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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mardi 20 mai 2014

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Luc Chatel, Président

Audition, ouverte à la presse, de Mme Elisabeth CRÉPON, présidente de la commission Développements et partenariat de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) et présidente de l’École nationale supérieure des techniques avancées de Paris (ENSTA Paris Tech)

–  Présence en réunion

L’audition commence à seize heures cinquante-cinq.

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui Mme Élisabeth Crépon, présidente de la Commission « développements et partenariat » de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs – CDEFI – et présidente de l’École nationale supérieure des techniques avancées de Paris – ENSTA Paris Tech.

Madame, merci d’avoir accepté d’être auditionnée dans le cadre de cette commission d’enquête, qui s’intéresse à un sujet que nous considérons comme important pour notre pays, notre jeunesse et notre économie : le départ de nos jeunes diplômés vers l’international. Les jeunes peuvent partir dans le cadre d’études ouvertes à l’international, mais ils peuvent également être contraints de s’expatrier pour trouver un emploi. Quelle est l’ampleur de ce phénomène, dans le monde des étudiants et des jeunes diplômés ingénieurs ? Quel est le degré d’internationalisation des étudiants ? Le départ des jeunes diplômés s’est-il accru depuis quelques années, nous privant ainsi d’un potentiel de création et de croissance ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Élisabeth Crépon prête serment.)

Mme Élisabeth Crépon, présidente de la Commission « développements et partenariat » de la CDEFI et de l’ENSTA Paris Tech. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, c’est un honneur pour la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs d’être entendue par cette commission d’enquête.

Mon propos liminaire sera axé sur la politique internationale des écoles d’ingénieurs, qui passe par l’internationalisation des formations, c’est-à-dire la formation des étudiants français à l’international et par l’accueil d’étudiants étrangers au sein des écoles françaises d’ingénieurs et dans les formations d’ingénieurs. Il s’achèvera par quelques données statistiques sur l’insertion des jeunes diplômés des écoles d’ingénieurs en France et à l’étranger.

L’international est un axe stratégique des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, et donc des écoles d’ingénieurs. Encouragés par l’État, ceux-ci développent une stratégie internationale qui se décide au plus haut niveau – organes de gouvernance ou conseil d’administration, s’agissant des écoles externes au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Il me semble important de préciser que la stratégie internationale des écoles d’ingénieurs françaises est un des éléments pris en compte par la Commission des titres d’ingénieur – CTI. Cette commission indépendante est en effet chargée d’évaluer les formations dispensées par ces écoles, et de donner son avis sur leur habilitation à délivrer le titre d’ingénieur.

La commission s’appuie sur des documents de référence, dont je tiens à vous citer l’extrait suivant : « La compétitivité à l’international des écoles, des formations qu’elles dispensent et du titre d’ingénieur qu’elles délivrent passe par leur internationalisation. Au sein des écoles françaises, cette politique doit se traduire par l’organisation de relations internationales structurées, la mobilité entrante et sortante des étudiants, notamment par les cursus bidiplômants, des enseignants, notamment par des années sabbatiques, et des personnels, la création de nouvelles formations ou de nouveaux établissements à l’étranger ».

Je voudrais par ailleurs insister sur la demande qu’ont les entreprises vis-à-vis des écoles d’ingénieurs : d’une part, préparer des ingénieurs français à travailler à l’international ; d’autre part, préparer des ingénieurs d’origine étrangère possédant une double culture – acquise dans leur pays d’origine et en France – à travailler, notamment, dans leurs implantations à l’étranger. Les liens entre les écoles d’ingénieurs et les entreprises sont d’ailleurs très étroits, les entreprises participant, par exemple, à la gouvernance des écoles d’ingénieurs, aux différents conseils et à l’enseignement.

Comment cette stratégie à l’international se décline-t-elle dans les écoles d’ingénieurs ? Je commencerai par la préparation des diplômés français à l’international.

D’abord, l’apprentissage des langues : la Commission des titres d’ingénieurs demande que tous les ingénieurs diplômés aient atteint un niveau minimum – B2, selon le référentiel adéquat. Elle porte un intérêt tout particulier à l’apprentissage de l’anglais et conseille l’apprentissage d’une deuxième, voire d’une troisième langue. La plupart des écoles encouragent fortement l’apprentissage d’une seconde langue.

Ensuite, la mobilité des étudiants : c’est une façon de préparer les élèves au contexte international. La commission et les écoles veillent à ce que les étudiants séjournent à l’étranger – séjour d’études ou stage – au cours de leur scolarité. En pratique, ce séjour est d’au moins trois mois.

Je dispose de quelques statistiques sur la durée de ces séjours à l’étranger. Elles sont issues de ce que l’on appelle les « données certifiées CTI », fournies par les écoles, et des enquêtes annuelles de la Conférence des grandes écoles – CGE.

Les données certifiées CTI montrent qu’au cours de leur formation, les étudiants effectuent, dans le cadre d’un échange académique, un séjour d’études à l’étranger d’une durée significative : un trimestre, pour un peu moins de 10 % d’entre eux ; un semestre, pour un plus de 50 % d’entre eux ; et plus d’un semestre, pour 32 % d’entre eux.

Par ailleurs, 35 % des élèves effectuent un stage de un à trois mois à l’étranger, 52 % un stage de trois à six mois, et 13 % un stage de plus de six mois. Les destinations les plus fréquentes sont l’Europe, dans 50 % des cas, l’Amérique du Nord et l’Asie, dans environ 15 % des cas chacune.

Enfin, pour permettre à leurs étudiants d’effectuer ces séjours à l’étranger, les écoles d’ingénieurs ont développé un certain nombre de programmes – programmes de coopération, programmes bilatéraux avec des partenaires étrangers. Elles sont encouragées par la CDEFI à créer des formations en double diplôme. Elles mettent au point des partenariats bilatéraux, participent à des réseaux internationaux et créent des formations conjointes. Elles développent des implantations à l’étranger, qui peuvent accueillir des étudiants français. Les entreprises peuvent entrer dans ces partenariats : partenariats directs entre les écoles d’ingénieurs et les entreprises, ou partenariats avec des établissements étrangers qui intègrent des entreprises.

J’ajoute que dans le cadre de la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche promulguée en juillet dernier, les établissements sont en train de se structurer en communautés d’universités et établissements – COMUE –, qui peuvent être des lieux de développement de politiques internationales, ou de mise en cohérence de politiques internationales sur un même territoire.

Les établissements s’appuient également sur des programmes nationaux et internationaux. Il peut s’agir d’accords de reconnaissance mutuelle, signés entre conférences d’écoles, qui permettent le positionnement des diplômes entre deux pays ; je pense au programme Erasmus+, qui concerne les études ou les stages. Il peut s’agir de programmes conclus entre États ; je pense aux programmes FITEC, et notamment au programme BRAFITEC, signé avec le Brésil, qui comporte des volets de mobilité sortante ou entrante.

Après la formation à l’international des étudiants français, j’en viens à l’accueil des étudiants étrangers. Commençons par quelques chiffres, issus de l’enquête de la Conférence des grandes écoles, et portant sur la période 2006-2013. En 2013, il y avait 13,8 % d’étudiants étrangers dans les écoles françaises d’ingénieurs : 15,9 % dans les écoles publiques, et 8,5 % dans les écoles privées. Le nombre des étudiants étrangers progresse plus vite que l’effectif global des étudiants. En six ans, les effectifs globaux dans les écoles ont progressé de 23 % et l’effectif des étudiants étrangers a progressé de 40 %. 80 % de ces étudiants étrangers sont en formation diplômante : ils ont donc vocation à obtenir le diplôme de nos établissements.

La provenance géographique de ces étudiants est la suivante : l’Asie, avec une progression, en six ans, de 63 % ; l’Afrique, avec une progression de 34 % ; les Amériques, avec la progression la plus forte, soit plus de 110 % ; l’Europe, relativement stable, avec une petite progression de 6 %. Ces étudiants étant soumis à un certain nombre de contraintes administratives, des établissements ont mis en place à leur intention un dispositif d’accompagnement.

Je signalerai enfin que les classements nationaux intègrent systématiquement cette dimension « stratégie internationale », que ce soit en termes de mobilité sortante ou de mobilité entrante.

J’en viens maintenant à mon dernier point : l’insertion professionnelle des diplômés. Les écoles suivent l’insertion professionnelle de leurs diplômés – cela fait d’ailleurs partie des critères de la Commission des titres d’ingénieurs. La Conférence des grandes écoles, quant à elle, mène, à l’intention de ses adhérents, une enquête assez détaillée sur le sujet.

Il ressort des chiffres de l’association Ingénieurs et scientifiques de France
– IESF – que la proportion des diplômés partant à l’étranger pour leur premier emploi est passée de 10 % en 2012 à 12 % en 2013. Je précise que 37 % des jeunes diplômés travaillent en Île-de-France, et le reste en province. Il faut savoir aussi que ces statistiques concernent les diplômés des établissements, et intègrent donc des étudiants étrangers, sans qu’il soit possible de distinguer les uns des autres. En revanche, nous savons que 9 % des étudiants qui ont répondu à l’enquête de l’IESF sont des étudiants étrangers. Cela signifie que la proportion d’étudiants français, diplômés ingénieurs, partant à l’étranger pour leur premier emploi est inférieure à 12 %. Les pays étrangers de destination sont d’abord la Suisse, avec un peu plus de 14 %, le Royaume Uni avec 13,6 %, l’Allemagne avec 13,4 %, puis les États-Unis, avec 8,2 %, etc.

Je dispose de statistiques, fournies par l’enquête de la Conférence des grandes écoles, sur la rémunération en France et à l’étranger pour le premier emploi. La rémunération moyenne est de 36 742 euros pour l’ensemble, contre 46 870 euros à l’étranger.

Si l’on fait le lien entre ces chiffres, on s’aperçoit que le nombre des étudiants français qui occupent un premier poste à l’étranger et le nombre d’étudiants étrangers que nous accueillons dans les écoles d’ingénieurs sont du même ordre de grandeur. Il y a seulement un peu plus d’étudiants étrangers qui rejoignent les écoles d’ingénieurs que d’étudiants français qui quittent la France pour un premier poste à l’étranger.

Enfin, un certain nombre d’écoles ont des réseaux structurés d’anciens à l’étranger, soit individuellement, soit collectivement (par zone géographique). C’est un élément important, un point d’appui pour leur politique internationale.

Cela m’amène à citer l’initiative prise par un groupe d’écoles d’ingénieurs, Paris Tech, qui a signé deux accords avec Ubifrance : l’un en Chine et un autre, à la fin de l’année 2013, au Brésil. Le second, passé entre Paris Tech Alumni, c’est-à-dire les anciens de Paris Tech et Ubifrance pour le Brésil, répond de façon innovante et sur mesure aux besoins des entreprises françaises, entreprises de taille intermédiaire et PME, en mettant à leur disposition, au travers d’Ubifrance Brésil, un réseau de 700 alumni brésiliens et français de Paris Tech, couvrant un large champ d’expertise. C’est une illustration de la contribution d’un réseau d’anciens au développement économiques d’entreprises françaises à l’étranger.

M. le président. Merci madame Crépon. Avant de passer la parole au rapporteur et à nos collègues, je vous poserai quelques questions.

D’abord, nous sommes tout à fait d’accord avec l’idée que les écoles d’ingénieurs s’adaptent à la mondialisation et proposent des parcours internationaux à leurs étudiants. Il est normal que les étudiants qui font leurs études en France puissent bénéficier non seulement de l’apprentissage de l’anglais, mais aussi de parcours d’au moins trois mois – ce qui est d’ailleurs peu par rapport à ce qui est prévu pour les étudiants dans les écoles de management – et de perspectives d’emplois à l’international.

Notre commission d’enquête s’intéresse à ceux qui vivent ces départs de manière contrainte. Constatez-vous un tel phénomène, s’agissant des jeunes ingénieurs français ? Pour quelle raison seraient-ils tentés de partir à l’étranger à l’issue de leurs études ? Un tel phénomène a-t-il tendance à s’accélérer ?

Ensuite, vous avez indiqué que la proportion d’étudiants étrangers dans les écoles d’ingénieurs françaises était de 13 %. Cela me paraît faible, si je me réfère à la proportion d’étudiants étrangers dans les écoles de commerce. Et cela me paraît d’autant plus faible que la France manque d’ingénieurs. Peu de jeunes Français se tournent en effet vers ces métiers d’ingénieurs et certaines écoles ne font pas le plein. Cela veut dire qu’un élève qui termine Maths spé est aujourd’hui quasiment certain d’intégrer une école d’ingénieurs, ce qui n’était pas le cas dans les précédentes décennies. Cela veut dire aussi qu’il y a la place pour accueillir un plus grand nombre d’étudiants internationaux dans notre pays. Je rappelle que l’Asie du Sud-Est forme aujourd’hui les trois quarts des ingénieurs dans le monde. Il y a là un potentiel d’ingénieurs considérable, qui pourraient venir en France. D’où ma question : La France est-elle suffisamment attractive ? Comment se situe-t-elle par rapport à d’autres pays européens ? Que faudrait-il faire pour attirer davantage d’étudiants ingénieurs étrangers ? Nous aurions besoin d’en recruter dans nos entreprises, une fois diplômés.

M. Yann Galut, rapporteur. Madame la présidente, merci pour votre propos introductif. Vous nous avez donné quelques grandes orientations concernant la problématique qui nous intéresse. J’aurais malgré tout quelques questions à vous poser.

Je commencerai par l’accompagnement et l’ouverture à l’international des étudiants français. Les écoles font-elles un bilan qualitatif de ces expériences internationales en cours de cursus ? Comment accompagnent-elles les jeunes diplômés dans leur recherche d’emploi ? Les aident-elles à trouver du travail à l’étranger ?

Je continuerai par l’expatriation des jeunes diplômés. Y a-t-il un exode des diplômés à haut potentiel ? Vos écoles suivent-elles le parcours de leurs diplômés ? Avez-vous évalué la proportion de ceux qui partent à l’étranger, les pays de destination et les secteurs d’activité de prédilection ? Vous nous avez déjà donné quelques éléments de réponse. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Constatez-vous une progression de ce phénomène ? La crise économique de 2009 l’a-t-elle accéléré ? Quels sont, selon vous, les principaux facteurs d’une augmentation des départs à l’étranger ? Qu’est-ce qui attire nos jeunes à l’étranger ? Est-ce une meilleure rémunération ? Les chiffres que vous nous avez donnés sont assez significatifs. Est-ce une autre culture du travail ? Est-ce la France qui déplairait ? Comment vos écoles d’ingénieurs voient-elles cette évolution ?

Nous avons auditionné un responsable du cabinet Deloitte, qui publie depuis quelques années un « Baromètre de l’humeur des jeunes diplômés ». Il en est ressorti que les plus soucieux d’innover et de valoriser leurs compétences préféreraient quitter notre pays. Je trouve inquiétant que nos majors de promotion, que l’élite de nos étudiants des écoles d’ingénieurs, ou d’autres écoles, puissent faire systématiquement le choix de l’étranger. Avez-vous des éléments à nous apporter à ce propos ?

Ensuite, vous avez abordé l’intéressante question du développement du réseau des diplômés expatriés. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Enfin, nous devons aussi nous occuper des étudiants étrangers qui viennent sur notre territoire. Les écoles françaises considèrent-elles qu’il est intéressant d’accueillir des étudiants étrangers ? Ont-elles une stratégie pour les attirer ? Laquelle, avec quel succès ? Avez-vous constaté une augmentation de leur nombre ?

Selon le président Chatel, nous aurions intérêt à favoriser la venue d’étudiants étrangers dans nos écoles d’ingénieurs. Avez-vous constaté une progression de leur nombre au cours de ces dernières années, notamment depuis la crise ? Comment l’expliquez-vous ? Certaines des personnes que nous avons auditionnées nous ont parlé de l’effet négatif qu’aurait eu la circulaire Guéant. L’avez-vous ressenti ?

Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué les contraintes administratives auxquelles sont soumis les étudiants étrangers. La situation s’est-elle améliorée au cours des précédentes années ? Vos écoles font-elles un suivi des étudiants étrangers ?

En dernier lieu, j’ai cru comprendre qu’il y avait davantage d’étudiants étrangers qui viendraient dans nos écoles d’ingénieurs que d’étudiants français qui partiraient à l’étranger. D’où ma dernière question : d’après vous, notre pays est-il attractif pour les étudiants étrangers ?

Mme Élisabeth Crépon. La première question concernait le départ à l’étranger des jeunes diplômés, lequel aurait un caractère contraint, subi. Pour les jeunes diplômés ingénieurs, nous n’avons pas d’élément spécifique qui corrobore ce phénomène.

Je ferai le lien entre le premier emploi occupé par nos jeunes diplômés – tout en précisant que nous suivons l’insertion des ingénieurs français à l’étranger – et le stage. Les formations d’ingénieurs se concluent par un stage en entreprise. Or les statistiques montrent qu’entre 50 % et 60 % de ces stages se transforment en premier emploi.

M. le rapporteur. La proportion est-elle la même en France qu’à l’étranger ?

Mme Élisabeth Crépon. Je ne sais pas, mais je note votre question pour y répondre plus tard.

M. le rapporteur. Il arrive en effet souvent que des étudiants stagiaires qui donnent entièrement satisfaction soient embauchés. Cela pourrait expliquer que certains restent à l’étranger. Il serait intéressant d’affiner l’analyse.

Mme Élisabeth Crépon. Ensuite, une partie des étudiants, en particulier dans le cadre des doubles diplômes, terminent leur scolarité à l’étranger. Là encore, il ne s’agit pas d’un départ subi. Cela existe probablement, mais, très sincèrement, nous n’avons aucun élément nous permettant de nous prononcer dans un sens ou dans un autre.

Maintenant, la proportion d’étudiants étrangers est effectivement de 14 %, en moyenne, dans les formations d’ingénieurs. Elle est en très forte progression – de 40 %. Cela reflète l’attractivité des formations d’ingénieurs, et la mise en œuvre de cette stratégie internationale par nos écoles.

Je voudrais insister sur la visibilité et la reconnaissance, à l’étranger, de la formation d’ingénieurs à la française et du diplôme d’ingénieur. Dans un certain nombre de pays, cette formation à la française est considérée comme une référence. Il nous est d’ailleurs demandé, en tant qu’écoles d’ingénieurs françaises, de travailler en partenariat avec des établissements étrangers sur la création de structures de formation d’ingénieurs délocalisées à l’étranger. Notre système de formation a donc une visibilité réelle à l’international. La CDEFI travaille sur cette visibilité et cette attractivité.

Plusieurs facteurs contribuent à cette attractivité : le développement des programmes de doubles diplômes et de diplômes conjoints ; l’accueil des étudiants, sous une double approche : accueil administratif et dispositif mis en place par les établissements français (logement, accompagnement, éventuellement tutorat) pour faciliter l’insertion dans le milieu académique. Un certain nombre de politiques locales de sites ont été engagées. Les communautés d’universités et établissements, dont j’ai parlé tout à l’heure, constituent des lieux où plusieurs établissements peuvent partager leurs initiatives.

Vous m’avez interrogé sur la circulaire Guéant et les démarches administratives. Depuis deux ans, la situation s’est améliorée et les démarches administratives ont été simplifiées – même s’il y a encore à faire en ce sens. Un titre de séjour pluriannuel a été mis en place pour un certain nombre de formations, évitant à l’étudiant de renouveler tous les ans son titre de séjour. La durée de l’autorisation provisoire de séjour – APS –, qui permet à un étudiant étranger, après ses études, et notamment avec un diplôme bac +5, donc un diplôme d’ingénieur, de rester sur le territoire pour rechercher un travail, a été allongée. C’est un dispositif important pour l’insertion professionnelle des étudiants étrangers en France.

Le bilan qualitatif des séjours à l’étranger fait partie des éléments d’évaluation de la Commission des titres d’ingénieurs. Plusieurs outils sont à la disposition des établissements : la signature d’un contrat d’étude pour les étudiants en mobilité à l’international – qui se fait naturellement dans le cadre des programmes de doubles diplômes ou de programmes conjoints ; la vérification de la cohérence et de l’adéquation de la formation à l’étranger par rapport au cursus, et de la qualité de la formation suivie par l’étudiant. Lorsque cette mobilité internationale se déroule dans le cadre d’un partenariat, la convention qui l’accompagne est assortie d’un certain nombre de clauses – dont le suivi régulier des cohortes d’étudiants et des programmes mis en place.

Vous m’avez demandé si les établissements accompagnaient l’insertion professionnelle de leurs diplômés. Oui, et ils le font notamment à travers ce que j’appellerais un « bureau des carrières ». Les associations des anciens élèves, elles aussi, jouent souvent un rôle dans cette insertion. Avec leurs sections étrangères, elles sont très certainement un point d’appui pour les diplômés qui souhaitent démarrer leur carrière à l’étranger. Cela dit, il n’y a pas, à ma connaissance, de section spécifique dans les écoles d’ingénieurs pour accompagner les étudiants pour une prise de fonctions à l’étranger. Et j’insiste à nouveau sur le rôle du stage de fin d’études, qui est un des vecteurs vers l’insertion professionnelle.

Vous m’avez demandé également si je considérais qu’il y avait un exode des diplômés à haut potentiel vers l’étranger. Les statistiques dont nous disposons montrent une augmentation, mais pas une explosion des départs à l’étranger.

Je dispose de quelques statistiques complémentaires, que je peux vous communiquer. Je pense notamment à l’enquête d’IESF, qui concerne la part des emplois hors de France, en fonction de l’avancée dans la carrière. S’agissant des débutants, de 2008 à 2011, cette part était d’environ 15 % ; en 2012, elle a un peu augmenté, puisqu’elle était de 19 %. Jusque-là, la situation était assez stable. Il faudra regarder ces chiffres avec attention pour savoir si cette augmentation a un sens. Je voudrais insister sur un autre point, même si je n’ai pas les statistiques : une part de ces emplois à l’étranger peut concerner des filiales d’entreprises françaises basées à l’étranger. Dans ce cas-là, on ne peut pas parler d’exode des jeunes talents vers l’étranger.

Pourquoi les jeunes ingénieurs seraient-ils attirés par l’étranger ? Plusieurs raisons ont été évoquées : une meilleure rémunération, une autre culture de travail, la France qui leur déplairait.

Nous sensibilisons nos ingénieurs à la dimension multiculturelle. Cela fait partie de leur formation. J’entends souvent dire qu’ils ont envie de pratiquer une autre culture de travail. Dans cette optique, occuper un poste à l’étranger peut leur apparaître comme valorisable dans le cadre d’une carrière professionnelle ultérieure, à l’étranger ou en France. La découverte d’une autre culture de travail est probablement une raison importante, qui amènerait les jeunes ingénieurs diplômés à choisir de démarrer leur insertion professionnelle à l’étranger.

Seraient-ils attirés par la perspective d’une meilleure rémunération ? Nous n’avons pas d’informations précises à ce sujet.

La France leur déplairait-elle ? Comme je l’ai déjà dit, nous n’avons pas d’informations montrant qu’un pourcentage significatif d’élèves ingénieurs quitterait la France pour cette raison. Les ingénieurs français sont confrontés tout au long de leur formation à plusieurs séjours à l’étranger. Ils entendent également le discours des entreprises qui valorisent une expérience internationale et c’est plutôt dans cette perspective, selon moi, que les jeunes diplômés trouveraient un intérêt à occuper un premier poste à l’étranger.

Vous avez mentionné le fait que celui qui a envie d’innover le fait plus volontiers à l’étranger. Je tiens à signaler les dispositifs récents que nous sommes en train de mettre en place dans les écoles d’ingénieurs pour favoriser l’esprit d’entreprise et d’innovation, et pour accompagner les jeunes, dès leur formation, dans une dynamique de création d’entreprises. Je pense notamment aux labels du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche – par exemple, le label Pépites – qui reconnaissent des dispositifs de formation innovants portés par plusieurs établissements, en particulier dans les communautés d’universités et établissements.

Mme Claudine Schmid. Madame, suivez-vous les étudiants français qui partent à l’étranger ? Savez-vous s’ils reviennent et, si oui, au bout de combien d’années ?

Je voudrais également avoir votre avis sur la politique française qui veut que notre enseignement soit gratuit pour tous. Cela explique-t-il que certains jeunes étrangers viennent étudier en France, et repartent à l’issue de leurs études ? A contrario, si notre enseignement était payant pour eux, viendraient-ils toujours suivre notre formation d’ingénieurs à la française, qui est de très haute qualité ?

Mme Monique Rabin. Le coût des études, en France, est très attractif pour les étudiants étrangers. Il n’empêche que les écoles se battent pour en recevoir. Je voudrais savoir si les réseaux bilatéraux, comme BRAFITEC ou d’autres, permettent de nouer, par la suite, des relations privilégiées entre ces ingénieurs. Ceux-ci deviennent-ils chefs d’entreprise dans le pays partenaire ? Intègrent-ils des structures dans le pays partenaire ? Plus généralement, ces réseaux favorisent-ils le départ des ingénieurs vers ces pays ?

J’aimerais par ailleurs que vous nous donniez votre avis sur le réseau international « n + i », sur lequel j’avais travaillé. Ce réseau d’écoles d’ingénieurs permet des expériences très diversifiées dans différents pays. Je pense que leur point fort est l’accueil. Pour autant, celui-ci reste problématique. Que pensez-vous du fait que nous ne sachions pas accueillir en France les mathématiciens et les informaticiens indiens, qui se trouvent confrontés à une culture très différente de la leur ? Je crois en effet savoir que le taux de retour au pays des Indiens est très important.

Enfin, certaines écoles hésitent à proposer un enseignement en anglais sur un nombre d’heures conséquent. Selon vous, s’agit-il d’un combat d’arrière-garde ?

M. Marc Goua. Madame la présidente, vous me permettrez de ne pas partager votre optimisme concernant la possibilité, pour les étudiants étrangers ayant terminé leurs études, de rester dans notre pays. En effet, il est souvent extrêmement difficile de passer d’une carte d’étudiant à une carte permettent de travailler. Et j’ai remarqué que, dans ma région, nombre d’étudiants, notamment africains, sont littéralement « happés » à la fin de leurs études par le Canada qui les recrute et leur offre immédiatement une carte de séjour définitive.

Mme Élisabeth Crépon. La transformation du titre de séjour étudiant en titre de séjour salarié est effectivement un processus long et compliqué. Mais l’autorisation provisoire de séjour – APS –, a facilité le passage de l’un à l’autre. C’est un des points sur lequel l’accueil administratif a été amélioré.

Par ailleurs, la position de la CDEFI est que les écoles doivent pouvoir mettre en œuvre des formations en anglais, dans la mesure où cette langue est adaptée à de telles formations. Si c’est le cas, les étudiants étrangers qui suivent ces formations doivent suivre, dans le même cadre, une formation à la langue et à la culture françaises.

Je précise que la plupart des étudiants étrangers sont intégrés dans des formations d’ingénieurs enseignées en français, mais que leur préparation linguistique est prise en charge. L’étudiant est en effet accompagné pour atteindre un niveau de français lui permettant de suivre ces formations.

Votre question sur l’accueil des étudiants indiens renvoie à la problématique, plus générale, de l’accueil des étudiants étrangers en France. Les écoles d’ingénieurs ont amélioré leur dispositif d’accueil, notamment dans le cadre d’une démarche collective, en partageant un certain nombre d’actions. C’est ainsi que le programme de bourses d’excellence Eiffel, lancé par le ministère des Affaires étrangères, inclut le respect d’une charte concernant l’accueil des étudiants étrangers. Dans les formations d’ingénieurs, l’accueil est de meilleure qualité chaque année.

Vous avez mentionné les deux programmes BRAFITEC et « n + i ». Le programme BRAFITEC a comme particularité d’associer deux dimensions : une dimension de financement, puisque les étudiants brésiliens sont financés pendant leurs études en France, et notamment pour leur formation linguistique initiale ; un de ses objectifs est de développer des partenariats stratégiques entre des écoles françaises et des établissements étrangers. Les étudiants brésiliens qui viennent étudier en France dans le cadre de ce programme sont sélectionnés, d’une part par les établissements partenaires, d’autre part par les établissements français. Ce sont des étudiants de très haut niveau, qui retourneront dans leur pays, éventuellement après un premier poste en France, et qui seront effectivement amenés à prendre des responsabilités dans leur pays, au sein d’entreprises françaises implantées au Brésil ou au sein d’entreprises brésiliennes. C’est un programme d’excellence. On peut le rapprocher du programme de bourses d’excellence Eiffel, où l’on cible des étudiants de tout premier niveau.

Le programme « n + i » est de nature différente. C’est une expérience plus diversifiée. L’une des grandes forces de ce programme, qui existe depuis de très nombreuses années, est ce semestre spécifique, consacré à l’accueil, académique et culturel, qui permet l’insertion progressive de l’étudiant étranger dans la formation. Je pense que l’expérience de ce programme a aidé les écoles à mettre en place un accueil beaucoup plus pertinent pour les étudiants étrangers.

Plusieurs questions portaient sur le coût de la formation d’ingénieur en France et le retour des étudiants étrangers dans leur pays.

Je ne dispose pas de statistiques précises sur le retour des étudiants étrangers. Je remarque cependant que les étudiants étrangers sont nombreux à occuper un premier poste en France, ce qui signifie qu’ils ne rentrent pas immédiatement dans leur pays.

Ensuite, et de mon point de vue, la qualité du système de formation à la française, formation très particulière reconnue dans de nombreux pays, attire davantage les étudiants étrangers que le faible coût de la formation. À ce propos, les écoles d’ingénieurs se demandent si elles ne vont pas instituer des frais de scolarité plus élevés pour les étudiants étrangers que pour les étudiants français et européens, cette approche entrant dans le modèle économique de financement des établissements et des écoles d’ingénieurs françaises. La question est sur la table et la CDEFI y réfléchit.

M. le président. Je vous remercie.

L’audition prend fin à dix-sept heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mardi 20 mai 2014 à 16 h 45

Présents. - M. Étienne Blanc, M. Luc Chatel, M. Christian Franqueville, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Jean-François Mancel, Mme Monique Rabin, Mme Claudine Schmid, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - M. Frédéric Lefebvre, M. Claude Sturni