La réunion commence à onze heures.
M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, nous allons aujourd’hui examiner le rapport d’évaluation de la politique d’accueil touristique. Je vous rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande conjointe du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste et de la Commission des affaires étrangères. Nos deux rapporteurs sont Mme Jeanine Dubié pour la majorité et M. Philippe Le Ray pour l’opposition.
Le groupe de travail était composé de Mmes Marie-Noëlle Battistel, Marie-Hélène Fabre et Pascale Got, et de M. Jean-Pierre Dufau.
Mme Jeanine Dubié, rapporteure. Au cours de nos travaux, nous avons réalisé trente-six auditions et effectué trois déplacements : aux Galeries Lafayette, au château de Fontainebleau ainsi qu’à l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle. Cela nous a permis d’établir un état des lieux et de formuler des propositions susceptibles d’améliorer la situation.
Le premier constat établi est que le tourisme international est en plein essor, mais que la France n’en profite pas assez. Ce secteur n’est pas touché par la crise puisque, en l’espace de vingt ans, le nombre de touristes internationaux dans le monde est passé de 527 millions à 1,138 milliard. Cet essor est principalement lié au dynamisme de la demande des pays dits « BRICS » – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud –, qui représentent aujourd’hui 20 % du PIB mondial contre 10 % dans les années 2000. Leur développement économique a favorisé l’émergence d’une classe moyenne aisée qui aspire aux loisirs et à la consommation.
Certes, la France reste la première destination touristique au monde avec 83,7 millions de touristes étrangers, mais ce chiffre a stagné en 2014 alors que le nombre de déplacements touristiques internationaux a augmenté de 4,7 % dans le monde. En outre, bien que notre pays demeure en tête des pays de destination, il ne se situe qu’en troisième position pour les recettes du tourisme international, distancé par les États-Unis et l’Espagne. La France est, par ailleurs, largement concurrencée par de nouvelles destinations touristiques telles que l’Amérique du Nord, l’Asie du Sud-Est, l’Europe orientale et septentrionale.
Devant cette situation, il nous faut réagir car le tourisme est un secteur économique capital, représentant 157 milliards d’euros de recettes, dont un tiers provient des touristes étrangers, 11 milliards d’euros d’excédent pour la balance des paiements, 7 % du PIB, 1 million d’emplois directs et 2 millions d’emplois indirects non délocalisables. Les pouvoirs publics ont su se mobiliser en organisant en 2013 les Assises du tourisme, qui ont notamment donné naissance au Conseil de promotion du tourisme (CPT), créé à l’initiative du ministère des affaires étrangères. Pour la première fois, en effet, le Quai d’Orsay s’est vu confier le pilotage de la politique en faveur du tourisme, décision unanimement saluée par l’ensemble de nos interlocuteurs comme un signe de reconnaissance de la profession. Notre objectif est désormais de porter à 100 millions le nombre annuel de visiteurs étrangers.
M. Philippe Le Ray, rapporteur. Parler de tourisme, c’est d’abord mieux mesurer la qualité de l’accueil, et nous disposons à cet effet d’enquêtes quantitatives et qualitatives. Sur le plan quantitatif, la première étape consiste à savoir où vont les touristes. Pour ce faire, on peut s’adresser aux touristes eux-mêmes : c’est ce que font l’enquête mensuelle de suivi de la demande touristique (SDT), destinée à cerner les déplacements des Français afin d’adapter les moyens logistiques, ainsi que l’enquête trimestrielle menée auprès des visiteurs étrangers (EVE), qui porte sur 80 000 personnes par an. L’enquête EVE donne une idée du succès des nouveaux modes d’hébergement, mais n’est pas assez approfondie pour servir de base à une analyse régionale. Son coût de revient élevé a incité la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique à envisager de se procurer les données pertinentes auprès des opérateurs de téléphonie mobile.
On peut aussi, à l’instar de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), s’adresser aux prestataires de services touristiques, d’hébergement en particulier. C’est l’objet des enquêtes mensuelles de fréquentation hôtelière et de fréquentation des autres hébergements collectifs, ainsi que de l’enquête de fréquentation de l’hôtellerie de plein air, menée chaque année de mai à septembre. Ces trois enquêtes ont pour point commun d’avoir un excellent taux de sondage, compris entre 68 % pour l’hôtellerie et 75 % pour l’hôtellerie de plein air, donnant ainsi une idée très précise du parc et des nationalités qui y séjournent.
Si l’hébergement classique est très bien cerné, ce n’est pas le cas des nouveaux modes d’hébergement, beaucoup plus difficiles à mesurer car encore très diffus. Même si les chiffres officiels de la dernière enquête EVE n’ont pas encore été publiés, il ressort des enquêtes de l’INSEE que l’année 2014 a été décevante : le nombre de nuitées a baissé de 1,4 % dans les hébergements collectifs, le recul étant toutefois moins marqué pour les touristes étrangers. Cette situation ne peut que nous inciter à réagir.
Parmi les enquêtes qualitatives, la plus récente est le baromètre Travelsat, mis au point par la société TCI Research, spécialisée dans le conseil marketing aux institutionnels. Deux campagnes, portant chacune sur 2 000 questionnaires, ont été réalisées en 2011 et 2013 ; elles permettent d’effectuer des comparaisons entre divers pays. Le comité régional du tourisme Paris Île-de-France (CRT IDF) mène depuis 2005 sa propre étude auprès de 50 000 personnes. Enfin, une étude de la DGE exploitant les résultats de l’EVE sur trois ans se révèle très instructive.
Si les données quantitatives sont convergentes, on observe des divergences sur le plan qualitatif entre les études conduites par TCI et le CRT IDF. Cependant, les deux organismes s’accordent sur la médiocrité du rapport qualité-prix global ; il semble que les clients qui dépensent le plus soient les moins mécontents, mais cela ne saurait être un motif de satisfaction. La difficulté à fidéliser la clientèle malgré la diversité de l’offre demeure : les touristes occidentaux (soit 80 % des touristes étrangers) se détournent, attirés par des destinations concurrentes en Europe et en Asie, tandis que les Asiatiques, en très forte progression, sont moins satisfaits, en raison notamment de la sécurité et de la propreté, jugées insuffisantes.
Dans le domaine de la restauration, où la France a pourtant une réputation à défendre, la déception des étrangers est au rendez-vous, que ce soit en termes de qualité des produits proposés, de prix ou de service. Un faible niveau en langues étrangères, en anglais en particulier, est également à déplorer, chez les professionnels comme dans la population. Enfin, notre pays a connu un certain nombre de grèves à répétition dans les transports publics, largement évoquées par les personnes interrogées, et les visiteurs de la capitale se plaignent également des taxis.
Mme Jeanine Dubié, rapporteure. Nous avons ensuite réfléchi à la manière de mieux cibler la promotion de la destination France. En premier lieu, nous nous sommes intéressés à l’agence Atout France, qui assume une triple mission de promotion du tourisme en France auprès des publics étrangers, de réalisation d’opérations d’ingénierie touristique, et de mise en œuvre d’une politique de compétitivité et de qualité des entreprises du secteur. C’est un groupement d’intérêt économique qui compte plus de 1 200 adhérents, emploie 370 salariés, dispose d’un budget de 70 millions d’euros et assume 90 % de la promotion touristique institutionnelle à l’étranger. Atout France traverse néanmoins une crise financière, ses ressources baissant régulièrement, et cette situation nous impose de réfléchir au modèle économique de l’entité.
Une de nos propositions consiste à lui affecter une recette au rendement dynamique liée à son activité, par exemple un droit sur les visas de tourisme, comme le font les États-Unis avec l’Electronic System for Travel Authorization (ESTA), facturé 14 dollars et qui finance la moitié du budget de Brand USA, l’agence de promotion du tourisme dans ce pays.
Une autre action de promotion consisterait à utiliser au maximum le potentiel des contrats de destination, créés ou plutôt « relookés » en 2015. Le ministre des affaires étrangères en a signé neuf nouveaux il y a moins d’une semaine, et nous pourrons ainsi mieux promouvoir la France à travers une vingtaine de marques. Nous déplorons toutefois la modestie de l’engagement financier de l’État dans cette démarche, qui se limite à 75 000 euros par contrat sur trois ou cinq ans, ce qui ne permet de financer que de l’ingénierie. Cela a cependant le mérite de rassembler tous les acteurs sur un même territoire, autour d’un contrat et d’une marque, et d’éviter les actions redondantes.
M. Philippe Le Ray, rapporteur. Nous avons également émis des propositions visant à atténuer les pertes de repère dans les transports publics. Aéroports de Paris (ADP), la SNCF et la RATP ont déjà convenu d’adopter une signalétique commune, dont pourraient s’inspirer les opérateurs de transport régionaux. Le numérique est également un outil précieux, dans la mesure où les informations affichées sur les écrans et les bornes interactives peuvent être actualisées en temps réel. La RATP, par exemple, indique à la sortie des stations de métro le temps d’attente des bus passant à proximité.
Par ailleurs, des applications mobiles gratuites sont disponibles en plusieurs langues : il importe donc d’en faire la promotion auprès des étrangers. Le personnel est formé et mobile : airport helpers à Roissy, « gilets rouges » à la SNCF et « gilets verts » à la RATP, pour faire face aux pointes d’affluence. Les agents parlant des langues étrangères sont affectés en conséquence et la RATP va les équiper de tablettes pour qu’ils puissent aller au-devant des touristes et répondre à leurs questions. La SNCF a transformé les points d’accueil en guichets d’« information », un terme plus simple à comprendre pour les étrangers. Les agents arborent un badge indiquant les langues qu’ils parlent. L’ouverture de commerces dans les gares – 400 en abritent déjà, une trentaine d’autres sont à l’étude – simplifie la vie des usagers et contribue à la sécurité. À la gare du Nord, un commissariat a été ouvert et la SNCF consacrera 74 millions d’euros à l’aménagement du bâtiment.
À Roissy, d’importants efforts ont été faits, nous l’avons constaté sur place. Cependant, la flexibilité des effectifs de police pourrait encore être améliorée, particulièrement entre six et neuf heures du matin, comme la liaison avec Paris grâce à la mise en service de CDG Express en 2023 et à la voie de circulation réservée aux taxis.
Partout, l’intermodalité doit être favorisée, de façon à attirer les touristes ailleurs qu’en Île-de-France et à mieux répartir la manne touristique. Les plus gros aéroports régionaux devront accueillir des lignes internationales et les métropoles régionales être mieux reliées entre elles.
Mme Jeanine Dubié, rapporteure. Aux dires de nos interlocuteurs, assurer la sécurité des touristes et le faire savoir constitue un impératif majeur. Les télévisions du monde entier ont diffusé les images dramatiques de l’attaque d’un car de touristes chinois en 2013. Le plan de sécurisation des touristes arrêté par le préfet de police de Paris au printemps 2013 contenait 26 mesures axées sur l’occupation du terrain, la prévention, la communication en association avec les professionnels du tourisme et les transporteurs publics, le partenariat avec les ambassades et l’amélioration de l’accueil des victimes étrangères. Sept zones touristiques ont été identifiées : Montmartre, les Champs-Élysées, le Champ de Mars, le Trocadéro, le Louvre, le Palais-Royal, Notre-Dame. Trois autres zones ont été ajoutées en 2014 : le bas du quartier Latin et le boulevard Saint Germain, le Châtelet, l’Opéra.
La prévention et la communication ont été développées avec la diffusion à 500 000 exemplaires de plaquettes « Paris en toute sécurité », rédigées en huit langues. Afin de faciliter le dépôt de plainte des touristes étrangers, trois points d’accès mobiles ont été mis en place au Trocadéro, aux Champs-Élysées et au Carrousel du Louvre.
Nous avons constaté une réelle volonté de la part des pouvoirs publics de prendre en charge ces problèmes, et le préfet de police est très motivé, mais la situation n’est pas stabilisée et l’effort doit être poursuivi. Les données relatives aux effets du plan de sécurisation sont peu fiables car parcellaires, parfois même incomplètes du fait de l’imprécision des données statistiques ou de la diversité des indicateurs utilisés. Il est en effet nécessaire de pouvoir communiquer régulièrement au sujet de l’impact du plan sur les vols à la tire ou les vols avec violences en se fondant sur des indicateurs dignes de foi.
M. Philippe Le Ray, rapporteur. L’hôtellerie est un secteur fragilisé, qui doit se développer et diversifier son offre d’hébergement. Le nouveau classement, créant notamment la cinquième étoile, est entré en vigueur en décembre 2009 ; il traduit la nécessité d’adapter le parc aux exigences de la clientèle. Le chiffre d’affaires a progressé de près de 3 % en 2013 pour atteindre 197,9 millions d’euros, mais le nombre de lits stagne, alors qu’il a augmenté de 100 000 en Espagne. La place des indépendants recule au profit des chaînes, qui sont passées de 41,2 % du parc en 2010 à 42,1 % en 2014.
Preuve de la préoccupation des pouvoirs publics, l’ordonnance du 26 mars 2015 allonge les délais de réalisation des diagnostics et études techniques obligatoires. Cette action de simplification doit se poursuivre dans le sens préconisé par le Conseil de promotion du tourisme, singulièrement pour ce qui est de l’accessibilité. L’hôtellerie devrait être concernée aussi par les mesures que suggère le CPT pour drainer l’épargne vers l’économie touristique.
Par ailleurs, le référencement auprès des centrales de réservation en ligne, pour indispensable qu’il soit, ne doit pas aboutir à une captation de la valeur ajoutée ni à priver les hôteliers de toute politique commerciale. Le rééquilibrage amorcé par les recours introduits auprès de l’Autorité de la concurrence, qui ont poussé la société Booking à étendre les engagements qu’elle a pris à l’ensemble de l’Europe, doit être poursuivi, notamment en favorisant la concurrence entre plateformes de réservation en ligne. À cet égard, la décision de groupe Accor d’ouvrir sa plateforme aux indépendants va dans le bon sens. Introduit dans le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances, le contrat de mandat pourra également contribuer à rendre aux hôteliers des marges de manœuvre commerciales.
Les résidences de tourisme affichent une bonne santé globale, mais si les implantations urbaines ont le vent en poupe, celles qui ont fait les beaux jours des stations touristiques végètent. Souvent construites dans les années 1970, mal isolées, ne répondant plus au goût des vacanciers, elles développent le syndrome des « lits froids » alors même que l’équipement hôtelier est lui-même inadéquat – c’est l’exemple que donne la Grande Motte. Les avantages fiscaux ont trop favorisé la construction au détriment de la rénovation. Nous proposons la création d’un fonds d’investissement qui serait de nature à favoriser la rénovation du parc immobilier des résidences de tourisme.
Les nouveaux modes d’hébergement consistant à loger chez l’habitant en présence ou non de ce dernier, popularisés par le succès d’Airbnb, constituent une offre d’appoint nécessaire dans les zones où l’offre classique ne suffit pas, notamment en cas d’événement sportif ; le nombre annuel d’annonces est de 100 000 environ, principalement à Paris. Cependant, ils ne doivent pas fausser la concurrence des hébergements classiques, assujettis à des réglementations rigoureuses ; s’agissant de la taxe de séjour, la loi de finances pour 2015 a créé un barème spécifique pour les meublés de tourisme, à la bonne application duquel les autorités doivent veiller.
L’hébergement de plein air a été le seul à ne pas souffrir au cours de l’année 2014, et séduit de plus en plus de Français (+ 1,4 %), mais moins d’Européens, parmi lesquels les plus nombreux sont les Néerlandais. La France, forte de ses 8 200 établissements et de ses 910 000 emplacements, doit consolider sa position et convertir de nouvelles nationalités européennes à ce mode de vacances convivial.
Autre activité digne d’intérêt : la pratique du camping-car. La France compte 405 400 de ces véhicules, dont la moitié des propriétaires sont retraités ; ces touristes itinérants fréquentent principalement le littoral et les territoires ruraux. Cependant, notre pays n’offre que 5 400 aires de services et de stationnement, ce qui est très insuffisant. Nous préconisons donc une réglementation des aires d’étape pour répondre aux besoins par le biais d’une adaptation des documents d’urbanisme.
Les investisseurs privés s’intéressent au domaine des hébergements destinés aux jeunes, où régnait jusqu’alors sans partage la Fédération unie des auberges de jeunesse (FUAJ). Celle-ci est aujourd’hui concurrencée par des opérateurs européens, comme on peut le constater à Paris sur les rives du canal Saint Martin. Il faut intensifier l’hébergement touristique en faveur des jeunes pour ne pas en faire les oubliés des politiques touristiques, car cette forme d’hébergement constitue une belle façon de les fidéliser pour les années à venir.
Mme Jeanine Dubié, rapporteure. Certes, il est important d’améliorer le parc d’hébergement quelle que soit sa nature, mais cela doit s’accompagner de progrès dans la professionnalisation des secteurs d’activité du tourisme.
La profession compte plusieurs secteurs d’activité bien distincts, qui sont complémentaires et emploient plus de 1,2 million de personnes, dont beaucoup d’indépendants ou de salariés de très petites entreprises – ce qui est une caractéristique du secteur. Nous avons constaté, au fil des auditions, des lacunes ou des insuffisances dans le champ des compétences « transversales » telles que les langues étrangères, notamment l’anglais, le numérique et le « savoir-être », c’est-à-dire la façon de se comporter devant un étranger. Enfin, une connaissance trop souvent limitée de l’environnement géographique immédiat, dénotant un manque de curiosité, peut se traduire par une incapacité à apporter une information simple au client.
Lancé en 2015, le programme High Hospitality Academy, qui est promu par CCI France, tête de réseau des chambres de commerce et d’industrie, constitue un exemple de bonne pratique. Son objet comme ses modalités semblent bien adaptés aux besoins du secteur, de sorte qu’il a vocation à être déployé sur l’ensemble du territoire. Son but est d’améliorer la qualité de l’accueil ainsi que de promouvoir la culture du service. Ce programme repose sur une offre de formations présentées sous la forme d’un kit de 35 fiches et guides pratiques, librement téléchargeables, autour des six thèmes suivants qui recoupent notre constat : « savoir accueillir en toute situation », « connaître mes clientèles », « renforcer la compétitivité de mon offre », « réussir mon accueil en ligne », « connaître ma destination touristique », « culture d’accueil et management ».
Il faut adapter la formation continue des professionnels du tourisme par le biais de modules souples et peu coûteux tels le e-learning, les fiches pratiques et les massive open online courses (MOOC). Dans le domaine des langues, singulièrement celui de l’anglais pour lequel le ministère de l’éducation nationale pourrait être mobilisé, il nous a semblé qu’un niveau minimum devrait être requis pour l’accès à certaines professions telles que chauffeur de taxi ou agent des musées nationaux.
M. Philippe Le Ray, rapporteur. Faire évoluer le regard de la population française constitue une de nos priorités. Nous souhaitons voir encouragées toutes les formes de bénévolat, à l’instar des greeters, ou hôtes, aujourd’hui implantés à Lyon et Paris, en leur offrant une publicité privilégiée sur les sites internet des offices de tourisme. Pour ce faire, on peut s’appuyer sur le bon exemple des entreprises recourant aux helpers qui accompagnent les touristes dans les aéroports et les gares.
De façon plus générale, afin de favoriser une prise de conscience, de faire évoluer les mentalités et de faire comprendre à nos concitoyens à quel point le tourisme est une chance pour notre pays, nous proposons de mener une campagne nationale d’information ou de recourir à des jeux télévisés en prenant pour modèle la formule de l’émission Midi en France, diffusée par France 3.
Mme Jeanine Dubié, rapporteure. Pour améliorer la qualité de notre accueil, nous devons prévenir et traiter les phénomènes de saturation de sites touristiques parisiens majeurs, surfréquentés à certains moments de l’année au point de dissuader les touristes de s’y rendre.
Le Grand Louvre, qui connaît des pics de fréquentation pouvant atteindre 40 000 visiteurs par jour, est actuellement en thrombose avec des files d’attente interminables aux entrées, un niveau sonore à la limite du supportable sous la Pyramide, une densité humaine oppressante dans certaines salles, et une quasi-saturation des équipements collectifs (toilettes, vestiaires et cafétérias). Conçu par l’architecte Pei dans les années 1980, ce site tablait sur 4,5 millions de visiteurs en 2010, alors que l’on en compte aujourd’hui plus du double, dont 70 % d’étrangers. Le musée ne dispose pas de chiffres sur l’évolution du temps d’attente moyen à l’entrée, mais constate que le taux d’insatisfaction des visiteurs à ce sujet est passé de 7 % à 15 % entre 2007 et 2014. Nous pourrions établir les mêmes constatations pour d’autres sites parisiens comme Montmartre ou la Tour Eiffel.
Il nous paraît nécessaire de réfléchir à l’adaptation des conditions de visite des monuments et musées nationaux recevant plus de 500 000 visites par an, afin de répondre à l’attente des touristes. Nous proposons le développement systématique de la billetterie électronique, l’extension des horaires d’ouverture et la suppression de la fermeture hebdomadaire du mardi, ainsi que le recours à des médiateurs culturels, par exemple des jeunes en mission de service civique.
M. Philippe Le Ray, rapporteur. Notre dernière proposition porte sur l’intérêt de diversifier et d’enrichir les expériences touristiques en poursuivant l’innovation dans le domaine de l’événementiel. On peut citer à ce titre la Fête des Lumières de Lyon, le château de Fontainebleau, dont la fréquentation a doublé en quelques années, les expositions d’art contemporain au château de Versailles, ou le départ du Tour de France au Mont-Saint-Michel.
Le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances permet de distinguer les zones touristiques internationales et de favoriser l’élargissement des plages horaire des magasins. En outre, le nombre des « dimanches du maire » a été porté de cinq à douze avec compensation salariale. Tout cela permettra de doper les achats touristiques.
Il faut encore faciliter la vie du touriste en recourant au billet unique, qui inclut le transport et le spectacle, sans frais supplémentaires à l’instar du Paris City Pass qui remporte un franc succès.
Afin de conserver la clientèle de luxe, principalement chinoise et russe, il convient de ne pas abaisser le plafond de 15 000 euros de règlement en espèces. Par ailleurs, le remboursement de la détaxe doit être effectué le plus simplement et le plus rapidement possible, par le biais de la dématérialisation notamment, afin de donner à nos amis étrangers le temps et le loisir de dépenser une nouvelle fois chez nous le montant de la ristourne.
Mme Jeanine Dubié, rapporteure. Puisqu’il me revient de conclure cette brève synthèse de nos vingt-cinq propositions, j’insisterai sur la nécessité d’améliorer la desserte internationale de nos aéroports régionaux ainsi que les liaisons entre métropoles régionales, afin de mieux faire bénéficier des revenus du tourisme l’ensemble de notre territoire.
M. Régis Juanico. Monsieur le président, je tiens d’abord à remercier les rapporteurs, qui ont émis toute une série de propositions intéressantes et qui ont bien résumé les enjeux de notre politique d’accueil touristique. Tout en étant la première destination touristique au monde, la France ne profite pas assez, notamment sur le plan financier, de l’essor du tourisme international. Je voudrais ensuite rappeler l’importance économique majeure du tourisme pour notre pays. Il génère de très nombreux emplois – non délocalisables : 1 million d’emplois directs, 2 millions d’emplois indirects.
Pourquoi notre pays ne profite-t-il pas assez de la manne touristique ? Certaines des raisons qui sont mises en avant sont « classiques » : le manque de maîtrise des langues étrangères, les problèmes de sécurité, la malpropreté de certains lieux publics, l’insuffisante signalétique et le manque d’information dans certains moyens de transport publics – sans oublier le « savoir-être » des Français, un programme à lui tout seul… D’autres raisons sont un peu plus surprenantes, et j’en retiendrai trois : la médiocrité du rapport qualité-prix ; l’incapacité à s’adapter à la demande ; une restauration décevante alors même que notre pays est considéré comme un haut lieu de la gastronomie. À ce propos, les professionnels devraient s’inspirer d’une émission télévisée – Cauchemar en cuisine – dont le principe est de venir en aide à des restaurateurs en difficulté…
Je n’aurai qu’une question à poser à nos rapporteurs : l’offre actuelle de places en auberge de jeunesse sur l’ensemble du territoire est-elle, ou non, suffisante ?
Je terminerai sur un point abordé à la fin du rapport : la dynamique à attendre, dans les prochaines années, des évènements sportifs internationaux qui seront organisés sur notre territoire. La France a officiellement déposé sa candidature pour les Jeux olympiques de 2024, mais elle a d’ores et déjà été retenue pour accueillir une trentaine de grands championnats : l’Eurobasket en 2015, l’Euro de football en 2016, la Ryder Cup de golf en 2018, etc. Je pense, moi aussi, qu’il y a là matière à réflexion, et que ces grands évènements sportifs pourraient être l’occasion de mettre au point des offres touristiques spécifiques à l’intention de ceux qui viendront sur notre territoire pour y assister. Cela me semble constituer une piste de travail très intéressante.
M. Pascal Popelin. Parmi les questions évoquées par les rapporteurs, et que l’on retrouve dans les enquêtes qui reflètent la perception que les touristes ont de notre pays, figure celle de la propreté.
Nous sommes quelques-uns en Seine-Saint-Denis, comme le président Bartolone, à mener le combat de la propreté aux abords des autoroutes. Ceux-ci ont pâti de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la suppression des directions départementales de l’équipement (DDE), au point d’être devenus aujourd’hui des lieux totalement abandonnés des pouvoirs publics. Or, ils sont la première image qui s’impose au touriste qui sort de l’aéroport Charles-de-Gaulle !
Sur décision du Premier ministre, 5 millions d’euros ont été consacrés à un grand nettoyage de printemps et d’été. Nous nous en sommes réjouis. Mais l’opération sera-t-elle pérennisée ? En outre, au-delà des autoroutes de Seine-Saint-Denis, tout le territoire est touché. Les paysages de notre pays sont merveilleux, mais ils sont parfois gâchés par ce que l’on voit depuis le bord de la route. De la même façon, les abords des villes et des lieux touristiques laissent souvent à désirer – ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays comme, par exemple, les États-Unis. Certes, l’état des axes routiers est lié aux difficultés rencontrées par les collectivités locales, notamment depuis que l’État a transféré une partie de son réseau aux départements. Certes, le nettoiement des routes est d’abord l’affaire des communes et des intercommunalités. Mais je pense que le problème est d’abord culturel, ou du moins qu’il est lié à la perte de certaines valeurs. Beaucoup de nos concitoyens n’hésitent pas à jeter par la fenêtre de la voiture un paquet de cigarettes vide ou un emballage de fast food. En outre, nous manquons, en France, d’outils pour lutter contre ce manque de propreté. Je pense aux panonceaux que l’on voit dans certains autres pays, où l’on explique que, si vous mettez un mégot ou un papier par terre, vous encourez une amende dont le montant est extrêmement dissuasif…
Voilà pourquoi je suggère d’ajouter une vingt-sixième proposition à celles qui figurent dans le rapport : que l’État s’engage à remettre la question de la propreté de nos espaces publics au cœur des préoccupations de nos concitoyens – par exemple en en faisant une grande cause nationale. Ce n’est pas seulement une question d’attractivité touristique, c’est aussi une question de cadre de vie pour beaucoup de Français.
M. Jacques Myard. Bravo aux rapporteurs pour cette étude très intéressante !
Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il faudrait lancer une campagne sur le thème de « la France propre ». Je crains toutefois que l’on ne doive attendre cent ans pour qu’elle entre dans les esprits… J’ai trouvé, moi aussi, tout à fait scandaleuse l’affaire des « délaissés » de ces friches le long de l’autoroute A1. L’existence de camps de Roms à cet endroit donnait en outre une fâcheuse image de notre incapacité à régler la situation de ces derniers !
Enfin, je voudrais appeler votre attention sur un point majeur. La sixième proposition du rapport est de « fluidifier les arrivées des vols internationaux à Roissy », mais il ne faudrait pas négliger le risque de saturation – et de survol – qui est bien réel sur ce site. La saturation n’est pas encore atteinte, dans la mesure où les capacités d’emport de chaque avion ont augmenté, mais si les Chinois se mettent à prendre l’avion aussi souvent que les Américains, nous serons confrontés à un sacré problème d’environnement et de survol, au point que nous devrons recourir à un troisième aéroport en région parisienne – par exemple, celui de Beauvais.
Les touristes chinois dépensent beaucoup, c’est vrai : 1 200 euros en moyenne par personne et par séjour. Mais, à un moment où à un autre, il y aura une ardoise à payer en termes d’environnement.
Mme Marie-Hélène Fabre. Monsieur le président, je voudrais remercier les rapporteurs pour leur travail et pour leurs propositions, dont deux m’ont particulièrement intéressée. Il me semble en effet très important de régler le problème des « lits froids », notamment dans les stations du littoral, et de mettre en avant les contrats de destination.
Par ailleurs, certaines des personnes que nous avons auditionnées ont regretté que les touristes délaissent Paris, en particulier le week-end, en raison du manque d’organisation d’un « tourisme de nuit ». Avez-vous creusé la question ? Peut-être devrions-nous cibler davantage le public jeune ?
M. le président Claude Bartolone. Les recettes du tourisme ont beau être invisibles, elles sont importantes et méritent toute notre attention. Dans ce domaine, les détails ont leur importance. Par exemple, lorsque le Premier ministre chinois est venu en France, il m’a parlé de la sécurité des touristes – mais il m’a dit aussi que nous ne savions pas, en France, préparer un petit déjeuner digne de ce nom ! Il est vrai que les touristes chinois n’ont pas tous le goût et l’habitude du croissant et de la baguette... Reste que nous devrions nous intéresser aux habitudes alimentaires des touristes et en tenir compte : ce serait un signal positif que nous leur adresserions.
J’ai été très surpris, moi aussi, de constater que, lorsqu’un Airbus A380 atterrissait à Roissy au petit matin, il n’y avait qu’un seul fonctionnaire de police de l’air et des frontières pour accueillir tout ce petit monde… C’est, pour le coup, un mauvais signal adressé au touriste qui débarque.
Les mesures proposées par les rapporteurs devront faire l’objet d’un bilan quant à leur application. On pourra ainsi mesurer les améliorations intervenues.
Monsieur Myard, vous avez évoqué certains risques environnementaux. Je reconnais que les touristes de demain seront très attentifs à l’environnement de leur pays de destination, mais je crains aussi que les propos entendus ici et là sur les pics de pollution ou la dégradation de l’air ne soient exploités par un certain nombre de nos concurrents pour expliquer aux touristes qu’il vaut mieux aller ailleurs qu’en France…
Je voudrais enfin m’assurer, à ce propos, que le rapport fait bien la différence entre les touristes qui arrivent à Roissy et repartent immédiatement pour une autre destination, d’une part, et les « vrais » touristes d’autre part. L’aéroport Charles de Gaulle est en effet un « hub » de transit qui permet d’emprunter d’autres lignes européennes, et c’est pourquoi il serait bon de faire la part des choses.
M. Philippe Le Ray, rapporteur. Les 83,7 millions de « visiteurs » étrangers dont fait état le rapport sont bien des touristes qui séjournent au moins une nuit en France.
Quant au nombre de lits en auberge de jeunesse, il est de 5 000 à Paris, contre 16 000 à Berlin. L’écart est considérable, et certains groupes étrangers, comme St. Christopher’s Inn ou Generator, ont d’ailleurs compris le parti qu’ils pouvaient en tirer et sont en train d’investir à Paris. Cela dit, le comportement des jeunes évolue, et Airbnb, avec ses quelque 100 000 offres d’hébergement à l’échelle nationale, constitue une alternative sérieuse, ce qui me donne à penser que l’investissement dans les auberges de jeunesse devrait tôt ou tard se ralentir.
La propreté est l’un de nos points faibles. Celle des villes et des sites relève largement des collectivités locales, mais ce n’est pas le cas de celle des installations sanitaires ou, plus généralement, de tout ce qui a trait à l’hygiène. Les représentants des Galeries Lafayette que nous avons auditionnés nous ont dit que leurs clients asiatiques avaient droit à des installations dédiées parce qu’ils avaient des exigences différentes de celles des Européens. Dans les enquêtes qualitatives, les réserves portent davantage sur les conditions d’hygiène que sur l’accueil dans les villes.
Enfin, monsieur Myard, nous avons rencontré M. Franck Goldnadel, le directeur de l’aéroport Charles-de-Gaulle, qui estime pouvoir faire face à un doublement du trafic
actuel – 65 millions de passagers. Reste cependant un risque de concentration du trafic au nord de Paris. Je me suis permis de demander à notre interlocuteur ce qu’il pensait du recours à d’autres aéroports, celui de Notre-Dame-des-Landes par exemple, et il m’a fait comprendre assez nettement qu’il ne jugeait pas cela souhaitable pour Roissy. En résumé, Roissy a une grande capacité d’accueil et il faut simplement faire l’effort d’y affecter suffisamment de personnel.
Mme Jeanine Dubié, rapporteure. Pour en revenir à la question de la propreté, il faut effectivement que nos espaces publics et nos villes soient propres, mais cela suppose que chacun adopte un comportement civique et prenne conscience de ce qu’un papier ou un mégot ne se jette pas n’importe où. Cela améliorerait aussi bien notre cadre de vie que la perception du visiteur étranger qui arrive dans notre pays. Des actions liées à la protection de l’environnement sont déjà organisées dans les écoles ; la propreté de l’espace public pourrait également faire l’objet d’actions pédagogiques.
Monsieur Myard, vous avez évoqué le risque de saturation de l’aéroport de Roissy, tout en observant que l’une des propositions de notre rapport était d’en fluidifier le trafic. De notre côté, nous avons remarqué que les touristes du Sud-Est asiatique qui visitent notre pays commencent par Paris mais que, lorsqu’ils reviennent, non seulement ils ont tendance à le faire individuellement ou en famille plutôt qu’en groupe, mais qu’ils ne se contentent plus de visiter Paris : ils veulent découvrir la France. Nous devrions donc développer la desserte internationale sur nos aéroports régionaux, comme Lyon, Toulouse ou Nantes, ce qui permettrait de mieux étaler le flux de ces visiteurs.
Monsieur le président, il faut absolument que la police de l’air et des frontières (PAF) se réorganise entre six heures et neuf heures du matin, plage horaire au cours de laquelle une cinquantaine d’Airbus, transportant chacun plusieurs centaines de passagers, arrivent à Roissy quasiment en même temps, alors que, l’après-midi, il ne se passe plus grand-chose dans la zone internationale, l’activité reprenant un peu le soir. Des ajustements sont indispensables.
Monsieur Juanico, vous avez raison pour ce qui est de la restauration. Les restaurateurs ont des engagements à respecter vis-à-vis de la clientèle étrangère qui apprécie la gastronomie française, mais qui a parfois le sentiment de « se faire avoir ». Les mesures que nous avons prises, notamment le label « fait maison » que nous avons institué dans le cadre de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, contribueront à améliorer la qualité de la restauration française.
Enfin, madame Fabre, les personnes auditionnées nous l’ont dit également, Paris n’est plus le lieu de festivité nocturne qu’il était il y a seulement une trentaine d’années, et les jeunes, notamment les jeunes étrangers, vont plutôt faire la fête à Londres. Comment peut-on y remédier ? L’indécrottable provinciale que je suis avoue ne pas savoir…
Au moins pourrait-on profiter de la chance que nous offre l’organisation, sur notre territoire, de grands évènements sportifs. Ils seront en effet l’occasion d’améliorer non seulement nos infrastructures sportives, mais également notre hébergement hôtelier : d’une part, il manque 20 000 lits à Paris ; d’autre part, dans les villes de province ou sur les destinations touristiques, les normes internationales sont rarement atteintes. Saisissons cette chance de diversifier et de faire monter en gamme l’offre hôtelière, et donc d’accroître notre performance en matière touristique.
M. le président Claude Bartolone. Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur travail qui nous sera très utile, peut-être même à très court terme, c’est-à-dire dès la coupe d’Europe de football l’an prochain. En effet, comme l’a suggéré Régis Juanico, les personnes qui se déplacent pour assister à ce genre d’évènements pourraient être incitées à visiter notre pays.
Sauf objection de votre part, je propose au Comité d’autoriser la publication de ce rapport…
Le Comité autorise la publication du rapport.
La séance est levée à douze heures cinq.