La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.
M. le président Claude Bartolone. Nous examinons aujourd’hui le rapport d’évaluation des aides à l’accession à la propriété. Je vous rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Cette évaluation a fait l’objet d’une demande d’assistance à la Cour des comptes, dont l’étude nous a été présentée par M. Didier Migaud, le 30 novembre dernier.
Je donne la parole à nos deux rapporteurs : Audrey Linkenheld pour la majorité, et Michel Piron pour l’opposition.
M. Michel Piron. Je préfèrerais employer le terme de « minorité »…
Mme Audrey Linkenheld. Je commencerai par quelques mots pour rappeler le contexte dans lequel s’est inscrite cette évaluation des aides à l’accession à la propriété, que nous avons menée et que nous vous présentons à deux voix : non seulement nombre de nos concitoyens rencontrent des difficultés à se loger, mais les prix de l’immobilier, après une longue période de hausse, se maintiennent à des niveaux qui restent encore difficilement compatibles avec les ressources de nombreux ménages ; par ailleurs, les contraintes budgétaires ont conduit à remettre en cause certains outils d’aide à l’accession, sans que ceux-ci n’aient fait au préalable l’objet d’une évaluation convaincante.
Pour conduire cette évaluation, nous avons demandé l’assistance de la Cour des comptes, avec laquelle nous avons défini son champ d’intervention et sa méthode de travail. Il a ainsi été décidé de centrer l’évaluation sur les aides individuelles directes destinées à faciliter l’acquisition d’une résidence principale, à travers les quatre principaux outils améliorant la capacité d’emprunt ou le revenu disponible des accédants : les aides personnelles au logement (APL) « accession », le prêt à taux zéro (PTZ), le prêt d’accession sociale (PAS) et le prêt social location-accession (PSLA).
À notre demande, la Cour s’est également penchée – et c’est une première qui mérite d’être soulignée – sur les outils proposés par les collectivités territoriales en matière d’aide à l’accession à la propriété. En effet, de plus en plus de collectivités proposent des aides à l’accession à la propriété, qu’il s’agisse de mécanismes d’aide directe destinés aux accédants ou de mécanismes indirects de soutien à l’attention des bailleurs ou des promoteurs. Il nous a donc semblé pertinent d’analyser ensemble les aides nationales et les aides territoriales, car aborder l’un en méconnaissant l’autre revient à ignorer une partie du sujet.
En conclusion de ses travaux, la Cour a dressé trois constats. Elle a estimé en premier lieu que les objectifs de la politique d’aide à l’accession à la propriété n’étaient pas clairement établis ; en second lieu, que le coût de cette politique pour les finances publiques restait mal mesuré ; enfin, que, du fait d’outils complexes et mal articulés, son efficacité avait tendance à décroître.
Ces constats posés, elle a proposé plusieurs mesures susceptibles, selon elle, de rationaliser et de rendre plus efficaces les dispositifs en vigueur. Il nous a semblé pertinent de soumettre les conclusions de ce rapport à l’avis des acteurs du logement. C’est dans cette perspective que nous avons animé plusieurs tables rondes destinées à recueillir la position des parties prenantes – promoteurs, bailleurs, représentants du ministère chargé du logement, financeurs, associations ou élus locaux – sur l’étude de la Cour.
Au terme de nos travaux, Michel Piron et moi-même restons très réservés sur l’approche de la juridiction financière et sur les enseignements qu’elle tire de plusieurs de ses observations. Nous considérons que la Cour a une conception trop extensive des effets d’aubaine : même s’ils ne sont pas toujours déclencheurs, nous considérons que les dispositifs d’aide à l’accession améliorent la plupart du temps le budget des ménages et sécurisent leur projet d’accession, conformément à l’objectif social qui est le leur.
S’agissant des effets inflationnistes, les critiques adressées à certaines aides ne nous paraissent étayées par aucune étude concluante.
D’une manière plus générale, nous estimons qu’il est toujours difficile de tirer des conclusions à partir de moyennes, qui ne peuvent pas refléter la très grande hétérogénéité des situations locales.
Enfin, si la dépense publique doit rester une préoccupation majeure, l’évaluation des aides à l’accession ne saurait se limiter au coût des dépenses de fonctionnement qu’elles engagent, mais prendre en compte les investissements, les emplois et les recettes fiscales qu’elles génèrent.
Nous restons très attachés au modèle français d’accession à la propriété que les personnes que nous avons entendues s’accordent à considérer comme vertueux et efficace, puisqu’il a notamment su traverser la crise de 2008 sans connaître les défaillances constatées chez plusieurs de nos voisins européens. C’est cette conviction qui nous a conduits à formuler deux messages principaux : d’une part, les spécificités des différentes aides de l’État à l’accession doivent être préservées ; d’autre part, ces aides doivent être mieux suivies et mieux différenciées en fonction des priorités locales pour être plus efficaces.
Les propositions que nous formulons restent animées par le souci d’offrir une visibilité et une stabilité aux acteurs d’un secteur qui nécessite des investissements lourds.
J’en viens à présent aux dispositifs que nous avons évalués, au premier rang desquels le prêt à taux zéro (PTZ). Les auditions que nous avons menées nous ont convaincus du caractère équilibré de cet outil tel qu’il existe aujourd’hui.
En effet, en termes de ciblage social, ce dispositif s’adresse surtout aux catégories intermédiaires. Il ne s’adresse ni aux ménages démunis, ni aux ménages aisés. Ce ciblage est logique et légitime pour un prêt censé apporter une aide complémentaire à des ménages disposant d’un certain niveau de pouvoir d’achat immobilier mais qui, en raison du niveau des prix de l’immobilier et du foncier, ne parviennent pas à accéder à la propriété.
Le PTZ est devenu, en outre, un dispositif équilibré d’un point de vue géographique. Nous nous en félicitons, car les déséquilibres en matière d’accession concernent tous les territoires, y compris les zones dites « détendues » où le coût de l’accession à la propriété peut également être élevé.
Enfin, le PTZ soutient désormais l’habitat neuf comme l’habitat ancien avec travaux. Or l’ancien constitue très souvent la réponse la plus adaptée aux besoins des accédants modestes, pour qui le neuf est trop coûteux. En outre, l’éligibilité du PTZ à l’ancien incite les communes à varier leur offre de logements, en mobilisant un parc déjà disponible, parfois vacant, au lieu de créer des lotissements qui contribuent à l’étalement urbain, étalement urbain dont on connaît les effets discutables en termes d’environnement ou d’aménagement du territoire.
M. Michel Piron. Le bilan économique du PTZ est à nos yeux positif, et nous ne partageons pas les réserves de la Cour des comptes sur ce point. L’effet inflationniste du prêt n’est pas démontré, les deux études exploitées par la Cour présentant de fortes limites méthodologiques. Par ailleurs, l’effet d’aubaine du prêt est surestimé et doit être relativisé en tenant compte d’une part de « l’effet qualité » – le PTZ permet à un ménage d’acheter un logement plus grand ou mieux situé, ce qui est essentiel – et, d’autre part, de l’effet « reste-à-vivre », qui permet au bénéficiaire de dépenser moins en remboursement de dette, ce qui constitue autant d’argent remis dans le circuit de la consommation. Enfin, il est surprenant que la Cour des comptes présume d’une moindre efficacité du prêt, alors que le recul de cette aide a pris fin en 2014 et résultait de choix budgétaires passés.
Nous tenons à souligner les trois points forts du PTZ. En premier lieu, c’est un instrument efficace pour corriger les mouvements conjoncturels du marché ; en second lieu, c’est un outil qui conforte les vertus du système français de crédit immobilier, dans lequel les prêts sont attribués en fonction de la solvabilité des ménages, ce qui limite fortement le taux de défaillance des ménages aidés, à l’inverse de ce qui peut se produire dans le système anglo-saxon ; enfin, l’effet déclencheur du prêt est mieux assuré depuis 2016, les nouveaux paramètres du PTZ ayant permis d’anticiper les critiques de la Cour concernant la faiblesse des taux de subvention.
Vous l’aurez compris, nous défendons les équilibres actuels du PTZ et nous ne recommandons pas de donner suite aux propositions de réforme de la Cour des comptes, qui conduiraient à remettre en cause ces équilibres.
Nous ne sommes pas favorables à un recentrage du dispositif sur les ménages modestes et très modestes, via l’alignement des plafonds de ressources du PTZ sur ceux du PSLA. Ces deux aides en effet ne visent pas le même public, et les confondre reviendrait à dénaturer le PTZ, qui doit rester un prêt complémentaire, et non principal, destiné aux ménages disposant d’un certain niveau de pouvoir d’achat immobilier.
Nous ne sommes pas non plus favorables à un ciblage territorial sur les zones tendues. La disparition du PTZ en zone « détendue », outre qu’elle ne tiendrait pas compte d’un taux d’effort souvent équivalent à celui des zones tendues, constituerait un coup dur pour les communales rurales : elle pénaliserait, de fait, les territoires les moins attractifs, souvent confrontés au vieillissement de leur population.
C’est pourquoi nous proposons de stabiliser les règles d’octroi du PTZ, au moins jusqu’au 31 décembre 2018. La loi de finances pour 2016 a permis au PTZ de trouver un point d’équilibre, mais elle a prévu une application limitée à la fin de l’année 2017. C’est trop court pour que l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des ménages, des investisseurs ou des réseaux bancaires, s’approprient pleinement le dispositif.
Par ailleurs, le PTZ ne peut être cumulé avec les aides de l’ANAH, ce qui peut empêcher les ménages modestes d’effectuer l’intégralité des travaux de rénovation dans les logements en mauvais état. Il faut autoriser ce cumul dans les centres villes dégradés pour éviter que ces ménages, accédant à la propriété dans des quartiers anciens, ne se retrouvent, quelques années plus tard, en situation de précarité énergétique ou d’habitat indigne.
Mme Audrey Linkenheld. Michel Piron vient de vous exposer deux des huit propositions que nous formulons dans le rapport. La troisième de ces propositions concerne le prêt d’accession sociale, que la Cour des comptes propose de supprimer, au motif qu’il aurait perdu son intérêt sous l’effet de la baisse des taux et de l’extension du PTZ.
Le nombre de PAS signés est élevé depuis plusieurs années et a même atteint en 2015 un niveau exceptionnel avec plus de 72 000 prêts. Le PAS réunit à nos yeux beaucoup d’avantages que nous rappelons dans notre rapport. C’est une voie très sociale d’accès à la propriété, qui profite en majorité à des ménages modestes de moins de quarante ans, dont le revenu moyen net est de 2 600 euros, soit moins que le revenu moyen d’un emprunteur PTZ – aux alentours de 2 900 euros – et moitié moins que le revenu moyen de l’ensemble des emprunteurs, qui s’établit autour de 5 300 euros.
Nous considérons que le PAS doit continuer à profiter spécifiquement aux ménages modestes et qu’il ne saurait être remplacé par le PTZ qui se veut plus généraliste. En outre, tandis que le PTZ s’applique pour l’ancien à des logements exigeant une quotité de travaux importante, le PAS ne restreint pas les types de biens concernés. D’autre part, le PTZ est un prêt complémentaire qui peut financer jusqu’à 40 % de l’achat, tandis que le PAS est un financement principal, ce qui est très différent.
Par ailleurs, la stabilité de taux garantie par le PAS protégera les emprunteurs en cas de remontée – assez prévisible – des taux d’intérêt.
Enfin, le PAS, dont la garantie en cas de défaillance de l’emprunteur est très rarement mobilisée, a une très bonne efficience au regard de son coût réduit pour l’État.
Nous pensons néanmoins que l’accès au PAS peut être amélioré, notamment pour mieux prendre en compte l’évolution de l’emploi, plus flexible, plus « éclaté », du fait de la multiplication des statuts et des situations d’activité entre emploi et chômage, du développement du temps partiel et de l’intérim. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’augmenter la part du PAS garantie par l’État en la portant de 50 à 80 %. Cette mesure permettrait aux personnes présentant des profils « atypiques » – disposant des revenus, et non du statut ou du contrat, qui leur permettent d’acquérir un logement – d’accéder aux prêts de longue durée.
L’extension de la garantie jusqu’à 80 % du prêt permettrait également de préserver notre politique de l’accession sociale dans un contexte d’évolution des règles prudentielles du secteur bancaire. Un projet de réglementation sur la sécurisation du bilan des banques est en cours de négociation au sein du Comité de Bâle. Il comporte de nouvelles exigences de solvabilité et de liquidité qui seront défavorables aux prêts de quotité élevée comme le PAS, et auront pour conséquence des restrictions de crédit ou le renchérissement du financement pour ces dossiers plus sociaux.
Nous proposons par ailleurs de diminuer le coût de la prise et de la levée d’hypothèque liée au PAS. Le PAS est en effet subordonné à une hypothèque dont le coût est important pour les ménages. Nous proposons de faire bénéficier les hypothèques pour les acquisitions en PAS du taux réduit de contribution de sécurité immobilière, déjà applicable aux opérations concernant les organismes HLM.
M. Michel Piron. Un autre outil d’accession sociale à la propriété est le prêt social de location accession (PSLA). La Cour des comptes note la progression de ce dispositif depuis 2011 et considère qu’il est efficace, mais marginal : le financement par le PSLA a concerné, en 2015, 8 080 logements. La Cour ne propose pas de le faire évoluer.
Le PSLA est destiné aux ménages modestes, en particulier lorsqu’ils n’ont pas d’apport personnel, car le prêt peut couvrir jusqu’à 100 % du montant de l’achat immobilier. Il intervient pour le financement d’opérations de construction ou d’acquisition de logements neufs par des promoteurs privés ou publics. Sa particularité est de permettre aux ménages d’acquérir avec un prêt conventionné le logement qu’ils occupent dans un premier temps comme locataires.
Les ménages qui signent un PSLA ont en général une durée de financement plus élevée que la moyenne et ont un taux d’effort important.
Le montage du PSLA est complexe et nécessite une information du public et une formation des professionnels : il suppose un contexte réunissant à la fois un opérateur de la promotion immobilière à vocation sociale aguerri – pouvant assurer la gestion de la période d’accession des futurs propriétaires –, des établissements de crédit volontaires – dont les agents doivent être formés pour monter ces dossiers particuliers –, des collectivités locales convaincues de l’intérêt de cet outil et l’accord enfin des services de l’État, puisque l’opération est soumise à agrément.
Nous ne considérons pas que 8 000 prêts par an soit un phénomène marginal, et nous proposons trois aménagements du PSLA pour le renforcer. Nous souhaitons en premier lieu faciliter le cumul de ce prêt avec le PTZ, en rendant ce cumul possible dans deux cas : lorsque le premier occupant ne lève pas l’option d’achat, ce qui arrive dans moins de 20 % des cas, il serait justifié que l’occupant qui reprend le logement puisse bénéficier du PTZ ; il serait également justifié de permettre aux bénéficiaires du PSLA de conclure un PTZ même s’ils ont été propriétaires de leur résidence principale au cours des deux années précédant l’opération. Cela permettrait de répondre aux besoins des acquéreurs qui, à la suite d’un divorce ou d’un veuvage, ont dû vendre leur première résidence.
Le deuxième aménagement consiste à ouvrir le PSLA à l’ancien. L’enjeu du maintien de la qualité de vie et de l’animation des centres villes et centres bourgs devient en effet un objectif de l’action politique locale. La réhabilitation et la revente de maisons ou d’immeubles en centre d’agglomération sont aujourd’hui devenues une préoccupation, même pour les petites communes, qui engagent un effort depuis plusieurs années pour rénover progressivement des logements vétustes.
Nous proposons donc une évolution du PSLA pour en ouvrir le bénéfice aux acquisitions et rénovations de logements collectifs ou individuels situés dans les centres villes dégradés ou les centres bourgs, afin de donner aux collectivités un outil supplémentaire d’accession sociale répondant aux nouveaux besoins de l’urbanisme et de l’aménagement, qui ont évolué depuis la création du PSLA en 2004.
Enfin, nous avons constaté que la durée d’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties dont bénéficient les opérations en PSLA peut dissuader les collectivités de recourir à cet outil. Nous proposons donc de réduire cette durée de quinze à dix ans.
Mme Audrey Linkenheld. Dernier outil d’aide à l’accession à la propriété que nous avons évalué, les APL « accession » sont destinées aux ménages modestes, à qui elles permettent de diminuer le montant des mensualités d’emprunt.
Victimes de leur succès – 1 200 000 bénéficiaires à la fin des années 1980 –, ces aides ont vu leur coût fortement progresser, avant que des mesures ne soient prises pour en contenir le budget, ce qui s’est traduit par une diminution du nombre de bénéficiaires, tombés à 460 000 en 2015. À la suite de critiques du dispositif par plusieurs missions d’évaluation, le Gouvernement a proposé de réserver les APL « accession » aux ménages subissant une diminution substantielle de leurs ressources, de plus de 30 % par rapport au moment où le prêt a été signé.
Cette mesure aurait eu des conséquences très négatives sur l’accession à la propriété des ménages modestes et sur la construction de logements neufs. Nous avons donc obtenu du Gouvernement un report de sa mise en œuvre et engagé une réflexion pour proposer de nouvelles pistes de réforme. Suite aux travaux du groupe de travail constitué par la commission des affaires économiques et animé par François Pupponi, auquel Michel Piron et moi-même avons participé, la réforme prévue par le Gouvernement a été abandonnée, et la loi de finances pour 2016 a apporté au dispositif plusieurs mesures d’ajustement, parmi lesquelles l’intégration du patrimoine des bénéficiaires dans l’évaluation de leurs ressources. Nous considérons donc que le débat est clos et que les APL « accession » continuent de représenter un soutien utile pour les plus modestes et qu’elles constituent un bon complément aux prêts aidés.
Concentrées sur les ménages modestes, elles restent les aides à l’accession les plus redistributives, avec un impact non négligeable sur le « reste-à-vivre » des ménages : pour les ménages les plus modestes bénéficiant d’un PTZ – en l’occurrence, ceux du premier quartile – elles représentent aujourd’hui un peu plus d’un quart des mensualités.
Les aides personnelles à l’accession sont donc déterminantes pour les plus fragiles, et en particulier pour les familles monoparentales dont les projets d’accession reposent, par définition, sur un seul revenu. Même si elles ne constituent pas un accompagnement pendant toute la durée du prêt, elles permettent de sécuriser les projets des plus modestes, en particulier de ceux qui se trouvent à la limite du niveau d’endettement de référence.
La Cour des comptes a proposé une fusion des barèmes des aides personnelles à l’accession et un relèvement de leurs plafonds de ressources afin d’accroître le pouvoir d’achat immobilier des ménages concernés. Ces propositions d’ajustements ont été accueillies favorablement par les personnes que nous avons entendues, malgré certaines réserves : à moins de mettre en difficulté certains ménages, un alignement ne peut s’envisager que sur le barème le plus favorable, ce qui représente un coût budgétaire ; en outre, il faut préserver l’articulation entre les aides personnelles et les autres aides à l’accession, les aides personnalisées au logement étant liées au PAS, et les allocations logement au PTZ.
Nous considérons donc qu’il faut examiner ces propositions avec la plus grande prudence et que les éventuels ajustements des barèmes et des plafonds des aides personnelles « accession » ne doivent pas nuire à l’équilibre des aides à l’accession dans leur ensemble où le PTZ a un rôle moteur. Nous proposons ainsi de sanctuariser les aides personnelles au logement « accession » pour garantir leur rôle de sécurisation des ménages aux revenus modestes.
M. Michel Piron. L’accession à la propriété est devenue, pour de nombreuses collectivités, un puissant motif d’intervention publique. Cette intervention est multiforme : elle passe par des aides financières aux primo-accédants, des prêts bonifiés, des incitations en direction des promoteurs ou des bailleurs, des actions foncières. En outre, elle se développe et ce malgré un contexte budgétaire tendu.
La très grande majorité des aides locales s’adressent à des ménages modestes, leur versement étant subordonné à des plafonds de ressources. Elles concernent certains types d’habitat – par exemple, des logements à rénover avec une condition de performance énergétique – ou obéissent à des critères de localisation, définis à des fins de mixité sociale, de limitation de l’étalement urbain, de renouvellement urbain dans les quartiers prioritaires ou de redynamisation des centres villes anciens ou des centres bourgs.
Mme Audrey Linkenheld. Ces aides locales sont un complément indispensable en faveur de l’accession. Or, si elles sont de plus en plus présentes, elles sont mal articulées avec les aides nationales, et ce pour quatre raisons.
En premier lieu, les besoins locaux auxquels ces aides doivent répondre sont rarement analysés avec toute la finesse nécessaire, les collectivités territoriales et l’État ne disposant pas d’une vision exhaustive des dynamiques à l’œuvre sur les marchés immobiliers.
En second lieu, chaque acteur local est peu, voire pas informé des aides versées par ailleurs par l’État ou les autres collectivités.
En troisième lieu, les aides de l’État sont des dispositifs « a-territoriaux », qui ne tiennent pas compte des priorités locales en matière de promotion de l’accession ou de régulation de la sociologie des différents secteurs d’habitat – centres anciens, nouveaux lotissements ou parc social.
Enfin, une majorité des aides locales sont distribuées sans tenir compte des critères appliqués aux aides nationales, dans la mesure où ces critères ne sont guère adaptés à la conduite des politiques locales.
Les collectivités peuvent ainsi avoir une appréciation différente des plafonds de ressources qu’il convient d’appliquer ou de la quotité de travaux qu’il faut exiger. Elles se montrent également parfois réticentes à se risquer dans le métier de prêteur, qu’elles considèrent mal maîtriser.
M. Michel Piron. Pour remédier à cette situation insatisfaisante, la Cour propose de déconcentrer les aides nationales à l’accession, mais il n’est pas sûr que les services déconcentrés de l’État disposent des moyens nécessaires pour gérer une telle enveloppe.
Nous proposons une autre approche, qui vise à décentraliser une partie de ces aides, sur une base expérimentale. En effet, le rapprochement des aides nationales des politiques locales de l’accession doit être opéré par les collectivités elles-mêmes, en adossant ces aides à leurs outils de programmation en matière d’habitat.
Les collectivités expérimentatrices pourraient être des EPCI à fiscalité propre, dotés d’un programme local de l’habitat (PLH), ces structures disposant d’une compétence solide en matière de planification car elles peuvent être délégataires des aides à la pierre. Nous proposons de ne décentraliser que les prêts bonifiés par l’État car les allocations logement relèvent d’une politique d’accompagnement social qui doit continuer à être assurée par les CAF.
Nous proposons deux types d’expérimentation.
La première reposerait sur une délégation de compétence. Elle consisterait à déléguer aux EPCI volontaires l’attribution des prêts, sur le modèle de la délégation des aides à la pierre. Ces établissements pourraient ainsi moduler ces aides en fonction de leurs priorités locales, par exemple en majorant le PTZ dans les quartiers prioritaires ou en ajustant le montant de la quotité du prêt pour favoriser l’accession dans le neuf ou l’ancien. Cette formule serait particulièrement adaptée aux besoins des EPCI de taille réduite, situés dans des marchés moyennent tendus ou « détendus », qui devraient pouvoir, en raison de leur proximité avec les habitants, programmer plus finement leur enveloppe d’aides.
Mme Audrey Linkenheld. La seconde expérimentation viserait à définir un zonage infra-communal pour l’attribution des prêts, ce qui permettrait aux EPCI volontaires de concentrer les aides sur des zones ou des secteurs d’habitat très spécifiques. Des métropoles pourraient ainsi, par exemple, privilégier dans certaines zones la distribution du PSLA par rapport au PTZ pour donner la priorité à l’objectif de diversification des habitants du parc social et favoriser ailleurs la distribution du PTZ pour cibler un autre segment de la population.
C’est une solution particulièrement adaptée à la situation des métropoles ou des grandes agglomérations qui souhaitent mieux maîtriser le développement de leur territoire et de leur peuplement, en corrigeant les déséquilibres sociaux propres aux milieux très urbanisés.
M. le président Claude Bartolone. Merci à nos rapporteurs pour la qualité des travaux qu’ils ont menés.
Cette lecture critique de l’enquête de la Cour des comptes me paraît particulièrement intéressante. Lorsque nous faisons appel aux compétences de la juridiction financière, il est essentiel que nous puissions, à partir de ses travaux, solliciter l’avis des acteurs de terrain. Votre travail montre qu’une étude remise par un organisme extérieur à la demande du Comité ne doit pas être considérée comme « solde de tout compte ».
On voit bien qu’il est parfois difficile de mettre en cause des dispositifs qui ont besoin d’une certaine durée d’existence pour donner tous leurs effets et donc pour pouvoir être évalués. Procéder à des ajustements exige souvent la plus grande prudence pour ne pas mettre en péril les équilibres de secteurs qui nécessitent des investissements importants.
Sauf objection, je vous propose d’autoriser la publication du rapport.
Le Comité autorise la publication du rapport d’information sur l’évaluation des aides à l’accession à la propriété.
M. le président Claude Bartolone. Pour cette dernière réunion de notre Comité, il me revient de dresser un bilan de son activité au cours de cette législature qui prend fin.
Vous trouverez dans le rapport qui vous a été distribué un bilan du fonctionnement du CEC et des méthodes qu’il a utilisées pour remplir sa mission. Vous trouverez également une synthèse des vingt évaluations de politique publique que nous avons réalisées.
Je tire de ces cinq années une conclusion résolument optimiste : notre Comité a su trouver sa place au sein de notre assemblée en concourant à diffuser une culture de l’évaluation qui lui était encore largement étrangère.
Nos travaux sont restés animés par le souci de faire émerger un diagnostic et des propositions communs à la majorité et à l’opposition. C’est cette volonté parlementaire partagée qui fait la force des rapports du CEC.
Le CEC a utilisé la possibilité de passer des marchés d’études pour disposer de sa propre expertise. C’est un gage d’indépendance, indispensable aux travaux d’évaluation.
Les liens avec la Cour des comptes ont été renforcés. La juridiction financière a réalisé à notre demande deux enquêtes par an. À partir de ces enquêtes, le CEC a pu identifier les réformes à mener, sans être tenu – on vient encore de le voir aujourd’hui – par les conclusions de la juridiction financière.
Nous avons parfois innové, comme en témoigne la consultation citoyenne réalisée sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour la première fois, les citoyens ont été associés par l’Assemblée à l’évaluation de l’impact d’une politique publique.
Je vois dans ces travaux une évolution de notre fonction de parlementaire, qui préfigure le nouveau métier qui sera celui du député sans cumul des mandats.
Je voudrais pour conclure faire deux recommandations : nos travaux d’évaluation méritent d’être mieux connus et il faudra réfléchir à la manière de les valoriser davantage ; ils nécessitent aussi d’être mieux suivis dans la durée et il faudra trouver les moyens d’interpeller à intervalles réguliers le Gouvernement sur les suites données à nos recommandations.
Je vous propose de publier ce bilan sous la forme d’un rapport d’information.
Le Comité autorise la publication du rapport sur le bilan de l’activité du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques au cours de la XIVe législature.
M. le président Claude Bartolone. Je remercie tous les rapporteurs et tous les parlementaires qui ont participé à nos travaux, ainsi que l’ensemble des fonctionnaires qui nous secondent de manière exemplaire.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.