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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 16 juillet 2013

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 31

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

M. le président Charles de Courson. Mes chers collègues, nous achevons cette série d’auditions par celle du ministre de l’économie et des finances, M. Pierre Moscovici. Nous aurons ainsi reçu les trois ministres dont les administrations ont été directement concernées par la gestion de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Cahuzac ».

Vous avez déjà eu l’occasion monsieur le ministre, de vous exprimer devant la commission des finances de notre assemblée le 17 avril dernier. Depuis lors, la commission d’enquête a été constituée et elle a procédé à de nombreuses auditions, dont celles des membres des cabinets ministériels, du directeur général des finances publiques, du chef du service du contrôle fiscal et du directeur régional des finances publiques d’Île-de-France et de Paris. Nous avons donc de nouvelles questions à vous soumettre ; plus particulièrement, nous souhaiterions connaître les initiatives que vous-même ou votre cabinet avez prises en lien avec cette affaire.

Avant d’aller plus loin, il me revient de vous préciser que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vais vous demander de bien vouloir vous lever, Monsieur le ministre, de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

(M. Pierre Moscovici prête serment.)

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Je voudrais, pour commencer, indiquer dans quel état d’esprit j’aborde cette audition.

J’ai déjà eu moi-même, en d’autres temps, l’occasion de présider à ce type de travaux, c’était en 2007. Il s’agissait à l’époque de déterminer les conditions de libération des infirmières bulgares détenues en Libye par le colonel Kadhafi. Je considère qu’évidemment, c’est un très bon format pour faire la lumière sur un certain nombre d’événements et je viens devant vous tout simplement pour y contribuer.

La dernière fois que je me suis exprimé sur l’action de mes services dans la gestion de l’affaire Cahuzac, c’était le 17 avril dernier devant les membres de la commission des finances de cette Assemblée et, pour tout vous dire, je n’avais pas eu tout à fait le sentiment, lors de cette audition, de participer à un pur exercice de recherche de la vérité. Il en sera différemment aujourd’hui. Bien sûr, j’ai dit ce jour-là ce que j’avais fait, ce que je savais. Je vais le redire mais l’atmosphère était à la mise en cause plus qu’à l’échange de questions et de réponses, d’interrogations et d’informations.

Nous ne sommes plus le 17 avril. Il y a presque trois mois jour pour jour qui se sont écoulés entre-temps. Les présidents des commissions des finances sont venus procéder à des investigations dans les locaux de Bercy. Philippe Marini, le président de la commission des finances du Sénat, a même demandé accès – ce qui est une chose inédite dans l’histoire de cette administration – aux mails internes échangés entre mon cabinet et la Direction générale des finances publiques (DGFIP) ou même entre collaborateurs de la DGFIP. Les présidents ont rendu public le résultat de leurs investigations et, de son côté, votre commission a procédé à de très nombreuses auditions, recueilli des témoignages, recoupé les faits et peut-être même commencé à former ses propres conclusions.

Nous ne sommes plus le 17 avril et je m’en réjouis parce que je crois que nous pouvons avoir aujourd’hui des objectifs, des échanges plus objectifs parce que vous avez travaillé dans la sérénité, la transparence. Et, de surcroît, rien de ce que j’ai dit ce jour-là n’a été infirmé d’une quelconque manière par les auditions que vous avez menées depuis.

Je vais être plus précis.

Quatre reproches m’ont été adressés au lendemain des aveux de l’ancien ministre délégué chargé du budget, Jérôme Cahuzac, je ne veux en éviter aucun. Ces quatre reproches sont la complicité, la duplicité, l’incompétence et la manipulation. Aucun ne tient aujourd’hui. Je vais revenir devant chacun d’eux et, ce faisant, je veux vous montrer ce qu’a vraiment été l’action que j’ai conduite avec le concours de l’administration fiscale. Et je veux dire la chose suivante pour commencer : nous avons fait tout ce qui était en notre devoir et en notre pouvoir dans cette affaire qui a tant choqué les Français.

Alors on m’a d’abord dit : « Vous saviez. » Sous-entendu, « vous saviez dès le début que Jérôme Cahuzac avait un compte non déclaré en Suisse ». C’est le premier reproche, le reproche de la complicité. Une accusation qui a ceci de commode qu’elle est en phase avec ce cliché qu’il faut éviter dans cette Assemblée, bien ancré du « tous pourris » qui entache trop souvent notre vie politique. Et pourtant – j’ai bien lu tous les travaux qui ont été faits ici –, il résulte clairement de ces travaux qu’aucune interpellation, aucune alerte n’est remontée jusqu’à moi sur ce sujet avant le premier article de Médiapart le 4 décembre 2012. Personne n’a trouvé le moindre embryon de preuve ou même d’indice que je savais quoi que ce soit de ce compte non déclaré en Suisse avant les aveux de Jérôme Cahuzac. Et pour cause, j’ai découvert le 2 avril comme vous tous, de sa bouche même, lorsqu’il a rompu avec son mensonge que c’était le cas.

Je le redis avec force et avec netteté, je n’ai à aucun moment été saisi d’éléments qui auraient dû me conduire à agir autrement que je ne l’ai fait. Toutes les informations que j’avais à ma disposition plaidaient, au contraire, en faveur de mon approche. Cette approche – je vais vous la résumer –, je l’ai appelée le doute méthodique.

Elle résultait de deux éléments : d’abord, de la confiance que j’avais placée en un homme qui était président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui s’est exprimé ici, dans cette enceinte, avec force, dont vous avez tous cru la parole et avec qui, pour ma part, je travaillais au redressement des comptes publics. C’était le premier élément. Mais le deuxième, c’était le devoir qui était le mien, comme ministre de l’économie et des finances, de tout faire pour contribuer à établir la vérité et donc d’être irréprochable. Ce doute méthodique, à tout moment, il a été ma boussole entre le 4 décembre et le 2 avril.

On m’a ensuite accusé d’en avoir trop fait et d’ailleurs mal fait de façon volontaire, d’avoir tenté en somme d’utiliser les procédures existantes pour couvrir – je mets les guillemets – le ministre délégué et même d’avoir abusé de ma fonction pour entraver le bon déroulement de la justice. C’est le deuxième reproche, c’est le reproche de la duplicité.

Je ne reviens pas sur les accusations d’un magazine, Valeurs actuelles, selon lequel j’aurais fomenté une opération spéciale en Suisse. Ces accusations-là sont, au mieux, sorties d’un film de James Bond, pas le meilleur, et au pire, d’un épisode des « Pieds nickelés ». J’ai porté plainte en diffamation contre ces allégations absurdes et indignes.

Les présidents des commissions des finances, qui ont immédiatement – ils ont fait preuve de beaucoup de diligence – procédé à une vérification sur pièce et sur place, ont eux-mêmes reconnu que ce scénario était – je les cite – « peu probable ». Moi, je vais avoir un autre mot un peu plus clair, c’est du pur délire. Balayons ça.

Mais je voudrais relever ici un certain nombre de points qui méritent davantage discussion.

D’abord, les témoignages d’Amélie Verdier, directrice de cabinet du ministre délégué chargé du budget, et de mon propre directeur de cabinet, Rémy Rioux, notamment ont permis d’établir un point sur lequel nous reviendrons si vous le souhaitez, à savoir que la « muraille de Chine » mise en place dès le 10 décembre a parfaitement fonctionné.

Bruno Bézard, le directeur général des finances publiques, a par ailleurs clairement indiqué devant cette commission, dans une audition particulièrement convaincante, comment et pourquoi il était possible et même logique – c’est un point très important – de combiner procédure administrative et procédure judiciaire. Tout d’abord, aucun texte ne l’interdit. Ça a été établi de la manière la plus nette. Le directeur général des finances publiques a confirmé qu’il était légal et approprié d’adresser une demande de coopération administrative alors que la justice est saisie. Ça permet à l’administration fiscale de poursuivre son travail pendant une enquête préliminaire. Et sur ce point, je vous renvoie aux explications fournies par Alexandre Gardette sur un principe important qui est le principe de spécialité de la convention d’échange d’informations judiciaires entre la France et la Suisse et sur la voie à suivre pour que l’administration fiscale puisse faire valoir ces informations dans le cadre d’une procédure fiscale. Voilà les deux procédures en parallèle.

Il ne s’agissait donc en rien de parasiter, d’influence ou de court-circuiter le travail de la justice auquel je veux rendre hommage parce qu’elle a travaillé dans la plus parfaite indépendance et avec beaucoup d’efficacité.

Imaginez a contrario que je n’aie pas fait usage de cet outil d’entraide qui était à notre disposition, qui existe dans notre arsenal juridique, que dirait-on aujourd’hui, que diriez-vous aujourd’hui ? On ne manquerait pas de me dire que j’ai paralysé le déroulement normal de la procédure fiscale. On me reprocherait d’être resté inerte, d’avoir refusé d’utiliser les instruments qui étaient à la disposition de l’administration fiscale. Eh bien je vais vous dire, mesdames et messieurs les députés, si c’était le cas, vous auriez raison. Je préfère avoir agi comme je l’ai fait.

La justice n’a pas été empêchée ni ralentie par notre action. Au contraire. Et ce n’est pas un jugement de valeur que j’exprime mais un constat étayé par des faits. D’abord – et c’est très important aussi –, le texte de la réponse suisse a été transmis immédiatement à ma demande à la justice tout comme nous avons immédiatement transmis à la justice, sur réquisition de sa part – n’oublions pas que l’administration fiscale travaille sur réquisition –, l’ensemble du dossier fiscal de Jérôme Cahuzac, non pas sur un an ou sur cinq ans mais sur une période de vingt ans tout simplement.

D’aucuns ont cru devoir affirmer que, selon la convention franco-suisse, la DGFIP n’aurait pas dû transmettre à la justice la réponse aux autorités suisses. C’est non seulement inexacte en droit puisque la convention le prévoit, mais encore une fois, pas plus le directeur général des finances publiques que moi-même n’avons douté un seul instant qu’il était de notre devoir de le faire. Et imaginez que nous ayons conservé ces informations par devers nous. Là encore, nous serions hautement reprochables.

Arrêtons-nous enfin un instant sur la chronologie de la mise en examen de l’ancien ministre du budget. Le 8 janvier, le parquet ouvre une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale. À peine plus de deux mois plus tard, le 18 mars, la justice ouvre une information judiciaire pour blanchiment de fraude fiscale. Ce sont des délais extraordinairement brefs, je le redis à nouveau. Qui peut sérieusement prétendre que nous avons cherché à entraver le travail de la justice alors que nous lui avons transmis tous les éléments du dossier qui étaient à notre disposition sans le moindre délai et quand l’enquête a connu une issue aussi rapide ?

Troisième accusation – qui est d’ailleurs en parfaite contradiction avec la précédente même si ce sont parfois les mêmes qui expriment les deux –, j’aurais, au contraire, fait preuve d’une coupable négligence, je n’en aurais pas fait assez pour faire éclater la vérité. C’est le reproche de l’incompétence. Je vous dis ici ce que j’ai dit à de nombreuses reprises, notamment devant la commission des finances de votre Assemblée le 17 avril, les questions que nous avons posées aux autorités suisses, sur la base des informations dont nous disposons à cette date, étaient – je pèse mes mots – les plus larges possible aussi bien dans leur objet que dans l’espace et dans le temps.

On m’a interrogé à de nombreuses reprises sur les contours de cette demande. Vous le referez peut-être. Le directeur général des finances publiques, lui, vous a apporté toutes les réponses donc je veux simplement les confirmer.

Première question : pourquoi UBS seulement ? Parce que, comme l’établissent vos travaux, c’était le seul et unique sujet en cause au moment de la demande d’assistance. Jamais – je dis bien jamais – un compte dans une autre banque – chaque mot a son importance – n’a été mentionné avant l’envoi de la demande d’assistance le 24 janvier. Les présidents des commissions de finances ont cru pouvoir affirmer que l’échange de lettres de 2010 entre administrations fiscales aurait permis que la demande d’entraide porte sur l’ensemble des établissements bancaires domicilié en Suisse. Ce n’est ni ma lecture ou plutôt ni celle de celle de l’administration ni celle des autorités helvétiques.

Je veux faire ici d’ailleurs une incise sur le cadre juridique de cette demande. Je veux vous informer que nous avons signé jeudi dernier, avec la chef du département fédéral des finances de la Confédération helvétique, Mme Éveline Widmer-Schlumpf, une convention fiscale franco-suisse sur les successions. Et quel sera l’effet de cette convention ? Dès sa ratification, comme c’est précisé dans une déclaration commune, elle mettra fin à l’échange de lettres du 11 février 2010 qui restreignait – c’est très clair – la portée des échanges d’informations sur la détention de compte bancaire dont vous avez largement débattu.

Le dispositif actuel donc qui s’appliquait le 24 janvier permet aux Suisses d’ignorer nos demandes pour identifier la banque détentrice en Suisse de l’information et cette restriction-là ne devrait plus être possible à l’avenir après la ratification de la nouvelle convention.

Je tenais à vous en informer pour vous prouver que le Gouvernement s’emploie résolument à combattre la fraude fiscale aussi bien en Europe, au G8, au G20 que dans ses relations bilatérales avec la Suisse.

Deuxième question, Singapour. Pourquoi Singapour n’a-t-il pas fait l’objet d’une demande similaire ? Là, Alexandre Gardette vous a également détaillé les raisons pour lesquelles il en allait ainsi. Je rappelle que l’unique allégation jamais contredite – je dis bien pas une fois – entre le 4 décembre et l’ouverture de l’information judiciaire, était que le compte de Jérôme Cahuzac avait été transféré d’UBS en 2010 vers Singapour. Là aussi, chaque étape compte parce que c’est un processus dont il est question. Toutes les pièces sont donc imbriquées. Il ne s’agissait pas de n’importe quel compte ouvert dans n’importe quelle banque suisse puis transféré dans une banque quelconque de Singapour mais d’un compte précis dans une banque précise – l’UBS – dont nous voulions en quelque sorte suivre la traçabilité. Comment a-t-il été véhiculé en quelque sorte ? Or, nous avons interrogé la Suisse, sur tout transfert d’un compte d’UBS – encore une fois, c’est la seule banque qui était nommée – vers tout pays pendant sept années entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2012. Donc nous remontons bien en deçà et bien au-delà de 2010. Et à nos questions larges et explicites sur l’éventualité d’un transfert de compte à l’étranger, la réponse des autorités suisses a été clairement sans ambiguïté négative et donc nous n’avions aucun élément pour aller plus loin.

Cette réponse négative interrompt en quelque sorte la traçabilité. Si néanmoins nous l’avions tenté – et ça a pu être envisagé –, après cette réponse négative des autorités suisses, alors qu’une enquête judiciaire est en cours, nous aurions pour le coup été accusés – et, à mon sens, à juste titre – de mener une enquête parallèle à partir d’un raisonnement spéculatif et non d’informations précises. C’eût été contraire à ma volonté absolue de respecter l’indépendance de la justice. Je vous renvoie donc aux propos tenus devant vous par les experts en la matière.

Bruno Bézard l’a dit sans ambiguïté aucune et je le cite : « Il n’est pas de demande d’assistance administrative plus large que celle-là, ça n’existe pas. » Et bien que la simple lecture des statistiques montre à quel point le bilan de notre relation administrative avec la Suisse est peu satisfaisant, c’est dans un délai sans précédent de sept jours que nous avons obtenu la réponse à notre demande. Je rappelle que nous nous sommes donné toutes les chances pour faire aboutir cette demande puisque j’ai appelé moi-même mon homologue suisse, Mme Éveline Widmer-Schlumpf – j’étais à Bruxelles –, le 21 janvier, que je l’ai vue ensuite – c’était prévu – et que j’ai insisté fortement auprès d’elle lors d’une rencontre à Davos le 25 janvier pour avoir au plus vite une réponse quelle qu’elle soit et ça a été fait dans des délais sans aucun précédent puisque nous avons eu une réponse dès le 31 janvier. Donc un délai extraordinairement court.

Je vous redonne les derniers chiffres qui n’ont guère évolué depuis mon audition devant la commission des finances : au 30 juin 2013, sur les seules demandes bancaires, 430 demandes ont été adressées à la Suisse, trente ont reçu une réponse, seules sept sont jugées satisfaisantes. Les délais de réponse sont longs – vous le savez – puisqu’ils durent en moyenne plus de six mois et que pour plus d’une cinquantaine de demandes, il n’y a toujours pas de réponse plus d’un an après qu’elles ont été posées.

Donc vous avez à la fois la demande la plus large qui puisse être et la réponse la plus rapide qui puisse se faire.

Dernier reproche qui m’a été adressé enfin, c’est celui d’avoir dupé mon administration et l’opinion publique. C’est le reproche de la manipulation. Mon directeur de cabinet, Rémy Rioux, vous a dit ce qu’il en était, je le cite aussi : « Tout au long de cette procédure, nous avons suivi les analyses de nos services sans jamais chercher à les manipuler. » Ni lui ni moi, ni aucun de mes collaborateurs n’ont contribué à la rédaction de la demande d’entraide adressée à la Suisse.

Comme Bruno Bézard vous l’a expliqué, c’est lui-même, avec ses services, qui y a procédé. Et le directeur général des finances publiques vous a dit avec la plus grande force lors de son audition qu’il avait précisément veillé à ce qu’on ne puisse jamais accuser la direction générale d’avoir été instrumentalisée par le pouvoir politique. Je peux vous confirmer, pour avoir souhaité la nomination de Bruno Bézard et pour travailler avec lui depuis un an que c’est sa personnalité, que c’est son éthique et que c’est aussi la mienne.

Par ailleurs, vous avez sans doute remarqué – j’ai vu cette audition, c’est la seule que j’ai vue, voyez-vous – que Bruno Bézard, qui a géré en première ligne la réponse de l’administration, n’était pas frêle, docile ou influençable. Le scénario de la manipulation perd toute crédibilité dans ce contexte, me semble-t-il. Tout cela a été détaillé sous serment ici même. Je ne m’y étends donc pas plus.

En vérité – et je m’achemine vers la fin de mon propos –, tout au long de cette procédure, nous avons respecté un principe simple, laisser l’administration fiscale agir, dérouler ses procédures, coopérer pleinement avec la police judiciaire. Et dans cette affaire, ce fut ma règle de conduite, faire tout ce que je devais, tout ce que je pouvais pour concourir à l’apparition de la vérité mais en respectant scrupuleusement à la fois les procédures et le rôle de mon administration.

Je n’hésite pas à redire ici que cette administration a agi sous mon autorité avec probité, efficacité. Bref, de façon exemplaire.

Vous allez me demander : pourquoi n’a-t-elle pas retrouvé la trace du compte de Jérôme Cahuzac à l’étranger, le compte qu’il a finalement reconnu avoir détenu ? C’est à la fois parce que le mensonge fut d’une exceptionnelle ampleur et parce que l’information dont nous sommes partis pour étayer notre demande était non pas inexacte mais incomplète.

Imaginez un instant qu’ait été simplement indiqué avant la demande que Jérôme Cahuzac aurait pu avoir un compte non pas à l’UBS seulement, mais à l’UBS et dans un autre établissement nominativement cité, nous aurions alors évidemment interrogé les autorités suisses sur ces deux hypothèses. La réponse aurait été différente, la vérité aurait éclaté dès la fin janvier grâce à notre action. Hélas, nous ne pouvions pas le faire.

C’est pourquoi, mesdames et messieurs les députés – je sors un peu du cadre de la commission d’enquête –, il est tellement nécessaire de passer à l’échange automatique d’informations. C’est pourquoi il fallait lever les restrictions à l’échange sur demande comme nous l’avons fait avec la Suisse dans la convention sur les successions. C’est un autre débat qui concerne les leçons à tirer de cette affaire non pas en termes de dysfonctionnement de l’administration – c’est ce que vous cherchez dans cette commission d’enquête –, il n’y a pas eu de dysfonctionnement de l’administration, mais en matière d’amélioration des procédures internationales. Et là, cette amélioration est indispensable.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les éléments que je voulais partager avec vous aujourd’hui avant de répondre à vos questions. En fait, je n’ai presque plus parlé de l’affaire Cahuzac depuis le 17 avril après m’être longuement expliqué devant la commission des finances et on m’a peu questionné sur le sujet depuis pour une raison très simple qui est que, déjà ce jour-là, je vous ai dit l’essentiel avec précision. Eh bien aujourd’hui, je veux le faire sous serment avec encore plus de rigueur.

Monsieur le président, je m’adresse à vous. Vous avez déclaré dans une interview, c’était le 5 avril, alors que vous n’étiez pas encore à la tête de cette commission d’enquête : « Pierre Moscovici a trompé le peuple français. » Je ne sais pas si vous avez mesuré la portée de cette affirmation à ce moment-là. Je veux croire que vous avez été mal cité. Ça arrive. Mais comprenez une chose – je veux le dire maintenant pour ne pas le répéter –, c’est que la violence de cette mise en cause m’a surpris et même blessé. Une telle assertion quand on est comme moi un homme politique qui sert son pays depuis longtemps et dans des responsabilités significatives, qui tient à son nom – et j’y tiens –, à son honneur – et j’y tiens –, à sa réputation – et j’y tiens –, un homme comme ça ne peut pas laisser passer cette assertion.

J’ai la conviction que vous ne pourriez plus, aujourd’hui, la prononcer. Trois mois plus tard, après votre travail de la commission qui, encore une fois, est de très grande qualité, que reste-t-il de cette assertion ? Et, plus généralement, que reste-t-il des quatre reproches qui m’ont été faits ? C’est le sens de mon introduction là et je vous réponds : rien. Au contraire, il est clairement apparu que l’administration fiscale, sous mon autorité – c’est le sens de la « muraille de Chine » – a fait de bout en bout un travail remarquable, en tout point irréprochable.

Et je vais vous dire – c’est mon dernier mot – que je suis très fier d’avoir cette administration aujourd’hui comme ministre de l’économie et des finances sous ma responsabilité, comme les Français qui nous regardent peuvent être très fiers de la qualité exceptionnelle de cette administration à laquelle je veux rendre hommage.

Ceci étant dit, je suis maintenant totalement à votre disposition, bien sûr.

M. Alain Claeys, rapporteur. Bien que cela dépasse les bornes temporelles du champ d’investigation de la Commission d’enquête, je crois nécessaire de revenir sur ce qui s’est passé entre 2001 et 2012, car certaines initiatives concernent, directement ou indirectement, votre administration : ainsi, l’étude du dossier fiscal de M. Cahuzac au sein de la brigade d’intervention interrégionale (BII) de Bordeaux ou le mémoire que M. Garnier a transmis à vos services.

Quand vous avez découvert, le 4 décembre 2012, les révélations de Mediapart sur les avoirs détenus par M. Jérôme Cahuzac à l’étranger, avez-vous interrogé l’administration fiscale pour savoir si elle détenait des informations sur l’existence d’un tel compte ? Avez-vous effectué une démarche similaire auprès de la direction générale des douanes et des droits indirects ?

M. le ministre. Pour vous répondre, il me faut rappeler la chronologie des faits à compter de la mise en cause de M. Jérôme Cahuzac par Mediapart.

Le 4 décembre, Mediapart révèle que M. Cahuzac aurait détenu un compte à l’étranger. Le directeur général des finances publiques, M. Bruno Bézard, et M. Jérôme Cahuzac évoquent alors la possibilité de mettre en place la « muraille de Chine », qui séparerait l’exercice par M. Cahuzac de ses fonctions ministérielles, de sa défense personnelle, prise en charge par ses avocats. M. Bézard informe la directrice de cabinet de M. Cahuzac, Mme Amélie Verdier, et mon directeur de cabinet, M. Rémy Rioux, de leur volonté de mettre en place cette « muraille de Chine ». Une instruction est rédigée à cet effet le 7 décembre et, à partir du 10 décembre, en liaison directe avec le directeur général des finances publiques, je reprends la main sur le dossier.

M. le rapporteur. Par suite de la directive signée par M. Cahuzac ?

M. le ministre. Oui.

À partir de ce moment-là, j’ai des échanges très fréquents avec M. Bruno Bézard, et je lui demande de m’informer de tous les éléments pouvant être en sa possession. S’agissant de M. Gonelle comme de M. Garnier, à aucun moment des informations particulières ne m’ont été transmises.

Après coup, s’agissant de M. Gonelle, des rumeurs ont couru selon lesquelles un haut fonctionnaire de la direction générale des douanes et des droits indirects aurait identifié le dossier dès 2008, mais l’administration interrogée ne les a pas confirmées et aucune information en ce sens n’a été retrouvée. Je précise que la direction générale des douanes et des droits indirects a elle aussi agi sur réquisition dans le cadre de cette affaire.

Quant au mémoire de M. Rémy Garnier, la DGFIP a considéré qu’il s’agissait d’allégations non documentées.

M. le rapporteur. Quand prenez-vous connaissance de ce mémoire ?

M. le ministre. Jamais vraiment : la question est traitée par l’administration fiscale.

M. le rapporteur. Vous n’avez jamais eu entre les mains la page où M. Jérôme Cahuzac est mis en cause ?

M. le ministre. Jamais, jamais, jamais.

M. le président Charles de Courson. Monsieur le ministre, vous nous dites que l’administration fiscale a été exemplaire, mais nous avons investigué ! Et qu’avons-nous découvert ?

D’abord, que dès 2001, la brigade d’intervention interrégionale (BII) de Bordeaux avait été saisie, via une connaissance commune de M. Gonelle et de l’inspecteur des impôts Mangier ; que M. Mangier avait demandé aux services fiscaux de Paris de lui transmettre le dossier de M. Cahuzac et que celui-ci était resté à Bordeaux de 2001 à 2007, sans que jamais M. Mangier ne fasse état auprès de sa hiérarchie, ni de cette information, ni de son origine ; votre propre directeur général ne savait même pas ce qui s’était passé lorsque nous l’avons auditionné. Premier dysfonctionnement ! Quand l’apprenez-vous ?

En outre, en juin 2008, l’inspecteur Garnier, en contentieux avec son administration, a rédigé un mémoire qui a été transmis à votre direction – nous pouvons même vous dire à quel bureau. Second dysfonctionnement ! Quand l’apprenez-vous ?

Enfin, M. Cahuzac a rencontré M. Garnier en octobre 2012, dans sa circonscription, à Villeneuve-sur-Lot. Pour préparer cette rencontre, sa directrice de cabinet a rédigé une note – que nous avons. L’administration fiscale ne l’a même pas informée que le ministre allait rencontrer un inspecteur des impôts qui l’accuse d’avoir un compte en Suisse !

Ce serait là une administration « exemplaire » ? Pourriez-vous nous expliquer en quoi elle l’a été sur ces trois faits ?

M. le ministre. Monsieur le président, permettez-moi de rappeler le titre de votre commission d’enquête : « Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du Gouvernement ». Ce que vous évoquez là…

M. le président Charles de Courson. Mais ces faits concernent toujours votre administration, même après le 4 décembre !

M. le ministre. Monsieur le président, si vous m’interrompez sans arrêt, comment puis-je vous répondre ?

M. le président Charles de Courson. Monsieur le ministre, jusqu’à preuve du contraire, c’est moi qui mène les débats.

M. le ministre. Tout ça est très intéressant mais je voudrais quand même rappeler une chose, c’est l’objet même de votre commission d’enquête. Je le cite in extenso : « commission d’enquête parlementaire relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013 dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du Gouvernement. »

Je suis ici pour témoigner de quoi devant vous ? De ce qu’a été mon action et celle de mon administration entre le 4 décembre 2012 – je le précise – et le 2 avril 2013. Ce qui est le cadre de votre commission d’enquête. Je suis ministre de l’économie et des finances depuis un peu plus d’un an maintenant, n’est-ce pas ? Et vous évoquez des faits ou des allégations qui, elles-mêmes, sont extraordinairement anciennes.

Ce que je vous dis, c’est que dans le cadre de cette affaire-là, à partir du 4 décembre 2012, sous mon autorité, l’administration fiscale a fait très exactement ce qu’elle devait faire et que, par ailleurs, là, vous évoquez des débats, des circuits internes à cette administration. C’est au directeur général des finances publiques, j’imagine, que vous avez posé ces questions, et qu’il vous a donné toutes les réponses nécessaires.

M. le président Charles de Courson. Oui, et il nous a fait la même réponse que vous : l’administration a été exemplaire. Pourtant, nous avons découvert qu’il y avait eu de graves dysfonctionnements des services dont vous êtes responsable.

M. le ministre. Mais à quel moment, monsieur le président ?

M. le président Charles de Courson. À l’époque qui nous concerne, le contentieux devant le tribunal administratif est toujours en cours, et il intéresse votre administration, au niveau central. Nous en avons la preuve !

M. le ministre. Lors de ma précédente audition, j’avais évoqué les dangers de « l’uchronie », c’est-à-dire de la réécriture de l’histoire en partant de ce que l’on sait a posteriori ; j’aimerais ne pas avoir à me répéter…

M. le président Charles de Courson. Alors, répondez avec précision aux questions du rapporteur !

M. le ministre. J’essaie de le faire, mais vous m’interrompez continuellement !

M. le président Charles de Courson. Ce qui est mon droit, du fait de ma qualité de président ! Monsieur le rapporteur, poursuivez.

M. le rapporteur.  En l’occurrence, ma question était simple : aucune information ne vous a été transmise par votre administration concernant le rapport Garnier ou l’existence d’éléments relatifs à l’éventuelle détention par M. Jérôme Cahuzac d’un compte en Suisse ?

M. le ministre. Aucune.

M. le rapporteur. Un ouvrage récemment publié par une journaliste de l’hebdomadaire Le Point révèle qu’une réunion se serait tenue le 16 janvier 2013, à l’issue du conseil des ministres, à laquelle auraient pris part le Président de la République, le Premier ministre, le ministre délégué au budget et vous-même. Au cours de cette réunion, il aurait été décidé, selon l’auteur, de lancer la demande d’entraide administrative avec la Suisse.

Ces allégations sont-elles exactes ? Qui a pris l’initiative de formuler cette proposition ? Pourquoi M. Jérôme Cahuzac a-t-il pris part à cette réunion, alors que la « muraille de Chine » était en place ?

M. le ministre. Peut-être convient-il de remonter un peu plus loin dans le temps. Autour de Noël, peut-être juste ou juste après, Bruno Bézard et moi-même nous interrogeons sur l’opportunité d’avoir recours à une procédure d’entraide administrative en matière fiscale entre la France et la Suisse. À compter de ce moment, la direction générale des finances publiques prépare les conditions qui permettraient de poser les bonnes questions, dans les bons termes, à la Suisse.

M. le rapporteur. Elle les prépare dès lors qu’est écoulé le délai de trente jours imparti pour répondre au formulaire n° 754 ?

M. le ministre. Non, dès Noël. Pour ce qui est des trente jours, je pense que M. Bruno Bézard vous a expliqué de quoi il retournait : il s’agissait d’une sorte de marqueur que les procédures internes étaient achevées et que, dès lors, il devenait possible de procéder à une interrogation de la Suisse.

M. le président Charles de Courson. Étiez-vous au courant que M. Bruno Bézard avait adressé un formulaire n° 754 à M. Jérôme Cahuzac ?

M. le ministre. Comme M. Bruno Bézard vous l’a dit, absolument pas.

M. le président Charles de Courson. Et vous trouvez cela normal ?

M. le ministre. Tout à fait normal. M. Bruno Bézard est un homme d’une extraordinaire intégrité ; il est le patron de la direction générale des finances publiques. Je voulais respecter les procédures de l’administration, et lui-même voulait faire en sorte que le politique ne soit pas directement aux commandes. Il vous a expliqué comment et pourquoi il ne m’en avait pas informé.

M. le président Charles de Courson. Et il ne vous a pas informé de la non-réponse de M. Cahuzac ?

M. le ministre. A fortiori ! Je n’ai été informé ni de l’existence du formulaire n° 754, ni qu’un tel formulaire avait été envoyé à M. Cahuzac, ni que ce dernier n’y avait pas répondu. M. Cahuzac vous l’a dit lui-même ici.

M. le rapporteur. Revenons, s’il vous plaît, à cette période de Noël durant laquelle la demande a été préparée.

M. le ministre. Pourquoi est-ce que je reviens à Noël ? Parce qu’à partir de ce moment-là, nous envisageons, le cas échéant, de procéder à l’utilisation de cette procédure d’entraide fiscale et administrative. Je tiens informés le Président de la République et le Premier ministre de la possibilité de faire jouer, le moment venu, cette convention d’entraide fiscale avec la Suisse et – puisque vous me demandez qui en a pris l’initiative – je leur en ai fait la proposition. C’est moi qui en fais la proposition au Président de la République et au Premier ministre, sur la proposition du directeur général des finances publiques. Ils en ont accepté le principe.

En parallèle, Jérôme Cahuzac se fait fort d’obtenir de l’UBS la confirmation qu’il n’avait pas détenu un compte en Suisse chez eux. Et cette confirmation tardait à venir. Dès lors en effet, il y a eu non pas une réunion mais quelques mots dans la salle à côté du Conseil des ministres, à l’issue du Conseil des ministres…

M. le rapporteur. Le 16 janvier 2013 ?

M. le ministre. Je pense que la date est exacte.

À l’occasion de cet échange, le Président de la République, avec le Premier ministre, en ma présence et celle de M. Jérôme Cahuzac, a informé ce dernier du principe de cette procédure et du fait que nous allions probablement l’utiliser. Pourquoi l’avoir fait ? La « muraille de Chine » n’est pas en cause. D’une part, parce que M. Jérôme Cahuzac était alors ministre du Gouvernement, d’autre part, parce que, aux termes de la convention, les avocats conseils de M. Cahuzac devaient être informés du lancement de la procédure.

M. Jérôme Cahuzac s’est dit serein ; il a souhaité que la demande couvre la période la plus large possible. Au-delà de cette information de principe, il n’a évidemment pas été associé à la décision, c’est le principe même de la « muraille de Chine » : il n’a pas su quand la procédure avait été lancée – autrement que par ses conseils –, il n’a pas été associé à la rédaction de la demande, il n’a pas été informé du contenu précis de la réponse, qu’il n’a jamais détenue.

Voilà très précisément ce qui s’est passé.

M. le président Charles de Courson. Selon vous, cette réunion respectait-elle le principe de la « muraille de Chine » ?

M. le ministre. J’estime que oui, car la « muraille de Chine » ne valait que pour le fonctionnement de l’administration fiscale ; or celui-ci est toujours resté, avec ses propres procédures, sous ma responsabilité directe. Il s’agissait, en l’espèce, d’une simple information de principe sur le recours à la procédure d’entraide administrative.

M. le rapporteur. La réponse a été transmise au Parquet, mais la demande l’a-t-elle été ?

M. le ministre. Non.

M. le président Charles de Courson. Pourquoi ?

M. le ministre. Au nom du principe de spécialité que j’ai évoqué.

M. le président Charles de Courson. Dans ce cas, il aurait dû s’appliquer également à la réponse ; pourquoi cette dissymétrie ?

M. le ministre. En vertu du principe de spécialité, l’administration fiscale a le pouvoir et le devoir d’utiliser ses propres outils juridiques : cela a été confirmé par tout le monde – et ce matin encore par la garde des Sceaux. Je pense que là, on entre dans une zone de confusion qui est un peu facile et à laquelle il faut répondre de la manière la plus claire.

Pourquoi ne pas avoir informé la justice de la demande ? Parce que la procédure fiscale suivait son cours et qu’au nom de la séparation des pouvoirs, nous ne voulions aucune interférence avec la procédure judiciaire – même si l’on peut estimer, comme vous l’a dit Mme Christiane Taubira et comme le prévoit le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, qu’à l’avenir il convient d’améliorer la coopération entre l’administration fiscale et la justice. Je n’y vois aucun inconvénient.

En revanche, nous avons transmis la réponse à la justice parce que c’était prévu par la convention franco-suisse et que nous agissions sur réquisition. Je confirme ce que vous a dit M. Bruno Bézard : je n’ai pas eu entre les mains la réponse des autorités helvétiques, mais une copie sur son iPad ; je lui ai dit qu’il fallait transmettre ce document à la police judiciaire.

M. le président Charles de Courson. Quelle fut l’attitude de M. Jérôme Cahuzac durant la réunion du 16 janvier ?

M. le ministre. Je vous redis qu’il s’est montré serein et, dans l’hypothèse où la demande se produirait, il a demandé qu’elle couvre la période la plus large. Ce à quoi nous avons veillé, puisque, alors que la convention prévoyait une interrogation sur trois ans, donc jusqu’à 2010, nous avons fait en sorte de remonter jusqu’en 2006, date de la prescription fiscale sur l’impôt sur le revenu.

M. le président Charles de Courson. Et cela ne vous choque pas qu’il ait été associé à cette décision de procédure fiscale? C’est comme si on demandait à un contribuable ce qu’il pense de la procédure fiscale qui le concerne !

En outre, cela survient postérieurement à la mise en place de ce que l’on appelle – improprement – la « muraille de Chine ». Cela ne vous paraît-il pas contradictoire ?

M. le ministre. « Associé » n’est pas le mot convenable, monsieur le président.

M. le président Charles de Courson. Il était présent et vous venez de dire qu’il avait souhaité que la demande soit la plus large possible !

M. le ministre. Je vous répète, monsieur le président, que ce n’est pas le mot convenable. Vous semblez considérer que l’expression « muraille de Chine » est impropre…

M. le président Charles de Courson. Oui : il s’agit en fait d’un acte de déport.

M. le ministre. Quel que soit son nom, une instruction a été adressée par M. Jérôme Cahuzac aux services fiscaux, de façon à opérer une distinction claire entre ses fonctions ministérielles et sa défense personnelle, confiée à ses avocats. Dès lors, j’ai repris la main directement et complètement sur l’administration fiscale, et j’ai rencontré fréquemment le directeur général des finances publiques, M. Bruno Bézard.

Mais le mot « associé », pour le coup, monsieur le président – je connais votre finesse sémantique – est impropre. M. Jérôme Cahuzac n’a en rien été associé à la demande d’assistance administrative ; il a été informé, en tant que ministre, et sans qu’on lui demande son avis, du principe de la demande. Je rappelle que M. Jérôme Cahuzac était tout de même ministre du Gouvernement, qu’il était gravement mis en cause et qu’aussi bien le Président de la République, le Premier ministre que moi-même voulions savoir ce qu’il en était réellement – puisque, contrairement à ce qui a été dit, nous n’en savions rien ; si nous l’avions su, M. Cahuzac aurait aussitôt cessé d’être du membre de Gouvernement, comme cela a d’ailleurs été le cas lorsqu’il eut été mis en examen.

M. le président Charles de Courson. Il a quand même participé à la réunion !

M. le ministre. Il n’a pas participé à la rédaction de la demande, il n’a pas été informé du jour où elle a été envoyée, il n’a pas eu connaissance des échanges avec les autorités suisses, ni de la réponse. Jamais.

M. le rapporteur. Reprenons la chronologie des faits : l’administration prépare la demande de coopération fin décembre, et c’est vous qui prenez l’initiative de demander au Président de la République et au Premier ministre, en présence de M. Cahuzac, de déclencher la procédure d’entraide administrative ?

M. le ministre. Absolument – et c’est moi qui mène ensuite la procédure à son terme.

M. le rapporteur. Venons-en à la réponse. Nous confirmez-vous que M. Cahuzac ou ses conseils en ont obtenu la teneur par l’intermédiaire des autorités suisses ?

M. le ministre. Là encore, il faut préciser les choses et c’est là où on voit d’ailleurs encore une fois à quel point le passage à l’échange automatique d’informations est souhaitable.

Dans la procédure telle qu’ils la considèrent, les Suisses mettent en avant la nécessité de prévenir le contribuable. Et on peut estimer d’ailleurs que c’est source d’au moins deux difficultés. La première, c’est qu’il est effectivement informé de quelque chose qui peut le concerner. Et la seconde, c’est qu’en général, ça induit de très longs délais.

Mais comme nous étions pressés – et encore une fois, je rappelle que j’ai moi-même joint deux fois ma collègue chef du département des affaires financières, Madame Éveline Widmer-Schlumpf –, nous avons accepté que Jérôme CAHUZAC soit informé de la procédure. Et c’est évidemment par ses conseils qu’il a été informé de la teneur de la réponse. Je crois d’ailleurs que c’est ce qu’il vous a dit ici même. Il l’a confirmé. En revanche, il n’a jamais eu le texte de la réponse, il a été averti par son conseil suisse, informé lui-même par les autorités helvétiques. Voilà comment les choses se sont passées.

M. le rapporteur. Comment expliquer que cette réponse ait fait l’objet d’un article dans Le Nouvel Observateur, et la une du Journal du dimanche ?

M. le ministre. Je ne me l’explique pas.

Je précise néanmoins qu’aucune déclaration affirmant que M. Jérôme Cahuzac était blanchi par cette procédure n’a émané de moi-même, de mon cabinet ou des services du ministère ; nous nous interdisions, de la manière la plus formelle, d’exercer une quelconque pression sur la justice.

En outre, la réponse des autorités suisses était une réponse précise à une question précise. Question : M. Jérôme Cahuzac a-t-il eu un compte à l’UBS qui aurait été transféré en 2010 à Singapour ? Réponse : non – sans que cela signifiât pour autant qu’il n’eût pas détenu un compte avant 2006, ou dans un autre établissement bancaire, ou que ce compte n’eût pas été transféré à un autre moment ailleurs, à Singapour, par exemple.

Pour ma part, j’ai toujours conservé mon approche du « doute méthodique » : je continuais à faire confiance à M. Jérôme Cahuzac, avec lequel je travaillais…

M. le président Charles de Courson. Vous maniez le paradoxe, monsieur le ministre : vous ne pouvez pas dire que vous appliquiez le principe du doute méthodique tout en faisant confiance ! Quand on doute, on doute – et dans ce cas, on vérifie tout.

M. le ministre. Monsieur le président, je vous ai déjà expliqué comment j’entendais ce principe. L’homme politique que je suis faisait confiance à l’homme avec qui il travaillait au redressement des comptes publics, avec qui il entretenait des relations tout à fait convenables, qui avait été le président de la Commission des finances de cette assemblée et qui avait fait dans l’hémicycle un serment auquel tout le monde avait cru…

M. le président Charles de Courson. Non, pas tout le monde !

M. le ministre. Si vous aviez un doute, il fallait l’exprimer à l’époque…

M. le président Charles de Courson. Cela a été fait.

M. le ministre. Moi, j’avais confiance en Jérôme Cahuzac, mais, en même temps, mon devoir de ministre était d’avoir un doute – par méthode.

Quand j’ai reçu cette réponse, je savais à quoi elle faisait allusion, mais aussi qu’elle ne couvrait pas toutes les éventualités. J’ai donc persisté dans mon doute méthodique.

M. le rapporteur. J’avais d’autres questions, mais, comme je ne veux pas monopoliser la parole, je n’en retiendrai qu’une dernière. Elle a trait à la présence d’une mention inhabituelle dans la réponse des autorités suisses : « Au demeurant, la banque a précisé que sa réponse se fonde exclusivement et expressément sur les périodes temporelles limitées par la requête des autorités françaises ». Comment interprétez-vous cette phrase ?

M. le ministre. Je comprends qu’il s’agit d’une réponse plus large à une demande plus large que de coutume – toutefois, je le répète, je n’ai pas eu cette réponse entre les mains : j’en ai pris connaissance sur l’iPad de M. Bruno Bézard.

Si nous nous étions tenus à la lettre de la convention, nous n’aurions pas pu remonter au-delà de 2010. C’est pourquoi cela a pris du temps pour rédiger la demande : il fallait trouver les bons termes pour être le plus efficace, remonter le plus loin et aller le plus vite possible. Les services de la DGFIP se sont fondés sur les délais de prescription en droit fiscal pour aller jusqu’en 2006. Quand j’ai évoqué la question avec Mme Widmer-Schlumpf les 21 et 25 janvier, je lui ai confirmé que nous souhaitions remonter le plus loin possible dans le temps et obtenir une réponse rapide. Celle-ci est arrivée au bout de sept jours, et elle précise qu’elle porte bien sur la période 2006-2012. Voilà ce que signifie, à mon sens, cette mention.

M. le président Charles de Courson. Quelques questions complémentaires.

La première concerne le principe du recours à la convention fiscale franco-helvétique. Lorsque le directeur général des finances publiques vous propose cette solution, puis lorsque vous en faites la suggestion au Président de la République, au Premier ministre et à M. Jérôme Cahuzac, vous fait-on remarquer que formuler une telle demande, alors que, depuis le 8 janvier, une enquête préliminaire est ouverte, serait sans précédent ?

M. le ministre. Cette thèse du précédent ne tient pas, ou bien elle s’explique.

En effet, c’est d’ordinaire de Bercy que part ce type de demande, pour la simple raison que l’administration fiscale a le monopole des procédures de poursuite pour fraude fiscale – le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale devrait d’ailleurs maintenir ce principe. Ce n’est que depuis l’arrêt Talmon relatif au délit de blanchiment de fraude fiscale, rendu par la Cour de cassation en 2008, que les choses ont pris une tournure différente.

Ce dont M. Bruno Bézard m’a informé à l’époque, c’est qu’il s’agissait, non pas d’un précédent, mais d’une procédure extrêmement difficile, les réponses étant soit très lentes, soit dilatoires ; il fallait donc faire en sorte que la question soit correctement posée et suffisamment large pour que l’on puisse espérer une réponse rapide et précise.

M. le président Charles de Courson. Pourtant, le procureur de Paris a affirmé qu’il ne connaissait aucun précédent, et nous avons demandé à la directrice des affaires criminelles et des grâces de vérifier ce point : on nous a confirmé que ce n’était pas contraire à la loi, mais que cela ne se faisait jamais. Vous n’étiez pas au courant ?

M. le ministre. Mais, monsieur le président, il me semble que nous sommes face à une affaire qui a elle-même assez peu de précédents !

C’est une affaire exceptionnelle et nous ne nous sommes pas posé la question de savoir s’il y avait eu un précédent, nous avons simplement utilisé l’outil qui était à notre disposition. Si nous ne l’avions pas fait, vous seriez aujourd’hui en train de me le reprocher : « Vous aviez cette convention à votre disposition, pourquoi ne l’avez-vous pas utilisée ? ».

M. le président Charles de Courson. Ne faites pas de procès d’intention monsieur le ministre.

M. le ministre. Il vous est arrivé d’en faire, monsieur le président ! Je ne fais pas de procès d’intention ; je dis simplement qu’on aurait pu me faire le reproche de ne pas avoir recouru à cette possibilité – et on aurait eu raison !

M. le président Charles de Courson. Trouvez-vous normal que le directeur général des finances publiques n’ait pas informé le procureur de la République ou le procureur général de cette saisine ?

M. le ministre. Il avait la possibilité de ne pas le faire.

M. le président Charles de Courson. Dans ce cas, pourquoi avoir transmis la réponse ? Du coup, le procureur de Paris a demandé au ministère s’il avait le droit de l’inclure dans les pièces de la procédure. C’est la dissymétrie de votre attitude qui fait problème : en l’espèce, il s’agit d’un vrai dysfonctionnement !

M. le ministre. Non, absolument pas, car il s’agissait d’une procédure administrative, commandée par l’administration ; c’est le directeur général des finances publiques qui a transmis le document à la police judiciaire. Certes, je lui en avais donné l’instruction, mais, à la vérité, il n’y avait pas besoin de le lui dire et il envisageait de le faire. Il y avait là un fait, qui, s’il n’éclairait pas tout – on s’en rend compte a posteriori –, était d’importance ! Nous avons estimé qu’il pouvait concourir à l’établissement de la vérité, et c’est pourquoi il a été adressé au juge – qui en a fait l’usage qu’il croyait devoir en faire.

M. le président Charles de Courson. Vous avez dit que vous aviez rédigé la demande d’information de la manière la plus large possible, parce qu’à l’époque on ne parlait que d’un compte à l’UBS. Laissez-moi vous lire un extrait d’un article du journal suisse Le Temps, daté du 13 décembre 2012 :

« D’après Mediapart, c’est avec Hervé Dreyfus que Jérôme Cahuzac aurait eu, fin 2000, une conversation téléphonique enregistrée, au cours de laquelle il aurait mentionné l’existence d’un compte en Suisse. Hervé Dreyfus, poursuit le site, a donné son nom à la société Hervé Dreyfus Finance. Au capital de laquelle figurait, à sa fondation, « un influent financier suisse, Dominique Reyl, fondateur de la Compagnie financière d’études et de gestion, devenue Reyl & Cie en 1988 ».

Or, selon nos informations, les liens entre Hervé Dreyfus – homme de réseaux, proche de Nicolas Sarkozy et de son ex-épouse Cécilia – et Dominique Reyl sont bien plus serrés que ne l’écrit Mediapart : ils sont demi-frères. Contacté, le directeur général de Reyl & Cie, François Reyl – fils du président et fondateur – n’a pas tenu à confirmer ces informations : « Nous n’avons pas pour habitude de commenter l’actualité, si ce n’est de notre propre initiative. » »

Qu’est-ce qui vous aurait empêché de faire une demande encore plus large ?

Selon vous, il n’était pas nécessaire de saisir Singapour, parce que dans la demande adressée aux autorités suisses, vous évoquiez la possibilité d’un transfert. Mais pourquoi ne pas avoir essayé de recouper l’information ?

M. le ministre. Deux éléments de réponses.

D’abord il y a des personnes physiques, M. Dominique Reyl, M. Hervé Dreyfus, qui ont été évoquées ou mentionnées dans des articles au mois de décembre aussi bien de Mediapart que celui vous venez de citer. Mais, et c’est pour ça que je vous disais que chaque mot est important dans cette affaire, la possibilité d’un compte dans un autre établissement Reyl & Cie, devenue banque en 2010, n’est apparue que plus tardivement, c’est-à-dire le 1er février après la réponse des autorités suisses. Et donc, le 24 janvier, quand la demande part de la DGFIP, la seule information recoupée, donc légitime pour interroger la Suisse c’est celle de Mediapart du 4 décembre selon laquelle il aurait eu un compte à l’UBS transféré à Singapour en 2010. Et on ne peut pas me dire que le dossier de Mediapart était complet et en même temps de me reprocher d’avoir interrogé l’administration suisse sur ces seules bases !

En vérité j’ai interrogé l’administration suisse sur les bases de ce qu’avait dit Mediapart qui elle-même avait été à l’origine de l’enquête préliminaire qui a été déclenchée le 8 janvier. J’ajoute que nous avons bien pris en compte les informations de Mediapart puisque nous avons aussi visé Jérôme Cahuzac en qualité d’ayant-droit économique du ou des comptes et donc notre demande d’entraide visait à inclure d’éventuels prête-noms. Le cas échéant par exemple ça aurait pu être M. Dreyfus ou M. Reyl, s’ils avaient ouvert des comptes chez UBS pour le compte de Jérôme Cahuzac.

J’ajoute enfin que l’article d’Antoine Peillon du 1er février mentionnait la banque Reyl et indique que son auteur a posé au groupe Reyl la question suivante : « Pouvez-vous nous confirmer que monsieur Jérôme Cahuzac a été l’ayant-droit économique d’un compte ouvert à l’UBS par vos services ? » Donc voilà d’une manière très précise pourquoi nous avons procédé ainsi.

La deuxième chose, on voit bien là qu’on jongle, ce n’est pas seulement de l’uchronie pour le coup, c’est parfois de la contradiction entre les critiques, où on me dit « vous en avez trop fait » d’un côté, « vous n’en avez pas assez fait » de l’autre.

S’agissant de Singapour encore une fois, dans mon esprit, il y avait une chaîne logique : un compte à l’UBS qui aurait en 2010 été transmis à Singapour. Dès lors que les autorités suisses, interrogées non pas seulement sur la période 2010-2012 mais sur la période 2006-2012, nous disent de façon très claire « Non, il n’y a pas eu de compte de cette nature, il n’y a pas eu de transfert et ça concerne aussi monsieur Jérôme Cahuzac comme ayant-droit économique du ou des comptes », la question se pose de savoir s’il faut interroger Singapour.

Mais, si nous avions interrogé Singapour à ce moment-là et, pour le coup, sans avoir d’élément du tout, on aurait procédé à ce qu’on appelle du chalutage et de surcroît on aurait très clairement empiété sur l’information judiciaire. Je pense que ce n’était vraiment pas notre rôle de mener une enquête parallèle. Je m’y suis refusé.

J’ai dit tout à l’heure, j’ai fait ce que je devais et ce que je pouvais, j’ai utilisé autant que je le pouvais, autant que je le devais l’instrument juridique précis qui était en notre possession. Je n’ai pas voulu lui faire faire plus que ce qu’il pouvait, par exemple du chalutage, du fishing comme on dit, c’est-à-dire interroger sur toutes les banques. Cela aurait été, à ce moment-là, dilatoire. Et je n’ai pas voulu non plus poursuivre au-delà de la question posée parce qu’à ce moment-là on m’aurait accusé de mener une enquête en parallèle, alors que je ne voulais pas d’enquête parallèle. Nous nous serions mis en grave difficulté et là encore vous seriez en train de nous le reprocher à juste titre.

M. le président Charles de Courson. Quand nous avons auditionné M. Jérôme Cahuzac, notre collègue Georges Fenech lui a posé la question suivante :

« M. Georges Fenech. Monsieur Cahuzac, après le 14 janvier, date d’expiration du délai de renvoi du formulaire n° 754, le ministre de l’économie et des finances vous a-t-il informé qu’il allait directement interroger la Suisse malgré l’existence d’une enquête judiciaire en cours ? Dans cette hypothèse, vous a-t-il soumis le contenu et le libellé de cette question ? Votre réponse est importante, car elle nous permettra de déterminer si le ministre de l’économie et des finances a cherché délibérément à vous blanchir ou commis une imprudence.

M. Jérôme Cahuzac. M. Pierre Moscovici ne m’a jamais informé de cette procédure. A fortiori, il ne m’a pas communiqué les termes de la demande formulée par l’administration française à son homologue helvétique. »

Quel commentaire avez-vous à faire ?

M. le ministre. Je vous ai déjà répondu sur les conditions dans lesquelles M. Cahuzac avait reçu une information sur le principe de la procédure. Je vous ai dit qu’il n’avait été en rien informé de la procédure elle-même, de sa conduite, de la rédaction de la demande d’information, et de la réponse suisse.

M. le président Charles de Courson. Vous en concluez donc que M. Jérôme Cahuzac nous a menti ?

M. le ministre. Il me semble, monsieur le président, que je viens de vous répondre de manière très précise.

M. le président Charles de Courson. M. Cahuzac ne nous aurait pas menti ?

M. le ministre. Je n’ai pas de jugement à porter ; je le répète, je viens de vous répondre de manière très précise.

M. le président Charles de Courson. C’est en contradiction avec ce que vous nous avez dit tout à l’heure !

M. le ministre. Non, c’est exactement la même chose. Je vous ai dit dans quelles conditions M. Cahuzac avait reçu une information sur le principe de la demande qui pouvait être adressée à la Suisse, et je vous répète – sans que ce soit contradictoire, ni avec ce que je viens de dire, ni avec ses propos – qu’il n’a pas été informé de la procédure, qu’il n’a pas été associé à la rédaction de la demande, qu’il n’a pas été informé de l’envoi de celle-ci, ni de la réponse, et qu’il n’a jamais eu entre ses mains le contenu de cette réponse.

M. le président Charles de Courson. Ce n’est pas clair du tout !

M. Alain Claeys, rapporteur. Il a été informé du sens général de la réponse par les autorités suisses ?

M. le ministre. Non : les autorités helvétiques en ont informé ses conseils en Suisse. La meilleure preuve que tout a été fait dans la plus grande discrétion, c’est que ce document n’a, jusqu’à présent, jamais été publié. Il relève du secret fiscal. Il a été communiqué aux personnes qui ont autorité pour lever ce dernier – en l’espèce, les présidents des commissions des finances et les rapporteurs généraux des deux assemblées. M. Christian Eckert en a eu connaissance, et il a confirmé à plusieurs reprises que la démarche que j’avais suivie était valide. Pour le reste, il n’a jamais été rendu public, nulle part !

M. le président Charles de Courson. Le déport a été mis en œuvre par une note du 10 décembre 2012 signée par M. Jérôme Cahuzac. Je vous en lis l’avant-dernier paragraphe :

« Tout document ou toute information relative à ma situation fiscale personnelle ne devra être porté qu’à la connaissance de mes avocats et conseils. Vous ne transmettrez que les documents ou informations de nature à être portées à la connaissance d’un contribuable quelconque dans le cadre des lois et règlements en vigueur. »

Pensez-vous que sa participation à la réunion du 16 janvier 2013 était compatible avec cette instruction ?

M. le ministre. Oui, car il ne s’agissait pas d’un acte de l’administration fiscale ; il s’agissait de dire à un ministre que l’on avait arrêté le principe d’une procédure qui devrait ensuite être mise en œuvre par l’administration fiscale.

M. le président Charles de Courson. Mais était-il un « contribuable quelconque » ?

M. le ministre. En l’occurrence, il était le ministre !

M. le président Charles de Courson. Il avait lui-même écrit qu’il devait être traité comme un « contribuable quelconque » !

M. le ministre. On se trouve exactement dans ce cadre ; la « muraille de Chine » a parfaitement fonctionné.

M. le président Charles de Courson. Ah, vraiment ?

M. le ministre. Voudriez-vous qu’en plus il y ait eu une « muraille de Chine » politique qui eût fait que M. Jérôme Cahuzac n’eût plus été membre du Gouvernement ?

M. Daniel Fasquelle. La ligne de défense des ministres, qui est de répéter qu’ils n’ont jamais eu aucun échange sur l’affaire Cahuzac, s’est fissurée cet après-midi : Manuel Valls a reconnu avoir eu des réunions avec le Président de la République à l’Élysée et avec le Premier ministre à Matignon. Vous-même venez de reconnaître que Jérôme Cahuzac avait été informé de la procédure d’entraide administrative le 16 janvier, alors qu’il nous avait dit qu’il n’avait eu aucun contact d’aucune sorte avec aucun d’entre vous. À nouveau, c’est grâce à la presse que nous avons obtenu cette information.

Devant la Commission d’enquête, toute la vérité doit être dite, monsieur le ministre. Y a-t-il eu d’autres réunions de ce type, avec le Président de la République, le Premier ministre ou d’autres membres du Gouvernement, durant la période visée par la Commission d’enquête ?

M. le ministre. D’abord, ce que mes collègues Manuel Valls et Christiane Taubira ont dit, et que je confirme, c’est que nous n’avons jamais parlé entre nous de cette affaire.

Ensuite, il s’agissait, le 16 janvier, non d’une réunion ad hoc, mais d’une rencontre en marge du conseil des ministres – comme il arrive souvent que l’on se parle deux minutes dans la salle d’à côté. Et non, il n’y en a pas eu d’autres.

Je suis le ministre de l’économie et des finances. À ce titre, je rencontre très régulièrement le Président de la République et le Premier ministre ; je les ai donc informés de la possibilité de la procédure d’entraide, j’ai fait la proposition d’y recourir et ils en ont accepté le principe.

M. Daniel Fasquelle. Manuel Valls nous a dit qu’il avait assisté à des réunions à l’Élysée et à Matignon au cours desquelles le cas Cahuzac avait été évoqué. Comment expliquez-vous que vous n’y ayez pas été associé, alors que vous étiez le supérieur hiérarchique de Jérôme Cahuzac ?

M. le ministre. Je n’ai pas entendu ce qu’a dit Manuel Valls. Je peux simplement déclarer qu’il n’y a pas eu de réunion de cette nature à laquelle j’aie participé.

M. Daniel Fasquelle. Si on peut reprocher à François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Christiane Taubira et Manuel Valls d’avoir péché par omission, vous, vous avez péché par action en lançant cette enquête administrative qui a conduit à blanchir Jérôme Cahuzac.

Pourquoi la demande d’entraide administrative a-t-elle été adressée aussi tard à la Suisse, alors que les faits étaient révélés par Mediapart dès le 4 décembre ? Vous avez évoqué Singapour : une des trois questions que j’avais posées dans l’hémicycle le 5 décembre portait sur le transfert du compte en banque vers un paradis fiscal situé en Asie. Or, je tenais mes informations du site d’information en ligne.

De même, pourquoi le champ de la question posée aux autorités suisses n’a-t-il pas été plus large ? Si cela avait été le cas – et c’était possible –, l’enquête administrative se serait révélée utile. Or, ce qui nous trouble, c’est qu’elle a conduit au contraire à la conclusion que Jérôme Cahuzac n’avait pas ouvert de compte en Suisse. La question n’a-t-elle pas été rédigée de façon à recevoir une réponse précise, destinée à « sauver le soldat Cahuzac » ?

M. le ministre. On peut faire tous les reproches dans un sens et dans l’autre. Certains pèchent par omission, d’autres pèchent par action et à l’inverse si je m’étais moi-même livré à l’inaction vous seriez en train de me reprocher d’avoir péché par omission. C’est un peu un raisonnement circulaire, monsieur le député !

Pourquoi n’avoir pas agi plus tôt ? Certes, l’affaire a été mise au jour par Mediapart le 4 décembre, mais jusqu’au 8 janvier, juridiquement, rien ne se passe. Il n’y a même pas d’enquête préliminaire, seulement la mise en cause d’un ministre par un site Internet – même s’il s’agit d’un site important, dont les journalistes sont compétents et bien informés.

Nous prenons toutefois les choses assez au sérieux pour décider d’ériger aussitôt cette « muraille de Chine ». Par la suite, dès le 14 décembre, c’est l’envoi du formulaire no 754 – même si je n’en suis pas informé. À partir de cette date, court le délai de trente jours nécessaire pour épuiser les procédures internes, condition préalable à toute demande d’entraide administrative. Cela nous mène au 14 janvier.

Pendant ce temps, le directeur général des finances publiques s’assure de la faisabilité de la demande d’entraide. Ce n’est pas simple : il faut tenir compte des révélations de Mediapart, mais aussi de l’état du droit, lequel est suffisamment compliqué pour que vous vous soyez interrogés à ce sujet depuis des semaines. Nous voulions avant tout être efficaces, employer les bons termes, afin d’obtenir un résultat.

Ensuite, les contacts politiques avec les autorités suisses ont lieu dès le 21 janvier – soit sept jours après l’expiration du délai –, puis le 25 janvier –après que la demande a été enregistrée –, et la réponse parvient le 31 de ce même mois.

Vous me demandez pourquoi nous n’avons pas agi plus tôt ; je vous réponds qu’en réalité, nous avons été exceptionnellement rapides.

Pourquoi la demande d’assistance administrative n’était-elle pas formulée de façon plus large ? Je le répète, l’état du droit et le contenu de la convention ne le permettaient pas, sauf à prendre le risque de se voir opposer une réponse négative. Elle a été la plus large possible, dans le temps comme dans l’espace, d’autant que les ayants droit étaient pris en compte. Bruno Bézard l’a établi ici de la manière la plus claire.

Quant à votre dernière question, elle tend à me mettre en cause, et je n’accepte pas vos insinuations. Il n’y a eu aucune volonté de sauver un « soldat Cahuzac ». L’approche que j’ai adoptée est celle du doute méthodique : confiance dans le ministre et dans l’homme, mais souci de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour contribuer à la vérité de façon certaine. C’est ce que nous avons fait.

Votre question est soit absurde, soit extrêmement grave. Si vous pensez que le ministre de l’économie et des finances était au courant de l’existence de ce compte et aurait cherché à protéger son titulaire… Au nom de quoi ? Mais si tel avait été le cas, le Président de la République et le Premier ministre ne l’auraient pas toléré une seconde ! Je rappelle qu’il n’a pas fallu une heure, à partir de l’ouverture de l’information judiciaire, pour que Jérôme Cahuzac quitte le Gouvernement ! Vous y étiez : cela se passait pendant les questions d’actualité. Il est donc extrêmement grave de laisser penser que nous l’aurions couvert. Je ne peux laisser passer une telle allégation, et la récuse de la façon la plus forte.

M. le président Charles de Courson. Quand vous avez donné votre accord au directeur général des finances publiques pour formuler une demande en application de la convention fiscale franco-helvétique, pensiez-vous avoir une chance d’obtenir une réponse positive, compte tenu de la complexité des mécanismes généralement employés pour dissimuler des comptes non déclarés – comptes maîtres, trusts, etc. – ? Vous êtes-vous posé la question, vous qui connaissez un peu le droit fiscal ?

M. le ministre. Vous m’avez même prêté, dans l’entretien que j’évoquais tout à l’heure, une maîtrise extrême de cette matière.

Selon moi, la réponse aurait pu être positive dans deux cas de figure : s’il avait été exact que M. Cahuzac détenait entre 2006 et 2010 un compte à l’UBS, plus tard transféré à Singapour ; ou si nous avions pu interroger la Suisse sur un compte ouvert dans un autre établissement bancaire dûment mentionné. Pour le reste, je n’avais aucune idée de la réponse qui nous serait adressée. Certains ont prétendu – et cela a été aussi votre cas –, Monsieur de Courson, que j’avais posé cette question en connaissant d’avance la réponse. C’est faux.

M. le président Charles de Courson. Mais vous connaissez les mécanismes de dissimulation des comptes en Suisse. Vous avez un « lourd passé » dans ce domaine, en tant qu’ancien magistrat à la Cour des comptes, puis ministre des finances.

Quand je parle de « lourd passé », je fais de l’humour, naturellement. Je veux simplement dire que vous n’étiez pas un novice en matière de droit fiscal. Vous êtes-vous demandé si la question que vous posiez pouvait recevoir une réponse autre que négative ?

M. le ministre. Je viens de vous le dire, en posant la question, je pensais qu’une réponse positive était possible, même si j’espérais le contraire, car j’avais confiance en mon collègue. C’est encore une fois le doute méthodique. Oui, je pensais que la réponse pouvait être positive et elle aurait pu l’être, par exemple si le nom de la banque Reyl avait été mentionné plus tôt et si nous avions pu en tenir compte lors de la rédaction de la demande d’assistance administrative.

Quant à la Cour des comptes, vous y étiez également, puisque nous nous y sommes connus il y a vingt-neuf ans. On peut faire de l’humour, mais en la matière, je n’ai ni passé, ni passif !

M. Daniel Fasquelle. Vous avez dit que vous vouliez être efficace. Mais l’enquête administrative est déclenchée si tard, la question posée porte sur un champ si étroit que l’on peut exprimer des doutes sur les réponses qu’il était possible d’obtenir à partir d’une telle demande.

Mais surtout, vous étiez le ministre de tutelle de Jérôme Cahuzac, accusé par Mediapart de détenir un compte en Suisse, alors qu’il était chargé de la lutte contre la fraude fiscale. Pourquoi ne pas avoir, dès le mois de décembre, signalé au Président de la République à quel point la situation était intolérable ?

Vous dites qu’il a été demandé à M. Cahuzac d’apporter la preuve qu’il n’avait pas de compte en Suisse. À quel moment ? Pourquoi, en l’absence de réponse, n’avoir pas pris des mesures plus énergiques ? Alors qu’il fait traîner les choses, votre seule réaction est de déclencher, fin janvier, une enquête administrative : c’est pour le moins troublant !

Par ailleurs, vous disposiez également de l’arme de la coopération judiciaire, même si celle-ci n’entrait pas dans le périmètre de l’administration fiscale. Vous pouviez vous adresser dans ce but au Président de la République et au Premier ministre. La coopération judiciaire aurait pu permettre de terminer l’affaire Cahuzac dès le mois de décembre. Pourquoi ne pas y avoir eu recours ?

M. le ministre. Là, nous sommes à la fois dans l’uchronie, la spéculation intellectuelle et l’expression de votre intime conviction. J’ai déjà répondu à toutes ces questions.

Je le répète une nouvelle fois, nous avons posé la question la plus large possible dans les délais les plus courts possibles. Je ne reviendrai pas sur la chronologie précise que je viens de retracer, mais ne perdez pas de vue qu’entre le 4 décembre et le 8 janvier, période pendant laquelle nous avons accompli un certain nombre de démarches – ce qui était déjà considérable –, il n’y avait aucun autre élément qu’une mise en cause publiée dans Mediapart. À partir du 8 janvier, nous passions à une autre étape, celle de l’enquête judiciaire. La recherche de la vérité s’est alors accélérée.

M. Pierre-Yves Le Borgn’.  Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la clarté, l’exhaustivité et la rigueur de vos propos – ce préalable me semble utile.

Edwy Plenel devant nous, et Charlotte Chaffanjon dans son ouvrage, ont témoigné de votre réaction devant l’instrumentalisation de la réponse apportée par la Suisse le 31 janvier. Confirmez-vous avoir ressenti de la colère ? Avez-vous la conviction, à ce moment, que le Journal du dimanche a été informé par l’entourage de Jérôme Cahuzac ? Le livre fait état d’une conversation avec lui sur ce sujet : que lui avez-vous dit, et surtout que vous a-t-il-dit, lui ?

M. le ministre. Un article du Journal du dimanche inférait en effet de la réponse suisse – dont la tonalité était connue de Jérôme Cahuzac via ses conseils –, que ce dernier était blanchi. Or, les autorités suisses n’avaient fait qu’apporter une réponse précise à une question précise : ce que j’en tirais, c’est que M. Cahuzac n’avait pas détenu de compte à l’UBS entre 2006 et 2010 et ledit compte n’avait pas été transféré à Singapour. Pour le reste, je me suis donné une règle, exprimée d’ailleurs dans un entretien à France Inter : il faut laisser la justice faire son travail. Nous ne sommes là que pour concourir à l’établissement de la vérité en lui transmettant les informations disponibles. C’est pourquoi j’ai en effet ressenti une certaine colère en lisant, dans le JDD, cet éloge qui semblait innocenter complètement Jérôme Cahuzac – un sentiment que j’ai partagé avec le directeur général des finances publiques. Je craignais que l’article ne soit interprété par le procureur comme une pression et par Mediapart comme une agression.

J’en ai en effet parlé à Jérôme Cahuzac, qui m’a dit – je crois qu’il vous l’a confirmé – qu’il n’était pas responsable de cette opération. Le reste ressort de mon intime conviction, qui n’a pas beaucoup d’intérêt pour la Commission.

M. le président Charles de Courson. Un peu tout de même, monsieur le ministre. Si ce n’est pas vous, …

M. le ministre. Non, ce n’est pas moi, ni le directeur général des finances publiques, ni mon entourage.

M. le président Charles de Courson. Quelles hypothèses reste-t-il ? Elles ne sont pas très nombreuses.

M. le ministre. Il vous appartient d’enquêter sur ce point. Une source, au moins, est mentionnée dans l’article, celle des conseils. Pour le reste, je n’ai pas l’intention de mettre quiconque en cause sans disposer du moindre élément de preuve.

M. le président Charles de Courson. Pourquoi la lecture de cet article vous rend-elle furieux ?

M. le ministre. Pour les raisons que je viens de vous expliquer : je crains qu’il ne soit perçu comme une tentative de pression. On fait dire à cette réponse plus que ce qu’elle ne dit.

M. le président Charles de Courson. Cela signifie que vous doutez de cette réponse.

M. le ministre. Des magistrats de la Cour des comptes doivent se montrer précis dans l’usage du vocabulaire. Non, je ne doute pas de la réponse ; je doute de sa portée générale. Elle répond à ma question, pas à tout ; dès lors, il appartenait à la justice de continuer à travailler. C’est pourquoi nous lui avons transmis l’information dont nous disposions.

M. Gérald Darmanin. Ma question, plus générale, concerne votre conception de la responsabilité en politique, car nous ne sommes pas totalement convaincus par votre « doute méthodique ». Vous étiez le ministre de tutelle de Jérôme Cahuzac ; vous aviez en commun des collaborateurs, des conseillers en communication, une administration. Lorsque votre ministre délégué, que vous aviez interrogé plusieurs fois sur ce sujet, a avoué qu’il avait menti à la représentation nationale et au Président de la République, comment est-il possible que vous n’ayez pas eu l’idée de reconnaître que vous aviez failli à votre responsabilité, tout en étant pas le responsable direct ? Parmi les quatre reproches qui vous ont été faits, on peut retenir, sinon l’incompétence, du moins un grand manque de curiosité. Vous auriez pu concevoir différemment votre rôle de ministre de tutelle, et peut-être, dans ce cas, auriez-vous mieux servi le Gouvernement – quitte à ce que le Président de la République et le Premier ministre vous reconduisent finalement dans vos fonctions.

Avez-vous le sentiment que vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir, en tant que ministre de tutelle, pour connaître la vérité sur le compte de M. Cahuzac ?

M. le ministre. Je constate, monsieur le député, que je ne vous ai pas convaincu. Mais, j’ai une vague impression que vous n’aviez pas envie de l’être. Ce n’est pas le doute méthodique que vous pratiquez, ainsi qu’un certain nombre de vos collègues, mais le doute par principe, parce que vous n’écoutez pas les réponses. Au fond, elles ne vous intéressent pas.

Vous êtes plus jeune que moi. Je suis un homme politique expérimenté, puisque j’ai déjà été ministre il y a quinze ans. Et j’ai, en effet, une certaine conception de la responsabilité en politique. Si j’avais estimé, d’une quelconque façon, avoir failli dans ma mission, j’en aurais tiré les conséquences auprès du Président de la République et du Premier ministre, pour accomplir le geste que vous évoquez. Mais j’ai la conviction d’avoir agi comme je le pouvais, compte tenu des moyens en ma possession, et comme je le devais, au regard de mon éthique et de mes relations avec l’administration fiscale – qui est une fort belle administration – et avec la justice. J’estime que cette administration, sous ma conduite, s’est montrée irréprochable et n’a rien laissé au hasard.

Je le répète, on ne peut à la fois me reprocher d’en avoir trop fait et de ne pas en avoir fait assez.

Mme Cécile Untermaier. Lors de la publication de l’article de Mediapart, le 4 décembre, quelle a été votre réaction ? Vous êtes-vous tourné vers l’administration pour savoir s’il existait des éléments susceptibles de conforter l’accusation ?

M. le ministre. Comme vous, j’imagine, j’ai été frappé par cet article. Même sans être toujours d’accord avec ce qu’ils écrivent, je sais en effet que les journalistes de Mediapart n’affirment rien à la légère. J’ai donc eu une conversation – à son initiative – avec Jérôme Cahuzac, qui m’a dit, comme il vous l’a dit dans cette enceinte, qu’il n’avait jamais eu de compte en Suisse. Il me l’a même répété un grand nombre de fois par la suite. A chacune de nos conversations ou presque, il me répétait son innocence. Je l’ai cru sincère – nous avons d’ailleurs tous pensé la même chose.

M. le président Charles de Courson. Pas tous.

M. le ministre. Du moins un très grand nombre. Je n’ai pas entendu ceux qui doutaient s’exprimer avec force. Mais j’avais d’autres raisons de penser ainsi : je travaillais avec lui à la tâche essentielle de redresser les comptes du pays.

Cela étant, ma réaction a été immédiate : mise en place de la « muraille de Chine », puis lancement, le 14 décembre, de la « procédure 754 » –à l’initiative de l’administration. Nous avons envisagé, dès Noël, un recours à l’entraide administrative. Nous ne sommes donc pas, loin s’en faut, restés inertes. Nous avons mis en marche tout ce qui, du point de vue de l’administration fiscale, permettait d’établir la vérité.

Mme Cécile Untermaier. Dans l’ouvrage de la journaliste du Point, il est fait état d’un engagement de Jérôme Cahuzac à obtenir, de la part des autorités suisses, la confirmation qu’il n’existait pas de compte à son nom à l’UBS. J’imagine que vous en attendiez les résultats. En l’absence de réponse au formulaire no 754 et de confirmation de la part des autorités suisses, vous avez présenté une demande d’entraide administrative. Votre doute ne s’est-il pas renforcé à ce moment ?

M. le ministre. Je le confirme : Jérôme Cahuzac évoquait la possibilité d’obtenir d’UBS, via ses avocats, la confirmation du fait qu’il ne détenait pas de compte dans cette banque. Or, pour des raisons que je ne connais pas – j’imagine que vous l’avez interrogé à ce sujet –, il n’y a pas eu de réponse. C’est pour cette raison, et compte tenu de l’ouverture d’une information judiciaire, de l’épuisement des procédures internes et des travaux préparatoires déjà réalisés en ce sens, que nous avons estimé à ce moment nécessaire de procéder à une demande d’entraide administrative. Cela relève, une fois de plus, du doute méthodique. C’est la volonté de connaître la vérité qui nous motivait – ce qui est d’ailleurs en totale contradiction avec l’accusation selon laquelle nous l’aurions déjà connue et les questions n’ont été posées que dans le but de voir confirmer les hypothèses que nous souhaitions.

Mme Cécile Untermaier. Je considère pour ma part qu’il y a eu addition de compétences, administrative et judiciaire, et non rivalité.

M. le ministre. Vous savez de quoi vous parlez.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous êtes cohérent avec vous-même, monsieur le ministre, puisque vous avez tenu les mêmes éléments de langage devant la Commission des finances. Dans cet océan de cohérence, je relève tout de même une incohérence : vous n’avez pas informé le procureur de la République de la demande d’entraide administrative, mais vous le faites lors de la réception de la réponse. Pourquoi cette différence ?

M. le ministre. Je vous remercie d’avoir salué la cohérence de mes propos. Il ne s’agit pas d’éléments de langage, mais de la conviction d’avoir fait ce que je devais faire, à la tête d’une administration dont le comportement a été impeccable de bout en bout.

Pour le reste, je crois avoir déjà répondu à cette question. Le principe de spécialité s’est appliqué. L’administration fiscale a lancé la procédure qu’elle croyait devoir entreprendre – qu’elle devait entreprendre –, et cela n’était pas un élément qui participait de la vérité. En revanche, la réponse des autorités suisses nous a semblé devoir être communiquée au juge, parce qu’elle apportait un élément nouveau et important. Dans un cas, il s’agissait de procédure, et nous n’avions pas à en informer le procureur ; dans l’autre, il était question d’un élément d’information sur le comportement de Jérôme Cahuzac.

Mme Marie-Christine Dalloz. Soit. Pour ma part, je retiens que le procureur n’est pas informé de la demande, mais seulement de la réponse.

Je souhaite revenir sur trois dates. Le 10 décembre, mise en place de la « muraille de Chine », Jérôme Cahuzac s’auto-déporte des dossiers le concernant. Il n’est donc plus dans la boucle au sujet de la fraude fiscale dont il serait l’auteur. Le 8 janvier, ouverture d’une enquête préliminaire. Enfin, le 16 janvier, une réunion est organisée avec le Président de la République, le Premier ministre, vous-même et Jérôme Cahuzac. Tout le monde, ici, connaît la personnalité de ce dernier : ce n’est pas quelqu’un que l’on assoit dans un coin, le temps de discuter de son dossier. Vous avez dit vous-même tout à l’heure qu’il avait précisé la période sur laquelle pouvait porter la demande d’assistance administrative.

Où est la cohérence ? On ne peut pas déporter quelqu’un le 10 décembre, puis le remettre dans le circuit le 16 janvier pour l’informer de la façon dont va être formulée la question posée aux autorités fiscales suisses.

M. le président Charles de Courson. Quelle est votre question ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Comment expliquer la présence de M. Cahuzac à la réunion du 16 janvier ? Pourquoi l’avoir laissé donner lui-même des indications sur la période à prendre en compte ?

M. le ministre. Sur le plan chronologique, il n’est pas juste de prendre la date du 4 décembre pour point de départ, ni même, d’ailleurs, celle du 10 décembre : il faut partir du 8 janvier, date de l’ouverture de l’enquête judiciaire, qui est un élément accélérateur.

Sur ce qui s’est passé le 16 janvier, j’ai déjà répondu. Au cours de cette rencontre, qui n’a duré que quelques minutes, Jérôme Cahuzac a accueilli avec sérénité ce qui n’était pour lui qu’une information. Cela n’implique pas qu’il ait été associé en quoi que ce soit ni à la demande d’entraide, ni à la conduite de la procédure, ni à la réponse. Il a juste indiqué qu’il souhaitait que la période couverte par la requête soit la plus large possible, mais il n’a pas dicté le contenu de cette dernière – qu’il ignorait.

M. Christian Eckert. Certains profitent de leurs questions pour donner leur point de vue. Pour une fois, je vais en faire autant. Lorsque le ministre a évoqué certains documents dont j’ai été le destinataire, et mes déclarations sur le sujet, j’ai entendu des ricanements. Je vais donc rappeler ce que j’ai dit, et même écrit. J’ai en effet commis, la semaine dernière, un rapport dont certains ont pu dire qu’il avait pour objectif de blanchir M. Woerth ou de valider l’action de M. Parini – ce que les gens dotés d’une certaine mémoire pourraient juger surprenant.

J’essaie simplement de me montrer objectif. J’ai analysé les conventions entre la France et la Suisse et les lettres d’échange au sujet de leur application, et j’ai en effet pris connaissance des questions posées aux autorités suisses et des réponses qui y ont été apportées.

Tout d’abord, il fallait que la France prouve son intérêt à agir. Cet intérêt étant fondé sur la possibilité d’effectuer des poursuites et l’hypothèse d’un redressement fiscal, il était nécessaire de tenir compte des délais de prescription, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur la fortune. C’est pourquoi la période considérée ne pouvait courir qu’à partir de 2006.

Comme j’ai pu le constater dans le cadre d’autres affaires – UBS et HSBC –, les Suisses s’abstiennent de répondre lorsque les conditions d’interrogation ne sont pas respectées. Outre l’intérêt à agir, une de ces conditions est que l’administration nationale ait épuisé ses moyens d’action interne avant de recourir à l’entraide administrative. Tel est l’objet de l’envoi, à M. Cahuzac, du formulaire no 754 : c’était le point de départ du délai d’un mois nécessaire pour qu’une requête soit possible.

Par ailleurs, les textes prévoient que l’administration fiscale requérante – la France, en l’occurrence – fournit à la connaissance de l’administration helvétique toutes les informations permettant d’identifier le receleur des avoirs non déclarés détenus en Suisse. Si le nom de la banque UBS, cité par tous les articles de presse, n’avait pas été mentionné dans la demande, les Suisses n’auraient pas répondu.

Enfin, la demande mentionnait d’éventuels ayants droit. Or cette question – nous l’avons vu au cours des auditions – est assez complexe, car l’obligation de déclarer les ayants droit au moment de l’ouverture d’un compte bancaire en Suisse n’a pas toujours été de même nature. Je vous renvoie sur ce sujet aux déclarations de M. Condamin-Gerbier.

La demande adressée à la Suisse était donc conforme aux accords en vigueur. Rappelons que, dans le cadre de l’affaire UBS, 135 demandes similaires ont été effectuées, et que plusieurs mois, voire plusieurs années après, seule une poignée ont reçu une réponse. Il semble même que les Suisses refusent de répondre lorsqu’une adresse est incomplète, quand bien même ils disposeraient de tous les autres éléments nécessaires.

Je pense donc que tout a été fait pour que la demande d’entraide permette d’obtenir les informations.

Je reviens maintenant à la question posée par Mme Untermaier. En lisant le livre de la journaliste du Point, on sent monter une certaine irritation jusqu’à la date du 16 janvier. En se référant précisément à des entretiens entre le Président de la République, le Premier ministre et vous-même, la journaliste souligne que Jérôme Cahuzac a longtemps fait miroiter une éventuelle réponse des Suisses, et que le Président de la République, notamment, l’a plusieurs fois interrogé à ce sujet.

La deuxième source d’irritation est l’absence de réponse au formulaire no 754. C’est ce comportement, et le fait qu’aucune réponse ne venait de la part des Suisses, qui a conduit à lancer la procédure d’entraide – et je continue à penser que s’abstenir de la lancer aurait été de nature à choquer les membres d’une commission d’enquête. Ma question est donc la suivante : à quel moment votre doute méthodique s’est-il transformé en véritable doute ? Quel a été le déclic ?

M. le président Charles de Courson. Je voulais poser également cette question.

M. le ministre. D’abord, je voudrais qu’on se remette un peu dans l’esprit de l’époque : nous sommes attelés à une tâche très compliquée, et la responsabilité, pour le coup, des ministres qui sont à Bercy, notamment du ministre des finances et du ministre du budget, des autres aussi, bien sûr, est lourde, parce qu’il s’agit de redresser les comptes publics. C’est un travail harassant. C’est un travail important accompli par des ministres qui sont évidemment très en vue pour les Français, et qui doivent incarner la confiance.

Le 4 décembre, quand arrive cette mise en cause, elle crée une émotion générale. Je ne vais pas parler d’irritation, je parle d’abord d’émotion, qui culmine avec la séance de questions d’actualité, au cours de laquelle Jérôme Cahuzac vous affirme et à nous aussi, que, il n’a pas eu de compte à l’étranger, à aucun moment.

Et à partir de ce moment-là, cette affaire est évidemment prise au sérieux sur le plan politique : un ministre du budget, qui est au cœur des processus de lois de finances et autres, qui est accusé d’avoir eu un compte à l’étranger, donc avec des conséquences fiscales, ça n’est pas rien. Et donc c’est une affaire qui attire l’attention de tous. D’où la « muraille de Chine », d’où la préparation de la procédure d’entraide administrative, d’où la tension politique constante qui est portée là-dessus. Alors ce qui se passe, je n’utiliserais pas le mot d’irritation, c’est qu’à partir d’un certain moment, il commence à y avoir un peu d’impatience, impatience qui s’accroit encore quand s’ouvre l’enquête préliminaire, le 8 janvier. C’est une nouvelle étape. Il faut accélérer.

Qu’est-ce que nous voulons savoir ? C’est simple, la vérité, contrairement à ce qui a pu être laissé entendre ici ou là. Evidemment, nous n’avons aucune forme d’information qui laisse à penser que Jérôme Cahuzac aurait eu ce compte à l’étranger, autre que les allégations de Mediapart. Nous voulons savoir, nous voulons savoir.

Il est exact qu’à ce moment-là, Jérôme Cahuzac évoque – je crois que d’ailleurs, cela a été mentionné, au moins dans Le Monde, qui avait publié un article disant qu’il avait posé des questions, mais pas forcément les bonnes – je parle de mémoire. Il dit que, via ses avocats, il va interroger l’UBS sur le fait qu’il n’avait pas de compte en Suisse. Comme la réponse ne parvient pas, nous lui disons que nous allons utiliser la procédure qui est entre nos mains, c’est-à-dire la procédure d’entraide. Pour quoi faire ? Toujours la même chose, savoir la vérité.

Vous me demandez à quel moment le doute méthodique s’est transformé en autre chose. Cette formule, qui vaut ce qu’elle vaut, exprime la balance entre, d’un côté, la confiance à un homme qui vous donne sa parole, avec autant de force, qui vous l’a redit, qui vous le répète, qui se montre disponible pour les recherches de la vérité et, de l’autre, le fait de se demander : et si c’était vrai, si c’était vrai ! C’est grave ! On doit donc tout faire pour savoir ce qui s’est vraiment passé.

Mais, ce doute méthodique, je l’ai eu jusqu’au bout, avec des hauts et des bas, avec des moments où effectivement, je pouvais ressentir – je suis un être humain – des sentiments contradictoires. L’article du Journal du dimanche a été un moment pour moi un peu dur. Je n’en ai pas tiré la conséquence que ce qu’il disait n’était pas exact, mais le fait qu’on ait voulu – qui, je ne sais pas – solliciter la vérité, faire dire à la réponse suisse plus ce que ce qu’elle disait.

Mais j’ai toujours éprouvé le doute méthodique du premier au dernier jour. Je peux vous dire, monsieur le Président, que quand j’ai appris, le 2 avril, le mensonge, l’aveu, ça a été un choc terrible pour moi. Il se trouve que, à ce moment-là, je sortais d’ici et je suis allé chez le président de la République, puisque c’est le mardi souvent que je le vois. Choc d’autant plus terrible que j’avais eu confiance dans un homme avec qui je travaillais, qui m’a menti, qui a menti à tout le monde, peut-être un peu plus à moi, parce que j’étais son ministre de tutelle, et que nous avions plus d’occasions d’en parler.

M. le président Charles de Courson. Vous avez évoqué la possibilité, pour Jérôme Cahuzac, d’adresser lui-même une lettre à la banque, afin qu’elle confirme ou non la tenue d’un compte à son nom.

M. le ministre. C’est bien ce dont il s’agit.

M. le président Charles de Courson. Mais il ne voulait pas le faire – c’est ce qu’il nous a expliqué. Or, vous ne l’avez jamais sommé de rédiger une telle lettre. Cela aurait pourtant eu valeur de test : un refus de sa part vous aurait ouvert les yeux.

De même, à propos du formulaire no 754, vous avez affirmé que vous n’étiez pas au courant de son envoi, ni de l’absence de réponse. J’ai posé la question à votre directeur général : pourquoi, alors qu’il a un devoir de loyauté à l’égard de son ministre, ne vous en a-t-il pas informé ? Il a dit qu’il n’avait pas à le faire, mais cela aurait pu alimenter votre doute méthodique.

M. le ministre. Nous sommes toujours dans l’uchronie et la reconstitution a posteriori. J’ai lu ici ou là que j’aurais dû sommer Jérôme Cahuzac de répondre au formulaire no 754. Sur ce point, je ne peux que confirmer la loyauté dont a fait preuve Bruno Bézard. Il s’agissait d’une procédure technique nécessaire, ne serait-ce que pour faire courir le délai à l’issue duquel seraient purgées les procédures internes. Mais cela constituait un non-événement, dans la mesure où une réponse politique et publique avait été apportée à l’Assemblée nationale. Simplement, en l’absence de réponse, nous étions en mesure, au bout d’un mois, de recourir à d’autres procédures.

Jérôme Cahuzac nous a dit qu’il se faisait fort, via ses avocats, d’obtenir une réponse de la part d’UBS. Ne la voyant pas venir, nous sommes passés à la procédure d’entraide administrative.

M. le président Charles de Courson. Il n’y avait pas de danger que cette réponse vienne, puisqu’il n’avait pas saisi la banque !

M. le ministre. C’est bien pour cela que nous avons eu recours à l’assistance administrative internationale.

M. Georges Fenech. Il me semble indispensable, à ce stade, que nous réentendions Jérôme Cahuzac, comme nous avons entendu à nouveau Me Gonelle en raison de la contradiction entre ses propos et ceux de M. Bruguière. En effet, M. Cahuzac nous a clairement répondu qu’il n’était pas informé de la demande d’entraide fiscale adressée à la Suisse. Or M. Moscovici nous a parlé de cette réunion du 16 janvier qui, en raison de la présence de l’ancien ministre du budget, constitue une fissure dans la « muraille de Chine ». Cette réunion constitue un point essentiel de l’affaire, et c’est pourquoi je voudrais en savoir plus. Qui était présent ? Dans quel bureau a-t-elle eu lieu ? Combien de temps a-t-elle duré ? Que s’y est-il dit ? Où étaient placés les uns et les autres ? Il ne s’agit pas de procéder à une reconstitution, mais nous voudrions visualiser la scène

(Exclamations socialistes).

Les bonnes questions vous ennuient ? Vous préférez entendre les convictions de M. Eckert ?

Cela me conduit à une remarque sur le climat de cette commission d’enquête. J’ai déjà participé à des travaux de ce genre, mais j’observe ici un clivage malsain qui ne nous honore pas.

M. Christian Assaf. Vous n’y êtes pas étranger !

M. Georges Fenech. Regardez comme vous me montrez du doigt !

M. le président Charles de Courson. Monsieur Fenech, ne vous adressez pas à vos collègues, mais au ministre.

M. Georges Fenech. Il convient, monsieur le président, de rétablir un peu de sérénité dans nos débats.

M. le président Charles de Courson. J’essaie de m’y employer.

M. Georges Fenech. Regardez mes collègues !

M. Christian Assaf. À qui la faute ?

M. le président Charles de Courson. Monsieur Fenech, nous sommes là pour poser des questions au ministre.

M. Georges Fenech. Ils m’interpellent, ils m’interrompent.

Nous sommes ici pour aider à la manifestation de la vérité, non pour protéger certains ou porter des accusations avec légèreté. Ma question est précise : que s’est-il passé le 16 janvier ? M. Cahuzac a occulté sa présence à cette réunion, là est le nœud du problème.

M. le président Charles de Courson. M. le rapporteur va nous rappeler les déclarations de M. Cahuzac devant la Commission.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je cite – c’est moi qui interpelle M. Cahuzac : « M. Bruno Bézard a indiqué, lors de son audition du 28 mai, que vous aviez tenté d’entrer dans le débat sur la demande d’assistance administrative et de voir, par exemple, comment cette demande était rédigée. Il vous avait répondu que cela était impossible, et vous n’aviez pas insisté. Est-ce exact ? » La réponse de Jérôme Cahuzac est la suivante : « Oui. Cet échange n’a duré que quelques secondes. J’ai su – car je crois que le texte de la convention le prévoit – par mes avocats suisses qu’une demande était soit en cours, soit faite. J’en ai dit quelques mots à M. Bruno Bézard, qui m’a répondu qu’il n’était pas envisageable que je puisse m’en mêler ; je lui ai donné raison et ne lui en ai plus jamais reparlé. ».

M. Georges Fenech. Jérôme Cahuzac a clairement dit que M. Moscovici ne l’avait jamais informé de cette démarche.

M. le président Charles de Courson. J’ai lu tout à l’heure sa réponse.

M. Georges Fenech. Or, nous apprenons que la réunion du 16 janvier comprenait également Jérôme Cahuzac. Il y a une contradiction manifeste.

M. le ministre. Tout d’abord, une réflexion sur le climat, peut-être pour rasséréner M. Fenech. J’ai moi-même présidé une commission d’enquête, consacrée à la libération, opérée par M. Claude Guéant et Mme Cécilia Sarkozy, des infirmières bulgares détenues en Libye par le Colonel Khadafi. Au cours de ces travaux, on m’a interdit, par vote, d’entendre un témoin pourtant essentiel, en m’expliquant que Mme Sarkozy était, en quelque sorte, partie non détachable de la fonction du chef de l’État – un motif assez cocasse. J’ai donc été amené à ne pas voter le rapport de la commission. J’espère que cela ne vous arrivera pas, monsieur le président.

M. le président Charles de Courson. Je vous rassure, monsieur le ministre, cela m’est arrivé également.

M. le ministre. Quoi qu’il en soit, je constate que les questions sont posées librement. Il est normal que le sujet soit l’occasion d’exprimer, sinon des passions, du moins des opinions assez tranchées.

Sur le fond, il vous appartient de décider qui vous voulez entendre à nouveau, mais j’ai déjà expliqué par le menu pourquoi il n’y a pas de contradiction entre nos propos. Jérôme Cahuzac n’a pas été informé de la procédure telle qu’elle a été conduite ; il ne l’a été que du principe de son déclenchement, et n’y a été associé en rien.

J’ajoute que je ne suis pas là pour faire de la politique spectacle. J’ai déjà précisé où avait eu lieu la rencontre – dans la salle attenant à celle où se tient le Conseil des ministres, quelle était sa durée – quelques minutes – et qui étaient les personnes présentes.

M. Georges Fenech. Qui était présent ?

M. le ministre. Je vous l’ai déjà dit : le Président de la République, le Premier ministre, moi-même et Jérôme Cahuzac.

M. Georges Fenech. Je suggère donc à notre commission d’entendre les autres participants.

M. le président Charles de Courson. Nous en discuterons après l’audition du ministre.

M. Georges Fenech. En tout état de cause, votre réponse ne me satisfait pas. Il ne s’agit pas uniquement d’information, puisque Jérôme Cahuzac était présent ce jour-là.

M. le ministre. Il s’agissait de l’informer sur le principe, non de le consulter ou de lui indiquer des détails. Nous lui avons dit que nous allions procéder à la demande d’assistance administrative internationale, faute d’avoir obtenu la réponse demandée. C’est tout. Pour le reste, l’administration fiscale, sous mon autorité, a fait ce qu’elle devait faire. C’est sur ma proposition, je dis bien à mon initiative, que cette procédure a été suggérée. Le principe en a été accepté par le Président de la République et le Premier ministre. Jérôme Cahuzac a été informé du principe. Mais la mise en œuvre relevait totalement de la DGFIP, sous mon autorité. Voilà exactement ce qui a été fait.

M. Georges Fenech. À partir du 10 décembre, date de la mise en place de la « muraille », la DGFIP passe sous votre autorité.

M. le ministre. Pour le traitement de ce cas, oui.

M. Georges Fenech. Mais uniquement pour le traitement de ce cas.

M. le ministre. Bien sûr.

M. Georges Fenech. Cela méritait d’être précisé. M. Cahuzac a décidé de s’auto-déporter, ce que vous avez tacitement accepté, sans rien signer toutefois. Je trouve étonnant qu’un ministre décide de lui-même de se défausser d’une partie de ses compétences.

M. le président Charles de Courson. Quelles sont vos questions, monsieur Fenech ?

M. Georges Fenech. Monsieur le président, j’ai attendu toute l’après-midi. Si je ne peux pas m’exprimer…

M. le président Charles de Courson. Vous le pouvez. Mais nous sommes là pour poser des questions.

M. Georges Fenech. Je voudrais faire part comme l’a fait M. Eckert, de ma conviction. En entendant M. Moscovici, j’ai beaucoup souffert pour lui, car la situation dans laquelle il se trouvait – de bonne foi, je veux le croire – était absolument intenable. Il gérait en effet les conséquences de l’absence de décision de la part du Président de la République et du Premier ministre. La mise en place de la « muraille de Chine » est bien la démonstration flagrante que le maintien de Jérôme Cahuzac à la tête de l’administration fiscale constituait un conflit d’intérêts. Il aurait été bien plus responsable, d’un point de vue politique – et au fond, le dysfonctionnement est bien là, tellement flagrant que je me demande si une commission d’enquête était vraiment nécessaire –, de mettre M. Cahuzac en retrait dès que le doute pouvait paraître sérieux. Cela vous aurait facilité la tâche, monsieur le ministre, pour mener l’enquête administrative.

J’en viens à ma question. L’administration fiscale, que je sache, est soit partie jointe, soit partie principale à une enquête ou à une procédure devant le tribunal correctionnel. Vous serez, tôt au tard, partie jointe dans une procédure, si les faits sont finalement avérés. Mais qu’est-ce qui vous empêchait, à l’époque, de dénoncer les faits au parquet afin qu’il déclenche une enquête à votre initiative, et non à celle d’un organe de presse ? Rien ne vous l’interdisait !

Certes, il y a séparation des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire et l’administration fiscale. Mais le code de procédure fiscale dispose que l’administration peut saisir le procureur de la République pour faire déclencher une enquête. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

M. le ministre. Sur le premier point, je vous remercie : il est vrai que la période n’a pas été facile pour moi. Mais je l’ai assumée avec le sens des responsabilités qui est le mien, et en conservant la même attitude à l’égard de mon collègue – un homme qui non seulement était présumé innocent, mais qui, jusqu’au 8 janvier, ne faisait pas l’objet d’une enquête préliminaire –, tout en cherchant à établir la vérité. Je pense que les choses ont été faites d’une façon exemplaire.

Pour le reste, je ne veux pas me livrer à l’uchronie. Je répète que l’administration fiscale a fait tout ce qui était en son pouvoir. Et une enquête préliminaire a été ouverte le 8 janvier.

M. Thomas Thévenoud. Chacun livre sa propre analyse de cette affaire. Pour ma part, je me contenterai de rappeler un chiffre : il s’est passé 117 jours entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013. On aurait aimé que la vérité éclatât aussi vite dans un certain nombre d’affaires !

Monsieur le ministre, lorsque vous n’étiez pas en déplacement à l’étranger, combien de fois par semaine aviez-vous l’occasion de rencontrer le ministre délégué au budget ?

M. le ministre. Si je tiens compte des fréquents entretiens bilatéraux, des réunions de ministres auxquelles nous participons tous les deux, du Conseil des ministres, des séances de questions d’actualité, des textes que nous avons été amenés à défendre au Parlement – déjà six projets de loi d’ordre financier, qu’il s’agisse de lois de programmation, de lois organiques, de lois de finances ou de loi de finances rectificative –, je crois pouvoir parler de contacts quotidiens, voire plus fréquents encore.

M. Thomas Thévenoud. Pendant ces 117 jours, avez-vous le souvenir du nombre de fois où vous avez personnellement interrogé Jérôme Cahuzac sur l’existence d’un compte à l’étranger ?

M. le ministre. Nous avons eu un échange à ce sujet dès le premier jour, sans que je puisse dire si je l’ai interrogé ou si c’est lui qui m’en a spontanément parlé. Il m’a en tout cas assuré – car, comme tout le monde, j’avais été ébranlé par les informations de Mediapart – ne pas détenir ce compte, ce qu’il a ensuite confirmé devant la représentation nationale. Par la suite, il lui est arrivé un très grand nombre de fois de m’en parler. Il était évidemment très préoccupé par tout cela et tenait souvent à affirmer qu’il n’avait pas détenu ce compte. Nous en parlions, y compris sur le ton de l’amitié. Nous avons eu aussi certains échanges à propos de l’article du Journal du dimanche.

M. Thomas Thévenoud. Justement, cette parution semble avoir provoqué votre irritation, voire votre colère. Peut-on dire qu’à partir de cet événement, le doute s’enracine en vous ? Continuez-vous, par la suite, à interroger Jérôme Cahuzac ?

M. le ministre. Nous en parlons continûment jusqu’au 19 mars, jour où nous passons de l’enquête préliminaire à l’information judiciaire, et où il est amené à quitter le Gouvernement. Le lendemain, je tiens à être présent lors de la passation de pouvoirs, aux côtés du nouveau ministre, pour saluer la qualité du travail que nous avons fait ensemble. À ce moment-là, je ne suis évidemment toujours pas au courant de quoi que ce soit, et je continue de croire en la parole de Jérôme Cahuzac.

La colère, ou le sentiment d’inconfort, que m’a fait éprouver la publication de cet article ne m’a pas conduit à conclure à la culpabilité de M. Cahuzac. Je me suis seulement dit qu’il fallait laisser travailler la justice, refuser toute forme de pression sur le procureur, éviter de provoquer Mediapart, et enfin ne pas faire dire à la procédure utilisée plus que ce qu’elle disait. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’elle n’avait pas été correcte, ni qu’elle disait moins.

M. Thomas Thévenoud. L’irritation vient du fait que cet article, à vos yeux, pouvait être à l’origine d’une pression exercée sur la justice.

M. le ministre. Il pouvait être interprété comme tel dès lors que M. Cahuzac était présenté comme innocenté. Ce n’est pourtant pas la conclusion que j’avais tirée de la réponse suisse. Je le répète, la Suisse avait apporté une réponse précise à une question précise : il n’avait pas eu de compte à l’UBS entre 2006 et 2010, et donc n’avait pas transféré de compte à Singapour. Rien de plus, rien de moins. Mais ce n’était pas rien ; c’était même très important.

M. Thomas Thévenoud. Dernière question : avez-vous eu des contacts avec Jérôme Cahuzac entre le 19 mars et le 2 avril ?

M. le ministre. Je me suis donc rendu à la passation de pouvoirs, pour rendre hommage à la qualité du travail que nous avions accompli ensemble, ainsi qu’à une certaine qualité relationnelle. Par la suite, je ne l’ai pas revu, mais il m’arrive de recevoir des SMS par lesquels M. Cahuzac exprime les regrets qu’il peut éprouver à mon endroit. Ils ne sont pas nombreux, mais ils me permettent de mesurer l’ampleur de ces regrets.

M. Daniel Fasquelle. Ce qui est troublant, c’est que la vérité a éclaté grâce à l’action de la presse…

M. Thomas Thévenoud. De la justice !

M. Daniel Fasquelle. …et de la justice, mais en aucun cas grâce à celle du Gouvernement.

Monsieur le ministre, à la question précise : « Avez-vous eu des contacts avec le Président de la République et le Premier ministre à ce sujet ? », vous m’avez répondu : « Non. » Puis, nous avons découvert l’existence de la réunion du 16 janvier. Vous avez également avoué tout à l’heure que le principe de l’enquête administrative avait été accepté par le Président de la République.

Bien évidemment, on ne peut imaginer une seule seconde que vous n’ayez pas eu des échanges avant la réunion du 16 janvier. Il y a donc une contradiction dans votre témoignage. Si vous nous dites que vous n’en avez jamais parlé avec le Premier ministre et le Président de la République, cela donne du crédit à l’affirmation selon laquelle vous avez agi de façon isolée, et que l’on ne vous a pas informé du fait que le Président de la République avait été contacté en décembre par Michel Gonelle. Mais vous ne pouvez pas, d’un autre côté, prétendre avoir débattu avec le Président de la République du principe de l’enquête administrative.

Quelque chose ne colle pas dans votre témoignage. Soit vous en avez discuté avec François Hollande et Jean-Marc Ayrault, et ils vous ont communiqué les informations qu’ils détenaient – et qui les conduisaient forcément à admettre la réalité de ce compte en Suisse–, soit vous avez agi isolément. Mais les deux affirmations ne peuvent pas être vraies ensemble.

M. le ministre. Je n’accepte pas le jugement de valeur selon lequel mon témoignage ne colle pas. Mme Dalloz avait davantage raison en parlant de cohérence.

Je n’ai pas une vision complotiste de l’histoire. J’ai déjà évoqué ce dont j’avais parlé avec le Président de la République et le Premier ministre : je les ai informés de ce que je faisais dans le cadre de mes fonctions de ministre des finances. Je vous confirme donc que ni moi, ni mon cabinet, ni mes services n’avons eu de contacts avec le ministère de l’intérieur ou avec le ministère de la justice. Il n’y a pas eu de réunion globale à l’occasion de laquelle on aurait mis tout à plat. Dès lors que m’a été présentée la possibilité de requérir l’assistance administrative internationale dans le cadre de la convention signée avec la Suisse, j’ai expliqué comment celle-ci fonctionnait et suggéré que l’on y ait recours. Voilà ce que j’ai fait. Et je vous ai dit aussi à qui je l’ai fait.

M. Daniel Fasquelle. Dernière question : le Président de la République et le Premier ministre, à l’occasion de ces contacts, vous ont-ils informé de la démarche effectuée par Michel Gonelle auprès de M. Zabulon ?

M. le ministre. J’ai dit qu’il n’y avait eu aucune réunion de type horizontal, aucun échange entre les différents ministères sur cette affaire. Votre question me donne l’occasion d’être plus spécifique : non, non et non.

M. Daniel Fasquelle. C’est incroyable !

M. le ministre. Pourquoi est-ce incroyable ? Ce qui est incroyable, c’est de penser que c’est incroyable !

M. le président Charles de Courson. Merci, monsieur le ministre, d’avoir répondu à nos questions, même si de temps en temps, cela a été… clair, net et précis.