L’audition commence à seize heures vingt-cinq.
M. le président Claude Bartolone. Je suis très heureux d’accueillir M. Didier Migaud, qui va nous présenter la contribution de la Cour des comptes à l’évaluation des aides à l’accession à la propriété.
Je vous rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande du groupe Union des démocrates et indépendants, et que nous avons demandé l’assistance préalable de la Cour des comptes.
Le Premier président de la Cour est accompagné de M. Pascal Duchadeuil, président de la cinquième chambre, de M. Henri Paul, président de chambre, rapporteur général, et de M. Philippe Hayez, conseiller maître.
Nos deux rapporteurs sont Audrey Linkenheld et Michel Piron. Monsieur le Premier président, nous vous écoutons.
M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. Je suis heureux de retrouver votre comité pour lui présenter l’enquête sur les aides de l’État à l’accession à la propriété, un peu plus d’un an après votre saisine, monsieur le président, par lettre du 12 octobre 2015.
Je tiens à saluer les rapporteurs, madame la députée Audrey Linkenheld et monsieur le député Michel Piron. Les échanges avec eux ont éclairé la Cour quant aux attentes de votre comité et lui ont permis de définir ses principaux axes d’enquête.
Pour vous présenter ce travail, je suis entouré de Pascal Duchadeuil, président de la cinquième chambre, d’Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes, de Philippe Hayez, président de section à la cinquième chambre, de Jean-Michel Champomier, conseiller référendaire, de Claire Gasançon-Bousselin, rapporteure, et de Laetitia Buffet, auditrice, qui ont travaillé sur cette enquête.
Avant de vous présenter les principales conclusions de ce rapport, je voudrais rappeler quelques éléments relatifs à son périmètre et à la démarche qui a été adoptée.
Le périmètre tout d’abord, qui a été défini avec vous, comprend les quatre dispositifs principaux destinés à soutenir les primo-accédants dans l’achat d’une résidence principale par l’amélioration de leur capacité d’emprunt ou de leur revenu disponible après emprunt : il s’agit de l’aide personnelle au logement pour l’accession, du prêt d’accession sociale (PAS), du prêt à taux zéro renforcé (PTZ+) et du prêt social de location-accession (PSLA). L’ensemble de ces aides a concerné plusieurs centaines de milliers de ménages en 2015, dont 460 000 pour l’aide personnelle pour l’accession, 60 000 chacun environ pour le prêt d’accession sociale et le prêt à taux zéro et 8 000 pour les prêts sociaux de location-accession. Plusieurs autres dispositifs ont été exclus, comme les instruments favorisant l’investissement locatif ou les outils d’épargne réglementée destinés aux ménages acquéreurs.
Par ailleurs, l’instruction s’est fondée sur une démarche qui, si elle ne peut être qualifiée d’évaluation de politique publique au sens strict, a été enrichie de nombreux éléments s’y rapportant : près d’une centaine d’entretiens ont ainsi été conduits avec les administrations centrales, les opérateurs nationaux, mais aussi de nombreux universitaires et experts du secteur du logement. Une étude a été menée en partenariat avec l’École d’économie de Paris dont les conclusions ont alimenté la réflexion des rapporteurs, notamment sur l’impact économique et social du prêt à taux zéro. Enfin, les pratiques en matière d’aide à l’accession à la propriété de cinq collectivités locales ont fait l’objet d’études de cas qui sont annexées au rapport.
Dans son rapport, la Cour met en avant trois messages principaux : premièrement, les objectifs et la justification économique de la politique d’aide à l’accession à la propriété ne sont pas clairement établis et son coût pour les finances publiques est mal mesuré ; deuxièmement, les dispositifs sont complexes et mal articulés, et l’efficacité de chacun d’entre eux décroît ; enfin, si le principe d’un soutien public aux démarches d’achat des ménages était maintenu, plusieurs mesures devraient être adoptées afin de rationaliser le système des aides et de les rendre plus efficaces, notamment en les articulant mieux avec les politiques locales de logement et d’urbanisme.
J’en viens au premier message de la Cour. Les objectifs et la justification économique de la politique d’aide à l’accession à la propriété ne sont pas clairement établis, et son coût pour les finances publiques est mal mesuré.
Vous le savez, lorsqu’il s’agit de logement, notre pays occupe une position originale par rapport à nos voisins européens. En effet, avec près de six ménages propriétaires de leur résidence principale sur dix, le rapport entre le nombre de locataires – du parc social ou privé – et celui des propriétaires occupant leur logement est plus équilibré qu’ailleurs. Cette situation est notamment due aux différents instruments mis en place par l’État depuis plus d’un siècle pour aider les ménages modestes à accéder à la propriété. Divers leviers ont été utilisés dans ce cadre : les outils les plus anciens permettent la facilitation de l’accès au crédit par des bonifications de prêts, des subventions des apports personnels des ménages ou une sécurisation de leurs remboursements, ainsi que la réduction du coût des investissements immobiliers par l’octroi d’avantages fiscaux. D’autres outils, plus récents, cherchent à encourager des formes d’accession progressive, par exemple en accompagnant les ménages dans la transition entre la location et l’accession.
Construite par sédimentation, cette politique ne repose pas sur des objectifs clairs. En effet, comme c’est souvent le cas en matière de logement, elle poursuit en même temps les objectifs d’aide des ménages modestes dans leur achat et de soutien du secteur de la construction, sans que cette double approche soit explicite ni articulée de manière satisfaisante. Ainsi, le périmètre des ménages dits « modestes » et pouvant donc bénéficier des aides n’a jamais été arrêté, et la notion d’accession sociale n’a jamais reçu de véritable définition.
Par ailleurs, le modèle du parcours résidentiel devant s’achever par l’acquisition d’une résidence principale est aujourd’hui fortement remis en question par le décrochage qui est constaté entre le niveau de revenu des ménages modestes et les prix de l’immobilier. Si la proportion des ménages propriétaires a doublé en cinquante ans, elle n’a progressé que très lentement depuis la crise économique de 2008, principalement du fait de la hausse des prix des biens.
Dans ce contexte, la question de l’efficacité des aides pour faciliter l’accès des ménages modestes au logement se trouve évidemment posée avec acuité. Il semble en outre que la question de leur pertinence sur le plan économique ne puisse plus désormais être évitée, d’autant que les autres pays de l’OCDE ont souvent fait des choix très différents des nôtres.
Or, il ressort de l’analyse de la littérature économique faite pour la Cour par l’École d’économie de Paris que, si les bénéfices psychologiques, sociaux et culturels de la propriété sont bien établis, son effet positif sur le plan économique n’est pas avéré. Ainsi, aucun consensus n’émerge pour définir le lien qui existe entre la part des propriétaires dans la population et le taux de chômage. Alors que les travaux microéconomiques ont tendance à conclure à une absence de corrélation, les études macroéconomiques montrent que le taux de chômage augmente avec le taux de propriétaires parmi les ménages.
Du point de vue des finances publiques, la Cour constate que les modalités de suivi des dépenses relatives aux aides à l’accession sont insuffisantes, ce qui est préjudiciable à la bonne information du Parlement. Cette situation est largement due au mode de pilotage central des aides, qui est éclaté entre plusieurs ministères et, au sein de ces ministères, entre plusieurs directions. Au niveau territorial, les services déconcentrés de l’État n’ont aucune visibilité sur le rythme et le mode de distribution des aides, qui relèvent de deux réseaux étanches : les caisses d’allocations familiales pour les aides au revenu et les banques pour les prêts bonifiés.
Ce pilotage en silo nuit très clairement à la connaissance des dépenses budgétaires et fiscales relatives aux quatre aides à l’accession, et donc à la bonne information des représentants de la nation. Ainsi, à l’exception des aides personnelles au logement, qui représentent un montant de dépenses de 869 millions d’euros, la loi de finances initiale pour 2017 ne fait état pour les autres aides que de montants estimés d’une façon peu précise : plus d’1 milliard d’euros seraient ainsi dépensés au titre du prêt à taux zéro ; 15 millions « au maximum » seraient décaissés au titre des appels en garantie de l’État pour le prêt d’accession sociale – ce montant correspondant en réalité à une évaluation peu fiable ; enfin, un montant inconnu mais estimé à un niveau d’ordre équivalent – environ 15 millions d’euros – serait dépensé pour le prêt social de location-accession. Au total, et sous réserve de la fiabilité de ces estimations, environ 2 milliards d’euros seraient consacrés en 2017 aux aides à l’accession.
Par ailleurs, les dispositifs que la Cour a examinés sont complexes et mal articulés, et l’efficacité de chacun d’entre eux décroît, en particulier dans le contexte économique que j’ai déjà évoqué. C’est le deuxième message de la Cour.
Dans le cadre de ce rapport, la Cour a analysé les forces et les faiblesses de chacune des quatre grandes aides à l’accession. En effet, leur efficacité n’a pas été évaluée de façon suffisamment probante par les pouvoirs publics, et des incertitudes fortes pèsent donc sur leur capacité à atteindre leurs objectifs.
Le montant du prêt à taux zéro est plafonné par zone, par tranche de revenus, par composition du foyer et par quotité de bien acheté. Ces paramètres ont été modifiés quasiment chaque année depuis 2011 pour permettre au prêt à taux zéro de s’adapter à la conjoncture économique. La mutabilité de cette aide rend bien entendu délicat tout travail d’évaluation des résultats obtenus. Néanmoins, le rapport fait état d’un certain nombre de constats qui conduisent à remettre en question l’efficacité de ce dispositif.
Tout d’abord, les modifications des conditions d’octroi du prêt à taux zéro depuis sa création en 2005 ont rendu très instables à la fois son coût unitaire par bénéficiaires et le profil de ces derniers ; en effet alors que le prêt à taux zéro a été successivement recentré sur les revenus « moyens » en 2012 et sur les revenus « modestes » en 2013, il apparaît que les proportions de ces deux catégories ont fortement diminué parmi les bénéficiaires du dispositif depuis 2012, et que 45 % des ménages s’étant vu octroyer un prêt à taux zéro en 2015 avaient des revenus qualifiés « d’intermédiaires ».
Par ailleurs, les effets positifs du PTZ sur le plan économique sont manifestement limités. Au regard de l’objectif de soutien à la construction neuve tout d’abord, l’efficacité du dispositif est discutable dans la mesure où le nombre d’opérations financées tous les ans par un prêt à taux zéro a baissé de 40 % entre 2011 et 2015. En deuxième lieu, plusieurs études suggèrent qu’une partie de l’aide accordée par les pouvoirs publics ne profite pas aux nouveaux acquéreurs, mais contribue à renchérir le coût de l’immobilier ; l’effet inflationniste que ces travaux mettent ainsi en évidence est toutefois difficile à mesurer. Enfin, sur le plan microéconomique, les trop rares éléments disponibles que sont une étude de 2005 de l’INSEE qui n’a jamais été actualisée et un travail de simulation réalisé récemment par deux universitaires soulignent les limites du prêt à taux zéro. En effet, celui-ci ne jouerait qu’un rôle très limité dans le déclenchement des décisions d’achat, et des effets d’aubaine massifs seraient associés à son paramétrage actuel.
En ce qui concerne les aides personnelles à l’accession, le bilan dressé dans le rapport est contrasté. Pour contenir la progression des dépenses liées à ces aides, les conditions d’éligibilité ont été resserrées sur les ménages les plus modestes, faisant chuter le nombre de nouveaux bénéficiaires entrant dans le dispositif et le nombre total de ménages bénéficiaires, qui a diminué de 14 % depuis 2011. Cette évolution confirme le caractère plus redistributif des aides personnelles par rapport aux autres instruments. En 2015, ces aides permettaient de réduire de deux points le taux d’effort médian des ménages qui les perçoivent. Elles solvabilisaient leurs bénéficiaires à un niveau non négligeable et en légère croissance, le montant moyen versé en 2015 étant de 158 euros par mois, contre 140 en 2014. Si l’efficacité des aides personnelles en termes de soutien au revenu des ménages modestes est avérée, la Cour souligne que l’évolution de leur mode de calcul les a progressivement déconnectées des réalités du marché immobilier, alors que des revenus de plus en plus importants sont nécessaires pour acheter un bien.
Le prêt d’accession sociale souffre quant à lui d’une baisse considérable d’attractivité, qui explique sa faible utilisation par les primo-accédants depuis 2010. À l’origine, les atouts du prêt d’accession sociale étaient forts : il permettait de financer jusqu’à 100 % d’un emprunt, ouvrait la possibilité de toucher les aides personnelles pendant toute la durée du prêt et de bénéficier de la garantie de l’État par l’intermédiaire du Fonds de garantie pour l’accession sociale (FGAS). Plusieurs évolutions intervenues dans les années récentes ont cependant réduit l’intérêt du dispositif. Ainsi, son taux d’intérêt est devenu supérieur à celui du marché, les possibilités de cumul avec les aides personnelles ont été limitées et ses avantages comparatifs avec le prêt à taux zéro ont été supprimés.
Le prêt social de location-accession est un prêt conventionné accordé à un opérateur comme un organisme HLM, une société d’économie mixte ou un promoteur privé pour financer la construction ou l’acquisition de logements neufs qui feront l’objet d’un contrat de location-accession. Les ménages bénéficiaires de ces contrats louent d’abord leur logement en versant une redevance, avant d’en devenir propriétaire à un tarif préférentiel et de pouvoir bénéficier d’aides. L’opérateur bénéficie d’un taux réduit de TVA et d’une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties de quinze ans. Ce dispositif présente donc de nombreux avantages, tant pour les opérateurs que pour les ménages et les collectivités locales qui souhaitent attirer ou maintenir des familles sur leur territoire dans une perspective de mixité sociale. Toutefois, l’utilisation du prêt social de location-accession demeure marginale pour l’accession à la propriété, ce qui peut s’expliquer par la complexité du dispositif : seuls 8 000 prêts ont ainsi été accordés en 2015.
D’un point de vue global, le rapport souligne que le système que constituent ces aides est complexe et de moins en moins cohérent.
Certains de ces dispositifs ont vocation à pouvoir être cumulés pour soutenir sous des formes complémentaires les ménages primo-accédants. Ainsi, les aides personnelles sont destinées à apporter un soutien financier périodique aux ménages qui remboursent un prêt d’accession sociale. Or, il s’avère que la disparité croissante des modes de calcul et des conditions d’éligibilité des aides constitue un frein de plus en plus fort aux possibilités de cumul. Par exemple, les barèmes du prêt d’accession sociale et du prêt à taux zéro sont totalement déconnectés du barème des aides personnelles à l’accession, ce qui limite très fortement la capacité des ménages à accéder aux deux formes complémentaires d’aide.
Par ailleurs, la complexité des modes de calcul et de distribution des aides explique que peu de réseaux bancaires les aient intégrées à leurs offres. Le Crédit foncier de France assure ainsi de fait l’essentiel de leur distribution.
En définitive, le rapport montre que les aides à l’accession à la propriété jouent de moins en moins leur rôle d’appui aux primo-accédants, et ne permettent donc plus de faire respirer le parc social en favorisant les sorties de ses locataires. Ainsi, depuis 2011, moins de 15 % des premiers achats sont financés par un prêt d’accession sociale ou un prêt à taux zéro.
Dans ces conditions, la Cour souligne qu’il est désormais urgent de s’interroger sur la pertinence du maintien de ces aides publiques, au moins dans leur forme actuelle. Le choix de conserver des dispositifs de soutien aux ménages primo-accédants dépasse en effet la compétence de la Cour. Néanmoins, si le principe de ces aides était maintenu, leur périmètre et leur forme devraient être redéfinis et mieux articulés avec les politiques locales de logement et d’urbanisme. Ce sera mon troisième et dernier message.
Pour rationaliser le paysage des aides et augmenter leur efficacité, le rapport formule six recommandations. Je me bornerai à évoquer rapidement certaines d’entre elles, et nous pourrons bien entendu revenir de façon plus détaillée sur celles-ci au cours de nos échanges.
Parmi ces recommandations figure la refonte complète du prêt à taux zéro pour concentrer cette aide sur les ménages qui en ont le plus besoin. Les conditions d’éligibilité pourraient ainsi être resserrées sur les ménages modestes, selon des modalités qui pourraient être calquées sur celles du prêt social de location-accession. Pour renforcer l’effet du prêt à taux zéro sur les décisions d’achat, un seuil minimal de subvention devrait être défini, qui serait différencié selon les zones géographiques et les niveaux de revenus. À l’inverse, pour limiter les effets inflationnistes, des seuils maximaux d’aide et de durée d’emprunt devraient être fixés.
La révision du prêt à taux zéro devrait par ailleurs être combinée à la recherche d’une complémentarité avec les aides personnelles. Les conditions d’éligibilité et le mode de calcul des aides personnelles devraient ainsi nécessairement être harmonisés avec ceux du prêt à taux zéro dans sa nouvelle version. Il est probable que cette réforme ait un coût. Il conviendrait alors de veiller à ce que celui-ci soit compensé par le recentrage des instruments de prêt sur les ménages les plus modestes.
La suppression du prêt d’accession sociale constituerait un troisième axe de rationalisation des aides. Il apparaît en effet que le dernier atout spécifique du prêt d’accession social réside dans la possibilité de bénéficier de la garantie de l’État, qui pourrait néanmoins être associée à un autre instrument de prêt comme le prêt à taux zéro.
Enfin, je voudrais rappeler que la recherche d’une meilleure articulation des aides nationales avec les politiques locales en matière de logement constitue, semble-t-il, la condition sine qua non du succès de ces réformes.
Cette adaptation aux contextes locaux est rendue nécessaire par la diversité des situations des territoires, notamment au regard du prix des biens. L’harmonisation avec les politiques locales est particulièrement impérative dans les zones tendues et dans les quartiers de la politique de la ville pour lesquels l’accession à la propriété peut constituer un instrument d’aménagement très utile, ainsi que dans les anciens centres-villes dégradés où de nombreux logements demeurent vacants. C’est en ayant le souci de répondre prioritairement aux défis que rencontrent ces territoires que les aides nationales retrouveront leur légitimité et leur efficacité. C’est donc avec cet objectif que devrait être revu le prêt à taux zéro.
Pour adapter au mieux les dispositifs nationaux aux besoins constatés localement, le rapport souligne la nécessité d’impliquer dans leur gestion les services déconcentrés de l’État, et d’abord les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Il pourrait notamment être envisagé de déconcentrer le financement des aides en créant des enveloppes budgétaires à la main de ces services, comme cela a été le cas dans le domaine des aides à la pierre.
Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, le travail mené par la Cour montre que la politique d’aide à l’accession à la propriété devrait s’adapter à un contexte radicalement différent de celui qui prévalait lors de la création de ses principaux instruments. Trois éléments devraient en effet vous conduire à vous interroger sur la pertinence du maintien dans sa forme actuelle de la politique d’incitation à l’accession : le décrochage qui est intervenu entre les revenus des acquéreurs modestes et les prix de l’immobilier, la divergence entre l’indice du prix des logements à l’achat et celui du prix des loyers et enfin la baisse générale des taux d’intérêt.
Si les pouvoirs publics choisissaient de continuer à soutenir la demande d’acquisition de logements par les ménages, et notamment pour les plus modestes d’entre eux, une refonte complète de la palette des aides nationales devrait donc être engagée. Cette réforme pourrait être menée rapidement, à l’occasion de l’arrivée à échéance du dispositif actuel du prêt à taux zéro.
Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition, avec les magistrats et rapporteurs qui m’entourent, pour répondre à vos questions.
M. Michel Piron, rapporteur. Je tiens à remercier les auteurs de ce rapport pour la qualité du dialogue que nous avons entretenu et pour leur méthode d’investigation dont la rigueur – qui est une marque de fabrique de la Cour – est bienvenue dans ce qui me semble être un exercice au moins autant de stimulation que de simulation.
Avant de poser ma première question, je souhaite revenir sur les conclusions que vous nous avez exposées.
Vous postulez que la lisibilité, dont vous faites une nécessité, serait surtout assise sur la simplicité. L’exigence de simplicité s’impose-t-elle de manière si évidente face à une diversité de territoires, de situations dans les territoires et de marchés – j’insiste sur le pluriel – aussi grande que celle que connaît notre pays ? Je ne vois guère de points communs entre les monts d’Arrée, le fin fond du Limousin ou de la Champagne et Paris intra-muros – je pourrais en dire autant de Bordeaux, Lyon ou Toulouse. La simplicité est-elle forcément une bonne réponse ? Les standards sont-ils bien adaptés à la diversité de la demande et des marchés ?
Vous soulignez l’absence d’objectifs clairs et la coexistence de visées sociales et économiques. Soutenir le logement pour l’emploi qu’il crée ou pour l’habitation qu’il offre aux gens sont deux objectifs bien différents. Je ne récuse nullement votre questionnement. Je me contenterai d’un constat dont j’aimerais savoir si vous le partagez, dans la limite du devoir de réserve auquel vous êtes astreint : n’est-ce pas une ambiguïté fondatrice de certaines politiques publiques que d’essayer d’agir à la fois dans le champ économique et dans le champ social ?
Le lien présupposé entre le chômage et le statut de propriétaire est-il encore évident, et cela sur tous les territoires ? J’entends bien que le statut de propriétaire a pu maintenir certaines personnes sur le lieu de leur habitation et les rendre beaucoup moins mobiles que si elles avaient été locataires. Cette hypothèse s’est vérifiée de manière spectaculaire lors de la crise en Espagne : alors qu’en Andalousie, on ne savait plus comment revendre son logement, en Catalogne, on manquait de personnels. Mais un autre problème, que vous ne soulevez pas, ne vient-il pas s’ajouter, à savoir le manque de fluidité du marché du logement ? Nos droits de mutation, augmentés de toutes sortes de taxes, sont parmi les plus élevés d’Europe. Ils ne facilitent pas la revente et l’achat d’un autre logement quatre cents kilomètres plus loin.
Pour finir, dans l’exercice contraint auquel vous vous êtes livrés, l’approche macroéconomique que vous avez choisie ne montre-t-elle pas ses limites compte tenu de l’extrême diversité des situations ? J’ai appris dans ma jeunesse en cours de statistiques que pour être signifiante, une moyenne ne doit pas être la moyenne d’écarts trop importants. Je ne suis pas sûr que la notion de moyenne réponde bien à l’extrême variété des microéconomies dans lesquelles nous vivons. En d’autres termes, l’abstraction ne s’accommode pas forcément des situations concrètes.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. Je m’associe aux remerciements de Michel Piron à l’intention de la Cour. Je vais à mon tour revenir sur un certain nombre de vos constats et propositions.
Ce rapport comporte des éléments très intéressants, notamment le constat, qui n’est peut-être pas nouveau mais qui est ici très affirmé, que nous manquons de données fiables, cumulées et territorialisées sur la politique de soutien à l’accession à la propriété que nous menons pourtant depuis un siècle déjà. Nous ne savons pas vraiment qui sont les bénéficiaires des aides. Si vos recommandations en la matière pouvaient être suivies, et le plus rapidement possible, cela nous aiderait sans doute à éclairer nos futures politiques publiques.
Je note un autre élément qui me paraît intéressant et qui fait suite à une suggestion que nous avions formulée : pour une fois, le lien est fait entre les aides nationales et les pratiques locales à travers cinq études de cas, suffisamment significatifs pour nous permettre d’analyser plus largement les choses. Même si le rapport ne comporte pas d’exemples concrets de l’effet que peut produire le PTZ+ associé à une aide d’une collectivité, il présente une première analyse des aides locales ainsi que des recommandations pour une meilleure articulation entre le local et le national.
Je suis tout de même surprise par d’autres affirmations, en particulier par celle de l’urgence d’une réforme. À la lecture du rapport, je note certes des faiblesses ou des points à corriger mais je ne vois pas d’urgence.
Les dépenses en faveur de l’accession à la propriété représentent un coût qui est stable et, selon moi, relativement faible au regard de l’ensemble des politiques publiques de logement – 2 milliards d’euros sur 40. On peut certes penser que ce sont toujours 2 milliards de trop.
Vous pointez aussi le risque d’une politique d’accession à la propriété qui viendrait aider des populations trop modestes. Ce risque est limité puisque la France est reconnue comme l’un des pays où le taux de défaillance est l’un des plus faibles, même après la crise de 2008.
Vous évoquez les effets sur le plan économique des aides, tout en admettant qu’ils sont peu avérés, y compris le lien entre le chômage et la propriété. Je vous cite : « les études peinent à confirmer ces effets économiques positifs », ce qui signifie qu’elles peinent aussi à confirmer les effets négatifs. Vous mentionnez les effets liés à l’étalement urbain qui ne sont pas davantage établis. Vous reconnaissez d’ailleurs que le ministère du logement, qui a priori connaît un peu son sujet, conteste cette analyse.
Quant aux effets inflationnistes, ils ne sont pas certains mais possibles, écrivez-vous, et leur ampleur est difficilement déterminée.
Enfin, vous notez que les recettes liées à la politique d’accession à la propriété sont sous-évaluées. Personne ne s’est intéressé à ce que celle-ci rapporte en droits de mutation, en TVA ou en taxe d’habitation.
Tout cela me conduit à dire que l’urgence que vous soulignez comme les propositions, parfois un peu radicales, que vous formulez mériteraient sans doute d’être nuancées ou examinées d’un peu plus près.
S’agissant du PTZ, je suis un peu surprise de vos conclusions, mais peut-être s’agit-il de ma part d’une mauvaise interprétation du tableau que vous présentez page 42. J’y lis que la part des revenus « modestes » est stable, que celle des revenus « intermédiaires » et « moyens » augmente quand celle des revenus « aisés » diminue. Dès lors, l’objectif social me paraît atteint : personne ici ne pense que cet outil permettra aux catégories les plus modestes d’acheter leur logement – ce ne serait d’ailleurs pas nécessairement leur rendre service. Ce sont bien les catégories intermédiaires qui forment la cible du PTZ, car ce sont elles qui ont du mal aujourd’hui à accéder à la propriété, notamment en zone tendue où le foncier est rare et cher. C’est la raison pour laquelle si le taux de propriétaires en France est stable, autour de 57 %, l’âge moyen des propriétaires augmente : les plus jeunes peinent à accéder à la propriété.
J’ai donc du mal à comprendre certaines de vos recommandations concernant le PTZ. J’approuve toutefois l’idée selon laquelle le PTZ est surtout intéressant en zone tendue, dans les quartiers prioritaires et dans les centres anciens dégradés, mais aussi sur les catégories intermédiaires.
La garantie de l’État devrait-elle, selon vous, favoriser l’accession à la propriété de profils atypiques, notamment des personnes en CDD ou en intérim, dont le statut les conduit à sa voir refuser des prêts par les banques alors même qu’ils disposent souvent des revenus nécessaires ?
M. Michel Piron, rapporteur. Vous estimez les aides à 2 milliards d’euros, mais n’oublions pas toutes les aides indirectes.
En ce qui concerne le PTZ, son efficacité varie certes en fonction des ressources, mais surtout des territoires – ce que vous ne soulignez pas suffisamment. L’effet inflationniste dont on nous rebat les oreilles dépend du marché, c’est-à-dire de l’offre et de la demande ; et on pourrait d’ailleurs certainement dire la même chose de nombreuses aides aux locataires. Là où l’offre est de toute façon totalement insuffisante, il se vérifie très certainement, notamment à Paris et en Île-de-France. Tant que l’on a dix demandeurs pour un logement, on alimente la chaudière, et ce sont les vendeurs qui vont capter l’aide !
En revanche, en Vendée, département dont le taux de propriétaires est très élevé, et où la moyenne du coût des constructions doit se situer autour de 150 000 euros pour une petite maison, j’attends qu’on me démontre un quelconque effet inflationniste du PTZ. Il en irait de même dans de nombreuses régions.
En ce moment, des promoteurs – jouant sur les aides, et sans doute un peu trop – proposent des logements au-delà de 4 000 euros le mètre carré à Brest. Ce sont des prix totalement déconnectés du marché, qui doit plutôt se situer autour de 2 700 ou 2 800 euros le mètre carré. À Nice, en revanche, on serait absolument dans les prix du marché…
La différenciation des territoires est donc absolument essentielle. J’ai souvent demandé, y compris à Bercy, à des gens qui ont étudié la question, s’ils avaient établi des comparaisons entre Rennes et l’intérieur de la Bretagne, entre Rennes et Paris, entre le Puy-de-Dôme et Lyon. La réponse a toujours été négative. C’est pourtant un point essentiel pour mesurer les éventuels effets inflationnistes des aides en général. J’aimerais vous entendre sur ce sujet.
À l’échelle européenne, il existe des pays où la situation est extrêmement tendue. C’est le cas de la Suisse, où le taux de propriétaires est très faible : la réponse à la tension du marché immobilier est de favoriser la location, afin de ne pas alimenter la chaudière. Les réponses politiques peuvent donc différer. Privilégier l’accession à la propriété en zone tendue, est-ce nécessairement une bonne idée ? Ne vaudrait-il pas mieux essayer d’augmenter l’offre de logements intermédiaires ?
S’agissant du PSLA, j’approuve entièrement vos propos : la complexité de ce dispositif est tout à fait dommageable. En le simplifiant, on pourrait sans doute multiplier le nombre de ses utilisateurs par deux ou trois.
S’agissant enfin du plafonnement des aides, je comprends votre souci de l’efficience de la dépense publique, surtout dans le contexte actuel où les moyens risquent de diminuer encore. Mais ce plafonnement doit-il dépendre uniquement des revenus ? Ne devrait-il pas tenir compte du prix final au mètre carré ? Ce serait peut-être un moyen de peser sur les prix de construction, mais aussi et surtout sur les prix du foncier.
M. Didier Migaud. La simplicité n’est pas nécessairement exclusive de la prise en considération de la diversité des territoires. Nous insistons, dans notre rapport, sur la diversité des situations, et c’est pourquoi nous proposons une déconcentration des politiques nationales, en lien avec les pratiques locales.
Madame Linkenheld, vous contestez le terme d’« urgence ». Deux milliards, ce n’est pas une somme négligeable : il n’est pas illégitime de s’interroger sur son usage. Il faut de plus souligner combien le contexte a évolué depuis la création de ces dispositifs. Je le disais en conclusion : le décrochage entre les revenus des « acquérants » modestes et les prix de l’immobilier, la divergence entre l’indice des prix du logement à l’achat et celui des loyers, mais aussi la baisse générale des taux d’intérêt doivent vous engager à remettre l’ouvrage sur le métier. Si le prêt d’accession sociale propose des taux d’intérêt supérieurs à ceux du marché, il y a un problème !
Le dispositif PTZ arrive à échéance bientôt : il est quoi qu’il en soit nécessaire de réfléchir aux modalités d’une éventuelle prolongation.
Bien sûr, il y a des incertitudes ; nous manquons d’études et d’évaluations. C’est pourquoi nous avons demandé à des économistes de nous aider à vous éclairer.
M. Pascal Duchadeuil, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes. On ne peut qu’éprouver un certain étonnement face à l’ampleur de nos incertitudes : les études exhaustives menées par l’École d’économie de Paris n’ont pu que confirmer l’extrême hétérogénéité, et souvent la faiblesse, de nos connaissances. De plus, il existe au moins deux directions d’administration centrale qui doutent de l’efficacité de ces dispositifs – celle du Budget et celle du Trésor. La direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) elle-même n’a pas procédé à une évaluation suffisamment convaincante de l’ensemble de ces dispositifs.
S’agissant par exemple de l’effet inflationniste, nous avons trouvé deux études, relativement solides, mais qui n’ont pas tout à fait suffi à emporter notre conviction – d’où nos formulations pour le moins prudentes. S’agissant du lien avec le chômage, les études donnent des résultats contradictoires ; nous ne pouvons que nous en tenir au bon sens qui nous dit que l’absence de fluidité peut induire un blocage de la mobilité.
En ce qui concerne l’effet déclencheur, nous avons un peu plus de certitudes. Nous citons quatre études différentes, qui, si elles ne donnent pas exactement les mêmes résultats, vont dans le même sens : elles mettent en doute le caractère déclencheur des aides principales, et notamment du PTZ ; elles mettent donc en garde contre les risques d’effets d’aubaine.
Le paysage des études et des évaluations est donc somme toute peu encourageant. A fortiori, les études portant sur les différences entre les territoires sont presque inexistantes.
Il convient donc, à notre sens, d’aller vers une réflexion d’ensemble et, simultanément, de réfléchir à une adaptation aux réalités locales de ce système national – dont l’uniformité, au vu des différences territoriales que vous avez soulignées, est en effet troublante. Il faut ici souligner que les échelons déconcentrés chargés de ces politiques sont jusqu’à présent remarquablement éloignés d’un travail commun avec les collectivités locales. Nous sommes ainsi, je vous le confirme, tout à fait incapables d’établir un lien entre le PTZ et les aides locales, ce sujet n’ayant pas été étudié et nous-mêmes manquant absolument de données en ce domaine.
Notre rapport tente donc de dresser un état des lieux exhaustif et précis du savoir, et de proposer une méthode pour accorder une approche nationale en grande partie insatisfaisante et la prise en considération d’un système d’aides locales aujourd’hui relativement ignoré du législateur.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. En effet, monsieur le Premier président, le contexte a changé depuis l’instauration du PTZ. Si de nombreuses collectivités territoriales interviennent, c’est bien pour faire face au décrochage entre les revenus et les prix que vous mentionnez. Elles répondent ce faisant à la demande des nombreux ménages qui souhaitent accéder à la propriété : le rapport évoque les fondements culturels et psychologiques de cet attachement à la propriété ; il faut citer aussi ses conséquences possibles sur l’étalement urbain.
Si Lille, la commune que je connais le mieux, souhaite encourager l’accession abordable à la propriété, c’est d’abord pour que les familles restent : nous ne concevons pas une ville qui ne serait habitée que par des étudiants et des personnes âgées. Or beaucoup de familles ne resteront que si elles peuvent accéder à la propriété. Nous voulons éviter qu’elles ne partent trente kilomètres plus loin, ce qui aggraverait l’étalement urbain mais aussi les bouchons – car il faut alors le plus souvent revenir travailler au centre-ville ou dans les alentours.
Je ne dis donc pas qu’il ne faut toucher à rien ! Je réagissais au décalage que j’ai ressenti entre les nuances du texte et la radicalité de certaines propositions.
En ce qui concerne les taux d’intérêt, en revanche, ils sont aujourd’hui faibles, en effet. Mais ne peut-on pas penser qu’ils vont remonter ? Est-il prudent de proposer la suppression du PAS alors que la situation sera peut-être bien différente dans quelques mois ? Vous doutez, en particulier, de son effet déclencheur. Les données sont insuffisantes, mais je ne suis pas certaine que la question du taux d’intérêt soit déterminante : rien ne dit que ceux qui bénéficient aujourd’hui d’un PAS obtiendraient un prêt bancaire classique aux taux du marché – même si ces taux sont très bas. Cela demanderait à être vérifié.
M. Didier Migaud. Ce qui est vraiment intéressant, c’est surtout la garantie de l’État.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. Absolument. C’est pour cela que votre proposition sur le PTZ mérite d’être très sérieusement étudiée.
S’agissant de l’effet déclencheur, je le redis, il faut être très prudent. Dès lors que l’on ne sait pas dire si quelqu’un achète parce qu’il a obtenu un PTZ et une aide locale, par exemple, l’effet déclencheur propre au PTZ est difficile à mesurer. Pour ma part, je suis persuadée que, dans bien des régions, c’est la combinaison de l’aide nationale et de l’aide locale qui permet l’accession à la propriété.
De la même manière, vous contestez l’efficacité du PTZ au motif qu’il y a moins de bénéficiaires, mais que les montants par bénéficiaire sont plus élevés. Il me semble que cet argument peut être retourné : on peut estimer que ces chiffres prouvent au contraire que l’on a touché la cible, et notamment ceux dont les revenus sont moyens ou intermédiaires, dans les zones où le foncier est cher. Sans ce dispositif, ceux-ci n’accéderaient pas du tout à la propriété. Il me semble qu’avoir moins de bénéficiaires, mais avec un véritable effet déclencheur, est préférable à une foultitude de bénéficiaires qui ne touchent pas grand’chose.
C’est un point que nous devrons creuser au cours des prochaines auditions, si nous voulons aller au bout du sujet. Encore une fois, beaucoup de vos recommandations sont intéressantes.
M. Michel Piron, rapporteur. Bien sûr, votre rapport est très intéressant. Je ne refuse pas l’idée qu’un réglage est nécessaire. Vous m’accorderez toutefois que l’on a vu des variations considérables sur le marché du logement en l’espace de quelques années. Et il faut également penser aux recettes qui résultent de la reprise.
S’agissant de la garantie de l’État, je souscris entièrement à vos propos : c’est un élément majeur.
Quid du plafonnement des aides en fonction du prix au mètre carré ?
M. Didier Migaud. Vous parlez, madame Linkenheld, de la « radicalité » de nos propositions. Le seul dispositif que nous proposons de supprimer, c’est le PAS, qui ne nous paraît pas adapté – il est d’ailleurs, je l’ai dit, très peu utilisé. Pour le reste, ce que nous proposons, c’est une réorganisation des autres dispositifs et l’aménagement de certaines règles de gestion.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. Si je puis me permettre, vous écrivez à la page 57 : « Les constats effectués par la Cour montrent que les aides à l’accession parviennent de moins en moins à atteindre leurs objectifs […] Elles sont de plus en plus coûteuses. […] Elles créent par ailleurs de trop forts effets d’aubaine […] Leur impact sur le plan économique apparaît limité et exposé à un risque d’effet inflationniste ».
Ces propos me semblent en effet assez radicaux, surtout rapportés aux grandes nuances que l’on lit ailleurs, notamment sur la fiabilité et le faible nombre des études existantes.
M. Didier Migaud. Nos assertions sont argumentées, malgré les incertitudes. Certains constats peuvent être faits. Les conclusions que vous citez sont appuyées sur des chiffres.
M. Pascal Duchadeuil. Madame Linkenheld, la phrase que vous avez citée reprend en effet une conclusion du rapport, à savoir qu’en tant que tel, l’effet inflationniste n’emporte pas la conviction. Nous ne nous fondons donc pas sur cette analyse. En revanche, s’agissant de l’effet déclencheur, le sens des conclusions des études est absolument indiscutable – même si on peut discuter sur le taux d’occurrence des effets d’aubaine. Cela étant, nous n’allons pas jusqu’à une démonstration territorialisée, dans la mesure où c’est une étude macro-économique – qui peut, ici ou là, sur des zones tendues spécifiques, et sur des problèmes tout à fait particuliers, aboutir à des résultats différents.
L’économie qui est proposée à titre de réflexion se fonde sur un ensemble de recommandations, notamment sur le PTZ+ et sur la garantie, dont nous percevons l’effet déclencheur et l’effet de conviction qu’elle peut avoir sur les banques. Néanmoins, par prudence, nous n’avons pas proposé une augmentation du taux de garantie.
Nous avons indiqué que la possible réforme du PTZ+ par un effet de « ciblage » ne pourrait pas être déconnectée d’une réflexion sur l’APL-accession, en raison de ce décrochage qui fait que désormais, le PAS et le PTZ+ ont des plafonds de ressources équivalents. Ainsi, le système d’aides à la personne est totalement décalé. Cela se traduit évidemment par une moindre efficacité de ce type de politique.
Ces propositions sont rédigées de façon un peu abrupte, dans la mesure où ce sont des recommandations finales, mais elles forment un tout. Il faut peut-être s’interroger sur des raisonnements un peu plus actualisés, compte tenu du niveau des taux.
Par exemple, j’ai sous les yeux l’indicateur ANIL des taux immobiliers pour le PAS d’une part, et pour les prêts classiques d’autre part. Il est étonnant de voir à quel point le PAS ne s’impose plus désormais en tant qu’instrument. D’une certaine façon, plus le prix du mètre carré s’élève, moins ce type de politique est efficient. Et plus le taux d’intérêt baisse, moins ce type de politique est efficace…
En conclusion, il nous semble nécessaire de jouer sur tous les éléments en même temps. Nous pouvons peut-être nous demander s’il faut vraiment deux instruments pour une politique, ou s’il ne faudrait pas essayer de faire en sorte qu’un seul instrument de prêt à taux zéro réunisse les qualités des deux instruments – d’où la proposition sur la garantie. Nous serions quitte, ensuite, à réfléchir sur le plafond – question que nous évoquons, s’agissant notamment des APL-accession – et pourquoi pas, sur la prise en compte de tel ou tel paramètre, comme le prix au mètre carré.
M. Michel Piron, rapporteur. Finalement, on se rend compte des difficultés d’une observation nationale. Il n’est pas question de vous le reprocher. D’abord, on ne dispose probablement pas des outils adéquats. Ensuite, il est illusoire de penser qu’un observatoire national nous aiderait à conduire une politique opérationnelle. En effet, le temps que les statistiques remontent, on n’y verrait clair qu’au bout de six ans, alors même que le contexte aurait très probablement changé.
Cela me conduit à m’interroger : est-ce que la limite d’« une » politique du logement ne sous-tend pas vos observations ? Je veux dire par là que nous sommes confrontés à une question de plus en plus prégnante : « une » politique du logement, ou « des » politiques du logement ? Je force volontairement le trait…
Bien sûr il faut un socle national, avec des mesures destinées à favoriser la mixité sociale ; je pense à certains articles, comme l’article 55 de la loi « SRU », que je crois avoir défendus naguère, et à un certain nombre d’éléments qui relèvent de la solidarité. Mais cette politique ne devrait-elle pas donner lieu à une territorialisation beaucoup plus marquée, et à une régionalisation ?
Autrement dit, une politique nationale du logement ne pourrait-elle pas donner lieu à des variations territoriales ? Ces variations seraient fondées sur trois piliers au moins.
Premièrement, des observatoires capables d’apprécier, sinon en temps réel, du moins beaucoup plus rapidement et beaucoup plus finement, la diversité des marchés du logement à l’intérieur de périmètres régionaux – pas seulement les métropoles ou les villes moyennes, mais aussi les espaces interstitiels.
Deuxièmement, des moyens déconcentrés, qui pourraient être alloués en fonction de critères nationaux – y compris ceux de la péréquation ou de la solidarité.
Troisièmement, l’acceptation de choix régionaux qui ne seraient pas forcément identiques dans toutes les régions, dans la mesure où la demande, la situation de l’emploi, ou les questions de mobilité ne sont pas les mêmes sur les différentes parties du territoire.
Ces interrogations me paraissent découler de vos propos.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. Peut-on imaginer que l’État délègue sa compétence d’aide à l’accession aux collectivités locales qui ont la compétence « habitat » ? Faut-il renforcer les moyens déconcentrés de l’État ?
Vous avez très bien décrit dans le rapport les défaillances du pilotage national et local. Mais pensez-vous qu’aujourd’hui les services déconcentrés disposent de moyens techniques et humains suffisants ? Certes, la limitation du nombre de fonctionnaires est d’actualité. Encore faut-il savoir, quand on exprime une volonté politique, comment on entend l’accompagner. Est-il donc réaliste, selon vous, de demander cela aux services déconcentrés ? Je précise que, de mon côté, je plaide plutôt pour la territorialisation des politiques publiques. Mais il n’y a rien de pire que de plaider pour des choses que l’on sait difficiles à réaliser.
Par ailleurs, vous avez incidemment parlé du foncier, qui est un élément déterminant dans le prix de l’accession à la propriété. Avez-vous étudié les propositions formulées à la fois par Dominique Figeat et par la mission d’information de Daniel Goldberg, sur les questions liées au foncier ? En effet, si l’on sait mieux observer le foncier, on saura sans doute mieux évaluer les effets réels des politiques en matière d’accession à la propriété.
M. le président Claude Bartolone. Le plafonnement des aides en fonction du prix du logement risque d’entrainer rapidement, notamment dans les zones tendues, une baisse de la surface disponible. Pour faire baisser le coût des logements, on essaie en effet de construire davantage de logements sur une même surface. La réduction des surfaces disponibles des logements proposés est une évolution inquiétante.
Sur toutes les politiques d’aide, se pose le problème de l’envolée du prix du foncier ; je pense notamment à la défiscalisation en outre-mer, par exemple en Nouvelle-Calédonie et à La Réunion, en particulier sur les zones tendues. Mais pour le reste, les coûts sont fixes : on ne va pas demander aux constructeurs d’autres prix que les prix internationaux sur les matières premières, comme la ferraille et le ciment ; il en est de même des salariés du bâtiment, que l’on ne peut pas payer moins cher. Le résultat est que pour essayer de vendre à des prix modérés on propose des logements de plus en plus petits.
Les différents constructeurs de logements ne viennent pas construire n’importe où. Ils regardent les territoires qui sont les plus adaptés au PTZ. Certains d’ailleurs ont réalisé des constructions là où ils pouvaient bénéficier de primes, mais ils s’en mordent les doigts aujourd’hui parce que les appartements sont vides ; et il en est de même de ceux qui se sont lancés dans l’investissement locatif…
M. Michel Piron, rapporteur. Les logements « de Robien »…
M. le président Claude Bartolone. En effet. Il faut de préciser cette question de la territorialisation et de l’utilisation, par un certain nombre de sociétés de construction, de ces différents instruments.
M. Didier Migaud. Il est évident qu’il pourrait y avoir des critères de zonage tenant davantage compte du territoire, des situations de tension du marché local, des enjeux particuliers de l’habitat, sur un territoire, et du niveau de mobilisation des collectivités locales. Ces critères pourraient être pris en considération.
Cela dit, vous posez une question sur laquelle on aura vraisemblablement l’occasion de revenir dans le cadre du rapport sur l’organisation territoriale de l’État que nous instruisons actuellement : les moyens actuels ne sont sûrement pas à la hauteur des défis. Cela va peut-être conduire l’État à s’interroger sur ce que doivent être aujourd’hui ses missions.
Il est exact que la politique du « rabot » a des effets extrêmement pervers sur l’organisation des services déconcentrés, pouvant mettre en cause la capacité d’intervention de ses moyens déconcentrés. Nous l’avons dit à plusieurs reprises. La politique du « rabot », c’est le non-choix. On peut le faire un an, deux ans. Le faire sur une longue durée risque d’avoir de redoutables effets.
Nous ne nous prononçons pas, dans le cadre du présent rapport, sur le principe d’une délégation globale. Nous proposons d’avancer prudemment, par le biais d’une contractualisation locale, et par des expérimentations. On pourrait choisir quelques territoires, expérimenter, puis apprécier les effets positifs à en tirer, avec les collectivités qui pourraient être volontaires.
Nous pensons qu’avant d’en arriver à une délégation globale, il vaudrait mieux passer par cette étape. C’est ce que nous recommandons, sans doute de façon un peu subreptice, dans le cadre du rapport.
M. le président Claude Bartolone. Monsieur le Premier président, on voit bien, notamment au travers des remarques que vous avez faites, la faiblesse des études d’impact.
M. Pascal Duchadeuil. Il me reste deux points à aborder.
Premièrement, nous avons auditionné les représentants du ministère du logement, et nous avons constaté avec plaisir qu’ils étaient favorables à l’hypothèse d’une déconcentration accrue de cette politique. En tout cas, ils nous ont tenu ce discours, que nous avons trouvé un peu plus novateur que d’habitude. Je tenais à le signaler.
Deuxièmement, il est vrai que les rapporteurs de la Cour qui se sont rendus sur place ont conclu de leur analyse des services déconcentrés une vision extrêmement peu satisfaisante. Pour simplifier, ces services ne suivent pas les PTZ+, ni les APL qui sont du côté des CAF, ni les aides locales que d’ailleurs ils ignorent. Au total, il ne reste pas grand-chose. Cela signifie qu’avant d’engager toute contractualisation, il faudra tout simplement qu’ils se mettent au niveau.
M. le président Claude Bartolone. Je vous remercie pour vos remarques. Il reste maintenant aux rapporteurs, à partir de l’analyse de la Cour, à nous faire des propositions pour améliorer les aides à l’accession à la propriété. En attendant, je vous propose d’autoriser la publication du rapport de la Cour.
Le Comité autorise la publication du rapport de la Cour des comptes.
L’audition prend fin à dix-sept heures quarante.