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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 14 janvier 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Nathalie Sonnac, dont la nomination aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel est envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale

– Vote sur cette nomination en application de l’article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 14 janvier 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Nathalie Sonnac, dont la nomination aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel est envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale.

M. le président Patrick Bloche. Nous avons le plaisir d’accueillir ce matin Mme Nathalie Sonnac, dont la nomination au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est envisagée par M. le président de l’Assemblée nationale.

La loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel a modifié la composition du CSA ainsi que les modalités de désignation de ses membres. Si chacun des présidents des deux assemblées parlementaires conserve le pouvoir de nommer trois membres du Conseil, ces nominations sont désormais soumises à un avis conforme de la commission permanente chargée des affaires culturelles.

Cette procédure diffère de celle de l’article 13 de la Constitution qui prévoit qu’une nomination proposée par le Président de la République ne peut être validée que si l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente des deux assemblées représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi du 15 novembre 2013 fixe une exigence supérieure, que nous avons établie ensemble, de manière consensuelle, me semble-t-il : la nomination ne peut être validée que si les votes positifs – et non plus négatifs – représentent au moins trois cinquièmes dans chacune des commissions.

Nous avons également voulu que la loi définisse des critères de compétence : les membres du Conseil doivent être « désignés en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel ou des communications électroniques ». S’ajoute un critère de parité : « Les nominations au Conseil supérieur de l’audiovisuel concourent à une représentation paritaire des femmes et des hommes. »

Le bureau de notre commission a décidé, lors de sa réunion du 19 novembre dernier, de procéder pour ces nominations comme pour les avis sur les nominations proposées par le Président de la République en application de l’article 13 de la Constitution, estimant préférable d’auditionner la personne dont la nomination est envisagée avant de procéder au vote.

Avant de vous donner la parole, madame Sonnac, je vais présenter rapidement votre curriculum vitae : titulaire d’un DEA en économie des services et de l’industrie de la culture et de la communication, docteur en sciences économiques, vous êtes professeure des universités et directrice de l’Institut français de presse à l’université Panthéon-Assas ; vous êtes membre du comité d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde, administratrice de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), membre du comité d’orientation du Fonds stratégique pour le développement de la presse ; vous avez publié de nombreux articles et ouvrages sur l’économie des médias ainsi que sur les défis posés par le numérique à la presse et aux médias audiovisuels.

Mme Nathalie Sonnac. Mesdames, messieurs les députés, sachez que c’est pour moi un honneur de me présenter devant votre commission après que le président de votre assemblée a proposé ma nomination au Conseil supérieur de l’audiovisuel, institution garante de la démocratie, figure morale pour les acteurs du secteur. Mon audition intervient dans un contexte particulier puisque notre pays vient de connaître une atteinte sans précédent dans l’histoire de la Ve République aux valeurs fondamentales que sont la liberté d’expression et la liberté de communication. Les biens médiatiques véhiculent des valeurs démocratiques, de contenu, de sens, ils génèrent des externalités positives, comme l’accès à l’information, à la culture, au divertissement : en ce sens, ils ne sont pas des marchandises comme les autres.

Je présenterai brièvement mon parcours, préciserai le contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit ma candidature, puis vous ferai part des motivations qui m’animent, pour finir par l’évocation de deux nouveaux défis économiques qui soulèvent des enjeux démocratiques.

Titulaire d’un doctorat en sciences économiques et d’une habilitation à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communication, je me suis spécialisée dans l’économie des médias et du numérique. Après un post-doctorat de deux ans à l’Université libre de Bruxelles, j’ai été élue maître de conférences à l’université Panthéon-Assas puis professeure au département des sciences de l’information et de la communication et j’ai été nommée directrice de l’Institut français de presse. L’ensemble de mes enseignements et de mes travaux de recherche portent sur les problématiques liées à la concurrence dans les médias, au modèle d’affaires des chaînes de télévision, qu’elles soient publiques ou privées, gratuites ou payantes, à l’analyse des conséquences de l’interaction stratégique entre marché de la publicité et marché des médias, à la monétisation des audiences, à l’impact de la financiarisation sur la diversité et la qualité des programmes. Ces recherches m’ont conduite à rédiger ouvrages et articles scientifiques et à participer à de nombreux colloques.

À côté de mes activités de recherche, j’ai rejoint en 2010 l’un des « labs » de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), le « lab » « Économie numérique de la création », dont j’ai assuré le pilotage avec des universitaires et des professionnels. À la fermeture de ces ateliers, j’ai été nommée membre du Conseil national du numérique présidé par Benoît Thieulin, qui a pour mission de traiter des impacts du numérique sur la société, en organisant notamment des concertations régulières, aux niveaux national et territorial, avec des élus, des représentants de la société civile et des acteurs du monde économique. Au sein de cette instance, je me suis plus particulièrement attachée à explorer certaines questions : neutralité des plateformes – objet d’un rapport –, égalité entre hommes et femmes en lien avec la cybercriminalité, loyauté dans l’environnement numérique.

Durant ces deux dernières années, j’ai créé au sein de mon université une chaire d’enseignement et de recherche consacrée à l’audiovisuel et au numérique et ai fondé avec Christophe Nobileau, président du groupe de production Telfrance, et Françoise Miquel, chef de la mission Audiovisuel public au contrôle général économique et financier, un groupe de réflexion sur cette thématique, qui compte entre autres membres René Bonnell, Claude-Yves Robin ou Emmanuel Chain. Que ce soit à travers la chaire ou à travers le groupe de réflexion, je poursuis les mêmes objectifs : dans le monde universitaire, les étudiants ont besoin de comprendre les besoins des entreprises médiatiques et les enjeux économiques auxquels elles sont confrontées ; dans le monde professionnel, les acteurs doivent pouvoir compter sur les universitaires et leurs recherches. Le numérique oblige à brasser les univers et à faire travailler ensemble des personnes venues d’horizons différents. L’analyse en silo a perdu de son sens. Il faut croiser les regards et les approches pour répondre aux questions que pose la société aujourd’hui. Je suis convaincue de l’importance de cette dynamique collective de travail et de la pertinence du mélange des points de vue, compte tenu de la complexité de ce monde.

Par ailleurs, je constate depuis de nombreuses années, à travers les choix de sujets de mémoire ou de doctorat, que l’audiovisuel et le numérique sont des domaines d’intérêt privilégiés des étudiants. Et dans le monde professionnel, on rencontre un même enthousiasme pour ces questions : au sein du groupe de réflexion, nous sommes tous convaincus que l’industrie audiovisuelle française peut être un moteur pour l’économie nationale, grâce aux exportations et aux créations d’emplois qu’elle est susceptible de générer.

L’animation des Assises de l’audiovisuel en juin 2013 puis celle des Assises de la radio organisées par le ministère de la culture, la participation à l’organisation scientifique du séminaire du CSA « L’audiovisuel, enjeu économique ? » ont renforcé ma conviction que, dans un univers en mutation, l’échange, l’écoute et le débat entre tous les acteurs revêtent une importance particulière.

J’en viens maintenant au contexte dans lequel ma candidature s’inscrit.

En l’espace d’une dizaine d’années, l’essor du numérique et le déploiement des nouvelles technologiques ont constitué une véritable lame de fond, qui a touché tous les secteurs de l’économie, à commencer par les industries culturelles et médiatiques. Nous nous situons encore, me semble-t-il, dans une phase de transition. Internet n’est pas seulement une nouvelle technologie, c’est une révolution, au sens économique du terme, marquée par les changements de la façon de produire des biens mais aussi de les consommer. La convergence des télécommunications, de l’informatique, des médias a transformé la configuration industrielle de ces secteurs. Aujourd’hui, la filière de l’audiovisuel s’inscrit dans un environnement à la fois immatériel et déterritorialisé. Elle est confrontée à une abondance de l’offre – augmentation du nombre de chaînes, basculement dans le non-hertzien –, à l’émergence de nouveaux enjeux économiques liés au partage de la valeur, et à l’oscillation entre logique d’exclusivité et logique de circulation des œuvres, la distribution étant devenue une question centrale avec la diversification et l’internationalisation à travers les acteurs OTT (Over the Top Technology).

On observe une transformation des principaux équilibres : la disruption du marché a déplacé les frontières entre public et privé, entre gratuit et payant, entre professionnels et amateurs. Le consommateur n’est plus un simple téléspectateur passif, il est devenu lui-même un producteur, un distributeur, voire un prescripteur de contenus. De ce fait, il est au centre d’un écosystème que les changements économiques, techniques et sociaux obligent à regarder autrement. Le numérique a redistribué les cartes des médias.

Dans ce nouvel environnement, le CSA en tant qu’instance de régulation économique du contenu audiovisuel se doit à la fois de garantir la liberté de communication audiovisuelle, la diversité culturelle, et d’assurer un soutien à la prospérité économique de tous les acteurs. Grâce à la loi du 15 novembre 2013, ses pouvoirs de régulation économique ont été élargis : possibilité de réaliser des études d’impact économique, passage au statut d’autorité publique indépendante, prise en compte des programmes délinéarisés – les fameux SMAD, services de médias audiovisuels à la demande –, mission de conciliation, autant d’instruments permettant aux acteurs du secteur de faire face au changement de paradigme.

Ma candidature prend donc place dans un environnement bouleversé. Les questions traditionnelles en matière de régulation demeurent : circulation des œuvres, régulation des pratiques, valorisation du patrimoine, chronologie de médias. Mais elles s’inscrivent dans un ensemble beaucoup plus large d’interrogations qui portent sur la propriété intellectuelle, les données personnelles et le piratage.

Ce sont ma connaissance du secteur des médias, acquise à l’université, mes compétences scientifiques en matière d’économie des médias, en particulier de l’audiovisuel et de ses besoins nouveaux de régulation économique, mon expérience dans le champ du numérique et l’aptitude de l’enseignant-chercheur à jouer un rôle dans la concertation entre les différents acteurs que je compte mettre au service du CSA.

Pour finir, j’aimerais appeler votre attention, mesdames, messieurs les députés, sur deux défis économiques auxquels est confronté le secteur de l’audiovisuel, deux défis dont les enjeux démocratiques se posent tant aux parlementaires que vous êtes, qu’au collège du CSA et à la société dans son ensemble.

Le premier défi est la restructuration du secteur. Nous observons l’arrivée d’acteurs jusqu’ici étrangers aux médias. Pensons aux fournisseurs d’accès à internet, aux groupes de télécommunication, aux fameux GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon – ou encore aux acteurs plus spécialisés comme Netflix. Ils prennent place dans un environnement en réseau : internet est propice à la coopération entre les internautes mais aussi entre les acteurs marchands. Dès lors, les risques de fusion, de concentration, voire de forclusion avec des verrouillages de marché en amont et en aval de la filière de production, se trouvent démultipliés. Or la structuration autour d’un noyau d’entreprises dans le domaine des médias pose évidemment la question de la diversité des programmes.

Nous assistons à l’émergence de nouveaux modèles d’affaires : fondés sur la recommandation, ils accordent une place centrale aux données qui constituent autant des points d’ouverture que des points de contrôle. Ils utilisent des algorithmes prédictifs qui, à partir des goûts des consommateurs, permettent d’établir des recommandations de films ou de séries susceptibles de correspondre à leurs attentes. Ils tendent ainsi à fournir un résultat, non en fonction de la requête des téléspectateurs mais en fonction de leurs profils. Le risque est à l’évidence la standardisation et l’enfermement des téléspectateurs dans leurs propres goûts au détriment de la découverte.

Le deuxième défi est le cadre réglementaire à appliquer au secteur du numérique. Le principe d’exception culturelle se traduit dans le secteur audiovisuel pour partie par la mise en place de quotas de production et de diffusion en vue de protéger la production européenne et nationale. Cette politique s’inscrit dans une logique d’offre dite top-down, qui distord volontairement les choix culturels des individus en leur imposant certains programmes qu’ils n’auraient pas été amenés à choisir volontairement. Les nouvelles firmes de l’univers numérique reposent, elles, sur un modèle inverse : elles ont opté pour une logique centrée sur la demande des téléspectateurs, les programmes consommés étant choisis et non plus imposés.

Ces deux défis constituent pour moi les enjeux fondamentaux de l’audiovisuel à l’ère numérique. Ils pourraient faire l’objet d’un groupe de réflexion au sein du CSA, en concertation avec le Conseil national du numérique et le ministère de la culture.

La mutation de l’audiovisuel est en marche et j’ai à cœur, vous l’aurez compris, de l’accompagner. Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour votre attention et me tiens prête pour répondre à vos questions.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie, madame Sonnac, pour la qualité et la densité de votre présentation. Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.

M. Michel Françaix. Comme vous l’avez souligné, nous sommes dans un monde en changement. D’une part, les risques de concentration s’accentuent – et il y a quelque paradoxe à constater que plus l’offre est abondante, plus le pluralisme est susceptible de se réduire. D’autre part, l’ancien monde n’est peut-être pas tout à fait mort et je suis de ceux qui préfèrent accompagner la transition. Quelle est votre position à ce sujet ? J’aimerais que vous vous exprimiez davantage sur la circulation des œuvres et le système de régulation. Pensez-vous que la politique des quotas peut persister dans ce monde bouleversé ? Quel dispositif envisageriez-vous pour la remplacer ? Enfin, estimez-vous nécessaire de garantir un certain équilibre entre chaînes publiques et chaînes privées, chaînes payantes et chaînes gratuites ou faut-il laisser faire le marché ?

M. Christian Kert. L’un des critères de désignation au collège du CSA étant les compétences, votre candidature ne peut qu’être favorablement appréciée, tant sont grandes celles que vous avez acquises au cours de votre carrière universitaire comme par votre expérience pratique.

J’aimerais savoir quelle est votre vision du cadre réglementaire. Le monde audiovisuel semble avoir besoin d’un peu de liberté. N’est-il pas temps de desserrer les contraintes auxquelles il est soumis ?

Hier, lors de l’audition de M. Olivier Schrameck sur le bilan quadriennal des résultats de la société France Télévisions, notre groupe a tenu à mettre l’accent sur la question du financement. Depuis 2012, nous dénonçons certains dysfonctionnements : nous estimons que l’État s’est désengagé. Partagez-vous ce constat ? Vous connaissez suffisamment ce secteur pour savoir ses difficultés. Comptez-vous conduire une réflexion sur cet aspect particulier dans le cadre de vos futures fonctions au CSA ?

Comme nombre de mes collègues, j’ai été sensible à vos développements sur les liens entre audiovisuel et numérique. Les récents événements ont montré l’urgence de traiter la question du contrôle des réseaux sociaux, qui touche autant à nos libertés qu’à la sécurité nationale et internationale. Est-ce une piste de réflexion que vous allez suivre ?

Vous avez parlé de révolution. Il appartient certainement au CSA de l’accompagner. Nous sommes toutefois de ceux qui pensent que le Conseil ne doit pas se mêler de tout : les sages doivent rester sages et ne pas intervenir dans tout et partout. J’espère, chère madame, que vous en avez bien conscience.

Mme Barbara Pompili. Monsieur le président, associer les membres de notre commission à la nomination des nouveaux membres du CSA est une très bonne chose. J’espère que nous irons encore plus loin lors des prochaines nominations : il pourrait, par exemple, être intéressant de disposer d’éléments d’information sur les autres candidats ou encore sur les critères retenus, voire d’associer plus directement les commissaires à l’ensemble du processus. Préalablement à cette audition, il aurait également été intéressant de savoir dans quel groupe de travail la personne nommée devra siéger même si votre spécialisation dans l’économie des médias et le numérique, madame Sonnac, peut le laisser deviner.

Votre audition va être pour nous l’occasion d’obtenir des précisions sur votre positionnement sur nombre d’enjeux qui nous préoccupent.

Le contexte actuel m’amène à vous interroger sur le travail des chaînes d’information en continu. Le traitement de l’information qu’elles privilégient, la dictature de l’immédiateté à laquelle elles sont soumises posent question au regard des récents événements puisque nous avons vu que certaines avaient pu mettre en danger la sécurité des otages. Le président du CSA a souligné un besoin de réglementation. Qu’en pensez-vous ?

De manière plus générale, on peut déplorer dans les médias un manque de pluralisme dans le choix des personnalités politiques et des spécialistes interviewés et une insuffisante représentation des femmes et des minorités. Quelles mesures comptez-vous favoriser pour y remédier ?

S’agissant du serpent de mer que constitue l’éventuelle fusion entre le CSA, la HADOPI et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), vous vous y êtes montrée favorable par le passé. Nous sommes nombreux à nous inquiéter de voir les compétences du CSA s’étendre au point d’en faire le juge et le gendarme de l’ensemble des médias, et donc d’internet. La porosité des frontières entre ce qui est lu, écouté, vu, est un constat que nous partageons tous, mais il n’implique pas que la solution est forcément de renforcer les missions du CSA : son rôle de contrôle des contenus diffusés à la radio et à la télévision ne peut être transposé tel quel à internet sans une réflexion approfondie.

Les écologistes ont toujours indiqué leur opposition à la fonction de gendarme du net de la HADOPI et à la logique de la riposte graduée. Transférer cette compétence au CSA fait craindre l’établissement de listes noires, des blocages de sites, via des logiciels activés par défaut. Seule la neutralité garantit une égalité de traitement de tous les flux de données sur internet. Un rapprochement avec l’ARCEP pourrait aussi avoir des conséquences sur cette neutralité. Pourriez-vous nous préciser votre position sur l’enjeu que représente la neutralité du net et sur une fusion entre le CSA, la HADOPI et l’ARCEP ?

Les écologistes plaident pour une remise à plat de la totalité du système. Nous sommes favorables à la légalisation du partage non marchand sur internet et à l’instauration d’un mécanisme de collecte et de redistribution d’une contribution à laquelle participeraient internautes et fournisseurs d’accès, notamment pour accroître les financements de la création. Légalisation et contribution seraient les deux pans indissociables d’un nouveau contrat social dans le domaine de la culture.

Cela m’amène à vous interroger sur un autre point que vous avez évoqué : la chronologie des médias. Le développement de l’offre légale est totalement insuffisant aujourd’hui. Les témoignages de situations ubuesques se multiplient. Il faut maintenant dépasser les bonnes intentions pour que l’offre légale en particulier de vidéo à la demande revête un véritable intérêt pour le public, tant du point de vue de la qualité du produit proposé que de sa date de disponibilité ou de son prix à la location. Pourriez-vous nous préciser votre point de vue ?

Autre défi important : les difficultés financières de France Télévisions, qui suscitent régulièrement des mouvements sociaux. Les rédactions régionales de France 3 sont particulièrement touchées. Quant au projet de fusion des rédactions nationales « Info 2015 », il suscite de vives inquiétudes de la part des syndicats. Pour sortir de la crise, il faudrait être capable de donner un avenir stratégique à la télévision publique. Le CSA pourrait jouer un rôle à cet égard. Une évolution de l’équation économique paraît nécessaire sans toutefois revenir sur l’interdiction de la publicité à laquelle, comme la plupart des Français, nous sommes très attachés. Le modèle de la BBC pourrait nous inspirer. En permettant, par exemple, au service public d’être pour partie propriétaire de ce qu’il produit, on arriverait à le sortir de ses difficultés tout en maintenant la qualité de son offre. Pourriez-vous nous dire quel rôle le CSA est susceptible de jouer face aux problèmes que connaît France Télévisions ?

Enfin, nous aimerions connaître votre position sur le développement de la radio numérique terrestre, enjeu essentiel pour le développement des radios et pour le pluralisme, sur les chaînes associatives locales qui jouent un rôle social et culturel majeur dans nos territoires et qui ont besoin d’être mieux soutenues, ainsi que sur la politique que vous souhaiteriez voir mener par le CSA en matière d’accessibilité et de handicap.

M. Rudy Salles. Madame Sonnac, je vous remercie pour votre intervention qui nous inspire une grande confiance dans le futur rôle que vous serez amenée à jouer au sein du CSA.

Je tiens en premier lieu à vous faire part de notre attachement au rôle absolument essentiel joué par le CSA qui garantit la liberté de communication audiovisuelle et le respect du pluralisme. Il est le gardien de principes fondateurs sur lesquels repose le fonctionnement de notre État de droit et de notre démocratie.

Mes questions porteront sur quatre points.

En votre qualité de professeure d’université, et eu égard aux responsabilités auxquelles vous aspirez, comment percevez-vous l’enseignement délivré aux étudiants et apprentis journalistes s’agissant des règles dont le CSA doit assurer le respect ?

L’offre audiovisuelle légale connaît une augmentation croissante. Selon vous, quelle attitude convient-il d’adopter face au développement de contenus culturels en ligne portés par des services comme Netflix, pour ne citer que le plus médiatique ? Dans quelle mesure l’émergence de nouveaux médias et de nouvelles offres audiovisuelles constitue-t-elle un défi particulier pour le CSA ?

Le CSA n’est pas seulement régulateur, c’est également un acteur positif, qui doit faire entendre sa voix dans les débats touchant à l’audiovisuel. Dans cette optique, quelle approche proposeriez-vous au CSA pour traiter les problématiques d’accès à l’offre audiovisuelle numérique terrestre ? En tant que membre du Conseil national du numérique, comment envisagez-vous les possibilités de coopération entre ces deux autorités afin d’accompagner au mieux le Gouvernement dans les domaines culturel et audiovisuel de sa stratégie numérique ?

Enfin, le CSA a indiqué avoir mis en place un suivi du traitement des médias audiovisuels, à la suite des événements tragiques que vient de vivre notre pays. Certains médias auraient en effet gêné les enquêtes et les interventions des forces de l’ordre. Quels sont, selon vous, les points sur lesquels il convient d’être particulièrement vigilant dans le traitement d’événements aussi sensibles ?

M. Marcel Rogemont. La loi du 15 novembre 2013 précise que les membres du CSA sont désignés en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication. Votre intervention a montré que votre candidature répondait à ces critères.

Vers quels groupes de travail du CSA vous conduisent vos envies ?

Parmi vos fonctions actuelles à l’Institut français de presse, au Conseil national du numérique, à l’université, à l’INA, laquelle vous apporte le plus pour être utile au CSA ?

Vous avez évoqué votre qualité d’expert au sein de l’un des « labs » de la HADOPI. Quel avenir voyez-vous à cette institution ? Que pensez-vous de son éventuelle fusion avec le CSA ? En 2012, vous déclariez que l’heure de la réunion des autorités de régulation des médias, de l’internet et des télécommunications était arrivée. Le pensez-vous encore en 2015 ?

Vous savez que la loyauté des algorithmes est l’objet de nombreux travaux parlementaires, notamment ceux en cours de la Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique. Tout le vocabulaire du numérique revient à faire des utilisateurs des consommateurs. À votre avis, le citoyen peut-il encore exister à l’heure du numérique ? N’y a-t-il pas nécessité que la puissance publique intervienne pour faire en sorte que l’apprentissage de la citoyenneté soit au cœur de l’organisation d’internet ?

M. Frédéric Reiss. Madame, merci pour votre présentation et bravo pour votre parcours remarquable.

Ma première question portera sur les études d’audience. Hier, M. Schrameck a évoqué le vieillissement du public de France Télévisions alors que le service public doit s’adresser à toutes les générations. Vous avez beaucoup évoqué l’univers du numérique, familier à notre jeunesse. France 4 est censée s’adresser à ce public mais elle semble être un caillou dans la chaussure de France Télévisions. Quel regard portez-vous sur son avenir ?

Par ailleurs, que pensez-vous du rôle que les médias ont joué lors des événements dramatiques de la semaine dernière, particulièrement du traitement des chaînes d’information en continu ?

Enfin, Olivier Schrameck a précisé hier lors de son audition que le bilan quadriennal des résultats de France Télévisions devait éclairer les futurs candidats à sa présidence. Ne pensez-vous pas que l’indépendance de cette société est toute relative puisque le CSA est à la fois juge et partie ?

Mme Martine Martinel. Madame, vous avez mis en évidence la métamorphose de l’environnement concurrentiel du paysage audiovisuel. Comment le CSA doit-il et peut-il accompagner cette évolution ?

Par ailleurs, comment envisagez-vous l’avenir de la bande des 700 MHz ? Quelle est votre position sur les seuils en matière de concentration en radio ?

Mme Isabelle Attard. La diffusion d’émissions télévisées, de séries, de films est de plus en plus doublée d’une mise à disposition via internet, grâce aux sites de rediffusion et de vidéos à la demande. Les opérateurs offrent des catalogues variés, tellement variés qu’il est quasiment impossible pour l’utilisateur de s’y retrouver. Entre les offres de location et d’achat mal expliquées, les films disponibles seulement en version originale ou seulement en version française, les contraintes techniques qui imposent d’utiliser un système d’exploitation plutôt qu’un autre, l’internaute, même avec la meilleure volonté du monde, est perdu. Enfin, il est incompréhensible que des films soient vendus plus cher en téléchargement que sur support DVD, alors même que les DVD peuvent être revendus. Pour plus de détails, je vous renvoie à l’excellent article de Titiou Lecocq sur slate.fr intitulé « Le casse-tête de la vidéo à la demande », et pour d’autres exemples illustrant le grave problème d’accessibilité de l’offre légale, au Tumblr Je voulais pas pirater, que mes collègues doivent commencer à connaître depuis le temps que je le cite.

Les solutions existent pourtant : encourager ou imposer la diffusion d’œuvres sans verrou lié aux DRM, créer un catalogue centralisé obligatoire recensant toutes les œuvres ou encore améliorer la chronologie des médias, notamment pour les films qui ne sont plus exploités en salle.

Madame Sonnac, vous qui avez participé aux travaux de la HADOPI, quelles mesures comptez-vous proposer pour que le CSA participe au développement d’une offre légale de qualité en France ?

M. Jacques Cresta. Je souhaiterais vous poser une question qui me préoccupe et à laquelle je sais que vous avez déjà réfléchi : quelle modification du rôle de régulation du CSA peut être envisagée dans un environnement audiovisuel de plus en plus globalisé ? La généralisation de la télévision sur internet rend possible pour nos concitoyens de découvrir les programmes de chaînes étrangères non plus seulement grâce à leur diffusion par satellite ou par une box internet mais aussi directement par les sites desdites chaînes, en streaming ou par un dispositif de vidéo à la demande. Un tel visionnage devient possible à partir du téléviseur du salon qui, de plus en plus souvent connecté à internet, permet la découverte de nouveaux programmes toujours plus nombreux. Dans ces conditions, quels seraient les pouvoirs du CSA pour faire respecter des règles élémentaires qu’il nous semble indispensable d’appliquer à ces diffuseurs, sachant qu’ils peuvent toujours opposer que, ne diffusant pas en France, ils n’ont pas à s’y plier ? Cette évolution progressive vers des diffusions systématiquement internationales conduit à s’interroger sur internet, vecteur majeur de diffusion et outil de communication ne connaissant pas les frontières.

M. Xavier Breton. Votre intervention, dont je vous remercie, madame, était centrée sur l’économie de l’audiovisuel. Mes questions porteront sur d’autres points qui relèvent des compétences du CSA, à commencer par la déontologie de l’information.

Je partage les interrogations de certains de mes collègues sur le traitement des attentats et des prises d’otages de la semaine dernière par les chaînes d’information en continu qui ont privilégié la recherche du sensationnel et une logique de remplissage de l’antenne.

Par ailleurs, j’aimerais avoir votre position sur le rôle du CSA en matière de questions de société. Rappelons qu’en juillet dernier, le Conseil a suscité un certain émoi en adressant une lettre d’avertissement aux chaînes de télévision qui avaient diffusé un film de sensibilisation à la trisomie 21 à l’occasion de la journée mondiale de la trisomie 21.

M. Hervé Féron. Avec l’apparition de nouveaux usages et de nouveaux modes de diffusion, c’est tout notre système de régulation qui est remis en cause. Nous courons le risque de l’abus de position dominante avec les GAFA qui ont accès à tous les contenus, peuvent hiérarchiser l’information et absorber l’ensemble de la valeur. En novembre dernier, le tout-puissant YouTube a ainsi fait plier les labels indépendants en les menaçant de retirer les vidéos d’artistes refusant de se soumettre aux conditions de son nouveau service de streaming payant. J’appelle votre attention sur le risque d’iniquité fiscale que font courir ces grands groupes qui établissent leur siège à l’étranger mais diffusent ici, sans remplir par ailleurs les mêmes obligations que les entreprises françaises, notamment en matière de financement de la création. C’est le cas de la fameuse plateforme Netflix accessible en France depuis le mois de septembre, dont le siège est au Luxembourg. Vous aviez d’ailleurs consacré un article à cette entreprise, publié dans Le Monde en mai 2014, dans lequel vous alliez jusqu’à la qualifier de démolisseur de l’exception culturelle. Vous concluiez ainsi : « L’arrivée attendue de ce nouvel opérateur remet à l’ordre du jour la question de l’élargissement des pouvoirs du CSA pour réguler les contenus audiovisuels en ligne ». Cet élargissement, déjà évoqué l’année dernière et auquel la précédente ministre de la culture ne semblait pas forcément favorable, est-il désormais à l’ordre du jour ? Le futur examen du projet de loi sur la création et le patrimoine sera peut-être l’occasion d’y procéder.

M. Franck Riester. À l’heure où la régulation du secteur audiovisuel connaît des bouleversements, votre expérience de spécialiste de l’économie des médias sera très utile au CSA. Comment percevez-vous la difficulté d’arbitrer entre la nécessité de concentrer davantage certains acteurs du secteur pour faire face à la concurrence internationale, sur internet notamment, et l’exigence de diversité culturelle – si importante aux yeux des Français –, laquelle suppose aussi une diversité des acteurs ?

S’agissant de l’audiovisuel public, sans rentrer dans les questions budgétaires, dont Christian Kert a eu raison de rappeler l’importance hier devant le président du CSA, je voudrais avoir votre position sur la question suivante : ne considérez-vous pas que le CSA est pris dans une sorte de conflit d’intérêts puisqu’il est tout à la fois chargé de la nomination des présidents de l’audiovisuel public et de la régulation de ce secteur ?

Dimanche soir, le service public télévisé et radiophonique a diffusé une soirée de soutien à Charlie Hebdo qui a montré l’exceptionnelle complémentarité entre les équipes de France Télévisions et de Radio France. Il y aurait peut-être intérêt à rapprocher ces grandes institutions à l’exemple d’autres pays. Quel regard portez-vous sur la convergence des périmètres de France Télévisions, Radio France et de l’audiovisuel extérieur de la France ?

M. le président Patrick Bloche. Pour résumer : faut-il recréer l’ORTF ?

M. Franck Riester. Ou plutôt s’inspirer de la BBC !

Mme Colette Langlade. J’aimerais revenir sur les défis économiques que vous avez évoqués à la fin de votre intervention, madame.

Pourriez-vous nous en dire davantage sur l’émergence de nouveaux opérateurs étrangers aux médias et sur vos inquiétudes face aux risques de fusion, de concentration et même de verrouillage ?

Vous avez mis en garde contre l’enfermement du consommateur dans ses propres goûts. Qu’en est-il de l’amélioration des contenus dans le cadre d’une politique fondée sur l’offre ?

M. Lionel Tardy. Je salue votre candidature, madame Sonnac. Il est positif qu’une connaisseuse du numérique, membre de l’un des « labs » de la HADOPI puis du Conseil national du numérique, siège au CSA qui s’intéresse beaucoup à ce secteur.

En septembre 2012, vous aviez cosigné une tribune dans Les Échos où vous vous disiez favorable à une fusion du CSA, de la HADOPI et de l’ARCEP. Avez-vous la même position aujourd’hui ?

Le rapport annuel du CSA pour 2013 était assez ambitieux et préconisait un élargissement de ses pouvoirs au net, notamment à travers la mise en place d’une politique de conventionnement et de labellisation. Qu’en pensez-vous ?

M. Christophe Premat. Madame, j’ai beaucoup apprécié votre exposé qui vous a permis d’évoquer de multiples thèmes : circulation des œuvres, chronologie des médias, propriété intellectuelle, données et piratage. La mission du CSA est devenue de plus en plus complexe, vous le rappeliez en soulevant la question de l’intermédiation. À quelle problématique souhaiteriez-vous donner la priorité ? L’une des missions du CSA est de veiller à la protection du jeune public. Quelle stratégie envisagez-vous pour qu’il puisse l’accomplir de la meilleure des manières, eu égard notamment au traitement de l’information en continu ?

M. le président Patrick Bloche. Chers collègues, pas moins de seize d’entre vous sont intervenus : de très nombreuses questions ont été posées à Mme Nathalie Sonnac. Il me semble utile de faire quelques rappels avant de lui donner la parole. Premièrement, elle n’est pas parlementaire : elle ne participe pas à la rédaction des lois, ne les vote pas, pas plus qu’elle ne vote le budget. Deuxièmement, elle n’est pas ministre de la culture et de la communication, je le précise parce que certaines questions ont pu laisser penser qu’il y avait confusion ! Troisièmement, elle est candidate pour être l’un des huit membres du collège du Conseil supérieur de l’audiovisuel : chaque renouvellement donne lieu à une redistribution des dossiers et à l’heure où nous parlons, Mme Sonnac ne connaît pas les dossiers qu’elle aura à traiter si sa candidature est validée.

Dans la demi-heure qui nous reste, je vous demanderai, madame, d’avoir comme souci premier de préciser quel rôle de régulation devra jouer le CSA dans les années à venir, et quels dossiers, nouveaux ou actuellement traités, vous semblent prioritaires.

Mme Nathalie Sonnac. Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de vos riches et nombreuses questions. Je risque toutefois de vous décevoir car je n’ai pas réponse à tout, loin de là. J’aime beaucoup le net mais je ne suis pas Wikipedia ! Je répondrai donc avec beaucoup de prudence.

Plusieurs de vos questions ont concerné le rôle du service public de l’audiovisuel. Tout le monde s’accorde pour dire que sa présence doit être forte. Il est extrêmement important qu’il soit capable de renforcer son positionnement. Le CSA, en veillant à l’équilibre avec les nouvelles chaînes, peut l’aider à y parvenir.

Il existe une grande différence selon moi entre chaînes publiques et chaînes privées. L’analyse de la programmation suffit à la faire ressortir. De nombreux programmes
– documentaires, opéras, pièces de théâtre, retransmissions sportives – sont diffusés sur les chaînes de France Télévisions mais pas sur les chaînes privées.

Le CSA doit garder à l’esprit l’équilibre à respecter entre chaînes publiques et chaînes privées, chaînes gratuites et chaînes payantes. Il est fondamental de prendre en compte les différences en termes de logiques économiques pour comprendre les enjeux. Pour les chaînes privées d’accès gratuit, le client reste l’annonceur : leur objectif premier est de capter l’audience la plus large pour maximiser leurs recettes publicitaires. Pour les chaînes privées par abonnement, le client est l’abonné : il s’agit de le satisfaire. Pour les chaînes de service public, le client est le téléspectateur citoyen. L’une des grandes difficultés est de maintenir cet équilibre dans un environnement déterritorialisé, fortement marqué par l’abondance de concurrents, qui rend encore plus ardu pour les chaînes de France Télévisions de se différencier. Rappelons ici que le rôle du service public est d’autant plus important qu’il contribue aussi à soutenir la production.

Sur les questions de gouvernance, vous comprendrez bien la difficulté de la réponse à apporter. Le CSA doit collégialement l’élaborer tout en veillant à appliquer la loi.

S’agissant des risques de concentration, il est clair que l’environnement du secteur audiovisuel est fortement concurrentiel. Les règles de fonctionnement économique des chaînes renforcent le phénomène de concentration. L’étude des interactions entre marché publicitaire et marché des médias montre que les annonceurs sont d’autant plus enclins à acheter des espaces publicitaires et à les acheter à un prix élevé que la taille de l’audience d’un média est importante. Ces mêmes effets se retrouvent dans les entreprises du net, ils sont même amplifiés par le phénomène de réseau qui accentue la tendance à la concentration. En d’autres termes, une grande entreprise concentrée a plus d’efficacité que des petites entreprises.

Nous sommes face à une contradiction : d’un côté, nous avons besoin d’entreprises fortes et suffisamment puissantes pour soutenir la concurrence avec les entreprises internationales ; d’un autre côté, nous avons besoin de diversité. La concentration conduit-elle systématiquement à une moindre diversité ? Cela ne se vérifie pas toujours dans le domaine des médias. Il est extrêmement coûteux de fabriquer des informations, de les vérifier, de les traiter. Une toute petite entreprise n’a pas les moyens de fournir des informations de qualité compte tenu du contexte concurrentiel qui prévaut dans ce secteur. L’effet de taille conduit naturellement les entreprises de médias à se concentrer. La multiplication du nombre de supports n’est pas pour autant gage de diversité car elle n’est pas synonyme de multiplication des sources d’information. La semaine dernière, nous avons tous regardé en même temps les mêmes informations. La diversité est très complexe à saisir. Que peut faire le CSA dans ces conditions ? Il importe, à mon sens, de déployer des outils économiques à même de mesurer finement la diversité, notamment en prenant en compte les sources d’information et non pas simplement les supports.

J’en viens à la question du numérique. Plusieurs d’entre vous ont fait référence à la tribune que j’avais signée en 2012 pour appeler à une fusion entre l’ARCEP, la HADOPI et le CSA. Je ne la renie nullement car elle me paraît avoir gardé sa pertinence. Aujourd’hui, les chaînes ont toutes basculé dans le numérique ; le consommateur est à la fois téléspectateur et internaute, il est en permanence connecté. Cette dimension nouvelle doit être intégrée par les institutions. La prise en compte du numérique implique un travail de coopération. La création de l’European Regulators Group for Audiovisual Media Services (ERGA) il y a un an va dans ce sens. Elle a montré l’importance pour les instances de régulation de se coordonner au niveau européen. La même exigence s’impose au niveau national. Si chaque institution s’en tient à son périmètre, le téléspectateur-citoyen risque d’être oublié. C’est dans cet état d’esprit que j’avais élaboré cette tribune.

L’élargissement des pouvoirs du CSA doit se calquer sur les nouveaux modes de consommation des programmes, qui sont regardés en permanence et sur tous les supports. Cela implique de s’affranchir des limites du seul secteur audiovisuel. Son basculement dans le numérique oblige de facto les institutions qui en sont garantes à un déplacement, déplacement d’autant plus difficile à opérer que le téléspectateur, placé au cœur de l’écosystème, est à la fois producteur, diffuseur et prescripteur de contenus. Le CSA doit être attentif à tous les programmes audiovisuels, qu’ils soient diffusés à la télévision ou sur internet.

Vous avez été nombreux à m’interroger sur les chaînes d’information en continu, question particulièrement compliquée. En tant que citoyenne, j’aurais tendance à dire que le traitement qu’elles ont fait des événements de la semaine dernière aurait pu être pire – je suis d’un naturel optimiste – mais qu’il aurait aussi pu être meilleur et différent. Il y a clairement besoin d’une régulation à travers une concertation entre les instances concernées. Quand le travail des chaînes d’information est susceptible de nuire au travail de la police, comme cela semble avoir été le cas, il faut appliquer des règles de manière stricte. Je ne suis pas encore dans la peau d’un membre du CSA, mais j’ai plaisir à m’y mettre.

M. le président Patrick Bloche. Vous serez en effet amenée à réfléchir à ces questions. Olivier Schrameck a exprimé hier le souci que le CSA s’investisse dans cette problématique.

Mme Nathalie Sonnac. La déontologie, le pluralisme, la diversité impliquent des règles. Le numérique n’est pas un espace de non-droit. De la même façon qu’on ne peut pas faire n’importe quoi dans la rue, on ne peut pas faire n’importe quoi sur le net. Des règles sont possibles même si elles sont plus compliquées à appliquer du fait du caractère ouvert d’internet.

À cet égard, il est important d’avoir confiance dans les utilisateurs. Je citerai l’exemple du jeu en ligne World of Warcraft où les dérapages sont contrôlés par la communauté des joueurs : au bout de plusieurs avertissements, les joueurs fautifs sont exclus du jeu. Nous avons beaucoup travaillé au sein du Conseil national du numérique sur la pédagogie : il faut impliquer le citoyen dans sa consommation et le CSA comme les médias ont un rôle à jouer pour l’aider à mieux comprendre les implications et les dangers éventuels de son utilisation du numérique.

Pour ce qui est de la chronologie des médias, permettez-moi de me référer à une étude que j’ai menée l’année dernière. À travers un questionnaire soumis à 550 personnes et vingt-cinq entretiens, nous avons cherché à cerner les motivations des jeunes âgés de vingt à trente ans qui pratiquaient le piratage. Les principales raisons invoquées sont, d’une part, les difficultés d’accès à l’offre légale – longueur du téléchargement, bugs – alors que certains sites illégaux comme Popcorn Time permettent d’accéder en un temps record à des centaines voire des milliers de films et de séries et, d’autre part, l’inadéquation de l’offre des sites légaux aux goûts des jeunes. Le CSA et les chaînes de télévision doivent réfléchir à l’amélioration de l’accessibilité et à l’élargissement des catalogues de l’offre légale.

S’agissant de l’égalité entre hommes et femmes et de la prise en compte des personnes handicapées, vous vous doutez bien que cette préoccupation me tient en cœur. Tout doit être fait pour assurer une meilleure représentativité.

Vous me demandiez, monsieur Rogemont, où me portaient mes envies. Ma formation et mon parcours font que je m’intéresse particulièrement à l’audiovisuel et au numérique. Quant à privilégier une fonction par rapport à une autre, cela me paraît difficile : lorsque je fais de l’enseignement, j’alimente mes recherches ; lorsque j’alimente mes recherches, je participe à des colloques ; lorsque je participe à des colloques, j’écris des articles ; lorsque j’écris des articles, j’alimente mes cours, etc. Ma formation universitaire m’a permis d’apprendre à apprendre et donc à me nourrir de tout. L’expérience du Conseil national du numérique a été extrêmement enrichissante et m’a motivée pour me présenter au CSA. J’ai pu me rendre compte de l’importance de rencontrer les acteurs sur le terrain, dimension qui me manquait dans le cadre universitaire.

M. Marcel Rogemont. Comptez-vous rester membre du Conseil national du numérique ?

Mme Nathalie Sonnac. Les règles de déontologie l’empêcheraient.

Le vieillissement de l’audience est un défi pour France Télévisions. On peut se demander pourquoi plus de programmes ne sont pas basculés sur Pluzz. Cela dit, cette question ne concerne pas seulement l’audiovisuel public. Les autres chaînes sont elles aussi confrontées à ce phénomène. L’étude que j’ai citée précédemment a montré que la programmation audiovisuelle ne correspondait pas à l’attente des publics jeunes. À cet égard, il est bon que le CSA ait mis en place une commission de réflexion sur l’évolution des programmes.

Je finirai par la loyauté de l’utilisation des algorithmes. Netflix est selon moi un catalyseur des nouvelles questions qui se posent dans le numérique, même si en termes de chiffres d’affaires, son poids est minime face à un Amazon – 4 à 5 milliards de dollars contre 177 milliards de dollars. Lorsqu’un mastodonte de la taille d’Amazon arrivera sur le marché de l’audiovisuel, il faudra approfondir nos réflexions. Vous vous y préparez avec le débat d’orientation sur la stratégie du numérique qui aura lieu cet après-midi dans l’hémicycle de votre assemblée et nous pouvons déjà compter sur le formidable rapport du Conseil d’État sur le numérique. Les questions relatives aux données personnelles, aux contours des plateformes, au statut des hébergeurs, à la définition des contenus sont centrales pour les acteurs de l’audiovisuel. La loyauté dans l’environnement numérique est une problématique fondamentale sur laquelle le Conseil national du numérique a lancé une concertation.

M. le président Patrick Bloche. Madame Sonnac, je crois traduire le sentiment général en saluant la préoccupation qui a été la vôtre de répondre au plus grand nombre de questions tout en vous concentrant sur les missions de régulation du CSA. Je vous remercie et vous laisse quitter la salle pour que nous procédions au vote.

La Commission procède ensuite au vote, à bulletin secret, sur cette nomination, en application de l’article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, voici le résultat du scrutin :

– nombre de votants : 36

– nombre de suffrages exprimés : 36

– pour : 36

– contre : 0

La commission donne, à l’unanimité, un avis favorable à la nomination de Mme Nathalie Sonnac aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

La séance est levée à onze heures quinze.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 14 janvier 2015 à 9 heures 30.

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, M. Bernard Brochand, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Dominique Chauvel, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, Mme Martine Martinel, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont

Excusés. – Mme Huguette Bello, Mme Brigitte Bourguignon, M. Ary Chalus, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Sonia Lagarde, Mme Lucette Lousteau, M. François de Mazières, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, Mme Michèle Tabarot, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal

Assistait également à la réunion. – M. Lionel Tardy