà fait l’objet d’une diffusion assez large dans la presse. Quand le directeur central du renseignement intérieur a retrouvé les dénonciations de 2009 et de 2011 et me les a communiquées, nous avons conclu qu’il s’agissait à l’évidence des éléments que la presse mentionnait.

M. Georges Fenech. Confirmez-vous n’avoir eu aucun contact, oralement ou par écrit, ni avec M. Moscovici, ni avec Mme Taubira, ni avec M. Cahuzac pendant toute la durée de la procédure ?

M. le ministre. Ma réponse est claire : non.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le ministre, vous vous êtes défendu à plusieurs reprises d’avoir été « trop informé ». Néanmoins, est-il absurde qu’un ministre de l’intérieur ou un Gouvernement reçoive des informations sensibles non pas par la voie d’une enquête – encore moins d’une enquête qui interférerait avec une procédure judiciaire en cours –, mais par celle des services de renseignement ? Les renseignements généraux, aujourd’hui intégrés à la DCRI, ont toujours recueilli et porté de tels éléments à la connaissance du ministre de l’intérieur. Vous dites ne pas avoir eu connaissance d’informations particulières relatives à l’affaire Cahuzac et ne pas avoir désiré en obtenir – je vous crois volontiers. Cependant, avez-vous trouvé sur votre bureau d’autres informations sensibles transmises spontanément par la DCRI ? Je pense en particulier à l’une des affaires concernant M. Woerth, qui n’est sans doute pas sans lien, à travers la liste dite « Falciani », avec l’affaire Cahuzac.

M. le ministre. Non, je n’ai jamais été destinataire de tels éléments. Pourquoi aurais-je demandé, lors de ma prise de fonction, des informations de cette nature ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Non pas demandé, mais reçu.

M. le ministre. Je n’en ai pas davantage reçu. Il existe des procédures, des règles, et il convient de les respecter. La police, la gendarmerie, les services de renseignement mènent des enquêtes sous l’autorité de la justice. Je me méfie de tous les éléments d’information liés à des rumeurs.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il existe, au ministère de l’intérieur, un fichier auparavant dénommé EDVIGE et pour partie hérité des renseignements généraux. Il est alimenté par les services de renseignement et contient des informations sensibles sur diverses personnalités. Ce fait n’a rien de choquant, même dans un État de droit, pour peu qu’il soit fait un usage légitime de ces données. Les services de renseignement ne vous ont-ils pas proposé, à un moment ou à un autre, de vous fournir de telles informations ?

M. le ministre. Non, et il est très bien qu’il en ait été ainsi. Je reviens à votre première question : à peine arrivé au ministère de l’intérieur, mon premier souci aurait été de demander des informations sur les personnes dont le nom commençait par la lettre W…

Mme Marie-Françoise Bechtel. Encore une fois : vous n’avez pas nécessairement eu à les demander.

M. le ministre. On ne m’a jamais transmis de telles informations. Des changements ont eu lieu à la tête de la DCRI et de la direction générale de la police nationale. J’ignore quelles étaient les pratiques antérieures et ne veux d’ailleurs porter aucune accusation : il y a une continuité de l’État. Je suis chargé de la sécurité des Français. Il convient d’observer les règles, notamment de respecter les procédures judiciaires. Les services de renseignement n’ont pas à livrer au ministre de l’intérieur des informations pouvant mettre en cause ses concurrents ou ses adversaires politiques.

M. Daniel Fasquelle. Vous dites n’avoir jamais discuté de l’affaire Cahuzac ni avec l’intéressé, ni avec Mme Taubira, ni avec M. Moscovici. Confirmez-vous n’en avoir jamais parlé non plus ni au Président de la République ni au Premier ministre ?

M. le ministre. Je n’ai rien dit de tel. Comme je l’ai indiqué, j’ai toujours dit au Président de la République et au Premier ministre que je ne disposais d’aucun élément attestant la véracité des informations de Mediapart relatives à la détention d’un compte en Suisse ou à l’étranger par Jérôme Cahuzac. J’ai rappelé la chronologie des faits dans mon propos liminaire. Si j’avais des éléments à communiquer au Président de la République et au Premier ministre, je les leur transmettais. J’ai donc discuté à quelques reprises sur ce sujet-là avec l’un et l’autre mais à partir des éléments que je n’avais pas.

M. le président Charles de Courson. Uniquement de manière orale ?

M. le ministre. Absolument.

M. le président Charles de Courson. Vous ne leur avez transmis aucun écrit à ce sujet ?

M. le ministre. Non.

M. Daniel Fasquelle. Il y a donc bien eu des échanges. Quelle était la nature de ces contacts : conversations téléphoniques, échanges au cours de réunions ? Où ont-ils eu lieu ?

M. le ministre. Encore une fois, j’ai donné ces informations qui montraient que je ne disposais d’aucun élément. Le ministre de l’intérieur rencontre régulièrement le Président de la République et le Premier ministre sur de nombreux sujets. Ces échanges ont eu lieu au palais de l’Élysée et à l’hôtel Matignon.

M. Daniel Fasquelle. Au cours de ces échanges, avez-vous envisagé d’engager une action en justice ? Nous avons hélas constaté qu’il a fallu l’acharnement de Mediapart et de M. Plenel pour qu’une enquête judiciaire soit enfin déclenchée au mois de janvier. Pourtant, les affirmations de Mediapart étaient relativement argumentées, et M. Gonelle a informé le directeur de cabinet adjoint du Président de la République dès le 15 décembre. Ce faisceau d’indices pouvait laissait penser que M. Cahuzac détenait bien un compte en Suisse. Nous sommes très surpris qu’il n’y ait eu aucune réaction à l’époque. La question n’est pas seulement de déterminer si des pressions ont été exercées ou non sur la justice pour l’empêcher d’agir, mais aussi de savoir pourquoi on ne l’a pas saisie.

M. Alain Claeys, rapporteur. Cette question se pose aussi pour la période antérieure, à partir de 2001. Je peux rappeler aux membres de la Commission la chronologie des faits.

M. Daniel Fasquelle. Je vous prie, monsieur le rapporteur, de rester neutre. Vous n’avez pas besoin de voler au secours du ministre : il saura se défendre lui-même. Dès qu’un membre de la Commission pose une question un peu gênante, vous intervenez.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je reste parfaitement neutre. Je souhaite simplement dire que la justice a fait son travail, dès qu’elle a été saisie.

M. le président Charles de Courson. Ce n’est pas la question que pose M. Fasquelle. Le Gouvernement a-t-il envisagé de saisir la justice ?

M. Daniel Fasquelle. Ma question se rapporte à l’article 40 du code de procédure pénale : lorsqu’on a connaissance d’un tel faisceau d’indices, il serait logique d’agir. Or, le Président de la République, le Premier ministre et la garde des Sceaux n’ont rien fait. Seul M. Moscovici a engagé une procédure administrative, qui a conduit à blanchir M. Cahuzac. Et, de nouveau, il n’y a eu aucune réaction. La démarche n’a pas été poursuivie jusqu’au bout : aucune enquête judiciaire – et non seulement administrative – n’a été lancée. Est-ce parce que M. Cahuzac était membre du Gouvernement ? Nous cherchons à caractériser d’éventuels dysfonctionnements ; ma question entre donc tout à fait dans le champ de notre Commission d’enquête.

M. le ministre. Je rappelle la chronologie : Mediapart a publié ses révélations le 4 et le 5 décembre ; M. Cahuzac est intervenu lors de la séance des questions au Gouvernement, suscitant un certain émoi et de nombreux débats ; en réponse à la vérification que je suis amené à faire, la DCRI m’a adressé une note le 19 décembre ; une enquête préliminaire a été ouverte le 8 janvier. En réalité, les choses se sont passées dans un temps extrêmement rapide.

Votre question n’est en aucun cas gênante, monsieur le député. L’hypothèse que vous mentionnez n’a jamais été évoquée ni avec le Président de la République, ni avec le Premier ministre, ni avec la garde des Sceaux. Quant à une éventuelle initiative de ma part, le ministre de l’intérieur ne pouvait pas engager une telle procédure judiciaire. Tout ceci s’est passé de façon très rapide, dans des délais pas toujours connus dans le passé.

M. Gérald Darmanin. Nous avons appris que M. Gonelle avait contacté M. Zabulon, à l’époque directeur de cabinet adjoint du Président de la République. M. Zabulon est membre du corps préfectoral. Vous a-t-il contacté, vous ou votre cabinet, à la suite de ces révélations ?

M. le ministre. Ma réponse est précise : non. M. Zabulon est certes préfet, mais il était alors collaborateur du Président de la République. C’est donc à celui-ci qu’il devait rendre compte.

M. le président Charles de Courson. Je rappelle que M. Zabulon nous a indiqué avoir contacté M. Cahuzac pour l’informer de l’appel de M. Gonelle. Pour être précis, monsieur le ministre : M. Zabulon n’a eu aucun contact avec vous à ce sujet, ni direct ni indirect ?

M. le ministre. Ni direct ni indirect.

M. Gérald Darmanin. Ni, à votre connaissance, avec votre cabinet ?

M. le ministre. Non.

M. Gérald Darmanin. Lorsqu’un gouvernement entre en fonction, il est de tradition que le ministre chargé du budget demande à tous ses collègues de remplir une déclaration spécifique concernant leur situation fiscale et qu’il informe le Président de la République et le Premier ministre en cas de difficulté particulière. Est-il de coutume, de même, que le ministre de l’intérieur communique au Président de la République et au Premier ministre des informations concernant les membres du Gouvernement, par exemple sur leurs éventuelles condamnations passées, par exemple ?

M. le ministre. Non, rien de tel n’est prévu. D’ailleurs, dans le cadre des débats sur la transparence de la vie publique, il n’est pas non plus envisagé de demander au ministre de l’intérieur de fournir des éléments concernant les membres du Gouvernement. Quant à la communication d’informations sur d’éventuelles condamnations passées, elle ne relèverait pas du ministère de l’intérieur.

M. Gérald Darmanin. Vous estimez heureux que votre rôle ne soit pas de relayer les rumeurs sur tel membre du Gouvernement ou tel homme politique. Toutefois, lorsque la crédibilité d’un ministre important ou celle du Gouvernement dans son ensemble est en jeu, ne pensez-vous pas que certaines rumeurs méritent d’être portées, avec toutes les précautions d’usage, à la connaissance du Président de la République et du Premier ministre ?

M. le ministre. Je ne peux vous répondre que sur des cas précis, pas de manière générale. J’agis sur des faits. Si des faits ou des informations tangibles étaient portés à ma connaissance, je ne manquerais pas de les transmettre aux plus hautes autorités de l’État. Tout ministre, tout parlementaire, tout citoyen ferait, je l’espère, de même.

M. Dominique Baert. Merci, monsieur le ministre, pour votre intervention liminaire, qui hiérarchise clairement les faits et les informations. Vous avez appris par la rumeur – j’imagine quelle a été votre surprise – qu’une note figurait sans doute dans les archives du ministère. Vous avez demandé à la DCRI de vérifier : la recherche concernant M. Cahuzac n’a donné aucun résultat ; celle portant sur la banque UBS a abouti à la découverte des documents que vous nous avez transmis. Avez-vous une idée de l’origine des éléments qui ont fait l’objet de cette rumeur et ont ainsi été portés à la connaissance de tous ?

M. le ministre. Je ne sais pas s’il faut vraiment parler de surprise. La presse indiquait, de manière insistante, qu’il existait une note de la DCRI concernant UBS, et/ou un éventuel compte de M. Cahuzac dans cette banque. Par précaution, le directeur central du renseignement intérieur et moi-même avons souhaité avoir ces éléments. Ce qui nous est remonté, c’est le document que j’ai déclassifié et transmis à votre rapporteur, à sa demande.

M. Dominique Baert. En avez-vous appris davantage sur l’origine de la rumeur ?

M. le ministre. Pas immédiatement, mais peut-être par la suite. La presse avait livré plusieurs éléments, notamment des noms. Nous avons retrouvé ces noms – qui n’ont pas nécessairement de lien avec le monde politique – sur le document que j’ai transmis au rapporteur.

M. Georges Fenech. Notre Commission d’enquête tente de déterminer si les services de l’État sont responsables, voire coupables de dysfonctionnements. Nous souhaitons également établir s’il y a eu des défaillances ou un manque de réactivité au plus haut niveau de l’État – votre ministère étant évidemment concerné. Telle est la question que tout citoyen doit se poser, au-delà même de notre Commission. Ce matin, Mme Taubira a dit ne pas s’être interrogée. On peut s’en étonner : certes, la garde des Sceaux s’interdit d’adresser des instructions individuelles au parquet, mais certaines informations remontent. Pour votre part, vous nous avez expliqué la différence entre la police judiciaire et la police administrative. Mais qu’en est-il des services de renseignement ? Mme Bechtel les a d’ailleurs évoqués.

Si, comme l’a dit M. Fasquelle, un organe de presse convaincu de détenir la vérité n’avait pas fait preuve d’autant d’opiniâtreté, si le procureur de la République de Paris n’avait pas eu l’audace d’ouvrir une enquête, quelle institution aurait pu prendre une initiative ? Tel aurait dû être le rôle de la DCRI. Il ne s’agissait ni de faire de la basse politique ni de se mêler d’une affaire de mœurs, mais de s’informer sur un ministre du Gouvernement sur lequel pesaient des rumeurs persistantes émanant d’un organe de presse sérieux – M. Plenel n’est pas un journaliste né de la dernière pluie ! Or, nous avons l’impression que le Gouvernement est resté totalement inactif.

En outre, j’ai fait connaître très tôt, dans un communiqué, mon sentiment de parlementaire et d’ancien magistrat : j’ai suggéré que M. Cahuzac se retire momentanément de ses fonctions – non qu’il démissionne – en raison du conflit d’intérêt évident entre ses responsabilités en matière de lutte contre la fraude fiscale et sa situation personnelle. On imagine d’ailleurs l’ambiance qui devait régner au sein de son administration !

En somme, la DCRI s’interdit-elle de mener une enquête dès lors qu’elle concerne un homme politique – qu’il soit de la majorité ou de l’opposition – ou le chef d’une grande entreprise ? À quoi sert-elle dès lors, abstraction faite de sa mission de lutte contre le terrorisme ?

M. le ministre. Votre question est intéressante, monsieur le député, mais révèle, avec tout le respect que je vous dois, une profonde méconnaissance du rôle des services de renseignement. Ou alors, elle nous renvoie à une époque désormais révolue.

On peut éventuellement débattre du temps qui s’est écoulé entre les révélations de Mediapart les 4 et 5 décembre et l’éclatement de la vérité. Les déclarations de M. Cahuzac dans l’hémicycle avaient impressionné, tant au sein de l’opposition que de la majorité. Mais ce qui compte, c’est qu’une procédure judiciaire a été engagée le 8 janvier.

Vous employez, monsieur le député, des « si ». Que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu Mediapart ? Mais il y a eu Mediapart, et la presse a un rôle important. S’il n’y avait pas eu procédure judiciaire ? Mais il y a eu procédure judiciaire. S’il n’y avait pas eu un procureur courageux ? Mais il y a eu un procureur, qui a fait son travail. Vous auriez pu ajouter : s’il y avait eu des interventions politiques pour entraver la justice ? Mais il n’y en a pas eu. Les procédures ont été pleinement respectées.

Mon rôle est d’assurer la sécurité des Français. Quant à la DCRI, elle a des missions bien précises, qu’elle conduit sous le contrôle des magistrats. Si j’avais moi-même demandé à la DCRI – pourquoi à elle ? Pourquoi pas à la SDIG ? Tout cela n’a pas de sens ! – de mener une enquête sur les révélations parues dans la presse le 5 décembre, cela aurait été une faute majeure.

Telle est peut-être votre conception du rôle de la DCRI, mais ce n’est pas et ne sera jamais la mienne, je puis vous l’assurer. Sa tâche consiste à lutter contre le terrorisme, contre la criminalité organisée, contre les violences de l’ultra-gauche ou de l’ultra-droite – elle a encore démontré sa compétence ce matin en arrêtant un individu particulièrement dangereux –, non à mettre sur écoute les hommes politiques ou les journalistes.

M. Georges Fenech. Si tel n’est pas votre rôle, pourquoi la Présidence de la République vous a-t-elle demandé de confirmer ou d’infirmer l’existence du compte de M. Cahuzac ?

M. le ministre. Je ne comprends pas très bien votre question. J’ai eu connaissance de certaines informations par la note de la DCRI dont nous avons parlé. Mais la DCRI n’avait pas à mener d’investigations, à plus forte raison à partir de l’ouverture de l’enquête préliminaire le 8 janvier, sauf si le procureur lui avait lui-même confié une partie de cette enquête. J’ai été destinataire des synthèses que j’ai évoquées et j’ai toujours affirmé que je n’avais aucun élément démontrant que M. Cahuzac détenait un compte à l’étranger. Cela étant, la vérité a éclaté.

M. le président Charles de Courson. Nous avons le sentiment qu’il a fallu l’intervention de personnes totalement extérieures aux services de l’État pour révéler certains faits dans cette affaire. Cela soulève une question plus générale, que plusieurs collègues de sensibilités différentes ont d’ailleurs évoquée : à quels services de l’État le Président de la République et le Premier ministre peuvent-ils faire appel avant de nommer quelqu’un au Gouvernement, afin de s’assurer de sa moralité fiscale ou de vérifier qu’il n’est pas un agent des services secrets étrangers ?

M. le ministre. C’est en effet une question plus générale et sans doute légitime. Néanmoins, elle ne s’est pas posée lors de la nomination du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

M. Philippe Houillon. Entre le 4 décembre et le 2 avril, avez-vous rencontré M. Fouks, qui est, je crois, votre ami ?

M. le ministre. Oui, bien sûr.

M. Philippe Houillon. Une bombe est tombée le 4 décembre. Elle était d’une telle puissance que le Gouvernement a présenté le projet de loi relatif à la transparence de la vie publique, qui comporte des modifications substantielles pour tous les élus. Or, nous avons l’impression, après avoir entendu plusieurs ministres, directeurs de cabinet et directeurs d’administration, que personne n’en a jamais parlé. Mme Taubira nous a déclaré ce matin qu’elle avait mieux à faire. C’est la tonalité générale qui ressort de toutes ces auditions. Vous dites également ne pas en avoir parlé.

M. le ministre. Je n’ai pas dit cela.

M. Philippe Houillon. On répond que l’on n’avait pas à diligenter d’enquête ou qu’il ne fallait pas s’immiscer dans la procédure judiciaire. Soit. Mais il ne me paraît guère crédible que l’on n’ait pas évoqué l’affaire à M. Cahuzac, que l’on n’en ait pas parlé entre soi et que l’on ne s’y soit pas plus intéressé que cela. Une affaire de cette nature constitue un problème politique grave pour n’importe quel gouvernement. Et l’on n’en parle pas pendant quatre mois. N’est-ce pas là un dysfonctionnement ? À moins que l’on ne nous dise pas tout ?

M. le ministre. Il y a une confusion : « en parler », en public ou en privé, est une chose ; les actes en sont une autre. Le 8 janvier, cinq semaines après les révélations de Mediapart, une enquête préliminaire a été ouverte pour blanchiment de fraude fiscale. Elle a été confiée à la division nationale d’investigations financières et fiscales de la direction centrale de la police judiciaire, qui est placée sous ma responsabilité mais agit, en l’espèce, sous l’autorité du procureur de la République de Paris. Tel est le fait principal. Nous avons respecté les règles.

Il ne me revient pas de vous livrer mes sentiments, ni de participer à un débat général ou à caractère politique. Je pourrais vous répondre, monsieur le député, que ni le Gouvernement ni M. Cahuzac n’ont été débordés de questions par la majorité – on peut le comprendre – ou par l’opposition pendant cette période. En parliez-vous, monsieur le député ? Avez-vous interrogé M. Cahuzac lors des séances de questions au Gouvernement au cours de ces quatre mois ? Non. Pourquoi ? Je ne veux pas le savoir.

M. Philippe Houillon. Une question a bien été posée.

M. le ministre. En effet, le 5 décembre.

Dès lors que l’enquête préliminaire a été ouverte, chacun – moi le premier – se devait de respecter la procédure judiciaire. Elle a été menée de manière claire et indépendante. Les directeurs placés sous ma responsabilité vous ont fourni des explications, notamment sur l’expertise de l’enregistrement. Quand certains éléments ont amené le procureur à ouvrir une information judiciaire, le 19 mars, M. Cahuzac a quitté le Gouvernement. Il ne s’agit pas de parler de l’affaire, mais de rappeler les faits.

Je m’honore d’appartenir à un Gouvernement qui, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, a eu cette attitude.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Compte tenu de la conception que vous avez de votre rôle, de votre éthique, avez-vous dit, vous n’avez pas déclenché d’enquête, alors même que nous avons appris un événement important le 4 décembre 2012, confirmé le 15 décembre à M. Zabulon à l’Élysée. Vous êtes une « autorité constituée » au sens de l’article 40 du code de procédure pénale. Avez-vous envisagé de faire une note sur la nécessité ou l’obligation, pour tel ou tel agent de l’administration, de saisir l’autorité judiciaire des faits divulgués ? M. Bézard, directeur général des finances publiques, a parlé de « rigueur ». Or, l’administration fiscale ne savait rien, n’a rien vu, n’a rien fait. Le ministère de l’intérieur aurait-il pu utiliser l’article 40 du code de procédure pénale ?

M. le ministre. Non, et encore moins à partir du 8 janvier.

Mme Marie-Christine Dalloz. Votre réponse m’interpelle. Aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale, toute autorité constituée est tenue de dénoncer un délit, dès qu’elle en a connaissance. Je ne comprends pas que vos services ne vous aient pas incité à utiliser cet article.

M. le ministre. Sur quelle base, madame la députée ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Sur la base des révélations de Mediapart le 4 et le 5 décembre, qui étaient suffisamment fondées.

M. le ministre. À quel titre, en ce qui me concerne ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Ministre de l’intérieur.

M. le ministre. À quel titre, comme ministre de l’intérieur ? Du simple fait que je peux utiliser l’article 40 ? En invoquant quel fait, madame la députée ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Les révélations du 4 et du 5 décembre. Les Français ne comprennent pas : ces éléments précis mettaient en cause non pas un citoyen lambda, mais le ministre délégué chargé du budget, lui-même responsable de la lutte contre la fraude fiscale. Entre le 4 décembre et l’ouverture de l’enquête préliminaire le 8 janvier, aucune administration ni aucun des ministères concernés – en particulier pas le vôtre – n’a fait quoi que ce soit. Cela vous semble-t-il cohérent et logique ?

M. le ministre. Lorsque je détiens des éléments tangibles, je peux être amené à les transmettre à la justice. Je lui ai ainsi remis, le mois dernier, le rapport d’inspection sur l’usage des frais d’enquêtes par les cabinets ministériels, que j’avais moi-même demandé il y a quelques mois à la suite de révélations parues dans la presse.

S’agissant de l’affaire Cahuzac, dès que la presse a fait état d’une note relative à UBS et, peut-être, à un compte de M. Cahuzac en Suisse ou à l’étranger, le directeur central du renseignement intérieur et moi-même avons demandé une recherche. Or, le document trouvé, qui m’a été transmis le 19 décembre et que vous connaissez, mentionne non pas le nom de M. Cahuzac, mais d’autres noms, sans que sa crédibilité soit d’ailleurs avérée.

Du reste, si la DCRI avait été en mesure de me transmettre d’autres éléments, cela signifierait que mes prédécesseurs auraient également pu en avoir connaissance.

J’éprouve quelques difficultés à suivre votre raisonnement, madame la députée. J’ai agi avec méthode, dans le respect des règles. Je suis convaincu que mes collègues du Gouvernement ont fait de même. Vous pouvez, certes, avoir un avis différent ou une autre conception des règles, c’est votre droit.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous avez dit, d’une part, que les ministères n’avaient pas à aller au-delà de ce qu’ils ont fait et que, d’autre part, la justice a fait son travail et que la vérité a éclaté. Or, ce sont les aveux de M. Cahuzac lui-même et non un quelconque autre moyen qui nous ont permis de connaître cette vérité.

M. le président Charles de Courson. Non, ma chère collègue. Le procureur de la République de Paris nous a expliqué qu’il avait obtenu une réponse des autorités suisses dans le cadre de la coopération judiciaire et qu’il détenait les preuves de l’existence du compte. En outre, le degré de concordance entre la voix de l’enregistrement et celle de M. Cahuzac avait été évalué à « + 2 » sur une échelle allant de « - 2 » à « + 4 » : il était donc très probable que ce soit bien la sienne.

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous allons voter, dans l’urgence, une loi relative à la transparence de la vie publique, que l’on pourrait appeler « loi Cahuzac ». D’autre part, nous avons le sentiment qu’une loi du silence a été imposée. Lorsque vous avez nourri des doutes sur l’usage des frais de cabinets sous un précédent gouvernement, vous avez diligenté une enquête. Pourquoi n’avez-vous pas, de même, en parallèle de l’enquête préliminaire, cherché à en savoir plus en saisissant la DCRI, compte tenu des éléments concordants publiés dans la presse ?

M. le ministre. J’ai évoqué les frais d’enquête parce qu’ils concernaient mon administration. Le ministère de l’intérieur n’était pas concerné par l’affaire Cahuzac. Il l’est depuis le 8 janvier dans la mesure où l’enquête est menée par une division de la direction centrale de la police judiciaire, sous l’autorité du Procureur.

Dans notre pays, c’est heureux, les procureurs font appel à la police judiciaire, et les policiers, dont l’engagement est tout à fait remarquable, respectent le travail des procureurs. Un lien de confiance s’établit entre eux. Si j’avais demandé à la DCRI ou à un autre service de mener une enquête parallèle et que le procureur de la République de Paris – qui traite d’autres affaires, notamment de terrorisme, avec la DCRI – l’avait appris, alors on casse tout lien de confiance. C’est d’ailleurs arrivé, dans le passé. Il convient au contraire que le parquet et la police judiciaire travaillent ensemble dans les meilleures conditions de confiance. Il en va des intérêts fondamentaux du pays et de nos concitoyens. Je ne peux pas vous suivre dans votre raisonnement, madame la députée. Nous emprunterions une voie très dangereuse. Je vous invite à rencontrer les professionnels concernés : ils vous feront part de la manière dont ils conçoivent leur mission.

M. Daniel Fasquelle. Vous avez reconnu avoir évoqué l’affaire Cahuzac au cours de rencontres avec le Président de la République et le Premier ministre. Quand ces rencontres ont-elles eu lieu ? Est-ce dès le mois de décembre ?

M. le ministre. J’ai informé le Président de la République et le Premier ministre des éléments importants, tels que la note de la DCRI du 19 décembre.

M. Daniel Fasquelle. Vous les avez informés, mais les avez-vous rencontrés en décembre ?

M. le ministre. Le 19 décembre, c’est le mois de décembre.

M. Daniel Fasquelle. Ne les avez-vous pas rencontrés ou eu des échanges avec eux avant cette date ?

M. le ministre. Compte tenu des rumeurs évoquées précédemment, qui ont circulé rapidement au cours du mois de décembre, j’ai indiqué au Président de la République et au Premier ministre que je demanderais des éléments à la DCRI. Dès que j’ai obtenu ces éléments, je les leur ai transmis.

M. Daniel Fasquelle. Vous avez donc évoqué ce sujet avec eux avant le 19 décembre ?

M. le ministre. En effet, pour les informer que j’allais demander ces éléments à la DCRI.

M. Daniel Fasquelle. Avez-vous été informé du contact entre M. Gonelle et le directeur de cabinet adjoint du Président de la République le 15 décembre ?

M. le ministre. Non.

M. Daniel Fasquelle. Il est assez étrange que vous ayez eu des échanges et des réunions avec le Président de la République et le Premier ministre et qu’on ne vous ait pas informé du contact avec M. Gonelle. Vous êtes pourtant un pilier du Gouvernement. Cela confirme qu’il s’en est fallu de peu que le mensonge ne l’emporte, comme l’a dit M. Plenel. On ne peut que s’étonner de l’inaction du Gouvernement et de la mauvaise circulation de l’information en son sein sur un sujet aussi important.

M. le ministre. Je ne réagirai pas à votre commentaire, monsieur le député. Je souhaite que nous restions dans le cadre de la Commission d’enquête.

M. le président Charles de Courson. Vous avez évoqué la liste des informations synthétiques transmises par la division nationale d’investigations financières et fiscales à votre cabinet. Pourriez-vous nous en adresser la liste, comme la garde des Sceaux l’a fait ?

M. le ministre. Bien sûr, je le ferai.

M. le président Charles de Courson. Je vous remercie, monsieur le ministre.