Accueil > Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France > > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mercredi 25 juin 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 17

Président

–  Audition, ouverte à la presse, de Mme Manon Laporte, avocate fiscaliste, auteure de « Exilés fiscaux – Tabous, fantasmes et vérités »

–  Présences en réunion 9

Présidence
de M. Luc Chatel,

L’audition commence à seize heures quinze.

M. le président Luc Chatel. Nous recevons aujourd’hui Mme Manon Laporte, avocate fiscaliste et auteure de l’ouvrage « Exilés fiscaux : Tabous, fantasmes et vérités ». Vous savez que notre commission d’enquête vise à mieux appréhender le sujet de l’exil des forces vives de notre pays ; elle a notamment travaillé sur la question de l’expatriation des jeunes, et s’intéressera ensuite aux entreprises, s’agissant du départ de leurs centres de décision et des aspects fiscaux de ces départs.

Je propose que vous fassiez une présentation liminaire à la commission, avant que vous ne répondiez à nos questions.

Mais auparavant, cette audition ayant lieu dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Manon Laporte prête serment.)

Mme Manon Laporte. Je vous remercie de m’avoir invitée pour évoquer cette question de l’« exil fiscal », qui constitue un sujet passionnant et pleinement d’actualité. Mon objectif a été, sans jeter en pâture les intéressés, de comprendre les raisons pour lesquelles des Français s’exilaient et si l’on pouvait définir des profils « type » d’expatriés. Dans le cadre de mes travaux, j’ai rencontré des historiens, des économistes, des conseils en expatriation, des banquiers et des gestionnaires de fortune, ainsi que des Français exilés, connus ou moins connus.

En premier lieu, il convient de souligner que l’« exil fiscal » n’est nullement un phénomène nouveau. Il n’existe pas seulement depuis 1981 ou depuis les années 2010-2011. Mais il est vieux de près d’un siècle : il a débuté lors de la création de l’impôt sur le revenu, en 1907, date à laquelle on a commencé à entendre parler de transferts de fortunes vers la Suisse… Puis, entre 1924 et 1926, la proposition du Cartel des gauches de créer un impôt sur le capital a créé beaucoup d’émoi et de polémiques. En 1936, l’arrivée au pouvoir du Front populaire s’est accompagnée d’une fuite des capitaux hors de France, on a parlé de centaines de tonnes d’or. En 1981, les départs vers la Suisse se sont multipliés. Ce phénomène a touché des noms connus, par exemple M. Latécoère qui s’est installé à Lausanne. Le déplafonnement de l’impôt sur la fortune décidé en 1995, puis l’alourdissement de la pression fiscale à partir de 2010 et 2011 ont également mis l’exil fiscal au cœur de l’actualité.

En deuxième lieu, ce phénomène concerne de plus en plus de jeunes Français : certains d’entre eux rejoignent leurs parents déjà à l’étranger – c’est le cas d’un patron d’un groupe de presse que j’ai rencontré –, d’autres vont créer une entreprise hors de France après avoir obtenu leur diplôme d’école de commerce de renom, telle que l’Essec. Leur société a grandi, s’est développé et enregistre des résultats importants et ces jeunes risquent de ne jamais revenir. Nous pouvons dire que nous les avons « perdus ». On compte également beaucoup d’artistes quittant le territoire français. Je ne parle pas là des cadres dirigeants détachés ou expatriés par leur entreprise.

En troisième lieu, l’exil fiscal ne se limite plus aux très grosses fortunes. Ainsi que me l’indiquaient des responsables de la banque Neuflize, auparavant, les départs à l’étranger concernaient essentiellement des personnes disposant de patrimoines de 10 à 15 millions d’euros. Désormais, on observe le départ de personnes dont le capital est de l’ordre de 5 millions d’euros. Il ne s’agit plus seulement d’artistes ou d’entrepreneurs : les professions libérales, telles que des avocats ou des chirurgiens-dentistes, sont concernées, ce qui est un phénomène tout à fait nouveau. Ce que j’ai constaté c’est que ceux qui partent recréent une activité à l’étranger, constituant aussi autour d’eux une sorte d’écosystème. On voit également des cadres dirigeants qui se voient proposer de partir à l’étranger pour des raisons fiscales ou pour de meilleures perspectives de carrière. C’est ainsi que, récemment, un des principaux dirigeants d’une grosse entreprise est parti s’installer à Singapour.

En quatrième lieu, ce qui me semble très important est que la fiscalité n’est jamais le seul facteur à l’origine d’un départ à l’étranger : d’autres raisons entrent en ligne de compte. Ainsi, la Suisse attire les Français certes par son régime fiscal, mais aussi par le niveau moyen des salaires, plus élevé qu’en France, la faiblesse du chômage et une mobilité sociale plus importante. Certains considèrent que ceux qui restent en France sont tenus de payer le droit de résider sur le territoire national. Ils ne contestent pas l’utilité de l’impôt mais veulent redevenir des citoyens, et non plus seulement des sujets de l’impôt, alors que les impositions, de l’acquisition d’un bien à sa transmission aux héritiers, se superposent, par le biais de l’impôt sur la fortune, de la taxation des plus-values puis des droits de succession. Les Français qui quittent le territoire ont également le sentiment que peu est fait en France pour encourager l’innovation, que les structures institutionnelles sont sclérosées, que le regard porté sur les patrons est systématiquement négatif, que les contribuables aisés sont souvent considérés comme des coupables, tandis que la France est vue comme peu attractive et immobile. L’insécurité fiscale est également pointée par les exilés fiscaux, notamment du fait de l’application de dispositions rétroactives, comme l’illustre la contribution exceptionnelle d’ISF appliquée en 2012. Enfin, beaucoup estiment que la classe politique est peu renouvelée, et s’apparente à une « gérontocratie non créative qui prend zéro risque », dont les jeunes seraient exclus.

Il convient enfin de relever que la réflexion précédant un départ de France est souvent longue, et que de longs mois s’écoulent entre la préparation d’un dossier et la décision effective du départ. Fin 2010-2011, on a constaté un afflux de personnes qui se sont manifestées auprès d’avocats ou de gestionnaires de fortune. Bien sûr, tous n’ont pas sauté le pas.

M. le président. Selon vous, quelles pourraient être les solutions face à ce phénomène d’exil fiscal ? En réalisant des comparaisons internationales, peut-on faire émerger des mesures intéressantes ?

Mme Manon Laporte. Comme le montrent des exemples internationaux, sans doute serait-il souhaitable d’améliorer les relations entre les contribuables et l’administration fiscale française. Par exemple, ces relations sont plus simples en Belgique ou en Suisse : lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés, un dialogue peut s’instaurer entre les deux parties, afin de trouver des solutions.

M. le président. Voulez-vous dire que, lorsqu’un contribuable pose une question à l’administration fiscale, il s’expose à un contrôle fiscal ?

Mme Manon Laporte. Ce n’est pas tout à fait ça car il existe des procédures de rescrit qui sont sécurisés. Pour les grandes entreprises, il existe une direction spécialisée et une expérimentation est en cours, pour une vingtaine d’entreprises, en vue de l’établissement d’une « relation de confiance » avec l’administration fiscale. Néanmoins, subsiste en France une crainte des contribuables à l’égard de l’administration fiscale et un manque de confiance. Les contribuables se sentent sur la défensive.

M. le président. Qu’est-ce que vous proposez ?

Mme Manon Laporte. Je pense que l’administration devrait avoir davantage une mission d’accompagnement des entreprises, une mission de conseil, même si elle a fait d’incontestables progrès au cours des dernières années, mais surtout à l’égard des grandes entreprises, pas encore à l’égard des PME ou des particuliers. Ce point est d’autant plus important que les règles fiscales sont de plus en plus complexes : au-delà des lois de finances, la doctrine fiscale prend une importance grandissante, tandis que doivent être prises en compte la jurisprudence du Conseil d’État, celles de la Cour de cassation et de la Cour de justice de l’Union européenne. Les fonctionnaires du contrôle fiscal doivent jouer un véritable rôle de conseil fiscal auprès des contribuables, et assurer une mission pédagogique, notamment auprès des jeunes, sur l’impôt. À cet égard, la prévention est préférable à la répression.

M. le président. Vous nous avez indiqué que l’exil fiscal n’est pas un phénomène nouveau. Mais constatez-vous une accélération du phénomène, et si oui, quels en sont les éléments déclencheurs, notamment juridiques et fiscaux ?

Disposez-vous d’une évaluation du dispositif d’exit tax, voté en 2011 ?

De quels chiffres disposez-vous pour avancer que les jeunes sont de plus en plus touchés par l’exil fiscal ? Dans nos travaux, nous avons éprouvé des difficultés à recueillir des données transparentes et objectives sur le sujet. Avez-vous connaissance d’une évaluation chiffrée de ce phénomène ?

Le Parlement doit être destinataire d’un rapport sur l’évaluation des départs et retours en France des contribuables. Ce rapport doit apporter des précisions sur trois points : le départ des Français assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune – ISF –, le départ des assujettis à l’impôt sur le revenu et enfin, précisément, les chiffres de l’exit tax. Quelles autres données pourrait-on demander à l’administration fiscale pour mieux appréhender le phénomène d’exil fiscal ?

Quelle est votre appréciation sur le régime fiscal des « impatriés », introduit en 2003 et élargi en 2008 ?

Mme Manon Laporte. Sur les informations relatives à l’exit tax, M. Gilles Carrez a dû procéder par voie d’amendement pour obtenir des informations de la part de l’administration fiscale. Si lui-même rencontre des difficultés, je ne vois pas comment je pourrais davantage obtenir des informations en la matière.

M. le président. Vous êtes avocate fiscaliste. Depuis la mise en place de l’exit tax, avez-vous été amenée à gérer des dossiers de ce type ?

Mme Manon Laporte. Non, car je ne participe pas, dans mon activité professionnelle, à des opérations d’exil fiscal. Mais je sais que plusieurs millions d’euros sont en jeu – cette seule précision étant insuffisante pour évaluer l’exil fiscal.

Cependant, l’accélération du phénomène d’exil fiscal peut être qualifiée de très importante, depuis 2010-2011. Il s’agit de centaines de dossiers de personnes qui partent.

M. le président. Ne seraient-ils pas partis malgré tout ?

Mme Manon Laporte. Non : ils sont partis à cause d’un élément nouveau – qui est venu s’ajouter comme l’élargissement de l’ISF, la nouvelle tranche à 45 % de l’impôt sur le revenu ou l’alignement de l’imposition des plus-values sur le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Ce dernier point a été, je crois, déterminant.

En effet, les créateurs d’entreprise, partis de rien, et ensuite taxés à 60 %, ne peuvent plus supporter cette situation. D’où cette accélération, encore plus importante en 2012. Pour avancer des éléments chiffrés, cependant, il faudrait interroger l’ensemble des banquiers et gestionnaires de fortune de Londres, de Belgique, de Singapour, etc. C’est impossible. Et sans évoquer le cas des régularisations ou des rapatriements de capitaux, qui sont un autre sujet. En tout cas, ce phénomène n’est pas une fiction ni un fantasme.

À propos du régime des « impatriés », il est vrai que l’exonération pour les intérêts de capital placé à l’étranger ou l’exonération temporaire d’ISF joue sans doute, mais l’administration fiscale n’a pas été capable de me dire combien de retours ont été permis par ce régime. Les expatriés que j’ai rencontrés, à Dubaï ou à Singapour, m’ont de toute façon dit qu’ils ne rentreraient pas, – donc ils ne bénéficieront pas de ce régime.

M. Alain Rodet. À propos de l’exil en Belgique, qui a plutôt lieu en Wallonie, nous savons que les Belges de Bruges, de Gand, d’Anvers considèrent que la Wallonie ne connaît pas de développement économique. C’est une situation paradoxale : comment est-ce possible, alors qu’aux yeux des Flamands, la Wallonie reste considérée comme la mauvaise élève de la classe belge, qu’elle puisse accueillir des exilés français à fort potentiel économique ?

Vous avez pointé le cas particulier de l’Essec dans l’expatriation des jeunes diplômés hors de France. Est-ce aussi le cas de HEC ou de l’Institut catholique de Paris ? Doit-on en déduire que la Chambre de commerce de Paris ne joue pas de rôle particulier en la matière ?

Avez-vous réfléchi à la question des salaires des grands dirigeants ? Depuis vingt ans, la rémunération des grands dirigeants a connu une hausse phénoménale. Entre la rémunération de Jacques Calvet, président de PSA, qui avait suscité quelque émoi il y a vingt ans, au moment de sa divulgation par le Canard Enchaîné, et celle, aujourd’hui, de M. Christophe Jacquin de Margerie, il y a un gap très important. Joue-t-il dans le sens d’un plus grand exil fiscal ?

Vous avez évoqué le caractère ancien de l’exil fiscal, de Joseph Caillaux au « déplafonnement Juppé » de l’ISF en 1995. Mais la France détient également, depuis longtemps, une réputation de grande ingénierie fiscale. J’ai le souvenir d’un ancien ministre du général de Gaulle, Jean Foyer, qui avait déclaré que la TVA était le plus bel impôt du monde. Cela montre une vraie fierté de l’impôt. Edgar Faure, élu du Jura et du Doubs, départements mitoyens de la Suisse, avait coutume de dire qu’il fallait demander beaucoup à l’impôt et peu au contribuable : nous sommes dans un pays où le débat autour de l’impôt est récurent.

Vous avez parlé des dentistes. J’ai l’impression que ce sont plutôt des Français qui vont se faire soigner à Meknès, à Fès ou en Hongrie ? Nous avons tous des anecdotes à raconter. Cependant, je voulais vous remercier de votre intervention qui permet de nourrir ce débat.

M. Christophe Prémat. Je suis député des Français « exilés » en Europe du Nord. J’en rencontre aussi beaucoup. Je ne veux pas jouer au jeu du « témoignage contre témoignage », je préfère essayer d’y voir clair au travers de données quantitatives. Mais sur un point, l’exil fiscal des jeunes, est-ce qu’il convient vraiment d’utiliser ce lexique, qu’on retrouve dans les travaux de notre commission ? Ce terme me choque. « Exil » est un terme fort, on parle d’exil politique, d’exil de Victor Hugo à Vianden, pendant le Second Empire.

Je préfère parler du départ des jeunes. Cela traduit aussi la volonté d’ouverture de notre pays – je vous rappelle que nous avons un secrétariat d’État aux Français de l’étranger, lié au tourisme, au commerce extérieur. Les Français qui résident hors de France sont un atout pour notre pays.

Sur le travail de simplification de la norme fiscale que vous préconisez, faut-il remettre à plat toutes les conventions fiscales bilatérales en vigueur ? Quelle démarche proposer concrètement ?

Mme Claudine Schmid. Avez-vous l’impression que le regard porté sur la France par les personnes qui l’ont quittée évolue au fil des années, dans un sens ou dans l’autre ?

Vous avez évoqué le contrôle fiscal : certaines personnes, qui viennent vous consulter, tiennent-ils à la discrétion, ne souhaitant pas que leur préparatifs de départ soient connus pour éviter un tel contrôle ? Avez-vous constaté que les Français résidant à l’étranger se trouveraient confrontés à davantage de contrôles fiscaux sur les affaires qu’ils ont conservées en France ?

Les autorités fiscales ont-elles, selon vous, d’ailleurs conscience des conséquences des contrôles fiscaux qu’elles mènent ? Que ces contrôles conduiraient à ce que certains Français, excédés, pourraient avoir la tentation de fermer toutes les affaires qu’ils détiennent en France et de quitter définitivement notre territoire.

Enfin, un de vos confrères auditionné a fait état des conséquences que pourrait avoir la dénonciation de la convention fiscale franco-suisse sur l’imposition des successions. Pensez-vous que cela peut entraîner des départs d’héritiers, même encore jeunes et encore peu fortunés, départs qui échapperaient à toutes statistiques ?

M. Régis Juanico. Nous avons besoin de nous appuyer sur des chiffres précis pour quantifier l’amplification de l’exil des Français, ou son absence, d’ailleurs. J’ai le sentiment, à la fois dans votre audition, et dans celles de vos collègues de l’Institut des avocats en conseil fiscaux – IACF –, que vous raisonnez surtout à partir de témoignages, d’impressions, de données floues, et c’est compréhensible : votre travail n’est pas de mesurer l’exil fiscal, c’est de conseiller vos clients. Mais cela aboutit à l’absence de données précises, et c’est gênant.

Vous parlez par exemple de « centaines de dossiers » de candidats à l’exil. Mais nous avons, pour le moment, des chiffres de Bercy sur l’impatriation fiscale : 25 000 dossiers en cours de traitement, avec en moyenne 900 000 euros de patrimoine à imposer. Nous aurions besoin de comparer entre entrées et sorties afin d’avoir ainsi un jugement correct sur l’exil fiscal.

Mme Manon Laporte. Monsieur Rodet, sur la question de la Wallonie, j’ai rencontré le cas de Français qui ont effectivement recréé une activité en Belgique, et s’y sont installés avec leur famille. Je n’ai pas rencontré directement de Français installés à Zurich. Je peux certes citer le cas du fils de Charles Aznavour, qui a suivi son père hors de France et s’est donc installé à l’École polytechnique fédérale de Lausanne pour ses recherches dans le domaine de la computation. Ce n’est pas parce que la Wallonie rencontre des difficultés que des Français ne s’y installent pas, car ils y créent leur entreprise, notamment pour des raisons fiscales telles que l’imposition des plus-values après cession de ces entreprises.

Sur l’Essec, la situation est sans doute la même à HEC, et mon témoignage avait simplement valeur d’exemple. Tous les jeunes qui sortent de l’Essec ne partent pas non plus à l’étranger.

Quant à l’évolution des rémunérations des dirigeants, il y a en effet une pression fiscale beaucoup plus importante sur les dirigeants d’entreprises. Ceux-là ne partent pas forcément ; en revanche, ce sont les cadres qui préfèrent souvent aller travailler dans une filiale à l’étranger – comme celui que j’évoquais, parti à Singapour pour éviter une surtaxe sur l’impôt sur le revenu et des contributions sociales à 15,5 % qui ont fortement augmenté depuis la création de la CSG.

À propos du chiffrage du phénomène de l’exil fiscal, je vous confirme que personne n’y arrive. Nous devons nous contenter de nous référer à nos multiples expériences personnelles et aux centaines de dossiers que nous traitons. Les données de chaque gestionnaire, de chaque banquier ne sont pas centralisées. Même en posant des questions, je n’ai pu obtenir de chiffres plus précis.

Quant à la régularisation fiscale auprès du service de traitement des déclarations rectificatives – STDR –, il s’agit d’un phénomène différent : là, il est question de personnes qui n’ont pas déclaré leurs revenus ou leurs comptes à l’étranger, activement ou par passivité. L’exil fiscal, c’est une autre chose, parfaitement légale : ce sont des personnes qui ont choisi de partir ailleurs avec leurs familles. Parler de fuite des jeunes est sans doute trop fort, mais il s’agit bien, à mon sens, de départs de forces vives.

Serait-il utile de revenir sur les 120 conventions fiscales bilatérales existantes ? Je pense qu’il faudrait les dénoncer ; de nouveaux critères seront proposés par l’OCDE. Mais je parle plutôt de la nécessité de refondre le code général des impôts, de le nettoyer des dispositifs qui se superposent ou des mesures désuètes qui s’y trouvent.

Le regard des expatriés a-t-il évolué ? En effet, je constate au fil du temps que les « exilés » ne regrettent pas d’être partis et on les entend même dire que selon eux, la situation a empiré en France.

Craignent-ils un contrôle fiscal à leur retour ? Ils sont convaincus qu’ils se retrouveraient dans la ligne de mire de Bercy – même s’ils ne le sont pas nécessairement, ou pas systématiquement. Mais ils ont ce sentiment qu’ils seront désormais pourchassés par le fisc toute leur vie. Ils éprouvent véritablement un sentiment d’insécurité.

De fait, le contrôle fiscal et la pression fiscale, parce qu’ils sont vécus comme une espèce d’harcèlement, réel ou pas, peuvent déclencher l’exil.

Mme Claudine Schmid. Certains de mes interlocuteurs, qui avaient conservé des activités en France, m’ont déclaré préférer liquider tous leurs biens ou activités en France parce que les multiples contrôles fiscaux qu’ils subissent, au-delà de l’aspect financier, leur coûtent trop d’énergie.

Mme Manon Laporte. Vous avez tout à fait raison, Madame. Je l’ai aussi entendu de certains de mes clients. À force d’y consacrer beaucoup de temps, d’énergie et d’argent, d’avoir dû mettre en place toute une organisation pour y répondre, ils choisissent souvent de fermer leur entreprise et de quitter totalement la France. Je cite dans mon livre une personne qui, ayant subi 26 contrôles fiscaux en France, a choisi de s’installer en Suisse même s’il y paye plus d’impôts sur le revenu. Il va sans doute fermer son activité en France.

La prochaine dénonciation de la convention entre la France et la Suisse sur les droits de succession aura-t-elle un impact ? Des clients nous interrogent déjà sur ses conséquences et sur les moyens de les éviter. Ils n’envisagent pas encore de partir, mais s’en inquiètent – à tort ou à raison.

M. le président. Vous évoquiez la nécessité d’une stabilité fiscale. Quelles autres mesures permettraient d’enrayer le phénomène d’exil fiscal, voire de favoriser les rapatriements ?

Mme Manon Laporte. La première mesure qui me semble s’imposer serait la non-rétroactivité fiscale : changer les règles du jour au lendemain crée de l’insécurité, d’autant que ces lois rétroactives sont très fréquentes. Il faudrait les éviter.

Ensuite, il faudrait revoir l’ensemble du système fiscal, pour supprimer notamment les doubles taxations. Par exemple, on peut préserver l’ISF mais le globaliser avec les impositions sur les successions. Il faudrait aussi globaliser les impôts sur le patrimoine : éviter de faire payer à la fois les taxes foncières et l’ISF. La Cour des comptes a déjà évoqué cette question il y a quelques années. On a l’impression que le même flux ou le même stock est taxé à plusieurs fois. C’est un élément répulsif. Il faut vraiment réformer l’imposition du patrimoine.

Se pose également le problème de la démultiplication des cotisations sociales. Avec la CSG, la CRDS…, on arrive à un taux de prélèvement total de 15,5 % sur tous les revenus, y compris fonciers, qui est trop important. Les contribuables ont ainsi le sentiment de payer des impôts jusqu’à 80 % de leurs revenus. Ils ne supportent plus ce cumul de taxation. Réformer notre système fiscal, ce n’est pas seulement prendre deux ou trois mesures : c’est mener une réflexion de fond. Pour citer la Belgique, l’impôt sur le revenu est élevé, mais il n’existe pas d’imposition de la plus-value, ni d’ISF. La France additionne les trois, créant donc un sentiment de sur-taxation. C’est sur cela qu’il faut travailler.

M. le président. Nous vous remercions pour votre présentation et votre témoignage.

L’audition prend fin à dix-sept heures quinze.

*

* *

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mercredi 25 juin 2014 à 16 h 15

Présents. - M. Luc Chatel, M. Charles de Courson, M. Régis Juanico, M. Jean-François Mancel, M. Christophe Premat, M. Alain Rodet, Mme Claudine Schmid

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Yann Galut, M. Marc Goua, Mme Monique Rabin

——fpfp——