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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mardi 27 mai 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Luc Chatel,
Président
puis de
Mme Monique Rabin,
Vice-Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Godbert, directeur de l’Agence Europe-Éducation-France (2E2F)

–  Présences en réunion

M. le président Luc Chatel. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le directeur, au sein de notre commission d’enquête qui a pour objectif d’appréhender la réalité de l’exil des forces vives en France.

Vous dirigez l’Agence 2E2F, qui depuis 1995 est mandatée par la Commission européenne pour assurer la promotion et la gestion de nombreux programmes et dispositifs communautaires, en particulier le fameux programme Erasmus.

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Antoine Godbert prête serment.)

M. Antoine Godbert, directeur de l’Agence Europe-Éducation-Formation-France (2E2F). Nous avons décidé d’offrir à un nombre de plus en plus important de jeunes Français la possibilité d’aller se former dans tous les pays du monde, et non plus seulement dans les pays européens. Dans cet esprit, l’Agence 2E2F deviendra dans quelque temps l’Agence Erasmus+ Éducation et formation.

L’Agence 2E2F a pour partenaire l’Agence Erasmus+ Jeunesse et sport, qui, depuis les années 1980, prend en charge les mobilités des plus jeunes. Fondée en 1995, elle s’est installée au début des années 2000 à Bordeaux, où elle a successivement assumé la promotion des programmes Socrates, Leonardo da Vinci et Erasmus et, de 2007 à 2013, du programme Éducation et formation tout au long de la vie.

En 2013, l’agence a financé 75 000 mobilités, dont une moitié concerne des étudiants et l’autre moitié des apprentis, des adultes et tous ceux qui souhaitent acquérir des compétences par le biais d’une mobilité dans un autre pays.

En plus de gérer les fonds octroyés par l’Union européenne pour financer les bourses accordées aux personnes qui désirent se former à l’étranger, l’agence assure la promotion des programmes européens. Elle a, en outre, pour mission de faciliter l’articulation entre les politiques éducatives nationales et les volontés stratégiques de l’Union européenne.

De 2007 à 2013, le nombre des mobilités est passé de 40 000 à 75 000, le nombre d’étudiants concernés passant de 28 000 à 43 000, ce qui traduit une nette augmentation des effectifs concernés.

Nous espérons d’ici à 2020 atteindre les objectifs ambitieux fixés par l’Union européenne, à savoir le passage par la mobilité de 20 % des jeunes poursuivant des études supérieures et de 6 % des jeunes en formation professionnelle.

L’agence consacre 120 millions d’euros à ces 75 000 mobilités. Après la négociation en trilogue de 2013, le programme Erasmus+ verra son budget augmenté de 40 % à l’horizon 2020. Nous utiliserons cette augmentation de la façon la plus rationnelle possible afin de correspondre aux nouveaux impératifs stratégiques de l’Union européenne, aux souhaits de nos ministères de tutelle – ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et ministère du Travail, de l’emploi et de la formation professionnelle – ainsi qu’aux informations stratégiques que nous transmet le ministère des Affaires étrangères.

Si la demande du public étudiant est très forte, il convient sans doute d’aider plus concrètement les publics qui sont moins informés de l’intérêt d’une mobilité. Notre vocation consiste à aider les étudiants à acquérir des compétences spécifiques ainsi que des compétences non formelles, mais elle consiste également à accompagner les publics qui, pour des raisons sociales ou culturelles, ne sont pas attirés par la mobilité.

Nous devons ainsi faciliter la mobilité des apprentis. La mobilité via le suivi d’un stage, qui n’existait pas avant 2006, enregistre aujourd’hui une très forte progression – plus de 25 % par an, contre 6 % pour les mobilités classiques – ce qui témoigne de l’appétence des jeunes pour les entreprises situées hors de France.

Le système, créé en 1987 et renforcé dans les années 1990, a connu un très fort développement dans les années 2000. Il devait permettre à chacun d’entre nous, quelle que soit sa position économique, sociale ou culturelle, d’acquérir à la fois des compétences académiques et des compétences non formelles – capacités d’adaptation, apprentissage de langues étrangères, travail en équipe.

Mieux doté sur le plan budgétaire, le nouveau programme Erasmus+ devrait nous permettre de susciter l’intérêt des chercheurs. Dans ce but, nous avons récemment lancé une revue, le Journal of International Mobility. Selon certaines études, la mobilité – devenue une discipline scientifique qui intéresse désormais les démographes et les économistes et non plus simplement les spécialistes des sciences de l’éducation – devrait augmenter de 25 à 30 % d’ici à 2020.

Le nouveau programme offre également aux 51 agences des trente-trois pays qui composent Erasmus+ la possibilité de financer des partenariats stratégiques. Il apparaît dans nos études qualitatives que les jeunes préfèrent l’Australie à la Slovaquie. Il est important que nous en connaissions les raisons. Quoi qu’il en soit, bien que nous entretenions de bonnes relations avec différents centres d’études comme le Céreq – Centre d’études et de recherches sur les qualifications –, nous détenons peu d’éléments quantifiables, et les statistiques propres à Erasmus+ ne sont que l’une des composantes de l’attractivité, extérieure ou intérieure, d’un pays.

Le système d’échanges est plutôt positif, puisque nous enregistrons plus d’étudiants qui viennent en France que d’étudiants qui en sortent. Cette année, notre pays a reçu 280 000 étudiants, ce qui le place au troisième rang mondial en matière d’attractivité.

Cette ouverture au monde qui ressort de plus en plus fortement de nos enquêtes qualitatives est à mettre en parallèle avec les difficultés que nous rencontrons pour convaincre ceux qui viennent d’un univers moins diplômé et sont moins informés. Le programme Erasmus+ est destiné aux étudiants, aux apprentis et aux formateurs. L’objectif quantitatif pour 2020 fixe à 800 000 ou 900 000 le nombre des formateurs qui partiront en mobilité en 2020 – ils sont huit fois moins nombreux aujourd’hui – sur un total de 4 millions de personnes. Ce chiffre est à comparer aux 3,3 millions d’étudiants qui en bénéficient depuis 1987. Pour atteindre cet objectif, le budget consacré à la mobilité bénéficiera d’une augmentation de 40 %.

Nous constatons une dichotomie entre les étudiants classiques qui entendent effectuer leur mobilité dans le monde entier, particulièrement en Chine, au Brésil, en Australie et au Canada, et ceux qui n’ont pas reçu la même formation et inscrivent leur mobilité dans un cadre souvent limité à l’Europe.

Je rappelle que le système Erasmus a été mis en place pour permettre aux jeunes Français d’acquérir des compétences individuelles, mais aussi pour créer de la valeur ajoutée territoriale et développer un sentiment d’appartenance à la citoyenneté européenne. Pour cela Erasmus+ nouera des partenariats stratégiques associant des entreprises, des collectivités et des acteurs académiques autour de projets susceptibles de développer un territoire.

En revanche, ce n’est qu’à l’automne 2014 que nous saurons si nous pouvons mettre en œuvre la dimension internationale du programme et que nous définirons des priorités géographiques, qui pourront être le voisinage de l’Europe, les grands pôles dominant économiquement ou l’Afrique.

Avec mes 90 collègues chargés de gérer les 120 millions d’euros dédiés à la mobilité, nous pensons que le programme Erasmus n’a pas pour but d’encourager les personnes bénéficiant d’une mobilité à s’exiler mais, bien au contraire, à revenir en France après avoir acquis des compétences.

Je citerai trois enquêtes que l’agence a réalisées au cours des derniers mois. La première, menée avec l’Institut TNS Sofres sur l’image d’Erasmus, montre que plus de 80 % des Français, et 90 % des plus jeunes, connaissent le programme. À nous de faire en sorte qu’ils puissent en profiter.

Les deux autres études, réalisées par le Céreq, portent sur la mobilité des chercheurs d’emploi et des apprentis. Elles font apparaître qu’une personne qui a effectué une mobilité Erasmus, Grundtvig, Leonardo da Vinci ou Youth in action divise par trois le temps qu’il lui faudra pour retrouver un emploi et qu’un apprenti qui a effectué une mobilité européenne a plus de chances d’être embauché à un niveau supérieur qu’un apprenti qui serait resté en France. Ces résultats sont encourageants. Selon les études du Céreq, réalisées avec l’Université de Poitiers sur les cohortes 2001, 2004 et 2007, le nombre de ces mobilités, après une décroissance en 2004, a connu un essor en 2007 avec le départ de 0,7 % d’une classe d’âge.

Les entreprises à l’étranger attirent énormément les jeunes, mais si nous voulons que la France conserve son attractivité en matière d’enseignement supérieur, nos entreprises devront entrer de plein pied dans le système, faute de quoi nous n’aurons pas de stages à proposer aux étrangers.

C’est l’un de nos sujets de préoccupation, mais nous espérons que les partenariats stratégiques inciteront les représentants des PME et les collectivités à nous aider à renforcer l’attractivité de notre pays vis-à-vis des apprentis et des professionnels des autres pays, tout en préservant la tradition française qui entend préserver l’équilibre entre le nombre des entrants et le nombre de ceux qui partent.

M. le président. Avez-vous le sentiment qu’un certain nombre de jeunes Français, diplômés ou non, quittent le territoire de façon contrainte ?

La France est-elle attractive pour les jeunes étudiants européens ? Cette attractivité a-t-elle évolué au fil du temps ? Les étudiants allemands, britanniques ou espagnols viennent-il aussi volontiers en France qu’il y a dix ans ?

M. Antoine Godbert. Il existe une compétition entre les différentes agences. Nous nous occupons d’envoyer des Français vers l’extérieur et les agences étrangères nous adressent des étudiants. Nous sommes associés, mais chaque agence a une compétence purement nationale.

M. le président. Il n’y a donc pas de consolidation européenne ?

M. Antoine Godbert. La Direction générale de l’enseignement dispose des chiffres fournis par Eurostat. Ce que nous savons, c’est que la France enregistre peu de fluctuations, contrairement à l’Espagne, qui voit partir de nombreux jeunes après avoir connu le plus haut niveau d’attractivité d’Europe. La France occupe à elle seule 10 % du programme Erasmus et la demande de bourses reste extrêmement forte, et cela vaut également pour les professionnels et les adultes. Notre balance entre mobilité sortante et entrante pour le programme est assez équilibrée. La croissance est plus faible pour les mobilités étudiantes dans les universités, mais la demande des jeunes vers les entreprises est en forte croissance.

Les jeunes disposant d’une formation souhaitent effectuer leur mobilité dans un pays le plus éloigné possible, ce qui suppose un séjour plus long. Quant au taux de retour, il est en corrélation directe avec la distance géographique. C’est la raison pour laquelle la Commission prévoit un subventionnement correspondant à l’échelle géographique.

Le dispositif de mobilité a été créé pour renforcer le sentiment d’appartenance à l’Union européenne. En Europe, les partenariats Erasmus Mundus visent à soutenir la mobilité des personnes détentrices d’un master ou d’un doctorat. Ce programme concerne un nombre peu élevé de personnes, mais la France est leader en la matière.

Pour les personnes les moins qualifiées, nous avons un déficit d’attractivité dû à la faible capacité de nos entreprises à accueillir des stagiaires et à une mauvaise perception de la coopération entre entreprises, collectivités et acteurs académiques. La France souffre de l’absence de structuration du dispositif de formation et de son manque de perméabilité au monde de l’entreprise. Nos collègues étrangers sentent qu’il n’existe pas de parfaite osmose dans notre volonté d’accueillir des étudiants, des apprentis ou des lycéens dans le cadre de la formation professionnelle. Lutter contre l’extrême complexité de notre formation professionnelle sera l’un des défis des partenariats stratégiques.

Nous risquons de voir apparaître certaines différences. Nous notons déjà l’opinion positive des jeunes Espagnols sur la formation professionnelle en Allemagne. Les territoires seront en concurrence quant à leur capacité à proposer un parcours de formation professionnelle pour les jeunes moins qualifiés. Pour faire face à cette concurrence, il nous faut une bonne connaissance statistique de la situation dans les territoires, que nous n’avons pas encore en tant qu’agence nationale. Nous proposons sur le site de l’agence la rubrique Statistics for All qui permet à chaque décideur local de savoir où les échanges sont les plus dynamiques.

M. Yann Galut, rapporteur. Si la France est le troisième pays en termes d’attractivité, quels sont les deux pays qui nous dépassent ? Notre place est-elle constante ?

M. Antoine Godbert. Selon les chiffres de 2011, les États-Unis et le Canada sont plus attractifs que la France.

M. le rapporteur. Avez-vous le sentiment que l’aspiration des jeunes à travailler à l’international est en constante augmentation ?

Avez-vous ressenti les effets de la crise de 2008, tant sur le nombre des départs que des arrivées en France ?

Les jeunes qui partent à l’étranger ont-ils tendance à revenir rapidement en France ou s’expatrient-ils durablement ? Avez-vous mis en place des dispositifs d’accompagnement au retour ?

Le fait d’encourager les formations professionnelles à l’étranger ne risque-t-il pas d’inciter nos jeunes à partir ?

La France valorise-t-elle suffisamment ses étudiants et jeunes diplômés qui ont une expérience internationale ?

Le départ des jeunes à l’étranger est souvent observé à travers le prisme des jeunes très diplômés issus des grandes écoles. Quelles sont les proportions de jeunes de niveau licence, voire de niveau inférieur, qui choisissent de s’expatrier ?

Les jeunes que vous accompagnez à l’étranger quittent-ils la France à cause de sa morosité, et notamment du chômage ?

Le dernier baromètre Deloitte sur l’humeur des jeunes diplômés montre que les plus soucieux d’innover et de valoriser leurs compétences ont une préférence pour l’étranger. Qu’en pensez-vous ?

Au sein du réseau Erasmus, quelle est la place de la France pour les étudiants étrangers ? En quoi notre pays les attire-t-il ? Restent-ils en France pour y travailler ? Quelles sont les motivations de ceux qui ont choisi notre pays et quelle appréciation portent-ils a posteriori sur leur parcours français ? La langue française est-elle un obstacle pour eux ?

M. Antoine Godbert. Les étudiants des grandes écoles sont effectivement de plus en plus attirés par les pays lointains. En revanche, les étudiants en licence travaillent souvent pour financer leurs études et ils sont de plus en plus nombreux à choisir leur destination en fonction de la capacité du pays à leur procurer un emploi. Le système des bourses sous conditions de ressources devrait permettre à tous les jeunes, quel que soit leur niveau, d’obtenir une mobilité dans n’importe quel pays. Un certain nombre de jeunes auraient préférer aller au Royaume-Uni mais choisissent la Pologne ou la Suède, voire l’Estonie ou la Slovaquie parce que le coût de la vie y est moins élevé et qu’ils auront plus de chances d’y trouver un emploi. L’attractivité de la Norvège amoindrie par le niveau de vie de ce pays qui est le plus élevé d’Europe.

On nous met parfois en concurrence avec les Espagnols, mais si le nombre de jeunes Espagnols qui partent à l’étranger a beaucoup augmenté, c’est parce que leur mobilité est probablement liée aussi au désir de s’installer dans un autre pays, essentiellement en Allemagne et au Royaume-Uni.

De nombreux pays, y compris la Roumanie et la Slovaquie, mettent à la disposition des jeunes des cours en anglais pour attirer de plus en plus d’étudiants Erasmus+. En France, mais c’est également le cas en Allemagne, nous sommes convaincus que nous devons proposer des cours à la fois en anglais et dans d’autres langues.

Concernant l’accès des plus défavorisés à un pays étranger, il est vrai que nos collègues étrangers critiquent le manque d’attractivité de notre système de formation professionnelle. Cela dit, le nombre des mobilités dans le cadre d’un stage est en très forte augmentation. Beaucoup de jeunes désirent se qualifier dans une entreprise étrangère pour y acquérir des réflexes qui leur seront utiles sur le marché français de l’emploi.

Pour ce qui est d’évaluer nos différences avec les autres pays, notre système statistique n’est pas suffisamment élaboré pour que je puisse vous répondre mais je dispose de quelques chiffres transmis par la Commission. Jusqu’en 2013, il était demandé aux agences en charge d’Erasmus+ de bien gérer les fonds, car l’élargissement avait mis de nombreuses agences en difficulté, notamment en Bulgarie et en Turquie. Aujourd’hui, en plus de bien gérer les fonds, on nous demande surtout de créer de la valeur ajoutée territoriale. Nous avons engagé des études d’impact et nous nous sommes rapprochés du Céreq afin de mieux répondre aux décideurs – parlementaires, journalistes, chefs d’entreprise – désireux de connaître la valeur ajoutée de nos programmes dans différents territoires.

J’aurai probablement plus de choses à vous dire dans deux ans lorsque le système statistique aura été amélioré, que nous pourrons comparer les études d’impact dans l’ensemble des pays et que nous connaîtrons les résultats des recherches sur la période 2010-2013.

M. Frédéric Lefebvre. Étant un défenseur de la mobilité, je salue le travail que vous accomplissez et je me réjouis d’apprendre que les étudiants français ont la volonté de partir pour embrasser le monde et compléter leur formation. C’est une bonne chose pour notre pays qui doit s’inscrire dans la mondialisation.

La mobilité est-elle plus pratiquée dans les grandes écoles ou dans les universités ?

Combien de bénéficiaires d’Erasmus suivent-ils une formation professionnalisante comme celles dispensées dans les IUT ?

Nos compatriotes ultramarins ont-ils accès à ces programmes ?

Quel est le taux de participation des apprentis français à ces programmes ? Tous les CAP sont-ils représentés ?

Les programmes Erasmus bénéficient-ils aux Français installés à l’étranger ? Sur quels critères ? Des programmes européens adaptés leur sont-ils proposés ?

Je constate dans ma circonscription que de plus en plus de jeunes Français vont effectuer un stage aux États-Unis ou au Canada, dans une entreprise ou une administration, parce qu’il devient de plus en plus difficile de trouver un stage en France, et ce sera de plus en plus vrai puisque la loi que nous avons récemment adoptée interdit les stages de plus de six mois. Les jeunes désireux d’effectuer un stage à l’étranger sont-ils de plus en plus nombreux ?

L’une des études que vous avez réalisées avec l’OFQJ – Office franco-québécois pour la jeunesse – montre que pour les personnes peu qualifiées et les décrocheurs, la mobilité à l’international produit des effets exceptionnels en termes de retour à l’emploi.

Existe-t-il des freins à la mobilité au niveau européen ? Quelles en sont les raisons ?

Mme Nicole Ameline. Nous sommes tous d’accord pour dire que la mobilité est un facteur très positif d’adaptation au monde et à l’emploi, mais où se situe la frontière entre un « séjour Erasmus » et l’expatriation motivée par le mauvais état du marché de l’emploi dans notre pays ?

Disposez-vous d’évaluations sur les choix définitifs des bénéficiaires d’Erasmus ? Combien d’entre eux font-ils carrière à l’étranger ? Quel est le pourcentage de filles ? Disposez-vous de statistiques sexuées sur les candidats à Erasmus ? Quels sont les secteurs professionnels les plus concernés par la féminisation ?

Je partage les propos de notre collègue en ce qui concerne les régions ultramarines et l’intérêt qu’il y aurait à mieux utiliser leur proximité avec les États-Unis ou l’Australie.

Élue d’une région transfrontalière avec le Royaume-Uni, je voudrais savoir si la proximité d’un territoire avec un autre pays produit des effets sensibles sur le plan de la mobilité. Quelles sont les régions concernées par cette proximité ?

Le numérique est peu développé dans notre pays mais il l’est considérablement au Canada. Cette spécialisation est-elle de nature à orienter le choix d’une implantation professionnelle ?

Mme Monique Rabin. Je salue le rayonnement de votre agence et je vous en remercie.

Notre commission d’enquête, comme l’indique son titre, s’intéresse à l’exil des forces vives. On peut parler d’exil pour les jeunes Espagnols qui, à cause de la crise économique, partent sans espoir de retour. Les jeunes Français partent-ils pour les mêmes raisons ou simplement pour enrichir leur cursus et développer leur ouverture d’esprit ?

Nous sommes en train de réfléchir à une nouvelle réforme territoriale. L’agence est-elle en relation avec les régions en ce qui concerne l’accompagnement des jeunes ? Le soutien des régions vous paraît-il suffisant ?

J’ai eu l’occasion de constater à quel point il était difficile de faire partir des apprentis en mobilité, pour des raisons liées à leurs faibles moyens mais également pour des raisons culturelles. À ce titre, les chambres des métiers et les chambres de commerce s’intéressent-elles à votre agence ?

Enfin, l’attirance de nombreux étudiants pour le programme Erasmus Mundus s’explique-t-elle par la nature des formations proposées – œnologie, culture française ? Ces personnes restent-elles dans notre pays ?

Mme Sophie Rohfritsch. Dans un monde idéal, on ne parlerait pas de mobilité au sein de l’Europe puisque nous avons un territoire commun. Il est vrai que dimanche dernier ma naïveté a été balayée…

La stratégie de votre agence a-t-elle évolué pour organiser et valoriser certaines formations – doubles ou triples diplômes, formations conventionnées ? A-t-elle une influence dans les pays qui s’associent à ces nouvelles formes de coopération ?

M. Jean-Marie Tetart. Je viens de découvrir la mobilité pour les formateurs et les bénéficiaires de la formation professionnelle continue. Mais je suppose que si les jeunes ont un besoin spontané de découvrir le monde, ce n’est pas le cas des adultes qui sont installés en tant qu’enseignants. La mobilité n’est-elle pas plus difficile pour une personne qui a une famille et un appartement ? Résulte-t-elle d’un accord entre l’enseignant et l’établissement, l’université ou l’école, ou est-elle spontanée ? Le taux de retour est-il important ? Quels sont les effectifs concernés ?

M. Antoine Godbert. Monsieur Lefebvre, le dispositif existe depuis 27 ans. Les grandes écoles se sont positionnées il y a longtemps et aujourd’hui Erasmus intéresse l’ensemble des universités et des grandes écoles.

Si la mobilité dans les formations courtes est peu développée, nous le devons malheureusement au système français, et M. Luc Chatel, en tant qu’ancien ministre de l’Éducation nationale, le sait parfaitement. Mais la situation peut être améliorée. Les formations courtes, dont les BTS, dépendant du système du secondaire, il est parfois difficile de leur appliquer des mesures destinées aux études supérieures. Erasmus+, qui ne sépare plus le secondaire, le supérieur, les études professionnelles et les formations pour adultes, devrait permettre d’améliorer la mobilité dans les formations courtes.

Tous les établissements qui souhaitent voir des étudiants partir en mobilité doivent détenir une Charte Erasmus+. Selon les statistiques, en 2014, plus de 700 établissements ont demandé à signer cette charte, dont les 90 universités, un certain nombre de grandes écoles, mais malheureusement un nombre encore insuffisant de lycées.

Je suis, comme vous, très attaché à la mobilité des ultramarins. Nous nous sommes beaucoup battus pour la promouvoir avec nos amis espagnols et portugais, mais il est plus difficile de convaincre les Estoniens et les Slovaques de la dimension ultramarine, pour une raison essentielle qui tient aux coûts de la mobilité, qui étaient identiques pour un départ en Polynésie française, en Martinique ou à Courbevoie. Depuis, grâce à la convergence entre différents États, le système de défraiement des voyages est plus favorable aux territoires ultramarins.

Mme Ameline a évoqué les échanges transfrontaliers. Nous aimerions que cette dimension transfrontalière existe dans les régions ultramarines. L’agence est allée en Martinique et en Guadeloupe pour y développer les échanges Erasmus avec la zone Caraïbe et les États-Unis. Certes, les mobilités n’y sont pas aussi importantes que dans les autres régions, mais nous constatons une nette amélioration depuis trois ans, que nous devons à l’investissement sans relâche de mes collègues de ce secteur.

J’ai été auditionné récemment sur cette question par le Conseil économique, social et environnemental – CESE –, dont le rapport, je l’espère, mentionnera que nous avons pris en compte la dimension ultramarine. C’est l’un des aspects les plus importants de l’ouverture au monde. Nous espérons que nos territoires ultramarins pourront, grâce à Erasmus+, développer plus de mobilités : à La Réunion vers l’Afrique du Sud, aux Caraïbes vers les États-Unis, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie vers l’Asie.

Je ne suis pas en mesure de contrôler que les centres d’apprentis envoient leurs élèves en mobilité. Ils doivent présenter des candidats. Nous espérons que l’accès des apprentis à la mobilité se développera, en lien avec les régions.

En ce qui concerne les stages, je ne suis pas certain que ce soit plus facile de faire un stage à l’étranger, mais il apparait que l’on acquiert plus de compétences « mondialisables » à l’étranger, particulièrement dans les PME : capacité de travailler en équipe, utilisation du numérique, connaissance d’un territoire, acquisition de compétences moins académiques.

M. Frédéric Lefebvre. Il serait intéressant de connaître l’impact de la loi relative au développement et à l’encadrement des stages.

M. Antoine Godbert. Vous avez parfaitement raison, mais il est trop tôt pour en chiffrer l’impact.

Les mobilités dans le cadre d’Erasmus durent en moyennes 6,7 mois. Erasmus+ donne à chacun la possibilité de passer un an à l’étranger, en une ou plusieurs périodes, tout au long de la vie. Cela incitera-t-il les étudiants à passer un an dans une société à l’étranger ? Je ne sais pas.

Personne, madame Ameline, ne nous a jamais demandé d’évaluer ce qui relève de l’exil.

Quant au pourcentage de filles concernées par la mobilité, nous ne faisons pas de discrimination.

Mme Nicole Ameline. Ce pourrait être une discrimination positive !

M. Antoine Godbert. Cela ne nous a jamais été demandé par les autorités nationales. Ce que je peux vous dire, c’est que nous assistons à une féminisation de plus en plus nette des mobilités, ce qui s’explique par la présence de plus en plus grande de filles dans l’enseignement supérieur.

Mme Nicole Ameline. Les statistiques sexuées ne sont pas une discrimination, bien au contraire, car évaluer la présence de filles dans telle ou telle formation permet de s’assurer par la suite de l’égalité professionnelle.

M. Antoine Godbert. Il y a un mois, nous avons engagé une étude sur cette question dans le secteur de la formation professionnelle où la féminisation est moins avancée, ce qui est dû à l’impact des familles sur la décision de mobilité. Nos faibles performances dans l’enseignement secondaire peuvent être liées à l’impact des familles dans les milieux moins favorisés, alors que les familles favorisées sont plus habituées à organiser des échanges bilatéraux afin que les jeunes puissent passer six mois à l’étranger. C’est particulièrement le cas des élèves des lycées français à l’étranger. Mais nous n’avons jamais eté mandatés pour travailler sur cette dimension.

Madame la présidente, la contribution des régions à l’enseignement supérieur manque d’équité car les efforts sont très différents d’une région à l’autre. Lors de la création d’Erasmus+, il a été décidé que l’Europe contribuerait à la mobilité ainsi que l’Etat et les collectivités territoriales. Le système a été détourné en 2007 lorsque l’Etat a décidé de conditionner l’attribution des bourses au niveau de ressources, et les régions ont pris la suite. Soutenir la mobilité relève de la liberté stratégique laissée à chaque président de région. Mais où est l’équité républicaine dès lors qu’un jeune ne peut pas partir en mobilité à cause des choix stratégiques de la collectivité où il habite ?

Oui, nous sommes favorables à la réforme territoriale dans la mesure où elle apportera des ressources aux régions et aux inter-régions, évitant ainsi que les régions les plus pauvres cessent de soutenir la mobilité, ce qui, pour les jeunes, constitue une double peine. Mais pour que nous puissions accorder des bourses plus conséquentes, il faut que l’Europe renforce sa participation et que le Gouvernement décide de sortir de la volumétrie qu’il s’est fixée. Je veux bien gérer 75 000 mobilités, mais il me semblerait plus intéressant de faire évoluer les bourses pour permettre aux jeunes d’effectuer leur mobilité dans les pays de leur choix.

Améliorer la qualité de la mobilité relève d’un choix politique car une mobilité réussie apporte des compétences à un jeune Français lorsqu’il reviendra sur le marché national. En revanche, si elle n’est pas réussie, le jeune peut envisager de rester dans le pays qui l’a accueilli pour y faire tout autre chose.

La place des régions est essentielle. Le budget du nouveau programme Erasmus+ permettra, dans le cadre des partenariats stratégiques, d’engager des projets territoriaux entre les collectivités locales, les acteurs académiques et les entreprises.

Nous regrettons que la loi relative à la formation professionnelle ainsi que la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche aient été adoptées en décalage au moment précis où nous lançons le programme Erasmus+. Mais ces deux textes existent désormais et nous allons nous y adapter.

S’agissant des doubles et triples diplômes, madame Rohfritsch, la défense de la double diplômation est l’un des éléments du nouveau programme Erasmus+. En plus des programmes d’études Erasmus Mundus, réservés aux doctorants et aux mastériens, nous favoriserons désormais les masters conjoints. Les préoccupations de l’Union européenne rejoignent celles du Gouvernement et de tous les pays qui participent au Processus de Bologne.

L’espace de la mobilité dans l’enseignement supérieur en Europe s’est considérablement amélioré depuis 1999 et cela de manière très rapide. En revanche, pour la formation professionnelle, cet espace reste à créer.

Madame Ameline, la dimension transfrontalière n’existe pas en tant que telle dans le nouveau programme, mais, avec nos collègues des pays voisins, nous entendons promouvoir les mobilités transfrontalières afin de renforcer les liens entre collectivités voisines.

Monsieur Tetart, Erasmus a été un succès majeur, c’est pourquoi, avec le soutien des députés européens, nous avons obtenu une augmentation du budget en 2013. En revanche, la mobilité des formateurs est en panne, pour des raisons que vous avez citées, mais également du fait de la difficulté pour l’administration d’intégrer l’idée selon laquelle passer du temps à l’étranger est une plus-value positive. Nous proposons une formation particulière aux jeunes chefs d’établissement, inspecteurs d’académie et directeurs des services départementaux de l’Éducation nationale pour qu’ils comprennent à quel point il est utile de renforcer la motivation des enseignants, dont 10 à 15 % sont très intéressés par les projets Erasmus+.

La mobilité doit être également intégrée dans la formation des adultes. En tant que coordinateur de l’agenda européen pour l’éducation et la formation des adultes, j’ai beaucoup travaillé, avec l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, pour concrétiser les projets du programme Comenius. Tant que l’agenda européen sera piloté par la France, ce programme restera une priorité politique, mais qu’adviendra-t-il ensuite ?

Actuellement nous axons nos efforts sur les jeunes. Si nous voulons que le système soit performant à long terme, dans un monde qui évolue extraordinairement vite, nous devrons renforcer les compétences formelles et informelles. La feuille de route que nous avons mise en place avec tous les acteurs de la formation des adultes permettra, je l’espère, de lutter avec efficacité contre l’illettrisme.

En ce qui concerne les moyens mis en œuvre, 5 % du budget d’Erasmus+ sont consacrés à la formation des adultes et à la lutte contre l’illettrisme contre 25 % à la formation professionnelle, 50 % à l’enseignement supérieur, le reste étant affecté à la dimension internationale et à la mise en place de nouveaux outils d’accréditation.

Je suis naturellement à votre disposition pour vous faire parvenir une présentation plus détaillée du programme Erasmus+.

M. Régis Juanico. Avec mon collègue Jean-Frédéric Poisson, nous nous sommes rendus l’an dernier à Copenhague dans le cadre de la mission menée par le Comité d’évaluation et de contrôle – CEC – de l’Assemblée nationale sur la mobilité sociale des jeunes. Nous y avons rencontré de jeunes apprentis du centre de formation – CFA – de Rouen qui effectuaient un stage de trois semaines dans le cadre de leur brevet d’électricien. Nous avons constaté que cette expérience les avait marqués et nul doute qu’elle facilitera leur insertion sur le marché du travail. Il est clair que de telles expériences doivent être développées.

L’offre de mobilités géographiques doit être plus lisible, c’est pourquoi nous avons suggéré de mettre en place un portail national de la mobilité. Les opérateurs de la mobilité, dont l’Agence française du programme européen « Jeunesse en action », Erasmus+ Jeunesse & sport, l’OFQJ et l’OFAJ – Office franco-allemand pour la jeunesse – ont commencé à se rapprocher, mais qu’en est-il depuis quelques mois ? Ce rapprochement a-t-il amélioré l’efficacité des dispositifs en direction des jeunes ?

M. Antoine Godbert. Sans dévoiler des informations qui seront communiquées dans le cadre du Comité interministériel sur la mobilité qui se tiendra le 18 juin prochain, je crois pouvoir dire que les cinq groupes de travail aboutiront à la création de plateformes régionales, à charge pour les régions et les opérateurs de se mettre d’accord sur les efforts financiers qu’il leur faudra consentir. Il est vrai qu’en matière d’accès à la mobilité, les différences entre les régions sont énormes.

Sur le plan de la formation professionnelle, nous avons essayé de progresser, mais dans un contexte législatif en mutation ce n’était pas évident. Les choses étant plus claires, j’espère que nous pourrons avancer.

L’ordinateur étant le principal outil d’information utilisé par les plus jeunes, il est important qu’ils puissent découvrir la mobilité en un clic sur Internet. Le prochain comité interministériel proposera probablement de créer un outil informatique, dont j’espère qu’il sera aussi pratique que la plateforme sur Internet que nous avons mise en place avec le conseil régional et la direction de la jeunesse de la région Provence Alpes Côte-d’Azur pour développer les mobilités entre l’Europe et les pays méditerranéens. Nous allons essayer de faire progresser d’autres régions. Ainsi, avec le conseil régional de la région Nord, nous nous sommes associés à EuroSkills afin de faciliter les mobilités intra-régionales, que les partenariats stratégiques territorialisés, nous l’espérons, permettront de développer.

Mme Monique Rabin, présidente. Je vous remercie pour l’éclairage intéressant que vous nous avez apporté.

L’audition s’achève à dix-sept heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mardi 27 mai 2014 à 16 h 15

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Luc Chatel, M. Yann Galut, M. Régis Juanico, M. Frédéric Lefebvre, M. Jean-François Mancel, Mme Monique Rabin, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Claudine Schmid, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - M. Marc Goua, M. Claude Sturni

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