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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mardi 26 mai 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 42

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition de M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, sur les modalités de désignation des présidents des sociétés de l’audiovisuel public

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 26 mai 2015

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission entend M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, sur les modalités de désignation des présidents des sociétés de l’audiovisuel public.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Je le remercie d’avoir répondu très spontanément à notre invitation.

Monsieur le président, vous le savez, des interrogations, voire des critiques, se sont exprimées ces dernières semaines, notamment dans la presse, au sujet de la procédure de nomination des présidents des sociétés Radio France et France Télévisions mise en œuvre par le CSA.

L’article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986, résultant de modifications opérées par la loi du 15 novembre 2013 après de nombreux échanges au sein de notre commission et entre les deux assemblées, a en effet restitué la compétence en matière de nomination au CSA, revenant sur la réforme de 2009 qui avait permis au Président de la République de l’époque de s’attribuer ce pouvoir.

L’article 47-4 fixe à cet effet un cadre général, laissant au CSA le soin de déterminer la procédure à suivre pour l’appliquer au mieux. La loi prévoit ainsi que le Conseil évalue les candidatures « sur la base d’un projet stratégique » et que sa décision doit se fonder « sur des critères de compétence et d’expérience ».

La semaine dernière, en réponse à une demande de création d’une commission d’enquête sur les conditions de nomination de Mme Delphine Ernotte à la présidence de France Télévisions, présentée en Conférence des présidents par M. Christian Jacob, président du groupe UMP, j’ai proposé que la commission des affaires culturelles et de l’éducation, compétente en la matière, procède dans les meilleurs délais, à votre audition, monsieur le président, afin que vous puissiez vous exprimer de la façon la plus complète possible, et que la question, si elle se pose, puisse être débattue sereinement, loin des rumeurs et des fausses confidences dont la presse s’est largement fait l’écho ces derniers temps.

Nous avons conscience que les membres du Conseil sont tenus par la loi de respecter le secret des délibérations. En 2013, le législateur n’a d’ailleurs pas souhaité revenir sur cette obligation. Nous sommes prêts à entendre tout ce que vous pourrez nous dire dans ce cadre. Au-delà de ce que vous nous confierez sur les nominations effectuées à la tête de Radio France et de France Télévisions par le Conseil dans le cadre du pouvoir que lui a restitué la loi de 2013, vous pourrez aussi tirer un premier bilan de la mise en œuvre de cette procédure. Faut-il envisager d’y apporter des améliorations ? Les parlementaires exercent en tout état de cause leurs prérogatives constitutionnelles en contrôlant l’application des lois qu’ils ont votées

M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Je remercie la commission des affaires culturelles et de l’éducation de m’offrir l’occasion, utile pour tous et souhaitable pour le CSA, d’informer véridiquement la représentation nationale sur la procédure qui a conduit à la désignation de la prochaine présidente de France Télévisions.

Je suis accompagné de mon directeur de cabinet, de la conseillère en communication du CSA, mais aussi du secrétaire du collège, seule personne qui assiste aux réunions à huis clos du Conseil. Ce dernier est venu de son propre mouvement, même si sa présence ne peut que rester muette.

J’attache d’autant plus d’importance à cette audition qu’elle intervient dans un moment particulier, après plusieurs jours de ce qui s’apparente à une campagne de déstabilisation de l’institution que je préside. Je n’hésite pas à employer ces termes forts, car j’ai pu lire toute une série d’allégations successives et contradictoires, présentées comme des révélations, et totalement fausses.

Certaines font état de prétendues indications, qui relèvent par nature du secret des délibérations. Je ne peux que le déplorer, sans possibilité d’y répondre directement point par point, car je suis moi-même soumis à ce secret qui s’impose, en vertu de l’article 5 de la loi du 30 septembre 1986, à l’ensemble des membres du collège.

Mais compte tenu de la gravité et de la multiplicité des imputations, j’irai aussi loin qu’il m’est possible dans le compte rendu de tout ce que j’ai eu à connaître. Ma seule réserve sera celle-ci : je ne pourrai faire état d’aucune mention nominative, qu’il s’agisse des membres du collège ou des candidats. Mais je serai aussi précis et concret que possible pour décrire, expliquer et justifier la procédure collégiale que nous avons collectivement définie et mise en œuvre.

Je ressens en effet la nécessité non seulement de me défendre personnellement, alors que ma vocation a toujours été de mettre en œuvre le droit, mais aussi de défendre l’institution que j’ai la charge et la responsabilité de présider.

Je voudrais d’abord rappeler les principes qui ont guidé le Conseil dans l’établissement de la procédure.

En modifiant la loi de 1986 par la loi du 15 novembre 2013, le législateur a redonné au Conseil le pouvoir de nommer les dirigeants de l’audiovisuel public. L’objectif alors affirmé était d’assurer l’indépendance de ces nominations à l’égard du pouvoir politique en confiant cette responsabilité à une autorité publique indépendante et collégiale dont les membres sont nommés avec l’exigence de votre consultation et de votre vote après audition.

À l’article 47-4 de la loi, le législateur a rendu obligatoire la motivation de la décision de nomination et précisé les critères sur lesquels elle doit se fonder – compétence, expérience et projet stratégique –, ainsi que les règles de vote – la nomination doit être décidée à la majorité des membres du collège. En revanche, il n’a pas entendu organiser la procédure de désignation : la loi indique simplement que les candidatures sont présentées au Conseil et évaluées par celui-ci sur la base d’un projet stratégique. En la matière, les travaux préparatoires n’offrent pas d’indications complémentaires.

Dans le respect de ce cadre législatif, mais aussi des principes généraux de valeur constitutionnelle, c’est donc au CSA qu’il incombait de définir la procédure de nomination.

Dans les deux cas qui se sont présentés à lui depuis deux ans, pour la présidence de Radio France au début de l’année 2014, et pour celle de France Télévisions cette année, je veux souligner que les règles ont été établies de manière collégiale après des discussions approfondies entre les membres du collège, qu’elles ont à chaque fois été définies en amont, que leur détermination a fait l’objet de comptes rendus par des communiqués de presse, et qu’aucune d’entre elles n’a fait l’objet, ensuite, d’une quelconque modification.

Pour France Télévisions comme pour Radio France, le Conseil a cherché, en définissant la procédure de nomination, à concilier de la manière la plus équilibrée possible plusieurs objectifs fondamentaux qui peuvent, dans une certaine mesure, se révéler contradictoires : l’égalité de traitement de tous les candidats, l’exigence de sécurité juridique, la volonté d’attirer les candidatures les plus diverses et les candidats les plus qualifiés, le souhait de les évaluer le plus complètement possible, mais aussi, compte tenu de l’ensemble de ces objectifs, le souci de donner toutes les informations possibles aux candidats et au public.

La procédure retenue pour France Télévisions diffère peu de celle adoptée pour Radio France. Trois différences seulement peuvent être relevées.

La première, sur laquelle je reviendrai car elle a été critiquée, résidait dans l’absence de divulgation du nom des personnalités auditionnées dès lors qu’au moins un des candidats retenus le demandait. La deuxième novation allait dans le sens d’une plus grande transparence, puisque c’est l’intégralité du projet stratégique de Delphine Ernotte qui a été publiée. Enfin, la troisième novation visait à s’assurer au préalable de l’absence de tout conflit d’intérêts susceptible de peser sur l’exercice du mandat du président de France Télévisions : chacun des candidats retenus a été invité à transmettre au CSA, avant son audition, une déclaration sur l’honneur. Par cette déclaration, dont nous avons publié le modèle, le candidat devait notamment certifier être à jour de ses obligations fiscales et sociales et ne pas se trouver dans une situation d’interférence ou de dépendance à l’égard d’intérêts publics ou privés.

Une quatrième différence aurait pu procéder de ce que le nombre des membres du collège avait été réduit transitoirement à huit. Se posait en conséquence la question du caractère prépondérant ou non de la voix du président. Compte tenu du principe selon lequel les règles spéciales – en l’occurrence, le fait que la majorité devait se dégager au sein des membres en exercice du collège – prévalent sur les règles générales, mais aussi dans le souci de protéger le Conseil de tout risque contentieux, le collège a, sur ma suggestion, décidé que la voix du président ne serait pas prépondérante en cas de partage.

Je souhaite à présent insister sur les deux principaux éléments de la procédure qui n’ont pas été mis sur la place publique, ce qui nous a été abondamment reproché.

Premièrement, des considérations impératives de sécurité juridique s’opposaient à la publicité des auditions. C’est pourquoi, dans les cas récents de France Télévisions et de Radio France, comme dans tous les cas précédents de nomination, le CSA n’a ouvert les auditions ni au public ni à la presse.

Ce choix a été commandé par la nécessaire prise en compte de la jurisprudence, certes un peu ancienne mais s’imposant à ce jour, du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 27 juillet 2000, il a en effet considéré que « la garantie résultant du mode de nomination retenu ne serait plus effective si l’intégralité des procès-verbaux des auditions et débats du Conseil supérieur de l’audiovisuel devait être rendue publique », que « ne serait plus assurée en pareil cas l’entière liberté de parole tant des candidats que des membres du Conseil eux-mêmes, condition nécessaire à l’élaboration d’une décision collégiale éclairée, fondée sur la seule prise en compte de l’intérêt général et du bon fonctionnement du secteur public de l’audiovisuel dans le respect de son indépendance ». Le Conseil constitutionnel a même relevé que « la publication intégrale de ces auditions et débats pourrait porter atteinte à la nécessaire sauvegarde du respect de la vie privée des personnes concernées ».

Si le CSA avait, de sa propre initiative, choisi d’ouvrir les auditions au public, il se serait en conséquence exposé à une annulation contentieuse de sa décision. En effet, si un recours avait été formé devant le Conseil d’État, ce dernier n’aurait eu d’autre choix que de se référer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dont les décisions « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » aux termes de l’article 62 de la Constitution. Il est donc hautement probable que, dans pareille hypothèse, le juge administratif aurait été conduit à censurer la procédure et à annuler la nomination. Nous ne pouvions pas prendre un tel risque.

Deuxièmement, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a subordonné à l’accord de l’ensemble des candidats auditionnés la publication de leur nom.

Par ce choix, le Conseil a entendu protéger la situation professionnelle des candidats, permettre à toute personne, quels que soient son profil et ses fonctions, de présenter sa candidature, et en particulier ne pas décourager les candidatures de personnalités exerçant des fonctions éminentes dans une entreprise publique ou privée.

En effet, rendre publique la candidature de la personnalité concernée peut conduire, d’une part, à déstabiliser l’entreprise en question et, d’autre part, à mettre le candidat en situation difficile pendant la procédure, et s’il n’est pas retenu, après la désignation. Quant au choix d’étendre la confidentialité à l’ensemble des candidats dès lors qu’au moins l’un d’entre eux la demandait, il découle du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats aux emplois publics.

Il me semble que le bilan que l’on peut tirer de la procédure de désignation à la présidence de France Télévisions tend à valider rétrospectivement cette analyse : trois candidats sur les sept sélectionnés au sein de la liste restreinte ont demandé la confidentialité. Rien n’interdisait aux autres candidats de faire publiquement état de leur démarche, ce que certains ont d’ailleurs fait. Ainsi a été respectée la diversité des intentions et des attitudes de chacun des candidats.

Je m’attacherai maintenant à retracer le plus précisément possible les étapes de la procédure de désignation. J’en profiterai pour répondre à certaines contre-vérités qui ont pu être propagées.

En amont du lancement de la procédure, le collège s’est fixé une règle commune. Jusqu’au 1er avril, date de l’ouverture des plis, les conseillers pouvaient rencontrer toute personne ayant manifesté publiquement son intention d’être candidate, à condition naturellement de ne pas être invités par elle, ni de se déplacer pour cette rencontre dans les locaux où elle exerçait son activité. À partir du 1er avril, tout contact avec les candidats, désormais connus après l’ouverture de leur dossier, était prohibé.

Pour ma part, contrairement à ce qui a pu être écrit, je n’ai ni démarché des personnalités pour les inciter à se présenter, ni dissuadé qui que ce soit. De telles initiatives, si je m’étais autorisé à les prendre, n’auraient pas été conformes au principe de collégialité de la décision, ni à celui d’égalité de traitement entre tous les candidats.

Je me suis donc contenté de recevoir, à leur demande, les personnes le souhaitant, que ce fût pour m’indiquer leur intention de candidater ou les raisons pour lesquelles elles ne le faisaient pas et ce, jusqu’à l’ouverture des plis uniquement, conformément à la règle commune que s’était fixée le collège.

Le 4 février 2015, le Conseil a rendu public, par voie de communiqué de presse, une délibération relative aux modalités de nomination à la présidence de France Télévisions. Ce texte précisait que les candidatures devaient comporter le projet stratégique, auquel pouvait être joint tout document attestant la compétence et l’expérience du candidat. Elles devaient être transmises au Conseil, soit par courrier, soit par dépôt, entre le 9 mars et le 26 mars. La date du 9 mars a été retenue pour permettre aux candidats de tenir compte, dans la rédaction de leur projet, des conclusions du groupe de travail interministériel coordonné par Marc Schwartz, qui ont été présentées le 4 mars, ainsi que des orientations gouvernementales formulées le même jour.

Cette délibération décrivait également le déroulement ultérieur de la procédure : date d’ouverture des plis, établissement d’une liste qualifiée volontairement par le Collège de « restreinte », auditions non publiques conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, décision de nomination entre le 22 avril et le 22 mai comme prévu par la loi. Toutes ces étapes ont été scrupuleusement respectées, sans aucune exception.

L’ensemble de la procédure s’est déroulé à huis clos, c’est-à-dire en présence uniquement des membres du collège et du secrétaire du collège pour protéger les collaborateurs du Conseil de tout soupçon et de toute pression.

Le 1er avril, le Conseil a procédé à l’ouverture des plis et indiqué par un communiqué de presse qu’il avait reçu trente-trois candidatures. Ce communiqué a rappelé les étapes ultérieures de la procédure.

Le 8 avril, le Conseil a rendu publiques deux décisions complémentaires.

La première portait sur les modalités pratiques d’organisation des auditions : leur durée serait de deux heures, débutant par une présentation de trente minutes suivie d’un échange d’une heure trente avec les membres du collège. La seconde était relative à la remise par les candidats sélectionnés de la déclaration sur l’honneur dont j’ai déjà parlé.

Le 15 avril, soit quinze jours après l’ouverture des plis, le Conseil a délibéré, à huis clos, sur les trente-trois candidatures reçues afin d’établir la liste restreinte de celles qui donneraient lieu à audition. Après un premier échange à caractère général entre les membres du collège, chaque candidat a fait l’objet d’une discussion, chaque conseiller étant libre de s’exprimer ou non, puis d’un vote. Il avait été prévu que ce vote serait effectué, candidat par candidat. Le recueil de cinq voix positives était nécessaire pour être auditionné. Ce vote a été opéré à bulletin secret, conformément à l’article 6 du règlement intérieur du Conseil qui prévoit que « le vote à bulletins secrets est de droit à la demande d’un conseiller », l’ensemble du collège s’accordant, d’ailleurs, sur cette procédure.

Le Conseil a ensuite procédé au dépouillement de l’ensemble des votes, en une seule fois, de sorte que les résultats des premiers votes ne puissent peser sur les votes ultérieurs. Conformément à la règle fixée au préalable par le collège, seuls les candidats ayant obtenu au moins cinq voix ont été retenus au sein de la liste restreinte. Celle-ci se composait, la presse s’en est fait largement l’écho, de sept candidats.

Le Conseil s’était initialement réservé la faculté de procéder à une seconde délibération dans l’hypothèse où la liste lui serait apparue trop large, mais il a finalement fait le choix de n’évincer aucun des sept candidats qui avaient obtenu cinq voix ou plus. Il n’a, par ailleurs, jamais été question de « repêcher », pour reprendre une expression que j’ai lue, des candidats ayant obtenu moins de cinq voix.

Le choix du mode de vote, candidat par candidat, était motivé par la nécessité d’examiner successivement et sans exception la candidature de chacun d’entre eux, conformément au principe d’égalité.

L’affirmation selon laquelle j’aurais, en dernière minute et dans je ne sais quel dessein, modifié les règles de vote fixées au préalable par le collège, est totalement fantaisiste.

Je ne peux entrer ici dans le détail des motifs qui nous ont conduits à retenir ou écarter tel ou tel candidat. La loi impose des critères de compétence et d’expérience dont nous avons pleinement tenu compte de même que des projets stratégiques. Pour autant, notre appréciation a pu être inspirée également par un souci de cohérence et des conséquences de notre décision sur les entreprises qui relèvent de notre pouvoir de nomination.

On a pu regretter que le choix de ne pas retenir tel ou tel candidat n’ait pas fait l’objet d’une motivation particulière. Je rappelle qu’aux termes de la loi, c’est la décision de nomination qui doit être motivée, et non les rejets des autres candidatures.

Je tiens enfin à souligner que la décision de ne pas auditionner certaines personnalités dotées d’une expérience indéniable dans l’audiovisuel n’est pas le fait d’un prétendu bloc – j’ai également lu que ce mot était utilisé – constitué de certains membres du Conseil qui, pour favoriser tel ou tel candidat, aurait cherché à écarter des concurrents. Je note d’ailleurs, sans pouvoir en dire plus sans violer le secret des délibérations, que rien, absolument rien, n’accrédite la thèse fabriquée a posteriori pour les besoins de la cause, selon laquelle quatre voix, et en plus à chaque fois les mêmes, se seraient coalisées pour écarter les personnalités en question.

Les auditions se sont tenues durant deux jours, les 21 et 22 avril. À l’issue de ces auditions, le 22 avril en fin d’après-midi, le Conseil a procédé à un vote, toujours à bulletin secret, conformément aux modalités de vote qu’il avait arrêtées préalablement. Chaque membre s’est exprimé en cochant un nom sur la liste des personnes auditionnées qui lui était individuellement soumise.

Le processus était le suivant : chaque conseiller votait pour le candidat lui paraissant présenter les meilleures aptitudes selon les critères fixés par la loi. Si, à l’issue du premier tour de scrutin, un candidat obtenait la majorité requise, soit cinq voix, il était nommé. À défaut, on procédait à un deuxième tour en éliminant le ou les candidats qui avaient obtenu le moins de voix, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’une majorité d’au moins cinq voix se dégage.

Les règles ainsi adoptées ont été scrupuleusement suivies. Le 23 avril en fin de matinée, il est apparu, après deux tours de scrutin, que les votes se partageaient à égalité, quatre voix contre quatre, entre deux candidats.

C’est pourquoi le Conseil a décidé de procéder à une nouvelle audition des deux personnalités sur lesquelles les votes s’étaient concentrés, afin d’approfondir l’échange avec elles et d’éclairer mieux encore sa décision. Il l’a fait savoir par voie de communiqué de presse.

Ces deux auditions, d’une durée d’une heure trente chacune, se sont tenues le 23 avril après-midi. Elles ont permis de compléter l’information du collège sur les motivations des candidats, leur sens du service public, leur projet stratégique, leur conception du management d’une entreprise publique, leurs orientations en matière de programmation comme dans le domaine des ressources humaines et de la gestion financière, ainsi que, j’y reviendrai, sur des questions plus personnelles.

À l’issue de ces auditions, le Conseil a de nouveau procédé à des votes. Il en est cette fois ressorti une majorité au profit de Mme Ernotte. Le Conseil a alors établi, conformément à la loi, la décision motivée de nomination, puis rendu publique la désignation par voie de communiqué de presse. Le projet stratégique de Mme Ernotte a été rendu public dès le lendemain.

Au total, entre le début des auditions et la désignation, il se sera donc écoulé moins de trois jours. Dans ce laps de temps, le Conseil aura procédé à dix-sept heures d’audition, délibéré collégialement de manière approfondie, et organisé plusieurs tours de scrutin. Je ne crois pas qu’on puisse dire, comme je l’ai lu, que le collège aurait été confronté à une situation de blocage grave et persistant.

Je n’insisterai pas sur les motifs qui ont conduit le Conseil à désigner Mme Ernotte à la présidence de France Télévisions. Ces motifs, qui tiennent à la fois à sa personnalité, à la qualité de son projet stratégique pour France Télévisions, à ses compétences managériales, à son expérience à la tête d’une entreprise imprégnée d’une culture de service public, et à sa connaissance de l’environnement numérique, sont détaillés dans la décision motivée que nous avons publiée en même temps que la nomination elle-même.

On peut évidemment discuter ce choix, de même que l’on peut discuter la procédure au terme de laquelle il a été fait. Le Conseil a eu à choisir parmi des candidatures nombreuses, diverses et de grande qualité, tant du point de vue de la compétence et de l’expérience des personnalités candidates que de leurs projets stratégiques.

Je veux simplement souligner que le délibéré s’est déroulé, au terme d’une procédure parfaitement régulière, en dehors de toute pression, qu’elle soit politique, économique ou personnelle. La seule exigence ne pouvait être que celle de parvenir, en responsabilité, à faire le meilleur choix possible pour l’avenir de France Télévisions.

En ce qui me concerne, et j’en atteste personnellement, je n’avais aucun parti pris sur les différents candidats. Ma conviction s’est forgée au fil des étapes de notre procédure collégiale, à la lecture des projets stratégiques et lors des auditions. S’agissant en particulier de la future présidente de France Télévisions, je l’ai rencontrée individuellement, pour la première et seule fois, le 6 mars, à sa demande, pour un simple entretien de présentation, exactement comme je l’ai fait pour les autres candidats qui le souhaitaient.

Je n’ai fait pression sur aucun de mes collègues, ni directement ni indirectement. J’ai participé au débat collégial, à la fois comme président veillant au bon déroulement des délibérations, et comme membre doté d’une voix sur huit. J’ai rappelé solennellement et à plusieurs reprises à mes collègues le caractère impératif du secret des délibérations. Il est totalement faux de dire que je les aurais menacés de poursuites judiciaires.

Je me suis engagé fermement et formellement devant vous sur l’indépendance du CSA. J’ai respecté cet engagement.

Je ne vois pas dans l’absence d’unanimité un échec. Il est naturel et légitime que des personnes de formations et d’expériences diverses se forgent des appréciations différentes, en particulier lorsqu’il s’agit de choisir entre des personnalités elles-mêmes diverses et porteuses chacune d’une vision propre de l’avenir de l’audiovisuel public. L’unanimité n’est pas une règle dans la vie du collège, même si elle s’est manifestée une fois précédemment pour un choix de dirigeant, s’agissant de Radio France.

La collégialité est au fondement même de la compétence donnée au Conseil de désigner les présidents de l’audiovisuel public. Elle est, au même titre que le mode de nomination rénové des membres du collège, une garantie de l’indépendance du service public audiovisuel. Elle est un gage de pluralisme interne. Elle est conforme à l’esprit et à la lettre de la loi. Ce que le législateur a voulu, c’est la collégialité, mais celle-ci n’est pas synonyme de publicité.

Bien que très proche de celle retenue pour la désignation du président de Radio France, qui avait été saluée par les commentateurs, la procédure adoptée pour la nomination à la présidence de France Télévisions a fait l’objet de critiques qui concernent pour la plupart un manque de transparence, ce que beaucoup ont stigmatisé en parlant d’« opacité ».

Plusieurs observateurs ont estimé que la désignation des dirigeants de l’audiovisuel public et la confrontation de leurs projets stratégiques devraient procéder de ce qu’ils ont qualifié de « grand débat public et démocratique » permettant à chacun, expert, journaliste ou simple citoyen, de se faire une opinion et d’exprimer son point de vue. Ces désignations seraient en quelque sorte regardées comme des décisions d’intérêt collectif, soumises à ce titre à un débat public à chaque étape de leur procédure. J’y vois d’ailleurs, si vous me permettez cette note positive, le signe de l’importance des enjeux collectifs qui s’attachent à l’audiovisuel public compte tenu de son rôle dans la promotion de nos valeurs.

Il n’y a pas, à ma connaissance, de tel précédent en matière de nomination ; mais l’absence de précédent ne saurait conduire à soi seul à écarter la perspective de changements.

Pour autant, m’autorisant à exprimer un point de vue personnel, je relèverai qu’il faut se garder d’un raccourci automatique selon lequel plus un processus de désignation serait mis sur la place publique, mieux il serait à même de garantir un choix éclairé et indépendant. Un certain niveau de confidentialité peut contribuer à protéger l’autorité de nomination des pressions extérieures en tout genre. Il peut aussi permettre un dialogue sincère et approfondi avec chacun des candidats. Je note d’ailleurs que certaines des questions posées et des réponses apportées dans les auditions menées avec les deux candidats restant en présence, touchant par exemple au secret des affaires, à de possibles conflits d’intérêts, aux relations commerciales antérieures avec la société France Télévisions, ou encore à l’éthique personnelle, n’auraient probablement pas pu l’être dans le cadre d’une audition ouverte au public.

Je ne crois pas davantage que l’on puisse justifier le choix d’une publicité absolue au seul motif que la confidentialité serait trop difficile à faire respecter. Constater que le secret des délibérations a pu être méconnu, ce que je ne peux que déplorer, ne saurait conduire pour moi à considérer que cette règle doit être a priori écartée. Cela peut aussi amener à engager une réflexion sur les moyens de la faire mieux respecter.

En tout état de cause, le débat sur le degré de publicité qui devrait s’appliquer à la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public me paraît sain et légitime. Mais une telle réflexion ne peut être conduite et encore moins tranchée par le CSA lui-même. C’est au législateur qu’il revient, s’il le souhaite et s’il le juge utile au bon fonctionnement du service public audiovisuel, de trancher lui-même ces questions et de prévoir par la loi un processus éventuellement différent de celui appliqué par le Conseil.

Il s’agit en effet d’un enjeu politique, qui renvoie à la conception que chacun peut avoir du mode de nomination qui doit être retenu pour l’accès aux plus hauts emplois publics, et plus spécifiquement pour la désignation des dirigeants de l’audiovisuel public.

Au surplus, seul le législateur est en mesure, par une modification des termes de la loi, de susciter un revirement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dont j’ai parlé, qui interdit la publicité des auditions.

Je l’ai dit, à chaque fois que l’occasion m’en a été donnée : la loi est non seulement notre référence, mais c’est notre impératif. C’est avec la conscience de l’avoir appliquée, dans ses objectifs comme dans ses procédures, avec le souci d’ouvrir les meilleures perspectives possible à l’audiovisuel public, que le Conseil supérieur de l’audiovisuel se tiendra toujours strictement aux règles que lui fixe le législateur.

M. Stéphane Travert. Monsieur le président du CSA, nous vous remercions d’être aujourd’hui devant la représentation nationale et la commission des affaires culturelles et de l’éducation pour répondre aux nombreuses questions qui, je n’en doute pas viendront ponctuer une séquence riche et importante dans la vie de l’audiovisuel public de notre pays.

Les commentaires consacrés, dans les médias et la sphère politique, aux dernières nominations effectuées par CSA méritent, en effet, que notre commission puisse vous entendre afin de clarifier les choses utilement et de clore ainsi une polémique qui voudrait remettre en cause l’esprit de la loi du 15 novembre 2013 qui garantit l’indépendance du service public audiovisuel auquel nous sommes tous très attachés.

Monsieur le président, vous le savez, l’audiovisuel public est traversé par des doutes sur son avenir et il s’interroge. Quelle est sa capacité à assumer son rôle ? Comment remplir les missions de service public fixées dans les contrats d’objectifs et de moyens ? Comment répondre aux défis multiples que sont la diversité, la parité, le respect des opinions, la laïcité, le renouvellement des programmes, l’adaptation de ceux-ci à une société en perpétuelle évolution, la promotion de nouveaux talents ? Comment faire de l’audience sans sombrer dans le populisme et les sujets faciles à outrance ? Comment faire le lien entre la jeunesse d’aujourd’hui et sa lecture de l’histoire et des événements pour créer les conditions qui font de l’audiovisuel public un garant du vivre ensemble ?

En d’autres termes, comment le CSA peut-il être le vecteur permettant de réguler un monde où l’ère numérique, l’immédiateté, la recherche du « buzz » et l’écume des événements ont pris le pas, dans certains médias, sur une véritable éditorialisation de l’actualité ?

Mais d’autres défis attendent également le CSA et le touchent directement. Comment garantir l’indépendance du service public audiovisuel à travers les modalités prévues par le Conseil pour veiller à la bonne mise en œuvre des contrats d’objectifs et de moyens et poser des garde-fous aux missions qui incombent aux dirigeants des groupes de l’audiovisuel ?

Après les nombreuses semaines de grève qu’a connues le groupe Radio France, c’est au tour de France Télévisions et du CSA d’être pointés du doigt suite à la décision du Conseil de nommer Mme Delphine Ernotte à la présidence du groupe pour succéder à M. Rémy Pflimlin.

Nous entendons depuis quelques jours les cris de celles et ceux qui voudraient réécrire l’histoire à leur façon. Ce sont les mêmes qui, comme on le fait d’un fichier numérique, voudraient effacer de la mémoire collective ce qu’ils avaient auparavant institué : un audiovisuel public aux contours proches de l’ORTF à la sauce nouvelle vague. D’ailleurs cette vague n’est jamais venue…

Revenons à cette histoire pas si ancienne d’un Président de la République passionné par les médias – les membres de cette commission ne sauraient lui en tenir en rigueur –, qui voulait tout à la fois, profitant du statut qui l’avait placé au plus haut grade de l’État, être celui qui nomme et révoque selon son bon vouloir les dirigeants des groupes de l’audiovisuel public, mais aussi le présentateur, le programmateur, le spectateur, le commentateur, le coordinateur, le régisseur, l’animateur… (Exclamations sur les bancs du groupe du groupe UMP.) Le dictionnaire des rimes n’y suffirait pas !

Outre les responsabilités qu’il s’attribuait en matière d’audiovisuel public, contraignant ainsi l’indépendance de ce dernier, il le fragilisait encore davantage en supprimant d’un trait de plume, et sans débat, une part importante de ses ressources provenant de la publicité.

Aujourd’hui, ceux qui ont soutenu ces démarches ont beau jeu de demander une commission d’enquête parlementaire alors que c’est le rôle de notre commission de vous interroger, monsieur Schrameck, sur votre analyse de la séquence qui a vu la nomination de Mme Ernotte à la présidence de France Télévisions.

La majorité a redonné le premier rôle au CSA par la loi du 15 novembre 2013 en lui conférant le pouvoir de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public. Une décision prise par une autorité indépendante est nécessaire et indispensable aux présidents et présidentes de chaînes qui portent l’avenir des plus grosses entreprises culturelles de France avec presque 30 % de l’audience globale de la télévision française.

Monsieur le président, quel bilan faites-vous des modalités de désignation du président de Radio France puis de celles ayant permis la nomination de Delphine Ernotte ? Ces modalités, comme le respect de l’anonymat des candidatures ou l’ouverture à tous les champs de compétences, permettent-elles une prise de décision optimale pour l’avenir de l’audiovisuel public ? Quelles modifications pourriez-vous proposer dans le champ de compétence dévolu au CSA ?

La nomination d’une femme à la tête de la plus importante entreprise culturelle de France – c’est une première qui vaut tout de même un satisfecit –, ouvre-t-elle une nouvelle ère pour le service public audiovisuel ?

Comment résoudre les difficultés créées par les fuites, volontaires ou non, qui ont porté un coup à l’équité et aux garanties d’indépendance du CSA ?

Mme Michèle Tabarot. Monsieur le président du CSA, je vous remercie d’avoir accepté de venir devant nous pour répondre aux nombreuses critiques qu’a suscitées la désignation de la nouvelle présidente de France Télévisions. Contrairement à ce que certains affirment, ces critiques ne proviennent pas uniquement de l’opposition : elles émanent aussi de médias et de journalistes, jusqu’au sein même de France Télévisions. Comment aurait-il pu en être autrement eu égard à l’opacité qui a entouré tout le processus de désignation ? Des candidats ont été écartés sans que l’on ne connaisse les motivations de ces décisions. Aucune procédure de repêchage n’a été mise en œuvre alors qu’il était apparemment acté au sein du collège qu’elle aurait lieu – malgré vos dénégations, il semble que certains maintiennent que tel était bien le cas. Les auditions des candidats se sont tenues en secret alors que ce n’est pas le cas pour d’autres médias – la désignation des présidents de LCP-Assemblée nationale ou de Public Sénat donne lieu à des auditions publiques, je me souviens même que M. Rémy Pflimlin avait été entendu publiquement par le CSA par les membres des commissions des affaires culturelles du Sénat et de l’Assemblée nationale avant sa nomination.

Au final, tout cela donne lieu à des interprétations graves. Pour certains, la décision relative à la nouvelle présidence aurait été prise de longue date, dès l’automne 2014. D’autres affirment que des membres du CSA auraient usé de leur influence pour encourager certaines candidatures. Pour ajouter à ce climat déjà lourd, nous avons récemment appris que le directeur de cabinet de la nouvelle présidente de France Télévisions serait un collaborateur politique proche de Mme Cécile Duflot. Nous sommes donc décidément loin de la République exemplaire promise par le chef de l’État.

Monsieur Schrameck, nous souhaitions que vous puissiez répondre à plusieurs questions importantes. Certains articles de presse portent des accusations dont le CSA va devoir se défendre. Je rappelais que, selon des journalistes, la nouvelle présidente de France Télévisions aurait été choisie par l’Élysée dès l’automne 2014. Tout le dispositif imaginé ensuite n’aurait eu pour autre finalité que de parvenir à cette nomination.

Pouvez-vous nous dire s’il est vrai que vous avez fait procéder à l’analyse de profils potentiels avant la procédure de désignation ? Avez-vous eu confirmation de certaines entrevues entre des candidats et des personnalités, entrevues qui auraient été rendues possible par des membres du CSA ? Vous n’êtes pas concerné, vous nous l’avez dit, mais est-ce vrai pour d’autres membres du Conseil ? Si cela est avéré, quelles conséquences en tirerez-vous ? Nous avons évoqué les règles de vote qui auraient été modifiées à la dernière minute. Vous nous avez dit qu’il n’en a rien été, mais certaines personnes soutiennent une autre version.

Les modalités de désignation suscitent en tout état de cause le doute et les interrogations. Pourquoi ne pas les avoir rendues publiques ? Pourquoi ne pas avoir rendu publiques les auditions des candidats ? Pourquoi cette absence totale de motivation des différentes décisions ? Est-il vrai que vous avez interdit aux membres du CSA de communiquer sur le déroulement de cette procédure ?

Sincèrement, après toutes les critiques émises par le Président de la République sur la procédure de désignation issue de la loi de 2009, en arriver à une telle situation est déplorable. La solution mise en œuvre lors de la précédente législature avait le mérite d’être bien plus claire en termes de procédures.

Plusieurs commissaires du groupe SRC. Ça, c’est sûr !

Mme Michèle Tabarot. Tout cela, c’est beaucoup d’hypocrisie de votre part ! À l’époque, le CSA auditionnait publiquement le candidat, et les commissions des affaires culturelles de l’Assemblée et du Sénat donnaient leur avis ; aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. Le système de désignation actuel est trouble, discrétionnaire et contestable. Dans ce contexte de tensions et de suspicions, j’espère qu’il sera fait droit à la demande du groupe UMP qui souhaite créer une commission d’enquête afin que nous puissions rencontrer tous les membres du CSA, non seulement pour comprendre comment s’est déroulée cette nomination mais aussi pour savoir quel rôle l’État a pu jouer dans la désignation de Mme Ernotte, et pour proposer une nouvelle procédure transparente et incontestable – j’espère que nous nous retrouverons tous sur ce point. Elle est nécessaire s’agissant d’un élément aussi important pour la démocratie que l’audiovisuel public.

Mme Barbara Pompili. Monsieur Schrameck, certaines circonstances de la nomination de Mme Ernotte méritent à l’évidence des éclaircissements. On a parlé d’opacité, de procédure antidémocratique, de jeu d’influences… Qu’on le veuille ou non, tout cela a entaché la procédure de sa désignation.

Mais, mes chers collègues, si l’on voulait être un peu taquin, on pourrait dire qu’avoir vent d’irrégularités ou de dysfonctionnements dans le processus de nomination d’un président de France Télévisions, c’est déjà presque un progrès en soi. Il est certain que la nomination de Rémy Pflimlin n’a pas pu donner lieu aux mêmes critiques, le fait du prince coupant court à tout appel à candidature et à toute transparence…

Or, si tous les atermoiements qui ont conduit à la nomination de la nouvelle présidente de France Télévisions sont si abondamment commentés, c’est justement parce qu’ils ont fait l’objet d’une délibération collégiale. Est-ce suffisant pour garantir que cette décision a été prise en dehors de toute pression, sans jeu d’influences, sans aucune irrégularité ? Non, et cela est regrettable. Mais le fait même que nous ayons aujourd’hui la possibilité d’en débattre constitue bel et bien une avancée.

Faut-il aller plus loin ? Très certainement.

Tout d’abord, le fait que les candidatures soient restées secrètes est plus que discutable. Je sais qu’il est beaucoup question en ce moment de CV anonymes, mais les noms des candidats à des fonctions aussi éminentes que la présidence de France Télévisions méritent d’être rendus publics, tout comme la vision stratégique que ces derniers proposent pour l’audiovisuel public. Il s’agit en effet de permettre aux Français de se faire une idée de ce qui est véritablement essentiel dans l’acte de candidature, et c’est bien à partir du contenu de leur projet que les candidats doivent être appréciés – d’où la nécessité de rendre public chaque projet stratégique après la clôture des déclarations de candidature, au moins sous une forme condensée.

Il serait probablement démagogique de dire que les Français, parce qu’ils payent une redevance, sont en quelque sorte les « petits actionnaires » de France Télévisions. Bien sûr, il ne s’agit pas de faire de la nomination du patron de l’audiovisuel public un télé-crochet avec vote par SMS. Mais elle mérite mieux qu’une désignation secrète dans le huis clos d’un conseil qui, au gré des critiques, apparaît trop souvent comme un petit conclave. Cette désignation intéresse aussi nombre de téléspectateurs, et, à l’heure où l’on prône le dialogue social, il ne me semblerait pas illégitime d’y associer par exemple des représentants des salariés du groupe. On pourrait aussi envisager que les commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat procèdent à l’audition des candidats présélectionnés.

Toujours est-il que la transparence concernant les dossiers de candidature, en particulier les projets stratégiques, est impérative. C’est le moins que l’on puisse faire. Cela ne suffira peut-être pas à mettre fin aux contestations qui peuvent avoir lieu après une nomination, mais cela aurait le mérite de rendre le processus un peu moins contestable, même si cette transparence s’accompagne de l’anonymisation des dossiers.

La question des critères retenus pour mener à bien les présélections et les auditions doit aussi être posée. La transparence sur les critères de compétence et d’expérience est le prérequis garantissant un jugement sur le fond et non un choix dicté par les jeux d’influences. La publication d’une grille de critères préalablement définis aurait évité la polémique autour du mode de scrutin. Cela aurait aussi permis de mieux comprendre le rejet, préalablement à toute audition, de certaines candidatures de personnalités qui, par leur parcours, semblaient plus que légitimes. Pour n’évoquer que quelques exemples, les noms de Marie-Christine Saragosse, d’Emmanuel Hoog, ou de Serge Cimino ont été cités.

La question de la publicité des auditions doit aussi être abordée. Certes le Conseil constitutionnel a mis en garde sur les effets d’une publication intégrale des auditions et débats pour la vie privée des personnes concernées et pour la liberté de parole des uns et des autres. Je regrette cette décision car elle est, semble-t-il, utilisée de façon abusive. Cela dit, si l’on y regarde de plus près, loin de justifier le secret qui a plané sur les candidatures et les projets, cette décision ne semble pas empêcher la retranscription d’une partie, et d’une partie seulement, des auditions.

Je rappelle que, récemment, LCP-Assemblée nationale a décidé de retransmettre en direct les auditions de ceux qui étaient candidats à sa présidence ; je n’ai pas l’impression que cela ait porté préjudice aux candidats ou aux membres du comité de sélection dont je faisais partie.

Sans aller jusque-là, l’idée de proposer, sur le site institutionnel du groupe France Télévisions, une retransmission en direct et en replay d’une partie des auditions, celle où le projet est présenté, me semblerait constituer une piste tout à fait intéressante pour garantir la transparence et le caractère démocratique de la procédure.

Monsieur Schrameck, j’entends que vous renvoyez le législateur à sa responsabilité quant à la définition précise des modalités de désignation. Nous pourrons étudier cette question, même si je ne sais pas ce qui relève du domaine législatif et du domaine réglementaire en la matière. Il n’en demeure pas moins que pour les prochaines nominations, le CSA doit tirer des enseignements des écueils qu’il rencontre aujourd’hui. Les quelques propositions évoquées ici peuvent l’y aider.

M. Rudy Salles. Monsieur le président du CSA, le 2 mai 2012, François Hollande promettait : « Moi président de la République, je n’aurai pas la prétention de nommer les chaînes de télévision publique ; je laisserai ça à des instances indépendantes ».

Depuis, notre commission a été privée de débat sur votre propre désignation, puisque le Président de la République l’avait annoncée par communiqué de presse avant même que nous puissions nous réunir.

Depuis, le Président de la République a lui-même nommé la nouvelle directrice de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF), Mme Marie-Christine Saragosse, en septembre 2012.

Les promesses de campagne ayant été foulées aux pieds, il était par conséquent nécessaire que la désignation de la nouvelle présidente de France Télévisions, qui a eu lieu le 23 avril dernier, constitue un signal fort quant à l’indépendance du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Malgré vos explications, disons-le sans attendre, il n’en a rien été. Au contraire, l’opacité qui entoure les conditions de désignation de Delphine Ernotte, qui n’a aucune expérience ni dans l’audiovisuel ni en matière d’information, tend à jeter le discrédit sur l’institution que vous présidez. Il semble en effet que cette désignation et, plus encore, les circonstances dans lesquelles elle s’est déroulée soient entachées de nombreux manquements aux règles d’équité et qu’elles soient caractérisées par une absence globale de transparence. Les médias ont fait état de manœuvres lors du renouvellement partiel du CSA, de modifications de la procédure de vote et de fuites bénéficiant à Delphine Ernotte, voire de plagiat.

Ces éléments, s’ils étaient confirmés, constitueraient des faits particulièrement graves, susceptibles d’affaiblir considérablement et durablement le CSA et le service public, d’autant qu’un recours judiciaire contre la nomination de Mme Ernotte n’est pas à exclure.

En tout état de cause, ils privent la nouvelle présidente de toute légitimité, légitimité pourtant indispensable pour que la mission de service public de France Télévisions soit menée à bien.

Après Radio France, nous ne pouvons pas nous permettre de voir, une nouvelle fois, le service public paralysé par des problèmes liés à sa gouvernance.

Nous attendons que des mesures soient prises pour que toute la lumière puisse être faite sur la désignation de Mme Ernotte, afin de restaurer la confiance dans l’action du CSA et de la présidence de France Télévisions.

Nous attendons des recommandations pour l’avenir afin que les procédures de désignation soient plus transparentes et qu’elles ne puissent plus être contestées.

La crise qui a frappé Radio France a parfaitement illustré, je le crois, les insuffisances de la gouvernance des sociétés de l’audiovisuel public – je n’évoquerai même pas le cas de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) qui a défrayé la chronique il y a peu. En effet, les présidents des sociétés de l’audiovisuel public sont dorénavant nommés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel sur la base d’un projet stratégique, mais leurs moyens et leurs feuilles de route restent déterminés par le gouvernement. Pensez-vous que le processus de nomination dont vous avez la responsabilité doive être conforté par la garantie d’une véritable autonomie managériale pour les dirigeants de l’audiovisuel public ?

Les députés sont particulièrement sensibles à tous ces sujets. À l’Assemblée, un comité de sélection s’est récemment réuni, au sein duquel je représentais le groupe UDI, afin de donner un avis sur les candidatures au poste de président de la chaîne LCP-Assemblée nationale, car la désignation de ce dernier ne relève pas de la compétence du CSA. Deux candidats se présentaient, un homme et une femme, mais nous avions appris quelques semaines auparavant que le président de l’Assemblée nationale avait dit qu’il serait bien qu’une femme occupe ce poste. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas pris part au vote. Une femme est effectivement devenue présidente de LCP-AN. Arrêtons les mascarades et faisons en sorte de mettre en place des procédures parfaitement transparentes !

Mme Marie-George Buffet. Nous sommes tous particulièrement attachés à Radio France et à France Télévisions, qui sont des leviers essentiels du développement culturel de notre pays, de la liberté d’information, et de l’accès aux connaissances et à la culture.

Nous vous entendons sur des questions de procédures de nomination qui pourraient paraître secondaires, mais ce n’est pas le cas. France Télévisions a besoin de confiance pour commencer une nouvelle ère avec un nouveau responsable et un nouveau projet autour duquel sera rassemblée une équipe. Il me semble important que nous puissions sortir de cette réunion en ayant fourni des éléments permettant d’établir cette confiance afin d’assurer la stabilité des deux grandes maisons de notre audiovisuel public.

La loi du 15 novembre 2013 met en place un nouveau mode de désignation des responsables de l’audiovisuel public afin d’en finir avec le fait du prince qui prévalait ultérieurement. Lors des débats, j’avais exprimé des doutes sur les choix faits en lien avec la désignation des membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel ; vous-même, monsieur le président du CSA, vous nous avez fait part de certaines préoccupations relatives à la transparence, notamment pour ce qui concerne ses rapports avec l’indépendance et s’agissant des limites auxquelles elle est soumise par le Conseil constitutionnel.

Pour ma part, je pense qu’il faut certainement que le législateur revisite la loi de novembre 2013 et que nous nous donnions les moyens d’associer plus largement les acteurs au processus de nomination dans lequel les conseils d’administration pourraient par exemple jouer un rôle. Je suis toujours étonné de lire dans un matériel syndical que les salariés attendent de pouvoir prendre connaissance du projet du président qui vient d’être nommé : c’est comme s’ils étaient mis devant le fait accompli et qu’ils ne découvraient qu’une fois les choses faites les projets stratégiques qu’on leur demandera ensuite de mettre en œuvre.

Monsieur Schrameck, j’en viens à l’appréciation négative que vous sembliez porter sur la possibilité d’un « grand débat public et démocratique » pour la nomination des présidents de l’audiovisuel public. Je pense que s’il faut évidemment un lieu de décision, nous avons également besoin d’un débat très large et ouvert sur les critères de nomination. Ils concernent non seulement la compétence ou l’honnêteté des candidats mais aussi le contenu des projets stratégiques.

Je ne peux pas vous interroger sur les critères retenus par le collège pour désigner Mme Ernotte, mais nous aurions besoin de mieux comprendre la place qu’occupent dans son projet les questions relatives à la gestion – nous avons vu ce qui s’est passé à Radio France –, à la création, à l’information… Nous ne parvenons pas bien à saisir comment se construit la décision du CSA. C’est sur ces sujets qu’un débat beaucoup plus large qu’aujourd’hui me semble nécessaire. Il devrait permettre d’associer un plus grand nombre d’acteurs concernés à la décision.

Vous nous avez apporté des précisions sur la façon dont la décision du CSA a été prise. J’espère que les éléments que vous nous fournissez permettront à France Télévisions d’avancer. J’espère qu’il n’est pas trop tard pour rétablir la confiance dans la gestion et dans l’avenir du groupe.

Mme Martine Martinel. Monsieur le président du CSA, nous vous remercions de venir devant notre commission apporter des éclaircissements sur le déroulement et le calendrier précis de la désignation de la présidente de France Télévisions alors qu’une polémique enfle dont vous vous êtes fait l’écho. Il ne faudrait toutefois pas que nos échanges puissent être mal compris car nous ne sommes pas un tribunal.

Je crois relever une certaine mauvaise foi dans les propos de plusieurs de nos collègues qui associent par exemple curieusement la supposée « opacité » de la procédure et le « manque d’indépendance » du Conseil. Lorsque le Président Sarkozy nommait directement les responsables de l’audiovisuel public, s’il est vrai qu’on ne pouvait pas utiliser le terme d’ « opacité », il était difficile de parler d’indépendance. Les présidents nommés en ont d’ailleurs pâti, quel que fût leur talent.

Il a été fait mention des conditions de la nomination de Mme Marie-Christine Saragosse à la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France, rebaptisé depuis France Médias Monde. Or cette désignation a eu lieu en octobre 2012, sous le régime de la loi de 2009, avant que ne soit adoptée la loi du 15 novembre 2013. Il est donc logique que Mme Saragosse ait été nommée par le Président de la République et non par le CSA.

Monsieur Schrameck, dans un climat aujourd’hui difficile, alors que nous nous interrogeons tous sur la loi que nous avons adoptée, quel avenir voyez-vous pour France Télévisions ? Comment l’intérêt des personnels de l’entreprise est-il pris en compte ? Quel est leur ressenti aujourd’hui ? La situation actuelle provoque sans doute une certaine souffrance à France Télévisions – et même au CSA : comment rassurer le personnel sur l’avenir de l’audiovisuel public ? Après tout, la nomination d’une femme est encore un meilleur choix à mes yeux, et même s’il justifie selon certains que l’on ne participe pas à un vote, il me semble être de bon augure !

M. Christian Kert. Monsieur le président du CSA, en nous extrayant un instant des heures de la procédure de désignation que vous nous décrivez, ne peut-on pas penser que la polémique à laquelle vous devez faire face peut trouver son origine dans le rapport de Mme Sylvie Pierre-Brossolette relatif à France Télévisions, dont une première version avait donné lieu à des fuites ? Ce document mettait à mal la gestion de M. Rémy Pflimlin, compromettant les espoirs de ce dernier d’être reconduit à la tête du groupe.

N’estimez-vous pas que des réseaux d’influence ont pu jouer lors des deux dernières nominations aux fonctions de membre du CSA, nominations qui auraient pu viser à conforter une éventuelle majorité pour la présidence de France Télévisions ? Notre commission a entendu la candidate choisie par le président de l’Assemblée nationale au mois de janvier dernier.

Surtout, ne pensez-vous pas que la désignation de Mme Ernotte est une non-élection et relève d’un scénario que vous n’avez probablement pas écrit vous-même, car cela doit se faire hors du CSA, qui laissera cependant au Conseil, s’il ne parvient pas à s’en défaire, l’image d’une sorte de prince des apparences, apparence de la transparence, apparence de l’indépendance et apparence de démocratie ? Je ne veux pas croire que vous vous soyez déjà résigné à vous rallier à la belle formule d’Hervé Bourges, l’un de vos prédécesseurs, qui considère que le CSA est le pire des maux à l’exception de tous les autres.

M. Michel Françaix. Non sans humour, permettez-moi de noter que ceux-là même qui ne trouvaient rien à redire, hier, quand le Président de la République nommait seul les dirigeants du service public de l’audiovisuel parlent aujourd’hui de catastrophe parce que quelqu’un aurait dit que quelqu’un aurait pu rencontrer quelqu’un, ce qui, si cela s’est bien produit, aurait éventuellement eu 1 % d’influence sur le choix d’un candidat !

Comme Mme Buffet, j’aimerais que nous participions un peu plus à la construction de la décision du CSA. Nous aimerions connaître l’équilibre que vous avez privilégié pour faire votre choix entre les contenus, d’une part, et, d’autre part, la modernisation, le rôle international, ou ce que j’appelle « l’ébriété technologique ».

Dès lors que vous devez établir une présélection parmi un grand nombre de candidats – vous risquez d’enregistrer à l’avenir encore plus de candidatures –, comment permettre à tous les membres du collège de travailler sérieusement sur chaque dossier et d’entendre tous les postulants dans des délais assez brefs ?

On a lu, peut-être n’est-ce pas tout à fait faux ou du moins cela a-t-il pu jouer inconsciemment dans la réflexion de certains d’entre vous, que vous ne souhaitiez pas risquer de déstabiliser des entreprises du service public en retenant la candidature de ceux qui dirigeaient déjà des établissements relevant de ce secteur. Au demeurant, cela ne serait pas choquant, mais cela interdira-t-il à l’avenir à tout responsable d’une institution publique de se porter candidat ? J’imagine que votre réponse sera négative, mais une réflexion sur le sujet a-t-elle joué dans votre décision ?

M. Franck Riester. Je ne reviens pas sur la procédure de nomination, sinon pour dire que je suis parfois surpris d’entendre certains s’étonner que le CSA exerce un pouvoir que le législateur lui a confié. Cela peut sans doute s’expliquer par le fait que, comme pour le choix des joueurs de l’équipe de France de football, chacun voudrait être sélectionneur à la place du sélectionneur. Tout le monde voudrait choisir et être membre du CSA.

Pour ma part, je pense qu’à partir du moment où une institution détient un pouvoir, il faut qu’elle l’exerce. Nous verrons avec le recul si le choix du CSA était le bon. En tout état de cause, le profil professionnel de Mme Delphine Ernotte le laisse penser puisqu’il correspond à celui d’une grande dirigeante de l’audiovisuel public et que la nouvelle présidente de France Télévisions dispose, chez Orange, d’une grande expérience de la gestion d’une entreprise proche du secteur public.

À mon sens, l’essentiel n’est pas là mais plutôt dans l’erreur commise par le Gouvernement et la majorité en confiant le pouvoir de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public au régulateur de l’audiovisuel. Je l’ai dit au cours des débats sur le texte qui est devenu la loi du 15 novembre 2013 : il ne me semble pas bon de confier à l’arbitre la désignation d’un acteur majeur du secteur qu’il régule. Je ne vous fais pas ce procès, monsieur Schrameck, mais il existe sur ce point un vrai risque de conflit d’intérêts. Par ailleurs, cette situation rend les choses peu claires en matière de tutelle, nous l’avons récemment constaté pour Radio France. Est-elle exercée par l’autorité qui a procédé à la désignation ou par le ministère compétent et la ministre ?

Il me semble en conséquence nécessaire de revoir la procédure de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public. Je continue de défendre l’idée qu’elle pourrait être confiée, comme c’est le cas au Royaume-Uni ou en Allemagne, au conseil d’administration de l’établissement ou à un haut conseil qui serait indépendant du pouvoir politique mais aussi du régulateur. Il aurait aussi pour mission de contrôler la bonne mise en œuvre des missions de service public décidées par le peuple français s’exprimant par la voix de ses représentants au Parlement.

M. Marcel Rogemont. Monsieur le président Schrameck, il était important de vous recevoir aujourd’hui afin de recueillir votre sentiment sur les polémiques qui entourent la procédure de nomination du président de France Télévisions.

Nombre d’articles de presse s’en font l’écho, et ils sont souvent très critiques à l’égard de l’institution que vous présidez mais aussi de votre personne.

Mes collègues n’ont pas manqué de vous interroger sur le point de savoir si la procédure aurait dû être publique, je ne reviendrai donc que partiellement sur ce point. Il me semble que chaque procédure présente souvent les inconvénients de ses avantages. Il faut donc choisir. Une procédure totalement publique où chacun y serait allé de son petit commentaire aurait-elle été préférable ? C’est possible, mais j’en doute, et, en tout état de cause, tel n’était pas l’esprit de la loi du 15 novembre 2013, même si rien n’interdisait que des auditions publiques se tiennent sur les projets stratégiques des candidats.

Vous nous avez dit avoir tenu compte du fait que votre décision concernant certains candidats aurait pu entraîner la fragilisation éventuelle des entreprises dont ils étaient issus. Est-ce à dire que vous avez consulté les autorités compétentes, publiques ou privées, sur ce point ?

La loi de 2013 a donné davantage de responsabilités aux membres du CSA tout en renforçant le devoir de réserve et le secret des délibérations. Si les membres du Conseil sont tenus de s’abstenir de toute prise de position publique sur les questions en cours d’examen, et qu’ils sont tenus de respecter le secret des délibérations, force est de constater qu’un certain nombre de fuites ont ponctué l’ensemble de la procédure, donnant par là même du grain à moudre aux adeptes de la totale transparence. Évidemment, les sources sont anonymes, mais le sont-elles vraiment ? À ce sujet, un petit détour par les réseaux sociaux pourrait être éclairant. Monsieur le président, quelles remarques vous inspirent une telle situation, et quelles suites entendez-vous donner à d’éventuels manquements ?

M. Frédéric Reiss. Après la remise du rapport Schwartz, selon la volonté du Gouvernement, une nouvelle ère devait s’ouvrir à France Télévisions. L’équipe encore en place ne semblait pas avoir démérité et des avancées avaient bien été enregistrées pendant le mandat de Rémy Pflimlin, mais il lui était notamment reproché d’avoir été désigné par le précédent Président de la République. Nous sommes entrés dans une démarche forcenée de transparence et d’indépendance menée par l’actuelle majorité. L’enjeu politique est évident.

Monsieur le président Schrameck, je vous remercie pour votre rigueur intellectuelle et pour la précision avec laquelle vous avez décrit le processus destiné à préserver l’anonymat des candidats, à les sélectionner et à désigner le lauréat. Manifestement des zones d’ombre demeurent cependant, et le fait que le CSA soit dans cette affaire juge et partie n’arrange rien. Il semblerait que certains sages aient voulu une procédure ouverte et transparente. Aujourd’hui, la France ne peut qu’être dubitative devant la désignation de Mme Ernotte.

Pour être moi-même membre désigné d’un conseil national indépendant en matière d’évaluation scolaire, je m’interroge sur le mode de désignation des membres des autorités indépendantes. Monsieur le président, vous avez dit que la collégialité n’impliquait pas que se tienne un débat sur le degré de publicité. De mon point de vue, seuls les futurs choix stratégiques pour France Télévisions devaient être déterminants dans les votes des membres du CSA.

Vous êtes le seul membre du Conseil présent, accompagné du secrétaire du collège qui, vous l’avez annoncé, restera muet. Sans remettre en cause votre autorité, n’aurait-il pas été possible d’entendre d’autres membres du CSA ?

M. Jacques Cresta. « Qui nous gardera des gardiens ? » Cette phrase, attribuée à Juvénal, poète romain du Ier siècle de notre ère, semble résumer l’opinion qui se dessine chez nos concitoyens concernant le Conseil que vous présidez, monsieur Schrameck. En effet, celui-ci, à travers les missions diversifiées qui lui ont été confiées, peut être assimilé à un « gardien de l’audiovisuel », et il est singulier de voir se succéder les controverses dans ce secteur depuis le début de l’année 2015.

Lorsque ces controverses concernent l’audiovisuel public de la France, propriété collective de nos concitoyens, dont ils ont d’ailleurs pleinement conscience d’être les financeurs, l’opinion ne peut que s’indigner et remettre naturellement en question le travail du gardien de l’audiovisuel, l’autorité de régulation que vous présidez.

Ce n’est évidemment ni mon rôle ni mon intention d’accabler le CSA, son collège et son administration. Mais en ma qualité de député, je représente nos concitoyens qui ont la volonté profonde d’être mieux informés sur le travail effectué par le CSA et sur la manière dont il s’acquitte de ses différentes missions.

Nous vivons une époque durant laquelle l’information est partagée bien plus largement que cela n’a pu être le cas auparavant. Le mouvement des big data, dans lequel s’inscrivent de nombreuses collectivités, ou la publication de nos déclarations d’intérêts et d’activités vont dans le sens de cette transparence nécessaire mais mesurée.

Pourtant, le CSA, qui opère justement dans un domaine où les nouvelles technologies bouleversent la donne, ne semble pas désireux d’ouvrir en grand ses processus de décision à nos concitoyens. Au vu des critiques dont le Conseil fait l’objet, ne pensez-vous pas qu’il convient de réfléchir à une meilleure implication de nos concitoyens dans ses décisions, en particulier lorsque celles-ci concernent un audiovisuel public qui, de fait, leur appartient ?

M. Patrick Hetzel. Monsieur Schrameck, je souhaite revenir sur quatre points précis.

En tant que président du CSA, comment vous êtes-vous assuré qu’aucun membre du collège ne faisait campagne pour un candidat ?

D’aucuns parlent de l’éventualité d’un plagiat de projet stratégique. Quelles précautions avez-vous prises en amont afin d’éviter ou, au besoin, de détecter une telle situation ?

Il semble exister une suspicion concernant le fait que vous auriez imposé les règles de vote au sein du Conseil. Pouvez-vous nous convaincre du contraire ? Vous vous êtes exprimé sur le sujet, mais quels arguments êtes-vous en mesure d’avancer pour montrer que vous n’avez rien imposé ?

Quelle est la base juridique qui vous permet d’affirmer de manière irréfutable que la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au secret des auditions que vous avez citée s’applique bien en l’espèce, et qu’il n’existe pas d’autre approche juridique possible ? Conseiller d’État, vous êtes un juriste trop avisé pour ne pas savoir que cette décision du Conseil constitutionnel ne suffit pas à justifier la position du CSA sur ce sujet.

Mme Sophie Dessus. Merci, monsieur le président Schrameck, d’être venu jusqu’à nous par ces temps orageux. Vous êtes connu et reconnu pour votre intégrité, votre probité et votre sens de la chose publique. Votre parcours et le nom de ceux avec lesquels vous avez travaillé ne permettent pas d’en douter. Pour ma part, je n’en doute pas un instant. C’est bien parce que vous êtes cet homme, que nous nous devons de poser au président du CSA des questions, en toute confiance, mais sans langue de bois, afin que vous puissiez rétablir ce qu’il en est de la nomination de Delphine Ernotte à la tête du plus grand groupe européen de télévision.

Mises à part des compétences en matière de gestion et d’économie, ce poste nécessite avant tout une exemplarité, une éthique et une déontologie sans faille car la télévision ne se contente pas d’informer ; elle forge aussi les esprits et les consciences, et elle se doit de redonner sens aux valeurs de la République afin de ne pas jeter chaque jour un peu plus les citoyens téléspectateurs dans les bras de l’extrémisme.

Les changements apportés à la procédure de nomination, c’est-à-dire le refus du repêchage et l’anonymat pour tous au cas où un candidat le demande – ne sont-ils pas contraires à la nécessité de publier les projets retenus ?

Cette nouvelle procédure vise à favoriser les candidatures dites « libres » mais permettra-t-elle de garantir la compétence des candidats et, en conséquence, la continuité du groupe France Télévisions ?

Comment réparer les dégâts dans l’opinion après que l’on est passé de commentaires laudateurs pour la désignation de Mathieu Gallet, considérée comme très audacieuse, au doute, voire à des accusations fortes – j’ai lu que l’on parlait d’opacité ou de résultats emportés aux forceps – concernant la nomination de Mme Ernotte ?

L’image de cette dernière est bien dégradée car à la funeste période de suicides chez Orange, s’ajoute le fait que le PDG de cette entreprise semblerait, selon la presse, soulagé de se débarrasser d’elle, mais aussi les révélations concernant un lobbying intensif, les soutiens qui nous font nous interroger et une accusation de plagiat du projet de Didier Quillot. Nous voyons bien qu’il est indispensable de préciser les choses. Monsieur Schrameck, nous avons besoin de tous les éléments dont vous disposez pour stopper une rumeur dévastatrice. Il n’est d’ailleurs pas certain que vos explications y suffisent.

Mme Virginie Duby-Muller. Monsieur le président Schrameck, je vous remercie d’être venu vous exprimer devant la représentation nationale pour expliquer la procédure de nomination à la présidence de France Télévisions qui a conduit à la désignation de Delphine Ernotte.

Malgré vos justifications, permettez-moi d’émettre des réserves tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme d’abord, je constate que parmi les trente-trois candidats déclarés, certains ont été écartés de la short list finale malgré leurs compétences reconnues – je pense par exemple à Marie-Christine Saragosse, à Emmanuel Hoog ou à Didier Quillot. Leur mise à l’écart sans audition jette l’opprobre sur l’institution que vous présidez, nourrissant les reproches fondés sur l’opacité de la procédure. Par ailleurs, certains membres du CSA disent avoir été pris de court en séance par votre méthode qui va à l’encontre de la collégialité que vous avez évoquée aujourd’hui.

Sur le fond, ensuite, le président Patrick Bloche a rappelé que les critères d’expérience et de compétence devaient prévaloir dans votre choix. Certes, Mme Ernotte a des compétences dans le secteur du numérique où elle est d’ailleurs décrite comme une « cost killeuse », mais quelles sont ses compétences en matière d’audiovisuel ? S’il est vrai qu’elle vous a présenté un projet stratégique baptisé « Audace 2020 », il semble qu’il ait été plagié. L’on peut se demander, comme Mme Catherine Tasca, ancienne ministre de la culture et de la communication : « Saura-t-on un jour ce qui a conduit le Conseil supérieur de l’audiovisuel à propulser à la tête de France Télévisions une femme d’une grande compétence managériale sans doute, mais étrangère à l’univers de la télévision d’hier et d’aujourd’hui […] ? » Dans quelle mesure les soutiens et les réseaux de Mme Ernotte ont-ils pesé dans la décision, à moins qu’elle n’ait été prise en fonction de son genre ?

Qu’ils semblent loin les propos de François Hollande : « Moi président de la République, je n’aurai pas la prétention de nommer les directeurs des chaînes de télévision publique, je laisserai ça à des instances indépendantes. » La nomination de Mme Ernotte est finalement la preuve d’une certaine porosité.

Le syndicat national des personnels de la communication et de l’audiovisuel de France Télévisions doit saisir la justice car il considère que cette nomination est entachée d’irrégularité. Confirmez-vous cette information ?

Les nominations effectuées sous l’ancienne majorité ont été mises en cause : je crois qu’il ne faut pas confondre indépendance et hypocrisie. Le choix de son directeur de cabinet par Mme Ernotte le montre bien puisqu’il s’agit de l’ancien bras droit de Cécile Duflot.

Mme Dominique Nachury. Monsieur Schrameck, mes collègues ont évoqué de nombreux sujets. Je ferai pour ma part trois constats.

Nous avons compris que l’anonymat était garanti aux trente-trois candidats déclarés afin de respecter leur carrière professionnelle et leur entreprise. Toutefois ces derniers ne souhaitaient pas travailler pour un secteur d’activité quelconque, mais pour l’audiovisuel public dont vous avez relevé qu’il constituait un élément de notre démocratie.

Des soupçons de plagiat ont circulé : le projet de l’une aurait été copié sur celui d’un autre.

La motivation de la décision du CSA aurait pu être rédigée avant que Mme Ernotte ne soit désignée tellement les termes utilisés sont larges. Je note par exemple que « sa perception des enjeux de l’audiovisuel en France comme à l’international ainsi que son intuition des attentes du public dans un monde en mutation » semblent avoir convaincu le Conseil.

Ces trois exemples nous font nous demander si le système de désignation actuel est finalement aussi clair et aussi performant que ce qui était annoncé et s’il ne devrait pas être revu par le législateur ? Si tel est le cas, quelles orientations ce dernier devrait-il suivre selon vous ?

M. Lionel Tardy. L’imperfection de la loi du 15 novembre 2013 apparaît aujourd’hui cruellement.

La nomination par l’État, principal actionnaire, n’avait rien d’illogique mais c’est un autre débat. La transparence est en revanche nécessaire par respect pour les candidats mais aussi pour les Français qui financent l’audiovisuel public par l’intermédiaire de la redevance.

Quel est l’intérêt de conserver le secret sur les candidatures alors que quasiment tous les noms ont fuité dans la presse ?

Quel est l’intérêt du secret en matière de calendrier – nous ne disposions que d’une date butoir pour la nomination et pas de date précise ? J’ai beau chercher, je ne vois aucune raison de ménager un tel effet de surprise.

En matière de vote, nous sommes sans doute en phase de rodage, mais je suis surpris par les incertitudes qui semblent avoir marqué la procédure : cases à cocher ou vote à bulletin secret, règles de majorité, question des cinq voix… Modifierez-vous le règlement intérieur du Conseil afin de clarifier ces règles avant les prochaines nominations ?

M. Olivier Schrameck. Je viens devant vous sous ma responsabilité de président du Conseil supérieur de l’audiovisuel. J’ai certes été désigné par le Président de la République, mais il n’a pu procéder à ma nomination qu’après un vote de votre commission et de la commission compétente du Sénat, instances par lesquelles j’avais été préalablement entendu. Je remercie M. Franck Riester d’avoir rappelé ce que signifiait l’exercice de cette responsabilité au sein d’une autorité publique indépendante.

J’ai en particulier une préoccupation constante, je dirais même qu’elle est lancinante, c’est celle de la régularité des actions du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Cela va au-delà de la régularité formelle des actes du Conseil, même si chacun sait combien la procédure est essentielle : cela concerne la régularité de fond, c’est-à-dire la garantie de l’indépendance et de l’impartialité que tout le CSA doit à la représentation nationale et au pays, indépendance et impartialité qui sont la justification même de la création d’une autorité publique indépendante. Je vous le dis à nouveau en responsabilité et en conscience : je n’ai manqué à aucun de ces devoirs fondamentaux, le délibéré du CSA n’a manqué à aucun de ces devoirs fondamentaux.

J’entends évidemment les polémiques et les critiques. Le fait de venir devant vous en responsabilité ne signifie que l’on ne s’interroge pas soi-même sur l’expérience conduite. Certaines de vos questions permettent de le faire. J’y répondrai évidemment, même si je ne puis me substituer au législateur dont je respecte le rôle et si je ne peux être entendu comme un expert, mais nécessairement comme le président du CSA.

Il me semble utile de revenir sur certaines affirmations. Mes propos ne comportent aucune critique ; ils constituent simplement l’énoncé de la vérité et de la réalité telle que je l’ai vécue.

Madame Michèle Tabarot, l’affirmation selon laquelle la nouvelle présidente de France Télévisions aurait fait l’objet de manœuvres et d’une coalition depuis la fin de l’année 2014, ou à partir de la présentation du rapport du CSA relatif à France Télévisions, ne correspond véritablement à rien. Je ne sais pas si le Président de la République connaît Delphine Ernotte ; ce n’est pas une question que je dois me poser, et nous ne nous sommes pas davantage demandé si le Président de la République connaissait Mathieu Gallet lors de la nomination de ce dernier à la présidence de Radio France. Ces choix sont marqués du sceau de l’indépendance. Ils peuvent évidemment être critiqués sur le fond, ils l’ont été par certains d’entre vous. Il reste que nous n’avons jamais manqué à nos devoirs fondamentaux.

Je vous confirme qu’il n’a jamais été question de procédure de repêchage. Je suis heureux d’être accompagné aujourd’hui par le secrétaire du collège, mais je sais qu’il est soumis au secret professionnel comme les membres du Conseil, et que ce secret est protégé par la loi dans tous ses aspects. C’est en effet à moi qu’il revient de dire et de redire que rien dans la procédure n’a été modifié par rapport à ce dont nous sommes convenus en amont. Nous avions essayé de présenter la procédure au fur et à mesure que nous l’élaborions grâce à des comptes rendus de presse. À l’époque, elle n’avait provoqué aucune critique.

Après la nomination du président de Radio France, la seule critique de caractère générale qui nous ait été adressée portait sur le fait que le Conseil avait été amené à choisir entre six personnes qui appartenaient toutes, peu ou prou, à la sphère publique, ou qui lui avaient appartenu. Il semble que la procédure choisie avait pu dissuader des candidats potentiels exerçant déjà des responsabilités ailleurs. L’argument vaut ce qu’il vaut ; il a en tout cas été entendu. Alors que douze candidatures s’étaient manifestées auprès du CSA pour la présidence de Radio France, nous en avons enregistré trente-trois pour celle de France Télévisions, certaines d’entre elles n’ayant été présentées que sous la condition du respect de la confidentialité. Je vous l’ai indiqué : sur les sept candidats auditionnés, trois avaient demandé l’anonymat. Sans cette possibilité, il est donc clair que le choix du Conseil eût été plus restreint.

Madame Tabarot, vous avez été la première à évoquer le directeur de cabinet choisi par Mme Ernotte. Comme tous les autres, ce choix n’appartient qu’à elle. Une personnalité se présente devant le CSA sans avoir à soumettre quelque intention que ce soit concernant l’équipe qu’elle constituera. Comme vous, j’ai appris le nom du directeur de cabinet de la présidente de France Télévisions par la presse.

Mme Michèle Tabarot. Ce choix ne montre pas une grande indépendance politique !

M. Olivier Schrameck. Je fais a priori confiance à Delphine Ernotte puisqu’elle a été choisie par le CSA. Comme ses prédécesseurs, elle sera certainement conduite à s’expliquer devant vous sur l’ensemble de ses décisions. Comme président du CSA, je ne saurais en tout état de cause me substituer à elle, sur ce sujet ou sur tout autre.

Pour répondre à l’une de vos questions, madame la députée, il n’y a eu ni « analyse de profils potentiels » ni connotation politique partisane lors des choix pour les nominations aux postes de président de Radio France et de président de France Télévisions.

Je comprends parfaitement que des questions se posent. Moi-même, en tant que président du CSA, et en tant que citoyen je m’interroge sur certains points.

Faut-il mener des auditions publiques comme on le fait pour la nomination des présidents des chaînes parlementaires, qui ne relèvent pas de notre contrôle ? Le CSA est en tout état de cause tenu de se tourner vers le législateur et éventuellement vers le Conseil constitutionnel s’il souhaite que soit modifiée la règle qu’il applique actuellement. Personnellement, je pense qu’il est possible de trouver un équilibre entre le besoin d’un certain degré de confidentialité, que peuvent manifester certains candidats, et la possibilité d’un compte rendu plus large et plus ouvert de la procédure qu’aujourd’hui. Je n’exprime donc en aucun cas une position de principe hostile à l’idée de rendre les auditions publiques. Si la loi nous permet de mener nos travaux dans ces conditions, nous l’appliquerons avec la même minutie et la même attention que celles avec lesquelles nous avons mis en œuvre la procédure qui s’y conforme aujourd’hui.

Faut-il rendre publics toutes les candidatures et tous les projets stratégiques ? De la même façon, pour résoudre ce problème, nous avons recherché un équilibre entre le souhait de la publicité la plus large et le souci de la confidentialité exprimé par certains candidats afin de préserver leur parcours professionnel. Cette question a fait l’objet d’un arbitrage de notre part, mais nous mènerons certainement une nouvelle réflexion collective sur ce sujet qui pourra nous amener à changer notre pratique. Cette réflexion se fera, comme toujours, en liaison avec vous, car je tiens à maintenir ce dialogue qui s’est encore concrétisé le 7 avril dernier lorsque je suis venu vous présenter le rapport d’activité du Conseil pour l’année 2014.

Le prochain rapport d’activité du CSA portera trace des débats et des questionnements en cours. J’ai bien compris le message collectif que vous m’avez adressé en demandant que le CSA soit en mesure de vous éclairer encore mieux sur les perspectives de bilan et d’évaluation de la procédure de nomination mise en œuvre. Il est vrai que, pour l’instant, le CSA n’a fait que « vivre » cette procédure et que nous ne l’avons pas encore évaluée, ce qui ne signifie pas que nous n’avons pas l’intention de le faire. Pour ma part, je proposerai au Conseil de mener ce travail.

Monsieur Travert, vous avez été le premier à vous interroger sur la divulgation d’informations relevant du secret des délibérations. C’est le législateur qui a inscrit dans l’article 5 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée que « les membres et anciens membres du conseil sont tenus de respecter le secret des délibérations ». C’est lui qui en a fait, dans l’article 8, un élément du secret professionnel auquel sont astreints « les membres comme les agents du conseil ». C’est encore lui qui a prévu dans l’article 5 une procédure qui conduit à prendre en compte des comportements qui ne seraient pas conformes au devoir professionnel. L’application de la procédure prévue suppose toutefois que nous détenions des preuves concernant l’identité de la personne ayant divulgué des informations, personne qui aujourd’hui se réclame de la protection des sources garantie dans notre droit. Parce que, comme certains d’entre vous ont bien voulu le reconnaître, je suis attaché aux règles de droit, à la présomption d’innocence et aux droits de la défense, je ne peux pas mettre en cause des personnes sans preuve, quelle que soit ma conviction intime.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question du plagiat. Je rappelle que nous avons fourni un travail considérable durant un laps de temps restreint. Collectivement, le Conseil a pris la décision de ne pas utiliser l’intégralité du délai que lui laissait la loi pour la nomination du président de Radio France comme pour celle de la présidente de France Télévisions. Nous avons donc choisi ensemble de mener un travail dense et approfondi ; je crois qu’aucun membre du collège ne pourra apporter la moindre dénégation à cet égard. Nous avons lu l’ensemble des projets stratégiques, et personne n’a évoqué le moindre plagiat. J’ai entendu le nom d’un candidat qui n’a pas été retenu et qui nous a soumis un projet stratégique d’une centaine de pages ; Mme Ernotte nous a présenté pour sa part un document d’une trentaine de pages. Libre à vous d’apprécier si son tour est personnel ou pas. Par ailleurs, les ressemblances entre les projets ne peuvent pas être sans lien avec le fait que les candidats disposaient tous du rapport remis en application de la loi par le CSA sur le bilan de quatre années de la gestion de France Télévisions, du rapport convergent rendu par le groupe interministériel que j’ai déjà évoqué, et des orientations que le Gouvernement avait souhaité rendre publiques. Pour le reste, comment voulez-vous que le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel vous en dise plus ? C’est à Mme Ernotte de répondre sur ce point. À titre personnel, je n’ai aucun doute car si j’avais un doute, je penserais alors que le choix du Conseil devrait être récusé.

Vous avez la possibilité d’interroger qui vous souhaitez : la future présidente de France Télévisions et, bien évidemment, les membres du CSA. Je suis d’ailleurs déjà venu devant votre commission accompagné de membres du collège. Je ne souhaite en aucune façon confisquer la parole de quiconque.

D’autres procédures de nomination sont-elles possibles ? Je l’ai dit, elles relèvent de divergences voire d’oppositions entre diverses conceptions, et je n’ai pas à me prononcer pour l’une ou l’autre. Je constate simplement, madame Buffet, que si l’élection par le conseil d’administration est satisfaisant pour une entreprise, il n’est souvent qu’apparence s’agissant des institutions publiques. Nous le constatons avec la procédure qui prévaut à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) : le pouvoir exécutif choisit un candidat qu’il nomme au conseil d’administration avant que ce dernier ne procède à son élection. On voit qu’ici la procédure elle-même n’est garante de rien sur le fond. En l’espèce, pour comprendre le mécanisme de nomination, il faut s’interroger sur la composition du conseil d’administration et sur les conditions dans lesquelles il est amené à se prononcer.

Je ne souhaite pas sortir de mon rôle de président du CSA, mais je reconnais que des questions se posent quant à la convergence entre des responsabilités confiées au CSA et d’autres qui ne lui reviennent pas en matière de tutelle et de finances – sur lesquelles vous êtes d’ailleurs vous-même amenés à vous prononcer, le plus souvent sur la proposition du Gouvernement. Il est parfaitement vrai qu’une fois que le CSA a désigné les présidents des sociétés de l’audiovisuel public, vous lui avez confié la mission de vous éclairer à intervalles réguliers sur les conditions d’ensemble de la gestion de ces sociétés : avis lors de l’élaboration des contrats d’objectifs et de moyens et lors de leurs modifications, avis lors des modifications des cahiers des charges, bilan annuel, bilan après quatre années d’exercice des présidents… En revanche le CSA n’a pas la responsabilité au jour le jour de la tutelle administrative et financière de ces sociétés qui est exercée par le ministère compétent, le gouvernement tout entier et des corps de contrôle. Je comprends en conséquence que des questions puissent être posées à ce sujet. En tant que président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, je ne peux pas y apporter une réponse.

Les conceptions qui se sont directement exprimées concernant la désignation de Mme Ernotte sont tout à fait différentes. Le CSA a motivé son choix. À ce stade, je crains de ne pouvoir ce soir en dire utilement plus.

Monsieur Reiss, je ne crois pas que le CSA ait été « juge et partie ». Nous avons une mission de régulateur certes, mais nous n’y avons aucun intérêt particulier.

Puisque j’évoque les intérêts particuliers, permettez-moi de revenir sur les contacts qu’aurait pu prendre tel ou tel membre du Conseil, sur lesquels j’ai été interrogé. Je vous ai dit très précisément et complètement ce qu’il en était pour moi. Je vous ai décrit les règles collectives que nous nous étions fixées en tenant compte de la date du 1er avril. Pour le reste, je n’ai ni la possibilité de contrôler le comportement de chacun des membres du CSA, ni vocation à le faire. Je ne suis pas leur supérieur hiérarchique et ils n’ont pas à me rendre compte de leur agenda ou de leurs contacts. J’espère et je pense a priori qu’ils respectent toutes les règles que nous nous fixons collectivement mais, en tant que personne et en tant que juriste, je ne peux pas répondre pour autrui.

Madame Sophie Dessus, je vous remercie des propos que vous avez eus à mon égard. Comme Mme Buffet l’avait fait avant vous, vous avez mentionné l’enjeu que représentent les relations sociales dans l’entreprise. Croyez bien que je suis très sensible à cette question ! Ne doutez pas que le CSA s’est interrogé, et il l’a fait longuement, sur l’expérience sociale de Mme Ernotte et sur son rôle personnel dans la situation que vous évoquiez chez Orange ! Je ne veux pas parler à sa place, mais je pense qu’elle aura le souci du dialogue social et du compte rendu aux personnels de France Télévisions – si ce ne devait pas être le cas, c’est que nous nous serions trompés. J’observe qu’elle s’en est tenue jusqu’à présent à une réserve totale sur son projet auprès des médias comme de moi-même, ce que je respecte et comprends parfaitement, même s’il a été rendu public selon la règle que nous avions annoncée.

Plusieurs d’entre vous ont abordé la question des programmes. Nous n’avons absolument pas négligé les programmes et ce que l’on appelle parfois les « contenus ». En la matière, nous avons tout particulièrement pris en compte les liens de toute nature et les engagements de Mme Ernotte dans ses responsabilités actuelles, ainsi que ses engagements par rapport au poste auquel elle postulait. Même s’il ne s’agit pas de l’activité principale du groupe Orange, je rappelle que son activité s’étend aux programmes et aux contenus et qu’il gère un bouquet de chaînes.

La date à laquelle le CSA s’est prononcé n’a en aucun cas été fixée avec la volonté de ménager un effet de surprise. Il est toutefois vrai que, en conformité avec les règles énoncées par la loi, nous avons souhaité ne pas provoquer d’afflux de curiosité publique le jour où nous nous prononcions. Si la loi avait prévu que nous devions délibérer sous l’œil d’acteurs extérieurs, nous l’aurions évidemment respectée de façon tout aussi scrupuleuse.

Monsieur Kert, vous avez évoqué les nominations de deux membres du CSA au mois de janvier dernier. J’ai toujours dit qu’il était très important que ce renouvellement permette de doter le Conseil de compétences personnelles en matière numérique, économique, et technologique, d’autant qu’il perdait en la personne d’Emmanuel Gabla un éminent spécialiste de ces sujets. Je ne me suis caché de rien à cet égard. Le choix qui revenait aux présidents des assemblées a été soumis à la commission des affaires culturelles de la chambre concernée. S’agissant de Mme Nathalie Sonnac, je crois me souvenir que votre commission a donné, à l’unanimité, un avis favorable à sa nomination aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Quant à l’idée selon laquelle le président du Sénat aurait pu concourir à je ne sais quelle démarche de caractère partisan en faisant son choix, je ne la partage absolument pas. J’ajoute que les deux imputations se contredisent en quelque sorte.

Plusieurs d’entre vous se sont étonnés que le collège n’ait pas retenu pour l’étape des auditions un certain nombre de personnalités dont la compétence était indéniable. Il faut à mon sens opérer une distinction. La présidente d’une grande société audiovisuelle, dont la nomination à son poste relèverait aujourd’hui du CSA – le collège avait rendu un avis sur la désignation de cette dernière en septembre 2012, procédure à laquelle ne s’appliquait pas la décision du 27 juillet 2000 du Conseil constitutionnel qui ne concerne que les procédures de nomination –, a annoncé avoir présenté sa candidature. Je peux donc en faire état. La considération selon laquelle le CSA devait avoir une vue d’ensemble de l’exercice des mandats qu’il a en quelque sorte confié lui-même pouvait naturellement venir à l’esprit des membres du collège. Je ne peux guère en dire plus car cela enfreindrait le secret des délibérations. Je tiens en revanche à vous assurer que cette question ne peut légitimement être posée que pour une entreprise dont le président est nommé par le CSA, et pour aucune autre.

J’espère que vous retiendrez de nos échanges que nous avons le souci permanent d’être digne, individuellement et collectivement, de la responsabilité éminente qui a été confiée à chacun d’entre nous dans les procédures de désignation comme dans toutes les missions qui sont les nôtres et qui ont été encore accrues par la loi du 15 novembre 2013. Nous sommes à la disposition de la représentation nationale pour concourir à une réflexion et à une évaluation. Nous ne considérons pas que ce qui a été expérimenté vaut précédent ; au contraire, nous sommes guidés par un esprit de responsabilité qui nous conduit à nous interroger sans cesse sur les procédures et la façon dont nous les appliquons. Il reste que nous nous sommes prononcés et que notre vote demeure ; nous avons fait des choix et nous les assumons.

M. le président Patrick Bloche. Monsieur Schrameck, nous vous remercions. Comme vous nous l’avez indiqué, au-delà des cas d’espèce que vous avez évoqués aujourd’hui devant nous, il nous revient, en tant que législateur, de nous nourrir de vos réflexions sur la procédure que nous avons adoptée en 2013, car ce qu’une loi a fait peut être modifié et amélioré par une autre loi.

La séance est levée à dix-neuf heures cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mardi 26 mai 2015 à 17 heures.

Présents. – M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Marie-George Buffet, Mme Dominique Chauvel, M. Jacques Cresta, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Virginie Duby-Muller, M. Yves Durand, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Patrick Hetzel, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Annick Lepetit, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Rudy Salles, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Ary Chalus, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Sonia Lagarde, M. Christophe Premat, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga

Assistait également à la réunion. – M. Lionel Tardy