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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 15 juillet 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 52

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Présentation du rapport de la mission d’information sur le bilan et les perspectives de trente ans de copie privée (M. Marcel Rogemont, rapporteur)

– Informations relatives à la Commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 15 juillet 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission procède à l’examen du rapport d’information de M. Marcel Rogemont en conclusion des travaux de la mission d’information sur le bilan et les perspectives de trente ans de copie privée.

M. le président Patrick Bloche. Pour cette dernière réunion de notre commission avant la suspension estivale des travaux de l’Assemblée, nous examinons le rapport de la mission d’information sur le bilan et les perspectives de trente ans de copie privée.

Cette mission de quinze membres, présidée par Mme Virginie Duby-Muller, a été créée par notre commission en décembre dernier. Elle a désigné comme rapporteur M. Marcel Rogemont. Depuis le mois de janvier, elle a procédé à de nombreuses auditions et déplacements afin de faire le point sur la rémunération pour copie privée créée par le législateur il y a trente ans, grâce à une grande et belle loi votée à l’unanimité.

Elle s’est, en particulier, intéressée à l’avenir de ce dispositif, essentiel pour la rémunération des auteurs, mais également pour le financement de la culture, dont les actions se voient affecter 25 % des sommes collectées. Depuis trente ans, le contexte a profondément changé, marqué par une transformation des usages et, bien entendu, par l’avènement du numérique.

Mme Virginie Duby-Muller, présidente de la mission d’information. Nous avons fêté, le 3 juillet dernier, les trente ans de la création de la rémunération pour copie privée. Trente ans après, et en dépit de l’évolution dynamique des montants perçus, qui s’élèvent tout de même à plus de 200 millions d’euros par an, le dispositif actuel de rémunération pour copie privée (RCP) est confronté à de multiples questions. Le développement du numérique et l’informatique dite « en nuage » ont révolutionné les pratiques de copie. L’accès aux contenus en ligne se développe depuis de longues années. Surtout, le dispositif traverse une crise importante puisque la commission pour la rémunération de la copie privée ne se réunit plus depuis 2012. Le temps était clairement venu de s’interroger sur ce dispositif, et tel était le sens de la création d’une mission d’information sur le bilan et les perspectives de trente ans de copie privée.

Cette mission d’information, dont j’ai eu l’honneur d’être la présidente, a tenu sa réunion constitutive le 13 janvier 2015. Je me réjouis que sa création ait inspiré le ministère de la culture et de la communication qui a confié, le 14 avril 2015, à Mme Christine Maugüé, une mission de médiation sur le fonctionnement de la commission de la copie privée, dont les conclusions ont été rendues le 1er juillet dernier.

En quelque six mois, la mission d’information a procédé à vingt-huit auditions et a entendu la plupart des acteurs concernés par le sujet. La volonté d’adopter une approche comparative nous a également conduits, notre rapporteur Marcel Rogemont et moi-même, à effectuer un déplacement à Berlin où nous avons pu rencontrer des parlementaires, des membres du ministère de la justice et de la protection des consommateurs, chargés des sujets de droit d’auteur, ainsi que des représentants des ayants droit.

À l’issue de ses travaux, qui se sont déroulés dans une excellente atmosphère de travail et sans préjugés, j’ai le plaisir d’indiquer que la mission a adopté consensuellement le rapport d’information que Marcel Rogemont va maintenant nous présenter avec talent. Je vous proposerai de bien vouloir en autoriser la publication.

M. Marcel Rogemont, rapporteur. Profondément ancrée dans la vie de notre pays, la copie privée incarne la volonté des Français de faire vivre la culture et ceux qui la nourrissent : les artistes et les auteurs. La France est le pays de l’exception culturelle et l’attachement au système de la copie privée est très largement partagé. L’Europe en reconnaît la pertinence, et de nombreux pays ont adopté un dispositif équivalent ou comparable.

La rémunération pour copie privée, mise en place par la loi du 3 juillet 1985, permet de compenser le préjudice subi par les ayants droit du fait de la reconnaissance de l’exception pour copie privée, c’est-à-dire de la possibilité pour les consommateurs de copier les œuvres. La rémunération pour copie privée, qui tend à créer les conditions d’une juste rémunération des créateurs et des artistes, est confrontée à la transformation des pratiques de copie liée aux évolutions technologiques, qui remet de plus en plus fortement en question la rémunération des ayants droit et le partage de la valeur. L’enjeu est de taille pour les ayants droit, qui ont récolté 233 millions d’euros en 2014. Aussi devons-nous assurer la pérennité du système et réaffirmer avec force sa pertinence.

Pour autant, nous ne pouvons en ignorer les faiblesses, voire les défaillances, qui se concentrent autour de cinq problématiques : la gouvernance, le montant de la rémunération, l’assiette, les 25 % consacrés à l’action artistique et culturelle, et le remboursement de la RCP aux professionnels.

S’agissant tout d’abord de la gouvernance, la réflexion de votre rapporteur est partie d’un constat simple : depuis les années 2000, les relations entre les différents membres de la commission pour la rémunération de la copie privée sont conflictuelles. Cette commission se compose de douze représentants des ayants droit, six représentants des consommateurs et six représentants des industriels. Les industriels ainsi que certaines associations de consommateurs critiquent le mode d’établissement des barèmes, selon eux trop complexe et trop opaque. Ces tensions ont abouti à la démission de cinq des six industriels en 2012 ; depuis, la commission ne fonctionne plus. Certains en appellent à une recomposition de la commission, éventuellement accompagnée d’un changement des modalités de vote.

Les propositions du rapport d’information n’envisagent absolument pas la remise en cause du système paritaire de la commission. Cette option constituerait un changement profond de paradigme, qui nous écarterait de l’esprit de la loi de 1985 instituant la rémunération pour copie privée. Pour cette même raison, il n’apparaît pas souhaitable de recourir à une seconde délibération acquise par un vote à la majorité des deux tiers.

La mission a cherché à renforcer l’indépendance et la légitimité des travaux de la commission. Il s’agit d’apaiser les relations pour éviter une contestation qui semble devenue la règle désormais. Dans cet esprit, le rapport identifie deux pistes de solution : d’un côté, la mise en place d’un pôle public avec des représentants des différents ministères concernés, voire des grands corps de l’État ; de l’autre côté, la création d’une autorité administrative indépendante (AAI) légère chargée d’homologuer les barèmes.

L’opportunité de la première solution a été parfaitement expliquée dans le remarquable rapport parfaitement documenté de Mme Christine Maugüé, dont je vous recommande la lecture. Je m’attarderai donc seulement sur la seconde.

Confier à une autorité administrative indépendante légère un rôle d’arbitre du système, de garant de sa transparence et de sa lisibilité, permettrait à la fois de conserver le fonctionnement paritaire de la commission et de mettre fin aux soupçons d’opacité, voire de partialité, dont ses décisions font parfois l’objet.

Afin de conférer aux barèmes une légitimité incontestable, dont ils ne jouissent pas à l’heure actuelle, cette autorité doit aussi pouvoir apprécier en amont les usages de manière régulière, précise et objective. Elle doit également, en aval, pouvoir s’adapter aux cas pratiques, notamment à l’existence de mesures techniques de protection.

Cette proposition s’inspire d’un dispositif qui existe déjà pour la presse, et qui fonctionne. Dans ce secteur, afin de limiter les blocages et de surmonter les divisions sans remettre en cause la tradition d’autorégulation, le législateur a mis en place, en 2011, une gouvernance bicéphale dans laquelle les décisions du Conseil supérieur des messageries de presse doivent être validées par une autorité administrative indépendante, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP).

L’évolution dynamique de la RCP lui a permis d’atteindre un montant de 233 millions en 2014. Doit-on considérer celui-ci comme trop élevé en France ou trop faible dans les autres pays ?

Dans le pays de Beaumarchais, ce montant manifeste certainement un attachement historique aux droits d’auteurs, mais aussi une appétence pour les produits culturels. Constitue-t-il pour autant une « exception perceptrice française », comme certains l’affirment ? La comparaison avec d’autres pays doit être faite avec précaution. Ainsi, l’Espagne a connu une diminution drastique des perceptions en 2012, à la suite de la fiscalisation de cette rémunération. En Allemagne, la baisse enregistrée ces dernières années s’explique par un mouvement de cessation des perceptions à partir de la fin des années 2000, en raison de nombreuses procédures judiciaires impliquant industriels et ayants droit. D’après les données fournies par le président de la commission pour la culture et les médias du Bundestag, M. Siegmund Ehrmann, les montants de la rémunération pour copie privée étaient supérieurs à ceux perçus en France de 2004 à 2006 ; ils s’élevaient à 380,6 millions d’euros en 2009 et à 308,7 millions d’euros en 2010. Si les contestations juridiques rendent aujourd’hui difficile l’estimation des perceptions en régime de croisière, celles-ci pourraient néanmoins atteindre des niveaux au moins équivalents à ceux de la France, d’autant plus que d’importants accords pour l’assujettissement des disques durs d’ordinateurs ont été signés en 2014. La baisse parfois constatée n’est donc ni générale ni irréversible. Ainsi, en Italie, un décret du 20 juin 2014 a introduit de nouveaux barèmes, pour un rendement projeté de 157 millions d’euros en année pleine.

Pour ce qui est de l’assiette de la RCP, l’assujettissement des ordinateurs vient naturellement à l’esprit. Si, historiquement, le non-assujettissement des ordinateurs se justifiait par la volonté de ne pas freiner l’achat de ces matériels et de ne pas créer une fracture numérique, comment l’admettre aujourd’hui alors même que la tablette est assujettie ? Les évolutions technologiques, au gré desquelles ordinateur et tablette sont devenus des produits hybrides, rendent cette distinction formelle incompréhensible.

S’appuyant sur le rapport rendu par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) relatif à l’informatique dans ce qu’il est convenu d’appeler « le nuage » (de l’anglais cloud), votre rapporteur distingue deux usages pour celui-ci : le nuage comme casier personnel et le nuage comme service couplé à un service de téléchargement légal offrant aux utilisateurs des fonctionnalités de synchronisation. Dans ce second cas, les sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) seraient en mesure de veiller au respect des droits exclusifs des auteurs qu’elles représentent. À l’inverse, dans l’hypothèse où le nuage serait utilisé comme simple casier de stockage, le prestataire n’ayant aucun contrôle sur les œuvres stockées par l’internaute, l’exercice des droits exclusifs serait a priori empêché. Dès lors, il ne serait pas illégitime que le nuage entre dans le champ de la rémunération pour copie privée. Il serait temps de poser clairement la question.

Les incertitudes demeurant sur ces sujets sont symptomatiques des problèmes liés aux études d’usage : les usages et technologies évoluent si rapidement qu’elles doivent être plus régulières.

S’agissant du versement de 25 % de la RCP au profit de l’action artistique et culturelle, globalement, le système fonctionne correctement. Il est essentiel en ce qu’il permet un accompagnement de l’action culturelle dans notre pays surtout lorsque les crédits publics se font plus rares. Ces sommes viennent soutenir et enrichir l’action culturelle. Elles n’ont cependant pas pour vocation de compenser la réduction des allocations et des subventions actuelles. Dans ce contexte, si le taux de 25 % de la RCP semble satisfaisant, la sous-consommation de la ressource disponible est préoccupante. Les SPRD devraient veiller à utiliser au moins 80 % des crédits disponibles chaque année pour l’action artistique et culturelle. Par ailleurs, il conviendrait d’éviter les effets de concentration des aides sur certaines manifestations par une meilleure coordination entre les différentes SPRD.

La transparence dans l’utilisation des fonds doit également être renforcée. Des efforts ont été faits en ce sens mais des progrès importants restent à accomplir. C’est pourquoi je propose que la nouvelle autorité administrative indépendante soit garante de la transparence effective de l’utilisation des 25 %. Concrètement, la nouvelle autorité pourrait mettre l’ensemble des flux à disposition du public en open data, réaliser des études, rendre un rapport annuel et formuler des observations.

Il serait en outre utile de réviser la circulaire Vistel de 2001 précisant le champ des 25 % : la formation des artistes et des auteurs est encore insuffisamment développée et mérite d’être davantage soutenue. De même, le champ des actions éligibles pourrait intégrer le soutien à l’éducation artistique et culturelle.

Enfin, concernant le remboursement des professionnels, le manque d’effectivité tient en grande partie à la lourdeur des démarches administratives que ces derniers doivent engager. C’est pourquoi, en l’absence de convention d’exonération, et afin de rendre plus effectifs les remboursements dans un délai raisonnable, il est indispensable d’opérer un réel travail de simplification des demandes de remboursement de RCP pour les professionnels.

Ce rapport propose des réflexions, des pistes, pourquoi pas des solutions, afin de pérenniser un dispositif utile et légitime. Certains trouvent la copie privée vieille, démodée, dépassée. Il importe que nous, parlementaires, en élaborant les conditions d’un dialogue retrouvé, nous permettions aux consommateurs, aux industriels et aux ayants droit de dépasser sereinement la crise actuelle qui pourrait bien n’être qu’une « crise de la trentaine ».

M. le président Patrick Bloche. Notre commission avait pris l’engagement de se saisir du sujet après qu’une jurisprudence du Conseil d’État avait fragilisé la rémunération pour copie privée, afin d’adapter le dispositif aux réalités économiques et aux évolutions des usages. Après avoir entendu la présidente et le rapporteur de la mission d’information, je suis très enthousiaste : les quatorze propositions, particulièrement équilibrées, s’inscrivent dans cette perspective. Il faudra, en temps utile, décliner dans la loi certains aspects de cette précieuse contribution pour ne pas la laisser à l’état de rapport.

En tout état de cause, ce dernier démontre la pertinence de ce mode de financement de la culture. N’oublions pas que les 25 % de la rémunération pour copie privée qui lui sont destinés sont souvent indispensables pour que des petits festivals de nos territoires bouclent leur budget.

Je note que le Sénat vient de se pencher sur la question du droit d’auteur mais sous un angle différent, puisque le rapport d’information sur la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) de M. Loïc Hervé et Mme Corinne Bouchoux vise à renforcer les pouvoirs de répression de cette autorité. L’Assemblée nationale travaille suivant d’autres perspectives : plutôt que la répression comme système de financement de la culture, elle privilégie la prise en compte des usages et l’adaptation des textes et du dispositif de RCP – le rapporteur a d’ailleurs rappelé, à juste titre, que la rémunération pour copie privée a un caractère indemnitaire et constitue la réparation d’un préjudice.

M. Michel Pouzol. Je veux souligner l’excellence d’un rapport d’information qui, sur un sujet très technique et dans une situation bloquée, réaffirme certains éléments fondamentaux de la copie privée.

La rémunération pour copie privée est une somme indemnitaire versée aux auteurs et aux ayants droit à raison de l’usage de leurs créations. Il y a trente ans, lorsque nous ne connaissions que les cassettes audio, la notion de copie privée était simple à définir. Avec l’avènement des CD et des DVD, qui offraient des contenus de plus en plus diversifiés, l’affaire s’est compliquée, pas autant qu’aujourd’hui cependant. Les nouveaux usages et modes de consommation de masse l’ont davantage encore complexifiée, au point de mettre la commission pour la rémunération de la copie privée en difficulté de fonctionnement.

Le rapport d’information aurait déjà rempli une grande partie de sa mission s’il s’était contenté de rappeler le caractère indemnitaire de la RCP. Or il va plus loin en montrant que cette dernière n’est ni désuète, ni dépourvue d’intérêt, et qu’elle est bien ancrée dans la modernité des usages et des pratiques du domaine artistique. Il met même en évidence que la copie privée, telle que nous la concevons, n’est pas une exception ou une lubie franco-française, mais bien une notion européenne.

S’il est majeur pour le monde culturel français que 25 % de la RCP soient consacrés au financement de la création artistique, cela participe aussi des ambiguïtés du système. Cette indemnité est, en effet, versée par des fabricants de supports d’enregistrement pour qui la culture n’est sans doute pas le premier cheval de bataille. D’où les difficultés de la commission pour la rémunération de la copie privée, où s’affrontent une vision nationale de l’intérêt culturel du pays et une dynamique commerciale internationale propre à une industrie mondialisée. Aujourd’hui, les fabricants n’y siègent plus et la commission est bloquée. Les auditions de notre mission d’information ont permis d’entendre les arguments des uns et des autres, et nous avons pu réfléchir aux moyens de sortir de l’impasse actuelle.

Travailler sur des solutions de sortie de crise n’est pas simple, car les fabricants ont beaucoup de mal à intégrer la copie privée dans leur fonctionnement commercial. Cette crise n’est finalement que la conséquence de celle qui a eu lieu il y a quelques années quand, après un long et difficile débat, nous avons échoué à élargir l’assiette de la RCP aux ordinateurs. Aujourd’hui, les supports ne sont plus les mêmes, et nous nous trouvons dans une situation absurde : les tablettes ou les boxes sont soumises à la RCP alors que les ordinateurs ne le sont pas. Pour les fabricants eux-mêmes, nous voyons bien que la situation est complexe.

La création d’une autorité administrative indépendante chargée d’homologuer des barèmes, mais aussi de rouvrir le dialogue et d’entendre les parties pour faire revenir la confiance entre les fabricants, les consommateurs et les ayants droit, constitue l’une de vos très bonnes idées.

La plus grande attention doit être portée au fait que les 25 % de la RCP dédiés à la création ne sont pas correctement utilisés et distribués. Il nous faut examiner cette situation avec un regard critique, car une véritable transparence est nécessaire.

Il est aussi indispensable de simplifier et de rendre plus lisible le remboursement de la RCP aux professionnels : trop de flou demeure encore.

Sur ces sujets, vous avez énoncé des pistes de travail et affirmé les grands principes rassurants qui doivent permettre d’entériner un dispositif fondamental pour la culture, pour les ayants droit, mais aussi pour la bonne utilisation et la bonne compréhension des nouveaux usages.

L’autorité administrative indépendante dont vous souhaitez la création devra se saisir des nouveaux débats qui concernent le cloud ou le streaming, qui sont des usages détachés de la notion physique de la copie privée mais qui relèvent pourtant de la philosophie de cette dernière. Sur ce plan, les fabricants et les ayants droit ont encore du chemin à parcourir pour parvenir à trouver un terrain d’entente. Le débat est indispensable car l’évolution des usages n’enlève pas sa raison d’être à la RCP.

Les parlementaires auront toute leur place à prendre dans ce débat. Il faudra beaucoup de volontarisme pour réunir autour de la table ayants droit et fabricants, entre lesquels les liens sont vraiment rompus. Ce ne sera pas simple, mais que la mission d’information ait fixé un cadre aussi précis peut constituer une chance pour la copie privée dans les trente années à venir.

M. Frédéric Reiss. Trente ans de copie privée en France, et l’histoire n’est pas finie ! Cette mission d’information est arrivée à point nommé. Longtemps vertueux, le système en vigueur est aujourd’hui à bout de souffle. Il n’a pas pu résister à la révolution numérique et à l’évolution vertigineuse des supports et des appareils d’enregistrement. Il est donc nécessaire de le réformer tout en conservant un dispositif indemnitaire qui répare un préjudice.

Je dois avouer que cette mission d’information ne m’ « emballait » pas a priori. Pourtant, elle s’est finalement révélée riche, constructive par ses propositions et pertinente pour ce qui est de la pérennité de l’exception pour copie privée. Notre rapporteur, Marcel Rogemont, que je félicite pour son travail, s’est jeté avec délectation dans les auditions des ayants droit, des fabricants, des importateurs, des consommateurs et de tous les organismes, y compris internationaux, concernés par la copie privée. Il a su faire le tri dans un maquis de réflexions, de critiques et de suggestions souvent contradictoires pour nous présenter un rapport clair et équilibré que le groupe Les Républicains soutiendra.

Il fallait balayer les soupçons d’opacité, rassurer les ayants droit et les industriels, conforter le paritarisme de la commission pour la rémunération de la copie privée, ou encore simplifier les démarches de ceux qui peuvent être exonérés ou remboursés pour usage professionnel. Les quatorze propositions de la mission d’information, qui ne sont pas des recettes toutes faites, vont dans le bon sens.

La proposition n° 5 donne, par exemple, la méthode qui permet de redéfinir l’assiette de la rémunération pour copie privée. En mai 2013, le rapport Lescure sur les politiques culturelles à l’ère numérique évoquait une taxe sur les objets connectés. Il me semble que l’idée d’une taxe européenne sur les GAFA, les quatre géants de l’Internet que sont Google, Apple, Facebook et Amazon, n’apparaît pas clairement dans votre rapport d’information ; cet aspect m’aurait-il échappé ?

Concernant les propositions nos 2 et 3, nous aurions pu penser confier un nouveau rôle à la HADOPI, mais le rapporteur a proposé la création d’une autorité indépendante « légère » financée par les recettes de la RCP collectées par Copie France. Il faudra qu’il nous explique ce qu’est une autorité légère.

Je note avec satisfaction que la plupart des parties prenantes de la copie privée admettent qu’une partie de la rémunération puisse servir l’action culturelle et artistique. Ces montants ne bouleversent pas fondamentalement les financements de la culture en France mais ils sont très importants. Cela confirme l’affirmation du Premier ministre selon laquelle la baisse du budget de la culture durant la première moitié du quinquennat de François Hollande aura été « un signe négatif ».

Les propositions nos 6 à 12 clarifient les actions d’aide à la création, à la diffusion, au spectacle vivant mais aussi, il faut y insister, à la formation. Actuellement, les crédits concernés s’élèvent à environ 50 millions d’euros par an. Plus de cinq mille initiatives sont soutenues sur tout le territoire national dans tous les genres et les secteurs culturels. La mise à jour de la circulaire dite « Vistel » et la mise en place d’une base de données devraient aller dans le sens de la transparence et de l’équité pour l’attribution de ces sommes.

Cette mission d’information est allée bien au-delà d’un toilettage du système pour permettre à un vent nouveau de souffler sur la copie privée. Il souffle aussi sur le nuage, dont les perspectives sont incommensurables et le développement imprévisible. Mais cela, c’est le début d’une autre histoire…

Mme Isabelle Attard. Bravo pour ce rapport d’information, cadeau d’anniversaire pour les trente ans de la rémunération pour copie privée ! Il était temps que notre commission voie aboutir un travail de réflexion complet sur ce sujet.

Au cours du XXe siècle, on a pu observer des formes d’évolution législative analogues. Pianos automatiques, pianolas, puis appareils de radio, de télévision, photocopieurs, copieurs de cassettes audio, de cassettes VHS et plus récemment de CD ont, chaque fois qu’ils ont commencé à se diffuser dans la population, donné lieu à l’instauration d’un droit d’usage sans autorisation préalable en échange d’une rémunération forfaitaire.

Votre rapport propose de modifier la rémunération pour copie privée pour adapter non pas ses règles elles-mêmes mais le mode d’établissement de celles-ci. Notre rapporteur aborde la question d’une intégration de l’informatique en nuage à son assiette. Cela démontre que l’on peut ne pas toujours courir loin derrière les évolutions technologiques. Il faudra bien qu’un jour nous réfléchissions à la création d’une licence globale ; cela me paraît tout à fait d’actualité.

Toutes les propositions de ce rapport vont dans la bonne direction, certaines plus que d’autres.

Je m’interroge, comme certains de mes collègues, sur ce que pourrait être une autorité administrative indépendante « légère », à qui serait confiée la charge d’homologuer les barèmes et de veiller au bon fonctionnement de la commission pour la rémunération de la copie privée. Doit-on comprendre que « légère » signifie sans budget ? J’espère que nous aurons l’occasion de nous pencher plus avant sur ce que ce qualificatif recouvre.

Plafonner, comme vous le proposez, le niveau de la rémunération pour copie privée par rapport à un prix moyen de référence des supports de copie me semble très pertinent.

J’adhère, en outre, à votre proposition d’inciter les SPRD à utiliser au moins 80 % des crédits destinés à l’action artistique et culturelle. On ne peut qu’être surpris de constater que seulement 68 % des ressources correspondant au prélèvement de 25 % dédié à l’action artistique et culturelle soient effectivement affectés à ce type d’actions chaque année.

Je vous remercie d’avoir intégré parmi vos propositions ma suggestion d’établir un plancher pour les dépenses en faveur de la formation des artistes et des auteurs.

Quant à votre proposition de mettre en place une base de données regroupant l’ensemble des sommes versées par les SPRD, consultable en ligne, gratuitement et dans un format ouvert, je m’en félicite également. Nous avons eu maintes fois l’occasion de souligner au sein de notre commission que les problèmes liés à la rémunération pour copie privée tenaient pour partie au fait que nous ne savons rien de l’attribution et de la répartition des sommes qui passent par les sociétés de perception.

Il y a un problème contre lequel je bute systématiquement, c’est le nombre très limité de remboursements aux professionnels. Il me paraît utile de répéter que ceux-ci n’atteignent que 0,65 % de la somme initialement prévue. Plus que faible, c’est insignifiant, microscopique, nanométrique ! Je veux bien admettre que ces sommes ne sont pas perdues puisqu’elles sont redistribuées, mais convenons ensemble qu’il s’agit d’une spoliation, et d’une spoliation qui porte sur des millions d’euros. Des professionnels qui devraient être remboursés en vertu de dispositions législatives très précises ne le sont pas du fait de formalités administratives irrationnelles. Bien évidemment, aucun professionnel n’a intérêt à fournir un extrait de Kbis, qui coûte 3,90 euros, pour obtenir le remboursement de 1,60 euro au titre de la copie privée qu’il acquitte pour l’achat d’une clef USB. À ce titre, je remercie Mme la présidente et M. le rapporteur pour leur proposition n° 13 qui appelle à une simplification des démarches – nous avons déjà évoqué la possibilité d’une déclaration sur l’honneur. Pour que tous les acteurs reviennent autour de la table, il est urgent que chacun fasse preuve de bonne volonté et réfléchisse à de nouvelles modalités dans un souci de justice.

En conclusion, j’aimerais appeler l’attention sur le partage non-marchand. Les règles qui s’appliquent aujourd’hui punissent ceux qui pratiquent la contrefaçon à grande échelle. Les modes de partage changent. Il serait temps que notre assemblée se mette au diapason de la société, qui pour l’instant avance sans nous.

Mme Gilda Hobert. Je tiens tout d’abord à remercier Virginie Duby-Muller et Marcel Rogemont pour ce rapport intéressant et fourni, qui pose les bases d’une réforme de la rémunération pour copie privée dans un souci de protection des artistes, de soutien à la création et de formation des créateurs.

Rappelons-le, ce dispositif est pleinement légitime en ce qu’il participe à l’équilibre entre le désir de chacun d’accéder aux œuvres culturelles et artistiques et la juste rémunération des ayants droit dans le respect de la préservation de la création.

Dans un contexte où les pratiques d’accession à l’offre culturelle se sont profondément transformées, la copie privée reste un enjeu économique pour les artistes en raison de son poids financier – 233 millions d’euros en 2014 – et de la croissance continue qu’elle connaît depuis dix ans, à raison de près de 10 millions chaque année. Que la téléphonie et les tablettes en soient les premiers postes de financement fournit une juste illustration de cette évolution.

Les différentes anomalies dont fait état le rapport doivent nous interpeller. Barèmes à revoir, gouvernance bloquée, manque de transparence sont autant de problèmes auxquels il convient de trouver des solutions.

Parmi vos préconisations, je rejoins tout à fait votre proposition de conforter la nature indemnitaire de la rémunération pour copie privée. Ce dispositif est assez méconnu du grand public et les décisions de la commission pour la rémunération de la copie privée présentent une certaine opacité. Les comptes rendus de ses réunions n’ont, en effet, longtemps pas été publiés, contrairement à ce que prévoit le code de la propriété intellectuelle. Dans ces conditions, je souscris à votre appel à une plus grande transparence.

Priorité doit être donnée à la remise sur pied d’une gouvernance indépendante et stable, sans laquelle les nouvelles réformes envisagées pour la rémunération de la copie privée auront peu de chances de se concrétiser. Dans cette perspective, vous proposez l’instauration d’une autorité indépendante qui aurait un rôle d’arbitre à l’égard de la commission. Si l’apport d’une expertise extérieure ne peut qu’avoir des effets bénéfiques, comment pensez-vous cependant éviter les blocages dus aux intérêts particuliers ?

Concernant l’assiette de la rémunération, le rapport Lescure préconisait déjà, en 2013, une réforme de la copie privée afin de mieux intégrer les nouvelles technologies. Ainsi suggérait-il de prendre en considération, outre les instruments de stockage physiques, les instruments immatériels qui se sont fortement développés ces dernières années, tel le nuage. Vous avez fait des propositions à ce sujet. Comment comptez-vous les appliquer ?

Enfin, certains fournisseurs d’accès à Internet semblent avoir trouvé la parade pour échapper à la RCP grâce à des systèmes dépourvus de disque dur. Ne pensez-vous pas que de tels contournements pourraient se généraliser à l’avenir ? Comment les déjouer ?

Je vous remercie pour ce rapport, auquel le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste apporte un soutien absolu.

M. Christophe Primat. À mon tour de louer ce rapport synthétique qui vient éclairer la question technique et complexe de la rémunération pour copie privée.

J’apprécie tout particulièrement la présentation très claire qui a été faite du contexte européen. Des voix se sont élevées pour harmoniser les législations des différents pays européens. Il est donc important de réformer la rémunération pour copie privée si l’on veut conserver une certaine influence sur les autres législations nationales.

Le point principal du rapport, tel qu’il ressort des propositions n°s 2 et 12, est la création d’une autorité administrative indépendante à qui serait confié le soin d’homologuer les barèmes retenus par la commission pour la rémunération de la copie privée, de façon à lever les blocages qui peuvent y exister entre représentants des redevables et des bénéficiaires. C’est une idée attrayante car, forte de réelles capacités d’expertise, une telle autorité pourrait jouer le rôle d’arbitre impartial en vue de satisfaire l’ensemble des acteurs du secteur.

Cette évolution, intéressante pour assurer une gouvernance plus efficace, équitable et équilibrée, devrait s’accompagner d’une intervention politique – d’ailleurs prévue par les textes s’agissant des décisions prises par d’autres autorités administratives indépendantes. Que pensez-vous de ce complément éventuel, alors même que le rapport recense en Europe trois possibilités pour la fixation des barèmes : la voie législative, la voie réglementaire, l’accord entre les partenaires ? Au regard des enjeux attachés à la rémunération pour copie privée, il importe de connaître le lien entre AAI et politique.

M. Lionel Tardy. Je sais avec quelle pertinence Virginie Duby-Muller a mené les auditions ; je sais aussi, depuis la loi du 20 décembre 2011, que Marcel Rogemont est un fin connaisseur du sujet. Il n’est donc pas étonnant que le rapport fasse les bons constats : blocage de la gouvernance de la commission pour la rémunération de la copie privée, opacité des barèmes, remboursement trop limité des professionnels. Ce dernier, avec seulement 700 000 euros remboursés début 2015 sur un montant annuel évalué à 58 millions d’euros en 2011, m’apparaît être un véritable scandale qui alimente le développement d’un marché gris des supports de stockage.

Si je partage les constats, je diverge toutefois quant aux conclusions tirées.

Très honnêtement, je ne vois pas l’intérêt de créer une autorité administrative indépendante, même « légère », qui ne ferait que se surajouter à l’architecture existante. Malgré ses pouvoirs de contrôle, elle ne permettrait pas de régler les problèmes actuels, notamment ceux dont souffre la commission pour la rémunération de la copie privée. Par ailleurs, l’indépendance de cette autorité serait tout aussi difficile à assurer. Je le dis et je le répète, mieux vaudrait régler les problèmes frontalement.

Vous partez du postulat qu’il n’est pas nécessaire de modifier l’architecture actuelle mais qu’il suffit de l’ajuster. Même si Mme Fleur Pellerin a volontairement restreint le champ de son projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, pourquoi ne pas y ajouter par voie d’amendement un volet consacré à la copie privée ? C’est bien ce que j’ai l’intention de faire lorsque ce projet de loi viendra enfin en examen devant notre assemblée.

En outre, je ne vois pas pourquoi la HADOPI ne pourrait pas remplir les fonctions que vous voulez donner à cette nouvelle autorité administrative indépendante. Son objet est proche, et cela éviterait de créer une énième instance. Un étonnant rapport sénatorial voudrait remuscler la HADOPI pour en faire un gendarme du piratage, mais il me semble qu’il faudrait plutôt développer ses autres missions, malgré ses échecs. Pourquoi n’avez-vous pas envisagé cette piste ?

Malgré l’opacité qui entoure le fonctionnement de la commission pour la rémunération de la copie privée, vous avez réussi à obtenir certains chiffres et informations que je n’ai jamais pu avoir alors que je les ai demandés à maintes reprises par le biais de questions écrites. J’aimerais savoir, en particulier, si vous avez pu disposer du compte rendu de sa dernière réunion, de décembre 2012, qui n’a jamais été publié.

M. Patrick Hetzel. Je félicite, à mon tour, Mme la présidente et M. le rapporteur pour le travail qu’ils ont réalisé.

Je note avec grand intérêt la proposition n° 9 d’étendre le champ de l’action artistique et culturelle, défini à l’article L. 321-9 du code de la propriété intellectuelle, à l’éducation artistique et culturelle. Il serait toutefois judicieux que l’on prête attention à une bonne coordination avec les projets déjà en place dans l’Éducation nationale, notamment au sein des collèges et des lycées. Nos rapports parlementaires préconisent très souvent des ajouts mais ne tiennent pas assez compte de leur articulation avec l’existant.

M. le rapporteur. Différentes parties prenantes sont concernées par le sujet, industriels, consommateurs et ayants droit, mais soyons clairs, la rémunération pour copie privée est supportée par le consommateur final. Pour l’heure, les industriels sont principalement importateurs de matériels.

Lionel Tardy évoquait le développement d’un marché gris : il existe incontestablement sur les CD vierges, qui coûtent dix fois plus cher en France qu’ailleurs. Dans la réalité, ce risque n’est que théorique puisque ce genre de supports n’est presque plus vendu dans notre pays.

En réalité, il est difficile de mesurer l’impact de la rémunération pour copie privée sur le marché. Pour certains produits, il apparaît marginal. Je reprendrai l’exemple donné dans le rapport à propos des prix de vente constatés pour certains modèles de téléphone portable : 698 euros en Allemagne, où ces appareils sont assujettis à la rémunération pour copie privée, contre 699 euros en Espagne, où ils ne le sont pas.

Pour d’autres, il est plus marqué. Il en va ainsi des supports de stockage de grande capacité. Le travail effectué en 2011 en vue de la fixation des barèmes pour 2012 n’a pas permis de saisir cet enjeu. D’où l’intérêt d’une révision régulière et des barèmes et des études d’usage. Il en va de même pour les boxes, les dispositifs d’accès à Internet. Pour échapper à la rémunération pour copie privée assise sur les disques durs intégrés, les fournisseurs d’accès à Internet prévoient désormais des ports permettant à l’usager de connecter lui-même des disques durs externes.

Ces remarques ne doivent pas conduire à remettre en cause la rémunération pour copie privée. Elles démontrent plutôt l’impérieuse nécessité pour la commission pour la rémunération de la copie privée de tenir compte en permanence des évolutions technologiques.

Michel Pouzol a posé la question de la distinction entre ordinateurs et tablettes. Pour nous montrer l’absurdité qu’il y avait à assujettir à la RCP les tablettes et pas les ordinateurs, un représentant de la société Archos nous a présenté une tablette et un ordinateur de sa fabrication, qui ne différaient l’un de l’autre que par la possibilité de dissocier le clavier sur l’un des deux. On voit bien là qu’il est inconcevable d’assujettir les tablettes mais pas les ordinateurs. De manière plus rationnelle que la France, l’Allemagne a assujetti l’ordinateur à la rémunération pour copie privée et se pose la question de l’étendre aux tablettes, qui en sont un prolongement.

Frédéric Reiss a évoqué la possibilité d’une taxe sur les GAFA. Celle-ci renvoie à la question du partage de la valeur à l’heure de l’Internet, question qui diffère de celle de la rémunération pour copie privée. Créée par la loi de 1985, après que la loi de 1957 a établi l’exception pour copie privée, cette rémunération restera en vigueur tant qu’il existera des instruments de stockage numérique. À cet égard, en proposant la solution alternative d’une taxation assise sur les objets connectés, le rapport Lescure ne faisait que déplacer le problème.

Plusieurs d’entre vous se sont demandé ce que recouvrait une autorité administrative indépendante « légère ». Eh bien, c’est une AAI qui ne pèse pas mais qui éclaire, qui facilite le processus de décision mais ne le capte pas. Après tout, une telle instance a pu être mise en place pour la distribution de la presse au numéro. La création de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse a, en effet, mis fin au blocage du Conseil supérieur des messageries de presse, dont le fonctionnement était miné par des intérêts antinomiques.

Ajoutons que le rapport propose que cette autorité administrative indépendante soit financée par Copie France, pour qui une telle participation ne saurait être un poids, compte tenu de l’importance des sommes qu’elle collecte chaque année – 233 millions d’euros en 2014.

La consommation des crédits correspondant au prélèvement de 25 % mérite effectivement d’être mise en question. La Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits s’est d’ailleurs penchée dessus. Son président nous a indiqué qu’en 2014, les ressources brutes disponibles pour l’action culturelle et artistique s’élevaient à 109 millions d’euros : 52 millions au titre de la rémunération pour copie privée, 25 millions au titre d’annulations et de reports, 27 millions au titre de sommes non réparties, 5 millions au titre d’aides volontaires de certaines SPRD comme la SACD. Que les deux tiers seulement de ce total soient utilisés est très insuffisant. La commission permanente laisserait entendre que les SPRD ne feraient pas preuve de beaucoup de fougue pour dépenser ces sommes dans de brefs délais. Notez que cette hypothèse est celle des représentants de la commission permanente et non celle de votre rapporteur !

Isabelle Attard a rappelé l’importance d’instaurer un plancher de dépenses en faveur de la formation des artistes et des auteurs. Il est vrai que la plupart des SPRD ne font pas preuve du même élan que la SACD, qui consacre 4 % à 5 % de ses crédits à ce type d’action. Pour assurer la formation de nos artistes – et pas uniquement de ceux qui dépendent du régime des intermittents –, il serait bon d’instaurer une obligation minimale.

Patrick Hetzel est revenu sur les actions d’éducation artistique et culturelle. Qu’elles fassent partie des actions financées par le prélèvement de 25 % permettrait, à notre sens, précisément de mieux accompagner l’Éducation nationale en ce domaine.

S’agissant des remboursements aux professionnels, précisons tout d’abord que les chiffres cités dans le rapport portent sur les demandes de remboursement et ne tiennent pas compte des exonérations de RCP dont bénéficient les plus grosses entreprises aux termes d’une convention qu’elles passent avec Copie France. Les sommes collectées ne concernent que les petites et très petites entreprises ainsi que les professions libérales. Pour de nombreux professionnels, il n’y a aucun intérêt à demander le remboursement de sommes modestes. Nous avons donné un exemple éclairant dans le rapport : pour bénéficier du remboursement de la somme de 1,60 euro correspondant à la rémunération de la copie privée dans le prix d’une clef USB de 16 Go, il faut obtenir un extrait de Kbis coûtant 3,90 euros !

Madame Attard, monsieur Tardy, je suis d’accord avec vous : pour un meilleur remboursement des professionnels, il faut grandement simplifier les formalités administratives. C’est précisément ce que nous proposons. Celles qui sont actuellement exigées remplissent entièrement une page de notre rapport. Il faut faire en sorte qu’elles ne remplissent plus qu’une moitié, voire un tiers de page.

Monsieur Tardy, les questions écrites ont moins de chance d’aboutir que les questions orales. Lorsque vous voudrez les procès-verbaux des réunions de la commission pour la rémunération de la copie privée, adressez-vous plutôt à l’Assemblée nationale – car nous disposons de ces documents. Cela dit, il n’est absolument pas normal que vous n’ayez pas pu en prendre connaissance. De manière générale, tout citoyen doit pouvoir accéder aux informations sur ce qu’il paie. Ce type de fonctionnement, volontaire ou non de la part de la commission, n’est pas acceptable.

Christophe Premat voulait éclairer le lien entre pouvoir politique et autorité administrative indépendante : la création d’une AAI vise précisément à ce qu’il n’y en ait pas. Lors de son déplacement à Berlin, la mission a rencontré Siegmund Ehrmann, président SPD de la commission des affaires culturelles et des médias du Bundestag, et Ansgar Heveling, membre CDU de cette même commission et spécialiste des droits d’auteur. L’un et l’autre nous ont dit leur volonté de ne pas revenir au système qui prévalait auparavant, à savoir que le Gouvernement fixait les barèmes par ordonnance. Ils souhaitent que la France et l’Allemagne défendent un même principe : la rémunération pour copie privée en tant que réparation d’un préjudice subi par les auteurs. Rappelons que l’Allemagne a créé la RCP avant la France et qu’elle est à la pointe de la défense des droits d’auteur. L’homologation des barèmes issus des discussions entre industriels et ayants droit y est établie par l’Office des brevets et des marques, qui peut s’apparenter à une AAI. À mon sens, nous aurions tout intérêt à nous rapprocher, sous une forme ou sous une autre, du modèle allemand. Cela renforcera la rémunération pour copie privée, dans son esprit et dans ses modalités.

Que les données portant sur les sommes versées par les SPRD soient disponibles en format ouvert, cela me paraît aller de soi, mais ce n’est sans doute pas suffisant. La plupart de ces sociétés mettent en ligne les informations, mais sous forme de listes indigestes, comprenant des milliers de lignes retraçant l’affectation des crédits, sans analyse ni synthèse. Trop d’information tue l’information. Pour que nous puissions en tirer quelque chose, il faut que ces données soient mieux ordonnées. L’autorité administrative indépendante légère que j’appelle de mes vœux pourrait s’appuyer dessus.

Monsieur Tardy, vous nous invitez à nous attaquer frontalement aux problèmes. Mais quel serait le résultat d’une telle attaque ? Espérons qu’elle ne ferait pas trop de morts ! En tout état de cause, votre rapporteur n’aspire pas à la mort de la rémunération pour copie privée, si c’est cela que vous avez en tête.

M. Lionel Tardy. Pas du tout !

M. le rapporteur. Soyez assurés que j’en serai un défendeur indéfectible, aux côtés de la présidente Virginie Duby-Muller.

M. le président Patrick Bloche. En notre nom à tous, je remercie très chaleureusement Virginie Duby-Muller, Marcel Rogemont et les membres de la mission pour leur travail particulièrement utile, que nous aurons à cœur de décliner sur le plan législatif, si nécessaire.

La Commission décide, en application de l’article 145 du Règlement, d’autoriser à l’unanimité la publication du rapport d’information.

La séance est levée à dix heures cinquante-cinq.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

– M. Patrick Bloche, rapporteur sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (n° 2954) ;

– M. Michel Françaix pour siéger au Conseil supérieur de l’Agence France-Presse

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 15 juillet 2015 à 9 heures 30

Présents. – Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, M. Xavier Breton, M. Pascal Demarthe, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, M. Michel Françaix, M. Patrick Hetzel, Mme Gilda Hobert, M. Christian Kert, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, M. Michel Pouzol, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, M. Claude Sturni, M. Stéphane Travert

Excusés. – M. Benoist Apparu, Mme Huguette Bello, M. Bernard Brochand, M. Ary Chalus, M. Jean-François Copé, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dion, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Martine Martinel, Mme Barbara Pompili, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga

Assistaient également à la réunion. – Mme Huguette Bello, M. Paul Molac, M. Lionel Tardy