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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

MARDI 7 OCTOBRE 2014

Séance de 16 heures 

Compte rendu n° 21

Présidence de
M. Alain BOCQUET, Président

Audition de Mme Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale (ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique).

    L’audition débute à seize heures dix.

    M. le président Alain Bocquet. Merci, madame la directrice générale de la cohésion sociale, d’avoir répondu à notre invitation.

    « Cohésion sociale » : un bien beau programme que celui de votre direction générale, madame Fourcade. Notre pays en a un si grand besoin, comme nous avons pu le constater hier encore lors du déplacement que notre commission a effectué à Nîmes à l’invitation de notre rapporteur, Mme Françoise Dumas.

    La DGCS n’a pas la compétence première en matière de vie associative, mais elle a une position centrale pour ce qui concerne l’économie sociale et solidaire. Vous êtes par ailleurs, es qualité, déléguée interministérielle à l’innovation, à l’expérimentation sociale et à l’économie sociale.

    Le moment est particulier : la loi relative à l’économie sociale et solidaire a été votée par le Parlement, mais nous en attendons les décrets d’application. La préparation de cette loi a suscité un grand élan chez les représentants du monde associatif, mais sa mise en œuvre suscite certaines inquiétudes. Où en est le monde associatif aujourd’hui ? Est-il en train de vivre une crise mortelle ou une mutation salutaire ? Fait-il l’apprentissage d’une certaine normalisation économique, après avoir vécu pendant des décennies une relation privilégiée avec la puissance publique ? Comment innover et expérimenter quand les ressources se contractent de toutes parts ?

    Avant de vous entendre, je me dois de vous demander, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1956, de bien vouloir prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    Mme Sabine Fourcade prête serment.

    Mme Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j’axerai mon propos sur ma double compétence, à la fois comme déléguée interministérielle, chargée de l’économie sociale et solidaire et comme directrice générale de la cohésion sociale, chargée à ce titre de la prise en charge et de l’accompagnement des personnes vulnérables – personnes en situation d’exclusion, personnes âgées ou handicapées – qui sont très largement prises en charge par des associations.

    J’organiserai mon propos en trois parties : après vous avoir rapidement présenté le secteur associatif, j’en rappellerai les difficultés et je vous parlerai des réformes en cours – parmi lesquelles celle de la loi sur l’économie sociale et solidaire – qui nous semblent de nature à favoriser le développement du modèle associatif.

    Le modèle associatif est le type d’organisation le plus représentatif dans le secteur social et médicosocial, chargé de l’accompagnement et de la prise en charge des publics vulnérables. Les associations de ce secteur ne représentent que 10 % des 1 300 000 associations de notre pays, mais 45 % de leur budget total. En effet, ce sont des associations de grande taille – de plus en plus souvent des entreprises associatives – qui emploient des personnels, qui ont de gros financements et bénéficient d’importants fonds publics. De fait, 45 % de leurs ressources sont des financements publics.

    Le monde associatif est représenté différemment, suivant les publics concernés, au sein du secteur social et médicosocial. Ce sont presque exclusivement des associations qui prennent en charge les personnes handicapées et les personnes en situation d’exclusion. En revanche, elles ne sont plus que 78 % pour les prises en charge d’aide sociale à l’enfance – une partie de l’ASE est publique – et 40 % pour les prises en charge des personnes âgées. La prise en charge de ces personnes âgées se répartit de la façon suivante : une petite moitié dans des structures publiques (anciens hôpitaux locaux ou structures relevant des CCAS), un quart dans les associations et un quart dans le secteur privé lucratif.

    On peut tenir compte également de la modalité de la prise en charge, en établissement ou en service. La politique du Gouvernement consiste à développer la part des services. Il s’agit de maintenir les personnes âgées le plus longtemps possible à domicile – c’était d’ailleurs l’un des axes du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement – et de favoriser au maximum l’intégration des personnes handicapées dans la vie sociale. Ainsi, 74 % du total des prises en charge avec hébergement et 86 % des prises en charge sans hébergement sont assurées par des associations.

    Quasiment partout, les services sont rendus en majorité par des associations sur l’ensemble du champ. Le fait est ancien. La prise en charge des personnes vulnérables a été d’abord le fait d’associations, d’initiatives personnelles, caritatives ou individuelles. C’est d’ailleurs l’origine de l’action sociale. Les associations ont donc toute légitimité pour prendre en charge les publics fragiles. Certes, elles reçoivent pour cela des financements publics. Mais leur engagement – y compris celui des bénévoles – est très important et participe à la qualité de cette prise en charge.

    Aujourd’hui, les associations développent de plus en plus souvent des modèles de gestion d’entreprise. On parle beaucoup d’entrepreneuriat social ou d’entreprises associatives. Le fait d’être une association n’empêche pas de développer des modèles de gestion tout à fait rigoureux et qui n’ont rien à envier au domaine privé lucratif. C’est le cas des grandes associations du domaine social et médicosocial.

    Une particularité mérite d’être relevée : lorsqu’elles prennent en charge des personnes vulnérables, ces associations ont un rôle à la fois de gestion et un rôle tribunicien, puisqu’elles représentent à la fois des personnes vulnérables et ceux qui les prennent en charge. De ce fait, les pouvoirs publics n’ont pas avec elles une relation de donneur d’ordre à opérateur, mais une relation partenariale avec des acteurs qui ont une parole propre en tant représentant les intérêts des personnes. C’est une relation parfois plus complexe, mais tout à fait intéressante et enrichissante.

    Une autre particularité du secteur associatif dans le monde social et médicosocial concerne les conventions collectives : d’une part il n’y a pas de convention collective étendue dans le domaine social et médicosocial, au point que l’on peut parler d’un « émiettement » important ; d’autre part, les relations entre les partenaires sociaux doivent donner lieu à agrément pour que les conventions collectives puissent s’appliquer.

    D’une part, on peut parler d’un « émiettement » des conventions collectives.

    Deux branches coexistent : la branche « sanitaire, social et médicosocial » et la branche de l’aide à domicile. La branche « sanitaire, social et médicosocial » qui regroupe l’ensemble des établissements est une branche privée non lucrative, qui est placée sous l’égide de l’UNIFED (l’Union nationale des fédérations et syndicats nationaux d’employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, social et médicosocial). Elle est elle-même partagée entre plusieurs conventions collectives, dont les deux plus importantes sont celles de 1966 et de 1951. En revanche, la branche de l’aide à domicile est arrivée à se regrouper dans une seule convention collective étendue.

    Ainsi, dès qu’on sort du secteur de l’aide à domicile, il n’y a plus que des conventions collectives différentes d’un établissement à l’autre, ce qui rend le dialogue plus complexe, et surtout donne au secteur un poids moins important que s’il n’y avait qu’une seule convention collective étendue.

    D’autre part, si les partenaires sociaux sont libres de leurs négociations et de leurs accords, leurs accords ne peuvent s’appliquer que s’ils sont agréés par l’État. Cette compétence d’agrément est instruite dans ma direction, et les agréments sont signés par la ministre des affaires sociales.

    Ce système d’agrément s’explique par le fait que la masse salariale des associations qui gèrent des établissements et services médicosociaux représente entre 70 et 80 % de leur budget. Il y a donc un lien très fort entre le financement qui doit être mis en place pour couvrir les charges de ces établissements, et les évolutions salariales. Ce système permet d’éviter que les négociations aboutissent à des accords qui ne soient pas financés par la puissance publique ou, à l’inverse, que la puissance publique soit contrainte de suivre des accords qui auraient été pris entre partenaires sociaux d’une façon qui serait insoutenable pour les finances publiques.

    Ce système est aujourd’hui obligatoire, dans la mesure où les modalités de financement des associations se font sur la base des charges. Si l’on changeait de système de financement et que l’on passait à un système fondé sur des référentiels, l’utilité de l’agrément pourrait se poser. Mais pour le moment, on est obligé de vérifier que les charges évoluent d’une manière soutenable pour les finances publiques.

    J’en viens à la deuxième partie de mon propos : les difficultés des associations, qui sont aujourd’hui bien connues.

    Ce sont essentiellement des difficultés de financement liées évidemment au manque de fonds propres des associations, et donc au système associatif lui-même, mais aussi au fait que les associations du monde social et médicosocial sont financées par des financements publics qui, aujourd’hui, ont tendance à se tendre.

    Ce mécanisme de tension des financements dépend du type de financement. Ma direction est ainsi en relation avec deux grands types d’associations :

    D’une part, les associations qui gèrent des établissements ou services sociaux ou médicosociaux, qui sont donc dans un système d’autorisation de l’exercice pour répondre à un certain nombre de prestations. Pour ces prestations, ils ont droit à une tarification qui est prévue par les textes – notamment par le code de l’action sociale et des familles. Dans ce cadre, les financements des établissements, qui sont en majorité des associations, sont tarifés pour tenir compte de leurs charges.

    D’autre part, les associations « tête de réseau » qui représentent des usagers ou d’autres grands secteurs de l’action sociale, et qui sont subventionnées. Leurs moyens ont tendance à se tendre. En effet, si l’ensemble des crédits sociaux a continué à augmenter dans les dernières années malgré les difficultés budgétaires, c’était essentiellement pour répondre à des dépenses obligatoires – prestations ou dépenses d’établissements et de service. Les subventions « libres » servies aux associations ont tendance, sinon à diminuer, du moins à être plus difficiles d’accès.

    Reste un secteur dans lequel les associations qui prennent en charge les personnes ne relèvent pas toutes du code de l’action sociale et des familles : celui de la lutte contre l’exclusion, et plus précisément l’hébergement des personnes sans abri. À côté des établissements qui relèvent du code de l’action sociale et des familles – essentiellement les CHRS (centres d’hébergement et de réadaptation sociale), existent en effet des établissements et de services qui sont financés par un système de subventions, avec toutes les difficultés que cela peut entraîner : des subventions qui arrivent tard dans l’année, ce qui peut se traduire par des difficultés de trésorerie, et une inconnue quant à la pérennité de ces subventions.

    Dans le cadre de la loi ALUR (loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) le Gouvernement a pris l’engagement de déposer à la fin de l’année 2014 un rapport permettant d’étudier selon quelles modalités un statut unique pourrait être mis en place pour l’ensemble des établissements et services accueillant des personnes sans abri ou mal logées ; ce rapport est en cours d’étude, en lien avec l’ensemble du secteur et des associations concernées.

    Toujours à propos des difficultés rencontrées par le secteur associatif, je voudrais m’arrêter un instant sur les difficultés propres au secteur à domicile. Ce secteur est soutenu par l’État et l’ensemble des financements publics. Depuis 2012, un Fonds de restructuration a mobilisé 130 millions d’euros et permis de le soutenir. Mais il est vrai qu’il est actuellement en difficulté après avoir longtemps été un secteur créateur d’emplois. Un comité de refondation de l’aide à domicile, coprésidé par l’État et par l’Assemblée des départements de France est en train de travailler sur les prestations rendues par les services d’aide à domicile qui prennent en charge les personnes vulnérables, et sur l’ensemble des modèles de tarification.

    Cela m’amène à ma troisième partie sur les réformes en cours – ou à venir – pour développer l’ensemble du secteur associatif.

    Je commencerai par évoquer la réforme de l’appel à projets qui peut être ressentie par les associations comme une difficulté. Ce n’est pas une provocation de ma part : je crois profondément que c’est une réforme intéressante.

    Lorsque je parle d’appel à projets, je ne parle pas de l’ensemble des appels à projets qui peuvent, dans un certain nombre de situations, remplacer les subventions. Vous avez vu qu’à l’article 59 de la loi sur l’économie sociale et solidaire figure une définition de la subvention aux associations qui n’existait pas jusqu’à maintenant et qui permet de valoriser et de donner une existence juridique à la subvention – laquelle peut être destinée « à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire ».

    L’appel à projets, tel que nous l’avons mis en place, concerne les établissements ou services sociaux ou médicosociaux qui sont autorisés, et pour lesquels les créations de places nouvelles étaient, jusqu’en 2010, développées uniquement à partir d’initiatives des porteurs de projets, donc des associations. Ces projets étaient examinés devant des instances locales qui s’appelaient les CROSM (comités régionaux de l’organisation sociale et médicosociale). Cela aboutissait à une opacité assez grande, puisqu’ils avaient tendance à trouver que les projets étaient de bonne qualité et à les approuver, même s’il n’y avait pas de financements en face. De ce fait, de nombreux projets de développement d’associations sociales ou médicosociales, malgré un avis positif du CROSM, avortaient.

    La procédure d’appel à projets a renversé la logique. On part en effet du principe que, dans le cadre du développement de la prise en charge en établissement ou en service, l’important est la réponse aux besoins des personnes, et donc le schéma de développement fait par l’ARS ou par le département suivant le type de prise en charge – par le département pour les projets de vie des personnes handicapées, et par l’ARS et le département pour les personnes âgées. Les projets de schéma de développement reposent sur l’analyse du besoin sur le territoire et donnent lieu à des appels à projets qui doivent évoquer les besoins à satisfaire. Et c’est sur la base des besoins à satisfaire que les associations – ou tout autre organisme – proposent une réponse, en développant un projet qui doit être le meilleur et le plus innovant possible.

    Nous avons beaucoup travaillé – et je crois que le combat n’est pas terminé – pour éviter que ces appels à projets ne conduisent à une standardisation et à une normalisation des réponses des associations. L’objectif est bien de mettre en avant l’initiative individuelle. Par ailleurs, nous souhaitons laisser la porte ouverte à des réponses innovantes et expérimentales. Enfin, nous avons prévu que les calendriers d’appels à projets soient connus à l’avance – au minimum sur l’année et si possible de façon pluriannuelle – afin que l’ensemble des porteurs de projets ait le temps de se préparer.

    En outre, après trois ans de mise en place des appels à projets, un bilan a montré qu’un certain nombre d’ajustements étaient nécessaires. Je citerai la révision des seuils d’extension de capacité des établissements, la simplification de la procédure, et surtout la possibilité de passer un CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens) avec l’organisme en cas de transformation d’activité.

    Dans cette dernière éventualité, l’organisme ne serait pas remis en concurrence. En effet, si l’appel à projets semble adapté lorsqu’il s’agit une offre nouvelle puisqu’il permet de demander à tous types d’organismes les réponses qu’ils peuvent proposer à tel ou tel besoin, lorsqu’il s’agit d’une transformation d’activité, il n’y a aucun intérêt à s’adresser à d’autres organismes. C’est au porteur de projets avec lequel on travaille qu’il est demandé de transformer son activité pour mieux s’adapter aux besoins.

    Un deuxième type de réforme devrait contribuer à moderniser et à améliorer les possibilités ouvertes aux associations. Je vise là l’ensemble des travaux que nous avons engagés sur la tarification. En effet, nos mécanismes de tarification sont pour beaucoup « historiques ». Comme les services de l’État, ou des départements, ou des ARS ne peuvent pas remettre à plat tous les ans l’ensemble des besoins des établissements, la couverture des charges se fait souvent par alignement sur un taux de reconduction qui est le même pour tout le monde.

    Nous essayons donc d’encourager la conclusion de CPOM, qui permettent de définir pour trois ans les objectifs et les moyens, de manière à donner de la visibilité au gestionnaire et de pouvoir avoir un engagement réciproque sur des objectifs. Par ailleurs, nous développons sur les différents secteurs – personnes âgées, personnes handicapées, hébergement des personnes sans abri et aide à domicile – des référentiels d’activités et des référentiels de coûts pour « objectiver » la tarification et la rendre plus équitable. Ainsi, un organisme qui rend les mêmes prestations pour le même type de public peut compter sur le même niveau de dotation, quel que soit l’endroit du territoire où il se trouve.

    Ensuite, la loi relative à l’économie sociale et solidaire a permis des avancées importantes. Je citerai, au-delà de la définition de la subvention, la diversification et la sécurisation des financements associatifs, avec des titres associatifs qui mériteraient d’être plus actifs, avec la pérennisation des DLA (dispositifs locaux d’accompagnement aux associations) et avec la possibilité de mutualiser les fonds territoriaux mutualisés, qui permet aux associations de mener conjointement des projets.

    Au début du mois de septembre, j’ai rencontré Mme Corinne Delga, secrétaire d’État au commerce, à l’artisanat, à la consommation et à l’économie sociale et solidaire. Celle-ci veillera à ce que, sur l’ensemble de ces sujets, les décrets soient pris rapidement et ne dépendent pas tous de la DGCS. En ma qualité de déléguée interministérielle, j’ai participé à l’établissement d’un tableau récapitulant l’ensemble des décrets à prendre et précisant quelle administration est responsable de l’instruction de quel décret. Une réunion interministérielle permettra de s’assurer que chaque administration y travaille.

    J’ajouterai que la loi favorise l’engagement associatif bénévole, à travers la validation des acquis de l’expérience bénévole. De cette façon, une activité bénévole pourra être reconnue dans un parcours professionnel. Cela me semble important.

    Enfin, nous travaillons sur l’ouverture de prêts et de financements par BPI France et sur la prolongation, pour une année supplémentaire, du PIA (programme d’investissements d’avenir) avec le lancement d’un nouvel appel à projets.

    Tels sont, rapidement exposés, les différents sujets sur lesquels nous travaillons pour essayer de développer, renforcer et pérenniser ce modèle associatif qui est extrêmement important pour le monde social et médicosocial et, au-delà, pour l’ensemble de notre économie.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. Madame la directrice générale, je vous remercie pour votre propos très clair, qui répond à nombre de nos questions.

    Vous avez essentiellement évoqué les grandes associations de l’aide sociale. Mais il en existe d’autres. Pensez-vous qu’il soit encore possible d’améliorer le statut des associations qui interviennent à la marge des grandes responsabilités en matière d’aide sociale ?

    Je voudrais ensuite vous interroger sur l’absence de contrôle a priori des associations qui œuvrent dans le champ de l’enfance. Celles auxquelles je pense n’ont rien à voir avec les associations dont vous venez de parler et ne sont pas soumises à agrément. Elles exercent donc librement des activités diverses, essentiellement du soutien scolaire. Elles mettent pourtant en relation des enfants et des adultes, qui pourraient ne pas avoir de compétences suffisantes, voire être motivés par des raisons autres que celles pour lesquelles on a eu recours à eux. Ailleurs, dans tout le champ médico-social, toutes les personnes qui interviennent auprès des enfants font normalement l’objet d’un certain nombre de contrôles.

    Mme Marie-Hélène Fabre. Vous avez eu raison de remarquer que le secteur associatif était le premier partenaire du secteur social. S’il n’existait pas, je ne sais pas où en serait notre politique sociale.

    Je voudrais aborder la question des appels à projets auxquels sont appelées à répondre certaines associations qui ne sont pas sous tarification administrée et qui ne touchent pas de subvention de fonctionnement. Or les appels à projets qui sont mis en place au niveau de l’État peuvent parfois impliquer également les collectivités lorsqu’elles viennent en mutualisation des financements. Cela se traduit par une surcharge administrative pour les associations. D’ailleurs, dans certaines associations, il arrive qu’un poste à temps complet soit pratiquement consacré à des recherches de financement, que ce soit au niveau européen, au niveau national ou au niveau des collectivités.

    Dans le cadre des financements croisés, la réforme territoriale va très certainement venir bousculer un peu ces financements. Avez-vous quelques informations à nous communiquer à ce propos et quel est votre sentiment ? Ne pensez-vous pas qu’il serait nécessaire de faire un peu de « nettoyage » pour faciliter la constitution des dossiers et alléger les démarches administratives ?

    Mme Isabelle Le Callennec. Madame la directrice, les représentants des associations caritatives que nous avons reçus nous ont fait part de la difficulté qu’ils avaient avec cette notion d’appel à projets. Ils nous ont dit qu’ils lui préféraient la notion « d’appel à idées ». Cela rejoint votre propos sur la nécessité d’éviter les réponses standardisées et de partir sur la base des besoins à satisfaire. Leur argument était d’ailleurs que leurs associations travaillent au contact des personnes et qu’elles sont les mieux placées pour mesurer ces besoins.

    Je voudrais maintenant aborder l’évolution des tarifs. Vous avez évoqué les référentiels d’activités et de coûts, qui sont en cours d’élaboration. Observe-t-on des différences d’un territoire à l’autre, en France ?

    S’agissant de la sécurisation des financements, je rejoins les propos de ma collègue Mme Fabre. Aux difficultés de trésorerie s’ajoutent des difficultés liées à la complexité des procédures. Lorsque nous avons préparé la loi sur l’économie sociale et solidaire, il a beaucoup été question de simplification. Nous en entendons souvent parler sur le terrain.

    Je me réjouis par ailleurs de vos propos sur le soutien à l’engagement associatif et sur la valorisation des acquis. Peut-on compter sur une promotion du « CV citoyen » dans lequel des personnes qui recherchent un emploi peuvent, en plus de leur expérience professionnelle, mettre en avant tout ce qu’elles ont fait dans le milieu associatif ?

    Enfin, je constate que les conventions collectives de 1966 et de 1951 auxquelles vous avez fait allusion sont diversement appréciées. Pour les employeurs, elles sont très protectrices des salariés ; pour les salariés, elles ne font que mettre en œuvre des acquis sociaux. Vous semblez souhaiter que l’on parvienne à une certaine unité. A-t-on engagé une réflexion à ce propos ? En effet, les dispositions de ces conventions collectives sont de nature à alourdir les frais de fonctionnement des associations.

    M. le président Alain Bocquet. Tout à l’heure, vous avez employé le terme d’entreprise associative. J’observe que parfois, l’association créée il y a cinquante ans par des parents d’enfants handicapés est devenue au fil du temps une véritable entreprise. D’où une certaine dichotomie entre l’association d’origine et l’organisation actuelle. Cela dit, sur le plan économique et financier, les entreprises associatives ne sont pas à égalité avec les autres entreprises. Par exemple, elles ne peuvent pas prétendre au CICE. En revanche, elles doivent payer la taxe transports.

    Comment gérer ce genre de situation ? Nous aimerions y voir plus clair pour l’avenir.

    Mme Sabine Fourcade. Madame Dumas, vous parliez des petites associations. Je partage votre souci : sur le territoire, la cohésion sociale se « tricote » petit à petit. On a besoin d’associations de proximité pour mettre les personnes en lien les unes avec les autres. Or les petites associations d’aide sociale, qui vivent de petites subventions, sont aujourd’hui en difficulté.

    Je le constate moi aussi. J’essaie d’aider quelques associations nationales avec les crédits de subventions dont je peux disposer à la DGCS ; malheureusement, ceux-ci ont baissé dans la mesure où les dépenses obligatoires ont augmenté. Les départements se trouvent dans la même situation vis-à-vis des petites associations locales. Il s’agit généralement d’associations d’insertion et de centres sociaux. C’est un vrai problème et je me demande s’il ne faudrait pas essayer de sanctuariser une partie des crédits de l’action sociale au profit de l’action sociale de terrain. Car si cette dernière ne pouvait pas être mise en place, nous y perdrions beaucoup.

    J’en viens aux associations qui oeuvrent dans le champ de l’enfance. J’imagine que vous visiez les associations qui font, notamment, de l’aide aux devoirs. Car les contrôles existent dans les centres de loisirs sans hébergement et, plus généralement, à chaque fois qu’il y a prise en charge de mineurs. Cela ne relève pas de ma direction, mais de la DJEPVA – la direction de la Jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative. En revanche, ce sont les mêmes services territoriaux, les DRJSCS (directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale) et DDCS (directions départementales de la cohésion sociale) qui établissent ces contrôles dès qu’il y a accueil de mineurs.

    Les seuls cas où il n’y a pas de contrôle a priori c’est lorsqu’il y a échange de prestations et de services sans accueil : soutien scolaire, cours, etc. Il est en effet difficile d’interdire l’initiative privée. Cela dit, en cas de problème, la réactivité doit être forte. Par exemple, le 119 est le numéro d’appel d’urgence qu’il faut composer dès que l’on a connaissance d’un risque ou d’un problème de maltraitance sur des enfants. Au-delà, il est vrai qu’on est un peu démuni…

    Mme Fabre m’a interrogée sur les associations qui répondaient aux appels à projets des collectivités locales. Je crois que les DLA, qui sont destinés à soutenir les associations sur le terrain, sont à même de les aider dans leurs démarches. Cela dit, un besoin de simplification s’impose.

    C’est bien à ce besoin de simplification que répond l’article 62 de la loi sur l’économie sociale et solidaire en permettant Gouvernement, de prendre par ordonnance des mesures visant, entre autres, à simplifier les démarches des associations. M. Yves Blein, député du Rhône, membre du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire et rapporteur du projet de loi, a été nommé en mai 2014 parlementaire en mission pour préparer des ordonnances de simplification. Nous sommes donc en train d’y travailler avec lui.

    Il existe déjà des systèmes de demandes de subventions en ligne, et je pense que les nouvelles technologies permettront de limiter le nombre de formulaires. Mais l’administration a besoin que les associations nous disent quelles procédures sont les plus complexes. On ne s’en aperçoit pas forcément depuis nos bureaux parisiens. M. le député Blein, au cours de sa mission, rencontrera sans doute beaucoup d’associations et fera des propositions de simplification que nous regarderons évidemment avec grande attention.

    Madame Le Callennec, vous avez évoqué les appels à projets qui devraient plutôt être des « appels à idées ». Cela me semble extrêmement important. C’est pourquoi nous menons une bataille de tous les instants en ce sens. Les services de l’État, des départements et des ARS peuvent avoir tendance à définir à l’avance la réponse, parce que cela leur facilitera le dépouillement. Nous consultons régulièrement les appels à projets, qui doivent tous être mis en ligne (sur le site des ARS ou de la CNSA) et nous essayons de promouvoir les meilleurs, ceux qui définissent clairement le besoin mais laissent ouverte la réponse.

    Vous m’avez par ailleurs demandé s’il y avait des différences de tarifs d’un territoire à l’autre. Bien sûr, ces différences existent. Nous essayons de développer des projets à moyen terme – car les réformes de tarification ne se font pas immédiatement – et d’assurer la transparence des tarifs et des pratiques – ce qui peut se faire beaucoup plus rapidement –, pour que chacun puisse se comparer aux autres. Nous y travaillons avec l’ensemble des ARS, qui tarifient le médico-social, et avec les services de l’État.

    Nous travaillons beaucoup avec l’ensemble des services – y compris dans les départements – à des guides méthodologiques afin d’harmoniser les pratiques. C’est une autre façon de procéder, différente des circulaires qui étaient jusqu’à présent le mode de travail classique de l’administration. Il s’agit, par ce biais, de promouvoir et de diffuser les pratiques les plus intéressantes sur l’ensemble du territoire.

    Il est ensuite évident qu’il faut développer le « CV citoyen » pour encourager le bénévolat. Mais c’est là une question de société : d’autres pays, notamment anglo-saxons, valorisent les étudiants qui ont eu des engagements associatifs, alors que ce c’est pas le cas de la France. Dans notre pays, les employeurs n’apprécient pas toujours qu’entre la fin des études et la recherche d’un premier emploi, on ait eu un engagement citoyen. Je crois que nous avons un vrai changement de paradigme à opérer.

    Il faut également moderniser les conventions collectives de 1966 et de 1951, notamment en privilégiant, au cours de la carrière, la mobilité et l’acquisition de compétences ; jusqu’à présent, c’est l’ancienneté qui prime. On a bien tenté de faire évoluer la convention de 1951, mais les négociations sociales se sont avérées d’autant plus compliquées que nous ne sommes pas dans une période dans laquelle il y aurait « du grain à moudre ». Il est donc difficile de modifier les choses et de valoriser la mobilité ou l’expérience. Quoi qu’il en soit, nous essayons de travailler avec les partenaires sociaux sur ces conventions collectives, qui sont en effet un peu lourdes.

    Enfin, monsieur le président, vous avez posé une question sur les entreprises associatives qui, à l’origine, pouvaient n’être que de petites associations comme celles créées par des parents qui s’intéressent à un handicap parce que leur enfant en est atteint.

    Les entreprises associatives peuvent demeurer des associations, dans la mesure où des présidents acceptent de prendre le relais. Or il est parfois difficile de trouver des administrateurs et des présidents.

    Si les associations n’arrivent pas à se développer avec un conseil d’administration bénévole mais souhaitent rester dans le monde de l’économie sociale et solidaire, elles peuvent aller vers un statut coopératif : elles se transforment en SCIC, c’est-à-dire en société coopérative d’intérêt collectif ; cette possibilité figure dans la loi sur l’économie sociale et solidaire. Bien sûr, ce n’est pas le but, mais c’est un moyen de sortir de l’impasse.

    Dernier cas de figure : le regroupement entre associations ou la fusion. Cela ne peut se faire qu’à partir de la volonté des associations, et sur des projets associatifs qui se complètent et s’harmonisent. Cela ne peut donc, en aucun cas, résulter d’un ukase de la puissance publique. J’observe que certaines associations sont entrées dans des démarches de regroupement qui ont été fructueuses, et qui leur ont permis de ne pas quitter le mouvement associatif.

    Et puis, monsieur le président, votre commission d’enquête offrira peut-être de nouvelles perspectives aux associations, qui seront encouragées à le rester.

    M. le président Alain Bocquet. Merci beaucoup.

    L’audition s’achève à dix-sept heures cinq.

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du 7 octobre 2014 à 16 h 10

    Présents. – M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, Mme Françoise Dumas, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, M. Frédéric Reiss.

    Excusés. – M. Jean-René Marsac.