La séance est ouverte à onze heures dix.
M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, nous allons aujourd’hui examiner le rapport d’évaluation de la régulation des jeux d’argent et de hasard. Je vous rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande du groupe « Les Républicains ».
Cette évaluation a fait l’objet d’une demande d’assistance à la Cour des comptes dont l’étude nous a été présentée par M. Didier Migaud le 19 octobre dernier.
Nos deux rapporteurs sont : M. Régis Juanico pour la majorité et M. Jacques Myard pour l’opposition.
Messieurs les rapporteurs, je vous donne la parole.
M. Jacques Myard, rapporteur. Sachez, monsieur le Président que, bien que n’appartenant pas aux mêmes groupes politiques, les deux rapporteurs ont travaillé dans la plus complète entente, et que nous partageons chacun des mots écrits dans le rapport.
Vous l’avez rappelé, le 19 octobre 2016, le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, nous a présenté un rapport soulignant un certain nombre de problèmes dans la politique des jeux en France. Toutefois, la question est plutôt qu’une telle politique n’existe pas : c’est une balkanisation du système, préjudiciable à sa cohérence ainsi qu’à l’intérêt public, qui est constatée.
La loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne a permis de franchir un grand pas, en répondant, quelque peu dans l’urgence, à des sollicitations fortes de la part de la Commission européenne, ainsi que de certains opérateurs désireux d’être présents sur le marché français. Il a donc fallu ouvrir à la concurrence les monopoles qui, à l’époque, régissaient la politique des jeux en France. Cette loi doit aujourd’hui faire l’objet d’un examen précis afin de refonder un certain nombre d’aspects de cette politique des jeux.
Je rappelle qu’auparavant les monopoles étaient parfaitement justifiés au regard, non seulement des lois françaises, mais aussi de la jurisprudence européenne. Alors que nous étions en train d’élaborer la loi du 12 mai 2010, l’arrêt Santa Casa de la Cour de justice des communautés européennes a débouté la Commission ainsi qu’un certain nombre de requérants, et justifié le monopole de l’État portugais pour des raisons d’ordre public. Il s’agit bien en effet d’un domaine d’ordre public, de sécurité comme d’ordre sanitaire, expressément réservé aux États depuis le traité de Rome.
Le rapport de la Cour des comptes relève que les différents secteurs ont connu une évolution contrastée, et que la fiscalité applicable aux jeux n’est pas uniforme, ce qui semble assez difficile à réaliser. Il est vrai qu’en 2010 chacun s’accordait à penser que les jeux en ligne comme le poker cannibaliseraient les autres jeux. Il n’en a rien été, car nous avons assisté plutôt à l’avènement des paris sportifs.
Une disposition très claire a été inscrite dans la loi, enjoignant l’État à veiller à l’équilibre entre les jeux, car une cannibalisation de l’un par un autre peut perturber un secteur économique, comme la filière hippique par exemple.
Nous avons animé une vingtaine d’auditions qui se sont mutuellement confortées ; ce travail prenant et passionnant nous a permis de tirer des conclusions et d’émettre des propositions communes aux deux rapporteurs.
Le domaine du jeu peut aussi être celui de la fraude, du blanchiment d’argent sale ainsi que de l’addiction ; c’est pourquoi l’État a toujours voulu avoir la main sur ce secteur afin d’éviter des dérapages. Au XIXe siècle, dans le domaine des courses hippiques, régnait le système des paris « à la cote », qui s’est révélé très propice à la fraude. Aussi, l’État a-t-il adopté le principe de l’interdiction des jeux, mais assorti d’un certain nombre de dérogations.
Le régime français est donc très particulier puisque fondé sur l’interdiction assortie de dérogations ; en 1891, les paris mutuels sur les courses de chevaux ont été autorisés ; en 1907, ce fut le tour des casinos ; en 1923 celui les cercles de jeux. La loterie nationale a été créée en 1933 et les paris sportifs furent autorisés en 1984 ; aujourd’hui apparaissent d’autres jeux sur lesquels le législateur devra se pencher.
Il est maintenant temps de revoir l’architecture d’ensemble de ce système, qui s’est construit au fil de l’histoire, afin d’éviter des déséquilibres entre les jeux, mais aussi de déterminer une politique publique des jeux cohérente.
M. Régis Juanico, rapporteur. Le Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, nous a présenté le rapport de la juridiction financière préalablement à nos propres travaux. Une grande partie de ces travaux a été consacrée à la question de la régulation des jeux ; c’est par ce thème très important que nous avons souhaité commencer notre présentation. De fait, nous établissons le même constat que la Cour quant à la tutelle administrative de ces jeux, caractérisée par un cloisonnement obsolète et peu réactif.
Aujourd’hui, les casinos et la police administrative des jeux dépendent du ministère de l’intérieur. Les jeux sous droits exclusifs de la Française des jeux (loteries, grattage, tirage, paris sportifs en dur) dépendent à la fois du ministère de l’intérieur et du ministère du budget ; les jeux sous droits exclusifs du PMU (paris hippiques en dur) dépendent des ministères de l’agriculture, du budget et de l’intérieur ; et enfin les jeux en ligne (poker, paris sportifs et paris hippiques), ouverts à la concurrence par la loi du 12 mai 2010, relèvent de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), autorité administrative indépendante.
En fonction des segments de jeu, les tutelles administratives sont multiples, et, de même que la Cour des comptes, nous avons observé une forme de prépondérance — pour ne pas parler d’omniscience — de la direction du budget sur le secteur des jeux d’argent et de hasard. Cette administration cumule en effet des compétences nombreuses : tutelle, autorité réglementaire, régulation, mais aussi fiscalité. Par ailleurs, au détriment d’autres enjeux de la politique des jeux d’argent et de hasard, elle privilégie le rendement fiscal qui est considérable pour l’État, puisque ce secteur a rapporté 4,8 milliards d’euros en 2015 au titre de la fiscalité spécifique des jeux.
C’est pourquoi nous avons voulu présenter deux propositions portant sur la question de la réglementation et de la régulation. Dans le même esprit que la Cour des comptes, nous souhaitons que la réglementation (statut des opérateurs, champ des droits exclusifs et choix des catégories de jeux susceptibles d’être autorisés) soit confiée à un comité interministériel, et que la régulation quotidienne (autorisations individuelles, expérimentations, listes des compétitions supports de paris et agréments des points de vente) relève d’une autorité administrative indépendante unique dont le périmètre serait élargi.
M. Jacques Myard, rapporteur. J’évoquerai maintenant la question de l’équilibre entre les divers jeux, qui n’est pas sans conséquence. Comme l’a précisé Régis Juanico, l’ensemble des jeux rapporte 4,8 milliards d’euros à l’État, et nous comprenons pourquoi notre ministre du budget y est très attentif, car ce montant représente 7 % du rendement de l’impôt sur le revenu. Il ne faut donc pas jeter la pierre aux joueurs, car ils contribuent au budget de l’État.
Il n’en demeure pas moins que, les jeux étant de différentes natures, un équilibre entre eux est nécessaire à l’État. À une autre époque, la loterie, héritière du loto, se résumait à une caméra de télévision et un boulier ; en dehors de la vente des tickets, l’impact économique était faible. En revanche, derrière les paris sur les courses hippiques, se trouve une filière économique complète, allant de l’élevage, de l’entraînement et de la vente des chevaux – souvent à l’international – aux hippodromes et à leur personnel. On estime que la filière équine représente dans son ensemble 180 000 emplois. L’aménagement du territoire est directement concerné par ces activités qui, dans certains départements, représentent 4 % à 5 % des emplois ; cet aspect des choses ne peut donc pas être ignoré.
La loi du 12 mai 2010 prévoit que l’État doit veiller à l’équilibre des jeux ; or aujourd’hui les paris sportifs ont largement cannibalisé les paris hippiques, à hauteur d’un milliard de mises. Dans les endroits où sont proposés à la fois les jeux de la Française des jeux et les paris hippiques, on constate une baisse assez forte des prises de paris hippiques au profit des paris sportifs. En revanche, dans les lieux où ne sont proposés que des paris hippiques, la baisse est moindre.
Cela montre que la concurrence joue à plein, notamment auprès de nos jeunes concitoyens, l’âge des parieurs hippiques étant beaucoup plus élevé. Un vieillissement des turfistes est ainsi constaté ; de fait, les paris sportifs sont plus attrayants aux yeux de la jeunesse. Mais ils sont aussi plus faciles, car dans le pari hippique, selon le jargon des turfistes, il faut « faire son papier », connaître les chevaux, savoir ce qu’ils ont fait, connaître les handicaps. Dans le domaine du pari sportif, les choses sont plus simples, comme dans le cas d’un match de football opposant les équipes du Paris Saint Germain et de Lens, par exemple.
Ce déséquilibre n’est pas sans conséquence sur la pérennité des paris hippiques. Ce changement culturel appelle de la part du PMU une mise à plat de ses méthodes ainsi qu’une modernisation de son approche du public. À cet effet, le plan PMU 2020 a été lancé, qui propose de nouveaux paris par SMS ; le réseau est en cours de modernisation et propose des écrans dans le but d’attirer une nouvelle clientèle. Le PMU City a été installé dans les centres-villes et l’équipement Hipigo veut séduire de nouveaux parieurs avec des écrans télévisés. Par ailleurs, les paris hippiques pris à l’étranger ont été développés et représentent aujourd’hui 13 % des enjeux, soit un milliard d’euros, ce qui est loin d’être négligeable.
Nous ne partageons pas les vives critiques de la Cour des comptes au sujet des paris hippiques étrangers. Le PMU a développé l’activité des parieurs professionnels résidant à l’étranger, qui ont une connaissance approfondie des jeux et recourent sans doute à des logiciels afin d’évaluer les chances de succès. Le PMU a renforcé les clauses contractuelles relatives au contrôle des parieurs professionnels, et il nous semble qu’il n’y a pas lieu de vouer aux gémonies ces parieurs qui apportent plus de 400 millions d’euros de mises par an.
Le PMU a mené une politique de multiplication des courses dont le nombre a conséquemment crû, ce qui en a probablement réduit l’intérêt. L’évolution des chiffres entre 2006 et 2015 montre un quasi-doublement du nombre des évènements, ce qui, à mon sens, ne saurait constituer un facteur de développement durable, car ces courses sont parfois de second ordre, le nombre des chevaux au départ étant faible – six par exemple – et l’attrait pour les parieurs moindre.
C’est donc à juste titre que le PMU conduit aujourd’hui une réflexion tendant à privilégier les courses susceptibles de présenter un véritable intérêt aux yeux des parieurs, ce qui ne peut que passer par une réduction du nombre des événements afin que renaisse le suspense et que l’entreprise continue de dégager des bénéfices.
M. Régis Juanico, rapporteur. Nous avons identifié deux autres secteurs en situation de fragilité : les casinos et les opérateurs en ligne.
Notre territoire national compte 200 casinos, qui sont en général de petite taille et dont l’installation est très encadrée et réglementée. Il s’agit d’un secteur, concentré, qui connaît une reprise encore timide, et un effort d’investissement et d’innovation important que l’État doit encourager est nécessaire. Par ailleurs, une fiscalité simplifiée, plus favorable aux petits établissements, a été adoptée.
De leur côté, les opérateurs en ligne ne sont plus que seize contre trente-cinq à l’époque où la loi du 12 mai 2010 a été promulguée, et ils peinent à connaître la rentabilité. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a assoupli les outils de lutte contre le jeu illégal et autorisé de nouvelles variantes de poker et la table européenne.
Nous proposons de substituer le produit brut des jeux aux mises comme assiette de la fiscalité sur le poker en ligne, mesure à laquelle les acteurs du jeu en ligne réunis en table ronde par nos soins se sont montrés favorables. Nous suggérons aussi d’étudier l’opportunité d’une telle mesure pour l’ensemble des jeux d’argent et de hasard, mais, souhaitant demeurer prudents comme la Cour des comptes, nous demandons qu’une étude d’impact portant notamment sur les conséquences sur les recettes fiscales de l’État soit diligentée. Ce travail, monsieur le Président, pourrait être réalisé à l’Assemblée nationale, par la Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances par exemple.
Nous nous sommes préoccupés du problème du blanchiment d’argent sale, à partir par exemple du trafic de tickets gagnants. Ces trafics nous ont conduits à considérer qu’il fallait mieux identifier les opérateurs concernés et parfaire la lutte contre ces pratiques.
En premier lieu, nous proposons de soumettre l’autorisation de gérer un point de vente de la Française des jeux aux résultats d’une enquête administrative, conformément à la procédure applicable aux points de vente du PMU.
En second lieu, nous proposons de mieux identifier les clients. Aujourd’hui, le PMU procède à cette identification par le truchement de la carte joueur, mais cet outil ne touche que peu de parieurs : 120 000 à 130 000 sur cinq ou six millions. Ainsi, n’est-il pas assuré que le recours à la carte joueur soit probant. Plus simplement, nous proposons de soumettre les opérations de jeu à la lecture automatisée d’un document d’identité : pour toutes les catégories de jeux, le joueur devrait présenter sa carte d’identité à une borne qui autoriserait la transaction. Cette solution présenterait l’avantage de faire respecter l’interdiction des jeux aux mineurs, car nous avons relevé des lacunes dans les politiques publiques conduites dans ce domaine.
M. le président Claude Bartolone. Quelle est la part du blanchiment au regard du montant total des enjeux ?
M. Régis Juanico, rapporteur. Ce chiffre n’est pas connu, car l’évaluation est difficile à établir, mais la question pourrait faire l’objet d’une étude.
Notre travail a aussi porté sur les carences du traitement du jeu problématique. Il faut tout d’abord conserver à l’esprit que le secteur des jeux représente quarante-cinq milliards d’euros d’enjeux annuels.
Entre 2010 et 2014, la part des joueurs occasionnels est passée de 47,8 % à 56,2 %. Le nombre de joueurs excessifs demeure stable ; en revanche, le nombre des joueurs à risque modéré a été multiplié par 2,5, passant de 400 000 à 1 million en cinq ans. Il s’agit donc d’une question de vigilance pour les politiques de santé publique de notre pays.
Le montant annuel moyen des mises s’élève à 760 euros, mais avec une très forte dispersion. Près de 86 % des joueurs s’adonnent aux jeux en dur et on recense déjà deux millions de joueurs en ligne. Le jeu constitue aujourd’hui la seule addiction sans substance reconnue, caractérisée par des troubles de l’impulsion aggravés par des jeux plus accessibles et plus addictifs. La pratique du jeu s’intensifie : les joueurs réguliers jouent plus souvent et davantage. Le joueur excessif est en général un homme plutôt jeune, fumeur, d’un milieu modeste et plus souvent inactif ou étudiant. Les jeux auxquels il s’adonne plus souvent que les autres sont les paris sportifs et le poker (sept fois plus), les paris hippiques et les jeux de casino (quatre fois plus) et le jeu de grattage Cash/Millionnaire (deux fois plus).
Les conséquences sanitaires et sociales du jeu problématique sont mal connues, notamment en termes de séparation des couples, de chômage, de surendettement, de délinquance ou de suicide. Aucune mesure du phénomène n’est disponible. Nous proposons donc qu’une étude scientifique soit conduite sur le coût social du jeu problématique, en intégrant les conséquences aujourd’hui non quantifiées.
J’en viens à la diffusion des bonnes pratiques en matière de jeu responsable.
Les pouvoirs publics font passer des messages sanitaires qui sont correctement diffusés. Cependant, nous avons quelques doutes sur l’efficacité de ces messages et leur caractère dissuasif. D’autres mesures semblent plus efficaces, comme le contrôle d’accès dans les casinos, l’interdiction de fumer dans les casinos ou le faible taux de retour aux joueurs (TRJ), notamment sur les jeux de tirage et de grattage.
Les carences sont manifestes s’agissant de l’application de l’interdiction du jeu aux mineurs, de l’accessibilité du fichier des interdits de jeu dans l’ensemble des points de vente, de l’effectivité des modérateurs de jeu et de la régulation de la politique commerciale des opérateurs.
Nous proposons d’étendre la consultation du fichier des interdits de jeu au réseau des points de vente physique du PMU et de la Française des jeux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
L’État intervient surtout dans le domaine curatif, notamment par le dispositif « Joueurs info service » et les centres de soins, et moins dans le domaine préventif. Nous souhaiterions d’ailleurs adresser un message au ministère de la santé, l’invitant à s’impliquer beaucoup plus qu’à l’heure actuelle dans les politiques de jeu responsable.
M. Jacques Myard, rapporteur. Je l’ai dit tout à l’heure, la densification de l’offre de courses a fini par émousser l’intérêt des parieurs, et une réforme du PMU est devenue nécessaire. Mais à mon sens, c’est l’ensemble du système d’organisation des courses en France qui doit être réformé, notamment par une fusion des directions support – direction du personnel, publicité, gestion, etc. – des sociétés mères et du PMU. Un tel rapprochement serait de nature à faire des économies, étant entendu que les sociétés mères doivent conserver la définition de leur programme. En effet, on ne peut pas faire vivre dans une même société les trotteurs et les galopeurs : ce sont deux mondes différents dont il convient de garder la spécificité.
Je tiens à confirmer les propos de Régis Juanico sur le coût social du jeu addictif. Un professeur d’université de Rome, qui traitait des alcooliques aux urgences, m’a appris que, souvent, derrière l’alcoolisme, il y avait parfois l’addiction aux jeux. Il m’a cité l’exemple une femme qui, en quelques semaines, conformément au fameux roman de Dostoïevski, avait vendu deux appartements pour se livrer à sa nouvelle passion, le jeu. Le jeu peut donc créer des ravages et il est regrettable que le ministère de la santé ne se penche pas suffisamment sur le problème.
Maintenant, venons-en à la nécessité de veiller à l’intégrité des opérations de jeu, car tout joueur souhaite évidemment avoir toutes les chances de gagner, sans qu’il n’y ait de fraude.
Nous nous sommes interrogés sur les possibilités de fraudes dans les courses hippiques. On nous a dit qu’il y a eu des fraudes, et il y en a certainement. Il n’en demeure pas moins que, par nature, le pari mutuel les limite grandement. Pour le pari à la cote, c’est différent, car vous jouez contre la banque, contre le bookmaker. Le risque de fraude est donc beaucoup plus important qu’en cas de pari mutuel.
Voilà pourquoi nous n’avons pas été très convaincus de la multiplication des fraudes dans les courses hippiques. J’ajoute que les sociétés de course ont mis en place un contrôle anti-dopage fort, avec un laboratoire extrêmement performant, et des sanctions qui sont prévues par les codes des courses.
Bien sûr, une récente affaire a été mise à jour, qui concerne une nouvelle substance – un produit dopant pour les chevaux – dont on ne connaît pas l’impact réel. Mais nous avons constaté que le système anti-dopage du milieu des courses était performant, et reconnu comme tel dans le monde. Si tous les sports avaient les mêmes pratiques de lutte contre le dopage que les courses, les scandales seraient peut-être moins nombreux. Dans le monde des courses, je crois qu’il existe des garanties, ce qui ne signifie pas qu’il faut baisser sa vigilance.
S’agissant des compétitions sportives qui donnent lieu à des paris à la cote et sont donc plus fragiles face à la corruption, comment éviter les fraudes ?
La loi de 2012 a établi une cloison étanche entre les organisateurs des compétitions sportives, les vendeurs de pronostics et les opérateurs de jeux. C’est extrêmement important et je pense qu’il faut maintenir ce dispositif. On a également créé un délit de corruption sportive, qui est assimilé au délit de corruption privée, et dont les sanctions ont été alourdies par la loi du 6 décembre 2013. Sur le plan international, la convention Macolin, portée par le Conseil de l’Europe, est en cours de ratification. Cette convention définit la manipulation de compétition sportive, le pari sportif illégal, et renforce la coopération internationale.
Enfin, deux de nos collègues sénateurs ont déposé une proposition de loi visant à confier aux fédérations la rédaction d’une charte éthique et à autoriser l’ARJEL à considérer les risques de manipulation avant d’autoriser la prise de paris.
L’ensemble de ces dispositions devrait grandement améliorer la sincérité des paris sportifs et j’estime que la nouvelle autorité de régulation devrait disposer de tels pouvoirs.
M. Régis Juanico, rapporteur. Je voudrais signaler, au terme de cette présentation, que la Française des jeux joue un rôle considérable dans le financement du sport en France, et notamment du sport pour tous, via le Centre national de développement du sport (CNDS). En effet, 80 % des ressources qu’il reçoit pour financer les équipements de proximité et subventionner les associations sportives de proximité sur les territoires, soit plus de 200 millions d’euros chaque année, proviennent de la fiscalité appliquée à la Française des jeux sur les jeux de tirage, de grattage et les paris sportifs. Comme l’a fait la Cour des Comptes, je décernerai un satisfecit général à la Française des jeux : c’est un opérateur solide, qui a une gestion extrêmement saine sur le plan financier.
M. le président Claude Bartolone. Nous en venons aux questions de nos collègues.
M. René Dosière. Monsieur le Président, il y a un peu plus de cinquante ans, à l’occasion de la campagne présidentielle de 1965, j’avais assisté à une réunion publique du candidat François Mitterrand à Saint-Quentin. Je lui avais alors posé la question suivante : trouvez-vous normal que les Français consacrent davantage d’argent au PMU qu’à l’aide française au développement (AFD) ? Il m’avait répondu que cela pouvait paraître étonnant, mais qu’après tout la liberté de chacun devait être respectée – même si les voisins qui m’accompagnaient étaient un peu plus virulents à l’égard du jeune homme que j’étais et qui n’avait pas l’air d’apprécier beaucoup le PMU, contrairement à eux…
Cinquante ans après, je constate que la situation n’a pas beaucoup changé puisqu’en 2015, l’AFD s’élevait à 8,1 milliards, et que pour le PMU, paris sportifs inclus, on en était à un peu plus de 9 milliards – d’après le tableau qui figure dans le rapport de nos collègues.
Mais depuis, vingt-cinq ans de vie parlementaire m’ont permis de découvrir toute la complexité de l’organisation économique et sociale de notre société, et les revenus que l’État peut tirer des jeux, revenus qui ne sont pas négligeables.
Je lirai donc le rapport de nos collègues avec un grand intérêt. D’après ce que j’ai déjà vu en le feuilletant, il est très complet et passionnant. Quant aux interventions de nos rapporteurs, elles ont mis en lumière divers aspects de la question, économiques, sociaux, voire de santé publique.
Toutefois, subsiste encore en moi l’interrogation qui était celle du jeune homme de vingt-cinq ans : est-ce que c’est moral ?
Mme Nicole Ameline. Je voudrais naturellement féliciter les rapporteurs et le président. Ce rapport est très important. Et je suis bien placée pour le dire, car ces deux filières, celle des casinos et de la filière équine, sont présentes dans ma circonscription. Derrière les jeux, il y a des emplois et des filières économiques considérables. La filière équine, notamment, porte le rayonnement de la France à l’international puisque c’est une filière d’exportation.
Je voudrais que cette dimension soit réaffirmée. Il ne s’agit pas – et je m’éloigne en cela de René Dosière – de porter un jugement, moral ou non, mais de voir derrière ces grandes questions l’aménagement du territoire, l’attractivité touristique, le commerce extérieur, etc.
Par ailleurs, je suis très sensible à la recherche de cohérence institutionnelle et considère que l’éclatement de la régulation est tout à fait négatif, ne serait-ce qu’en termes de visibilité. La fiscalité occupe une place centrale en tant qu’outil de régulation, de modulation. Ses aménagement – on l’a vu pour avec les sports équestres – ont eu un effet dévastateur pour de petits clubs pourtant en pleine activité.
Maintenant, il faut aller plus loin, sans négliger la dimension européenne, car celle-ci n’est peut-être pas assez présente dans le rapport. Quoi qu’il en soit, je vous félicite pour ce travail, qui constitue la première étape d’une réflexion essentielle.
M. Christophe Caresche. Le propos de René Dosière ne fait qu’illustrer l’adage : « Vices privés, vertu publique ». D’ailleurs, Jacques Myard l’a dit en introduction, une grande partie de cet argent va dans les caisses de l’État et peut alimenter, par exemple, le développement.
Cela étant dit, vos propositions sont-elles de nature réglementaire ou législative ? Comment mettre en place ces propositions, qui m’ont l’air tout à fait intéressantes ? Selon quelle stratégie ?
M. Jacques Myard, rapporteur. Notre ami Dosière, dont j’apprécie les remarques, se trompe sur un point : en Afrique, il y a aussi un intérêt pour les courses françaises et celles-ci peuvent y créer des emplois. Donc ce n’est pas si simple que cela. Nous sommes dans un monde transnational. Quant à la morale, c’est comme la tolérance…
Les propos de Nicole Ameline sont frappés au coin du bon sens : le jeu est un secteur économique, ne l’oublions pas. Et puis, il n’est pas interdit de se divertir. Le problème ne vient pas du jeu en lui-même, mais de l’excès, en l’occurrence l’addiction. C’est même un véritable problème de santé publique.
En Australie, par exemple, on a installé des bandits manchots dans tous les coins, et c’est une catastrophe. En Italie, on compte plus de 414 000 machines à sous, installées dans des cafés. Et vous pouvez compter sur certaines organisations, que l’on pourrait qualifier de mafieuses, pour récupérer la mise. Ce n’est pas ce que nous faisons en France. Le jeu y est sous contrôle. Mais il est nécessaire d’avoir une politique publique forte en la matière, et de se montrer vigilant.
Enfin, nos propositions, qui relèvent de la loi et du règlement, visent à rendre ce secteur beaucoup plus cohérent et à mettre en place une véritable politique publique – de service public. Il s’agit d’instituer des contrôles et d’éviter les dérapages, de telle manière que le jeu soit un atout, et pas un handicap.
M. Régis Juanico, rapporteur. À la suite des questions posées par notre collègue Christophe Caresche et à propos de la régulation, j’ajouterai que l’autorité administrative indépendante que nous souhaitons mettre en place relève du domaine de la loi.
Il s’agirait d’une autorité administrative indépendante unique, aux compétences et au périmètre élargis. L’innovation technologique et la révolution numérique dans les jeux d’argent et de hasard rendent en effet de plus en plus artificielle la séparation entre les jeux en dur et les jeux en ligne. D’ailleurs, dans d’autres pays européens, comme en Grande-Bretagne, une autorité administrative indépendante unique est chargée de la régulation et couvre l’ensemble des secteurs du jeu, à la fois en ligne et en dur.
Je tiens à rappeler à nos collègues qu’il y a quelques semaines, nous avons dû intervenir assez vigoureusement en séance publique pour empêcher que, dans le cadre d’une proposition de loi relative aux autorités administratives indépendantes, un amendement de Jean-Luc Warsmann ne vienne supprimer l’ARJEL. Cette autorité, que nous avons mise en place en 2010, assume bien les missions qui lui ont été confiées par le législateur. Mieux vaudrait donc renforcer l’ARJEL en en consolidant les missions et en en étendant le périmètre, plutôt que la supprimer ou créer plusieurs autorités administratives indépendantes. On n’est pas là pour multiplier les autorités administratives indépendantes, mais pour les contrôler.
Quant aux observations de Nicole Ameline, je confirme que le secteur économique des casinos est très important, notamment pour les petites villes et les villes moyennes – en général des stations balnéaires, thermales ou touristiques. Sur l’ensemble du territoire, on compte 200 casinos. En outre, le projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain prévoit l’expérimentation de clubs de jeux à Paris. L’offre devrait donc se diversifier.
Les quatre principaux opérateurs (Barrière, Partouche, Tranchant et Joa), délégataires de service public, réalisent trois quarts du chiffre d’affaires qui se monte à 2,18 milliards de produit brut des jeux (PBJ). Mais il faut savoir que ce PBJ avait chuté de 25 % ces dix dernières années, et que le secteur se relève à peine. Malgré cette crise sévère, le secteur a continué à investir pour moderniser, notamment, ses casinos et ses machines à sous, et on attend un rebond l’année prochaine.
Aujourd’hui, les pouvoirs publics retirent des casinos, en fiscalité, 1,156 milliard d’euros de recettes. Les casinos constituent donc un secteur stratégique, y compris pour les finances publiques et pour l’État. Voilà pourquoi la loi de finances rectificative de 2014 a allégé la fiscalité sur les plus petits établissements, en établissant une forme de péréquation avec les plus gros établissements, qui ont un chiffre d’affaires élevé. Cette solidarité entre les établissements me semble avoir été tout à fait efficace.
M. Jacques Myard, rapporteur. Dans le cadre européen, chaque État réglemente son secteur des jeux au regard de critères nationaux ; c’est acté par la Cour de justice des communautés européennes. En revanche, dans le domaine des courses, les coopérations sont nombreuses avec certains preneurs de paris, que ce soit en Allemagne, en Italie ou ailleurs. Il y a donc des relations transnationales à ce niveau. Cela fonctionne bien, le PMU conventionnant avec des organismes étrangers, souvent même extra-européens.
Aujourd’hui, en Europe, la France est le seul pays à avoir un secteur hippique aussi fort économiquement. Sous la pression des machines à sous, les courses se sont totalement écroulées en Italie, en Allemagne et en Belgique. Nombre d’entraîneurs étrangers viennent courir en France, parce que les allocations – c’est-à-dire les prix – y sont toujours très fortes. En Belgique ou ailleurs, on peut gagner des courses à 2 000 ou 3 000 euros, ce qui n’est pratiquement jamais le cas en France.
Notre système, qui est alimenté par le pari mutuel, fonctionne. Mais en Angleterre, les bookmakers ne reversent que très peu d’argent à la filière qui est alimentée par les gens des émirats pour qui c’est une passion et qui font tourner le système. Mais s’ils venaient à disparaître, tout s’écroulerait faute d’un système institutionnel alimentant le circuit des allocations.
Ainsi, notre système fonctionne mais il est fragile. Les équilibres doivent être sauvegardés entre les jeux, dans l’intérêt public.
M. le président Claude Bartolone. Merci à nos deux rapporteurs pour la qualité des travaux qu’ils ont menés.
Sauf objection, je vous propose d’autoriser la publication du rapport.
Le Comité autorise la publication du rapport d’évaluation de la régulation des jeux d’argent et de hasard.
Puis le Comité désigne MM. Philip Cordery et Daniel Fasquelle rapporteurs de l’évaluation de la prise en charge de l’autisme, et Mme Valérie Corre et M. Michel Piron rapporteurs de l’évaluation du système éducatif.
La séance est levée à douze heures dix.