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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION
Mercredi 3 juin 2015
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)
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La Commission reçoit une délégation de la commission de la culture et des médias du Bundestag pour une audition de Mme Catherine Trautmann, co-présidente du Haut Conseil culturel franco-allemand, et de Mme Doris Pack, co-secrétaire générale du Haut Conseil, sur l’avenir des droits d’auteur dans l’Union européenne.
M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous poursuivons nos échanges avec une délégation de la commission de la culture et des médias du Bundestag, conduite par M. Siegmund Ehrmann, que je remercie encore tout particulièrement d’avoir pris l’initiative d’établir des relations bilatérales entre nos deux commissions. Nous avons déjà eu à Berlin de fructueux échanges, qui se poursuivent cette semaine. Vous nous aviez remarquablement bien accueillis en Allemagne et je vous en remercie à nouveau.
Hier, nos discussions ont porté sur la convention UNESCO du 20 octobre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, à l’occasion de son dixième anniversaire.
Aujourd’hui, nous allons traiter d’un thème d’actualité : l’avenir des droits d’auteur en Europe – car ils ont un avenir ! Les biens et services culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Les droits d’auteur sont plus que jamais indispensables pour financer, et donc préserver, la diversité de la création : il ne s’agit pas pour nous de défendre de vieilles lunes. C’est au contraire convaincus de leur modernité que nous voulons les promouvoir.
Je suis très heureux d’accueillir Catherine Trautmann, ancienne ministre de la culture et de la communication et actuelle co-présidente du Haut Conseil culturel franco-allemand, et Doris Pack, ancienne présidente de la commission pour la culture, la jeunesse, l’éducation, les médias et le sport du Parlement européen, désormais co-secrétaire générale du Haut Conseil et qui représente ce matin le co-président allemand du Haut Conseil, Thomas Ostermeier, metteur en scène que nous admirons tous, qui ne pouvait être présent pour cette audition.
Mesdames, je vous remercie de nous rejoindre pour ce débat qui promet d’être passionnant, tant le sujet est délicat, en France comme en Allemagne.
Le Haut Conseil a déjà manifesté en avril 2014 sa préoccupation sur la question des droits d’auteur, par une déclaration commune solennelle. Le 31 mars dernier, la ministre française de la culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin, et le ministre allemand de la justice et de la protection des consommateurs, M. Heiko Maas, ont à leur tour signé une déclaration commune sur ce sujet. Ces déclarations font apparaître les convergences qui existent entre nos deux pays.
Il ne s’agit évidemment pas de considérer le dispositif européen de protection des droits d’auteur comme un bloc immuable et intangible, surtout à l’ère de la révolution numérique. Celle-ci constitue pour lui un nouveau défi, mais notre système du droit d’auteur a déjà, dans le passé, fait montre d’une grande capacité d’adaptation.
Il faut en tout cas préserver notre équilibre, si fragile, si complexe, entre l’élargissement des publics permis par la diffusion en ligne – la trop rebattue, mais si indispensable « démocratisation culturelle » – et les droits inaliénables des créateurs. L’adaptation ne doit se faire ni au détriment des créateurs ni à celui des citoyens.
La Commission européenne ne doit pas se tromper de cible : la protection des auteurs est totalement compatible avec le développement du marché unique numérique. Les industries créatives et culturelles européennes emploient aujourd’hui des millions d’Européens et constituent un secteur économique d’un grand dynamisme, au potentiel de développement élevé ; elles peuvent parfaitement s’adapter au nouvel environnement numérique, pour peu que la spécificité de leur modèle économique et de leurs équilibres concurrentiels soit respectée et préservée en droit.
Je souhaite donc que nos échanges de ce matin permettent de dégager des positions communes. Celles-ci, n’en doutons pas, nous donneront la force d’entraîner et de mobiliser nos partenaires européens, et contribueront à l’émergence de dynamiques vertueuses.
M. le président Siegmund Ehrmann (traduction). Merci, monsieur le président. Je remercie chaleureusement nos collègues français qui ont permis d’assister hier à la représentation d’un ballet à l’Opéra Garnier : cette journée était magnifique, et s’est achevée par un dîner entre amis qui nous a permis de faire plus ample connaissance.
La délégation que j’ai l’honneur de conduire est composée de Mme Herlind Gundelach, vice-présidente de la Commission, membre du groupe CDU/CSU, de M. Burkhard Blienert, membre du groupe SPD, de Mme Ursula Groden-Kranich, membre du groupe CDU/CSU, de Mme Sigrid Hupach, membre du groupe Die Linke, de Mme Elisabeth Motschmann, membre du groupe CDU/CSU, et de Mme Ulle Schauws, membre du groupe Bündnis 90/Die Grünen. Sept des dix-huit membres de notre commission sont donc présents.
Merci de nous offrir ce matin l’occasion de débattre d’un sujet qui appelle toute notre attention. C’est un privilège pour nous que de recevoir Mmes Trautmann et Pack. La coopération entre députés français et allemands sur les sujets de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur est importante : il faut bien sûr soutenir la création artistique et s’assurer que les artistes sont correctement rémunérés pour leur travail. Mais le système juridique de la propriété intellectuelle doit également favoriser les investissements dans de nouveaux « produits » culturels, et permettre une diffusion aussi large que possible de ces innovations. Notre sujet revêt donc une dimension technologique, mais aussi sociale.
La Commission européenne a publié au mois de mai une stratégie pour un marché unique numérique. On parle beaucoup d’économie de la culture et c’est, bien sûr, un aspect crucial : le potentiel économique du secteur culturel doit être pris en considération, et nous devons encourager son développement. Mais l’aspect immatériel n’est pas moins important, et ne doit pas être négligé. C’est pourquoi l’Allemagne et la France doivent parler d’une même voix, et souligner ensemble le caractère fondamental de la diversité culturelle.
Dès lors, il est encourageant que la ministre française de la culture et le ministre allemand de la justice, mais aussi la ministre d’État de la culture et des médias, Mme Grütters, aient souligné à plusieurs reprises, par écrit, l’importance de la diversité culturelle.
La Commission européenne ne doit pas non plus perdre de vue les différences régionales : tout ne doit pas se ressembler. Même si nous réformons, même si nous nous adaptons, nous devons demeurer fidèles à nos cultures.
La question des licences est intéressante : doivent-elles être européennes, ou faut-il prévoir des prérogatives nationales, voire régionales ? C’est un problème culturel, mais aussi économique.
Comment mieux veiller au fonctionnement des sociétés de gestion des droits d’auteur ? Les artistes doivent recevoir une rémunération appropriée.
S’agissant de la protection du patrimoine, le projet Europeana, par exemple, contribue à la numérisation des œuvres présentes dans les bibliothèques ou dans les musées, afin qu’elles soient accessibles en ligne. La numérisation permet également de protéger des manuscrits de la destruction. Comment les institutions culturelles publiques peuvent-elles jouer pleinement leur rôle dans la numérisation du patrimoine européen ?
Comment mettre vraiment en œuvre la protection juridique des propriétaires des œuvres ? Comment éviter une marchandisation illicite ? Là encore, nous devrons réfléchir à l’échelle européenne.
Les sujets, vous le voyez, sont nombreux ; il est heureux que nos gouvernements aient trouvé des points d’entente, mais il nous revient aussi, en tant que parlementaires, d’échanger pour soutenir et favoriser un débat européen. Merci d’être venus ce matin pour en discuter avec nous.
Mme Catherine Trautmann, co-présidente du Haut Conseil culturel franco-allemand. Le Haut Conseil franco-allemand a été créé en 1988 – on célébrait alors le vingt-cinquième anniversaire du traité de l’Élysée – à l’initiative du président François Mitterrand et du chancelier Helmut Kohl. Il a pour mission de susciter l’intérêt pour les activités culturelles communes, de soumettre des propositions aux deux gouvernements sur la façon dont ces activités peuvent être promues et de contribuer à ce que les informations concernant la coopération culturelle des deux pays soient rassemblées et rendues accessibles au public intéressé. Depuis sa création, il a également rempli avec succès sa mission de conseil auprès des gouvernements français et allemand ; ses objectifs sont le soutien de la langue et de la culture du voisin, l’intégration de la société civile, la promotion de la coopération avec les pays tiers d’Europe centrale et orientale dans le cadre du triangle de Weimar et l’harmonisation des points de vue allemand et français sur la question des droits d’auteur et la diversité culturelle, afin de contribuer à dessiner une politique européenne.
Doris Pack et moi-même sommes deux anciennes du Parlement européen : Mme Pack a longtemps été présidente de la commission de la culture et de l’éducation, et j’ai pour ma part surtout été active dans le domaine des télécommunications et d’internet. À nous deux, nous pouvons donc opérer des synthèses, et ce d’autant plus que nous représentons deux des grandes familles politiques européennes. Nous avons travaillé ensemble sur de nombreux sujets et toujours cherché à enrichir et à rendre plus cohérente la politique européenne.
L’occasion qui nous est offerte ce matin de vous présenter nos travaux et nos projets est importante : c’est la première fois que le Haut Conseil culturel franco-allemand est reçu en audition par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. J’émets ici le vœu que cette rencontre soit le début d’une coopération qui ne pourrait que renforcer l’influence de nos positions communes au sein de la Conférence des parlements nationaux et du Parlement européen. L’intérêt à anticiper l’examen de sujets majeurs est réel : il vaut mieux réfléchir lorsqu’une directive ou un rapport sont en préparation, plutôt qu’intervenir après leur adoption, voire seulement au moment de la transposition en droit national…
Le Haut Conseil culturel franco-allemand a publié en mars 2012 un manifeste sur la culture en Europe. Ce texte rappelle tout particulièrement à quel point il est important de défendre l’exception culturelle et d’adopter une position commune sur les droits d’auteur. Le Haut Conseil a ensuite élaboré une déclaration commune sur le droit d’auteur qui a inspiré les prises de position des deux gouvernements ; plusieurs démarches communes ont ensuite été menées, notamment la lettre commune d’Axelle Lemaire et de Brigitte Zypries sur le marché numérique et la déclaration commune de Fleur Pellerin et Heiko Maas sur le droit d’auteur. Les éléments essentiels de ces travaux ont été intégrés aux conclusions du sommet franco-allemand qui s’est tenu à la suite de la cinquante-deuxième session plénière du Haut Conseil, dont nous avions fait tenir les conclusions à MM. Harlem Désir et Michael Roth.
Je donne ici un bref aperçu de nos positions. Nous estimons fondamental de promouvoir la protection du droit d’auteur et de repousser toute tentative de démantèlement du corpus de ces droits. La notion de culture européenne doit être inscrite à l’agenda de la Commission européenne : la culture doit être comprise comme un domaine à préserver sous l’angle de la diversité et du financement de la création artistique. Enfin, la dimension économique de la culture – facteur d’emploi et de croissance – doit être reconnue dans les travaux de la Commission ; dès lors, l’harmonisation de la fiscalité des biens culturels doit être considérée comme un objectif prioritaire. Sous l’impulsion du couple franco-allemand, l’Union européenne doit s’opposer fermement à la réintroduction des biens et services culturels dans les négociations du traité transatlantique (Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP), quel que soit le support de distribution.
Mme Doris Pack, co-secrétaire générale du Haut Conseil culturel franco-allemand (traduction). Ancienne députée européenne et ancienne députée au Bundestag, je suis aujourd’hui officiellement à la retraite – mais cette retraite n’est pas un long fleuve tranquille, puisque je suis devenue secrétaire générale du Haut Conseil culturel franco-allemand, pour la partie allemande. M. Thomas Ostermeier, co-président du Haut Conseil, vous prie d’excuser son absence. Vous savez qu’il est directeur artistique de la Schaubühne de Berlin – je viens de voir sa mise en scène de Richard III et je vous la recommande chaleureusement.
Notre sujet d’aujourd’hui doit être replacé dans un contexte européen : nous ne devons pas agir ici en Allemands pour l’Allemagne, ou en Français pour la France ; nous travaillons en Européens.
Plusieurs rapports sont en cours de préparation ou juste achevés au Parlement européen, et ils méritent notre attention. Je précise que le droit d’auteur ne relève pas, dans ce parlement, de la Commission de la culture et de l’éducation, mais celle-ci peut se saisir pour avis.
La commission des affaires juridiques travaille sur un rapport consacré notamment à la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE du Parlement européen. La rapporteure en est Julia Reda, qui est allemande et issue, vous le savez sans doute, du Parti Pirate. Son opinion, vous l’imaginez bien, ne correspond donc pas nécessairement à celle de la majorité de la commission – elle rassemble même contre elle une grande majorité de cette commission. Les droits d’auteur ne sont pas là entre de bonnes mains ; en revanche, elle veille de très près à la question de l’accès de tous à la culture. Ce rapport est en préparation, et nos collègues européens devront veiller à ce que le rapport final ne reflète pas les seules vues de Mme Reda.
Nous, c’est-à-dire tous les acteurs impliqués dans le domaine culturel, voulons une rémunération appropriée. Nous souhaitons aussi une amélioration de la portabilité. Les sociétés de gestion des droits d’auteur doivent certes continuer à jouer un rôle important mais la diversité culturelle doit être absolument sauvegardée. Il faut donc parler des droits des auteurs, mais aussi de tous ceux qui contribuent à la diversité culturelle, jusqu’à ce qu’une œuvre parvienne au consommateur final. Il est très difficile de concilier tous ces intérêts et de les satisfaire tous.
Le nouveau commissaire, M. Günther Oettinger, cherche une nouvelle approche, mais son projet de stratégie numérique, vous le savez, ne rencontre pas uniquement de la sympathie ! Nous devons rattraper notre retard numérique, chacun en est conscient ; mais les droits de la culture doivent aussi être protégés. Les éditeurs cherchent par exemple à défendre les intérêts du livre.
À l’occasion du festival de Cannes, où se sont rencontrés le Premier ministre français, la ministre française de la culture et M. Oettinger, on a pu voir que l’Agenda numérique de la Commission rencontre d’importantes oppositions, notamment autour de la question du principe territorial. M. Oettinger a bien compris les résistances qui s’expriment, en particulier dans le secteur du cinéma. Je crois qu’il faudra prévoir une exception, qui devra être formulée de façon à ce qu’elle soit acceptable. C’est un sujet qui était déjà sensible avant le nouveau programme européen « Europe créative ». Il nous a fallu lutter pour qu’un programme en faveur des médias soit maintenu… Quant au traité transatlantique, nous en avons déjà beaucoup discuté également, et nous avons été rejoints par de nombreux metteurs en scène. Le Parlement européen a voté, à une forte majorité, une résolution excluant les services de contenus culturels et audiovisuels, y compris en ligne, des négociations du traité transatlantique. M. De Gucht, l’ancien commissaire, avait reçu un mandat précis de négociation. Le risque demeure que les Américains remettent cette question sur la table ; il faut veiller à ce que le cap soit maintenu.
Un autre rapport est en cours de préparation au Parlement : celui de M. Pavel Svoboda, député tchèque, qui sera consacré à la propriété intellectuelle. Le rapport de Bogdan Brunon Wenta, député européen polonais, consacré au cinéma européen à l’ère du numérique, vient quant à lui d’être adopté. J’en profite pour souligner que les Polonais sont, sur les questions de diversité culturelle, nos alliés au Parlement européen : ils sont toujours à nos côtés pour faire avancer ces dossiers. Toutefois, je regrette profondément que nous ne disposions aujourd’hui, à la commission de la culture du Parlement européen, d’aucun interlocuteur français sur ces questions. Les Français sont pourtant souvent à la pointe de ces débats. Il faut que les parlementaires nationaux soient conscients de cet état de fait.
D’un point de vue économique, la culture et l’audiovisuel pèsent lourd, c’est vrai, et il ne faut pas manquer de le souligner – c’est ce qui fait son importance aux yeux de nombre de parlementaires européens. Mais, ce qui est essentiel, c’est bien le contenu.
Pour le rappeler, nous disposons aujourd’hui d’une équipe forte et dynamique au Parlement européen, surtout composée de femmes, d’ailleurs. Nous nous serrons les coudes entre nous, mais il est important que les parlementaires nationaux fassent pression sur leurs collègues européens pour leur faire prendre conscience de l’importance de ces questions et les inciter à s’emparer de ces dossiers. C’est un appel que je vous lance ce matin !
Le Haut Conseil culturel franco-allemand dispose d’un réseau d’interlocuteurs : éditeurs, sociétés de gestion des droits d’auteur, professionnels du cinéma… Arte joue aussi un rôle très important, notamment, ces jours-ci, dans un projet pilote sur le sous-titrage de films en espagnol et en polonais.
Nous avons donc des complices nombreux dans le milieu de la culture ; mais nous avons besoin des parlementaires nationaux aussi, et c’est pourquoi je suis très heureuse que cette audition se tienne ce matin.
Mme Catherine Trautmann. Je précise néanmoins que le groupe Socialistes et démocrates du Parlement européen compte deux députées qui suivent de très près la question du droit d’auteur, notamment à la commission des affaires juridiques, compétente sur ces sujets : Pervenche Berès et Virginie Rozière. La première dispose de l’expérience et de l’autorité nécessaire, la seconde a été élue lors des dernières élections.
S’agissant du droit d’auteur, je ne reviens pas sur ce qui a été dit.
La question de la territorialisation reste en débat, et n’a pas été reprise dans l’un des compromis en négociation au Parlement. Le projet de rapport de Mme Reda a fait l’objet de 556 amendements et, aujourd’hui, il existe une trentaine de compromis. Des sujets importants demeurent encore en suspens.
Les principaux points de compromis portent sur la notion de copyright, et sur l’idée d’un titre européen unique, une demande ayant été adressée à la Commission pour qu’elle travaille sur les conséquences qu’une réforme à l’échelle européenne aurait sur le secteur créatif – conséquences sur l’emploi, sur l’innovation… –, mais aussi sur l’accès des consommateurs aux biens culturels.
Il existe également un amendement de compromis sur l’harmonisation, et sur l’idée de rendre obligatoires les exceptions et limitations prévues par la directive, mais sans les multiplier. En revanche, il est question d’intégrer les nouvelles exceptions ou limitations dans le corpus existant défini dans le cadre européen. La question des standards minimaux définis à l’échelle européenne fait l’objet d’un compromis, mais demeure débattue. Il paraît en tout cas nécessaire d’établir une sécurité juridique à l’échelle européenne.
Cette question des exceptions et des limitations a entraîné un vif débat, mais les notions de normes ouvertes et de fair use mises en avant par Mme Reda ont en tout cas été remplacées. Toute évolution technologique ne doit pas provoquer un changement juridique.
Les groupes politiques du Parlement européen cherchent ainsi à prendre en considération les données économiques et technologiques, mais sans rendre notre dispositif plus complexe – il s’agirait même, dans l’idéal, de le rendre plus cohérent.
Je souligne l’absence de révision de la directive sur le commerce électronique, qui concerne aussi l’ensemble du secteur numérique, et donc les entreprises du secteur culturel.
Sur ces questions, tous les groupes sont divisés ; aujourd’hui, malgré les compromis négociés que j’ai évoqués, il n’y a pas de majorité pour voter le rapport de Mme Reda. Le Haut Conseil examinera les compromis passés afin d’élaborer une prise de position que nous soumettrons à nos gouvernements et que nous vous adresserons également, messieurs les présidents.
M. le président Patrick Bloche. Merci de vos interventions si claires et si énergiques. Nous suivons avec attention le feuilleton du rapport de Mme Reda, dont le vote est continuellement reporté…
Doris Pack a évoqué nos amis polonais : c’est pour moi l’occasion de reparler de l’idée, déjà évoquée à Berlin lors de nos premiers échanges, de constituer un « triangle de Weimar culturel », ce qui nous donnerait plus de force. Mais beaucoup de pays de taille plus modeste sont très sensibles à ces questions – comme président du groupe d’amitié France-Croatie, je cite avec plaisir cet État, dernier adhérent en date à l’Union européenne, mais vieux pays de culture.
À l’Assemblée nationale, c’est bien la commission des affaires culturelles et de l’éducation qui a compétence sur la question des droits d’auteur, depuis 2009. J’ajoute que notre commission est parfaitement paritaire – c’est l’une de nos fiertés, parmi beaucoup d’autres, naturellement.
Je salue en votre nom Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes, à la présence de laquelle nous sommes très sensibles.
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Merci, monsieur le président. La Commission des affaires européennes est extrêmement attentive à ces sujets. Nous avons confié à deux rapporteurs, Mme Marietta Karamanli et M. Hervé Gaymard, un rapport sur le droit d’auteur dans un contexte européen. Nos deux parlements doivent en effet échanger afin de promouvoir des solutions équilibrées : sans être opposée à toute refonte du cadre réglementaire actuel, je suis favorable à la préservation du droit d’auteur, composante essentielle de notre modèle culturel.
Je voudrais toutefois vous faire part de mon inquiétude. Je reviens de la réunion de la COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires) à Riga. Or elle a adopté un texte important qui demande, dans les négociations du traité transatlantique, la préservation de l’exception européenne en matière de santé, d’environnement, d’agriculture, mais ma proposition d’ajouter une exception en matière de culture, d’éducation et de droit d’auteur a été refusée par la majorité de nos collègues. C’est la preuve qu’il faut rester vigilant, et même se montrer un peu inquiet.
Il me paraît d’autant plus important que nos pays affirment d’une même voix que le droit d’auteur est une chose essentielle, et que la préservation d’une exception culturelle européenne n’est pas une lubie franco-française, comme certains se l’imaginent encore parfois. À Riga, nous avons reçu du renfort, notamment de nos collègues autrichiens ; la délégation allemande était plus partagée. Il reste donc du travail à faire.
La directive de 2001 nous semble se porter plutôt bien – Marietta Karamanli en parlera sans doute. En tout cas, il me semble dangereux de n’envisager qu’un seul texte, alors que les sujets sont nombreux et liés les uns aux autres.
Je ne reprends pas ce qui a été dit, mais je souligne que le régime de l’exception pour copie privée, qui est une rémunération importante pour les ayants droit et qui permet un véritable financement de la création, est un système moderne : il ne paraît pas utile de le remettre en cause. C’est pour les acteurs du secteur culturel un sujet sensible. J’insiste sur le fait qu’il faut défendre la propriété intellectuelle, mais aussi l’ensemble de la culture et notamment le secteur très menacé du spectacle vivant.
La commission des affaires européennes, vous l’avez compris, est très attentive à ces questions et alerterait s’il en était besoin la commission des affaires culturelles, qui se montre toujours très réactive. Demeurons vigilants.
M. Hervé Féron. Le directeur général de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) a déclaré que le rapport Reda donnerait le la de la réforme du marché numérique unique. Ce rapport, confié à une eurodéputée membre du Parti Pirate allemand, inquiète beaucoup, notamment en France : les défenseurs du droit d’auteur y voient une menace de nivellement par le bas. Le refus de la territorialité des droits ou la demande d’une harmonisation des règles en matière de rémunération pour copie privée apparaissent comme non pertinentes, et même dangereuses : chaque pays a trouvé des équilibres, mais ceux-ci sont fragiles et risqueraient fort de s’effondrer.
Mme Reda se dit favorable à un raccourcissement de la durée de protection des droits d’auteur de soixante-dix à cinquante ans, alors que nous venons de voter une loi qui va dans le sens contraire en allongeant de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits des artistes-interprètes et des producteurs de disques. Ce rapport va donc à l’encontre de notre action de protection des artistes – or, sans protection des artistes, il ne saurait y avoir de diversité culturelle.
En découvrant ce rapport, le lecteur a l’impression que le seul point de vue adopté est celui du consommateur du marché unique ; la priorité, affichée de façon décomplexée, est de lui donner un accès au réseau le plus performant possible et le plus sûr, et de lui offrir des services nouveaux, et tout cela au meilleur prix. Mais, nous le savons, la culture n’est pas un bien de consommation comme un autre : comme le disait si bien M. Juncker lui-même en 2005, « la culture ne se prête pas à l’harmonisation, ne se prête pas à la standardisation, ne se prête pas à la réglementation stupide ». Que vaut le confort de certains qui pourront avoir accès à leurs chaînes nationales de n’importe quel endroit en Europe, ou qui pourront transporter avec eux leur tablette pour visionner un match de foot, si ce confort a pour contrepartie un appauvrissement de notre diversité culturelle, louée dans le monde entier ?
Vous l’aurez compris, comme député français attaché à la défense du droit d’auteur et de l’exception culturelle, je n’envisage ce rapport et son idéologie qu’avec beaucoup de circonspection. Mesdames, vous qui connaissez si bien les institutions européennes, pouvez-vous nous dire si ce rapport guidera vraiment la réforme du droit d’auteur voulue par le président Juncker ? Estimez-vous pertinentes ses préconisations ?
Lors d’un récent conseil des ministres franco-allemand, nos deux gouvernements ont exprimé la volonté de trouver en Europe un « cadre de régulation approprié pour les plateformes sur Internet » – il s’agit notamment des GAFA, Google, Apple, Facebook, Amazon. Tout récemment, le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) s’est déclaré favorable à une harmonisation des règles fiscales dans l’Union, afin que ces mastodontes n’aillent pas s’installer dans les paradis fiscaux irlandais ou néerlandais pour mieux inonder le marché européen de leurs offres ultra-concurrentielles. Pouvez-vous nous informer de l’avancée de ce front commun ?
Il y a tant d’intérêts divergents dans l’Union européenne qu’il se produit une véritable cacophonie, au sein de laquelle même des puissances économiques comme la France ou l’Allemagne ont du mal à se faire entendre. Je prends l’exemple de la lutte contre le blocage géographique des contenus, dans laquelle la Commission européenne semble particulièrement impliquée, bien que peu d’Européens soient concernés. Alors même que la suppression du géoblocage pourrait remettre en cause l’intégralité du système des droits d’auteur, elle a été inscrite à l’agenda prioritaire des réformes par le commissaire au marché numérique, l’Estonien Andrus Ansip. Au moment où les GAFA nous écrasent, où le piratage commercial bat son plein, où nous sommes toujours désespérément à la recherche d’une politique industrielle culturelle en Europe, n’est-ce pas se tromper de priorité ? De quels moyens la France dispose-t-elle aujourd’hui pour peser sur la conduite et les orientations de ces réformes ?
Mme Herlind Gundelach (traduction). Je voudrais vous remercier, au nom du groupe CDU-CSU, pour la merveilleuse soirée que nous avons passée hier à l’Opéra Garnier.
S’agissant de l’avenir du droit d’auteur en Europe, tout ce qui vient d’être dit montre que nous avons encore du pain sur la planche ! Je ne pense pas seulement au rapport de Julia Reda : sur ces questions, tous les groupes sont divisés, comme d’ailleurs les gouvernements. Nous devons donc en débattre encore, afin de rapprocher les points de vue. Je peux confirmer ici que celui de nos collègues polonais est très proche du nôtre.
Il faut absolument tenir les deux bouts de la chaîne : d’un côté l’économie, de l’autre la sauvegarde de la diversité culturelle et des droits individuels. Nous n’y réussirons qu’en coopérant très étroitement.
Il a été question également des propositions de Günther Oettinger sur l’Agenda numérique. Je connais depuis longtemps ce fervent défenseur de l’économie sociale de marché, plutôt proche des entrepreneurs ; c’est quelqu’un qui recherche toujours le compromis et l’équilibre. Il a entendu les critiques qui ont été énoncées sur le principe territorial, et l’optimisme nous est permis : il est possible de le faire changer d’avis.
La ministre d’État allemande de la culture a dit récemment qu’il était nécessaire que l’on puisse vivre, à l’ère d’internet, d’un travail artistique. C’est la tâche que nous devons nous assigner. Doris Pack est très engagée et sait s’imposer : je suis certaine que nos efforts nous permettront d’arriver à un résultat satisfaisant.
M. Frédéric Reiss. Dans le cadre du développement du marché unique numérique, les droits d’auteur doivent être préservés : il faut adapter, moderniser, mais sans freiner, surtout, la diversité culturelle. Il est au contraire de notre intérêt d’encourager la création et de permettre aux initiatives de se développer.
Les outils numériques permettent une diffusion de la culture d’une façon que l’on ne pouvait pas soupçonner en 1988, année de la création du Haut Conseil culturel franco-allemand ! On ne peut que se féliciter des initiatives de ce dernier, notamment pour soutenir l’enseignement artistique et culturel et pour favoriser la reconnaissance internationale du principe de l’exception culturelle et de son application dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.
À ce propos, je relève le récent mea culpa du Premier ministre Manuel Valls, qui a reconnu que la culture n’avait pas été suffisamment bien soutenue au début du quinquennat – mon groupe avait d’ailleurs dénoncé la baisse de son budget. Un sursaut est annoncé en 2016, et je m’en réjouis.
Le Haut Conseil franco-allemand veut soutenir les droits d’auteur : je ne peux que souscrire à cette position. Les artistes doivent pouvoir s’exprimer dans de bonnes conditions et vivre de leurs créations ; la France rencontre d’ailleurs actuellement des difficultés à établir un régime satisfaisant pour les intermittents du spectacle.
S’agissant enfin de la copie privée, j’avoue avoir été d’abord sceptique sur la pertinence d’une mission d’information sur les trente ans de la loi : je n’imaginais pas que le débat serait si passionnant et si passionné. Je suis très admiratif devant les travaux de notre rapporteur Marcel Rogemont, et j’espère que le voyage de la mission d’information à Berlin nous ouvrira des pistes de réflexion nouvelles. Il nous faut pérenniser ce régime en essayant de le rendre aussi juste que possible, sans nier les dysfonctionnements de la Commission pour la rémunération de la copie privée. Madame la présidente de la commission des affaires européennes, vous dites que notre système est moderne : je n’en suis pas si sûr ! Il faut en tout cas rechercher une compensation équitable du préjudice subi. Ce sont 200 millions d’euros qui sont en jeu. Une grande partie de cette somme va aux auteurs et aux ayants droit ; le reste sert à soutenir la création culturelle, ce qui me paraît plutôt une bonne chose.
On ne peut, dans ce domaine comme dans d’autres, que souhaiter une plus grande harmonisation entre la France et l’Allemagne, mais aussi plus largement au sein de l’Union européenne.
Enfin, monsieur le président, votre proposition de consolider le triangle de Weimar en développant son volet culturel me paraît tout à fait pertinente.
M. Burkhard Blienert (traduction). Les interventions que nous venons d’entendre montrent clairement qu’il existe entre nous une approche commune de ces sujets.
La diversité culturelle se développe à différents niveaux, à différentes échelles : il me semble même qu’il ne faudrait pas parler d’exception culturelle, ou plutôt que, en matière culturelle, l’exception devrait être la règle.
Il faut parler à la fois d’accès et de contenu : je ne suis pas sûr qu’il soit si difficile de concilier exploitation économique et droits individuels. À mon sens, il faut surtout trouver le moyen de renforcer les auteurs en leur permettant de recevoir le fruit de leur créativité. La culture ne sera vivante que si l’on voit au-delà de l’économie, et notre tâche est de promouvoir la créativité et la diversité culturelle. La culture, ce n’est pas seulement un marché ; c’est un enjeu pour le vivre-ensemble dans une société ouverte et démocratique.
S’il semble y avoir un consensus ici, ce n’est pas encore le cas, cela a été dit, au niveau européen. Les difficultés rencontrées à la réunion de la COSAC à Riga ont été évoquées, ainsi que le débat sur le cinéma qui s’est tenu à Cannes.
Il est important que, à l’issue de notre réunion, nous donnions notre position commune, car nous contribuerons ainsi à ce débat. Nous devons insister sur la nécessité d’appuyer les créateurs, les auteurs, qui agissent pour le bien de la société.
Enfin, il me paraît essentiel de renforcer la formation et l’éducation artistique et culturelle, dès le plus jeune âge. C’est là encore, je crois, un point d’accord entre nous.
Mme Isabelle Attard. Lorsque l’on pense aux revenus des artistes, les droits d’auteur viennent immédiatement à l’esprit. Pourtant, il s’agit d’un système de perception de droits et de rémunération très inégalitaire : différentes études ont montré que la distribution des droits d’auteur, loin de corriger les inégalités, les renforce. En 2013, la Cour des comptes avait démontré que 130 à 150 membres de la SACEM seulement, soit 1 % de ceux qui touchent des droits audiovisuels, recevaient la moitié des redevances ; en 2012, 62 sociétaires touchaient un revenu moyen de près de 800 000 euros, alors que 1 235 sociétaires percevaient moins du SMIC, et que près de 6 000 sociétaires touchaient moins de 100 euros par mois.
Notre préoccupation, chers collègues français et allemands, est bien que les créateurs, au sens large de ce terme, vivent de leur travail. L’entrée au Panthéon de Jean Zay la semaine dernière a été l’occasion de nous replonger dans l’un de ses projets, qui n’a pu être mené à bien en raison de l’entrée en guerre de la France en 1939. Jean Zay souhaitait protéger les auteurs de leur vivant ; mais il refusait l’idée d’une prolongation excessive après la mort des créateurs. Ce sont alors des héritiers ou des ayants droit qui perçoivent les droits : ces sommes ne servent pas à soutenir la création.
Je ne peux pas être d’accord avec ce qui a été dit sur le rapport de Julia Reda. Je pense d’ailleurs que le choix de Mme Reda a été très calculé : elle appartient effectivement au Parti Pirate, et aux yeux de beaucoup, tout ce qu’elle pourra dire n’aura aucune crédibilité. C’est d’ailleurs la seule personne dont vous ayez cité, avec beaucoup de persévérance, l’appartenance partisane. Elle sert visiblement d’épouvantail.
Je voudrais donc établir un parallèle entre le rapport de Mme Reda et celui rédigé, en France, par Pierre Lescure. Vous pourrez constater que les différences ne sont pas si grandes.
Le rapport Reda préconise de réduire les barrières à la réutilisation des informations issues du secteur public, en écartant les œuvres produites par le secteur public de toute protection au titre du droit d’auteur. Un fonctionnaire rémunéré pour produire une œuvre doit-il en plus être rémunéré par le droit d’auteur ? Je ne le pense pas.
Ce rapport prône également l’interdiction des limitations à l’exploitation du domaine public, que ce soit par l’utilisation de mesures techniques ou de mesures contractuelles ; il demande que les auteurs puissent renoncer à leurs droits en faveur du domaine public.
Ces mesures figurent toutes dans le rapport Lescure.
Le rapport Reda préconise une harmonisation des droits dans toute l’Union européenne, sans excéder la durée de cinquante ans après la mort prévue par la Convention de Berne. Cette mesure ne figure pas dans le rapport Lescure, mais souvenez-vous, chers collègues, que nous avions tenté ensemble d’harmoniser ces durées, en abrogeant les prorogations pour temps de guerre et pour les auteurs morts pour la France. Je regrette profondément que nous n’ayons pas saisi cette occasion d’harmoniser enfin ces durées de protection des droits dans l’Union européenne.
Le rapport Reda estime qu’il faut rendre obligatoires toutes les exceptions au droit d’auteur prévues par la directive de 2001, qui laisse aujourd’hui une marge d’appréciation aux États. Cette proposition figurait pour l’essentiel dans le rapport Lescure.
Aux termes du rapport Reda, l’audiovisuel pourrait faire l’objet de courtes citations : cela figure dans le rapport Lescure. Voici encore d’autres propositions. Reconnaître l’exception pour caricature, parodie ou pastiche, quelle que soit la finalité du détournement : cela figure dans le rapport Lescure. Élargir l’exception pour l’éducation et la recherche à toutes les formes d’éducation, y compris non formelles, hors des établissements scolaires et universitaires : cela figure en partie dans le rapport Lescure. Affirmer un droit au prêt de livres numérisés par les bibliothèques, quel que soit le lieu d’accès : cela figure dans le rapport Lescure. Harmoniser les régimes et critères pour l’exception pour copie privée et la rémunération correspondante : notre commission travaille sur ce sujet, et je salue moi aussi le travail remarquable du rapporteur de notre mission, Marcel Rogemont. Rendre obligatoire la communication du code source ou des spécifications d’interopérabilité des DRM (mesures de digital rights management, c’est-à-dire gestion des droits numériques) : cela figure enfin dans le rapport Lescure.
Je m’arrêterai là : je voulais seulement, par quelques exemples, montrer que le rapport de Julia Reda n’est pas si éloigné de propositions qui peuvent être faites en France sur le sujet des droits d’auteur.
Que souhaitons-nous réellement ? Voulons-nous que tous les auteurs puissent vivre décemment de leur œuvre, ou bien que quelques ayants droit, n’ayant parfois jamais connu l’auteur, imposent leurs règles et fassent pression sur les parlements pour allonger indéfiniment la durée du droit d’auteur ? Les ayants droit de Maurice Ravel, mort en 1937, perçoivent aujourd’hui plus de 1 million d’euros par an. On comprend l’intérêt pour certains d’allonger autant que possible la durée de protection des œuvres.
M. le président Patrick Bloche. Je le dis pour nos amis allemands : le rapport de Pierre Lescure, aujourd’hui président du Festival de Cannes, a été remis au Gouvernement en 2013. Il n’a pas connu de suites concrètes à ce jour.
Mme Sigrid Hupach (traduction). À mon tour de remercier nos collègues français pour l’excellente soirée que nous avons passée hier.
Le groupe Die Linke comprend bien le défi que représente la réforme des droits de propriété intellectuelle. Nous partageons les préoccupations qui se sont exprimées et estimons qu’il est important de débattre régulièrement : la France et l’Allemagne s’accordent pour faire de la culture le fondement de la société et du vivre-ensemble. Notre regard est sans doute, au sein de l’Union européenne, assez particulier : les échanges entre nos deux parlements n’en sont que plus importants et doivent être intensifiés.
Nous devons créer un droit d’auteur européen qui garantisse un accès au savoir et à la culture aussi large que possible, au-delà des frontières nationales, mais sans négliger les intérêts des auteurs. Les créateurs, cela a été dit, doivent évidemment pouvoir vivre de leur travail. Or, en Allemagne comme sans doute en France, les artistes ont aujourd’hui bien du mal à joindre les deux bouts : si le rôle du marché s’accentue, leur vie deviendra plus difficile encore.
La tâche des femmes et des hommes politiques est de défendre la culture. Ce n’est pas facile, car, dans l’Union européenne, le rôle des intérêts économiques est extrême, et ceux-ci pèsent infiniment plus lourd que ceux de la culture. Nous devons nous allier pour être plus forts ensemble. La délégation polonaise pourra, je crois, nous aider.
Il n’est pas question de ne s’accorder que sur des normes minimales ou de prévoir une harmonisation trop légère. Nous ne voulons pas d’un nivellement par le bas. Pour bien défendre nos intérêts, il faut aussi distinguer différentes notions – copyright, propriété intellectuelle, droits d’auteur… Tout cela ne revient pas au même.
Il a été question des auteurs et des ayants droit. Autour de la propriété intellectuelle, les intérêts sont très nombreux : il faut prendre en considération les sociétés de gestion des droits, mais aussi les bibliothèques, par exemple. Originaire du Land très rural de Thuringe, je connais l’importance de ces dernières, qui chez nous ne sont pas seulement des endroits où l’on emprunte des livres : on s’y rencontre, on s’y rend en famille, on y joue du théâtre, on y organise des lectures… Tout cela serait mis en danger si le prix du livre était libéralisé. Il faut protéger la culture.
M. Michel Piron. Ne sommes-nous pas politiquement désemparés devant une explosion des techniques qui provoque elle-même une explosion des échanges, et finalement une implosion des anciens systèmes de protection territorialisés, notamment les droits d’auteur ? Avons-nous bien pris la mesure de cet enchaînement ?
Vous avez évoqué, monsieur le président, la directive « e-commerce ». Il faut savoir de quel commerce, mais aussi de quels échanges on parle – dans le domaine culturel, les objets ou les marchandises échangés ne sont pas tout à fait ordinaires.
S’agissant des droits d’auteur plus précisément, vous avez évoqué le triangle de Weimar. Nous pourrions sans doute l’élargir à d’autres pays, à l’Italie entre autres. Disposons-nous d’un tableau synoptique des modalités nationales, voire régionales, de la protection des droits d’auteur ? Je serais pour ma part fort intéressé par un tel document.
Enfin, on continue de parler d’exception culturelle. Cette expression ne me paraît qu’à moitié heureuse, ce que je ne suis pas le premier à dire ce matin. La culture n’a finalement d’exceptionnel que son universalité. Peut-être devrions-nous mieux réfléchir aux concepts que nous manions et surtout adopter des formulations plus offensives et plus pertinentes.
M. le président Patrick Bloche. Votre remarque est tout à fait juste. Il est d’ailleurs aujourd’hui beaucoup plus fréquent de parler de « diversité culturelle ».
Mme Ulle Schauws (traduction). Merci infiniment de ces débats très enrichissants. J’aurai plaisir à raconter ces journées à mes collègues du groupe parlementaire Bündnis 90/Die Grünen.
Bien des choses ont été dites. Je souligne à mon tour que la réforme des droits d’auteur mérite toute notre attention. Je partage la préoccupation de la présidente de la Commission européenne de l’Assemblée nationale à propos de la COSAC et de la place de la culture, notamment dans les négociations transatlantiques.
Cela a été dit : il existe des intérêts économiques qui se sentent peu concernés par les questions culturelles ; mais il faut évidemment protéger les droits d’auteur, c’est-à-dire les auteurs eux-mêmes et leur survie. Le problème est à la fois culturel, économique et social, et il ne faut négliger aucun de ces aspects. Comme M. Blienert, j’estime qu’en matière culturelle, l’exception devait être la règle. Mais j’approuve également les propos de Mme Attard : il ne faut pas oublier les consommateurs, les utilisateurs d’internet, et tous ceux qui veulent participer à la révolution numérique.
Nous devons protéger la diversité de la création artistique : c’est une bataille qui n’est pas gagnée. Les créateurs, les artistes ne cesseront pas d’être créatifs, mais, si nous diminuons leurs droits, ils ne pourront plus vivre de leur art. Peu importe que Mme Reda soit membre du Parti Pirate : intéressons-nous au contenu de son rapport, de façon objective, et trouvons des compromis.
Mme Marie-George Buffet. La culture n’est pas un bien de consommation comme les autres : nous nous sommes battus, et nous continuons à le faire, pour la reconnaissance de l’exception culturelle – malgré les réserves que l’on peut en effet émettre sur ce terme. La culture est un élément du vivre-ensemble, de la citoyenneté, et de la construction d’une Europe au service des êtres humains.
C’est pour ces raisons que nous défendons le droit d’auteur, essentiel pour la vitalité de la création et surtout pour la liberté de création. Mais le droit d’auteur ne doit pas être considéré comme immobile : Bertrand Tavernier a souligné que le droit d’auteur – qui doit tant à Beaumarchais – a déjà bougé et doit encore bouger. Le monde de la culture peut s’adapter aux progrès techniques, technologiques, numériques.
J’ai lu attentivement la déclaration commune franco-allemande publiée le 31 mars. Elle réaffirme la nécessité du maintien du droit d’auteur, mais aussi de la recherche d’un accès aux œuvres pour le plus grand nombre : n’opposons pas ces deux aspects ! La culture sera d’autant plus riche que plus d’individus auront accès à la création. Il faut trouver des équilibres et, pour cela, je ne crois pas que les problèmes à résoudre soient techniques. Certains s’interrogent sur la licence globale, et il faudrait sans doute, en effet, en débattre.
Est-ce que ce ne sont pas les fondements mêmes de la construction européenne qui sont ici interrogés ? M. Juncker a écrit ceci dans son programme : « le marché unique du numérique pour les consommateurs et les entreprises est un élément clef pour la croissance ; nous devons exploiter les possibilités des technologies numériques. Pour cela, nous devrons avoir le courage de briser les barrières nationales en matière de réglementation des télécommunications, de droit d’auteur et de protection des données ». Travaillons-nous à une construction européenne où le marché est au service de l’activité humaine et du développement culturel, ou bien faisons-nous l’inverse ?
Enfin, le rapport Sirinelli, rédigé à la demande du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, insiste sur le fait que les utilisateurs sont de moins en moins sensibles à la nécessité d’une juste rémunération des auteurs. N’y a-t-il pas un travail de sensibilisation à mener ?
Mme Marietta Karamanli. Je souhaite encore une fois la bienvenue à la délégation venue du Bundestag. À plusieurs reprises, c’est le partenariat avec nos collègues allemands qui nous a permis de progresser – sur les données personnelles, sur le parquet européen, sur le financement européen du cinéma…
J’ai eu l’occasion de rencontrer Mme Reda – je n’ai pas cédé à l’invitation de ceux qui me disaient qu’il ne fallait même pas la voir : notre devoir, je crois, est toujours de présenter nos arguments et de les défendre. La discussion a, me semble-t-il, été constructive.
Le droit d’auteur ne doit pas constituer un obstacle technique ; c’est un droit qui a toujours su évoluer. Il permet de financer la création et l’innovation, et donc la diversité culturelle européenne. Faut-il à votre sens aller vers une plus grande harmonisation des règles relatives au droit d’auteur dans l’Union européenne, et sur quels points ? Comment trouver un équilibre entre les droits des auteurs et le soutien à la création d’une part, et l’accès plus large des consommateurs aux œuvres d’art d’autre part ? Quelles sont les propositions qui permettraient de concilier ces deux aspects ?
La commission des affaires européennes réalise actuellement des auditions sur ce sujet, et devrait voter une résolution à la rentrée, afin d’envoyer un message à la Commission européenne. Pensez-vous que le commissaire est prêt à faire évoluer son projet, et sur quels points ?
M. Marcel Rogemont. Dans les textes de l’Union européenne, le citoyen est en général réduit au consommateur : c’est dommage. Aujourd’hui, si l’on cherche « Vinci » sur Google, Léonard n’arrive qu’à la sixième page, et, lorsque l’on cherche le site des impôts, des sites commerciaux arrivent avant le site officiel ! La consommation n’est pas tout. Soyons aussi, et même avant tout, citoyens !
Je remercie chaleureusement nos collègues des compliments qu’ils ont bien voulu m’adresser. Je précise toutefois que je ne m’exprime pas ici comme rapporteur de la mission d’information sur la copie privée : nos travaux sont encore en cours.
Le montant de la redevance pour copie privée est sans doute en France le plus élevée de l’Union européenne, mais nous avons aussi un très grand nombre de recours devant le Conseil d’État… Notre système est fragilisé. J’aimerais en savoir plus sur la situation en Allemagne, à la fois sur les montants perçus et sur les difficultés que ce système peut y rencontrer. Il existe sur la rémunération pour copie privée plusieurs rapports européens, notamment celui remis par M. Vitorino en 2013 et celui de Mme Castex, adopté par le Parlement en 2014. Le premier juge ce système dépassé et préconise un fonctionnement sur le principe de la licence ; la seconde souhaite une harmonisation par le haut – ce qui est toujours souhaité par tout le monde, sauf par ceux qui sont en dessous…
Quelle est votre appréciation, madame Trautmann, madame Pack, sur ces deux rapports et sur les réflexions du Parlement européen en la matière ?
Mme Elisabeth Motschmann (traduction). Je voudrais appeler l’attention de tous nos collègues sur le fait que l’on parle la plupart du temps des auteurs ou des professionnels du cinéma, mais que l’on parle trop peu des compositeurs, qui sont certes peu nombreux, mais essentiels, et dont il ne faut pas oublier les intérêts et les problèmes spécifiques. En particulier, il est bien plus facile de détecter le piratage d’une œuvre écrite que celui d’une œuvre musicale.
L’Europe représente 7 % de la population mondiale : il faut donc que nous parvenions à conclure cet accord de libre-échange avec les Américains – avant que d’autres ne le fassent ! Soyons pragmatiques et ne nous perdons pas dans les détails. Mmes Trautmann et Pack sont des politiques chevronnées, et peuvent nous aider à conclure des accords. La déclaration commune des deux ministres est très générale, et l’on ne peut pas vraiment être contre. Mais il ne faut pas s’arrêter aux positions de Mme Reda, qui est une exception au sein du monde politique allemand.
M. Patrick Hetzel. S’agissant de la déclaration franco-allemande sur les droits d’auteur, je souligne que la question du cadre juridique me paraît mériter une attention plus soutenue. Ce n’est pas un point technique, mais une question pleinement politique. L’exception culturelle doit en effet valoir aussi en matière juridique ! Il y a un combat à mener pour défendre le droit continental face au droit anglo-saxon – et ce serait, j’en suis convaincu, la meilleure défense possible du droit d’auteur. L’Allemagne a une longue et forte tradition juridique : nous pouvons, je crois, faire cause commune pour éviter un glissement de l’Europe vers une philosophie anglo-saxonne où la culture est considérée comme une marchandise comme les autres.
Mme Colette Langlade. N’oublions pas la question de la diffusion d’œuvres éducatives à l’école. Il est important de proposer un cadre juridique qui ne bride pas l’accès à la culture du plus grand nombre.
Faut-il faire évoluer le statut des hébergeurs comme Google ou Yahoo, par exemple en leur conférant le statut d’éditeurs ? Ils deviendraient ainsi responsables des contournements de la législation sur le droit d’auteur ; cela les obligerait à mieux protéger les œuvres culturelles utilisées en ligne, dans le respect des auteurs comme de leurs ayants droit.
Enfin, faut-il lever le géoblocage ? Les restrictions géographiques constituent un frein à l’harmonisation des droits d’auteur en Europe, mais lever les blocages aurait des conséquences économiques importantes.
Mme Valérie Corre. La diffusion des œuvres audiovisuelles à des fins d’éducation est une question majeure : l’éducation ne doit pas être freinée par le droit d’auteur. Le rapport de Mme Reda reprend une proposition défendue par de nombreux acteurs du secteur, consistant à prévoir une exception obligatoire pour les œuvres utilisées à des fins d’éducation ou de recherche. Concrètement, les écoles pourraient ainsi diffuser sans contrainte un large choix de films, par exemple dans un dessein d’éducation à la citoyenneté ou d’enseignement historique. Quel est votre point de vue sur cette proposition, et plus largement sur la question des exceptions obligatoires au niveau européen ?
Mme Sophie Dessus. On n’appartient pas à une commission de la culture et de l’éducation par hasard ou par défaut, mais parce que l’on croit au rôle de la culture et de l’éducation dans notre société. Mais avoir la foi n’empêche pas de se poser des questions, à commencer par celle-ci : la culture est-elle un luxe au XXIe siècle, à une époque où tout est fait pour que le citoyen devienne un consommateur plutôt qu’un acteur ? La culture est-elle un luxe à une époque où l’on préfère la normalisation à la création, à une époque où le commerce électronique se veut souverain face au droit d’auteur ? La culture est-elle un luxe à une époque où la diversité culturelle est prise à l’abordage par des pirates et des flibustiers ?
Me rappelant les mots d’André Malraux, l’un de vos prédécesseurs, madame Trautmann, je dirai que le XXIe siècle sera culturel ou ne sera pas ! Y a-t-il en effet un autre moyen de faire prendre conscience à tous des problèmes que rencontre notre planète et de leur trouver des solutions ?
Je choisis, monsieur le président, de considérer comme un heureux présage la tapisserie accrochée derrière vous. Y sont brodés les mots « et tous les matins du monde ». La culture est-elle un luxe ou portera-t-elle tous les matins à venir à travers le monde ?
M. Christophe Premat. Je salue également nos collègues du Bundestag, et je me réjouis de la coopération de nos deux commissions. Ces réunions ne peuvent que préparer heureusement le travail futur au sein des institutions européennes.
Visitant très récemment le musée Charles Dickens à Londres, j’ai pu y admirer une exposition sur le droit d’auteur et le statut de l’écrivain : Dickens proposait déjà une internationale des artistes, et une protection de leurs droits – question très sensible au XIXe siècle.
Vous semble-t-il possible d’élaborer une position commune franco-allemande sur la licence globale, licence contributive où l’utilisateur – le lecteur, pour les œuvres écrites – et l’auteur entrent dans une démarche collaborative ? C’est une question épineuse, mais qui à mon sens ne peut être traitée qu’à l’échelle européenne : la licence globale pourrait stimuler la création tout en protégeant les œuvres des excès du marché du numérique. Quelle est votre position sur ce sujet ? Un débat au niveau européen est-il envisageable ?
Mme Catherine Trautmann. Le sujet de l’économie culturelle, de la création et du statut des auteurs qui nous occupe aujourd’hui n’est pas uniquement technique : il est politique. Nous avons bien ressenti ce matin les effets de l’absence de véritable politique culturelle européenne : c’est ce qui nous empêche de faire mieux entendre notre voix tant dans les institutions européennes que dans les négociations internationales. Nous aurions besoin d’un cadre de référence commun, juridique et programmatique, qui nous permettrait de converger sur les questions juridiques, fiscales, commerciales… C’est une préoccupation et l’objectif du Haut Conseil culturel franco-allemand est d’œuvrer à la définition d’une telle politique culturelle européenne, décidée et mise en œuvre par les États membres. Nous ne parlerions plus de la même façon d’exceptions en faveur du cinéma, et plus largement de la culture…
Lors des premières négociations du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), l’audiovisuel et le cinéma avaient été écartés : c’est pour cela que l’on parle d’exception – les règles de la libéralisation du commerce ne peuvent pas s’appliquer à la culture comme aux autres marchandises. C’est dans cette même perspective que le Gouvernement de Lionel Jospin avait refusé de poursuivre les négociations de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), et que, récemment, le Parlement européen a voté une exception culturelle, plus large d’ailleurs, pour les négociations du traité transatlantique.
Aujourd’hui, nous en revenons à une négociation qui n’est pas sans rappeler celle de l’AMI, alors que le GATT concernait les seuls services. Or, sans cadre de référence, sans définition d’une vraie politique, il est toujours très difficile de discuter : c’est la raison pour laquelle le Parlement en a fait une condition. Il faut toutefois souligner que les États membres n’ont pas retenu cette position, affaiblissant ainsi le Parlement – ce qui arrangeait, reconnaissons-le, la Commission européenne. Le Haut Conseil culturel estime donc que cette question doit être prise à bras-le-corps par les politiques, notamment dans le contexte de la négociation du traité transatlantique.
Le rapport Reda est un rapport d’initiative ; il ne dit pas le droit. Il sera intéressant d’avoir débroussaillé le sujet, trouvé quelques compromis, et il reviendra aux co-législateurs européens d’agir.
Le droit d’auteur, la rémunération des artistes, est le fondement de l’économie de la culture. Sans reconnaissance, donc sans rémunération, pas de création, et pas d’économie. La question de la licence ou des licences a été abordée dans le cadre des travaux préparatoires sur la propriété intellectuelle. À plusieurs reprises, des défenseurs de la licence globale ont été entendus au Parlement européen ; considérée au départ comme un repoussoir, elle intéresse plus largement aujourd’hui, dans une optique pragmatique.
En matière d’édition et de publication scientifique, le Parlement a notamment voté l’obligation de faire connaître des résultats scientifiques dès lors que les recherches ont été financées par des fonds publics. De la même manière, il faudrait prévoir pour le secteur de l’éducation un accès aux contenus culturels et scientifiques : ce point est en discussion. Faut-il prévoir une sorte de licence, de contrat global ? En tout cas, c’est au niveau européen qu’il faut agir. La licence est une solution difficile à mettre en œuvre, même si elle revient souvent dans les discussions comme le plus petit commun dénominateur. La solution parfaite n’existe pas, mais le principe de la juste rémunération des auteurs et des créateurs doit en tout cas être respecté.
Le Haut Conseil culturel se mobilise en faveur de l’harmonisation fiscale. Quant aux GAFA, c’est un sujet sur lequel nos deux pays sont entièrement d’accord. Les opérateurs de diffusion deviennent déterminants pour le choix des contenus et l’accès à ces contenus : en fait, nous voyons émerger une exclusivité culturelle… Cela contrevient à la notion de diversité culturelle, ainsi qu’au principe de l’accès de tous à la culture, du libre choix des contenus et de la diversité des canaux de diffusion.
La notion de diversité culturelle est utilisée par plusieurs pays, dont la France et le Canada, depuis les négociations avortées de l’AMI. Elle permet de ne pas se trouver dans une posture purement défensive, mais d’adopter une attitude conquérante. Elle est maintenant inscrite dans les textes fondamentaux européens.
Les sociétés de gestion collective doivent être bien gérées, bien coordonnées, et les droits d’auteur doivent être accessibles. Ces sociétés doivent contribuer financièrement à la création.
S’agissant de la copie privée, ce régime a permis au citoyen un meilleur accès aux œuvres. Mais internet et la numérisation ont tout changé : le partage de fichiers se fait notamment à une tout autre échelle… Il y a donc une nouvelle donne. Juridiquement, il faut aller au-delà du point de vue du consommateur ; il faut intégrer la notion d’accès libre. Il est essentiel de trouver un équilibre.
S’agissant enfin des plateformes, j’ai défendu la neutralité du net, et il me semble que le statut des hébergeurs tel qu’il a été défini répondait à une nécessité. Mais, aujourd’hui, il faut revoir l’intégralité de la chaîne. La question du rôle et de la responsabilité des plateformes doit être réexaminée.
Mme Doris Pack (traduction). Je ne répète pas ce qui vient d’être dit, que j’approuve.
Citoyen ou consommateur ? Je n’établis pas pour ma part une stricte distinction. Nous sommes tous à la fois l’un et l’autre. Le problème, c’est qu’il n’existe pas de citoyenneté européenne : c’est pourquoi nous sommes tous considérés comme des consommateurs. La France a d’ailleurs contribué à ce que nous n’ayons pas de Constitution…
Il nous faut un modèle pour l’avenir. La notion de « libre accès » est essentielle, mais il reste à rendre tout cela possible. À mon sens, le modèle franco-allemand du droit d’auteur est le bon : nous devons essayer de faire en sorte qu’il serve de fondement à la nouvelle législation européenne.
C’est effectivement depuis les négociations du GATT que l’on parle d’exception culturelle… L’exception culturelle, c’est la meilleure manière de protéger la diversité culturelle. N’opposons pas les deux notions.
S’agissant des droits territoriaux, ce ne sont pas des exceptions. Le commissaire Günther Oettinger parle de « droits exclusifs territoriaux ». M. Oettinger est, je crois, très ouvert à la discussion. Les créateurs – auteurs, mais aussi bien sûr compositeurs, et plus largement tous ceux qui sont actifs dans le domaine culturel – étaient présents à Cannes, et ils ont su se faire entendre. Je crois que ce dossier est sur la bonne voie.
L’éducation à la culture est l’une de nos plus grandes responsabilités. Il faut bien se rendre compte que les services « gratuits » sont en réalité payés par l’État… Les droits d’auteur permettent de diminuer les subventions publiques. Les enseignants, les journalistes doivent bien comprendre que, sans droit de propriété intellectuelle, il n’y a pas de création. Il faut expliquer à tous – dès l’école maternelle, puisque même les enfants ont des téléphones intelligents de nos jours ! – qu’un service gratuit n’existe pas. Tout se paye, et chacun doit en être conscient.
Le Haut Conseil culturel va continuer son travail, avec la volonté de construire notre avenir commun.
M. le président Siegmund Ehrmann (traduction). Ce débat était tout à fait passionnant.
Nous traiterons de la copie privée à Berlin la semaine prochaine, puisqu’une rencontre avec votre mission d’information est prévue. Nous n’avons malheureusement pas le temps d’aborder cette question ce matin.
La Commission européenne avait commencé à mener un vaste travail sur le droit de propriété intellectuelle, avec notamment une large consultation tant des États que de la société civile, mais, après les élections, ce travail a recommencé de zéro. C’est la discontinuité de la vie parlementaire… Mais c’est aussi un sujet de préoccupation, car tout bouge très vite : ce sont aujourd’hui les marchés qui sont en train de définir les standards, les normes. Tout s’emmêle – infrastructures, contenus, diffusion, distribution, production… Je m’en inquiète. Les acteurs de l’analogique comme les éditeurs rencontrent de grandes difficultés : ce ne sont pourtant pas de simples percepteurs de droit ; ils participent pleinement de la diversité culturelle. Ils soutiennent les auteurs et leur permettent de se développer. Nous avons besoin du numérique, mais aussi de l’analogique… Ce pouvoir grandissant des marchés me paraît très inquiétant : pourrons-nous encore réduire leur influence ? Nous devons faire diligence.
Je suis donc très heureux de constater l’intérêt qu’éprouve l’Assemblée nationale pour ces questions. Cela doit nous encourager à continuer notre coopération et à établir des relations très étroites. Au Bundestag comme à l’Assemblée nationale, vous l’avez constaté, les avis divergent. Mais il est important que la discussion se déroule.
Je suis également très heureux d’avoir entendu le Haut Conseil culturel franco-allemand, que nous n’avons pas encore reçu. Nous devons également intensifier nos échanges.
Le triangle de Weimar a été cité à plusieurs reprises. Une réunion commune aux trois commissions de la culture serait certainement une initiative intéressante, à même de nous permettre d’accroître notre influence sur les gouvernements, la Commission européenne et le Parlement européen. Nous ne devons plus perdre de temps.
Encore une fois merci pour votre réception et surtout pour votre volonté de coopérer avec nous.
M. le président Patrick Bloche. Merci, monsieur le président, cher Siegmund, tout a été dit à travers votre conclusion.
Je remercie à nouveau nos deux invités de leurs interventions et de leur détermination.
Nous devons avoir conscience de notre responsabilité, comme représentants de deux grandes nations : il nous revient de donner un contenu à une politique culturelle européenne, et par là de donner corps à une citoyenneté européenne.
Un résumé de nos échanges, rédigé en français et en allemand, vous a été distribué et sera largement diffusé. Son contenu consensuel traduit l’esprit de notre rencontre (document en annexe).
La séance est levée à midi et dix minutes.
——fpfp——
Réunion du mercredi 3 juin 2015 à 9 heures 30.
Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Ary Chalus, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Mathieu Hanotin, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, Mme Martine Martinel, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, M. Michel Piron, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Patrick Vignal
Excusés. – Mme Laurence Arribagé, Mme Huguette Bello, M. Jean-François Copé, M. Bernard Debré, Mme Sandrine Doucet, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Sonia Lagarde, Mme Lucette Lousteau, Mme Barbara Pompili, M. Stéphane Travert
Assistaient également à la réunion. – Mme Danielle Auroi, Mme Marietta Karamanli, M. Lionel Tardy, M. François Vannson
Commission des Affaires Ausschuss für kultur und medien
culturelles et de l’Éducation
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Paris, le 3 juin 2015
La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale, présidée par M. Patrick BLOCHE, et la commission de la Culture et des Médias du Bundestag, présidée par M. Siegmund EHRMANN,
Après s’être rencontrées à Berlin en décembre 2014, se sont à nouveau réunies à Paris les 2 et 3 juin 2015 afin de poursuivre leurs échanges sur les questions culturelles d’actualité dans leurs deux pays et au sein de l’Union européenne, et de faire progresser leur approche commune de ces sujets.
La délégation allemande, composée de sept député(e)s appartenant aux différents groupes politiques du Bundestag, a notamment échangé durant toute une matinée avec les député(e)s français sur la question de l’avenir des droits d’auteur en Europe.
Alors que la Commission européenne a annoncé qu’une évolution de la réglementation des droits d’auteur était nécessaire afin de l’adapter à la mise en place d’un marché unique numérique au sein de l’Union, il semblait en effet important que le rôle joué par les droits d’auteur comme fondement de l’activité de création en Europe et comme stimulant de la diversité culturelle soit réaffirmé.
À l’issue de cette nouvelle séquence de travail en commun et en résumé des échanges entre les deux commissions, le président Patrick BLOCHE et le président Siegmund EHRMANN tiennent à souligner :
– que le système européen des droits d’auteur peut s’adapter aux évolutions technologiques en demeurant un dispositif intelligent et équilibré, essentiel pour la préservation de la diversité culturelle en Europe, et donc pour le dynamisme et le développement futur de l’Union ;
– que la multiplication des supports et des usages culturels qu’autorise la révolution numérique ne doit se faire ni au détriment des créateurs, qui ont droit à une protection et une juste rémunération pour leurs œuvres, ni au détriment des utilisateurs finaux, qui doivent bénéficier du meilleur accès possible à toutes les œuvres disponibles ;
– que les industries créatives et culturelles, qui emploient des millions de citoyens européens et recèlent un potentiel de croissance considérable, sont prêtes à s’adapter aux défis posés par la révolution numérique, pour peu qu’un cadre légal équitable garantisse un exercice équilibré de la concurrence et la possibilité pour tous les acteurs, quelle que soit leur taille et leur modèle économique, de se développer de façon harmonieuse.