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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION
Mercredi 11 février 2015
La séance est ouverte à neuf heures quarante.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)
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La Commission examine, sur le rapport de M. Christophe Premat, le projet de loi, adopté par le Sénat, portant transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l’enseignement supérieur (n° 2540).
M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous examinons ce matin un texte dont l’adoption est urgente, car il nous faut remédier à l’actuelle fragilité juridique de l’université des Antilles et de la Guyane, qui a perdu sa composante guyanaise en application d’un décret du 30 juillet 2014. Cette situation explique le calendrier très serré et la mise en œuvre de la procédure accélérée, puisque ce texte a été adopté le 29 janvier dernier par le Sénat et qu’il sera inscrit en séance publique dans notre assemblée dès le 19 février prochain.
Malgré ces délais très courts, notre rapporteur a mené un travail approfondi sur le texte du Sénat, éclairé par de nombreux entretiens avec les différentes parties prenantes du dossier. Je l’en remercie chaleureusement au nom de notre commission.
M. Christophe Premat, rapporteur. Comme l’a expliqué le président, le rythme de nos travaux sur ce projet de loi portant transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles et ratifiant diverses ordonnances relatives à l’enseignement supérieur est exceptionnellement rapide : le Sénat a adopté le texte en première lecture le 29 janvier ; l’Assemblée l’examinera en séance publique dès le jeudi 19 février.
Dans ces délais contraints, je me suis efforcé de recueillir l’avis des principaux intéressés, en auditionnant des membres du cabinet de la ministre des outre-mer et de celui de la secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, nos collègues sénateurs, qui avaient engagé un an plus tôt un remarquable travail d’analyse et de proposition sur cette question, ainsi que la présidente, une ancienne présidente et quelques grands acteurs de l’université des Antilles.
Il ne se joue ici rien de moins que la survie de cette université, indispensable pour le développement et le rayonnement de ces territoires et pour l’avenir de nos jeunes concitoyens antillais.
Comme vous le savez, des tensions récurrentes parmi les personnels et les étudiants du pôle guyanais, qui se sont soudainement envenimées à l’automne 2013, ont conduit le Gouvernement à se résigner au retrait de la Guyane de l’université commune, qu’elle partageait avec la Guadeloupe et la Martinique depuis 1982. Le décret du 30 juillet 2014 a ainsi créé une nouvelle université, limitée à quelque 2 250 étudiants en ce qui concerne le pôle guyanais. À la suite d’une mission conduite par l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, les moyens ont été répartis dès la fin de l’année entre les deux universités sur le fondement de la situation prévalant à la date de la scission.
Cette séparation explique l’urgence imprimée aux travaux parlementaires. Pour apaiser la situation et couper court aux surenchères autonomistes mettant en danger la survie d’une université commune, le Gouvernement a tiré parti de l’habilitation à légiférer par ordonnance, que nous lui avions accordée dans l’intention initiale d’adapter à cette université la nouvelle gouvernance fixée par la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR) du 22 juillet 2014, et procédé, dans l’ordonnance du 17 juillet 2014, à un profond renforcement de l’autonomie des deux pôles demeurant dans l’ancienne université des Antilles et de la Guyane.
Il n’a pas pu, toutefois, aller jusqu’à tirer les conséquences du retrait du pôle guyanais. Le champ de l’habilitation se bornait, en effet, à la réforme de la gouvernance de l’université, sans permettre d’en modifier ni le nom ni le périmètre. Dès lors, dans l’état du droit existant, le code de l’éducation continue de prévoir l’existence d’une université commune. Cela impose notamment que ses organes délibérants se réunissent en rassemblant les représentants de ses trois pôles constitutifs, alors même que l’un d’entre eux ne participe plus à la vie de l’université.
Cette situation juridique ambiguë pose de réelles difficultés, s’agissant en particulier du respect des règles de quorum ou de l’adoption des budgets des deux universités. L’intervention du législateur est donc nécessaire et urgente, car en l’état actuel, celles-ci vivent sur un budget 2014 prolongé. À cette fin, le Sénat a introduit des dispositions indispensables en prévoyant que toutes les références à l’université des Antilles et de la Guyane soient remplacées par des références à la seule université des Antilles.
La scission de l’université des Antilles et de la Guyane n’est cependant que le symptôme le plus spectaculaire des nombreuses difficultés que cette université affronte depuis sa création. L’enseignement supérieur fait face à des défis d’une ampleur exceptionnelle dans ces régions d’outre-mer. En dépit d’une proportion de bacheliers dans une classe d’âge proche, en Guadeloupe et en Martinique, des trois quarts constatés en métropole, alors qu’elle ne dépasse pas 37 % en Guyane, le nombre de non-diplômés parmi les personnes âgées de vingt-cinq à trente-quatre ans atteint 26 % en Martinique, 33 % en Guadeloupe et 58 % en Guyane, contre 19 % en métropole.
C’est dans le supérieur que se concentrent les principales difficultés, avec des taux de diplômés des vingt-cinq à trente-cinq ans limités à 27 % en Martinique, 22 % en Guadeloupe et 17 % en Guyane, contre 42 % en métropole. Ces mauvaises performances prennent une dimension dramatique lorsqu’on prend la mesure des seuils dramatiques atteints par les taux de chômage des jeunes actifs, à près de 70 % en Martinique, 60 % en Guadeloupe et 45 % en Guyane. Or aux Antilles comme partout dans le monde, le diplôme du supérieur demeure le meilleur rempart contre le chômage, celui-ci descendant à 10 % pour les bénéficiaires d’une formation supérieure.
Dans ce redoutable contexte, l’université des Antilles et de la Guyane peine manifestement à répondre aux attentes que l’on peut légitimement former à son égard. Elle n’attire, en effet, que le quart des bacheliers locaux. Ses résultats sont décevants, avec un taux d’échec de 68 % en première année et seulement 25 % des étudiants qui parviennent à obtenir leur licence en trois ans.
Bien sûr, de nombreux facteurs extérieurs contribuent à entretenir cette situation insatisfaisante. Le tiers le plus performants des lycéens, souvent issus des milieux les plus favorisés, part étudier en métropole. L’université concentre plus qu’ailleurs des étudiants fragilisés face à l’enseignement supérieur. Les boursiers représentent la moitié de ses effectifs, tandis que la proportion de bacheliers technologiques et professionnels est le double de celle observée dans les universités métropolitaines.
Ces handicaps ne fournissent toutefois qu’une partie des explications. La lucidité commande de constater que l’université des Antilles et de la Guyane a été affaiblie depuis sa création par la cohabitation complexe, au sein d’une même structure, des fortes identités culturelles de ses trois territoires d’implantation.
Dans une dynamique d’affirmation culturelle et une logique de proximité, renforcée par la très faible mobilité des étudiants entre les trois pôles, chaque département et chaque région s’est attaché à faire bénéficier son territoire d’une offre de formation aussi étendue que possible. Cet émiettement des filières a conduit l’université des Antilles et de la Guyane à rassembler aujourd’hui pas moins de six unités de formation et de recherche (UFR), trois écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), trois instituts spécialisés et vingt laboratoires de recherche. Ces forces centrifuges ont d’autant plus érodé la cohérence de l’université que sa gouvernance s’est révélée incapable de relever les défis posés par la rivalité des pôles géographiques universitaires.
Jusqu’en 2008, l’université a été gérée selon des modalités proches du droit commun, ne reconnaissant aucune autonomie à ses territoires. Ce système a naturellement encouragé une compétition entre les deux îles des Antilles, qui rassemblaient les effectifs les plus importants d’étudiants, aboutissant dans les faits à une neutralisation du conseil d’administration.
Ces blocages ont créé un terreau favorable à l’enracinement des féodalités et des pouvoirs d’obstruction des composantes les mieux structurées de l’université. Le rapport d’un groupe de travail constitué par la Délégation aux outre-mer et la commission de la Culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, présidé par M. Thani Mohamed Soilihi et dont les rapporteurs étaient Mme Dominique Gillot et M. Michel Magras, a mis en évidence, dès avril 2014, des dysfonctionnement spectaculaires, allant de l’absence de dialogue de gestion à un « manque chronique de contrôle », en passant par la multiplication des « pouvoirs d’obstruction » et même, dans un cas paroxysmique fort heureusement isolé, jusqu’à « l’épanouissement d’un véritable réseau de redistribution ». Surtout, cette gouvernance a obéré l’équilibrage des moyens entre les besoins des différentes régions.
La Guyane est restée cantonnée en marge des processus décisionnels en raison de la naissance plus tardive de son enseignement supérieur, d’abord concentré sur les formations technologiques de courte durée, en liaison avec la vocation aéronautique de Kourou. Aucune présidence de l’université, alternée jusqu’à récemment entre la Guadeloupe et la Martinique, ne lui est jamais revenue. Ses dotations n’ont guère évolué, alors même qu’elle connaissait, à la différence des deux îles, une massification rapide de son enseignement secondaire due à une démographie très dynamique.
S’appuyant sur la création spontanée et informelle de conseils régionaux de pôle en 1997, l’ordonnance du 31 janvier 2008, qui visait à adapter à cette université la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10 août 2007, a fait un premier pas timide vers l’autonomie. Elle a ainsi consacré le rôle, essentiellement consultatif, des conseils de pôle et créé les fonctions de vice-présidents de pôle. Cette réforme a toutefois échoué à produire de réels résultants encourageants. D’une part, les conseils consultatifs de pôle, affaiblis par l’absentéisme de leurs membres et l’imprécision de leurs attributions, n’ont pas su s’imposer entre les composantes et les services centraux. D’autre part, la présidence de l’université, aux prérogatives très renforcées, dans la droite ligne de la réforme impulsée par la loi LRU, n’a pas réussi à se libérer des jeux complexes et fluctuants des majorités au conseil d’administration, alimentés par les rivalités des pôles. À la fois plus puissante et plus isolée, elle n’est pas parvenue à jouer le jeu d’une réelle autonomie des pôles.
La rupture, au début des années 2010, de la traditionnelle alternance à cette fonction des représentants de la Guadeloupe et de la Martinique, puis les grèves et la scission guyanaise de la fin de 2013, ont été autant de symptômes d’une gouvernance inadaptée, parce que sans doute maladroitement partagée entre tous les acteurs. C’est dans ce contexte et face aux fortes tensions centrifuges inéluctablement attisées par la crise guyanaise, marquées notamment par une longue grève dans les campus guadeloupéens à l’hiver 2014, que le Gouvernement a décidé, à l’été 2014, d’adapter par ordonnance la gouvernance de l’université des Antilles pour avancer vers plus d’autonomie.
L’ordonnance du 17 juillet 2014 a ainsi introduit des innovations très importantes. Les deux pôles universitaires régionaux ont reçu une très large capacité d’organisation administrative et pédagogique, appuyée sur des compétences propres étendues. Celles-ci vont jusqu’à l’adoption de budgets propres intégrés, la définition d’une stratégie de pôle, la mise en œuvre d’une mission d’insertion et la faculté de contractualiser avec des partenaires de l’université. En parallèle, leurs vice-présidents ont reçu la qualité d’ordonnateurs des recettes et d’autorité de gestion sur les personnels du pôle.
Ces dispositions, audacieuses, dotent l’université des Antilles des vrais instruments nécessaires à une gestion déconcentrée. Elles devraient sans nul doute apaiser les revendications centrifuges, qui étaient d’autant plus radicales qu’elles étaient privées jusqu’alors de toute perspective crédible de concrétisation. C’est pourquoi je vous proposerai d’accepter la ratification de cette ordonnance.
Néanmoins, la nécessaire autonomie accordée aux pôles ne doit pas transformer l’université en une coquille vide, privée de toute capacité à garantir la cohérence de son offre d’enseignement, car c’est là que se joue l’avenir de l’université des Antilles. Est ici en cause l’attractivité de cette université, tant à l’égard de ses étudiants et des étudiants étrangers de la zone caraïbe qu’à celui de ses enseignants-chercheurs. Pour relever les défis de l’enseignement supérieur contemporain, l’université devra élargir son cercle d’alliances dans la zone caraïbe et dans toutes les Amériques, et offrir aux étudiants les formations, les partenariats et les passerelles qui sont aujourd’hui les conditions de parcours réussis dans le supérieur.
Je suis convaincu que ces ambitions ne peuvent être poursuivies que par une université forte et unie, dépassant le seuil critique de 10 000 étudiants. Deux universités indépendantes, dans les faits sinon dans le droit, de l’ordre de 5 000 étudiants, offrant des formations nécessairement parcellaires et limitées, seraient parfaitement incapables de se déployer en dehors du cadre étroit de leur territoire. Cette exigence milite pour qu’à côté de l’autonomie, nous confortions la cohérence et la force des services centraux de l’université. Dans cet esprit, l’ordonnance du 17 juillet 2008 apparaît dangereusement fragilisée par l’absence de mécanismes permettant de se prémunir contre les éventuelles tensions entre les pôles et la présidence de l’université, puis, le cas échéant, d’y remédier.
En confiant l’élection des vice-présidents aux seuls conseils universitaires régionaux de pôle, la nouvelle gouvernance perpétue une pratique qui a longtemps érodé la cohérence de l’université des Antilles et de la Guyane, et sans doute contribué à la scission de son pôle guyanais. Dans les faits, aujourd’hui, les pôles désignent leur vice-président, au mépris des dispositions de l’ordonnance de 2008, qui confient cette responsabilité au président de l’université après leur simple consultation. Ce système a introduit un ferment institutionnel de rivalité puisque les personnes concernées ont tendu à s’opposer sur des questions déterminantes pour l’avenir de l’université, comme, par exemple, l’enjeu d’une répartition plus équitable des ressources.
Pour pallier cette gouvernance institutionnellement conflictuelle, le Sénat, reprenant l’une des propositions de son groupe de travail, a introduit une disposition nouvelle prévoyant que l’élection du président et des vice-présidents de pôle fait l’objet d’un même vote au sein du conseil d’administration. Chaque candidat devra ainsi présenter un « ticket » de trois personnalités, qui devra démontrer au préalable la cohérence du projet global porté par le candidat à la présidence, et les stratégies de développement des pôles défendues par les vice-présidents. Cette solution est astucieuse et bienvenue. Elle a, en outre, le grand avantage de laisser aux statuts de l’université le soin de déterminer les modalités appropriées d’implication des pôles, qui pourront, par exemple, faire l’objet d’une consultation préalable, voire dresser une liste de pré-candidats entre lesquels le candidat à la présidence de l’université pourra choisir ses colistiers. Je vous invite donc à l’approuver.
Dans une logique comparable, le Sénat a veillé à mieux préciser la répartition des services entre les pôles et l’échelon central, en indiquant que les services regroupés par les pôles sont ceux qui leur sont « propres », à l’exclusion des services communs – par exemple, de documentation, d’espace numérique ou d’orientation. De même, les sénateurs ont proposé que les décisions de la commission de la recherche concernant un laboratoire exerçant ses activités sur plusieurs pôles n’entrent en vigueur qu’après avoir été approuvées par le conseil académique de l’université.
Enfin, pour rapprocher la composition du conseil d’administration de celle des autres universités, le Sénat a proposé très opportunément de doubler la représentation des personnels non enseignants, dits IATOS. La seule spécificité de ce conseil demeurerait dès lors la place plus importante faite aux personnalités extérieures – un tiers contre environ un quart dans le droit commun –, nécessaire pour garantir la représentation des organismes de recherche présents dans les deux îles, qui sont incontournables pour le développement de ces territoires.
Tels sont les objets des modifications apportées en première lecture par la Haute assemblée à l’article 1er du projet de loi. La qualité de l’équilibre obtenu m’encourage à vous inviter à adopter cet article sans modification.
En outre, le Sénat a veillé, en introduisant un nouvel article 1er bis, à ce que l’autonomie dévolue aux pôles soit applicable dès l’entrée en vigueur de la présente loi et non à compter de la modification des statuts de l’université, programmée, quant à elle, dans le traditionnel délai d’un an au maximum. C’est une innovation importante, gage de notre volonté d’accélérer la mutation de l’université des Antilles et de concrétiser aussi vite que possible sa nouvelle gestion déconcentrée.
L’article 2, pour sa part, se contente de solliciter la ratification de deux ordonnances rectifiant, notamment, des erreurs matérielles dans le code de l’éducation et introduisant des dispositions relatives aux études de maïeutique.
L’article 3 propose de corriger, dans le même esprit, des mentions désuètes dans le même code et de lever une ambiguïté, en précisant que s’étendent aux terrains non bâtis les biens sur lesquels les établissements d’enseignement supérieur assument les droits et obligations du propriétaire, afin de les autoriser, par exemple, à consentir des autorisations d’occupation temporaire du domaine public.
Ces dispositions ne soulevant aucune difficulté, je vous propose d’adopter ces articles sans modification.
En conclusion, je vous invite à adopter l’ensemble du projet de loi dans sa rédaction résultant des travaux du Sénat, qui permet de bâtir les fondations d’une université des Antilles respectueuse à la fois de l’autonomie nécessaire de ses pôles et de l’unité indispensable à son succès.
Mme Sandrine Doucet. Monsieur le rapporteur, votre rapport permet, avec beaucoup de précision et de pédagogie, de comprendre la nouvelle organisation de l’université des Antilles et de saisir les enjeux globaux qui accompagnent cette création.
La séparation de l’université guyanaise de l’université des Antilles et de la Guyane à la suite des grèves de l’automne 2013 n’a pas manqué d’attiser les tensions entre les pôles guadeloupéen et martiniquais, exacerbant une rivalité ancrée dans l’histoire. Pour apaiser une situation troublée dans les universités, marquée, notamment, par les grèves qui ont eu lieu en Guadeloupe, le Gouvernement a tiré parti de son habilitation à modifier les dispositions législatives relatives à l’université des Antilles et de la Guyane pour procéder, dans l’ordonnance du 17 juillet 2014, à un profond renforcement de l’autonomie de ses deux pôles.
Au cours de sa réunion du 14 janvier 2015, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a enrichi le projet de loi initial et a veillé à ce que le président de l’université et les présidents des deux pôles régionaux travaillent à l’avenir en bonne intelligence, grâce à l’instauration d’un ticket de trois candidats pour ces postes décisifs.
Préalablement, une ordonnance prise en 2008, qui s’appuyait sur la loi LRU de 2007, avait proposé une organisation reposant sur trois vice-présidences pour chacun des pôles régionaux qui constituaient alors l’université des Antilles et de la Guyane. Mais leur autorité et leur rôle dans le processus reposait essentiellement sur la faculté pour le président, ouverte par l’ordonnance de 2008, de déléguer sa signature, notamment pour ordonnancer les recettes et les dépenses des composantes situées dans la région. Ces dispositions ont échoué à garantir une articulation efficace. Désormais, avec l’ordonnance de 2014, le président garantira la cohérence de l’université, et les vice-présidents, avec des pouvoirs dévolus, assureront les décisions au plus près des territoires.
On pourrait regretter que ces dispositions n’aient pu, dans leur logique la plus aboutie, englober le pôle guyanais. Mais les événements de novembre 2013 ont marqué davantage le cumul des problèmes non résolus au cours des années précédentes que les limites de la loi ESR qui, elle, permet d’éviter la division complète des sites universitaires. Nos buts demeurent ceux qui ont inspiré la loi ESR de 2013 : la démocratisation de l’enseignement supérieur et la lutte contre l’échec en premier cycle. Ces enjeux sont forts aux Antilles, où comme le relevait le rapporteur, les diplômés du supérieur entre vingt-cinq et trente-quatre ans plafonnent à 27 % en Martinique et à 22 % en Guadeloupe, contre 42 % en métropole. Ces performances décevantes sont liées notamment à des taux d’échec en licence très élevés, atteignant 68 % en première année.
Aux difficultés sociales et étudiantes, s’ajoutent celles de l’insularité, de l’éloignement, et donc de la mobilité. Pour suivre jusqu’au bout l’application de la loi ESR, il faut aussi penser à son autre volet : le rayonnement universitaire. Pour attirer, il faut rayonner scientifiquement. L’université des Antilles bénéficie d’atouts exceptionnels grâce à la présence de nombreux centres de recherche tels que de l’Institut Pasteur, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et bien d’autres.
Il s’agit, pour l’université des Antilles, d’exister pleinement dans ce nouveau cadre, pour les étudiants, de disposer d’un ensemble de cursus répondant à la démocratisation des savoirs, et pour l’université, aux Antilles comme en métropole, de contribuer au rayonnement de la France. L’enjeu est d’autant plus louable que le concurrent américain est proche.
La France du lointain dit notre capacité à porter nos ambitions et nous donne la mesure du monde qui nous entoure. L’université française, à travers l’université des Antilles, doit aussi relever ce défi. C’est pour cette raison que nous adopterons ce projet de loi. Je vous demanderai, monsieur le rapporteur, de bien vouloir nous en dire plus sur les capacités de rayonnement, au plan mondial, dont peut disposer l’université des Antilles.
M. Patrick Hetzel. Je salue l’exploit accompli par le rapporteur tant le calendrier d’examen de ce texte est serré. Si l’on peut comprendre l’urgence, on ne peut que déplorer qu’elle nous empêche de débattre de manière plus sereine. La liste des personnes auditionnées par le rapporteur illustre d’ailleurs bien à quel point il a été contraint par le temps : il eût été utile aussi de consulter aussi quelques-uns des nombreux chargés de mission qui ont travaillé sur cette question, tel l’inspecteur général Christian Forestier.
La transformation à laquelle nous allons procéder ce matin me remplit d’une grande tristesse, puisque nous allons prendre acte de la partition de l’université des Antilles et de la Guyane. Après une première étape marquée par la création de l’université de Guyane, il s’agit aujourd’hui de porter sur les fonts baptismaux l’université des Antilles, qui comportera un pôle martiniquais et un pôle guadeloupéen. Alors même qu’en France comme à l’étranger, la tendance est plutôt au regroupement des universités, une telle scission montre bien que le Gouvernement n’a pas réussi à régler le conflit.
Je m’interroge, en premier lieu, sur la gouvernance de la nouvelle université des Antilles. Monsieur le rapporteur, vous insistez sur l’originalité du modèle de gouvernance proposé, mais originalité rime-t-elle avec efficacité ? Ne disposant d’aucune étude d’impact sur l’organisation de la gestion de cette nouvelle université, nous ne sommes pas à même de déterminer si la créativité qui la caractérise en garantira le bon fonctionnement. Vous tenez, dans votre rapport, des propos incantatoires ; ni vous, ni le Gouvernement, ni le Sénat n’avez fait la démonstration de l’efficacité managériale des gouvernances proposées. On peut donc en douter.
En deuxième lieu, quelles seront les incidences d’un tel choix sur les deniers publics ? Deux universités de plein exercice, cela signifie des services centraux dédoublés. En cette période de restrictions budgétaires, quels moyens le Gouvernement va-t-il trouver pour en assurer le bon fonctionnement ?
Nulle part dans le texte et dans votre rapport, je n’ai trouvé de réponse à ma troisième interrogation quant au contrôle de l’État sur l’université des Antilles. Comment l’État répartira-t-il cette fonction de contrôle entre les recteurs des deux académies de la Guadeloupe et de la Martinique dans lesquelles l’université est implantée ?
Quelle place l’enseignement supérieur et la recherche français occuperont-ils réellement dans ce grand espace Antilles-Guyane-Caraïbes ? Là encore, nous ne disposons d’aucun élément se rapportant à la politique publique qui y sera consacrée, alors même que l’enseignement supérieur et la recherche sont devenus des enjeux stratégiques majeurs. En particulier, nulle part il n’est fait mention d’une coopération avec un acteur aussi important que le Brésil.
Vous l’écrivez entre les lignes, monsieur le rapporteur, cette nouvelle organisation implique une offre de formation parcellaire particulièrement en Guyane : dans ces conditions, est-il raisonnable de se résigner à l’existence de deux universités de plein exercice ? Comment s’assurer de la bonne insertion professionnelle des diplômés de la nouvelle université des Antilles ?
Enfin, j’espère que nous ne sommes pas à mi-parcours d’un processus qui se solderait par la partition de cette université des Antilles en deux universités distinctes, l’une de Martinique, l’autre de Guadeloupe. Monsieur le rapporteur, ce projet de loi nous prémunit-il contre un processus aussi délétère ? Garantit-il, comme le disait Edgar Faure, « l’indépendance dans l’interdépendance », c’est-à-dire à la fois l’autonomie et l’unité de cet établissement ? Il en va là de l’intérêt général.
Mme Gilda Hobert. En dépit des délais très contraints qui vous ont été impartis, monsieur le rapporteur, vous nous avez bien éclairés sur un sujet préoccupant et complexe. Les très forts taux d’échec ainsi que les débouchés professionnels très restreints doivent nous alerter sur les importants défis éducatifs auxquels est confronté l’enseignement supérieur en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. Si le diplôme demeure un rempart contre le chômage, ce constat est encore plus criant s’agissant de ces territoires : alors que le taux de chômage des jeunes actifs entre quinze et vingt-quatre ans atteint des sommets alarmants
– jusqu’à 68,2 % en Martinique –, il chute à 10 % pour les détenteurs d’un diplôme d’enseignement supérieur.
Grâce à ce projet de loi, nous pouvons aujourd’hui envisager une issue au conflit en cours dans les universités des Antilles et de Guyane, et redynamiser l’enseignement supérieur qui pâtit des grèves répétées et de dissensions internes récurrentes. Á plusieurs reprises, nos collègues ultramarins, parmi lesquels Ary Chalus, avaient alerté Mme la secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche sur ce sujet.
Ce texte vient d’abord régulariser et sécuriser juridiquement les deux nouvelles universités indépendantes en inscrivant dans notre droit la regrettable scission entre les universités de Guyane et des Antilles. La modification du code de l’éducation doit permettre de simplifier l’organisation des deux universités qui, bien que formant deux entités, seront obligées, tant que ce texte ne sera pas promulgué, de composer entre elles au sein du conseil d’administration actuel. Une situation qui ne saurait perdurer sans risque de voir réapparaître les dissensions.
Le problème qu’il faut surtout résoudre, qui entraîne de lourdes conséquences sur le fonctionnement des universités et que la loi LRU n’a fait qu’aggraver, est celui de la gouvernance. À cette fin, l’article 1er du projet de loi dispose que le conseil d’administration de l’université élira un président et deux vice-présidents de pôle, à partir d’un ticket de trois candidatures aux trois fonctions. Cette mesure me paraît un bon moyen de remédier aux différends antérieurs et de faire émerger une vision et une politique communes, qui ont jusqu’à présent fait défaut, en préservant l’essentiel : la qualité de l’enseignement et de la recherche.
Le renforcement de l’autonomie de chaque université au travers des pôles universitaires régionaux me semble aller dans le bon sens. Le texte précise clairement les compétences et le rôle de chacun, de manière à éviter les querelles d’interprétations. Pourvu de compétences propres étendues notamment au vote d’un budget intégré, mais aussi de compétences consultatives, telles la faculté de transmettre des suggestions au conseil d’administration de l’université, chaque pôle disposera, grâce à cette déconcentration, de marges de manœuvre autonomes tout en s’insérant dans une vraie gouvernance commune.
Nous ne pouvons qu’adhérer à cette gouvernance, conçue pour être apaisée, par laquelle le président de l’université se voit confier la mission d’assurer la conciliation et la cohérence entre les pôles de l’université. Afin de garantir l’exercice désintéressé de cette mission, le président sera désormais élu pour un mandat de cinq ans non renouvelable.
Ce texte apparaît donc prometteur et encourageant. Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste est favorable à ce projet de loi, mais je vous soumettrai tout à l’heure une question de mon collègue Ary Chalus qui tient, pour sa part, à formuler quelques réserves.
Mme Isabelle Attard. Les dispositions du projet de loi que nous examinons aujourd’hui semblent faire consensus. En atteste l’absence d’amendements déposés. Les cinq articles qui nous sont soumis visent à ratifier plusieurs ordonnances dont le bien-fondé n’est pas contesté, et à corriger des erreurs de codification et de renvoi d’articles. Il reste néanmoins quelques questions en suspens.
Comme vous, monsieur le rapporteur, le groupe écologiste soutient la solution introduite par un amendement sénatorial, qui a transformé l’élection séparée des vice-présidents et du président, les uns par les pôles, l’autre par le conseil d’administration, en un « ticket » commun pour ces trois postes. Mais nous devons reconnaître que se pose la question de la légitimité des dirigeants aujourd’hui en exercice. Le conseil d’administration de l’université des Antilles vient d’être amputé d’un tiers de ses membres, qui représentaient l’université de Guyane. La position de la présidente Mme Corinne Mencé-Caster, qui avait été élue par l’ensemble des membres du conseil d’administration, s’en trouve fragilisée. Á quelle date est prévu le prochain renouvellement des dirigeants de l’université des Antilles ? Si nous comprenons que, pour des raisons de stabilité et de continuité, la présidente actuelle continue d’exercer son mandat jusqu’à la fin de l’année universitaire, il nous semble difficile d’aller au-delà de cette date. Le cas échéant, que pensez-vous de l’idée d’organiser des élections anticipées ?
Cette question cruciale du mode de gouvernance illustre combien le mode d’élection des représentants des différents pôles au sein d’une même université, et plus encore des communautés d’universités et d’établissements (COMUE), conditionne le bon fonctionnement des contrats sur le long terme. Nous regrettons donc vivement que le principe de l’élection au scrutin direct, voté dans la loi ESR du 22 juillet 2013, ait été annulé dans le cadre de la loi d’avenir agricole en ce qui concerne les regroupements d’universités.
Le Gouvernement a déposé au Sénat des amendements qui n’ont pas été adoptés et qui visaient notamment à inclure d’autres ordonnances dans le projet de loi. Les sénateurs écologistes s’y étant opposés, notre groupe est satisfait que le Gouvernement ne les ait pas redéposés devant notre commission. À votre connaissance, monsieur le rapporteur, prévoit-il de le faire en séance publique ?
Enfin, tout comme notre collègue Patrick Hetzel, je déplore amèrement que nous nous trouvions aujourd’hui dans pareille situation. À l’heure des regroupements d’universités, il est regrettable que celui des établissements des Antilles et de Guyane n’ait pas pu perdurer.
M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le rapporteur, je reconnais volontiers l’objectivité du rapport que vous nous avez présenté. Pour autant, nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! Ancien président du conseil régional de Martinique, j’ai été confronté aux problèmes que vous venez d’évoquer. Par principes et par valeurs, l’indépendantiste que je suis, que parfois vous haïssez, a défendu avec honneur les intérêts de la France dans cette affaire et dans cette région. Ne l’oubliez jamais !
Mon point de vue sur l’université des Antilles et de la Guyane est bien connu de tous, car il ne date pas d’aujourd’hui. Il remonte bien avant son démantèlement regrettable. Et les gesticulations actuelles pour la mise en place de l’université des Antilles n’ont nullement dissipé mes craintes ni infirmé mes propos d’alors. Plusieurs fois d’ailleurs, rappelez-vous, j’ai pris la parole à ce sujet à l’Assemblée nationale. Une fois de plus, pour en particulier la scission du pôle guyanais, on n’a pas voulu surmonter les griefs soi-disant constatés, et on a donc sacrifié l’intérêt général et ses enjeux communs prometteurs. Le spectacle est lamentable et prend plutôt l’allure d’un règlement de comptes déplorable.
Ma question concerne l’échéance du mandat de la présidente de l’université. Selon l’article L. 712-2 du code de l’éducation, le président de l’université est élu à la majorité absolue des membres du conseil d’administration parmi les enseignants-chercheurs, chercheurs, professeurs ou maîtres de conférences, associés ou invités, ou tous autres personnels assimilés, sans condition de nationalité. Son mandat, d’une durée de quatre ans, expire à l’échéance du mandat des représentants élus des personnels du conseil d’administration. C’est là que le bât blesse.
Le présent projet de loi précise, au septième alinéa de son article 1er bis, que le conseil d’administration de l’université des Antilles prendra la forme nouvelle que propose le projet de loi à l’échéance des mandats des représentants élus des personnels du conseil d’administration siégeant au titre des régions Guadeloupe et Martinique en exercice à la date d’entrée en vigueur du texte. Cet énoncé, convenez-en, est quelque peu abscons. Ôtez-moi d’un doute : puisque le projet de loi ne le mentionne pas expressément, dois-je comprendre que le mandat de l’actuelle présidente arrive à échéance en même temps que le mandat du conseil d’administration, c’est-à-dire dans deux ans ? Cela, bien entendu hors tout piège tendu prévisible, que l’on subodore déjà !
Mme Sophie Dessus. Monsieur le rapporteur, vous avez souligné que le nombre de diplômés du supérieur était moins important aux Antilles et en Guyane qu’en métropole. Le manque de bacheliers en particulier en Guyane n’aide pas à développer l’attractivité de l’université tandis que certains jeunes antillais préférent aller s’inscrire en métropole ou ailleurs, dans une université qui leur offre plus de choix.
Au-delà de ce projet de loi, nécessaire vu les conflits en cours, et en amont de l’université, l’école, le collège et le lycée sont-ils bien adaptés à la formation des bacheliers des Antilles ? Pour amener plus de jeunes au baccalauréat et les encourager à poursuivre dans le supérieur, ne devrions-nous pas adapter les cursus d’études antillais à des besoins locaux différant de ceux de la métropole ?
Du point de vue du rayonnement de l’enseignement supérieur et des créations d’emplois qui peuvent en résulter, dans bien des régions métropolitaines, les établissements universitaires se sont adaptés à l’histoire locale et aux compétences dont regorgeaient les territoires : ont ainsi été créés, dans le Limousin, un pôle des arts du feu à Limoges, en Corrèze, un pôle bois et, en Creuse, un pôle pierre. En Guyane, ne serait-il pas possible de renforcer encore les liens entre la base de Kourou, à la pointe de la technologie et de l’innovation, et l’université en faisant en sorte que cette dernière propose des formations aux technologies de pointe adaptées à la vie du territoire ? Voilà qui conforterait l’attractivité de l’université de Guyane et permettrait la création d’emplois locaux.
M. Jean-Philippe Nilor. Construite en plus de trente ans, l’université des Antilles et de la Guyane a été abattue en moins de trente jours. Une évolution paradoxale alors que tous les observateurs reconnaissent le caractère salutaire des regroupements d’universités : ceux-ci permettent en effet d’atteindre une masse critique en deçà de laquelle il n’y a pas d’éden universitaire. L’histoire de notre université est jalonnée d’oppositions stériles entre présidents et vice-présidents, et de divisions sclérosantes entre la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, véritables facteurs de blocages.
La proposition qui nous est faite aujourd’hui consacre l’unicité d’une université amputée et accorde l’autonomie aux pôles universitaires. Je considère qu’il s’agit d’un bon compromis a minima. Le ticket à trois qui nous est proposé permet d’espérer que seront garanties l’unité, la stabilité et la cohérence de la gouvernance, cette dernière devant ainsi gagner en visibilité et en lisibilité. Dans un souci d’apaisement, et alors que les susceptibilités sont à fleur de peau et les tensions encore bien réelles, l’idée évoquée par le rapporteur qu’une pré-liste de candidats soit établie par chaque pôle et qu’ensuite chaque candidat à la présidence de l’université puisse et doive y puiser son colistier m’apparaît très pertinente.
En définitive, je suis pour l’adoption sans modification de ce texte pour éviter le pire, c’est-à-dire pour ne pas donner de gages supplémentaires à ceux qui rêvent encore de scinder une université déjà amputée.
Mme Marie-George Buffet. Je remercie le rapporteur pour la qualité du travail qu’il a accompli en si peu de temps.
Je veux insister sur le gâchis qui vient d’être commis. C’est tout un travail qu’il va falloir recommencer pour consolider l’université des Antilles, lui assurer un minimum d’étudiants, séduire les enseignants-chercheurs. Les propositions qui nous sont faites sur la gouvernance devraient permettre une gestion plus saine de cette université.
J’ai lu et relu le texte et les dispositions relatives au mandat de la présidence m’apparaissent bien imprécises. On prolonge les mandats des membres du conseil d’administration et des deux vice-présidents pour la Guadeloupe et la Martinique, mais il n’y a rien sur la présidence. Que va-t-il se passer ensuite ? Il faut éviter de réveiller certaines tensions.
Cette université doit promouvoir la recherche française, bien sûr, mais elle doit aussi avoir une capacité de rayonnement régional.
Mme Gilda Hobert. Je m’exprime au nom de notre collègue ultramarin Ary Chalus qui s’étonne de la représentativité restreinte des membres de l’université auditionnés par le rapporteur, quand ses propres différentes rencontres avec le monde universitaire l’ont convaincu de l’impérieuse nécessité d’entendre les différents points de vue. Le rapporteur a souligné l’exacerbation de tendances centrifuges ; son rapport en tire-t-il toutes les conséquences au regard des dispositions introduites pour assurer le fonctionnement de l’université des Antilles dès l’entrée en vigueur de la loi ?
Il a lui-même reconnu que la gouvernance de l’université des Antilles et de la Guyane a toujours peiné à se libérer des jeux complexes et fluctuants des majorités, alimentés par les rivalités entre pôles. Or il est proposé de garder à la tête de l’université des Antilles, jusqu’à l’organisation des prochaines élections, une présidence mise en place pour l’université des Antilles et de la Guyane alors tripolaire. De nombreuses voix universitaires font déjà entendre leur désapprobation. Le choix, après une consultation éventuelle du conseil d’administration composé des membres élus, actuellement en exercice pour les pôles de Guadeloupe et de Martinique, d’une gouvernance transitoire neutre, chargée en particulier de rédiger les nouveaux statuts en conformité avec la loi issue du présent projet, aurait constitué une utile mesure d’apaisement.
Enfin, êtes-vous certain que l’élection commune du trio composé du président de l’université des Antilles et des deux vice-présidents de pôle par le conseil d’administration garantira l’entente cordiale visée et assurera la légitimité des vice-présidents de chaque pôle ?
M. le rapporteur. Les auditions ont été restreintes par manque de temps, mais aussi en raison du décalage horaire avec les Antilles. Il était, en effet, important de consulter des gens sur place, qui vivent la situation présente, très difficile. À l’heure où je vous parle, l’université des Antilles n’existe pas : d’une part, le code de l’éducation ne connaît aujourd’hui que l’université des Antilles et de la Guyane, d’autre part, les incessants mouvements de grève ont fortement compliqué l’adoption des budgets, l’articulation des tâches et le travail.
L’urgence de la situation a justifié la décision de ne pas faire tabula rasa, mais plutôt de conserver la gouvernance actuelle et de faire des choix en pondérant le rôle et les pouvoirs de chaque acteur – c’est la difficulté majeure. J’entends bien votre message d’apaisement, monsieur Marie-Jeanne. Il n’y a certes pas de quoi se réjouir, et la scission du pôle guyanais est un échec, un drame même au regard des 2 250 étudiants et de la nécessité d’en augmenter le nombre, des enjeux de développement durable et du centre spatial de Kourou. À travers la ratification de l’ordonnance, nous avons la lourde tâche aujourd’hui de prendre acte de cette scission tout en assurant le bon fonctionnement de l’université des Antilles. De fait, il s’agit de sauver les meubles, et fonder les grands équilibres d’une nouvelle gouvernance apte à en encourager la survie. J’ai bien conscience que tout ne sera pas résolu par la loi, qui ne fait que fixer le cadre d’une gouvernance effective commune a minima de façon à pouvoir conduire un projet commun ; l’intelligence du terrain aura sa part à prendre.
La création d’une université de plein exercice en Guyane risque de déboucher sur un mini-collège universitaire, carencé en « jus », si je puis dire, avec un pôle manquant d’enseignants-chercheurs et s’isolant sur le plan international. J’espère que nous pourrons offrir d’autres perspectives à nos jeunes en Guyane. En particulier, madame Attard, ce territoire est extrêmement propice à des recherches précieuses dans les domaines de la gestion des forêts ou de la transition énergétique, que la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a d’ailleurs fort opportunément promus.
Monsieur Hetzel, le nombre limité d’auditions est dû aux difficultés que j’ai rappelées. Mais nous avons ici la chance de pouvoir aussi nous appuyer sur l’existence du rapport extrêmement détaillé publié en avril 2014 du Sénat. Cela m’a permis d’auditionner d’autres personnes que celles déjà entendues par les sénateurs. C’est d’ailleurs grâce à cette mission d’information que nos collègues ont pris conscience de la nécessité de maintenir une cohérence dans la gouvernance qui motive la création du ticket de trois candidats.
La situation a évolué selon un développement que je qualifierais de dialectique : thèse, antithèse, synthèse. L’ordonnance du 31 janvier 2008 adaptant l’université des Antilles et de la Guyane à la réforme de l’autonomie a tenté de mettre en place un schéma universitaire de type fédéraliste. Mme Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur, avait d’ailleurs parlé de promesse fédérale pour ces territoires. Cela n’a pas marché. Passant à l’antithèse de cette option, on pourrait envisager une régionalisation complète des pôles, qui présenterait certes l’avantage apparent d’une meilleure adéquation entre les formations de l’université et les besoins locaux. Mais ce schéma n’est pas conforme à l’esprit de la loi sur l’enseignement supérieur ; il ferait perdre tout lien avec la France et les services centraux, et priverait les Antilles de toute capacité de rayonnement et d’excellence universitaires.
Reste, dès lors, à imaginer une gouvernance de type confédéral, avec une autonomie renforcée des pôles. La scission du pôle guyanais, regrettable j’y insiste, remet néanmoins le colosse sur deux pieds, l’un martiniquais, l’autre guadeloupéen, surmontés d’une tête que je dirais « mosaïque », en référence à l’identité mosaïque louée par le poète guadeloupéen Ernest Pépin. Alors que l’université des Antilles et de la Guyane n’a jamais eu de président guyanais, on peut espérer qu’avec une gouvernance bipolaire, le bon sens – car il est impossible de l’imposer par la loi – conduira au retour de l’alternance de personnalités guadeloupéennes et martiniquaises à la tête de la présidence. On retrouverait ainsi un équilibre, avec une forte autonomie des pôles, sans tomber dans la régionalisation complète. C’est pourquoi l’amendement sénatorial sur le « ticket » est important : ce lien sera ainsi garanti par la loi.
J’entends votre critique sur les modalités d’organisation, monsieur Hetzel. Sachez toutefois que la création de l’université de la Guyane s’est accompagnée de celle de vingt-cinq postes. Et n’oubliez pas qu’il a fallu agir dans l’urgence.
Il paraissait risqué de construire une gouvernance commune entre les deux pôles après avoir fait table rase de l’existant, alors que l’attente de stabilité est forte et que des grands projets sont en cours. Mme Doucet a rappelé que l’université des Antilles, aussi modeste soit-elle avec 10 000 étudiants, doit nous procurer un rayonnement international. Des projets de coopération avec l’université des Indes occidentales (University of the West Indies) et avec certains centres de recherche français et des Amériques sont en voie de concrétisation, qui contribueront à la constitution d’un pôle fort, avec la présence de laboratoires aussi importants que l’INSERM. Ainsi l’université des Antilles se donnera les moyens d’être un fleuron à l’extérieur de la métropole.
Qui plus est, elle sera un vecteur de la francophonie dans les Caraïbes, où les Antilles occupent une position très importante. Grâce à l’innovation et la recherche, les jeunes Antillais auront des perspectives d’avenir ; l’échec scolaire et les difficultés à intégrer l’enseignement supérieur local déclineront ; non seulement les étudiants antillais ne seront plus tentés de partir dans d’autres universités, mais l’université des Antilles attirera des étudiants étrangers.
J’en viens à la modalité de la relation, telle que l’envisage Édouard Glissant dans sa poétique de la relation. La formule de « ticket » proposée par le Sénat est intéressante et semble faire consensus au sein de la Commission. Pour ce qui est de la présidence, l’ordonnance prévoit, pour l’avenir, un mandat non renouvelable de cinq ans. Toutefois, les statuts de l’université des Antilles n’ont pas été totalement remis à plat pour laisser à l’intelligence locale la possibilité de trouver une voie d’évolution. La présidente actuelle a été élue en janvier 2013. L’ordonnance dont le projet de loi sollicite la ratification, prévoit déjà clairement que les membres du conseil d’administration et le président restent en fonction jusqu’à l’échéance naturelle de leur mandat, c’est-à-dire décembre 2016, et précise même que le président en exercice « ne sera pas rééligible ». L’idée est de laisser une certaine continuité entre le dispositif existant et le prochain et de donner du temps à l’apaisement des tensions. Il demeure bien sûr loisible à la présidente de démissionner si elle l’estime nécessaire. Pour ce qui est du « ticket », il faut également laisser toute sa part au temps et à l’intelligence des acteurs sur le terrain. J’ai conscience que la loi ne changera pas tout. Il faut dépasser les questions de personnes pour vraiment se concentrer sur les procédures.
Avec la régionalisation complète, une concurrence s’est exercée entre la Martinique et la Guadeloupe du point de vue des périmètres universitaires et des formations, qui a conduit à recréer des formations. L’avantage du ticket, c’est qu’il permet de penser à la synergie des territoires : le pôle guadeloupéen est sans doute davantage versé dans les sciences « dures » alors que le pôle martiniquais est plus axé sur les sciences sociales.
Le risque évoqué par M. Hetzel d’une séparation des deux pôles restants dans l’université ne me semble pas écarté. Aussi devrons-nous nous montrer vigilants, et bien réfléchir à ce qu’il conviendra d’inscrire dans le cadre législatif et au rôle que nous confierons aux acteurs locaux de la gouvernance universitaire. Nous devons tenir compte de la persistance de tensions très fortes. N’oublions pas que la création de l’université des Antilles et de la Guyane, en 1982, a été concomitante aux grandes lois de décentralisation, et que des rivalités se sont exprimées à toutes les étapes de la vie de cette université. D’où l’importance d’avoir des procédures à même de permettre un débat. De ce point de vue, la gouvernance commune permettra de discuter des périmètres de compétences, des surfaces immobilières, de la répartition des dotations.
Mme Dessus m’a interrogé sur les formations à court terme et sur la lutte contre le décrochage scolaire. Le Gouvernement pourrait, par voie réglementaire, créer des IUT, dans le pôle martiniquais comme dans le pôle guadeloupéen. Il pourrait également offrir un cursus plus diversifié aux élèves de ces territoires. C’est pourquoi j’insiste sur la synergie : il serait dommage, à cause de la fragmentation des trois pôles, de se retrouver avec trois mini-collèges universitaires réduits au premier cycle. La bonne qualité d’un premier cycle dépend des perspectives sur les cycles suivants, et les étudiants doivent percevoir une réelle dynamique de la recherche à travers tous les cycles.
Mais nous n’en sommes pas encore là : il est question ici de prendre acte de la scission et d’essayer de protéger un périmètre commun pour la gouvernance de l’université des Antilles. Nous réfléchirons ensuite à l’architecture de cette université.
Nous pouvons, en tout cas, lancer un message optimiste dans la mesure où, solides sur nos deux pieds, nous avons le regard tourné vers l’avenir. J’espère que nous renouerons avec la stabilité et, surtout, que nous pourrons offrir une vraie vision pour l’université des Antilles. Ne ratons pas ce tournant important pour nos jeunes, pour notre coopération internationale, pour l’intérêt général.
M. Patrick Hetzel. Qui, du recteur de la Guadeloupe ou de celui de la Martinique, assurera pour l’État le contrôle juridique de la nouvelle entité ? Mieux vaudrait anticiper cette question sensible plutôt que d’avoir à la traiter par la suite.
M. le rapporteur. C’est une bonne question que nous poserons à la ministre en séance publique.
Mme Isabelle Attard. Le rapporteur a indiqué que les prochaines élections pour la présidence se tiendraient fin 2016, autrement dit à l’issue d’un mandat de quatre ans, alors qu’il avait précédemment mentionné un mandat de cinq ans, qui devrait donc courir jusqu’en 2018.
M. le rapporteur. Le mandat actuel est de quatre ans. C’est à partir de l’élection de 2016 que le mandat sera de cinq ans non renouvelables.
La Commission en vient à l’examen des articles, sur lesquels elle n’est saisie d’aucun amendement.
Article 1er : Ratification de l’ordonnance n° 2014-806 du 17 juillet 2014 modifiant le chapitre unique du titre VIII du livre VII de la troisième partie du code de l’éducation relatif aux dispositions applicables à l’université des Antilles et de la Guyane pour y adapter le titre V de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche
Article 1er bis : Dispositions transitoires
Article 1er ter : Dispositions de coordination
Article 2 : Ratification des ordonnances n° 2008-1304 du 11 décembre 2008 et n° 2014-807 du 17 juillet 2014, modifiant la partie législative du code de l’éducation
Article 3 : Rectification d’erreurs de codification dans le code de l’éducation
Successivement, la Commission adopte les articles 1er, 1er bis, 1er ter, 2 et 3 sans modification.
M. Frédéric Reiss. Ce texte relativement technique fait suite à la séparation de l’université de Guyane de l’université des Antilles et de la Guyane. Nous avons bien noté le souci de cohérence du dispositif proposé mais aussi que les plaies demeurent vives. Au-delà des nouvelles modalités d’administration et de gouvernance de l’université des Antilles, du ticket à trois en faveur d’une université puissante et ambitieuse, le texte préconise le regroupement de force des établissements de l’enseignement supérieur de Guadeloupe et de Martinique.
Alors que la majorité a érigé en règle que plus on est grand, plus on est fort, comme on l’a vu avec la réforme territoriale, on nous propose ici, à l’inverse, une nouvelle autonomie qui ressemble tout de même à une régionalisation de l’université. Cela dit, dans bien des cas, la proximité constitue un atout non négligeable. C’est de la qualité de leurs enseignants-chercheurs et de leurs filières que les universités de Guyane et des Antilles tireront leur attractivité et leur efficacité en matière d’insertion professionnelle des étudiants.
Au regard des questions soulevées par mon collègue Patrick Hetzel, le groupe UMP s’abstiendra.
M. le rapporteur. Il n’est pas question de proposer une régionalisation de l’université mais bien une forte autonomie doublée d’une gouvernance commune. D’où le terme « confédéral » que j’ai employé pour désigner le dispositif.
La Commission adopte l’ensemble du projet de loi sans modification.
La séance est levée à onze heures quinze.
——fpfp——
Réunion du mercredi 11 février 2015 à 9 heures 30.
Excusés. - M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, Mme Gilda Hobert, M. Guénhaël Huet, Mme Colette Langlade, Mme Annick Lepetit, Mme Lucette Lousteau, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Maud Olivier, Mme Régine Povéda, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal
Excusés. - Mme Brigitte Bourguignon, M. Bernard Brochand, M. Ary Chalus, M. Pascal Demarthe, Mme Claude Greff, M. Christian Kert, Mme Sonia Lagarde, M. Dominique Le Mèner, Mme Dominique Nachury
Assistait également à la réunion. - M. Jean-Philippe Nilor