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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mercredi 16 juillet 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 26

Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno PARENT, directeur général de la Direction générale des finances publiques (DGFiP)

–  Présences en réunion

Présidence
de M. Luc Chatel,

La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.

M. le président Luc Chatel. Nous recevons aujourd’hui M. Bruno Parent, directeur général de la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui vient de prendre ses fonctions, accompagné de plusieurs de ses collaborateurs : M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale, Mme Lorraine Aeberhardt, chef du bureau des études statistiques en matière fiscale, et M. Édouard Marcus, sous-directeur des affaires européennes et internationales.

Monsieur le directeur général, vous savez que notre commission d’enquête s’intéresse à l’exil de nos forces vives, qu’il s’agisse des centres de décision, de l’exode de nos jeunes. Nous nous intéressons naturellement à l’exil fiscal et c’est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre.

Avant de vous donner la parole, et en application de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Bruno Parent, Bruno Rousselet, Édouard Marcus et Mme Lorraine Aeberhardt prêtent serment.)

M. Bruno Parent, directeur général de la direction générale des finances publiques (DGFiP). L’exil fiscal est un sujet bien connu de la DGFiP car cela fait plus d’une décennie que l’on réfléchit à ces questions. Et, en dépit des progrès qu’on a pu accomplir, c’est toujours un sujet aussi difficile techniquement.

Plusieurs raisons y concourent. D’abord, notre système d’information a pour objet la gestion fiscale, et non la statistique sur les éventuels exils fiscaux. En faisant écho au questionnaire que vous nous avez fait parvenir, auquel nous allons répondre dans des délais brefs, la distinction entre un national et un étranger n’existe pas dans les fichiers fiscaux. Voilà déjà un premier exemple des failles de notre système d’information. De même, certaines informations ne sont disponibles qu’à l’issue d’un cycle de traitement qui peut être considéré comme long. Pour quelqu’un de connu à l’impôt de solidarité sur la fortune – ISF – en juin 2012 et qui, pour des raisons diverses, ne se trouverait plus être déclarant à cet impôt en juin 2013, il ne sera possible de comprendre sa situation – s’agit-il d’une défaillance ? D’un départ à l’étranger ? Y-a-t-il des biens taxables en France ? – qu’après un dialogue avec lui, qui n'interviendra qu’à l’automne 2013 et se dénouera éventuellement en 2014 : ce n’est donc qu’en 2014 au mieux qu’on y verra clair sur un départ éventuel intervenu au deuxième trimestre 2012. Ces délais sont aussi des garanties pour le contribuable évidemment.

Troisièmement, la fiabilité de certains éléments que l’on peut porter à votre connaissance est parfois très imparfaite. Aussi, pour les non-résidents imposables à la taxe d’habitation ou à la taxe foncière sur notre territoire, nos fichiers sont faits de telle sorte que l’on va compter autant de contribuables qu’il a de biens sur le territoire. On aboutit donc à une majoration de nos chiffres.

Le plus difficile est de passer en quelque sorte de la photographie au film. Si on peut affirmer qu’au titre de telle année, X contribuables, qui autrefois payaient Y d’impôt sur le revenu, se sont délocalisés, on ne peut additionner – ce serait une aberration – les cohortes ainsi constatées et en déduire sur une longue période l’importance de l’impôt sur le revenu perdu par le budget de l’État.

Ce sont de vraies difficultés que nous n’avons pas réussi à surmonter comme les difficultés de recoupement, notamment avec les éléments dont dispose le ministère des Affaires étrangères au travers des consulats. Il n’y a pas d’identifiant commun et il n’y a donc pas de possibilité de faire des travaux statistiques de qualité.

Il faut trouver un équilibre entre le souhait d’améliorer la connaissance statistique d’un phénomène et les obligations pesant sur les contribuables. Nous ne questionnons pas ceux-ci de manière détaillée sur des éléments éventuellement utiles pour cette analyse, en particulier pour les biens professionnels qui sont exonérés d’ISF.

Enfin, on ne peut être que frappé par l’amalgame fait médiatiquement entre départ à l’étranger et motivation fiscale, celle-ci existe mais elle n’explique pas toujours ce départ et n’est pas exclusive d’autres motivations. Le passage entre les statistiques brutes et les conclusions à en tirer au regard de notre système fiscal doit donc être abordé avec prudence.

M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale. Je vais préciser le processus qui nous amène à mesurer l’exil fiscal, c’est-à-dire à connaître les personnes qui à un moment donné figurent dans notre système d’information et sont taxées comme résident de France et qui, dans le cycle de gestion suivant, ne le sont plus, soit parce qu’elles sont taxées comme non résident ou ne le sont plus du tout. Notre système de gestion est orienté, non vers le suivi statistique, mais la gestion de l’impôt avec le plus de facilités possible tant pour l’usager que pour nos services. Nous manquons donc de l’instrument ultime que constituerait un pointeur à la frontière permettant de mesurer exactement l’exil fiscal.

Un outil de ce type a existé jusqu’en 2004 sous la forme d’une déclaration intermédiaire au moment du départ pour l’impôt sur le revenu, au titre d’une législation remontant à 1941 : il fallait faire une déclaration provisoire dans les dix jours précédant la demande de passeport, puis, après la modernisation du dispositif dans les années 1990, trente jours avant le transfert du domicile. Mais comme ce dispositif était peu connu et peu utilisable par nos services, puisque les règles d’imposition ne sont connues traditionnellement qu’en fin d’année, il ne fonctionnait pas, ce qui a conduit à le supprimer en 2004 à des fins de simplification.

Le système en vigueur aujourd’hui prévoit que l’année du départ, une déclaration de droit commun est faite au titre de l’année précédente, avec une petite particularité : si l’intéressé est parti avant la date de la déclaration, on lui accorde le délai des non-résidents pour la déposer – par exemple jusqu’au 30 juin cette année. Quand, l’année suivante, il déclarera les revenus de l’année du départ, il remplira un formulaire de droit commun pour la période précédant le départ et un autre spécifique pour celle le suivant. C’est à ce moment-là que le service transmettra le dossier pour gestion à la direction spécialisée dans le suivi des non-résidents. Mais cette procédure de transfert de dossier n’aura lieu que dans la mesure où des revenus de source française existeront après le départ et que l’intéressé continuera à être redevable de l’impôt en France. Dans le cas contraire, le dossier restera dans le service d’origine en quelque sorte pour mémoire.

Pour l’ISF, c’est à peu près le même mécanisme, puisque les rythmes déclaratifs sont semblables.

En revanche, l’exit tax a introduit une grande nouveauté, mais à géométrie variable. Selon que le départ se fait pour l’Espace économique européen ou un pays plus lointain, les formalités déclaratives sont différentes : dans le premier cas, le schéma est semblable à celui de l’impôt sur le revenu classique, avec une déclaration au courant de l’année suivante, alors que, dans le second, il faut remplir des déclarations spécifiques avant le départ, avec la possibilité d’acquitter l’impôt dû au titre de l’exit tax ou d’en obtenir le sursis sous réserve de produire des garanties. Se noue alors un dialogue avec la direction de gestion qui permet de réaliser un comptage précis en assiette, en nombre et en montant de recouvrement.

C’est à partir de cette masse d’informations assez disparate que sont menés les travaux essentiellement au sein de la direction des non-résidents et des bureaux statistiques de la direction générale pour arriver à collationner la matière et faire les recoupements de suivi des personnes pour réaliser les rapports que nous demande le Parlement sur le suivi de l’exil fiscal. Nous travaillons ainsi aujourd’hui à cet effet sur les départs de 2012.

M. le président Luc Chatel. Je ne suis pas sûr qu’on se soit bien compris. Notre commission ne travaille pas sur les procédures existantes pour mesurer l’exil fiscal, mais sur le fond du phénomène. Autrement dit : quels sont les éléments dont vous disposez sur le comportement des contribuables et son évolution et sur l’impact de telle ou telle mesure fiscale depuis dix ans sur leur comportement ? Le nombre d’assujettis à l’impôt sur les sociétés – IS – a-t-il baissé par exemple ? Quels sont les premiers éléments sur l’exil fiscal en 2012 ? Comment voyez-vous le système fiscal français par rapport à celui d’autres pays ? La comparaison avec les systèmes étrangers permet-elle de dégager des grandes lignes ?

M. Bruno Parent. Il est très difficile de rattacher une mesure fiscale précise à un comportement supposé des contribuables. Nous pouvons vous donner des chiffres sur les séries, mais celles-ci ne présentent pas de rupture et témoignent de beaucoup de continuité : l’idée de pouvoir mesurer l’impact de tel ou tel dispositif est donc probablement illusoire.

Avec la grande subjectivité qui s’attache à ces sujets, reste un certain nombre de témoignages, notamment d’avocats fiscalistes, qui évoquent des comportements qu’ils peuvent constater dans leur clientèle et qui insistent sur la nécessité d’une stabilité des dispositions fiscales. Ce n’est pas, il est vrai, la caractéristique première de notre pays. Je ne dis pas que les législations des autres pays le soient réellement, mais cela reste une particularité de notre pays. Il y a toujours l’idée que telle disposition, à supposer qu’elle soit jugée plus favorable que la législation antérieure, est susceptible d’être remise en cause dans un délai relativement bref, ce qui pourrait aussi expliquer une certaine continuité dans les comportements.

M. Bruno Rousselet. Pour l’exit tax, le champ a tellement varié qu’on a du mal à avoir des données comparables, mais les départs de 2012 sont estimés à 300 foyers et ceux de 2013, à ce jour, à 147, ce nombre étant encore susceptible d’augmenter en fonction des données encore à venir. Dans le dispositif antérieur, ces résultats étaient plus faibles, de l’ordre de 26 à 73 départs.

M. le président Luc Chatel. Qu’en était-il en 2011 ?

M. Bruno Rousselet. On a enregistré 169 départs.

M. le président Luc Chatel. Quels sont vos premiers éléments d’analyse ?

M. Bruno Rousselet. Il y a d’abord un effet de champ, les critères d’éligibilité ayant été sensiblement élargis, ce qui accroît le nombre enregistré.

Quant à l’intention des intéressés, elle ne peut être sondée par l’imprimé déclaratif. Ils recouvrent des populations très variées, parmi lesquelles 80 % de salariés en 2011 : il ne s’agit donc pas seulement de personnes très fortunées. 55 % sont constituées de foyers avec au moins un enfant et 70 % perçoivent des revenus de capitaux mobiliers.

M. le président Luc Chatel. Quel est le niveau de patrimoine moyen de ces 300 foyers ?

Mme Lorraine Aeberhardt, chef du bureau des études statistiques en matière fiscale. Nous n’avons cette donnée que pour les foyers également soumis à l’ISF.

M. le président Luc Chatel. De mémoire, le calcul de l’exit tax se fait sur la base du patrimoine.

Mme Lorraine Aeberhardt. On peut vous donner les plus-values totales déclarées pour ces 300 foyers : elles s’élèvent à 2,657 milliards d’euros.

M. le président Luc Chatel. Mais vous pouvez reconstituer le patrimoine à partir des plus-values.

Mme Lorraine Aeberhardt. Pour la partie plus-values, mais pour tout ce qui concerne le patrimoine immobilier ou autre, on ne peut le reconstituer que pour les personnes également soumises à l’ISF.

M. Yann Galut, rapporteur. Mes remarques ne sont pas polémiques, ni ne remettent en cause l’excellence du travail fourni par vos services.

Cependant, nous sommes confrontés à deux problématiques : celle de la mesure de l’exil fiscal et celle de l’analyse du phénomène.

Je sais combien il est difficile de réaliser cette mesure – un de vos prédécesseurs en faisait déjà état en 2001 – et la subjectivité à laquelle elle peut donner lieu dans l’opinion publique ou chez les parlementaires, compte tenu des professionnels qui viennent nous voir ou nous sollicitent. Je me souviens avoir reçu un avocat fiscaliste m’indiquant que le nombre des dossiers qu’il traite avait été multipliée par 5. En poursuivant la conversation, il a admis qu’il ne s’agissait pas de départs effectifs mais de consultations ou demandes de renseignement. Mais, quand nous avons interrogé votre prédécesseur il y a un an et demi au sein de la commission des Finances sur la mesure de l’exit tax, on avait l’impression que vous n’aviez pas la capacité d’avoir des chiffres précis. Avez-vous maintenant un dispositif vous permettant de le faire, pour l’exit tax comme pour les plus-values ? Il serait intéressant par exemple de savoir si les 2,6 milliards d’euros cités pour 2011 ont augmenté les années suivantes. J’ai bien compris la question du décalage d’un an à un an et demi pour disposer des chiffres, mais a-t-il été réduit et pourra-t-il l’être encore ?

Par ailleurs, je sais que ce n’est pas votre rôle premier, avez-vous une cellule travaillant sur l’analyse et la prospective ? Cela renvoie à la question de la réalisation des études d’impact des mesures envisagées.

Qu’en est-il de la comparaison avec les autres pays européens ? Arrivent-ils à mieux mesurer l’exil fiscal, qui les touche autant, voire davantage que nous ? Avez-vous des échanges avec eux ?

Enfin, avez-vous des statistiques sur les contribuables étrangers venant s’installer en France en fonction de leur revenu ? Quel est le solde entre ce phénomène et l’exil fiscal ?

M. Bruno Parent. Nous n’avons pas de cellule prospective, ce qui ne nous empêche pas de nous poser des questions et d’être aussi frustrés que vous de la faiblesse de nos réponses. Les ministres successifs se sont également posé ces questions, notamment quand il s’agit d’adopter une nouvelle mesure. Mais vous savez bien qu’on ne peut y répondre clairement, encore moins en matière de délocalisation. Sur ce point, nous sommes extrêmement démunis sauf à interroger chaque délocalisé, à supposer qu’il soit sincère dans ses réponses.

Il y a cependant un faisceau d’indices : quand la pression fiscale augmente ou que l’on diminue la période pendant laquelle il faut rapporter les donations aux successions, par exemple, cela peut induire une propension au départ. Mais, nous sommes absolument incapables de faire des comparaisons terme à terme : telle mesure sur les successions a eu tel impact, etc.

Il est clair qu’il est difficile de faire des réponses documentées. Les témoignages extrêmement divers que l’on peut recueillir par ailleurs ne peuvent permettre une analyse sérieuse. Nous sommes donc assez démunis. Et chaque fois qu’on essaie d’y réfléchir, on y met toutes les forces nécessaires sans pouvoir toujours y parvenir.

Reste que nous vous apporterons des éléments sur les retours et les systèmes étrangers.

M. Bruno Rousselet. S’agissant de l’exit tax, nous disposons d’une liste nominative de contribuables que nous gérons et qui nous permet de faire des statistiques sur tous les éléments déclarés et d’en tirer des profils d’âge et de situation de famille ou professionnelle. Si on peut repérer des personnes appelées à travailler à l’étranger dans le cadre de leur carrière, on ne peut déterminer si ce départ a été motivé ou freiné par l’existence de cette taxe. L’outil à notre disposition, encore balbutiant parce que nous manquons de recul, permet de suivre les plus-values sur quinze ans.

Mme Lorraine Aeberhardt. Je précise qu’on a enregistré 169 départs en 2011 pour un montant cumulé de plus-values d’1,890 milliard d’euros, contre 300 départs en 2012 pour un montant de 2,657 milliards.

M. le rapporteur. La donnée de 2011 ne porte pas sur l’année complète, mais sur les neuf-douzièmes de celle-ci.

Mme Lorraine Aeberhardt. En effet.

À titre d’exemple, sur les 300 foyers de 2012, 188 foyers sont redevables à l’ISF pour un montant moyen d’actifs de 13 millions d’euros, mais il faut considérer ces chiffres avec précaution car cet échantillon est réduit.

Sur les retours, la direction des non-résidents a mis en place un outil de suivi des retours des personnes assujetties à l’ISF. Ces retours se sont stabilisés depuis trois ans à une centaine de personnes, contre environ 200 en 2008-2009. Quant aux départs relatifs à l’ISF, qui sont à champ constant, ils s’élèvent à environ 500, chiffre qui est relativement stable. Mais nous n’avons pas les moyens d’évaluer les retours pour l’exit tax et l’impôt sur le revenu.

M. le président Luc Chatel. Quel est le flux du nombre d’entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés ? Il est clair, en effet, que les décisions de grands groupes de se délocaliser ont des conséquences sur cet impôt.

M. Bruno Parent. L’approche statistique sur l’impôt sur les sociétés ne permet pas de dégager une tendance : 1,4 million d’entreprises en sont redevables en France ! Bien sûr, nous avons connaissance, par la presse notamment, d’éventuelles délocalisations de sièges sociaux, mais sur la base d’une telle cohorte, il est impossible de déceler statistiquement quelque chose !

S’agissant des retours, celui qui revient de l’étranger avec un patrimoine important qui le rend redevable à l’ISF ne sera pas toujours compté dans ceux-ci car au départ il n’y était peut-être pas assujetti. Le fait qu’un contribuable ait accru son patrimoine après un séjour à l’étranger est un phénomène économique digne d’intérêt, mais on ne peut le voir dans nos chiffres. Comme vous, c’est un exemple de plus de l’humilité dont on fait preuve à l’égard des questions que nous nous posons, comme vous.

Pour progresser dans la connaissance de ces phénomènes, je ne vois guère d’autre moyen que d’imposer de nouvelles obligations déclaratives, mais est-ce souhaitable sachant qu’il y a un équilibre à trouver, surtout dans le contexte actuel de simplification que chacun appelle de ses vœux. Vous le savez, l’administration sait inventer des dispositifs déclaratifs de toute nature. Il revient à la représentation nationale d’en juger.

M. Frédéric Lefebvre. Le dispositif de l’exit tax a été mis en place par le précédent Gouvernement et poursuivi voire durci par l’actuel. Nous sommes donc censés avoir un consensus au sein de notre assemblée sur une telle mesure.

Mais lorsque j’étais membre du précédent Gouvernement, je m’étais inscrit en faux contre cette démarche, que je réprouve dans son principe. En effet, vous venez de le dire : l’administration fiscale invente en permanence avec le Parlement des mesures contraignantes alors que nous sommes dans un champ concurrentiel et qu’il ne serait pas absurde de réfléchir à des dispositifs attractifs, notamment quand il s’agit d’acteurs économiques, comme c’est le cas pour l’exit tax. Je rencontre ainsi régulièrement par exemple des jeunes Français créateurs de start-up, qui ont décidé que ce n’était plus en France qu’il fallait faire prospérer leurs idées et leurs entreprises afin de ne plus réaliser leur plus-values en France. Or cette déperdition pour notre pays n’est pas mesurable et vous ne la mesurerez jamais.

Je suis frappé par le côté inquisitorial de votre démarche, qui caractérise aussi celle de cette commission d’enquête. En témoigne votre interrogation sur de nouvelles obligations déclaratives à l’heure de la simplification. Dans un monde et une économie globalisées, il faut au contraire essayer d’être plus attractif.

De plus, on a tendance à considérer qu’un citoyen qui reste en France, y gagne de l’argent et y paie des impôts est bon citoyen alors que celui qui décide de partir à l’étranger est mauvais citoyen, ce qui correspond à une logique de culpabilisation.

Or, j’aimerais vous faire une liste non exhaustive des situations d’injustice fiscale dans lesquelles sont plongés nos compatriotes à l’étranger, dont beaucoup y sont sans l’avoir vraiment choisi, sur ordre de leur entreprise notamment. Ils sont pourtant assujettis à la CSG-CRDS sur les plus-values immobilières ou les revenus fonciers. Soit ils laissent leur logement vacant et ils doivent faire face au système de taxe sur les logements vacants instauré par la loi Duflot, soit ils louent afin souvent de payer les études parfois très chères de leurs enfants à l’étranger et ils se retrouvent avec 100 % d’augmentation de ce qu’ils ont à payer sur les revenus fonciers. Et s’ils décident de le vendre, ils ont 50 % d’augmentation sur la plus-value. Alors qu’une procédure européenne est dirigée contre la France – le secrétaire d’État chargé du budget a accepté de me permettre d’animer un groupe de travail à ce sujet pour trouver une solution, la condamnation de notre pays paraissant inévitable –, nous sommes dans un phénomène de quasi-traque à l’égard de personnes honnêtes qui n’essaient pas d’échapper à l’impôt ou de quitter définitivement la France. D’autant que les États-Unis et le Canada ne sont pas des paradis fiscaux : il suffit de comparer ce que paie un citoyen français vivant à New York en impôts et taxes par rapport à ce qu’il paierait à Paris pour s’en rendre compte.

Parmi les autres dispositifs dissuasifs, on peut citer aussi le « Scellier-Duflot », le fait que certaines charges ne sont plus déductibles, comme les pensions alimentaires. Sans parler de la fiscalité sur les retraites : j’observe aux États-Unis un phénomène qui se développe, celui de ceux que j’appelle les « prisonniers de la retraite », qui tout au long de leur carrière ont travaillé à l’étranger avec la volonté de revenir en France prendre leur retraite, mais qui, du fait de l’exit tax américaine ajoutée à tout ce que nous avons inventé, ne peuvent plus le faire, sinon ils n’ont plus les moyens de vivre décemment.

On pourrait également évoquer le dispositif sur les représentants fiscaux accrédités pour les déclarations de plus-values – que l’on pourrait faire évoluer comme l’ont fait d’autres pays européens –, la redevance audiovisuelle imposée à nos expatriés alors que la France, contrairement à la BBC, trouve le moyen d’empêcher l’accès depuis l’étranger aux programmes de France Télévision, mais aussi la dernière mesure inventée par le Gouvernement en matière de bourses, qui intègre les droits à la retraite acquis dans un système de retraite par capitalisation à l’étranger dans les revenus pour déterminer s’ils ont droit à celles-ci. Certains sont de ce fait dans l’incapacité de scolariser leurs enfants.

Avec tous ces dispositifs, c’est donc tous ceux qui veulent simplement réussir et porter l’image de la France dans le monde, ou qui partent sans l’avoir choisi, qui se trouvent pénalisés par une jungle fiscale inquisitoriale, fondée sur la contrainte plutôt que l’attractivité.

M. Bruno Parent. Beaucoup d’éléments de votre description relèvent de la législation, qu’il ne m’appartient pas de commenter davantage.

Si les termes « inquisitorial » et « quasi-traque » portaient sur le comportement de l’administration, mais je ne crois pas que cela soit le cas, ils me paraîtraient pour le moins inappropriés.

En matière d’attractivité, un certain nombre de dispositifs ont été adoptés par le Parlement, notamment s’agissant des impatriés. Ces dispositions accordent à une dizaine de milliers de salariés, d’origine étrangère notamment, des facilités fiscales importantes en matière d’impôt sur le revenu en particulier ; elles vont probablement contribuer à l’implantation de sièges sociaux ou au gonflement des effectifs au sein de sièges existant déjà. Il appartient aux responsables politiques de réfléchir à ce qui peut être fait de plus dans ce domaine si cela leur paraît souhaitable.

Quant à la taxe sur les logements vacants, qui n’est pas de la même ampleur que la législation sur les plus-values, elle est ancienne et ne date pas de la loi Duflot : elle s’applique d’ailleurs indifféremment aux expatriés et aux autres citoyens – sachant que beaucoup de circonstances de la vie font que, sans quitter le territoire national, on peut être amené à laisser un logement vacant. Cela ne me semble pas spécifique aux Français expatriés.

M. Frédéric Lefebvre. Quand vous ne pouvez plus louer un bien, le vendre ou le laisser vacant, il n’y a plus de choix.

Si je mets en cause la législation, et non les fonctionnaires, il ne vous a pas échappé que le devoir de l’administration est de faire des études d’impact, qui sont obligatoires. Or, ce que l’on constate est l’incapacité de celle-ci à mesurer l’impact des dispositifs fiscaux, alors que son rôle serait d’alerter le Gouvernement et le Parlement au travers de ces études sur les dangers de mesures pouvant être prises à l’aveugle. Ce doit être la responsabilité de l’administration aujourd’hui. Ces études sont souvent très mal faites et l’administration n’est pas à même de nous dire l’effet des législations appliquées depuis trois ou quatre ans. Ne devrait-on pas considérer, dans un pays démocratique, lorsqu’on a un dispositif dont un certain nombre de capteurs montre les effets négatifs et dont on est incapable de mesurer l’impact exact, qu’il y a lieu de se poser certaines questions. Bref, je dénonce un système dans lequel Parlement et Gouvernement inventent des dispositifs, pour faire de l’affichage, qui sont soi-disant plus contraignants mais ont des effets négatifs qu’on est incapable de mesurer et dont on ne se donne pas les moyens pour le faire.

M. Bruno Parent. Vous dites qu’on est incapable de les mesurer – ce que nous avons admis avec humilité et transparence, notamment aujourd’hui – et qu’on ne s’en donne pas les moyens. C’est sur ce dernier point que je veux réagir. Depuis le temps que ces questions sont posées par tout le monde, s’il y avait une manière simple d’y répondre avec sérieux, nous nous en serions tous emparés.

M. Frédéric Lefebvre. Il y en a : changeons de logique et entrons dans une société de confiance en essayant d’être attractifs sur le plan fiscal ! C’est le cas du rescrit par exemple, qui est vécu par l’administration comme quelque chose de terrible. Je sais combien, lorsque j’étais ministre et devais conduire des réformes, j’ai rencontré d’oppositions au sein de l’administration, car le rescrit oblige celle-ci à se prononcer à l’avance. Au lieu d’avoir des textes clairs et de chercher l’attractivité et la confiance, on construit la société que l’on connaît, avec une sorte de police fiscale, alors qu’on ne pourra jamais être suffisamment contraignant dans un monde libre pour empêcher tel ou tel contribuable de quitter notre pays.

M. le rapporteur. Contrairement à ce que vous venez de dire, monsieur Lefebvre, j’ai l’impression que beaucoup de pays européens et les États-Unis contrôlent étroitement leurs citoyens. J’ai d’ailleurs souhaité qu’on s’inspire du système américain avant de me rendre compte combien c’était difficile. Rappelons que les citoyens américains payent leurs impôts aux États-Unis quel que soit leur lieu de résidence, sachant que leur police fiscale est extrêmement puissante, comme l’a montré l’affaire UBS, et que les sanctions y sont beaucoup plus sévères que chez nous. La France ne doit donc pas être présentée comme un pays de persécution, de complexité ou de dureté.

Avez-vous des discussions avec les autres administrations fiscales des pays européens sur leur fonctionnement, sachant qu’on peut se nourrir aussi des bonnes pratiques ? En tant que rapporteur du projet de loi sur la fraude fiscale, j’ai constaté que, malgré des progrès, nous restons parfois très en retrait par rapport aux pratiques de certains de nos partenaires.

M. Marc Goua. Je voudrais intervenir dans le sens du rapporteur. Pour avoir travaillé dans le monde des finances, je ne pense pas qu’il y ait d’inquisition particulière dans notre pays. Et des exemples récents montrent que le modèle d’un pays des Bisounours appliqué à la fiscalité n’est pas valable. Il ne s’agit pas naturellement de décourager nos ressortissants d’aller investir à l’étranger ni les investissements étrangers en France, mais faisons attention à ne pas présenter notre administration comme particulièrement dure, difficile et interprétant à sa manière les textes que nous avons adoptés

M. le président Luc Chatel. Pouvez-vous nous communiquer les données sur les sièges sociaux ?

M. Édouard Marcus, sous-directeur des affaires européennes et internationales. La comparaison internationale est rendue complexe par le fait que, d’abord, on ne compare pas seulement des mesures fiscales, mais des contextes généraux de situations, de services publics ou de charges, parmi lesquelles on peut distinguer les charges sociales, fiscales ou d’éducation.

Par ailleurs, nous sommes dans un contexte très ouvert, où la circulation est rendue possible par des moyens matériels, financiers et juridiques dans l’Union européenne, alors que parallèlement les systèmes fiscaux ne sont pas forcément harmonisés.

Dans ce contexte, comment les choses se présentent-elles ?

Il faut donc regarder chaque dispositif isolément. Le système français comporte des mesures d’attractivité ou de compétitivité, soit parce qu’elles ont été conçues en ce sens ou aboutissent à de tels effets, mais dans d’autres cas, d’autres pays sont plus attractifs ou compétitifs. Dans la pratique, tout cela dépend des situations et les choses peuvent beaucoup varier en fonction des facteurs pris en compte par les différents systèmes fiscaux.

Si les fiches d’impact peuvent parfois décevoir, on passe pourtant beaucoup de temps à les élaborer. L’ensemble des conséquences des objectifs de la politique fiscale est pris en compte par elles, mais ce travail n’est pas simple. Et des groupes de travail comme celui que M. Eckert a annoncé sur les Français de l’étranger permettent d’approfondir certains sujets avec les parlementaires.

À côté du dispositif des impatriés – pour lequel existent des dispositions empêchant une présence sur le territoire à éclipses en vue de bénéficier du système – prévalent des régimes pour ceux qui étaient résidents et ne le sont plus. Si la France dispose de l’exit tax, dans plusieurs autres pays existent des dispositifs ayant le même objet. Tel est le cas de l’impôt américain sur la nationalité, qui permet de suivre fiscalement à vie les nationaux américains à certaines conditions naturellement. En Allemagne, en Italie et en Espagne, des systèmes permettent de continuer à suivre fiscalement les anciens résidents sous certaines conditions, allant du type de territoire où ils vont au lien avec le territoire de départ
– au même titre que notre régime d’exit tax.

S’agissant du suivi, nous vous remettrons une fiche détaillée sur les systèmes étrangers, mais en Allemagne, les Länder transmettent chaque année au ministère des finances le nombre de personnes soumises au système de résidence continue, c’est-à-dire qui sont à l’étranger mais continuent d’être considérées comme quasi-résidents en Allemagne : il y en aurait une centaine par an.

M. Bruno Parent. Nous regarderons ce que nous pourrons vous transmettre sur les sièges sociaux.

Il existe en fait trois types de régimes : le régime américain, qui pratique une sorte d’impôt mondial, qui n’est pas dans la tradition juridique française ; les régimes intermédiaires, dans lesquels, lorsque les gens partent, on fait comme s’ils étaient encore là pendant un certain temps ; le régime français, que vous connaissez. Ce sont donc vraiment des choix de politique fiscale très profonds qui sont sous-jacents à ces questions.

Enfin, je précise que l’administration fiscale est très favorable au rescrit, depuis de longues années. Nous regrettons seulement que les dispositifs de rescrit promus par nous ne soient pas davantage utilisés. Cette mesure qui engage l’administration – même si elle commet une erreur – et qui sécurise le contribuable est indispensable. Il n’y a aucune hésitation là-dessus. J’ai moi-même publié beaucoup d’articles en ce sens lorsque j’étais directeur général des impôts.

M. le rapporteur. J’aimerais que vous me fassiez parvenir une note sur la manière dont on pourrait élaborer des obligations déclaratives de sortie, sans revenir forcément au dispositif supprimé en 2004.

M. le président Luc Chatel. Je vous remercie.

La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mercredi 16 juillet 2014 à 10 h 30

Présents. - M. Luc Chatel, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Frédéric Lefebvre

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Philip Cordery, M. Christian Franqueville, M. Yves Goasdoué, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, Mme Sophie Rohfritsch, M. Claude Sturni, M. Jean-Marie Tetart

——fpfp——