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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 18 février 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Table ronde sur le plan de mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, réunissant Mme Lysiane Gervais, membre du bureau national du Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (UNSA-SNPDEN), Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements du second degré-FSU (SNES-FSU) et M. Norbert Trichard, secrétaire général du Syndicat national des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public (SNUDI-FO)

– Information relative à la Commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 18 février 2015

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission procède à l’audition, sous forme d’une table ronde, sur le plan de mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, de Mme Lysiane Gervais, membre du bureau national du Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (UNSA-SNPDEN), Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements du second degré-FSU (SNES-FSU) et M. Norbert Trichard, secrétaire général du Syndicat national des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public (SNUDI-FO).

M. le président Patrick Bloche. Après avoir entendu, le 28 janvier dernier, Mme Najat Vallaud-Belkacem nous présenter son plan de mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, nous avons souhaité en débattre avec des représentants des enseignants et des personnels de direction du primaire et du secondaire. Dans le respect des résultats des dernières élections professionnelles, vous incarnez, Mesdames et Monsieur, les trois premières fédérations représentatives, la FSU, l’UNSA et FO.

Les terribles événements qui ont ébranlé notre pays au début de cette année 2015 ont mis en évidence la nécessité de renforcer la transmission à nos jeunes concitoyens des valeurs qui fondent notre République, le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité », bien sûr, mais également la laïcité, trop souvent remise en cause.

Cet acte II de la refondation de l’école, que le Président de la République a appelé de ses vœux, requiert la participation de tous les enseignants et, plus largement, de tous les personnels de l’éducation nationale pour se concrétiser et faire progresser le sentiment de citoyenneté, le sens du vivre-ensemble et la culture de l’engagement, à tous les stades de la vie éducative. Nous sommes donc impatients d’entendre la position de vos organisations sur des questions qui, au-delà de l’actualité brûlante, sont essentielles pour l’avenir de notre système éducatif.

Mme Lysiane Gervais, membre du bureau national du Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN-UNSA). Le plan de mobilisation de l’école pour les valeurs de la République a pour ambition d’apporter au sein de l’école une réponse aux tragiques événements survenus début janvier et qui nous ont laissés stupéfaits, émus, mais aussi remplis d’espoir devant l’immense solidarité qu’a manifestée une grande partie de la nation lors de la marche qui s’est déroulée le 11 janvier dans toutes les villes de France. Il pose la question de la capacité de l’école française à jouer son rôle de modèle d’intégration à la société, et ce plus particulièrement pour les populations issues de l’immigration.

À cette occasion, on a beaucoup entendu, notamment dans les médias, que la coupable, c’était l’école. Certes, dans certains établissements, des élèves ont manifesté leur désapprobation voire leur hostilité face à la minute de silence organisée en hommage aux victimes des attentats. Mais faut rappeler qu’il ne s’agit que d’une minorité : moins d’une centaine d’incidents ont été signalés pour douze millions d’élèves dans soixante-quatre mille établissements. Par ailleurs, d’autres minutes de silence ont, par le passé, causé beaucoup plus de soucis – je pense notamment à ce qui avait pu se produire en 2012, au moment de l’affaire Merah.

Quoi qu’il en soit, l’attitude de ces élèves traduit souvent de leur part le sentiment d’une mise à l’écart du système éducatif. Les recherches en éducation démontrent en effet que les résultats scolaires des élèves issus de l’immigration se sont dégradés au cours des dix dernières années. Ainsi l’écart entre les résultats et les performances des élèves français depuis plusieurs générations et ceux des jeunes issus de l’immigration plus récente est-il le plus important de tous les pays de l’OCDE. L’école française a donc manifestement du mal à corriger les inégalités.

Dans certains quartiers et certains établissements scolaires, c’est un processus d’ « ethnicisation » qui semble à l’œuvre, que nous ne pouvons ignorer, et les incidents dont nous parlons ne sont pas le fait d’une communauté particulière mais sont liés, sur un territoire donné, à une homogénéité ethnique associée à des conditions sociales dégradées.

Une partie des jeunes qui vivent dans ces territoires voit bien que la population n’est pas mélangée. Cette absence de mixité génère chez eux un fort sentiment de relégation. Ces jeunes ont au quotidien la démonstration concrète que les valeurs dont on leur parle n’existent guère pour eux : il est par exemple très difficile pour un élève de troisième de trouver un stage en entreprise lorsqu’il ne porte pas le bon prénom.

Il ne faut pas non plus oublier que nous parlons ici d’adolescents, chez qui, par nature, la provocation est souvent une posture privilégiée. Ces adolescents se construisent ainsi fréquemment en adhérant à des phénomènes extrêmes et provocants, à l’image de cet « islam 2.0 » où la religion n’est souvent qu’un prétexte, une façon d’exister en servant une cause qui leur semble dépasser le désenchantement de leur quotidien.

Aujourd’hui, la transmission des valeurs s’opère à l’école, par exemple à travers l’enseignement du fait religieux. Ces valeurs sont-elles pour autant assimilées ? Font-elles sens ? En théorie, la France est un des rares pays à prévoir un programme d’enseignement obligatoire de la citoyenneté pendant toute la scolarité d’un élève, soit une douzaine d’années. Malheureusement, cet enseignement prend la forme d’heures de cours souvent noyées dans des enveloppes globales et donc rarement utilisées en tant que telles.

Les textes prévoient également l’engagement des élèves dans les instances de gouvernance des établissements – conseils de classe, conseils d’administration, conseils de la vie lycéenne. Or on connaît le faible taux de participation à ces instances et la difficulté rencontrée par les équipes pour former les jeunes au fonctionnement des organes de représentation. Par ailleurs, la faiblesse de la formation initiale et continue des enseignants dans ce domaine – quand elle existe, car souvenons-nous qu’au cours de la précédente législature, elle a été abandonnée –, explique en partie que cette partie des textes soit assez peu appliquée dans la réalité.

Enfin, le fait que l’éducation civique au collège et l’éducation civique, juridique et sociale au lycée soient des matières qui ne sont pas évaluées aux examens leur confère un statut de matières secondaires.

Au regard de ces considérations, le plan de mobilisation, avec ses onze mesures, a au moins le mérite de rassembler en un seul texte beaucoup de dispositifs qui existent déjà.

Le SNPDEN-UNSA ne peut que se réjouir du renforcement de la formation continue des enseignants et des personnels d’éducation contenu dans la première mesure et de l’élargissement, lors du recrutement puis lors de la formation initiale des enseignants, de l’évaluation, aujourd’hui focalisée sur la discipline enseignée, à des notions éducatives plus transversales.

Il approuve aussi le renforcement de l’autorité des maîtres et le rappel à la loi, car celle-ci doit s’appliquer partout, comme en dispose la mesure n° 2.

Notre organisation se félicite aussi de la mesure n° 5, qui valorise le partenariat avec les collectivités territoriales, les associations, et les nombreux partenaires éducatifs, sociaux ou artistiques.

Il salue l’augmentation de 20 % des fonds sociaux annoncée dans la mesure n° 9, car pour certains établissements pouvoir nourrir les élèves à midi est un souci.

Le SNPDEN-UNSA exprime sa satisfaction de voir la question des mixités enfin abordée sérieusement, car une répartition inégalitaire des élèves dans les établissements constitue déjà, en soi, une atteinte aux valeurs de la République. Nous rappelons ici que nous proposons la mise en place de plans d’aménagement local des mixités à l’école, afin de réunir, sur des territoires dans lesquels la mixité pourrait être renforcée sur le fondement d’un diagnostic clair établi pour chacun d’entre eux, l’ensemble des acteurs impliqués – autorités académiques, collectivités territoriales, établissements et parents – pour porter un vrai projet de mixité. Ce plan devrait inclure l’enseignement privé sous contrat. Nous préconisons même, dans les agglomérations, un découpage autour des lignes de transport qui peuvent être les outils de cette mixité.

L’école ne pourra être réellement efficace que si son action s’intègre dans un cadre plus large que le sien. J’ajoute que ce n’est pas par la crainte que l’on fera respecter les valeurs républicaines. Ainsi que l’a dit le Président de la République à l’occasion de ses vœux au monde éducatif, c’est d’une mobilisation dont nous avons besoin. Or nous craignons que ce plan ne soit qu’un catalogue de mesures, dont certaines existent déjà sans toujours donner de résultats probants sur le terrain. De notre point de vue, et comme le chef de l’État l’a précisé, c’est la mise en œuvre qui peut tout changer. Nous appelons donc de nos vœux des actions qui permettent d’offrir une vraie formation personnelle, de donner des marges d’initiative aux acteurs de la communauté éducative pour leur permettre d’innover afin de s’adapter au terrain, de travailler autour de la notion de projet avec des moyens pérennes – sur trois ans au moins –, de développer la culture et l’accès à l’art, d’établir enfin une relation de confiance entre les familles et l’école. Il est cependant paradoxalement question aujourd’hui de supprimer les moyens qui pouvaient permettre la mise en œuvre de ces actions, à savoir l’accompagnement éducatif et l’école ouverte. Quoi qu’il en soit, une politique nationale et volontariste ayant pour objectif de développer une école citoyenne ne peut se construire que sur le long terme.

Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements du second degré-FSU (SNES-FSU). Je ne m’attendais pas à intervenir devant une assemblée si nombreuse…

M. Michel Herbillon. Comment osez-vous dire cela !

Mme Valérie Sipahimalani. Monsieur le député, j’ai été auditionnée à plusieurs reprises par des commissions parlementaires, et les députés ne sont pas toujours présents en aussi grand nombre qu’aujourd’hui, en raison des très nombreuses activités que vous devez assumer.

M. Michel Herbillon. Quelle réponse politicienne !

M. le président Patrick Bloche. Monsieur Herbillon, Mme Sipahimalani s’est simplement réjouie que nous soyons ce matin si nombreux. Nous allons à présent l’écouter.

Mme Valérie Sipahimalani. Pour une fois, mon syndicat n’a pas grand-chose à redire aux propos de ma collègue du SNPDEN-UNSA. Je voudrais pour ma part insister sur la manière dont le plan de mobilisation de l’école a été accueilli par nos collègues, dans la mesure où ce plan ne pourra se traduire en faits dans les établissements scolaires si les personnels qui font vivre ces établissements au quotidien ne se sentent pas enrôlés dans cette grande aventure.

L’école s’inscrit dans le temps long. Ce plan et son contexte sont évidemment très particuliers, et nous avons tous, élèves comme personnels, été bouleversés par les événements de janvier. Mais, au risque de provoquer une nouvelle fois votre ire, je déplore que, depuis sa présentation, de nouvelles annonces aient été faites par le ministère sur le développement durable, le numérique, le harcèlement ou les chorales scolaires, preuve que l’éducation nationale a parfois du mal à établir des priorités claires et durables.

Quand les annonces se succèdent à un tel rythme, elles n’ont plus guère d’effet sur le quotidien des classes, et quand une décision est prise dans l’urgence, elle engendre souvent sur le terrain de grosses difficultés d’application. Cela a été le cas pour la minute de silence du jeudi matin 8 janvier, décidée la veille au soir et dont la mise en œuvre n’a pas toujours été simple, notamment dans les lycées professionnels, nos collègues ayant parfois dû faire preuve d’un certain courage face à des élèves, en grande difficulté sociale, qui ont pu dans certains cas particuliers se montrer agressifs. Pour beaucoup d’entre nous, la question de la laïcité et de la neutralité républicaine dans la classe ne va pas de soi, et ce sont des sujets sur lesquels nous avons besoin d’être formés. Par ailleurs, les enseignants ont également mal vécu le fait que, dans certains exemples concrets, la hiérarchie, l’institution, elle-même en difficulté, n’ait pas su les protéger et les accompagner lorsque la situation s’envenimait.

L’école n’est pas un sanctuaire, elle est le reflet de la société. Dans l’état actuel de son fonctionnement, nous considérons qu’elle ne peut pas être la source ni l’unique remède à tous les maux d’une société de plus en plus inégalitaire.

Comme le soulignait Mme Lysiane Gervais, nombre de familles hésitent face à la mixité sociale et choisissent de « fuir » vers le privé ou vers des établissements auxquels elles peuvent accéder par dérogation depuis la réforme de la carte scolaire. Cela a pour conséquence d’encourager une « ghettoïsation » de certains établissements. Tout comme la discrimination à l’embauche de jeunes diplômés ayant pourtant eu un parcours scolaire irréprochable mais domiciliés dans des quartiers réputés difficiles, il s’agit là de réalités sur lesquelles l’école a peu de prise et qui semblent démentir les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qu’on peut certes prôner mais qu’il devient difficile, dans ces conditions, de faire exister dans les classes et dans les établissements.

C’est donc sans naïveté mais avec réalisme que les personnels tâchent de faire vivre les valeurs de la République au quotidien et qu’ils haussent les épaules lorsqu’on leur demande, une fois de plus, de se mobiliser. Depuis toujours, ils sont mobilisés ; si ce n’était pas le cas, les difficultés au sein de l’école seraient bien plus grandes et les violences bien plus fréquentes.

Vous avez évoqué, Monsieur le président, l’acte II de la refondation de l’école. Nous sommes pour notre part demandeurs d’un bilan de l’acte I, sur deux points de la loi en particulier. Je pense d’abord à la « poly-sectorisation », c’est-à-dire la possibilité pour plusieurs collèges de partager, en se regroupant, un secteur de recrutement englobant plusieurs écoles élémentaires, introduite par la loi de refondation de l’école de 2013. Si j’y insiste ici, mesdames et messieurs les députés, c’est qu’un tel dispositif, destiné à améliorer la mixité sociale, dépend à la fois de l’éducation nationale et des départements, et que les élus ont donc un rôle décisif à jouer.

Une autre mesure en cours de mise en œuvre concerne l’éducation civique, juridique et sociale, dont je précise toutefois qu’elle ne concerne que les filières générales et non les lycées technologiques, Il me semble pourtant que travailler ces questions avec les élèves de la voie technologique, qui représentent 20 % des lycéens allant jusqu’au baccalauréat, serait une nouveauté bienvenue. En tout état de cause, ce qui est prévu pour la rentrée prochaine, c’est une mise en place sans moyens supplémentaires, donc probablement aux dépens du programme d’histoire-géographie, ce qui peut se révéler compliqué en particulier dans les classes de première scientifique, où les professeurs d’histoire-géographie préparent en même temps leurs élèves à l’épreuve anticipée du baccalauréat.

La proposition de redéfinition du socle commun de connaissance, de compétences et de culture a été mise en ligne par le Conseil supérieur des programmes la semaine dernière. Nous sommes un peu inquiets de la tournure prise par le domaine 3, qui recouvre en partie l’éducation morale et civique et qui nous semble aborder de manière assez caricaturale la transmission des valeurs de la République.

Pour en revenir au plan de mobilisation de l’école, il forme, selon nous, un catalogue de mesures disparates, dont certaines sont en effet innovantes, à l’image de l’idée d’une réserve citoyenne. Nous jugeons intéressant de proposer aux enseignants de pouvoir faire appel à des membres de la société civile pour ouvrir dans les classes le débat sur des sujets de société. Cela étant, ce type d’initiative s’inscrit généralement dans le cadre de projets portés par les enseignants et, si l’on veut que cela ait du sens, les intervenants ne doivent pas être programmés arbitrairement, hors de tout contexte d’enseignement. D’autres mesures en revanche existent déjà depuis longtemps ou sont en cours de mise en œuvre à la suite de la loi pour la refondation de l’école.

Pour ce qui nous concerne, notre plus grande demande touche à la formation des enseignants, en particulier sur les questions qui nous préoccupent aujourd’hui et qu’il n’est pas toujours évident de traiter. En effet, on n’aborde pas en classe ces sujets comme l’on dispense cours. Elles doivent faire l’objet d’un débat ouvert, or organiser un débat avec les élèves n’est pas une problématique pédagogique simple : jusqu’où peut-on aller ? comment gérer les dérapages ? Si les professeurs d’histoire-géographie ou de philosophie ont, en la matière, un peu de pratique, les enseignants des autres disciplines sont plus démunis.

La mesure n° 2 sur l’autorité des maîtres et les rites républicains nous semble un peu excessive lorsqu’elle recommande de signaler et de sanctionner tous les incidents qui surviennent dans les classes. Nous avons affaire à des adolescents, qu’il faut aussi parfois « éduquer », ce qui ne se fait ni par des démonstrations d’autorité ni à coup de prescriptions.

La mesure n° 6 sur la maîtrise du français répond à la question des élèves allophones. Ces derniers sont actuellement pris en charge dans des Unités pédagogiques d’élèves allophones arrivants (UPEAA), menacées par le manque de moyens. Auparavant, un élève allophone avait la garantie de bénéficier d’au moins une année entière de scolarité dans ces classes d’accueil ; aujourd’hui, s’il arrive en cours d’année scolaire, il la terminera en UPEAA mais rejoindra une classe ordinaire à la rentrée suivante. C’est beaucoup trop tôt, en particulier pour les mineurs étrangers isolés, chez qui ce processus d’apprentissage demande du temps.

Enfin, des études doivent être conduites sur le sujet, mais nous ne pensons pas que la radicalisation touche prioritairement les publics les plus fragiles – ce n’était notamment pas le cas des frères Kouachi. Au contraire, il faut probablement, pour céder à la radicalisation, faire preuve d’une capacité de réflexion que n’ont malheureusement pas nécessairement les élèves les plus en difficulté.

M. Norbert Trichard, secrétaire général du Syndicat national des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public (SNUDI-FO). J’interviens ici plus particulièrement au nom de la Fédération nationale de l’enseignement, de la culture et de la formation professionnelle (FNEC FP-FO).

Face aux tragiques événements qui ont eu lieu début janvier, nos collègues se sont sentis à la fois très seuls et très exposés, en première ligne. Dans un premier temps, ils ont eu le sentiment qu’on leur demandait beaucoup, voire tout, tout de suite, dans des conditions d’exercice de leur mission qui sont aujourd’hui difficiles. Si certains corps de fonctionnaires ont reçu, suite à ces événements, les hommages qu’ils méritaient, les enseignants n’ont pas toujours eu le sentiment d’avoir eu le droit au même traitement.

Je m’efforcerai après ce préambule de donner le point de vue de notre syndicat sur les grands principes qui ont présidé à l’élaboration des onze mesures annoncées par la ministre et qui posent, selon nous, un certain nombre de difficultés.

La première d’entre elles touche à la question de la laïcité. Nous souhaitons redire ici que cette notion renvoie pour nous à la laïcité institutionnelle, telle qu’elle est définie par l’article 2 de la loi de 1905, aux termes duquel « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Si j’y insiste, c’est que nous craignons que l’ouverture de discussions dans les écoles, collèges et lycées présente le risque majeur de cristalliser des positions et des oppositions susceptibles d’introduire du communautarisme au sein de l’école publique.

De ce point de vue, la question du choix et de la validation des volontaires bénévoles doit être abordée. La réforme des rythmes scolaires a ouvert les portes de l’école de la République à des intervenants, certes pleins de bonne volonté, mais dont ni les gestes ni les propos ne sont véritablement contrôlés. Dans nombre de communes – c’est le cas à Paris –, des associations cultuelles, subventionnées par la mairie, participent ainsi à l’organisation des temps d’activités périscolaires. C’est notamment le cas dans une commune du Gard à propos de laquelle nous avons saisi le cabinet de la ministre le 19 novembre, sans avoir à ce jour obtenu de réponse.

En 2015 vont par ailleurs voir le jour, dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires et de la mise en œuvre de la loi pour la refondation de l’école, les projets éducatifs territoriaux. S’ils comportent un volet sur la laïcité, il reviendra à chaque collectivité de l’organiser comme elle l’entend, ce qui ne nous paraît pas conforme aux principes de la laïcité institutionnelle. Principe fondateur de notre République, la laïcité ne peut être que l’affaire de l’État et ne doit pas être dévolue aux collectivités territoriales.

La seconde difficulté touche au respect de la liberté de conscience. Jean Zay déclarait en 1936 : « Les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas. » Pour l’exprimer selon nos propres termes, nous ne sommes pas partisans de la coéducation. Nous estimons que la responsabilité des parents envers leurs enfants ne peut être confondue avec celle des enseignants : elles ne sont pas de même nature, n’ont pas la même fonction sociale et ne peuvent pas se déléguer, ni dans un sens ni dans l’autre. À cet égard, ouvrir le débat dans les écoles comporte le risque de voir mis en cause, même involontairement, ce principe de la liberté de conscience des familles. L’actualité récente nous en a apporté la preuve, au travers de ces enseignants qui, ayant voulu mettre en œuvre, certes maladroitement, les consignes de la ministre, ont été sanctionnés pour n’avoir pu éviter les dérapages sur des sujets extrêmement sensibles. Ce sont des faits regrettables, dont nous ne voudrions pas qu’ils se reproduisent.

Une troisième question retient toute notre attention, celle de l’autorité des enseignants. Restaurer l’autorité des enseignants, c’est aujourd’hui leur permettre d’exercer leur mission en pleine souveraineté. Cela signifie qu’il est essentiel de renforcer la liberté pédagogique et l’indépendance professionnelle dont ils jouissent. L’une et l’autre sont en effet la garantie pour l’enseignant de pouvoir mener sa mission, qui est d’instruire, c’est-à-dire d’apprendre à la jeune génération à se tenir debout, de faire des élèves des adultes citoyens à part entière, capables de juger et de décider.

Cela ne peut se faire qu’au moyen d’un renforcement des enseignements disciplinaires, au premier rang desquels l’enseignement de l’histoire. La loi pour la refondation de l’école ne va pas précisément dans ce sens, et nous le regrettons.

La restauration de l’autorité des enseignants passe également par la revalorisation de leur rémunération. Les enseignants sont mal payés. Certains ont vu le mois dernier leur salaire net diminuer de plusieurs dizaines d’euros, ce qui ne les aide ni à vivre décemment ni à s’imposer au sein de l’école comme des piliers de la République.

Il y aurait enfin beaucoup à dire sur la manière dont le plan de mobilisation pour l’école entend restaurer l’égalité des chances. On nous parle de discrimination positive ou d’éducation prioritaire. Soit. Mais que penser de choix politiques qui ont conduit à exclure certains établissements du bénéfice des mesures de soutien associées aux zones difficiles ? Pour Force Ouvrière, restaurer l’égalité des chances passe d’abord par l’ouverture de classes et la création de postes supplémentaires.

2 511 nouveaux emplois de professeur des écoles sont annoncés dans le premier degré pour la rentrée prochaine. Si l’on défalque cependant de ces effectifs les décharges de directeur, les décharges de service dans les réseaux d’éducation prioritaires et la mise en place du dispositif « plus de maîtres que de classes », il restera au mieux cinq à six cents postes pour vingt-quatre mille cinq cents élèves supplémentaires, soit, en moyenne, un poste pour trente-huit élèves, ce qui signifie une dégradation des conditions d’études.

Que dire par ailleurs de la question des remplacements ? À Castres dans le Tarn, on compte actuellement en moyenne dix-neuf enseignants non remplacés chaque jour. Pour pallier ces situations catastrophiques, l’administration recrute des contractuels – quatre cent cinquante instituteurs contractuels à ce jour en Seine-Saint-Denis. Les réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED), les assistantes sociales, les médecins scolaires manquent eux aussi en très grand nombre.

Cette pénurie de personnels remet en cause le maillage territorial, qui est pourtant l’un des principes sur lesquels repose notre école publique. 35 % des communes ne possèdent aujourd’hui plus d’école, et le phénomène gagne le milieu urbain : des villes comme Châlons-en-Champagne ou Nevers subissent aujourd’hui des fermetures d’école.

Cela m’amène à une conclusion simple : pour Force Ouvrière, la politique d’austérité est en contradiction avec les besoins de l’école. Il est donc temps d’y mettre un terme.

M. Yves Durand. Je préciserai en préambule à mon propos que, sans faire le tour de France des fermetures de classe, ce qui nous éloignerait de notre sujet, nous avons créé des postes, là où d’autres, avant nous, en avaient supprimé.

Je me félicite que, lorsque la République se sent en danger, elle fasse d’abord appel à l’école. Certes elle ne peut régler tous les problèmes de la société, mais le fait qu’elle soit en première ligne montre à quel point les Français y sont attachés et font confiance aux enseignants pour défendre les valeurs de la République.

Or notre école est devenue inégalitaire et n’assure plus aujourd’hui la transmission des valeurs de la République à des élèves qui s’estiment, à juste titre, les victimes de cette inégalité. Cela pose la question, moins technique que politique, de l’assouplissement de la carte scolaire. L’école ne brise pas les ghettos, elle les renforce, et les études montrent qu’aujourd’hui la ségrégation scolaire est plus forte que la ségrégation urbaine. C’est la raison pour laquelle le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale a décidé de se saisir de la question de la carte scolaire.

Une fois ce constat dressé, comment transmettre les valeurs de la République ? L’éducation civique et morale, la laïcité doivent-elles être enseignées comme des disciplines à part entière ? Ne devraient-elles pas au contraire irriguer l’ensemble des disciplines scolaires, jusqu’aux mathématiques ? À l’inverse de M. Trichard, j’ai, en tant qu’ancien professeur d’histoire, la plus grande défiance vis-à-vis d’une approche trop disciplinaire de l’enseignement. C’est un des chantiers auquel doit s’atteler le Conseil supérieur des programmes.

M. Frédéric Reiss. Parmi les mesures présentées par la ministre de l’éducation nationale dans le cadre de la grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, il en est une qui consiste à évaluer la capacité des candidats aux concours de recrutement à faire partager les valeurs de la République. Qu’en pensez-vous, notamment au regard des difficultés de recrutement constatées dans certaines disciplines ? Comment, concrètement, une telle évaluation peut-elle être mise en place ?

Si nous pensons, comme la ministre, que la transmission des savoirs fondamentaux est une priorité, qui passe, pour chaque élève de l’enseignement primaire et du début du premier cycle du secondaire, par l’acquisition d’un socle commun, nous estimons également que l’accent doit être mis sur les notions de mérite et d’effort. Or, ces notions, que nous avons tenté en vain d’inscrire dans la loi pour la refondation de l’école, n’ont à aucun moment été abordées par Mme Najat Vallaud-Belkacem lors de son audition. Donner le goût de l’effort dans une école où l’autorité des maîtres, des professeurs et des chefs d’établissement est respectée est pourtant, à nos yeux, essentiel. On dit souvent que l’ascenseur social est en panne : ne pensez-vous pas qu’il serait plus approprié, pour mettre en exergue cette notion d’effort, de parler d’escalier social ?

Nous sommes tous d’accord aujourd’hui pour admettre que les enseignants doivent être mieux formés, nous attendons beaucoup en la matière des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Cela étant, vous avez cédé à la rengaine bien connue selon laquelle la formation des maîtres aurait été sacrifiée entre 2007 et 2012. C’est faux : permettez-moi de rappeler que c’est la période où a été mise en place, avec l’approbation de tous, la mastérisation, ce qui a en effet induit certains dysfonctionnements, mais sur une année seulement, qui fut une année charnière.

Vous n’avez pas abordé un autre chantier prioritaire, celui de la maîtrise du français. Nous sommes très favorables à la proposition de la ministre de mettre en place au début du CE2 une évaluation permettant de diagnostiquer les élèves en difficulté. Qu’en pensez-vous, sachant qu’il ne s’agit pas ici de rouvrir la controverse sur la suppression des notes, la ministre s’étant pour sa part bien gardée de préciser si elle entendait conserver le système des notes chiffrées ?

Le Conseil national d’évaluation du système scolaire dont je fais partie travaille sur la manière d’évaluer scientifiquement les performances de notre école. Cela étant, il est encore un peu tôt pour dresser un bilan de la loi pour la refondation de l’école.

Madame Gervais, vous avez évoqué les difficultés propres à l’enseignement professionnel. Quelles sont, selon vous, les solutions qui permettraient de revaloriser l’enseignement technique et la formation en alternance ?

Vous avez également abordé la question des rythmes scolaires. C’est pour moi l’occasion de signaler que, en dépit des propos de la ministre, selon qui des progrès en matière de lecture sont déjà visibles, une étude a révélé que 75 % des enseignants ne voyaient aucun bénéfice à la réforme des rythmes sur les élèves.

Enfin, Mme Valérie Sipahimalani estime que l’école n’est pas un sanctuaire. À titre personnel, je pense que l’école doit être un sanctuaire ouvert sur le monde qui l’entoure.

Mme Barbara Pompili. On demande beaucoup à l’école, car elle a un rôle central dans la formation des citoyens. Il est donc essentiel que nous l’aidions à renforcer chez les jeunes le sentiment d’appartenance à une communauté nationale. C’est évidemment un processus de long terme, et il serait erroné de croire qu’on résoudra tous les problèmes d’un coup de baguette magique. Après la loi pour la refondation de l’école, qui ébauchait déjà plusieurs pistes pour développer les parcours citoyens, les événements survenus en début d’année nous obligent aujourd’hui à nous interroger sur la manière de faire évoluer notre école.

La question des inégalités territoriales et sociales doit nous faire reconsidérer la réforme de la carte scolaire, sachant qu’il existe toujours des stratégies de contournement, notamment vers le secteur privé, lequel mériterait sans doute d’être inclus dans la carte. Qu’en pensez-vous ?

J’ai toujours pensé que l’autorité ne se décrétait pas. En revanche j’estime qu’il est essentiel de redonner aux enseignants, dans le respect de cadres définis, toute la liberté pédagogique dont ils ont besoin pour exercer leur métier, qui est avant tout d’apprendre à apprendre. Il faut pour cela créer du débat, car, selon moi, l’éducation ne se résume pas à l’apprentissage de matières statiques. Il faut favoriser les expérimentations, ce qui n’est pas toujours possible, selon les établissements. Comment faire, donc, pour développer ces expérimentations pédagogiques ?

La formation des professeurs est en effet un point essentiel, qu’il s’agisse de la formation initiale ou de la formation continue. Elle doit porter sur le vivre-ensemble, la gestion des conflits et l’accueil des élèves en difficulté. En ce qui concerne le concours de recrutement, ne pensez-vous pas que l’établir à la fin de la troisième année de licence permettrait de disposer ensuite de deux années complètes de formation ?

Certains ont parlé d’une école sanctuaire, étanche aux problèmes de la société. On sait bien que la réalité est tout autre, que l’école est inscrite dans son environnement et que trop de cloisonnements sont peut-être à l’origine des problèmes que nous connaissons aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu, avec la loi pour la refondation de l’école, l’ouvrir vers l’extérieur, notamment grâce à la réforme des rythmes scolaires. Cette réforme a certes pu poser, ici où là, certains problèmes, mais les projets éducatifs territoriaux doivent, dans ce domaine, permettre de rassembler tous les acteurs concernés autour de la table, la validation de ces projets par le rectorat me semblant au final de nature à empêcher toute dérive communautariste.

J’insiste enfin sur le fait qu’il est essentiel que les parents ne soient plus, comme ils le sont, exclus de l’école. Toutes les expérimentations ont montré en effet que leur plus grande implication dans la vie de l’école était toujours source d’amélioration.

M. Jean-Noël Carpentier. Bien au-delà du plan de mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, vos interventions ont porté sur les grandes questions qui taraudent les acteurs de notre système éducatif.

Notre pays a certes été secoué par les événements récents, mais ces événements n’ont pas surgi d’un ciel serein pour fondre sur une société française apaisée. Le terrorisme qui nous a frappés vient de loin. Il s’est développé en France mais trouve ses racines à l’étranger, dans un monde qui souffre d’une mauvaise répartition des richesses. Il serait donc inconséquent de faire porter la responsabilité de ces drames à notre système éducatif, ce qui ne l’empêche pas de devoir procéder, ainsi que la loi pour la refondation de l’école l’y pousse, à sa modernisation. Le constat est là, confirmé par les enquêtes PISA : notre système éducatif ne va pas bien. Entre 20 et 30 % des jeunes Français sortant du CM2 ne savent pas lire, il faut donc remédier à cette situation.

Plus spécifiquement, la mobilisation de l’école pour les valeurs de la République est un chantier complexe, qui nécessite que travaillent ensemble tous les acteurs impliqués. Il faut, sur ce point, répondre aux inquiétudes fortes exprimées par les enseignants sur le délitement du lien qui les unit aux autres membres de la société.

Certes, il faut restaurer l’autorité des maîtres, mais sans confondre autorité et autoritarisme. Il faut surtout renforcer leur formation, et notre majorité a ici beaucoup à faire pour réparer le mal profond causé par l’ancienne majorité. Il faut enfin que la République reconnaisse mieux ses enseignants. Cela passe d’abord par leur plus grande implication dans les mesures adoptées par le législateur pour réformer l’école. Il faut surtout revaloriser leurs salaires, en particulier dans le premier degré.

L’école ne pourra pas s’en sortir seule. C’est aidée par le reste de la nation qu’elle surmontera ses difficultés. Elle doit pour cela pouvoir travailler en confiance avec les parents d’élèves, chacun à sa place, assumant le rôle qui est le sien. Ce n’est qu’au travers du dialogue que nous ferons vivre les valeurs de la République.

Mme Marie-George Buffet. Non seulement l’école n’est pas responsable de tous les maux de notre société, mais elle fait encore beaucoup pour engager chaque enfant sur la voie de la connaissance et la voie de la citoyenneté.

Ce qui pose problème à l’école aujourd’hui, c’est le contexte dans lequel elle évolue. On ne peut pas parler d’apartheid ou de relégation – je préfère pour ma part les termes d’inégalités et d’injustice – et penser que l’école peut continuer à jouer son rôle d’ascenseur social.

L’école souffre par ailleurs du décalage entre les annonces faites par les gouvernements successifs et leur mise en œuvre, souvent compromise par le manque de moyens. La scolarisation précoce est à cet égard un exemple éclairant de mesure dont l’annonce n’a été que très partiellement suivie d’effets.

Je conçois qu’il ne soit pas évident d’aborder dans les classes des questions comme la laïcité, la liberté ou l’égalité sans y être préparé, face à des élèves ayant déjà sur le sujet des opinions forgées à l’extérieur. Comment pensez-vous qu’une formation sur ces questions puisse être assurée au sein des ESPE ? Qui pourrait la prendre en charge ?

L’éducation morale et civique doit-elle constituer une discipline en soi ? Je suis sceptique à ce propos, mais peut-être me contredirez-vous. Ne doit-elle pas, au contraire, traverser l’ensemble des disciplines, et le cas échéant de quelle manière ? La citoyenneté ne se résume pas à la laïcité. Elle englobe évidemment le rapport que le jeune entretient avec la société mais aussi son rapport à la connaissance, à la maîtrise de soi et à son avenir.

Je ne suis pas contre l’idée des réservistes, dès lors qu’ils s’intègrent dans un projet clairement défini par l’enseignant, mais selon quels critères décider que tel ou tel a les compétences pour intervenir au sein de l’école ?

Je suis en revanche très réservée sur la notion de coéducation. Les parents ont certes un rôle à jouer, mais l’adolescent doit pouvoir, à un moment donné, bâtir à l’intérieur de l’école son propre itinéraire, hors du regard de la famille. L’école, en particulier pour les jeunes filles, doit être un lieu d’émancipation.

Enfin, pensez-vous que les élèves non francophones doivent directement intégrer l’école ou qu’il faut au préalable les accueillir dans des structures spécialisées ?

Mme Colette Langlade. Madame Gervais, vous nous avez dit que la France était un des rares pays à enseigner la laïcité, en regrettant que les heures consacrées à cet enseignement soient diluées dans les heures affectées à d’autres matières, par exemple l’éducation civique, juridique et sociale, qui n’est pas évaluée aux examens. Faut-il donc, selon vous, que la laïcité devienne une discipline à part entière ?

La communication avec les parents d’élèves est souvent inexistante ou rendue difficile par les appréhensions que ces derniers nourrissent vis-à-vis d’une institution chargée de transmettre des savoirs qu’eux-mêmes maîtrisent mal. Pensez-vous que les comités départementaux d’éducation à la santé et à la citoyenneté soient de nature à améliorer les choses ?

Mme Annie Genevard. Nous sommes à la charnière entre deux mondes. Il y a eu le monde d’avant où l’enseignant, par sa fonction, était respecté, maître de sa pédagogie dans sa classe ; où l’intérêt des politiques pour l’éducation se mesurait aux seuls moyens matériels consentis ; où les difficultés rencontrées dans l’école s’expliquaient par les inégalités sociales ; où le dogme dominant était le modèle multiculturel. Il y a désormais le monde d’aujourd’hui, tel qu’il apparaît au travers de cette Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, où l’on affirme l’importance de l’autorité ; où l’on associe les parents et les élus locaux au processus d’éducation ; où l’on célèbre les rites républicains et le drapeau ; où l’on souligne l’importance du français, langue de la République, ce qui n’exclut en rien le respect des cultures d’origine ; où Benoît Hamon prononce, il y a quelques jours à peine, cette phrase inimaginable dans sa bouche quand il était ministre : « Les problèmes de l’école ne sont pas seulement des problèmes de moyens » !

Ce sont des changements considérables mais beaucoup reste à faire. À l’heure où l’on parle de ségrégation, de ghettos et où domine la rhétorique de la victimisation, comment faire en effet pour que les jeunes acceptent de se rallier à l’idée d’une communauté nationale ? C’est à cela qu’il faut travailler, conformément aux préconisations incluses dans le domaine 3 du socle commun de connaissances et de compétences, en vertu desquelles « l’école permet d’acquérir la capacité de juger par [soi]-même en même temps que le sentiment d’appartenance à la collectivité ».

Des expériences intéressantes sont conduites au sein de l’école privée – et c’est un pur produit de l’école publique, où j’ai enseigné, qui vous parle –, je songe par exemple au cours Alexandre-Dumas de Montfermeil, école pilote de la fondation Espérances banlieues, et l’enseignement privé n’a pas pour seule fonction d’offrir une solution alternative au public. J’aimerais donc votre avis sur ces expériences, sur l’autonomie des établissements et sur les innovations pédagogiques permettant de lutter contre le décrochage scolaire.

Je partage enfin votre sentiment sur les insuffisances de rémunération et de considération sociale dont souffrent les enseignants.

Mme Valérie Corre. La coéducation ne consiste pas à nier que les parents ont un rôle et que les enseignants en ont un autre mais à admettre que ces deux partenaires doivent travailler ensemble à l’éducation des enfants. Tant que ce ne sera pas le cas, on pourra élaborer tous les plans possibles et mettre à disposition de l’école tous les moyens imaginables, on n’arrivera à rien.

L’école n’est par ailleurs pas la seule responsable de tous les maux qui la touchent. Pour que chaque enfant y trouve sa place et pour mieux lutter contre les inégalités, il faut donc, au-delà de l’équipe éducative, une implication de tous les partenaires. C’est dans cette perspective que la mesure 4 du plan de mobilisation entend associer pleinement les parents d’élèves à l’école, selon le souhait sans cesse réaffirmé par la ministre depuis son entrée en fonction. Les enseignants ont-ils conscience de la nécessité de resserrer ces liens ? Avez-vous des propositions concrètes pour les associer davantage à la vie de l’école ?

Quel est enfin votre sentiment sur la réserve citoyenne ? Pensez-vous que l’école soit capable de l’accueillir ?

M. Patrick Hetzel. Il y a quelques jours, un cimetière juif a été profané dans ma circonscription. Les coupables sont des lycéens, âgés de quinze à dix-sept ans, et l’on est immanquablement tenté, dans ces conditions, de mettre en cause notre système éducatif.

Monsieur Trichard, vous nous avez déclaré que les enseignants se sentaient seuls et très exposés. Qu’attendent-ils de l’Éducation nationale ? Comment l’institution doit-elle agir pour les débarrasser de ce terrible sentiment ?

Quelle place faut-il réserver aujourd’hui à l’autorité au sein de notre système éducatif ?

Que pensez-vous des expérimentations comme celles évoquées tout à l’heure s’agissant du cours Alexandre-Dumas ? Faut-il les généraliser ?

J’ajoute que, pour ma part, je ne fais pas partie de ceux qui sont favorables à la coéducation et que je distingue fortement ce qui relève de la responsabilité des parents et ce qui relève de la responsabilité des enseignants.

Mme Sandrine Doucet. Nous sommes confrontés à un défi : reconstruire une école soumise à de multiples injonctions – notamment depuis les tragiques événements du mois de janvier. Certains demeurent perplexes sur le lien entre cette actualité et l’école, mais cette dernière a un rôle à jouer parce qu’elle est le seul lieu de passage obligatoire de toute notre jeunesse.

Le Conseil supérieur des programmes, auquel j’appartiens, prépare la mise en place d’un enseignement moral et civique qui doit s’adresser à tous, y compris aux apprentis et aux lycéens relevant des voies générale, technologique ou professionnelle. Pourquoi êtes-vous inquiets ? Le projet envisagé montre qu’il ne s’agira pas d’un enseignement hors-sol puisqu’il se rattachera à des activités diverses.

Je rappelle à nos collègues de l’opposition, qui s’émeuvent aujourd’hui de la transmission des valeurs républicaines, que, durant la dernière législature, ils ont décidé de supprimer l’enseignement de l’histoire en classe de terminale, alors qu’il traitait notamment des institutions.

M. Michel Herbillon. Nous sommes évidemment d’accord sur la nécessité de restaurer l’égalité des chances, de lutter contre les discriminations, et de rétablir l’autorité des enseignants dont il faut améliorer le statut, l’autonomie, la formation et la rémunération. Il me semble toutefois que vous avez tous les trois davantage parlé de la société que de l’école.

Cette table ronde porte sur le plan de mobilisation de l’école pour les valeurs de la République. Quelles sont les mesures de ce plan qui vous paraissent les plus pertinentes, et celles qui vous semblent pouvoir être rapidement mises en œuvre ? Comme M. Patrick Hetzel, je souhaite savoir ce que vous attendez précisément de l’Éducation nationale.

Pouvons-nous avoir votre avis sur la réforme des rythmes scolaires ? Parmi les trois ministres de l’éducation nationale qui se sont succédé en deux ans, le premier s’est focalisé sur ce sujet qu’il estimait être le débat le plus décisif pour l’éducation, le deuxième n’a pas eu le temps de traiter autre chose que des grandes vacances, puisqu’il n’a même pas géré une rentrée, et la troisième, avant de se mobiliser pour les valeurs de la République, s’est beaucoup préoccupée de théorie du genre. Que pensez-vous des résultats d’une réforme qu’il a fallu imposer aux enseignants, aux communes, et aux parents d’élèves ? Les représentants du peuple ont, comme vous, du mal à obtenir une réponse sur ce sujet de la part de la ministre – je l’ai interrogée à plusieurs reprises ; j’attends toujours. Quels sont les retours de la part des enseignants sur cette réforme ?

Mme Marie-Odile Bouillé. Les événements que nous avons vécus en France, et ceux qui se sont produits à Copenhague, ont montré la nécessité de mettre en avant les valeurs de notre république auprès des plus jeunes.

Durant de nombreuses des années, l’éducation nationale a été mise à mal à force de suppressions de postes, de formations pour les enseignants, et de moyens.

Onze mesures ont été annoncées par la ministre pour une grande mobilisation pour les valeurs de la République. Il s’agit de mettre la laïcité et la transmission des valeurs républicaines au cœur de la mobilisation scolaire, de les positionner auprès des autres apprentissages, mais aussi de développer la citoyenneté et la culture de l’engagement avec tous les partenaires de l’école. Parmi ces partenaires, je pense à tous ceux de la vie culturelle d’un territoire.

L’éducation artistique contribue à l’épanouissement personnel. Elle forme la sensibilité des élèves, et elle constitue un outil idéal d’accès à la démocratisation de la culture et à l’ouverture d’esprit. Elle positionne l’élève dans une démarche active en le plaçant à l’articulation des œuvres, des lieux de création et de représentation, en face-à-face avec des artistes grâce à diverses médiations. Vous-mêmes, représentants du monde éducatif, comment envisagez-vous la place de l’éducation artistique et culturelle dans l’école de demain ?

La ministre propose aussi d’associer pleinement les parents d’élèves et de développer les temps d’échange avec eux. Comment envisagez-vous leur place et leur rôle ?

Mme Dominique Nachury. Nous croyons tous à l’école mais nous savons tous qu’elle ne peut pas tout résoudre. Il y a des maux qui s’expriment mais aussi beaucoup de mots ! Les principes républicains et la laïcité ne peuvent pas être que des concepts et des enseignements ; ils doivent se vivre ! Quelles mesures concrètes pourraient être prises pour les faire vivre au sein des établissements ?

Mme Sophie Dessus. Tous les Français sont passés, passent ou passeront par l’école ; le sujet nous concerne donc tous.

L’autorité constitue manifestement un enjeu mais peut-être le mot n’est-il pas le bon…

Mme Claude Greff. C’est un vilain mot ?

Mme Sophie Dessus. Pas du tout mais il braque parfois inutilement. Ne pourrions-nous pas le remplacer par le mot « respect » ? Il s’agit bien du respect de l’enseignant par l’élève et par la famille – si cette dernière respecte la parole du professeur, ce dernier sera respecté par l’enfant. Ce qui est en jeu est aussi peut-être la relation au savoir de ceux qui se croient exclus de la connaissance et de la culture, et qui remplacent l’enseignement et les maîtres par les réseaux sociaux, apparemment plus facilement et rapidement d’accessibles. Comment les enseignants peuvent-ils aider les jeunes confrontés à la multiplicité de ces réseaux ?

Il faut aussi poser la question du maillage territorial en milieu rural. Est-il préférable de maintenir un collège accueillant quatre-vingts ou quatre-vingt-dix jeunes en milieu rural, ou de renforcer les établissements alentours ? Dans le premier cas, on aura une faible mixité, peu d’options proposées, et une émulation limitée. Dans le second cas, il faudra que les collectivités mettent en place un système de transport scolaire adapté, mais les enfants bénéficieront de davantage d’options, et la mixité sociale sera plus forte. Il s’agit de questions complexes que les élus sont couramment amenés à se poser.

M. Ary Chalus. Faut-il attendre qu’un drame impliquant les jeunes se déroule pour que nous nous interrogions sur le rôle de l’école ? Il serait sans doute plus judicieux de questionner le terme « éducation » en dehors de ce contexte, et de s’interroger sur la mission de l’école. Est-elle faite pour éduquer, ou pour instruire et former ? Disposons-nous des outils nécessaires à cette formation ?

La notion de coéducation me pose un problème. Dans la commune dont je suis le maire, en Guadeloupe, nous avons mis en place un Conseil des droits et des devoirs des parents, qui a permis que beaucoup de jeunes retournent à l’école. Les parents et les enseignants ont des responsabilités différentes. L’enseignant n’est pas chargé de faire l’éducation de l’enfant ; ce rôle revient aux parents, à la famille. Les professeurs sont là pour instruire, former et enseigner. L’Éducation nationale elle-même porte sans doute mal son nom.

L’autorité des enseignants constitue aussi un problème. Pourtant les jeunes ne rêvent que de s’en remettre à une figure d’excellence – ils portent sur leurs tee-shirts les effigies des meilleurs footballeurs du monde. Les enseignants ne méritent-ils pas une vraie formation pour que les jeunes veuillent s’identifier à eux ? Il n’y a pas si longtemps, les élèves étaient nombreux à vouloir devenir professeurs parce que ceux qui étaient devant eux les inspiraient. La rémunération des enseignants devra aussi être revue. On peut redresser une barre de fer en la chauffant, mais une branche qui pousse mal, on ne la redresse pas ; on la scie.

M. Christophe Premat. Élu de la troisième circonscription des Français de l’étranger dans laquelle se trouve le Danemark, touché par les attentats du 14 février dernier, je me permets de m’associer à la douleur du peuple danois et à celle des Français vivant dans ce pays, parmi lesquels notre ambassadeur, M. François Zimeray, visé ce jour-là. De façon traumatique, la séquence des événements danois reproduit celle des attentats parisiens des 7 au 9 janvier dernier.

Même si le mode de sécularisation danois n’est pas le nôtre, la même question se pose à tous : comment accompagner le dépassement des identités vers une citoyenneté qui soit le lieu des valeurs communes ? C’est l’enjeu du parcours citoyen qui a été évoqué ce matin. Pour donner un contenu à la laïcité, il est impossible de se contenter de raisonner en termes de neutralité. Donner la passion de la laïcité, c’est permettre de la distinguer, et cela nécessite, en conséquence, de connaître d’autres contenus.

La France a la chance de disposer dans son enseignement d’une discipline née en même temps que la République et la laïcité : la philosophie. Peut-être pourrait-elle être enseignée plus tôt dans le parcours scolaire ?

Dans le passage de l’identité à la citoyenneté nous savons l’importance de l’enseignement des langues et cultures d’origine. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Patrick Vignal. Permettez-moi d’apporter un témoignage qui permet de réfléchir à la question de la cohésion sociale. Je suis le député de Lunel, une ville d’où plus de vingt jeunes et moins jeunes sont partis faire le djihad en Syrie, une ville dont six jeunes habitants sont morts en servant de chair à canon, une ville dans laquelle des enfants de quatorze à quinze ans proclament fièrement sur les réseaux sociaux que « Plus tard, j’irai rejoindre mes frères ! ». Lunel est une ville très fragmentée et difficile.

J’ai décidé de rencontrer les enseignants directement pour savoir ce qui se passait sur le terrain. J’ai aussi rencontré des parents d’élèves, avant de réunir ces deux groupes. Dans ce cadre, nous avons constaté que les parents souhaitaient s’exprimer et qu’ils avaient beaucoup à dire, mais aussi que les enseignants étaient heureux de se sentir accompagnés, y compris par les élus. Pour moi, l’école n’est pas un sanctuaire : elle fait partie d’un parcours de vie de nos enfants qui va de la maternelle à la faculté.

L’essentiel du problème provient de la ghettoïsation. Deux collèges sont implantés à Lunel : le collège Frédéric Mistral, dans une zone sensible, est fréquenté par les jeunes issus de ZUP, et le collège Ambrussum, dans lequel sont inscrits les enfants des villages. Il faut changer cela progressivement ; nos enfants doivent grandir ensemble afin que, demain, ils puissent vivre ensemble. Il faut s’inspirer du modèle américain de brassage appuyé sur les réseaux de transport, le busing, qui permet de faire venir les élèves dans des établissements s’il le faut plus lointains pour garantir la mixité.

Je crois que nous nous sommes trompés en installant les équipements au bas des immeubles – ce que j’ai fait lorsque j’étais adjoint chargé de la cohésion sociale, du sport, et de la démocratie participative de la ville de Montpellier. Ce n’est pas en ouvrant la médiathèque, le club de sport et les locaux associatifs sur place que nous donnons aux jeunes les clefs de la ville. Il serait au contraire temps de faciliter la mobilité urbaine. Les maires doivent donner aux jeunes les moyens de se déplacer gratuitement, et les parents doivent pouvoir les accompagner. Je crois à l’alchimie humaine et aux échanges. Il faut en finir avec l’entre-soi et avec la réciprocité des mépris.

Dans ma ville, j’ai lancé un appel à projets citoyens sur la laïcité, la République et la famille. Au sein d’un parlement des enfants, nous travaillons avec deux cents enfants, les enseignants, les parents d’élèves. Notre pays compte plus de six cent mille élus : si chacun se rendait dans une école et expliquait la démocratie, les choses avanceraient. Nous mobilisons aussi les étudiants, les retraités, et le monde associatif. Cela peut faire peur aux enseignants, mais ils comprennent que nous devons travailler tous ensemble. Chacun ne peut pas rester dans sa caste, celle du riche, du pauvre, de l’enseignant, du politique, etc. Nous ne ferons de société qu’ensemble.

Mme Anne-Christine Lang. Quelle formation peut selon vous permettre aux enseignants d’être mieux préparés à traiter de la laïcité et à répondre à leurs élèves ? Comment apporter une formation plus transversale au sein des ESPE ?

Nous connaissons les difficultés rencontrées pour mettre en place l’enseignement commun d’éducation civique, juridique et sociale et les travaux personnels encadrés. Des questions identiques vont se poser pour l’enseignement de la laïcité. Que proposez-vous en la matière ? Votre approche est globalement disciplinaire alors qu’une approche transversale paraît nécessaire.

Les enseignants se sont retrouvés très seuls pour expliquer la laïcité et les valeurs de la République, qui sont pourtant l’affaire de tous. La réserve citoyenne ne peut-elle pas constituer une solution qui permettrait à toute la société de se mobiliser à vos côtés ?

Mme Martine Martinel. M. Trichard suggère que les débats sur la laïcité dans les collèges et les écoles risquent de provoquer une cristallisation du communautarisme. Comment justifiez-vous cette crainte ? L’enseignement du fait religieux et d’ores et déjà au programme, et il me semble que ces sujets peuvent être traités sans nourrir le communautarisme.

Que pensez-vous du parcours éducatif citoyen allant de l’école élémentaire à la terminale ?

Quid du plan de lutte contre le décrochage scolaire que vous n’avez pas vraiment eu le temps d’évoquer ?

Mme Lysiane Gervais. Certains d’entre vous m’ont demandé ce que nous attendions de l’Éducation nationale.

La mixité au sein des établissements constitue l’une de nos revendications majeures car il s’agit selon nous des prémices d’un véritable vivre-ensemble. Évidemment, la mixité n’est pas toujours facile car des cultures différentes peuvent s’affronter, mais un travail approfondi permet de dégager un résultat citoyen.

De façon quasi prémonitoire, une circulaire du ministère datée du 7 janvier 2015 est consacrée à « l’amélioration de la mixité sociale au sein des établissements publics du second degré ». Elle répond à nos vœux et permet d’interroger sur le terrain les collectivités territoriales, les autorités académiques, les responsables d’établissement, les enseignants et les parents. Nous avancerions vers une réelle mixité si, dépassant une géographie de proximité, nous assurions une mobilité au sein des agglomérations.

Je ne suis pas certaine que la formation actuelle des enseignants dans leur seule discipline, bien qu’elle soit excellente, leur permette toujours de transmettre la connaissance à trente ou trente-cinq jeunes d’horizons culturels, sociaux et scolaires différents. Une formation à des notions transversales permettrait sans doute d’améliorer les conditions de la transmission en les rendant plus harmonieuses – an particulier pour les plus jeunes enseignants.

Au sein des conseils pédagogiques d’académie, les enseignants ont pu débattre du projet de nouveau programme d’éducation morale et civique. Dans celui auquel j’ai participé, la notion de transversalité faisait consensus autour d’une question : comment transmettre des valeurs dans une seule discipline en ignorant les autres et la vie scolaire tout entière ? Le débat a malheureusement été clos lorsque le ministère a décidé que cet enseignement serait effectué à moyens constants, au détriment des heures d’histoire et géographie. Nous restons donc toujours entre deux eaux.

Vous avez été nombreux à parler d’autorité. Elle constitue pour nous un préalable indispensable. Cependant elle ne se décrète pas ; elle se construit. Elle se fonde sur une relation de confiance, même si les instruments de sanctions sont ensuite nécessaires. Elle passe par un travail en commun quotidien, et par un contact avec les parents et de multiples partenaires éducatifs et sociaux situés sur un territoire. Il s’agit en définitive de permettre à l’élève de se sentir bien dans un établissement, et de susciter chez lui un sentiment d’appartenance.

Mme Valérie Sipahimalani. Qu’attendons-nous de l’Éducation nationale ? Nous demandons à l’institution un soutien qui passe par le respect de la profession des personnels enseignants et d’éducation, une certaine continuité dans l’action et des priorités claires.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la proposition de constituer une réserve citoyenne. Pourtant la présence d’intervenants extérieurs dans les établissements n’est pas une nouveauté : le concours de la résistance ou la semaine de la presse à l’école donnent par exemple régulièrement l’occasion de recevoir des personnalités étrangères au monde éducatif.

De grands progrès ont déjà été accomplis concernant le rôle des parents d’élève, même s’il n’est pas toujours facile pour les enseignants d’être confrontés à leurs demandes. Il faut sans doute faire mieux pour les rassurer. À vrai dire, les enseignants rencontrent toujours les mêmes parents, et c’est bien souvent ceux qui n’ont pas de problèmes dans leurs relations avec l’école. Le problème, ce sont les autres parents, ceux qui ne viennent jamais à l’école, quelles que soient les stratégies déployées par l’Éducation nationale. Des travaux de recherche et des expérimentations sont en cours sur ce sujet et j’espère qu’elles sont prometteuses (je songe notamment à la collaboration du SNES-FSU avec ATD Quart Monde pour s’adresser aux parents en situation de très grande pauvreté).

Nous ne résumons pas l’enseignement privé à la somme des stratégies d’évitement du secteur public. Le privé connaît de belles réussites, et il rencontre également de réelles difficultés. Il faut cependant se demander si nous admettons l’existence de « collèges ghettos ». J’insiste pour ma part sur la disposition de la loi de refondation de l’école relative à la possibilité de partager un même secteur de recrutement entre plusieurs collèges, cette possibilité de « poly-sectorisation » si importante pour la mixité mais qui repose sur une coopération entre les directions académiques des services de l’éducation nationale et les départements.

Bon nombre de nos élèves sont en conflit de loyauté entre ce qu’ils vivent dans leur famille et à l’école. Ce conflit a été particulièrement puissant lors de la minute de silence consécutive aux événements du mois de janvier, ce qui a pu provoquer des « explosions ». Certains de ces comportements correspondaient aussi à des demandes, indéniablement maladroites, d’élèves qui souhaitaient obtenir des explications parce qu’ils entendaient chez eux un discours très différent de celui tenu par leurs professeurs.

L’autorité est essentielle et je répète à mon tour qu’elle ne se décrète pas. Il faut des sanctions et des rappels à la loi, mais notre posture professionnelle est avant tout éducative. Notre mission est bien d’instruire et d’éduquer. Ce dernier terme a toute sa place car l’école est une petite société avec ses défauts, ses avantages, ses bonheurs et ses difficultés au quotidien. La vie en société commence là. Cela dit, nous évaluons difficilement les empreintes que nous laissons sur nos élèves, notamment en matière de citoyenneté et de laïcité. Je mesure plus facilement les acquis de mes élèves de terminale concernant la méiose que ce que j’ai pu construire avec eux autour des valeurs de la République !

Mon syndicat est très attaché à la conception républicaine française de la laïcité. La morale est d’ores et déjà inscrite au programme de philosophie de terminale. Nous estimons que nos collègues qui enseignent cette discipline sont compétents pour parler de morale et que leur approche est particulièrement rigoureuse en la matière. Nous demandons que cet enseignement soit dispensé en lycée professionnel, et qu’il soit inscrit au programme de la voie générale et technologique dès la classe de première, voire même en amont. Une expérimentation a à cet égard été menée en classe de seconde il y a quelques années, sur laquelle un bilan serait intéressant.

La laïcité peut être abordée dans toutes les disciplines. En sciences de la vie et de la terre, il est par exemple possible d’aborder la question des opinions, des faits scientifiques et des croyances lorsque l’on aborde les sujets de l’évolution ou de la sexualité. La neutralité dans la classe peut se travailler à ce moment : il s’agit de réfléchir avec les élèves sur ce qui peut se traiter dans la classe et sur ce qui ne s’y traite pas. Les opinions peuvent s’exprimer mais elles s’arrêtent devant les faits scientifiques. Chacun est libre de ses croyances, mais il doit respecter celles de l’autre parce que nous vivons ensemble.

Même un cours de science permet d’aborder ces sujets ! Mais cela sera d’autant plus facile que les programmes le permettront, ce qui n’est pas encore le cas. Aujourd’hui, je ne peux pas discuter avec mes élèves de ce qu’est un fait scientifique, car ce sujet n’est pas au programme. Autrement dit, lorsque je présente des faits devant mes élèves, ils peuvent parfaitement croire qu’ils ont affaire à une croyance puisque l’enseignement de la différence entre ces deux notions n’est pas prévu par les programmes scolaires. Nous attendons donc du Conseil supérieur des programmes et du Conseil national d’évaluation du système scolaire une évolution en ce domaine.

L’enseignement moral et civique doit prendre la place de l’éducation civique au collège et de l’éducation civique, juridique et sociale au lycée, sauf pour la voie technologique. Évidemment, les élèves peuvent apprendre certains contenus, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais il faut aussi qu’ils vivent certaines situations pédagogiques dans toutes les matières. Nous devons avoir les moyens de mettre en place des pédagogies de coopération qui permettent de travailler par petits groupes en veillant à favoriser la « mixité » des niveaux scolaires, car les recherches montrent que les progrès de tous seront supérieurs si l’on ne crée pas des groupes « au mérite ». Il ne faut pas oublier les instances de la vie scolaire comme le conseil de la vie lycéenne ou les délégués de classes. Elles fonctionnent mal sur le terrain parce que nos structures de vie scolaire sont débordées et parce que les lycéens, concentrés sur le baccalauréat, avouent eux-mêmes très souvent ne pas s’y intéresser.

Comme le dit l’expression, tout le monde a envie de savoir mais personne n’a envie d’apprendre. Développer le goût d’apprendre, ce n’est pas simple, et cela s’évalue difficilement. Nous devons aussi susciter l’envie de l’engagement, sans que le refus de s’engager soit pour autant dévalorisé ou sanctionné, car l’engagement est un acte de liberté.

M. Norbert Trichard. La place prépondérante de l’enseignement disciplinaire s’inscrit dans le combat quotidien et perpétuel des enseignants qui est au cœur du rôle de l’école publique : celui du savoir contre l’obscurantisme. Les enseignants ne sont pas les seuls à mener ce combat, mais tel est bien leur rôle. Et il est d’autant plus difficile à relancer que les résultats de leurs actions ne sont pas immédiatement quantifiables et évaluables.

Mon organisation syndicale ne s’est pas exprimée spécifiquement sur cette question, mais je devine que nous ne serons guère favorables à un enseignement de la laïcité isolé en tant que tel. La laïcité correspond à une loi et à des règles à faire respecter. Tout le combat entre la connaissance et l’obscurantisme renvoie à cette notion qui est attachée aux valeurs de la République, transmises de manière diffuse et dans toutes les matières. Faire de la laïcité un sujet d’enseignement m’apparaît donc une erreur. De plus, ces évolutions ayant lieu à horaires constants, chaque création de nouvelle matière réduit nécessairement le temps consacré à une autre.

Un exemple est révélateur. Pour mettre en place deux heures d’aides personnalisées, les décrets du 30 juillet 2008 relatifs aux obligations de services, dit « Darcos », ont supprimé trois heures d’enseignement. Ces dispositifs ont eu pour conséquence de supprimer des RASED auparavant établis. Rétablissons les trois heures d’enseignement disparues alors en supprimant l’aide personnalisée, qui n’apporte rien puisque les enseignants qui se trouvent dans l’obligation de la dispenser n’ont ni la formation ni la qualification qui étaient celles des équipes des RASED, et nous pourrons ainsi améliorer l’enseignement du français sur lequel vous m’interrogiez.

À notre sens, l’évaluation de la capacité des candidats aux concours de l’enseignement à faire partager les valeurs de la République ne peut se faire qu’avant le concours. Après le concours, elle constituerait une épée de Damoclès au-dessus de la tête des stagiaires, susceptible en permanence de remettre en cause leur titularisation. Cela irait à l’inverse de la nécessité de renforcer l’autorité des enseignants et reviendrait à les fragiliser. Nous attendons au contraire de l’institution, puisque la question nous a été posée, qu’elle protège, qu’elle encadre et qu’elle accompagne avec bienveillance les personnels. Elle ne peut pas les encourager à prendre des initiatives, comme elle l’a fait face aux attentats du mois de janvier, pour les sanctionner ensuite lorsque leurs tentatives se heurtent à des difficultés.

L’enseignement culturel, artistique et sportif, évoqué dans vos questions, doit rester dans l’école et dans l’éducation nationale, sous l’autorité de l’État : il ne saurait être transféré à quiconque, qu’il s’agisse d’associations ou de collectivités territoriales.

De même, la liberté pédagogique a bel et bien un cadre, celui fixé par les programmes nationaux. Les enseignants ne font pas ce qu’ils veulent quand ils veulent : leur indépendance professionnelle s’exerce uniquement dans le respect des programmes nationaux auquel veillent, au quotidien, les corps d’inspection, lorsque bien sûr ils demeurent en nombre suffisant pour le faire.

À Force Ouvrière, nous ne considérons pas que les relations entre enseignants et parents d’élèves soient particulièrement mauvaises ou singulièrement marquées par un mépris réciproque. Je crois même à l’inverse que ces relations sont d’une qualité toujours croissante. Je connais mieux le sujet concernant les écoles primaires et maternelles, et je peux vous dire que les rencontres avec les parents de nos élèves sont quotidiennes et fécondes. La question des relations avec les fédérations de parents relève à mon sens d’un tout autre débat.

M. le président Patrick Bloche. Nous vous remercions vivement tous les trois pour ces échanges enrichissants.

La séance est levée à douze heures.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission a désigné Mme Gilda Hobert, rapporteure de la proposition de loi de M. Roger-Gérard Schwartzenberg visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire (n° 2518)

Présences en réunion

Réunion du mercredi 18 février 2015 à 9 heures 30.

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, M. Bernard Brochand, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Ary Chalus, Mme Dominique Chauvel, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, Mme Claude Greff, M. Mathieu Hanotin, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, Mme Gilda Hobert, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, Mme Annick Lepetit, Mme Lucette Lousteau, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Martine Martinel, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal

Excusés. – M. Pascal Demarthe, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Sonia Lagarde, M. Dominique Le Mèner, M. Rudy Salles

Assistaient également à la réunion. – M. Jean-Jacques Cottel, M. Victorin Lurel, M. François Vannson