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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

MARDI 7 OCTOBRE 2014

Séance de 19 heures 

Compte rendu n° 24

Présidence de
M. Alain BOCQUET, Président

Table ronde thématique « Financement participatif » :

– M. Nicolas Lesur, président de Financement participatif France

– M. Mathieu Maire du Poset, directeur général adjoint d’Ulule

– M. François Desroziers, co-fondateur de SPEAR

– M. Ismaël Le Mouël, président de HelloAsso.

    L’audition débute à dix-neuf heures cinq.

    M. le président Alain Bocquet. Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir M. Nicolas Lesur, président de Financement participatif France, M. Mathieu Maire du Poset, directeur général adjoint d’Ulule, M. François Desroziers, co-fondateur de SPEAR, et M. Ismaël Le Mouël, président de HelloAsso.

    Si Ulule, SPEAR et HelloAsso sont des structures directement impliquées dans le montage d’opérations, Financement participatif France est une association loi de 1901 qui a pour objectif la représentation collective, la promotion et la défense des droits et intérêts des acteurs du financement participatif, notamment auprès des autorités. C’est en quelque sorte la tête de réseau du mouvement.

    Messieurs, nous souhaitons vous entendre sur le développement de ce mode de financement au profit des associations, sur les opportunités que vous leur offrez et sur les limites que vous y voyez.

    Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (MM. Nicolas Lesur, Mathieu Maire du Poset, François Desroziers et Ismaël Le Mouël prêtent serment)

    M. Nicolas Lesur, président de Financement participatif France. Financement participatif France, association qui existe depuis deux ans, regroupe environ 90 membres. Elle est composée pour moitié de plateformes de finance participative, opérateurs qui permettent à des porteurs de projet de trouver des financements grâce à Internet, et pour l’autre moitié de partenaires, c’est-à-dire de personnes physiques ou morales qui ont le souhait de promouvoir la finance participative. Il peut s’agir de banques comme le Crédit coopératif, de réseaux d’accompagnement, par exemple Réseau Entreprendre ou Initiative France, ou encore de structures de financement comme l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE).

    Face à l’émergence du mouvement de la finance participative, notre association souhaitait structurer les plateformes autour d’un code de déontologie. Celui-ci est signé par l’ensemble de ses membres. Il précise la manière dont nous estimons collectivement qu’il est responsable d’exercer ce métier en France. Nous avons ensuite rédigé un Livre blanc que nous avons transmis aux pouvoirs publics. Cela a débouché sur des réformes qui sont entrées en application tout récemment. Ces évolutions concernent moins directement le monde associatif que celui des entreprises puisqu’elles s’adressent surtout à ceux qui exercent le crowdfunding dans le métier des titres financiers ou le métier du prêt.

    La finance participative est un moyen pour un porteur de projet, que ce soit une association, un individu, une collectivité locale, une institution culturelle ou une entreprise, de réunir des fonds via Internet pour financer un projet déterminé auprès d’une communauté de personnes, donc des internautes, qui peuvent être soit des proches, soit de parfaits inconnus.

    Il existe différents systèmes permettant de collecter ces fonds. On a coutume de se diviser en trois grands métiers : le métier du don, le métier du capital et le métier du prêt.

    Le métier du prêt permet aux internautes de prêter de l’argent, avec ou sans intérêts, au porteur du projet. Le métier du capital permet d’investir en achetant des titres de l’entreprise. Il s’agit souvent de start-up, mais pas uniquement. Enfin, le métier du don permet de donner de l’argent, avec ou sans contrepartie définie par le porteur du projet.

    L’association Financement participatif France réalise tous les six mois un baromètre qui permet de mesurer le montant des fonds collectés et la manière dont ils le sont. Le dernier baromètre date du 30 juin dernier. Au premier semestre 2014, un peu plus de 66 millions d’euros ont été collectés par l’intermédiaire des plateformes de financement participatif, soit une hausse de 100 % par rapport à la période similaire de l’année précédente. On estime que 150 millions d’euros auront été collectés pour l’année 2014.

    Cette croissance extrêmement soutenue a tendance à s’accélérer. Nous considérons que nous sommes au début d’un phénomène général qui permettra de collecter de plus en plus d’argent. 6 milliards de dollars devraient être collectés dans le monde en 2014 par l’intermédiaire du crowdfunding, soit un quasi-doublement par rapport à l’année précédente.

    Depuis le démarrage du crowdfunding en France, environ un million de Français ont déjà contribué à un projet, que ce soit sous forme de don, de capital ou de prêt. Ce mouvement commence à susciter l’adhésion collective.

    Le monde associatif a été l’un des premiers à utiliser ce mode de financement. Il a recours essentiellement aux plateformes de dons. Mais des systèmes lui permettent aussi d’obtenir des prêts rémunérés ou non. À ma connaissance, il se tourne peu vers l’investissement en capital.

    Vous l’aurez compris, il s’agit d’une tendance émergente qui a vocation à se développer fortement.

    M. Mathieu Maire du Poset, directeur général adjoint d’Ulule. Ulule est une plateforme généraliste qui permet à des personnes de soutenir des projets en échange de contreparties non financières. Ces contreparties sont soit symboliques, soit des objets physiques liés au projet lui-même.

    Les porteurs de projet sont soit des particuliers, soit des associations, soit des entreprises. 55 % des projets présents sur notre plateforme sont à caractère culturel, 12 à 13 % sont des projets solidaires, humanitaires, les autres étant des projets entrepreneuriaux au sens large du terme puisqu’il peut s’agir de projets liés à la mode, au journalisme, à l’agriculture, à la restauration, à la technologie, etc. Depuis quatre ans qu’Ulule existe, nous avons déjà financé plus de 6 000 projets auprès de 500 000 membres, pour une collecte totale de 21 millions d’euros.

    Les associations présentes sur notre plateforme œuvrent dans tous les domaines : humanitaire, solidaire, spectacle vivant, musique. Depuis sa création, Ulule a lancé au total près de 1 600 projets portés par des associations dont un peu plus de 1 200 pour la seule année 2014, contre 380 en 2013. Sur ces 1 600 projets, 1 072 ont été financés. Le système est simple : le porteur de projet explique pourquoi il a besoin de fonds – par exemple pour acheter un local. Puis il a une période déterminée – 35 à 45 jours – pour collecter ces fonds. Si à la fin de la période le montant demandé n’est pas atteint, l’opération est dite blanche ; les internautes sont remboursés et la plateforme ainsi que le porteur de projet ne touchent rien. Par contre, si la somme a été atteinte ou dépassée, le porteur de projet encaissera les fonds et les internautes recevront les contreparties promises.

    De nombreuses associations, petites et moyennes, viennent collecter des fonds par notre intermédiaire parce qu’elles ne savent pas comment s’y prendre et qu’elles n’ont pas les moyens juridiques ni transactionnels de le faire facilement. Nous leur proposons un outil de collecte avec paiement par carte bleue, chèque, PayPal, bref : des outils qu’elles n’ont pas nécessairement à leur disposition. De même, de plus en plus de grandes organisations non gouvernementales (ONG) utilisent notre plateforme, comme la Croix-Rouge, Médecins du monde, le World Wildlife Fund (WWF), car c’est pour elles une façon de multiplier leurs sources de collecte. L’essentiel de ces projets concerne aujourd’hui, d’une part le monde solidaire et humanitaire, d’autre part le spectacle vivant et la musique.

    Nous travaillons beaucoup sur de petits et moyens projets puisque la somme moyenne collectée par projet sur notre site est de 4 000 euros, même si ce montant représente déjà beaucoup pour de petites associations. Le record de collecte sur notre plateforme est de près de 700 000 euros. Le porteur de projet, la nature du projet, la communauté qu’il a bâtie autour de lui vont évidemment jouer sur sa capacité à récolter des fonds importants.

    Certains porteurs de projet viennent sur notre plateforme chercher la totalité des fonds dont ils ont besoin pour financer leur projet. Mais elle est de plus en plus souvent utilisée pour trouver des fonds complémentaires par rapport à tout ce qui existe déjà – subventions, prêts bancaires, etc.

    M. François Desroziers, co-fondateur de SPEAR. SPEAR, acronyme de Société pour une épargne activement responsable, est une coopérative de crowdfunding solidaire qui permet à des épargnants une totale transparence sur l’utilisation de leur argent et à des porteurs de projet – que l’on qualifie de responsables –, dont certains appartiennent au monde associatif, d’avoir accès à des financements bancaires avantageux.

    SPEAR a été créée en février 2012 à la suite de deux constats. Le premier, c’est le manque de transparence bancaire. Si vous avez de l’argent en banque, vous connaissez sans doute la liquidité de votre produit et son taux d’intérêt, mais vous n’avez aucune idée de ce que la banque fait de votre argent. Le rôle de SPEAR est de permettre à des épargnants de connaître la destination de leur argent et surtout de choisir à quel projet responsable ils vont pouvoir affecter leur épargne. Si l’on récolte de l’argent, c’est pour en faire quelque chose.

    Deuxièmement, ces porteurs de projets que l’on qualifie de responsables, c’est-à-dire qui répondent à une problématique sociale, culturelle ou environnementale, n’ont pas nécessairement d’incitation financière à exister. Lorsqu’ils se confrontaient au secteur bancaire classique, leur activité extra-financière – par exemple l’insertion, la réduction de l’empreinte carbone, l’accès facilité à la culture – était souvent considérée comme un facteur de risque. Du coup, soit ils se heurtaient à des difficultés pour emprunter, soit ils empruntaient mais à des taux plus élevés. SPEAR souhaitait permettre à ces acteurs d’avoir un meilleur accès au crédit et un taux de crédit moins élevé du fait de leur impact social.

    SPEAR se trouve sur un segment de marché assez spécifique. C’est en quelque sorte un ovni dans l’univers de la finance participative puisque ce n’est pas un intermédiaire. Nous travaillons en effet avec des banques partenaires. Lorsqu’un porteur de projet nous présente son besoin financier, nous étudions bien évidemment sa demande avant de la transmettre à nos partenaires bancaires. Actuellement, nous travaillons avec le Crédit coopératif, la Société générale, la BNP, CMP-Banque. C’est notre partenaire bancaire qui valide notre analyse financière. Tous les projets présents sur notre site Internet ont été validés par une banque partenaire de SPEAR. Ensuite une opération de crowdfunding est menée, c’est-à-dire que des épargnants choisissent le projet pour lequel ils vont épargner. Le rôle de SPEAR est d’utiliser cette liquidité pour diminuer le taux d’intérêt du porteur de projet auprès de ses partenaires bancaires.

    SPEAR travaille dans le secteur de l’entreprenariat social, de l’économie sociale et solidaire et fait face à diverses typologies de structures. Nous finançons pour 80 % des entreprises et pour 20 % des associations. Les associations œuvrent principalement dans le secteur médico-social et dans le logement social. Les types de projets sont principalement d’ordre immobilier parce que ce sont les partenaires bancaires qui financent l’immobilier cela et que la prise de garantie est facile pour une banque. Le projet moyen d’une association chez SPEAR est de l’ordre de 250 000 euros. Depuis février 2012, date de notre lancement, nous avons soutenu une vingtaine de projets, ce qui représente un encours de crédit de 3,8 millions d’euros. Nous avons collecté plus de 2,5 millions auprès de plus de 500 personnes pour soutenir ces projets responsables.

    Pour notre part, nous notons une transformation du secteur associatif. Comme vous le savez, les subventions diminuent ; il faut donc renouveler le modèle de financement, si ce n’est le modèle économique. Nous sommes confrontés à une problématique assez spécifique puisque nous intervenons sur du crédit bancaire, donc sur des associations qui sont des objets économiques en tant que tels, c’est-à-dire un modèle économique et une capacité de remboursement. L’une des grandes faiblesses du secteur associatif est l’absence de fonds propres qui peuvent être investis à très long terme. Les associations n’ont pas eu le réflexe de se constituer des fonds propres puisque la notion d’excédent n’existait pas réellement. Elles n’ont donc pas de matelas de sécurité qui leur permettrait de diversifier leurs sources de financement et de faire appel au crédit bancaire.

    Nous avons constaté également qu’elles se professionnalisent, ce qui est nécessaire. Le secteur associatif se rationalise et se structure de plus en plus. Nous nous réjouissons de voir que de nombreuses associations commencent à se structurer en groupements d’associations pour mutualiser certains postes comme le poste comptable et qu’elles mettent en place des systèmes plus professionnels, ce qui leur permet d’être plus crédibles et de faciliter leur accès au crédit. Il est nécessaire d’accentuer ce processus, car il facilite l’accès à la ressource bancaire.

    SPEAR est un intermédiaire entre le secteur bancaire et le secteur de l’économie positive. Ce secteur est confronté à un manque de visibilité, de compréhension par la foule mais aussi par les financeurs classiques. Nous avons un rôle pédagogique auprès de l’association afin de l’aider à avoir une structuration financière, un budget prévisionnel équilibré, un plan de trésorerie, etc. mais également auprès des banques qui découvrent ce monde et apprennent ce qu’est une entreprise d’insertion sous forme associative et ses spécificités. Si elles ne prêtaient pas à ce secteur, c’était plus par méconnaissance que par le risque trop important qu’il peut représenter.

    M. Ismaël Le Mouël, président de HelloAsso. Je suis le fondateur de HelloAsso, première plateforme de financement participatif en France dédiée aux associations. Ce secteur nous intéresse tout particulièrement parce que c’est lui qui a inventé le crowdfunding. À mes yeux, le crowdfunding n’existe pas depuis dix ans, mais depuis des centaines d’années. J’en veux pour preuve que la Statue de la Liberté ou l’église de la Sagrada Familia ont été financées par le crowdfunding. Cela fait des centaines d’années que les associations collectent des fonds !

    Le financement participatif est un nouvel outil qui permet de collecter des fonds de manière plus simple, plus rapide et plus efficace, via Internet. Notre mission consiste à accompagner les quelque 1,3 million d’associations françaises dans cette mutation pour leur permettre de collecter efficacement des fonds en ligne.

    En France, le secteur associatif représente aujourd’hui un budget annuel cumulé de 70 milliards. Plus de la moitié des ressources financières des associations sont d’origine privée, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers. Ce sont donc plus de 35 milliards d’euros par an qui sont collectés en France par les associations. Cela montre bien que le crowdfunding n’a pas été inventé il y a cinq ans.

    Nous avons souhaité que notre plateforme soit dédiée uniquement au monde associatif car le crowdfunding brouille un peu les cartes du secteur associatif et la notion de don. Jusqu’à présent, le don était destiné au secteur associatif. Dorénavant, on peut donner à un particulier, à une entreprise. Mais quoi qu’on en dise, la poche des contribuables n’est pas extensible. Quand on finance un autre type de projet, c’est probablement autant d’argent en moins pour le secteur associatif.

    Comme vous le savez sans doute, le comité de la charte a érigé certaines règles éthiques en ce qui concerne la collecte de fonds, l’une de ces règles étant de ne pas prendre de commission sur les montants collectés. Or les plateformes historiques existantes prennent des commissions souvent importantes – environ 8 % – sur les dons versés aux associations. Prélever 8 % sur une somme de 35 milliards, ce n’est pas négligeable. Nous considérons que le crowdfunding est une menace pour les associations si elles ne prennent pas le bon virage de cet univers en pleine mutation. C’est pourquoi HelloAsso a décidé de reverser aux associations la totalité des montants collectés sur sa plateforme. Notre modèle repose sur une contribution au pourboire : le donateur a la possibilité de laisser une contribution volontaire, s’il le souhaite.

    Nous accompagnons aujourd’hui un peu plus de 3 400 associations et nous collectons 500 000 euros par mois. Jusqu’à présent, nous avons rassemblé 7,5 millions d’euros.

    Comme vous le savez, l’appel à la générosité du public sur Internet demande une déclaration en préfecture, ce qui génère des questions de la part des associations. Elles se demandent pourquoi faire une telle déclaration alors qu’elles ne s’adressent pas à un public au niveau national. Même si quelques internautes parlent du projet sur Facebook, ce n’est pas une campagne nationale. Un moyen très simple qui permettrait d’augmenter la collecte consisterait à lever ce verrou, c’est-à-dire à supprimer cette déclaration.

    M. Jean-Luc Bleunven. Messieurs, je vous remercie pour votre contribution et vos explications. Effectivement, le financement participatif est en pleine croissance.

    Comment sont garantis les prêts ? Il faut gérer le rapport avec les banques.

    La question des frais de transaction a été posée. Il y a une question éthique que je comprends très bien. Quelle est la règle pour les autres plateformes ?

    M. Régis Juanico. Jeudi dernier a eu lieu ici une table ronde sur le modèle économique et financier des associations. Il est frappant de voir la différence de génération entre vous et les acteurs que nous avons reçus la semaine dernière. Le financement participatif est un mode de financement relativement nouveau, en tout cas il est porté par une nouvelle génération, et il est très intéressant parce qu’en plein développement. Comment mettre en cohérence ces modes de financement émergents qui fonctionnent bien grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, avec l’existant ?

    La loi relative à l’économie sociale et solidaire qui est entrée en vigueur récemment ne vise pas seulement à reconnaître les acteurs et à inclure d’autres acteurs se reconnaissant dans les valeurs de l’économie sociale et solidaire, elle permet aussi de créer de nouveaux moyens de développement et de financement.

    Comment vous situez-vous par rapport aux modes de financement que sont les fonds de la Banque publique d’investissement (BPI), le Fonds pour l’innovation sociale, le Programme des investissements d’avenir (PIA), les fonds propres et fonds d’épargne salariale ? Comment articulez-vous ces modes de financement avec ce que vous pouvez proposer au secteur associatif ?

    M. Jean-Louis Bricout. Je veux revenir sur la transparence. Nos concitoyens reçoivent souvent beaucoup de publicités concernant des appels à dons et se posent des questions sur les frais que cela engendre. Comment exercez-vous cette transparence ?

    Connaissez-vous le poids du financement participatif par rapport aux autres types de financement ?

    M. Nicolas Lesur. Le crowdfunding est fondé sur un principe de transparence, c’est-à-dire qu’un porteur de projet qui met en ligne sa campagne affiche aux yeux du monde entier qui il est et ce qu’il compte faire de cet argent. Il va mobiliser plus que de l’argent : des personnes qui vont le soutenir autrement que financièrement. Par exemple, quelqu’un va demander à un ami de s’engager, comme lui, à verser un don à une association, etc.

    Vous avez raison de dire que c’est un phénomène générationnel. Toutes les plateformes constatent en effet que les contributeurs et les porteurs de projet sont significativement plus jeunes que leurs équivalents plus traditionnels. Ils ont besoin de donner du sens à leur argent, de savoir à quoi il sert exactement et d’être acteurs de leurs économies, qu’il s’agisse de quelques euros ou de milliers d’euros.

    S’agissant de l’équilibre entre le financement participatif et les sources traditionnelles de financement associatif, il serait extrêmement présomptueux de notre part, au regard des montants collectés à ce jour, de penser que le crowdfunding pourrait contribuer à hauteur de 75 milliards d’euros au financement du monde associatif. Ce sera peut-être le cas un jour, mais pour le moment le financement participatif est un outil nouveau qui s’ajoute à toute la palette des financements possibles et qui se fait souvent de façon très complémentaire. Dans le cadre d’un projet d’entreprise, le fait de réussir une campagne de crowdfunding aide souvent à convaincre d’autres financeurs de la pertinence d’un projet.

    Quant aux garanties, tout dépend des modèles des différentes plateformes. Le crowdfunding repose sur une forme de désintermédiation, c’est-à-dire que l’on crée un lien direct entre des personnes qui donnent, investissent ou prêtent, et un porteur de projet, que ce soit une association, une entreprise ou un individu. Il y a une forme de « pression de la foule » pour que les choses se passent bien. Cela ne veut pas dire, bien évidemment, qu’il n’y a pas de risque, mais c’est une autre manière de l’appréhender. Dans le crowdfunding, on ne confie pas son argent aveuglément à un tiers, on est dans un système où le donateur, l’investisseur, le prêteur assume l’engagement qu’il prend financièrement et la part de risque qui peut être associée – à chaque plateforme d’imaginer d’autres systèmes pour adoucir cette partie-là.

    Presque toutes les plateformes de crowdfunding prélèvent une commission pour la raison simple que le système se veut le plus souple et le plus rapide possible. Il ne s’agit donc pas d’aller négocier à la petite semaine des contreparties et des contrats. J’ajoute que la plupart des plateformes qui exercent en France ne sont pas rentables aujourd’hui parce que la fabrication de tels systèmes nécessite des investissements, des compétences humaines. Dans la plupart des cas, plusieurs dizaines de millions d’euros sont nécessaires pour amortir ces systèmes. Aujourd’hui, très peu d’acteurs se demandent s’ils doivent fonctionner différemment, car le système des commissions est assez banalisé sur Internet et il a le mérite de la transparence. En vérité, le taux de commission peut être de 3 à 4 % sur certaines plates-formes et de 8 % sur d’autres, sachant que sur ces 8 %, 3 % représentent les frais de transaction. La plateforme reçoit donc en fait 5 %.

    M. Mathieu Maire du Poset. Le mode de communication, notamment des grandes associations, change, car les collectes ne se font pas au nom de l’association, mais sur un projet bien précis. Par exemple, le WWF communique actuellement pour sauver les éléphants de Tanzanie et la Croix-Rouge lance une campagne de collecte afin de construire une banque céréalière en Tanzanie. Ces associations expliquent quel est leur projet précis et à quoi vont servir très exactement les fonds. Cela permet aux personnes qui apportent leur soutien à un projet de rentrer dans des histoires et dans un système d’aide très différent. Elles peuvent avoir envie de soutenir la Croix-Rouge pour son projet en Tanzanie parce que cette cause les touche plus que celle des éléphants, ou inversement.

    Le terme de don a été employé à plusieurs reprises. Une plateforme comme Ulule ne demande pas un don mais un soutien en échange d’une contrepartie non financière ou symbolique. Par exemple, si je soutiens un artiste à hauteur de 15 euros, je recevrai comme contrepartie son album en MP3 ; si je le soutiens à hauteur de 25 euros je recevrai son CD, etc. La contrepartie dépendra du montant du soutien. Au plan légal, 95 % des ventes réalisées sur Ulule sont des préventes. Les associations représentent un cas particulier, puisque tout dépend de leur statut. En général, elles n’ont pas le droit de faire de la vente, ou très peu. Le plafond annuel est relativement limité puisqu’il est de 60 000 euros. Les associations qui ont le droit émettent des reçus fiscaux. Dans ce cas, la contrepartie proposée sera très symbolique puisqu’elle doit avoir une valeur faciale inférieure à 25 % du soutien qui a été apporté. Concrètement, la contrepartie que recevra une personne qui aura donné 100 euros devra être inférieure à 25 euros dans la limite de 65 euros maximum. Pour ces associations, cela modifie un peu la mécanique réelle du financement participatif telle qu’elle fonctionne dans les autres domaines. Jusqu’à présent Ulule était la seule à être totalement légale dans la mesure où les fonds ne transitent jamais par nous. Il existe deux façons de collecter les fonds : soit par un agrément bancaire, soit par l’intermédiaire d’un partenaire transactionnel qui a l’agrément bancaire. C’est le cas d’Ulule. C’est pourquoi des associations comme la Croix-Rouge ou le WWF ont choisi notre plateforme.

    Notre commission est de 8 % toutes taxes comprises. Pour ce qui nous concerne, nous sommes sur une compétition a minima européenne et en fait mondiale puisqu’il existe de très grandes plateformes, dans le monde anglo-saxon notamment. Notre outil doit être avant tout simple d’utilisation et les gens doivent pouvoir y partager le projet pour qu’il soit diffusé. Comme nous accompagnons beaucoup les porteurs de projet, que nous les conseillons sur la façon dont il faut faire une collecte en ligne, comment la réussir, comment communiquer, nous avons un coût humain important.

    Vous avez évoqué l’aspect générationnel. Plus de 18 % des gens qui nous soutiennent ont plus de 60 ans. Ils sont plus nombreux que les moins de 25 ans, mais cela tient au fait qu’en général les plus de 60 ans ont davantage d’argent. Le public âgé est aussi très présent sur ces plateformes, soit parce qu’il est très engagé dans le monde associatif, soit parce qu’il fait partie du premier cercle des porteurs de projet – grands-parents, parents, etc.

    M. François Desroziers. Je souhaite revenir sur la question des garanties. SPEAR travaille avec des acteurs bancaires qui cherchent à se garantir sur tel ou tel niveau. Cela passe par des mécanismes très classiques de prise d’hypothèque, mais aussi des contre-garanties que l’on peut obtenir auprès d’acteurs publics, semi-publics ou privés. Ce processus est très spécifique à SPEAR et n’est pas très présent dans la sphère de la finance participative. Globalement tout se passe bien, tout est transparent : si je ne rembourse pas, on pourra venir me chercher. L’opération doit être simple, effectuée en peu de clics, et le mode de paiement doit être facile également. Prévoir une garantie suppose un mécanisme complexe, d’avoir compris le risque auquel on est exposé, de définir le niveau de garantie que l’on accepte de prendre. Tout cela est trop compliqué et pas forcément adapté au financement participatif classique. Pour notre part, c’est l’une de nos spécificités.

    Vous nous avez demandé comment se positionne la finance participative par rapport à des acteurs comme la BPI, le PIA et les fonds d’épargne salariale. La finance participative se fonde sur la transparence. Je le répète, SPEAR traite des objets économiques qui ont des comportements assez similaires à ceux des entreprises puisqu’ils versent des salaires et ont un modèle économique, etc. Il faut une diversité des ressources financières, prévoir des subventions d’investissement qui sont considérées comme des fonds propres. La loi relative à l’économie sociale et solidaire a renouvelé le titre associatif. D’ailleurs, je vous invite, en tant que législateurs, à apporter au titre associatif une logique défiscalisante, tout comme on peut défiscaliser un investissement en investissant dans une PME ou une TPE en phase d’amorçage ou de développement avec les dispositifs Madelin et TEPA.

    Nous sommes ravis de la diversité des acteurs qui viennent compléter les modes de financement d’une association. Mes grands-mères me disaient de ne pas « mettre tous mes œufs dans le même panier ». Plusieurs typologies de financement sont donc nécessaires. Le tout crowdfunding, le tout bancaire ou le tout fonds propres n’est pas possible. Il faut donc préserver cette diversité. J’ajoute que le crowdfunding est complémentaire car il est transparent. Les fonds d’épargne salariale doivent investir 5 à 10 % de leurs encours dans des associations ou des entreprises qui ont l’agrément d’entreprise solidaire. Aujourd’hui, cela représente environ 4 milliards d’euros en France. Pourquoi ne pas permettre à des salariés de l’entreprise de choisir le projet dans lequel ils vont investir leur épargne salariale solidaire ? Beaucoup de choses sont possibles avec le crowdfunding puisqu’il repose sur la transparence, la simplicité et l’interactivité. C’est la première fois que je sais où va mon argent et que je peux lui parler. Certains de nos porteurs de projet font visiter leur entreprise, leur association à leurs épargnants. Par exemple, ils les invitent à la pose de la première pierre du bâtiment basse consommation qu’ils construisent. On crée du lien social par l’argent. Il faut superposer les différents outils qui ne sont pas du tout en concurrence.

    M. Ismaël Le Mouël. L’un des intervenants a indiqué que pour être rentable une plateforme ne pouvait pas baisser sa commission et que le financement participatif reposait sur une forme de désintermédiation. Vous comprendrez que je ne sois pas du tout d’accord avec ce raisonnement. Cela ressemble beaucoup aux arguments utilisés par Airbnb, BlaBlaCar et Uber à leurs débuts. Or on en voit actuellement les dérives. De nouveaux intermédiaires sont en train de prendre des situations de monopole, ce qui est assez dérangeant pour le secteur associatif.

    En ce qui concerne l’aspect générationnel, en France un donateur a en moyenne 60 ans. Bien sûr, HelloAsso a remarqué que ses donateurs sont beaucoup plus jeunes, mais les jeunes ne font pas beaucoup la différence entre un don à une association, à une entreprise ou à un particulier, ce qui pose la question du financement du secteur associatif dans les années futures.

    HelloAsso est l’organisateur de la Social Good Week, événement dédié aux solidarités numériques et qui comporte une trentaine de manifestations un peu partout en France. De cet événement est né un incubateur, le Social Good Lab, qui est dédié à tous les projets qui utilisent de nouvelles technologies pour avoir de l’impact social. C’est l’un des incubateurs de Paris Région Lab.

    Lorsque l’on propose un appel à projet pour des projets d’innovation sociale, nous avons constaté que des entreprises mais aussi des associations postulaient. En effet, en raison de la baisse des financements publics, les associations doivent trouver un modèle économique ; elles entrent donc dans des logiques d’innovation sociale. Il serait intéressant de voir dans quelle mesure les fonds alloués par la BPI, PIA, les avances remboursables, etc. pourraient être ouverts aux associations qui savent innover aussi bien que les entreprises. Je ne vois pas à quel titre on pourrait déclarer que ces associations ne méritent pas, de par leur statut, de percevoir une l’aide à l’innovation.

    M. Mathieu Maire du Poset. Le Comité de la charte est en cours de réflexion sur toutes ces questions afin de faire évoluer les plateformes de crowdfunding face à la demande de nombreuses associations.

    Vous nous demandez comment articuler les différents types de financement. Nous avons mené une expérience avec l’association Auvergne Nouveau Monde qui est chargée du développement de la région Auvergne pour savoir comment articuler le financement des associations ou des entreprises entre le public, le privé et la foule. Nous lancerons pour la quatrième année un appel à projets avec cette association au mois de novembre prochain. L’année dernière, plus d’une soixantaine de projets ont été financés. Ils ont permis d’activer ces trois leviers en même temps pour faire accélérer fortement des projets associatifs notamment. Le crowdfunding vient valider, à un moment donné, le projet. Lorsque je soutiens sur une plateforme un projet en tant que citoyen, j’ai envie que des entreprises ou l’État viennent conforter ce projet. Je pense qu’il serait intéressant de développer ce point.

    M. le président Alain Bocquet. Messieurs, je vous remercie pour vos contributions.

    L’audition s’achève à dix-neuf heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du 7 octobre 2014 à 19 h 05

    Présents. – M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, Mme Françoise Dumas, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, M. Frédéric Reiss.

    Excusés. – M. Jean-René Marsac.