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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mercredi 17 juillet 2013

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 32

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Paqueron, ancien mandataire financier de M. Jean-Louis Bruguière

M. le président Charles de Courson. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui le général Gérard Paqueron, qui fut le mandataire financier de M. Jean-Louis Bruguière lorsque ce dernier était candidat aux élections législatives de 2007 dans la circonscription de Villeneuve-sur-Lot.

Mon général, je ne crois pas trahir l’impression des membres de cette commission d’enquête en disant que les auditions que nous avons conduites ces dernières semaines nous ont donné l’image d’une vie politique quelque peu « compliquée » à Villeneuve-sur-Lot au cours de la dernière décennie. En particulier, les relations entre M. Jérôme Cahuzac et M. Michel Gonelle d’une part, entre ce dernier et M. Jean-Louis Bruguière d’autre part, nous sont apparues pour le moins complexes. Je ne doute pas que votre témoignage permettra de nous éclairer.

Surtout, nous souhaiterions savoir quel était votre degré d’information sur la détention, par M. Jérôme Cahuzac, d’un compte non déclaré à l’étranger, information dont M. Michel Gonelle avait fait part à M. Jean-Louis Bruguière.

Avant d’aller plus loin, je vous informe que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de bien vouloir vous lever, lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Gérard Paqueron prête serment.)

M. le président Charles de Courson. Si cela vous convient, je vais vous laisser vous exprimer durant une dizaine de minutes. Je donnerai ensuite la parole au rapporteur, M. Alain Claeys, pour un échange de questions et de réponses. J’inviterai ensuite ceux de nos collègues qui le souhaitent à poser leurs questions.

M. Gérard Paqueron, ancien mandataire financier de M. Jean-Louis Bruguière. J’ai fort peu de choses à dire, si ce n’est que je suis un peu étonné d’être là et je ne m’y attendais pas – mais j’y souscris volontiers et j’essaierai, dans la mesure du possible, de vous apporter les éclairages demandés.

J’imagine que ce qui vous intéresse est, non pas le résumé de ma carrière, mais comment j’ai connu Jean-Louis Bruguière et suis devenu son mandataire financier.

Jean-Louis Bruguière vient très fréquemment à Villeneuve-sur-Lot ; nos enfants fréquentaient le même club hippique, au château de Rogé. En outre, nous sommes tous deux membres de l’Académie de l’air et de l’espace ; nous fréquentons également le Tomato, une association aéronautique qui compte quelque trois cents anciens de l’aéronautique. Lorsque j’ai appris que Jean-Louis Bruguière souhaitait se présenter aux élections législatives, je lui ai fait une offre de service, dans le cas où il aurait eu besoin d’un coup de main pour rédiger des dossiers sur la situation locale.

Depuis juin 2005, je suis retraité complet ; plus précisément, je suis général de la deuxième section. Un général peut occuper trois positions : la première section, la deuxième section – les généraux placés dans la deuxième section peuvent être rappelés par décret pour reprendre leurs fonctions en première section –, ou la mise à la retraite d’office – ce qui est infamant. En son temps, le président Mitterrand avait menacé 50 à 60 généraux et amiraux qui, en 1988, avaient signé un manifeste en faveur de Jacques Chirac de les mettre à la retraite d’office. Bref, ce n’était pas sympa de la part de Jérôme Cahuzac de me traiter de « général de réserve » !

Jean-Louis Bruguière a accepté mon offre. J’ai rédigé quelques fiches sur la ruralité dans le Lot-et-Garonne, puis j’ai vu un jour arriver des gens qui m’ont dit : « On aurait besoin de vos services comme mandataire financier ». Je suis donc allé à la préfecture d’Agen signer un document à cette fin.

Trois semaines environ avant le premier tour, comme cela ne se passait pas bien au sein de la petite équipe de campagne, Jean-Louis Bruguière m’a demandé d’être son directeur de campagne. Pour moi, cela ne pouvait pas s’improviser ! Aussi près de l’échéance, je ne savais trop que faire. J’ai décidé de préparer ses visites dans les municipalités – Jean-Louis Bruguière avait en effet décidé de visiter les 118 communes de la circonscription, canton par canton. Mon rôle s’est donc limité à établir des itinéraires pour essayer de respecter le temps imparti à chaque mairie ; mais ce fut impossible : vous savez bien qu’on ne contrôle pas le temps que l’on passe à discuter avec des élus !

J’ai également fait mon travail de mandataire financier, et mon dossier a été validé, à la réserve d’un redressement de 90 euros – somme qui correspondait aux dépenses engagées pour apporter le dossier à Paris et pour payer un repas sortant du cadre de la campagne électorale – sur un total de 60 000 euros. C’est tout.

M. le président Charles de Courson. Vous n’avez rien d’autre à déclarer ?

M. Gérard Paqueron. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Si je comprends bien, vous avez été dans un premier temps mandataire financier, puis vous êtes devenu directeur de campagne trois semaines avant le premier tour, pour essayer d’harmoniser les choses ?

M. Gérard Paqueron. Oui, j’ai assumé les deux fonctions : mandataire et directeur de campagne.

M. Alain Claeys, rapporteur. Michel Gonnelle a fait écouter l’enregistrement concernant Jérôme Cahuzac à Jean-Louis Bruguière, qui en a emporté une copie. Avez-vous eu connaissance de l’existence de cet enregistrement ? L’avez-vous écouté ?

M. Gérard Paqueron. Je serai très ferme sur ce point : j’ai découvert cet enregistrement en décembre 2012, lorsque Mediapart en a révélé l’existence. Je ne l’avais jamais vu ni entendu auparavant.

M. Alain Claeys, rapporteur. Jean-Louis Bruguière ne vous en avait pas parlé ?

M. Gérard Paqueron. Non, jamais.

En revanche, à une époque, Jérôme Cahuzac a eu des ennuis avec l’URSSAF à cause de l’emploi non déclaré d’une personne en situation irrégulière. On en a parlé deux jours, puis Jean-Louis Bruguière a dit : « On oublie tout ça. Je ne fais pas une campagne électorale de caniveau ! ». Il a été très ferme sur ce point, je vous le garantis.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand était-ce ?

M. Gérard Paqueron. Durant la campagne électorale.

J’ai loué le local de campagne vers le 12 mars. À l’époque, Jean-Louis Bruguière occupait encore ses fonctions de magistrat et il fallait qu’il retourne régulièrement à Paris pour travailler sur le dossier du terroriste Carlos : ce n’était pas facile ! En réalité, nous ne l’avons vu que quatre semaines avant le premier tour. La campagne fut relativement courte.

M. Alain Claeys, rapporteur. Bien entendu, il ne vous a pas parlé de la destruction de cet enregistrement ?

M. Gérard Paqueron. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Le local de campagne était-il en dehors du domicile de M. Bruguière ?

M. Gérard Paqueron. Oui. C’est moi, en tant que mandataire financier, qui l’ai loué à une société immobilière, pour une durée de trois mois et demi.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quelles étaient les relations entre MM. Gonelle et Jean-Louis Bruguière ?

M. Gérard Paqueron. En janvier et en février, nous avons organisé quelques réunions informelles – le local de campagne n’existait pas encore. Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé, mais il y eut un « clash » et, à partir de mars, je n’ai plus vu M. Gonelle. Il ne faisait plus partie de l’entourage de Jean-Louis Bruguière.

M. Alain Claeys, rapporteur. Étant directeur de campagne et mandataire financier, vous connaissiez l’atmosphère de la campagne. Selon vous, quelle aurait pu être l’origine de ce « clash » ?

M. Gérard Paqueron. J’en ignore les raisons. Il faut dire que je n’étais pas tout le temps avec eux. Le suppléant de M. Bruguière non plus.

Peut-être est-ce arrivé à la suite d’une discussion entre eux deux ? Tout ce que je sais, c’est que M. Gonelle s’est écarté de la campagne et qu’on ne l’a plus vu.

Mme Cécile Untermaier. À quel moment ?

M. Gérard Paqueron. Vers la fin janvier.

M. Alain Claeys, rapporteur. En quels termes se sont-ils quittés, après les élections ?

M. Gérard Paqueron. Eh bien, ils ne se côtoyaient plus…

M. Alain Claeys, rapporteur. Quelle était l’ambiance durant cette campagne ? La situation a l’air compliquée ?

M. Gérard Paqueron. Oh, vous savez, on parle de « Villeneuve-sur-Vote »… Ce n’était pas facile !

Jean-Louis Bruguière, bien que sa famille habitât Villeneuve-sur-Lot depuis des générations, était considéré comme un « parachuté » – c’était du moins le bruit que les partis adverses faisaient courir. En outre, il y avait là différentes personnes : chacune voulait donner son avis ; la personne qui s’occupait de la communication allait avec l’un, avec l’autre ; au milieu de tout cela, il y avait les harkis – qui sont très nombreux là-bas. C’était – comment dire ?... assez délicat.

Du moins était-ce ainsi à Villeneuve-sur-Lot même, car lors de nos déplacements dans la circonscription, l’ambiance était très sympathique. Chaque jour, nous visitions dix mairies, et nous terminions par un meeting dans le chef-lieu de canton. Sachant qu’il y a quatorze cantons, si l’on excepte les week-ends, presque toute la campagne s’est déroulée ainsi !

Mais, à Villeneuve-sur-Lot, chacun y allait de son conseil ! J’ai fait de mon mieux pour calmer les gens, mais j’étais un peu « le perdreau de l’année »  dans cette affaire.

M. Alain Claeys, rapporteur. La campagne était-elle tendue entre MM. Gonelle et Cahuzac ?

M. Gérard Paqueron. C’était une bonne campagne. M. Cahuzac était bien implanté et, comme vous avez pu en juger, c’est un bon débatteur.

La seule fois où M. Bruguière et lui se sont affrontés directement, c’est entre les deux tours : un face-à-face avait été organisé par la radio locale et par Sud-Ouest. Les deux candidats ont débattu durant deux heures. Sinon, cela s’est toujours fait par radio interposée.

Il y a eu des « piques », c’est vrai, mais pas plus que durant n’importe quelle autre campagne électorale.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous eu le sentiment que M. Gonelle voulait saboter la campagne de M. Bruguière ?

M. Gérard Paqueron. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Laissez-moi vous lire cet extrait de l’audition de M. Bruguière :

« M. Alain Claeys, rapporteur. Quels autres éléments ont dégradé vos relations ?

M. Jean-Louis Bruguière. Le dernier fut une réunion politique que M. Gonelle a préparée à mon insu, pour valoriser sa propre position, allant chercher le député d’une autre circonscription et récupérant au passage des membres de mon équipe de campagne en formation. Quand je l’ai appris et m’en suis ouvert à M. Gonelle, celui-ci a mis toute la faute sur le compte d’une seule personne. Lorsque je l’ai revu, je me suis rendu compte que tout cela relevait d’une manipulation. La coupe était pleine et la confiance définitivement rompue.

M. Alain Claeys, rapporteur. Une manipulation pour saboter votre campagne ?

M. Jean-Louis Bruguière. Oui. J’ai perdu cette campagne en grande partie à cause de mon camp, même si j’assume ma part de responsabilité dans cet échec. »

Qu’en pensez-vous ?

M. Gérard Paqueron. Pour ma part, je n’ai pas eu l’impression qu’on en était arrivé à de telles extrémités.

Il y eut un très grand meeting à Villeneuve-sur-Lot, durant lequel les candidats UMP des trois circonscriptions se sont exprimés : Jean Dionis du Séjour, Michel Diefenbacher et Jean-Louis Bruguière. Michel Gonelle était présent, et il m’a même apporté des contributions financières.

Mais, encore une fois, je n’étais pas tout le temps avec eux !

M. le président Charles de Courson. M. Jean-Louis Bruguière a également déclaré ceci : « Aujourd’hui, avec le recul, j’estime que j’ai eu tort ; mais ce contexte explique que sur le coup j’aie pris cet enregistrement. Ensuite, je n’ai pas voulu l’écouter, car ce n’est pas ainsi que j’envisageais une campagne ; ce geste a d’ailleurs participé à la dégradation de mes relations avec M. Gonelle. Celui-ci prétend qu’il n’a jamais été évincé de mon entourage, mais des témoins peuvent le contredire : cela s’est passé chez moi, d’une façon assez rude, et il ne peut pas ne pas s’en souvenir. Mais je préfère éviter la polémique. ».

Avez-vous assisté à cette réunion ?

M. Gérard Paqueron. Oui.

M. le président Charles de Courson. Que s’est-il passé ?

M. Gérard Paqueron. Il y avait une quinzaine ou une vingtaine de personnes ; on commençait à mettre en place l’équipe de campagne. M. Gonelle, croyant bien faire, avait pris l’initiative d’organiser un repas républicain pour recueillir des fonds. Cela n’a pas passé. La femme de M. Bruguière a fort justement fait remarquer que, d’abord, il eût été préférable d’en parler avant, ensuite, que ce repas risquait d’être imputé dans les comptes de campagne alors que celle-ci n’avait pas commencé. La réaction fut très sèche. Peut-être que les problèmes relationnels entre Gonelle et Bruguière commencèrent à cette occasion.

M. le président Charles de Courson. Il s’agirait donc d’une opposition sur une question liée à l’organisation de la campagne ?

M. Gérard Paqueron. Oui, c’est tout à fait cela.

M. le président Charles de Courson. Il n’y a pas d’autres éléments explicatifs ?

M. Gérard Paqueron. En tout cas, moi, je n’en connais aucun. Mon bureau était juste à côté de celui de Jean-Louis Bruguière et je n’ai jamais entendu d’éclats de voix.

Mme Cécile Untermaier. Général, aviez-vous avec Jean-Louis Bruguière une relation de confiance telle que, s’il avait détenu un enregistrement de cette nature, il vous aurait fait part de ses interrogations à son sujet ?

M. Gérard Paqueron. Je crois pouvoir dire qu’il avait une totale confiance en moi – c’est même devenu de l’amitié ensuite.

En revanche, je ne peux pas vous dire s’il avait confiance en moi au point de me confier qu’il avait écouté une telle cassette. Il ne m’en a jamais parlé.

Mme Cécile Untermaier. A-t-il évoqué avec vous la possibilité d’utiliser des comportements discutables de M. Cahuzac ?

M. Gérard Paqueron. Je répète que, si je n’ai jamais rien su de cette cassette, en revanche, nous disposions d’échos sur la situation d’une personne qu’employait M. Cahuzac. M. Bruguière a été très ferme à ce sujet ; il a dit : « On n’en parle plus. Je ne fais pas une campagne électorale de caniveau ! » – et cela a été terminé.

Mme Cécile Untermaier. Vous avez bien dit qu’un « clash » entre MM. Bruguière et Gonelle avait eu lieu à la fin janvier ?

M. Gérard Paqueron. Oui, à l’occasion de la réunion dont nous venons de parler.

Mme Cécile Untermaier. À la suite de ce « clash », les deux hommes ont-il cessé toutes relations ?

M. Gérard Paqueron. Leurs relations se sont distendues, puis interrompues.

Mme Cécile Untermaier. On peut donc considérer que maître Gonelle ne participait pas à la campagne qui s’est déroulée après le mois de janvier ?

M. Gérard Paqueron. Non.

Mme Cécile Untermaier. Je vous remercie.

M. Georges Fenech. Mon général, puisque cette hypothèse a été soulevée au sein même de cette commission, je veux, par principe, vous la soumettre.

Il court une rumeur selon laquelle les militaires étant très critiques à l’égard du budget de la défense, vous auriez eu des raisons d’en vouloir au ministre du budget. Il y aurait donc eu un « complot militaire » contre Jérôme Cahuzac, visant à le faire « tomber » pour sauver le budget de la défense.

J’imagine que vous avez entendu parler de cette théorie. Qu’en pensez-vous ?

M. Gérard Paqueron. J’en ai entendu parler parce que la question a été posée à Jérôme Cahuzac lorsqu’il a été auditionné. Cela ferait presque sourire, si ce n’était aussi grave.

Quel que soit le Gouvernement, il y a toujours au moment de la discussion du budget des flèches échangées entre le ministère de la défense et Bercy. Les militaires devraient-ils à chaque fois se sentir en danger ?

Et croyez-vous que, pour paraphraser le général de Gaulle, c’est à mon âge que l’on commence à faire de la dictature ? Mais, pendant qu’on y est, pourquoi ne pas dire que nous étions prêts à faire un putsch ? C’est une affabulation !

Excusez-moi de vous répondre aussi brutalement, mais cette affaire me paraît invraisemblable. Moi, général ayant quitté le service actif depuis 1997, j’utiliserais en sous-main des officines pour faire sauter le ministre du budget ? Vrai, je serais fort !

M. Alain Claeys, rapporteur. Depuis les révélations de Mediapart, avez-vous discuté avec le juge Bruguière ?

M. Gérard Paqueron. Oui.

M. Alain Claeys, rapporteur. Lui avez-vous demandé pourquoi il ne vous avait rien dit durant la campagne électorale de 2007 ?

M. Gérard Paqueron. Non, je lui ai demandé : « Jean-Louis, qu’est-ce que c’est que cette histoire de cassette ? Il y avait une cassette ? ». Il m’a répondu : « Non » – et j’en suis resté là.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il vous a répondu : « Non, il n’y avait pas de cassette » ?

M. Gérard Paqueron. Il ne m’a pas dit qu’il avait une cassette. Il a dit : « Oui, c’est Mediapart… ».

M. Philippe Houillon. C’est « oui » ou c’est « non » ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Mon général vous dites avoir appris l’information par Mediapart, et il n’y a pas de raison de ne pas vous croire. Quand vous en parlez à Jean-Louis Bruguière, celui-ci la confirme-t-il ?

M. Gérard Paqueron. Non, il ne me dit rien.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mais lui avez-vous posé la question ?

M. Gérard Paqueron. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire de cassette ? », il m’a répondu : « Oh, ce n’est rien… ». Il a un peu éludé.

M. Alain Claeys, rapporteur. L’avez-vous senti mal à l’aise ?

M. Gérard Paqueron. Non, pas du tout.

M. le président Charles de Courson. Mais vous a-t-il dit explicitement qu’il n’y avait pas de cassette ?

M. Gérard Paqueron. Non, il est resté évasif.

M. Christian Assaf. Et vous-même, l’avez-vous été ? Autrement dit, avez-vous, à la suite de la parution de l’article de Mediapart, demandé au juge Bruguière si, oui ou non, il détenait cette cassette ?

M. Gérard Paqueron. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire de cassette ? », et il est resté évasif. Je ne lui ai jamais demandé : « As-tu eu la cassette ? ».

Mme Cécile Untermaier. À la fin de la campagne, maître Gonelle a été le destinataire d’une lettre de remerciements signée par M. Bruguière. Tous deux donnent une interprétation différente de cet envoi. Avez-vous eu connaissance de cette lettre ? Savez-vous dans quelles circonstances et dans quel objectif elle a été rédigée ? M. Bruguière vous en a-t-il parlé ?

M. le président Charles de Courson. Afin de préciser les choses, je vous cite la déclaration de M. Bruguière : « En les privant de leader, mon échec aux législatives et ma décision d’arrêter définitivement la politique et de ne pas me présenter aux élections municipales de 2008 ont provoqué la déception, voire le désarroi des militants. Nos relations avec M. Gonelle s’étaient dégradées et je ne le voyais plus à la fin de la campagne ; M. Gonelle lui-même ne niera pas ce fait objectif puisqu’il affirme s’être écarté de moi. La contradiction est donc d’ordre factuel : l’ayant écarté, je lui ai écrit une lettre. Encore sous l’effet de la campagne, je l’ai fait pour ne pas mettre en péril l’élection municipale à venir à laquelle je ne participerais pas et dans laquelle il serait difficile de gagner face à M. Cahuzac. C’était peut-être une mauvaise stratégie. »

M. Gérard Paqueron. Je découvre l’existence de cette lettre !

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand vous parlez de l’enregistrement au juge Bruguière, celui-ci vous répond : « Y’a rien à voir ! ». Depuis, avez-vous revu M. Gonelle ?

M. Gérard Paqueron. Je l’ai revu récemment, le soir du deuxième tour de l’élection partielle, quand il est venu féliciter Jean-Louis Costes à sa permanence.

M. Alain Claeys, rapporteur. Lui avez-vous parlé de cette cassette ?

M. Gérard Paqueron. Non, jamais.

M. Alain Claeys, rapporteur. Jamais ?

M. Gérard Paqueron. Non, car j’estime que je n’ai pas à me mêler de cette affaire. Je l’ai apprise par les médias, et je ne tiens pas à en rajouter ; M. Gonelle est déjà interviewé par beaucoup de gens.

Je lui ai dit bonjour, tout le monde était content, Jean-Louis Costes avait gagné : voilà tout.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous connu M. Garnier ?

M. Gérard Paqueron. Non.

M. Dominique Baert. Mon général, M. Gonelle affirme qu’il a transmis le document informatique à Jean-Louis Bruguière parce que celui-ci avait les moyens de le faire écouter et expertiser par des services spécialisés.

S’agissant de la nature du support, on parle alternativement de cassette, de CD et de clef USB, sans que l’on puisse savoir avec précision ce qu’il en est. Vous qui avez été l’un des plus proches collaborateurs de Jean-Louis Bruguière durant cette campagne, avez-vous le sentiment que celui-ci ait une connaissance fine des supports informatiques ?

La possibilité de faire appel à des services spécialisés que Jean-Louis Bruguière aurait connus dans le cadre de ses fonctions professionnelles a-t-elle été jamais évoquée devant vous – y compris sur un tout autre sujet ?

M. Gérard Paqueron. On n’a jamais évoqué, en ma présence, la possibilité de faire appel à des services spécialisés. Si tel avait été le cas, je me serais inquiété d’en connaître les raisons et, de ce fait, j’aurais été mis au courant de l’histoire de la cassette.

Il est vrai qu’à l’époque, de par ses fonctions, Jean-Louis Bruguière pouvait demander des expertises, mais jamais de plein droit : il fallait une commission rogatoire, bref respecter les règles. Non, la seule chose qu’il continuait à faire, c’était à préparer ce document de 450 pages pour le procès en appel de Carlos. Il voulait absolument terminer cette affaire ; il n’était pas préoccupé par une quelconque cassette !

Quant aux supports informatiques, il en connaît peut-être un peu moins que moi, mais pas beaucoup plus… Pour l’expertise, il existe des services spécialisés.

Il reste qu’une question n’a jamais été posée : puisqu’il paraît que l’on a dupliqué cette cassette, est-on sûr qu’elle ne l’a été qu’une fois ?

M. le président Charles de Courson. Mon général, je vous rassure : nous nous la sommes posée.

M. Alain Claeys, rapporteur. Et vous, pourquoi vous la posez-vous ?

M. Gérard Paqueron. Eh bien, tout en dupliquant, on peut enregistrer la source sur un disque dur et en tirer ensuite autant d’exemplaires que l’on veut : certains auraient pu se retrouver dans la nature – mais je reconnais que cela relève plutôt des investigations policières.

M. Dominique Baert. Quelle est votre hypothèse ?

M. Gérard Paqueron. Je n’ai pas d’hypothèse, je fais une simple constatation : on parle d’une cassette qui a été faite en 2001 et rendue publique en 2012. Pourquoi ce délai de onze ans ?

M. Alain Claeys, rapporteur. ça, nous aimerions bien le savoir !

M. le président Charles de Courson. Il s’est quand même passé des choses entre-temps…

M. Christian Assaf. La réponse du général m’amène à répéter que nous nous entêtons à nous demander qui de M. Gonelle ou de M. Bruguière a transmis l’enregistrement à Mediapart, alors qu’une troisième personne a transféré en 2001 la conversation du téléphone portable sur un support informatique. Je souhaiterais que nous l’auditionnions.

M. le président Charles de Courson. Mon cher collègue, il semblerait que nous sachions qui est cette personne. Elle était seule et habite, je crois, dans le secteur de Villeneuve-sur-Lot. Les réponses de M. Gonelle, de M. Bruguière et des journalistes de Mediapart nous incitent en effet à creuser la piste du « troisième homme ». Qu’en pensez-vous, monsieur le rapporteur ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour le coup, cela nous ferait sortir du champ d’investigation de la Commission d’enquête… En outre, je suppose que le technicien a déjà été entendu par la police judiciaire ?

M. le président Charles de Courson. En effet.

Il est vrai que peu importe qui a transmis l’enregistrement à Mediapart. Ce qui compte, c’est le résultat, car c’est grâce à cela que la justice a pu faire son travail. En revanche, ce qui reste mystérieux, c’est que M. Gonelle ait attendu que tout soit révélé dans la presse pour se manifester.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mon général, comment définiriez-vous les rapports entre MM. Gonelle et Cahuzac ? Existait-il entre eux une complicité malgré leur combat politique ?

M. Gérard Paqueron. Je l’ignore. Michel Gonelle fait partie de ceux qui ont été battus aux élections municipales par Jérôme Cahuzac. Tous deux se livraient un combat politique pour la mairie de Villeneuve-sur-Lot, mais je ne sais pas du tout quels étaient leurs rapports.

M. le président Charles de Courson. Vous vivez tout de même dans la région et vous avez été le directeur de campagne de M. Bruguière – à laquelle, au moins au début, M. Gonelle a participé. Si vous deviez qualifier les relations entre MM. Cahuzac et Gonelle, que diriez-vous ?

M. Gérard Paqueron. Ce qui est sûr, c’est que M. Gonelle ne se heurtait pas avec M. Cahuzac : c’étaient des gens de bonne compagnie, qui se saluaient. Ils étaient adversaires politiques, M. Gonelle avait perdu, mais il n’avait pas de hargne.

M. le président Charles de Courson. Et M. Cahuzac ?

M. Gérard Paqueron. Je l’ai peu connu : je ne l’ai vu que trente secondes entre les deux tours. Il passait pour avoir une attitude assez hautaine, faisant de temps à autre des remarques cinglantes – comme ce « général de réserve »… Pendant le débat d’entre les deux tours, il a dit que Jean-Louis Bruguière était sorti dernier de l’école de la magistrature !

À Villeneuve-sur-Lot, les gens l’aiment bien, mais ils en parlent comme de quelqu’un d’acide, voire de hautain.

M. Philippe Houillon. Vous avez souligné que M. Bruguière était préoccupé par le dossier Carlos, que sa campagne électorale n’avait duré que quatre semaines ; lui-même a déclaré qu’on lui avait trouvé un directeur de campagne et un trésorier, sous-entendant qu’il ne les connaissait pas – alors que votre version est bien différente.

Nous avons tous ici fait une ou plusieurs campagnes électorales. En tant que directeur de campagne, vous avez forcément participé à des réunions stratégiques, à des discussions. M. Bruguière vous a-t-il paru combatif ou semblait-il suivre les événements de loin ? Voulait-il vraiment gagner ? Qu’éprouvait-il envers M. Cahuzac : de la hargne, de l’indifférence ? Vous avez nécessairement vécu cette ambiance !

M. Gérard Paqueron. Il est vrai que je pourrais écrire un livre sur cette campagne !

Pour être franc, Jean-Louis Bruguière n’a jamais quitté sa robe de magistrat : il était le juge antiterroriste, qui arrivait avec une certaine aura. En outre, il a passé sa vie à interroger des malfrats ou des terroristes qui se trouvaient face à lui, entre deux gendarmes. Cela ne pousse pas à être très gai, ni très communicatif !

Durant la campagne, il est resté égal à lui-même. Je me souviens que lorsque je marchais avec lui dans les rues de Villeneuve-sur-Lot, il m’arrivait de le rattraper pour lui dire : « Jean-Louis, regarde : ce couple de petits vieux t’a dit bonjour et tu n’as pas répondu ! ». Il avait la tête ailleurs…

J’ignore s’il était sûr de gagner, mais quand on obtient 41 % des voix au premier tour, on a quand même bon espoir. Jérôme Cahuzac avait 2 500 voix de retard ; en une semaine, il en a gagné 5 000 ! Le soir, il allait dans les cafés, il embauchait à tour de bras des personnes qui étaient au chômage – qu’il a dû licencier quinze jours après, mais qu’importe. Bref : il était sur le terrain. Sans vouloir le trahir, je dois dire que Jean-Louis Bruguière ne m’a pas donné la même impression de hargne.

M. Philippe Houillon. Que disait-il de M. Cahuzac ?

M. Gérard Paqueron. Il n’en parlait pas beaucoup. Il a bien préparé son face-à-face d’entre les deux tours ; ses dossiers étaient solides et Jérôme Cahuzac a été mis en difficulté plusieurs fois. Mais un débat couvert par Radio 4 et l’édition locale de Sud-Ouest, cela ne touche pas grand monde !

Par moments, il s’est trompé de campagne. Un jour, il m’a informé qu’un journaliste du Los Angeles Times allait le suivre pendant 48 heures. Je lui ai demandé : « A ton avis, combien de personnes lisent le Los Angeles Times dans le Lot-et-Garonne ? Ils lisent Le Petit Bleu ! ». Je le répète : il y aurait un livre à écrire !

M. Alain Claeys, rapporteur. Le connaissant comme vous le connaissez, s’il avait été en possession de la cassette, pensez-vous qu’il aurait voulu en savoir davantage ?

M. Gérard Paqueron. Il m’est difficile de vous répondre… Disons que, le connaissant comme je le connais, s’il a eu cette cassette et qu’il n’a pas voulu en savoir plus, c’est absurde.

M. le président Charles de Courson. Il nous a dit qu’il avait accepté de prendre la cassette de M. Gonelle, mais qu’il l’a jetée quelques semaines plus tard. Trouvez-vous cela crédible ?

M. Gérard Paqueron. Là, je ne peux pas vous répondre : il s’agit de son comportement personnel. C’eût été moi, je n’aurais pas pris la cassette !

M. le président Charles de Courson. Mon général, nous vous remercions.