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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mercredi 7 mai 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Luc Chatel,
Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Durance, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France et président de la chambre de commerce et d’industrie des Hauts-de-Seine, et de M. Jean-Luc Biacabe, directeur des politiques économiques à la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France

–  Présences en réunion

L’audition débute à seize heures trentre.

M. le président Luc Chatel. Monsieur Durance, vous êtes chargé depuis 2000 des congrès et salons et, depuis 2013, de la mission consultative de la Chambre de commerce et d’industrie – CCI – de Paris-Île-de-France. Quant à vous, monsieur Biacabe, vous avez fait l’essentiel de votre carrière dans des fonctions axées sur l’observation et l’analyse économiques.

Nous avons choisi de vous inviter pour notre première audition, car la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France a publié, en mars dernier, une très intéressante étude, Les Français à l’étranger – L’expatriation des Français, quelle réalité ?, qui s’emploie à mesurer l’importance du phénomène de l’expatriation des Français, examine leurs motivations, analyse l’expatriation sur le plan international et présente des conclusions destinées à élaborer une véritable stratégie en la matière.

Nous avons décidé de nous emparer, dans le cadre de cette commission d’enquête, non tant de la question de l’expatriation en tant que telle que de ce qu’on pourrait appeler la « mauvaise » expatriation. Si l’expatriation peut être une chance pour la France et son économie chaque fois que de jeunes Français partent à la conquête du monde, ce qui nous inquiète, c’est le départ de Français, jeunes ou moins jeunes, voire de retraités, qui ne voient plus d’un œil favorable l’environnement de leur pays.

M. Yann Galut, rapporteur. Messieurs, vous êtes les premiers auditionnés : vous avez compris l’intérêt qui est le nôtre, puisqu’il s’agit, pour nous parlementaires, de comprendre les motivations des Français qui s’expatrient ou s’exilent tout en analysant ce phénomène sur le plan international.

Nous souhaitons également mieux connaître les raisons pour lesquelles des étrangers s’installent en France.

M. le président Luc Chatel. Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Yves Durance et M. Jean-Luc Biacabe prêtent serment.)

M. Jean-Yves Durance, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France. La question du départ à l’étranger des Français, notamment des jeunes Français, s’est imposée depuis un an à dix-huit mois. Le Président de la République a ainsi déclaré le 14 janvier 2014 : « C’est vrai qu’il y a des jeunes qui souhaitent vivre à l’étranger. Je ne vais pas les blâmer. Ils passent deux à quatre ans, voire davantage, dans un pays, mais ils n’ont pas rompu avec leur pays. Ils sont au contraire les ambassadeurs de notre pays partout dans le monde. » Quant au site Atlantico, il titrait : « Exode français : les exilés fiscaux ne sont pas les seuls à quitter le navire. Les bac +5 et les entrepreneurs sont les premiers candidats à l’émigration ». La presse s’est emparée du sujet, avec un regard d’ailleurs souvent parcellaire.

La chambre de commerce et d’industrie de Paris s’est impliquée dans cette réflexion en se posant deux questions : la France dispose-t-elle des talents dont elle a besoin dans un monde qui change très rapidement et dans lequel la course aux ressources humaines est un des éléments fondamentaux de la compétition mondiale ? Pourquoi de jeunes Français si nombreux quittent leur pays alors que la France possède des écoles d’excellence – dois-je rappeler que les trois premières écoles de gestion françaises, HEC, ESCP Europe et l’ESSEC, font partie des toutes premières écoles européennes ?

Nous nous sommes fondés à la fois sur des chiffes, arrêtés en 2011, et sur des enquêtes plus récentes, parfois réalisées par d’autres instances que la chambre, mais que nos services ont validées. Utilisant également des chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l’ONU, nous devons prendre en compte une marge d’incertitude relativement importante, car tous les expatriés ne se sont pas nécessairement déclarés auprès des autorités de leur pays. Toutefois, ces chiffres sont parfaitement utilisables, puisque les comparaisons internationales ou les comparaisons d’une année sur l’autre confirment les tendances qui s’en dégagent. S’il est vrai que le nombre d’expatriés français oscille entre 1,7 et 2 millions de personnes, l’importance de cette marge doit être relativisée, le degré d’incertitude n’ayant pas augmenté avec les années.

Ces chiffres révèlent paradoxalement deux succès politiques pour la France. Il y a vingt ans, les jeunes Français ne connaissaient pas suffisamment l’étranger, ne maîtrisant ni la langue ni la culture des principaux pays : la situation devait évoluer. Monsieur Chatel, vous le savez en tant qu’ancien ministre de l’éducation nationale, les grandes écoles et les universités françaises ont établi des programmes d’association avec des universités étrangères ou des organismes étrangers équivalents à nos grandes écoles : les diplômes multinationaux ont connu un véritable succès. Il serait dommage de remettre en cause une telle dynamique pour quelque raison que ce soit.

Il faut savoir ensuite que 50 % de nos expatriés vivent en Europe, réalisant ainsi, par-delà le programme Erasmus, l’intégration européenne. Des compatriotes, jeunes ou moins jeunes, sont de plus en plus nombreux à s’installer, temporairement ou plus durablement, dans des pays membres de l’Union européenne. Cette intégration humaine est un facteur favorable à la réalisation d’une Europe solide.

Nous constatons en revanche une transformation de la nature de l’expatriation, une évolution de l’origine des expatriés et une inflexion de leur intention, qu’il s’agisse de la durée de leur séjour ou de leur désir de revenir en France. Des enquêtes nous ont permis de chiffrer cette rupture qui nous inquiète.

La couverture médiatique de notre étude, qui a dépassé nos espérances, s’est focalisée sur cet aspect négatif. Alors que nous pensions, à l’origine, intituler cette étude : De l’expatriation à l’émigration, nous avons dû, au vu de ses résultats, nuancer son titre, afin que celui-ci reflète le plus exactement possible la situation, qui est elle-même nuancée.

Si l’étude ne traite pas de l’aspect fiscal, alors même que celui-ci est le plus médiatisé, c’est notamment parce que nous ne disposons d’aucun chiffre pour les années 2012 et 2013 et pour le début de 2014. Quant aux chiffres des années antérieures, ils indiquaient que le nombre d’expatriés fiscaux pleins, pour lesquels les montants des transferts de capitaux sont significatifs, était très faible par rapport à celui de nos compatriotes qui partent s’installer à l’étranger. Certes, la chambre considère l’expatriation fiscale comme très grave, dans la mesure où les expatriés fiscaux sont le plus souvent des dirigeants d’entreprises : l’expatriation de capitaux importants ainsi que des centres de décision – c’est le cas lorsqu’un entrepreneur vend son entreprise et s’installe à l’étranger où il réutilise son capital – représente une perte de substance importante pour la France. Toutefois, tel n’est pas le problème traité par l’étude.

Enfin, l’important est d’avoir à la fois la capacité de développer des talents au service de la France et d’en attirer de l’étranger. Il convient à cette fin de conduire une politique d’attractivité de talents étrangers et d’impatriation de non-Français. Ne nous contentons pas de mesurer le flux d’exportation de talents : il convient de faire la balance entre les sortants et les entrants.

M. Jean-Luc Biacabe, directeur des politiques économiques à la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France. Nous avons conduit cette étude avec l’aide d’un jeune chargé de mission, M. Simon Robert, et le concours de M. François Bost, professeur de géographie économique et industrielle et spécialiste des mouvements migratoires à l’université de Reims Champagne-Ardenne.

Notre dessein était d’objectiver les termes d’un débat très prégnant en nous fondant sur un maximum d’informations et de chiffres incontestables, qu’ils soient d’origine française ou européenne ou proviennent de l’OCDE. Nous souffrons assurément – cela vient d’être souligné – d’un décalage d’informations puisque l’étude décrit une situation qui remonte à deux ou trois ans avec une marge d’incertitude, que j’ai rarement observée, sur le nombre de Français expatriés – l’information la plus importante. Ce nombre est donné à plus ou moins 500 000 personnes ! Il oscille en effet entre 1,7 million – le nombre officiellement retenu par le registre des Français établis hors de France – et 2,2 millions.

Nous avons essayé de répondre aux questions suivantes : qui sont ces Français expatriés ? Pourquoi sont-ils partis ? Reviendront-ils ? La France occupe-t-elle une place atypique dans le paysage de l’expatriation ou s’inscrit-elle dans la tendance générale des pays comparables ?

Les 1,7 à 2,2 millions de Français expatriés ne constituent pas un nombre négligeable, d’autant que, d’après les sources officielles, leur nombre augmente depuis une dizaine d’années de 3 % à 4 % par an : entre 60 000 et 80 000 Français s’expatrient chaque année, un nombre bien plus important que celui des exilés fiscaux.

Si nos chiffres sont imprécis, c’est en raison du caractère volontaire de l’inscription au registre des Français établis hors de France. Les expatriés n’ont tendance à s’inscrire qu’à la veille d’élections importantes, comme la présidentielle ou les législatives. Ils négligent cette démarche s’il n’y a pas de scrutin dans l’année.

Il faut savoir également que plus de la moitié des expatriés quittent la France pour nos voisins européens : la Suisse est la première destination, le Royaume-Uni vient en deuxième. S’agissant du nombre de Français résidant à Londres, les statistiques officielles ne vérifient pas la rumeur selon laquelle la capitale britannique serait devenue la sixième ville de France : il y aurait entre 160 000 et 180 000 Français au Royaume-Uni, la grande majorité résidant à Londres. Tous ceux qui ne sont pas inscrits sur le registre n’apparaissent évidemment pas dans les statistiques.

M. Jean-Yves Durance. Nous n’avons pas compté parmi les expatriés les travailleurs frontaliers.

M. Jean-Luc Biacabe. Selon les statistiques de 2011, les travailleurs frontaliers seraient un peu plus de 315 000 – un chiffre en progression notable. On peut les ajouter aux 1,7 à 2,2 millions de Français expatriés. La majorité d’entre eux travaille en Suisse, les Lorrains privilégiant le Luxembourg ; la Belgique arrive en troisième destination. Ce chiffre de 315 000 est un indicateur, parmi d’autres, d’un appauvrissement relatif, les travailleurs frontaliers trouvant souvent un emploi mieux rémunéré de l’autre côté de la frontière – c’est notamment le cas en Suisse –, tout en continuant de se loger de ce côté-ci pour un coût moindre. Il conviendrait d’intégrer cet indicateur de niveau de vie dans la réflexion globale.

Je tiens également à insister sur un autre changement : alors que, traditionnellement, la population des expatriés était constituée de Français salariés envoyés par leur entreprise, leur proportion se réduit progressivement au profit de celle des Français partis à l’étranger créer leur entreprise. Ces derniers représentaient 8 % des partants en 2003 : ils seraient aujourd’hui 18 %. Par ailleurs, les expatriés français travaillent désormais majoritairement pour des entreprises étrangères et non plus pour des entreprises françaises. Ce changement de nature n’est pas neutre au regard notamment de la question du retour. En effet, l’expatriation dans le cadre de l’entreprise fait partie du parcours professionnel : les expatriés peuvent revenir. En revanche, le retour de ceux qui travaillent pour une entreprise étrangère ou qui partent fonder une entreprise dépendra du succès de leur parcours à l’étranger.

M. le rapporteur. Ce chiffre de 18 % date bien de 2011…

M. Jean-Yves Durance. Ce chiffre relève d’une enquête plus récente. Les créateurs d’entreprise étaient 18 % en 2013 contre 10 % en 2003.

M. Jean-Luc Biacabe. Les motivations des Français partant à la retraite à Agadir et celles de ceux qui vont ouvrir une boulangerie à Shanghai sont évidemment différentes. Il convient de distinguer les motivations relevant du long terme de celles qui relèvent du court terme. L’Europe n’est pas seulement un grand marché intérieur de capitaux et de biens : elle est également devenue un grand marché intérieur de main-d’œuvre. Nous assistons d’ailleurs à un accroissement de la mobilité internationale de la main-d’œuvre, non seulement du sud vers le nord, mais également du nord vers le nord.

Il faut savoir que tous les systèmes de formation intègrent aujourd’hui un parcours à l’étranger. C’était hier déjà le cas de nos grandes écoles : c’est aujourd’hui celui d’écoles de rang intermédiaire.

De plus, les entreprises recrutent des candidats qui ont un vernis international : les jeunes savent qu’une entreprise préférera recruter, à diplôme égal ou à expérience égale, le candidat qui a fait un parcours à l’international.

Enfin, cette mobilité est une traduction concrète du projet européen. Alors que nos compatriotes sont peut-être sur le point d’exprimer à la faveur des urnes leurs doutes ou leurs interrogations sur l’avenir de celui-ci, d’autres Français votent avec leurs pieds. Pour eux, la question ne se pose plus : l’Europe est devenue leur patrie. N’est-on pas, dans ces conditions, en droit de se demander si la notion d’expatriation ne doit pas être revue ?

À côté de ces mouvements de long terme, qui sont irréversibles, il existe des mouvements de court terme, qui dépendent de la situation conjoncturelle française : l’état du marché du travail est, malheureusement, un profond accélérateur du mouvement de mobilité internationale. Vivre dans un pays où 22 % des moins de 25 ans sont au chômage et où les perspectives à l’horizon d’une année demeurent relativement sombres incite à aller voir ailleurs.

Si le structurel est appelé à se prolonger, le conjoncturel dépendra de l’évolution de la situation économique française.

Il faut tenir compte, à l’intersection de ces deux mouvements, de nombreuses autres considérations. M. Durance a évoqué la fiscalité et la réglementation. Il existe également des considérations d’ordre familial ou culturel. Beaucoup de jeunes Français rencontrent leur conjoint à l’étranger. Auparavant, l’expatriation se faisait en couple : aujourd’hui, on part seul et on fait une rencontre sur place. De plus, un grand nombre de jeunes partis à l’étranger sont frappés de voir combien il est souvent plus simple d’y conduire un projet professionnel qu’en France. Nous avons rencontré de jeunes Français vivant à Londres et à Berlin : tous ont souligné que la dictature du diplôme est moins prégnante au Royaume-Uni et en Allemagne qu’en France, ce qui, à la fois, facilite l’entrée sur le marché du travail et permet des carrières beaucoup plus rapides, alors qu’en France il faut non seulement avoir le bon diplôme, mais également attendre pour accéder à des responsabilités.

Je vous ferai part d’une réflexion personnelle : à la primauté du diplôme, qui est ancienne en France, s’ajoute l’interdiction, pour l’entrepreneur français, du droit à l’erreur lors d’un recrutement : à ses yeux, le diplôme représente une garantie. Au Royaume-Uni, au contraire, le marché du travail est plus fluide : il y est plus facile de se débarrasser d’un collaborateur qui aura déçu dans l’exercice de ses responsabilités.

S’agissant des perspectives de retour, il faudra nous revoir dans dix ou vingt ans pour savoir ce que sont devenus les jeunes Français qui s’expatrient aujourd’hui. Nous pouvons toutefois d’ores et déjà affirmer que leur décision dépendra en grande partie de la situation économique française. Si la période de stagnation, qui dure maintenant depuis six ans, persiste, l’incitation à partir et l’incitation à ne pas revenir seront encore plus aiguës. Quant au nombre croissant de Français partant fonder une entreprise à l’étranger, la perspective de leur retour dépendra de leur réussite ou de leur échec. L’artisan français qui, installé à Shanghai, monte une chaîne de boulangerie a peu de raisons de revenir. Il en sera différemment de celui qui tente sa chance dans la Silicon Valley, où 80 % des jeunes échouent à trouver un emploi, ce qui les incite à revenir. Leurs perspectives sont donc différentes de celles de leurs aînés, expatriés par des entreprises françaises. Par ailleurs, beaucoup de jeunes Français, partis pour l’étranger dans le cadre de leur formation, se mettent en couple avec des locaux, ce qui les place devant la nécessité de choisir leur pays de résidence.

Quant à la position comparée de la France, il y aurait quelque 2 millions de Français expatriés contre 4 millions de Britanniques.

M. Jean-Yves Durance. Ce dernier chiffre, qui date de 2010, provient de l’ONU.

M. Jean-Luc Biacabe. Les raisons ne sont pas seulement climatiques – la rumeur court que, à tout moment de l’année, 10 % des Britanniques seraient hors du Royaume-Uni : elles sont également d’ordre culturel. Il est plus facile pour un Britannique de se rendre au Canada, en Australie ou aux États-Unis, de même qu’il est plus facile pour un Français de s’installer au Québec ou au Maroc. Il n’en reste pas moins que, pour une population équivalente, il y a deux fois plus de Britanniques expatriés que de Français. Quant aux Allemands expatriés, ils seraient quelque 3 millions, un nombre qui peut être rapporté à la population, mais qui doit être surtout analysé au regard de la puissance exportatrice allemande. Les Italiens expatriés seraient également 3 millions.

La France, qui n’a connu, tout au long de son histoire, que peu de mouvements d’émigration, s’inscrit aujourd’hui dans un processus de rattrapage – telle est du moins l’interprétation positive du phénomène. Il faut se rappeler que les problématiques de chaque pays sont différentes, même si, je tiens à le répéter, la mobilité internationale est sans aucun doute un des traits majeurs de notre époque.

N’oublions pas non plus que la France attire des étrangers : nos grandes business schools ne rencontrent aucune difficulté à remplir d’étudiants étrangers leur Master in Business Administration – (MBA. Le MBA de HEC qui coûte relativement cher – entre 50 000 et 60 000 euros par an – serait composé uniquement de Chinois si on les laissait s’y inscrire librement. C’est pourquoi HEC, qui veut attirer les meilleurs étudiants étrangers du monde entier, a mis en place des quotas.

Pour la deuxième année consécutive, Paris a été classé première ville étudiante du monde par un cabinet anglo-saxon. Si les jeunes chercheurs français sont attirés par les moyens des universités américaines, les jeunes chercheurs étrangers sont attirés dans nos organismes de recherche par des statuts plus protecteurs, notamment celui de la fonction publique.

D’après Campus France, 90 % des étudiants étrangers sont très satisfaits de leur séjour en France et un grand nombre d’entre eux souhaiteraient y rester si seulement ils pouvaient trouver un emploi : c’est donc à leur corps défendant qu’ils quittent notre pays. Les entrées et les sorties s’équilibrent.

M. Jean-Yves Durance. Si, en matière d’expatriation, la France est en retard par rapport à ses concurrents, on observe toutefois un allongement de la durée du séjour et une augmentation du nombre des départs : le nombre des Français à l’étranger est donc destiné à augmenter rapidement et de manière quasi mécanique.

Deux raisons de nature conjoncturelle participent de ce double mouvement : la situation économique française qui s’installe dans la durée et l’attraction de revenus plus élevés à l’étranger – en effet, soit les salaires y sont plus élevés, soit le revenu net après impôts y est plus avantageux. Il faut également noter les difficultés rencontrées par les jeunes pour accéder à un logement intermédiaire dans nos grandes métropoles, notamment dans la métropole parisienne, difficultés qui amoindrissent l’attractivité de notre pays.

Quant aux éléments structurels favorisant la mobilité, il faut souligner la mondialisation et la transformation de la nature des contrats. En 2003, 38 % des Français de l’étranger travaillaient pour la fonction publique ou des organisations non gouvernementales : ils ne sont plus aujourd’hui que 20 %. Les contrats d’expatriation sont de plus en plus souvent remplacés par des contrats locaux, ce qui modifie le rapport à la mère patrie. Enfin, les moyens de communication modernes permettent désormais de rester en liaison très étroite avec sa famille, ce qui n’était pas le cas il y a quarante ans et modifie le ressenti culturel de l’expatriation.

Notons aussi que les premiers à faire du France bashing sont nos compatriotes. Les jeunes qui vivent à l’étranger ne cessent de souligner combien ils sont soulagés de n’avoir pas à vivre en France à l’heure actuelle. C’est pourquoi nous allons approfondir l’enquête sur ce qui représente à nos yeux un sujet de préoccupation majeur, en instaurant notamment une veille attentive : la CCI de Paris-Île-de-France a signé un accord avec l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger – UCCIFE –, en vue d’instaurer un baromètre permettant d’observer et de mesurer la réaction, les attentes et la vision des ressortissants français dans les principaux pays d’expatriation. Ce serait une erreur de freiner les départs : il convient même de les encourager en les facilitant. Ne disons pas à ceux de nos compatriotes qui ont choisi de partir qu’ils trahissent leur pays, mais demandons-leur d’en devenir les ambassadeurs. Trop souvent, en raison des tracasseries administratives qu’ils ont dû surmonter pour partir, ce n’est pas sans amertume que les candidats à l’expatriation quittent la France.

Il faut également faciliter leur retour, sur le plan des démarches administratives ou du logement. Il est primordial pour la mère patrie de nouer un lien très fort avec ses expatriés.

Il convient d’intégrer la diaspora française, qui compte aujourd’hui quelque 2 millions de compatriotes et est destinée à augmenter : considérons ceux qui s’installent durablement, voire définitivement à l’étranger, comme autant d’atouts pour notre pays. C’est ce que font l’Allemagne de manière évidente, l’Italie de manière plus discrète et le Royaume-Uni sur le plan culturel. Les exécutifs de la compagnie Emirates Airlines ou de la compagnie d’Abou Dabi comprennent de nombreux Britanniques. Certes, ils sont indépendants et sont loin du Royaume-Uni : ils n’en portent pas moins l’influence de leur pays. C’est pourquoi nous avons l’intention de proposer au ministre des affaires étrangères de travailler à l’acculturation de la diaspora afin de l’embarquer dans l’« entreprise France ».

Il convient enfin de renforcer, dans la compétition internationale pour les talents, la position déjà favorable, voire envieuse, de la France, notamment de la région capitale. Il faut donner le sentiment à ceux qui arrivent en France qu’ils sont les bienvenus. Les universitaires étrangers et leur famille sont mieux accueillis, s’agissant notamment du logement, dans les universités américaines que dans les universités françaises.

M. le président. Évoquant le manque d’outils fiables pour analyser tous les aspects de l’expatriation, vous avez annoncé un accord avec l’Union des CCI à l’étranger pour instaurer un baromètre : quel serait l’outil le plus fiable ?

Vous avez également souligné que, s’agissant des étudiants, les entrées et les sorties s’équilibrent et que HEC pourrait remplir son MBA avec des étudiants chinois : mais la vraie question est de savoir s’ils placent HEC en tête de leur choix ? Plus généralement, quel est le classement de nos grandes écoles dans la compétition mondiale ? Je préside le groupe d’amitié France-Maroc de l’Assemblée nationale : j’observe que les jeunes Marocains vont faire leurs études aux États-Unis en plus grand nombre que la génération précédente.

Connaissez-vous le taux de retour des jeunes Français ayant fait leurs études et commencé leur carrière professionnelle à l’étranger ?

C’est évidemment une bonne chose que des Français entreprennent à l’étranger : combien d’entre eux auraient entrepris en France ?

M. le rapporteur. Votre étude révèle qu’environ la moitié des Français expatriés ont un niveau de formation inférieur ou égal à bac +3 : l’expatriation ne tente donc pas seulement les Français très diplômés. Quels sont les principaux facteurs qui expliquent l’expatriation des Français moyennement ou peu diplômés ? L’étude évoque l’hypersélectivité du marché du travail français ainsi que l’importance des diplômes ou celle des discriminations à l’embauche à laquelle font face certaines minorités : pouvez-vous apporter des précisions ? Les chances que ces jeunes issus de quartiers dits défavorisés ou de l’immigration ont d’accéder à un emploi seraient-elles moindres en France qu’à l’étranger ? Avez-vous des données à nous fournir – je n’ignore pas les contraintes légales en la matière ?

Votre étude indique également que le statut des Français de l’étranger évolue : la proportion de détachés ou d’expatriés par une entreprise ou une administration diminue au profit des créateurs d’entreprises, qui sont passés de 10 % à 18 % entre 2003 et 2013, et des professions libérales, passées sur la même période de 7 % à 10 %. Quelle est votre appréciation de cette évolution ? Disposez-vous de statistiques équivalentes portant sur les étrangers venus en France créer une entreprise ou exercer une profession libérale ?

L’étude souligne par ailleurs que la France est moins concernée que ses voisins par l’expatriation de ses ressortissants : celle-ci fait-elle également dans ces pays l’objet d’un débat ? Quelle appréciation générale portez-vous sur l’expatriation des Français et son accélération au cours des dernières années ? Le bilan vous semble-t-il positif, notamment au regard, d’une part, de l’apport de nos expatriés au rayonnement de la France à la fois à l’étranger et lors de leur retour et, d’autre part, de l’accueil par la France d’un nombre important d’étudiants et de travailleurs étrangers ?

Quels sont selon vous les principaux points de vigilance ?

Peut-on parvenir à distinguer ce qui relève d’un mouvement de fond lié à la mondialisation et au développement de la mobilité internationale de ce qui pourrait relever d’une moindre attractivité du territoire français ?

Votre conclusion plaide pour une « politique diasporique » : qu’entendez-vous par là ? Pourriez-vous nous en dire davantage sur celle que les Allemands ont mise en place ?

M. Jean-Yves Durance. Si, sur certains points, nous ne vous avons pas fourni d’éléments chiffrés, c’est que nous ne les avions pas.

Nous savons d’autre part qu’il y a des incertitudes – par exemple en ce qui concerne les chiffres de l’ONU que nous avons cités –, car ces données correspondent aux enregistrements dans les ambassades ou les consulats, de nombreuses personnes ne s’enregistrent pas ou ne s’enregistrent qu’en certaines occasions, et l’on ne peut pas les obliger à le faire. On pourrait améliorer les outils statistiques grâce à des sondages, voire par le biais de l’enregistrement des déclarations d’expatriation, mais je ne suis pas très optimiste sur la façon dont nous pourrions procéder. La mise en place d’un observatoire expérimental devrait permettre de mieux appréhender le phénomène. Cela dit, les tendances et les flux priment sur les valeurs absolues.

Si nous ne disposons d’aucun élément sur le choix des étudiants étrangers d’étudier à HEC plutôt qu’à Harvard, nous observons un basculement des jeunes générations vers le monde anglo-saxon, en particulier américain, essentiellement pour des raisons liées à la langue. Les gens ont en effet tendance à aller dans des pays où l’enseignement se fait en anglais, même si la majeure partie des cours de nos grandes écoles sont dispensés dans cette langue. En outre, des universités très riches, comme Harvard, mènent d’importantes campagnes de promotion pour attirer les talents, en payant très largement les professeurs internationaux et les chercheurs « publiants », notamment des prix Nobel, pour accroître leur réputation et figurer en bonne place dans le classement de Shanghai. Certains pays considèrent cet aspect comme un des éléments majeurs de la compétition mondiale.

M. le président. J’ai étendu à tort le débat aux États-Unis, où le coût d’un MBA est quatre à cinq fois plus élevé.

Au sein du réseau européen CEMS – Community of European management schools and international companies –, dont font partie les premières universités et grandes écoles européennes, quelle est la part de marché de HEC ? Concrètement, un étudiant allemand préférera-t-il intégrer l’ESADE à Barcelone, la London School of Economics, l’université Bocconi à Milan ou HEC ? Il serait intéressant de connaître l’attractivité de nos établissements d’enseignement supérieur par rapport à leurs concurrents. La même question se pose dans le cadre d’Erasmus.

M. Jean-Yves Durance. Je n’ai pas la réponse. Nous allons voir si nous disposons d’éléments permettant de répondre à ces questions et, le cas échéant, nous vous les transmettrons. Je rappelle cependant que, dans la catégorie des écoles de management, les écoles françaises, notamment HEC, figurent sans discontinuer depuis quatre ou cinq ans au sommet du classement du Financial Times.

Les étudiants étrangers formés en France et qui ont regagné leur pays ne travaillent pas pour la France, mais ils pourraient à la limite être considérés comme des sortes d’ambassadeurs si l’on réussissait à les intégrer dans un réseau. Cependant, dans la course au talent, plus que les étrangers qui étudient dans nos universités, ce sont les chercheurs et les jeunes venus dans notre pays pour contribuer directement à la création de richesses qui sont prisés.

Nous ne disposons pas, à ma connaissance, de statistiques sur les créateurs étrangers en France. En revanche, dans le cadre d’un groupe de travail avec des chambres métropolitaines européennes, un jeune et talentueux Néerlandais nous a expliqué s’être installé à Londres pour la langue et en raison des facilités liées non pas à la création d’une entreprise – car la France est désormais l’un des pays où cela est le plus facile – mais au fonctionnement de l’entreprise. En France, les entrepreneurs se heurtent à plusieurs difficultés : la paperasse, un climat de suspicion, un état d’esprit particulier. Ces freins expliquent en partie que des jeunes aillent créer leur entreprise à l’étranger. Ils contribuent en tout cas à répandre une image exagérément répulsive de notre pays, qui s’est nettement accentuée depuis deux ans.

Le rôle croissant joué, dans le droit des affaires, par le droit européen, d’une part, et par le droit anglo-saxon, d’autre part, incite les jeunes Français à préparer un double diplôme, facilite leur départ pour l’étranger et, dans le même temps, la venue sur notre territoire de personnes travaillant pour de grandes firmes internationales.

La proportion de 50 % des expatriés non titulaires d’un bac + 3 est évidemment très inférieure à la moyenne française. Mais cela signifie a contrario que 50 % des expatriés sont diplômés bac + 3. Les personnes qui n’ont pas un tel niveau de formation, mais qui sont dotées d’une véritable vocation d’entrepreneur, se lancent dans une aventure individuelle, se retrouvant dans la situation des émigrés irlandais, italiens, polonais qui partaient naguère dans des pays où la croissance était plus forte que dans leur pays d’origine. L’image de la France dans les secteurs du luxe, de la mode et de l’alimentation profite à ces entrepreneurs expatriés, qui à leur tour peuvent renforcer cette image. Ainsi, des Français connaissent des réussites exceptionnelles au Canada, aux États-Unis, en Australie ou en Chine avec des activités aussi simples que la boulangerie et la viennoiserie.

Nous ne disposons pas de chiffres sur les minorités, mais il nous semble que les plus entreprenants, c’est-à-dire les plus ouverts au développement économique et à la liberté que représente la mondialisation, sont ceux qui partent à l’aventure. Pour de nombreux pays, les talents individuels priment sur la reconnaissance du diplôme, et une plus grande flexibilité du marché du travail constitue un facteur de motivation. En France, le haut degré de protection que l’on veut maintenir se traduit, en réalité, par un affaiblissement de la situation de ceux que l’on veut protéger.

M. Jean-Luc Biacabe. Pour dénombrer les Français de l’étranger, l’idéal serait peut-être d’effectuer un recensement. Le sondage est intéressant, mais il me semble nécessaire de se doter d’une vision exhaustive du phénomène au moins tous les cinq ans.

En ce qui concerne les étudiants, je me permets d’être un peu plus affirmatif que Jean-Yves Durance : nos écoles sont très bien classées. Les Chinois ou les Africains ne viennent pas étudier en France par défaut, parce que c’est moins cher ou parce qu’ils parlent français, mais parce que HEC est régulièrement en tête du classement du Financial Times pour les MBA.

S’agissant des retours, nos résultats d’enquête ont montré que la moitié des jeunes expatriés ne savent pas s’ils rentreront un jour en France.

Pour répondre à la question sur les expatriés moyennement diplômés, vous savez que les possesseurs d’un diplôme ont plus de chance de trouver un emploi et que, compte tenu de la situation du marché du travail, moins on est diplômé, plus on est incité à s’expatrier. C’est donc ici moins la logique de fuite des talents, que celle de la fuite des jeunes moins diplômés.

Au sujet des discriminations à l’embauche, vous connaissez l’histoire de ce Franco-Ivoirien diplômé de Polytechnique et qui, faute d’avoir trouvé un emploi à la mesure de ses talents en France – en raison, comme il l’a expliqué dans la presse, de ses origines –, est devenu directeur général de Prudential, numéro trois de l’assurance anglaise.

S’agissant de l’exercice de certaines professions libérales, les barrières à l’entrée en France constituent des freins pour les étrangers, même européens.

Le débat sur l’expatriation pose problème en France, en constituant un indicateur d’une situation difficile. Cela ne semble pas être le cas dans des pays comme le Royaume-Uni, où la reprise est plus affirmée.

Pour ce qui est de la distinction entre conjoncture et structure, nous en reparlerons en 2016. Alors que, en 2011, on pouvait croire que la fin de la crise était imminente, toute une génération peut avoir l’impression, en 2014, qu’elle est sacrifiée. La conjoncture est un accélérateur de la mobilité internationale, qui ira en s’amplifiant dans les deux à quatre ans à venir.

Enfin, un levier en faveur d’une « politique diasporique » réside dans l’action des pouvoirs publics en direction des populations concernées. Les députés représentant les Français de l’étranger le savent : les établissements d’enseignement français à l’étranger sont des points d’ancrage importants pour ces communautés qui, à chaque rentrée scolaire, rencontrent des difficultés pour y inscrire leurs enfants. De nombreuses initiatives, y compris privées, peuvent accroître l’offre éducative française dans les différents pays. En tout état de cause, les établissements d’enseignement sont, comme les postes diplomatiques et les chambres de commerce à l’étranger, des lieux naturels de rassemblement de cette diaspora.

M. Thierry Solère. Je ne comprends pas que l’INSEE ne nous fournisse pas de statistiques précises sur le sujet.

Je suis frappé par l’augmentation de la proportion d’entrepreneurs parmi les expatriés. Pouvez-vous nous fournir une étude statistique sur les Français partis s’installer à l’étranger depuis le début des années 2000 à l’issue de leur formation dans de grandes écoles comme HEC ou l’ESSEC ?

La France a fait l’actualité à l’étranger à l’occasion de l’instauration de la taxe à 75 %. Mais les réalités fiscales doivent être nuancées. À Los Angeles, par exemple, les propriétaires paient à la municipalité une taxe annuelle de 3 % à 4 % de la valeur de leur logement. Avez-vous réalisé une analyse comparée, pour un revenu annuel identique, du montant des impôts acquittés par un entrepreneur en France et par un entrepreneur expatrié ?

Enfin, les acteurs du monde de l’immobilier ont attiré mon attention sur l’augmentation considérable des mises en vente de produits haut de gamme en Île-de-France depuis un an. Ainsi, plus de quarante maisons de la Villa Montmorency sont à vendre, alors qu’il n’y en a habituellement que deux ou trois. Il me semble intéressant de nous pencher sur cet aspect.

M. le président Luc Chatel. Sur ce dernier point, nous avons prévu d’auditionner des agences immobilières spécialisées dans le haut de gamme en Île-de-France.

M. Claude Goasguen. Force est de constater que la France est très en retard sur la connaissance statistique de la mondialisation. Comment peut-elle gérer les problèmes liés à l’expatriation à partir de données intuitives ou parcellaires ? Comment peut-elle s’adapter à la mondialisation en étant à ce point défaillante dans l’évaluation de ses propres citoyens ? Pour des raisons historiques ou idéologiques, elle est le seul pays d’Europe à ne pas tenir de registre communal. L’INSEE travaille sur des évaluations par sondages réévalués tous les cinq ans : compte tenu des fluctuations mondiales, cette méthode « au doigt mouillé » est aujourd’hui totalement dépassée. Vous avez bien du courage de vouloir mettre en place un observatoire, car vous allez vous heurter à la mentalité administrative, qui ne supportera pas que l’on piétine les plates-bandes de l’INSEE ! Celui-ci devra d’ailleurs nous expliquer comment on peut maîtriser les flux si l’on ne connaît ni le nombre des Français installés à l’étranger ni même celui des Français vivant en France, ou si l’on ignore le nombre et l’identité des personnes possédant la double nationalité ! Depuis 1945, nous sommes dans le brouillard le plus opaque.

Notre pays doit dorénavant s’appuyer sur des statistiques fiables, comme le fait par exemple l’Allemagne grâce à des registres communaux où sont inscrits les changements de commune, de pays, de nationalité, les acquisitions de double nationalité, les expatriations et les retours, sans pour autant s’apparenter à une inquisition. Cet aspect devrait être mis en évidence auprès des pouvoirs publics dans le cadre de cette commission d’enquête.

M. Marc Goua. De nombreux jeunes venus d’Afrique francophone, après avoir fait de brillantes études chez nous, sont démarchés par le Canada, en particulier le Québec. Leurs études, prises en charge par l’État, profitent à d’autres, alors qu’ils pourraient devenir, pour notre pays, des vecteurs de flux commerciaux avec l’Afrique.

Monsieur Goasguen, mon père était un enfant de l’Assistance publique et, jusqu’à l’âge de 25 ans, à chaque changement de famille, il devait aller se déclarer en mairie où on le considérait comme un « pestiféré ». Il faut donc faire extrêmement attention quand on parle de registre.

M. Claude Goasguen. Votre remarque est très justifiée, cher collègue, et explique d’ailleurs pourquoi la notion de fichage a toujours eu une connotation très négative dans notre pays, en particulier après ce qui s’est passé pendant la guerre. Aujourd’hui, il est nécessaire non de ficher, mais d’enregistrer des déclarations, et les outils informatiques le permettent. Sans cela, nous ne disposerons jamais d’informations fiables sur les forces vives, ce qui aura pour conséquence d’entretenir toutes sortes de rumeurs. Ce débat est difficile, mais il faudra s’y atteler un jour ou l’autre. Les Pays-Bas ont réussi à mettre en place un dispositif idoine, alors qu’ils ont connu pendant la guerre des problèmes similaires aux nôtres.

M. Jean-Marie Tetart. J’ai bien compris la difficulté de l’analyse statistique ou du simple recensement, au moins sur le plan quantitatif. Disposez-vous d’une analyse qualitative sur les motivations de départ selon les différents continents, en fonction de l’âge et de la formation ?

M. Régis Juanico. La mobilité internationale des jeunes est un facteur déterminant pour la confiance en soi et la mobilité professionnelle. Avec un budget en hausse de 40 % entre 2014 et 2020, le programme Erasmus Plus va permettre d’augmenter le nombre de jeunes concernés par les programmes de mobilité internationale ou européenne, et de diversifier les profils. Je note également que les pouvoirs publics ont le souci de simplifier l’offre, notamment la gestion par les opérateurs français. Quelle appréciation portez-vous sur leur gouvernance, notamment l’Agence Europe-Éducation-Formation France – 2E2F –, qui s’occupe des programmes scolaires, universitaires, d’apprentissage ou de formation professionnelle, et l’Agence Erasmus Plus Jeunesse et Sport, tournée vers l’éducation non formelle et les jeunes plus fragiles ?

Vous évoquez dans votre étude le volontariat international en entreprise – VIE – ; d’autres formules existent, comme le volontariat international en administration, le service volontaire européen, le volontariat de solidarité internationale, gérés par l’Agence du service civique. Quel regard portez-vous sur leur fonctionnement ? L’information en la matière vous semble-t-elle suffisamment simple pour permettre aux jeunes d’en bénéficier ?

Mme Monique Rabin. Vous suggérez-nous d’améliorer les conditions d’accueil pour attirer davantage d’étudiants ? Je pense en particulier à la bataille culturelle que nous avons d’une certaine manière perdue, puisque c’est le classement de Shanghai qui compte sur le plan international.

En ce qui concerne les conditions d’accueil des chercheurs, la circulaire Guéant a été abrogée. En Allemagne, un étudiant a la possibilité de rester au moins deux ans dans l’entreprise où il a été stagiaire. Devons-nous faire évoluer ce point pour garder ces jeunes que l’entreprise a pris le temps de former ?

Autre question : les anciens volontaires internationaux en entreprise sont-ils plus enclins que d’autres à repartir à l’international ou à créer des entreprises à l’étranger ?

La Suisse figure en tête des destinations de prédilection des expatriés. Cela s’explique-t-il par des considérations financières ?

En ce qui concerne les conditions de réussite, vous avez brièvement fait le lien entre l’entreprise étrangère et le système éducatif. Aujourd’hui, le financement des lycées français à l’étranger baisse sensiblement et nous nous situons moins bien en termes de création de doubles ou multi diplômes. Y voyez-vous également un lien ?

Enfin, que pensez-vous du programme Erasmus Entreprise ?

M. Jean-François Mancel. Votre étude vous a-t-elle permis d’identifier des pays européens où l’outil statistique est plus performant que le nôtre ?

Vous avez indiqué que les Français qui s’expatrient, notamment les jeunes, doivent être les ambassadeurs de leur pays. Pouvez-vous apporter des précisions sur la manière de les inciter à le faire ?

Enfin, vous avez souligné la nécessité de faciliter les départs. Quels sont, en France, les principaux obstacles au départ, par rapport à la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou l’Italie ?

M. Jean-Yves Durance. Le constat que nous vous livrons est certes fondé sur des éléments statistiques insuffisants, sur des enquêtes ou des sondages probablement parcellaires, mais il permet néanmoins de déceler un phénomène et une tendance. L’observatoire que nous allons mettre en place n’a évidemment pas vocation à remplacer l’INSEE. Ce dispositif expérimental s’appuiera simplement sur les chambres de commerce françaises à l’étranger, en tout cas sur celles des pays les plus importants, pour comprendre la motivation de ceux qui arrivent et de ceux qui veulent partir. Il devrait permettre de fournir des éléments d’information pour des actions collectives, aussi bien publiques que privées.

S’agissant des statistiques sur les universités, nous tenterons de vous fournir des informations relatives au classement en matière d’intention, c’est-à-dire sur le ressenti des étudiants à propos de nos fleurons universitaires ou grandes écoles. Nous essaierons également de vous transmettre des éléments sur la sortie des étudiants de nos écoles, même s’il est souvent très difficile d’appréhender ce qu’il en est réellement.

Il existe certainement des études sur la fiscalité payée par les entrepreneurs dans les différents pays. Nous pourrons les rassembler pour en tirer des éléments, même si ce sujet n’était pas au cœur de notre étude.

Sur les binationaux, nous n’avons pas d’élément d’analyse.

Je n’ai pas non plus d’élément d’information sur la mobilité internationale des jeunes, plus précisément sur Erasmus Plus Jeunesse et Sport.

Notre étude est en réalité l’une des deux faces d’un problème global, avec, d’un côté, le départ des talents et, de l’autre, le départ des centres de décision et des centres de recherche d’entreprises françaises. À cet égard, je vous annonce en avant-première que nous avons décidé de lancer – bien avant l’affaire Alstom ou l’affaire Lafarge – une étude, dont les conclusions seront communiquées à l’automne, visant à mettre en évidence les raisons de l’impérieuse nécessité de conserver nos centres de décision et nos centres de recherche, qu’il s’agisse d’entreprises françaises immatriculées en France ou d’entreprises non françaises ayant installé en France des centres de recherche ou des centres de décision à caractère régional. En effet, le problème du flux des talents est en partie lié à ces centres de décision et de recherche.

Il faut certes améliorer les conditions d’accueil, mais il me semble nécessaire avant tout de réfléchir collectivement à une politique de promotion internationale de l’enseignement supérieur français, même si celui-ci est généralement reconnu. Il est clair que les éléments de langue et d’accueil de la culture française sont essentiels. Au-delà, ce qui est très important à nos yeux, c’est de restaurer la confiance : à cet égard, vous avez eu raison de mentionner les dégâts provoqués par la circulaire Guéant, dont nous subissons encore les conséquences. Si certains viennent pour profiter de l’enseignement français et repartent, d’autres, nombreux, souhaitent rester en France. Comme l’ont montré nos débats avec Campus France, le taux de satisfaction des étudiants étrangers en France est très élevé, hormis en ce qui concerne la possibilité d’y rester quand ils le souhaitent. Or ces talents sont extrêmement précieux : ils peuvent transporter leur culture et créer des réseaux pour nos propres collaborateurs. Je n’ai pas de recettes à vous livrer, mais c’est un axe sur lequel nous sommes prêts à travailler.

Nous n’avons pas d’élément d’information sur les anciens volontaires internationaux en entreprise ; il faudrait interroger ceux qui gèrent ce programme.

Nous ignorons pourquoi la Suisse figure en première place pour les expatriés, mais nous savons qu’il n’y a pas 120 000 exilés fiscaux dans ce pays. Il existe certainement un attrait pour une économie riche, où les rémunérations sont très élevées.

M. le président Luc Chatel. Le salaire médian en Suisse est de 3 200 euros, contre 1 700 euros en France.

M. Jean-Yves Durance. Les expatriés en Suisse ne sont pas seulement des chercheurs et universitaires de très haut niveau, mais probablement des personnes qui s’installent dans des activités multisaisonnières, pour des emplois de service, des emplois commerciaux notamment. Encore une fois, je n’ai pas d’éléments d’information en la matière.

Je n’ai pas non plus de réponse à propos des multi diplômés.

Nous n’avons pas approfondi notre réflexion sur le thème des expatriés ambassadeurs de notre pays, qui rejoint l’analyse de M. le rapporteur sur la diaspora. Mais nous sommes convaincus qu’il y a là un axe de travail, et nous sommes prêts à y contribuer. En effet, lorsque nous cherchons à attirer de grands événements, comme les Jeux Olympiques ou de grands congrès mondiaux, nous avons beaucoup de mal à faire en sorte que les Français qui siègent, en tant que présidents ou vice-présidents, dans les instances qui les organisent, jouent la carte française, comme le font les Anglais ou les Allemands pour leur propre pays.

La diaspora allemande bénéficie d’un dispositif de chambres de commerce à l’étranger, support de toute la politique d’exportation dont les entrepreneurs et les cadres allemands sont les vecteurs. Sans considérer qu’il s’agit forcément là de la solution idéale, nous devons faire de ce sujet une vraie cause nationale pour améliorer l’intégration des Français à l’étranger, en leur donnant le sentiment qu’ils ne sont pas rejetés par leur pays, mais qu’ils en sont au contraire le prolongement.

M. Jean-Luc Biacabe. La chambre de commerce de Paris Île-de-France envisage de réfléchir aux moyens de fédérer les anciens élèves des grandes écoles – les alumni –, en commençant par trois pays tests.

En matière fiscale, le point le plus important pour les entrepreneurs est la fiscalité des plus-values. L’affaire des « pigeons » nous a montré que là est le cœur du problème.

Je ne suis pas compétent pour vous répondre sur les programmes Erasmus, mais nous pourrons vous communiquer des informations transmises par nos collègues de l’enseignement, lesquels sont en première ligne sur le sujet.

La circulaire Guéant a causé, cela a été souligné à plusieurs reprises, des dégâts.

La moralisation des stages semble poser des problèmes. Des étudiants de nos grandes écoles se voient obligés d’aller à l’étranger pour suivre des stages d’une durée de un an, faute d’en trouver en France.

Quant aux statistiques sur les pays les plus performants, les Suisses de l’étranger
– la fameuse « Cinquième Suisse » – sont très nombreux et parfaitement organisés. Les statistiques britanniques sont également très intéressantes, la position d’« oiseaux migrateurs » des Anglais leur valant d’être suivis de très près.

M. le président Luc Chatel. Les entretiens qualitatifs que vous avez menés n’ont porté que sur des Français résidant dans deux pays. Que vous ont appris ces entretiens ?

M. Jean-Luc Biacabe. Comme vous pourrez le constater en lisant le verbatim de ces entretiens, nous avons interrogé aussi bien des entrepreneurs, que des étudiants ou des représentants des Français de l’étranger. Il en ressort que les principaux facteurs incitatifs au départ sont la facilité à travailler à l’étranger, avec une plus grande ouverture, l’absence de barrière en matière de diplômes, et les difficultés d’insertion sur le marché du travail français.

M. Jean-Yves Durance. Cela reflète un air du temps. Le sentiment très négatif, peut-être même au-delà de la réalité, sur le fonctionnement français amène à enjoliver la situation dans les autres pays. Il y a clairement la réalité elle-même et une réalité enjolivée en faveur de l’étranger.

M. Jean-Luc Biacabe. Nombre d’anciens élèves de nos grandes écoles se tournent vers la finance, même si c’est un peu moins vrai ces deux dernières années. Leur seule porte de sortie se trouve être la place financière de Londres, car Paris est en train de devenir une place financière de seconde zone.

M. le président Luc Chatel. Messieurs, nous vous remercions.

L’audition se termine à dix-huit heures cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mercredi 7 mai 2014 à 16 h 30

Présents. - M. Étienne Blanc, M. Luc Chatel, M. Sergio Coronado, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Jean-François Mancel, M. Michel Piron, M. Thierry Solère, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - Mme Sandrine Doucet, M. Christian Franqueville, Mme Marie-Line Reynaud, M. Alain Rodet, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni

Assistait également à la réunion. - M. Claude Goasguen

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