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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mardi 8 juillet 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 22

Vice-Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Pascal Faure, directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) au ministère de l’économie, du redressement productif et du numérique

–  Présences en réunion

Présidence
de Mme Claudine Schmid,

La séance est ouverte à seize heures quarante.

Mme Claudine Schmid, présidente. Nous recevons M. Pascal Faure, directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services – DGCIS – au ministère de l’Économie.

Outre le phénomène d’expatriation de nos concitoyens, l’objet de notre commission d’enquête est de s’interroger sur l’attractivité et la compétitivité de notre pays, notamment au travers des délocalisations ou relocalisations d’entreprises, ou sur le transfert vers l’étranger de leurs centres de décision, de certaines de leurs divisions opérationnelles ou de certains de leurs cadres dirigeants.

La DGCIS est un observateur privilégié de ces mouvements, qui ont une importance considérable pour notre économie.

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Pascal Faure prête serment.)

M. Pascal Faure, directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) au ministère de l’Économie, du redressement productif et du numérique. J’aborderai successivement le contexte général de l’expatriation, la situation de la France, les éléments d’explication ainsi que les mesures que l’on peut prendre pour infléchir les tendances constatées, en me plaçant plutôt d’un point de vue économique, en raison des fonctions qui sont les miennes.

Au préalable, je rappelle que les données et statistiques disponibles sont d’une exactitude variable et que la DGCIS est en charge, au sein de Bercy, de tout ce qui touche aux entreprises de manière à la fois sectorielle et transverse – pour ce qui concerne par exemple les politiques horizontales de soutien à l’innovation ou à la création et à la croissance des entreprises –, ce qui nous place en effet dans une situation d’observateur et d’acteur privilégié.

S’agissant du contexte général, on constate depuis vingt ans un accroissement des mouvements migratoires internationaux : il y a aujourd’hui 232 millions de migrants recensés, c’est-à-dire de personnes vivant durablement en dehors de leur lieu de résidence habituel, en général de leur pays d’origine. Au cours des dix dernières années, ce nombre de migrants a augmenté de 65 % dans les pays du nord et 34 % dans ceux du sud. Cette tendance s’est d’ailleurs accélérée lors de la dernière décennie, puisque le nombre total de migrants y a crû deux fois plus vite que lors de la précédente.

Mais, l’immigration de travail ne représente qu’une faible partie de l’immigration totale, soit 5 % en 2010 dans l’ensemble du monde, taux pouvant aller jusqu’à presque 10 % aux États-Unis. L’essentiel des phénomènes migratoires est, en effet, lié à des raisons familiales ou concerne des étudiants. On constate aussi que la part des personnes qualifiées a beaucoup augmenté ces dernières années, ce qui a des conséquences économiques importantes.

En outre, l’immigration professionnelle est circulaire, en ce sens que les gens sont mobiles et vont d’un pays à l’autre, la mobilité internationale est de moins en moins perçue dans les pays d’origine de ces flux comme une fuite de cerveaux mais davantage comme un atout, puisqu’elles permettent l’acquisition de formations et d’expériences, très valorisées au sein des élites notamment.

S’agissant de la France, on observe le même phénomène d’accélération des flux, même si ceux-ci ne sont pas toujours bien recensés, l’immatriculation des Français installés à l’étranger n’étant pas obligatoire.

On recensait ainsi 1,6 million de Français expatriés en 2013, auxquels s’ajoutent, selon les estimations, 500 000 non-inscrits, soit plus de 2 millions au total. Ce nombre s’est accru d’un tiers ces dix dernières années et a doublé en vingt ans. La tendance est régulière puisqu’on ne constate pas de rupture ou de fort infléchissement. Pour plus de la moitié des cas, nos expatriés habitent dans des pays de l’Union européenne, c’est-à-dire notre zone d’influence économique directe.

Si je compare la France à d’autres pays européens, les ressortissants français à l’étranger sont cependant en plus petite proportion que ceux de nos pays voisins, puisque le taux d’immigration est de 2,9 %, contre 5,2 % pour les Allemands, 7,6 % pour les Britanniques et 6 % pour les Italiens, pays qui connaissent également une croissance de l’expatriation.

Les cadres d’entreprise représentent 33 % et les professions libérales presque 10 %. Par ailleurs, 15 % des jeunes diplômés ont commencé leur carrière à l’étranger en 2013, phénomène qui s’accroît, ce qui me paraît assez souhaitable, l’acquisition d’une expérience à l’échelle internationale en début de carrière étant un atout pour la poursuite de celle-ci et le développement économique des entreprises, qui ont besoin de s’internationaliser pour se développer.

Si on n’a guère de statistique récente et fiable sur les flux sortants de scientifiques français, ceux-ci tendent à croître : le nombre de chercheurs établis à l’étranger est de 2 %, soit un taux moindre que pour l’Italie ou le Royaume-Uni. Ce qui me laisse à penser qu’il n’y a pas d’exil véritable de notre potentiel de recherche. Globalement, si nous accueillons plus de chercheurs que nous n’en laissons partir, ceux qui partent sont probablement les plus qualifiés ou renommés, ou parmi les plus productifs. Ainsi, en 2006 les dix biologistes français expatriés les plus productifs, aux États-Unis, publiaient autant que l’Institut Pasteur dans son ensemble.

Quant aux entrepreneurs, près de deux Français sur dix à l’étranger étaient, en 2013, des créateurs d’entreprise, contre un sur dix il y a dix ans. Mais, pour la plupart, ces personnes avaient déjà des liens avec le pays dans lequel elles ont créé leur entreprise, soit comme étudiant ou comme salarié ou parce qu’ils y ont des liens familiaux : leur départ n’est donc pas forcément motivé par cette création. En revanche, si des jeunes créent d’emblée leur entreprise à l’étranger c’est en bonne proportion parce qu’ils ne trouvent pas en France les fonds propres nécessaires.

La question est de savoir si ces flux de départ – qui sont souhaitables pour que les intéressés acquièrent des expériences et pour permettre une « respiration » naturelle de la population française – sont pénalisants pour notre économie parce qu’ils ne seront pas compensés par des flux entrants. Or, il faut constater que les investissements étrangers en France créant de l’emploi se maintiennent à des niveaux élevés en nombre de projets. Notre pays est une destination de premier ordre pour les investissements directs étrangers : 20 000 entreprises étrangères y sont installées et il y a près de 700 décisions nouvelles d’investissement étranger en France par an, après un pic de 782 en 2010, contre 630 à 690 les années précédentes.

La France est la première destination européenne pour les investissements étrangers dans l’industrie en nombre de projets, le deuxième pays d’accueil des projets d’investissement étrangers en Europe de manière générale et la deuxième destination pour le nombre d’emplois créés. L’attrait de la France me semble donc important, même s’il est perfectible, j’y reviendrai. On ne constate donc pas une dissymétrie forte entre un exil croissant et des entrées économiques peu importantes.

D’ailleurs, le poids économique des entreprises étrangères en France est essentiel : il représente 2 millions de salariés, 29 % de la recherche et développement réalisée par les entreprises et le tiers de nos exportations.

Cependant, la France, qui occupait le deuxième rang européen jusqu’en 2008 en matière d’attrait de sièges sociaux, est passée à la cinquième place : on a enregistré 18 implantations en 2013, là où le Royaume-Uni en a recensé 29, les Pays-Bas 25 et l’Irlande 24. Cette évolution interpelle, car elle peut avoir des conséquences en termes d’emploi et en termes fiscaux par perte d’assiette.

Ce qui intéresse avant tout les étrangers en France, ce sont nos infrastructures de communication et de transport et la taille de notre marché. Sont considérés à l’inverse comme des handicaps ce qui touche au coût du travail, à la fiscalité et au droit du travail. Ce qui fragilise notre pays, c’est aussi l’instabilité fiscale et réglementaire qui est jugée trop grande par rapport aux temps du cycle des investissements étrangers en France, qui ont besoin de visibilité sur huit, dix ou quinze ans.

Le cadre fiscal de la France est trop peu incitatif pour le développement et l’attrait des entreprises étrangères, notamment s’agissant de la fiscalité sur les plus-values. J’entends souvent que les créateurs d’entreprises qui réussissent et veulent revendre leur entreprise le font souvent pour continuer à créer d’autres entreprises : ils sont donc plus sensibles à la fiscalité des plus-values de cession qu’à l’impôt sur les sociétés. De plus, les prélèvements fiscaux sur les entreprises représentent 5 % du PIB en France contre 3 % en Allemagne. Il est incontestable que la France est pénalisée en la matière.

Le droit du travail français est considéré comme un frein parce qu’il est perçu comme trop complexe, notamment par les petites entreprises, et manquant de souplesse, tant à l’embauche qu’au licenciement. Il ne permet pas aux entreprises de s’ajuster facilement aux conditions de leur marché. À cela s’ajoutent d’autres freins, comme la complexité du bulletin de paye, etc.

En ce qui concerne les jeunes créateurs d’entreprise, le fait le plus déterminant qui les incite à partir à l’étranger est la difficulté d’accéder au financement pour les fonds propres dans notre pays. C’est d’ailleurs en ce qui concerne le capital-risque que l’écart est le plus grand entre ce qu’on est capable d’offrir en France et dans l’Union européenne ou aux États-Unis. Comme c’est un maillon essentiel pour le développement des entreprises, cet écart créé une appétence forte pour aller voir ailleurs. Il faut donc regarder de près ce phénomène – lié à une culture du risque moins développée chez nous – afin d’en limiter les conséquences.

Enfin, l’État a pris un certain nombre de mesures pour rendre plus attractif notre pays : la baisse du coût du travail – nous avons en effet perdu en dix ans notre avantage de compétitivité par rapport à nos voisins allemands – grâce au pacte de responsabilité et de solidarité qui s’est ajouté au crédit d’impôt compétitivité emploi – CICE ; l’accord national interprofessionnel de janvier 2013, qui a donné davantage de souplesse en matière d’embauche ; les mesures en faveur de la simplification administrative, qui est indispensable et passe notamment par la transmission en une seule fois de certaines informations par les entreprises ou la désignation d’un interlocuteur unique territorial pour les porteurs de projet qui veulent investir ; l’accord implicite de l’administration au bout de deux mois ; l’effort sur la recherche et l’innovation pour essayer de conserver et d’attirer les talents, avec les 34 projets de la nouvelle France industrielle, le crédit d’impôt recherche, les pôles de compétitivité ou le concours mondial d’innovations.

Par ailleurs, il est essentiel d’avoir dans notre pays des écosystèmes, c’est-à-dire des lieux regroupant toutes les conditions pour que la création d’activité puisse se développer de manière rigoureuse. C’est ce que cherchent les créateurs d’entreprise qui sont besoin de conseils, de partenaires académiques ou financiers,… Ces lieux existent depuis longtemps comme la Silicon Valley aux États-Unis, ou ont été créés plus récemment comme la Tech City à Londres. Même si on a déjà tous les ingrédients pour les constituer, il fallait les rendre visibles de l’étranger. D’où les démarches actuelles, notamment celle de la « French tech », consistant à labelliser et identifier ces lieux – il y en aura probablement une dizaine ou une vingtaine en France.

Si donc les flux migratoires croissent, la France n’y échappe pas, sans faire la course en tête. Au vu des mouvements entrant, elle est plutôt bien placée, mais il faut être vigilant car la compétition est très forte et il faut prendre des mesures pour développer l’attrait du pays.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je voudrais insister sur les entreprises. Au-delà de la difficulté à trouver des fonds propres, la lourdeur administrative explique-t-elle aussi le départ des jeunes de notre pays ?

Connaissez-vous les motivations des entreprises qui se délocalisent ? Avez-vous évalué les pertes d’emploi et le manque de recettes fiscales induites ?

Pensez-vous que les chefs d’entreprises se délocalisent avant la réalisation de plus-values importantes pour ne pas avoir à supporter la fiscalité qui les grève ?

Enfin, plusieurs personnes ont évoqué la problématique des contrôles fiscaux. Estimez-vous que ceux-ci peuvent expliquer que des entreprises se délocalisent ou cessent de se développer dans notre pays ?

M. Pascal Faure. Les jeunes voient le monde autrement que leurs aînés, surtout les jeunes diplômés. Aujourd’hui, dans un cursus de formation, aller à l’étranger est naturel et indispensable. Cela est même sain, car cela correspond aux standards internationaux. La culture internationale des jeunes est importante et vient conforter l’envie classique de découvrir le monde. Mais si l’accès aux fonds propres est une incitation, je ne suis pas sûr que les lourdeurs administratives soient un écueil pour eux. C’est plutôt le cas pour de grands groupes, dont les décisions d’investissement sont prises de manière très étudiée. Les cadres supérieurs français d’entreprises internationales, avec lesquels je m’entretiens régulièrement, nous disent d’ailleurs avoir besoin que l’État leur donne des outils pour défendre l’implantation en France face à leurs collègues étrangers.

Il faut distinguer la délocalisation complète, qu’il faut éviter, de la localisation volontaire au plus près des marchés à des fins de développement. Pour croître, les entreprises françaises doivent, en effet, aller chercher la croissance là où elle se trouve : alors qu’elle est faible en France, elle atteint 2 à 10 % dans les pays émergents. Faut-il parler de manque de recettes dans ce contexte ? Oui, parce que celles obtenues à l’étranger ne sont pas réalisées en France, et non, car si on n’était pas présent à l’étranger ces recettes ne seraient pas réalisées de toute façon. L’appartenance à un groupe fait que, en tout état de cause, on peut faire revenir en France la richesse accumulée par l’entreprise à l’étranger.

Il convient aussi de tenir compte de ce que l’on produit. S’il s’agit de produits qui se vendent au plus bas coût du marché, comme les vêtements d’entrée de gamme, – pour lesquels les coûts de production sont essentiels dans le prix de vente et la décision d’achat – il est clair que la France ne peut lutter à armes égales avec des pays disposant de facteurs structurels plus compétitifs. Mais, quand on monte en gamme et que l’on produit des biens et des services à haute valeur ajoutée, l’intérêt de la délocalisation n’est pas toujours avéré. Au contraire, la France retrouve là des atouts, liés au niveau de formation de ses habitants ou à la qualité de ses infrastructures.

D’ailleurs, on observe, dans un certain nombre de cas, que des entreprises de secteurs très variés qui se sont délocalisées pour bénéficier de coûts du travail plus faibles, afin de restaurer leurs marges, sont revenues en France quelques années après, car les inconvénients liés à l’éloignement géographique, à la moindre qualité du travail et à la complexité du pilotage d’une filiale à l’étranger leur ont fait perdre les gains escomptés.

S’agissant des contrôles fiscaux, ce que j’entends souvent est le fait que les entreprises n’ont pas assez de visibilité sur les règles fiscales qui est pénalisant. Les contrôles fiscaux ne sont pas gênants si on sait quelle est la règle et comment l’appliquer ; ils le sont en revanche si cette règle est incertaine, qu’elle change et qu’on ne sait comment la mettre en œuvre. Il est donc important de stabiliser au maximum les règles fiscales et de bien expliquer les modifications qui interviennent. De même, il faudrait davantage appliquer le rescrit fiscal, c’est-à-dire l’engagement que prend d’administration fiscale quant à l’application de la future règle s’agissant de l’application de la loi fiscale, etc.

M. Philip Cordery. Merci de rétablir un certain nombre de vérités. Merci également de confirmer ce que, en tant que représentant des Français de l’étranger, je constate tous les jours, à savoir que beaucoup des jeunes qui s’expatrient sont davantage dans une logique de mobilité que d’exil, terme que je n’aime pas. Nous serions heureux d’avoir des données complémentaires concernant les étrangers qui entrent en France, notamment en ce qui concerne leur pays d’origine.

M. Régis Juanico. Merci pour la qualité de cette présentation et la précision des chiffres, qui contraste avec certaines approches un peu « impressionnistes » que nous avons eu à connaître. Cela vous a permis de rétablir un certain nombre de faits, notamment sur la présence de ressortissants français à l’étranger, qui est plus faible en proportion que chez nos voisins européens, et sur l’absence d’exil de notre potentiel de recherche, même s’il faut bien sûr rester vigilant concernant notamment nos cadres les plus productifs.

Vous avez raison de préciser que la mobilité internationale est considérée comme un atout dans les cursus professionnels. Avez-vous des chiffres sur le retour des expatriés français et le délai au terme duquel celui-ci se produit ? Par ailleurs, des critères comme la qualité de vie ou celle de nos services publics entrent-ils aussi en ligne de compte dans la décision d’investir sur notre sol ?

M. Christophe Premat. Merci également pour cette présentation détaillée. Il aurait été intéressant de l’avoir dès le début, car cela nous aurait évité des discussions inutiles.

J’ai particulièrement apprécié votre distinction entre délocalisation et localisation économique et votre approche dynamique en flux entrants et flux sortants.

Je préfère aussi parler de mobilité professionnelle. À la lecture du rapport 2013 sur les relocalisations, je me posais la question de la captation des compétences : existe-t-il des stratégies identifiées, s’agissant des entreprises en matière de gestion des ressources humaines, pour cibler les personnes ayant une expérience à l’étranger ?

M. Claude Sturni. Je salue à mon tour la clarté de cette présentation. Je voudrais revenir sur deux points que vous avez évoqués.

Comment expliquez-vous notre érosion en termes d’implantation de sièges sociaux ? Le recul de notre pays est un phénomène inquiétant.

Au-delà de l’instabilité fiscale, il faut mentionner aussi le caractère parfois rétroactif de certaines décisions, qui sont incompréhensibles pour beaucoup de chefs d’entreprise. Pour les entreprises familiales, la décision de délocalisation est d’abord une décision des hommes qui les dirigent : quelles sont donc leurs motivations ?

Votre analyse des relocalisations est intéressante. Dans le choix du lieu de réimplantation en France, pourquoi le fait d’intégrer un pôle de compétitivité n’est-il jamais invoqué dans l’analyse publiée en 2013 ?

M. Jean-Marie Tetart. Vous nous avez confirmé les données dont nous disposions sur les mobilités individuelles comparées en Europe.

S’agissant des relocalisations, ce qui m’intéresse est de savoir si les facteurs d’instabilité géopolitique ou climatique jouent un rôle dans la décision de relocalisation ? J’ai, en effet, l’exemple d’un retour d’une entreprise fabriquant des verres pour l’optique dans ma circonscription, qui a pris cette décision après les grandes inondations de Bangkok.

Quels sont les temps de décision constatés en la matière ? S’agit-il de cycles de décision longs ou courts ?

Enfin, suite de l’audition précédente, pensez-vous que les contrôles fiscaux doivent être limités dans le temps ? La personne que nous recevions nous expliquait que quand ces contrôles s’éternisent cela accapare le temps du chef d’entreprise qui ne peut plus se consacrer à celle-ci.

Mme Monique Rabin. Une étude spécifique est-elle en cours sur la relocalisation des bureaux d’études ou de recherche et développement ? En effet, si une entreprise part avec son bureau d’études, elle a peu de chances de revenir.

Avez-vous des propositions de simplification dans le domaine fiscal, notamment sur les plus-values de cession, pour alimenter nos travaux ?

M. Pascal Faure. Merci pour vos appréciations.

Très souvent, sur ce sujet, on manque d’outils objectifs pour appréhender la réalité, ce qui appelle, encore une fois, une certaine prudence. En effet, quand on creuse, on s’aperçoit que la réalité ne correspond pas toujours à ce qu’on lit par ailleurs.

Je n’ai pas de chiffres sur le nombre d’Européens entrés sur notre territoire, mais je peux essayer de vous en trouver.

En revanche, on arrive à mesurer la durée de séjour en France des étrangers qui rentrent pour des raisons professionnelles pour la première fois : au bout d’un an, environ 40 % sont repartis, au bout de trois ans, 50 % d’entre eux, et au bout de sept ans, plus de 60 %. Le temps de séjour médian est donc à peu près de trois ans. On doit avoir des chiffres semblables pour les Français allant dans des pays comparables à la France.

La France dispose d’avantages majeurs, liés non seulement à la taille de son marché et à la qualité de ses infrastructures, mais aussi à celle de son système de soins et de son système éducatif – facteur important pour les cadres, qui décident du lieu d’implantation et viennent généralement avec leur famille. Or ces deux systèmes sont bien perçus à l’étranger, nonobstant les études PISA.

Les profils internationaux tendent à devenir la règle pour toutes les entreprises, françaises ou étrangères : le directeur des ressources humaines ou celui de l’exploitation sont souvent d’une nationalité différente de celle d’origine de l’entreprise. Donc, ces gens-là étudient les CV qu’ils reçoivent selon des critères internationaux. Nous avons nos critères, notamment s’agissant des diplômes même si parfois l’étranger comprend mal la hiérarchie et la renommée de certaines de nos écoles. Pour que ces profils soient compréhensibles par des recruteurs étrangers, il faut respecter un certain nombre de standards. C’est à cette condition que l’on trouvera les personnes nécessaires s’implanter et se développer à l’étranger. Il faut donc améliorer nos compétences.

Mais il faut aussi faire venir des étrangers en France, car nous avons besoin d’ambassadeurs de notre pays à l’extérieur. Former ou avoir des cadres étrangers dans nos entreprises fait de ceux-ci des potentiels acheteurs, ce qui est très important dans certains pays en développement.

S’agissant des sièges sociaux, il faut aussi prendre les chiffres avec prudence. La perte d’attrait depuis 2008 tient aux handicaps que j’ai cités, mais aussi au déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale hors d’Europe. Quoi qu’on en pense, les entreprises sont obligées de regarder cela. L’exemple de Schneider le montre : cette société se développe en Asie. Même si le siège est resté en France, le siège opérationnel, lui, s’est déplacé en Asie. Nous sommes dans une phase de l’histoire économique qui fait que, toutes choses égales par ailleurs, d’autres zones du monde sont plus attrayantes que nous.

Quant aux entreprises familiales, elles sont dans une logique particulière. Elles ont un rapport aux capitaux et à la transmission atypique. Elles ont du mal à ouvrir les premiers à des tiers car la famille craint de perdre la maîtrise de l’entreprise. Ces entreprises sont confrontées à un problème de générations, car les jeunes générations ne sont pas prêtes à reprendre le flambeau. Cela rend l’ouverture indispensable, sinon cela peut conduire soit à leur fragilisation puis à leur reprise par des investisseurs étrangers, soit à leur disparition progressive. Certaines entreprises familiales ont du mal à évoluer. Quand vous avez créé votre entreprise, vous avez du mal à la transformer par rapport à l’idée que vous vous en êtes faite à l’origine. Leur défi est aujourd’hui de diversifier leurs capitaux et leur management.

Il est vrai que les entreprises ne se réimplantent pas toujours à l’endroit où elles étaient localisées avant leur départ. J’ai le souvenir de certaines qui se sont relocalisées dans un site où le coût de l’énergie était bien moins cher que là où elles étaient initialement. Nous avons d’ailleurs développé un outil, qui s’appelle Colbert 2.0, permettant, à partir d’un certain nombre de paramètres, de mesurer l’intérêt qu’il y a à se relocaliser en France.

Les instabilités géopolitiques et climatiques sont en effet un facteur de retour car la raison guidant la décision de délocalisation était l’opportunité de marché. Mais une fois installé à l’étranger, on est confronté aux difficultés opérationnelles : ce sont les facteurs de coût et de production qui prennent le dessus et on peut prendre conscience de difficultés qu’on avait sous-estimées au moment du départ, ce qui peut inciter à revenir. J’ai en tête l’exemple d’une entreprise fabriquant des équipements en fonte ou en acier en Asie, qui a préféré revenir en raison d’une moindre qualité du travail sur place et de problèmes d’approvisionnement.

S’agissant des contrôles fiscaux, je pense que les procédures administratives en général doivent être conduites dans des délais maîtrisés, car les entreprises ont des temps de cycles opérationnels très courts. Dans un monde ouvert l’excellence administrative exige de répondre dans des délais courts. C’est la raison pour laquelle la décision d’accord implicite de l’administration au bout de deux mois me paraît indispensable. Toute mesure qui s’inscrit dans une limite de temps donnée offre de la visibilité à l’entrepreneur et doit donc être recherchée, sans dégrader pour autant la qualité du travail administratif bien sûr.

Enfin, il faut essayer de garder les bureaux d’études en France, car ils ne sont pas liés à l’accès aux marchés ni à un gain logistique. Pour la recherche appliquée, les mécanismes tels que le crédit d’impôt recherche étendu au crédit d’impôt innovation ou le dispositif des jeunes entreprises innovantes, qui rendent notre territoire attrayant, doivent être maintenus, car ils permettent aussi de conserver durablement le siège social.

Mme Claudine Schmid, présidente. Quelle interprétation faites-vous du départ à l’étranger d’un nombre grandissant de cadres dirigeants des entreprises du CAC 40 relaté par la presse ?

M. Pascal Faure. Il faut avoir en tête que les cadres sont internationalement mobiles. Quand ils appartiennent à un grand groupe, ils savent qu’ils auront à se déplacer beaucoup. Mais ils peuvent aussi se poser la question d’une optimisation personnelle, les conduisant à penser qu’ils pourront améliorer leur niveau de vie ou d’imposition en partant à l’étranger. Il s’agit d’une véritable menace. Cela dit, de manière générale, les Français restent attachés à leur pays. Mais les sirènes sont incontestables.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mardi 8 juillet 2014 à 16 h 45

Présents. - M. Étienne Blanc, M. Philip Cordery, M. Christian Franqueville, M. Régis Juanico, M. Christophe Premat, Mme Monique Rabin, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Luc Chatel, M. Yann Galut, M. Marc Goua

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