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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Jeudi 17 juillet 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 28

Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Bogacki, éditeur du site et du magazine Lux-Residence, de M. Laurent Demeure, président de Coldwell Banker France, de M. Émile Garcin, fondateur et président de la société Émile Garcin, accompagné de M. Philippe Boulet, directeur des agences du sud de la France de la société Émile Garcin, de M. Charles-Marie Jottras, président de la société Daniel Féau, et de M. Thibault de Saint-Vincent, président de Barnes

–  Présences en réunion

Présidence
de M. Luc Chatel,

L’audition commence à dix heures dix.

M. le président Luc Chatel. Nous recevons ce matin les professionnels de l’immobilier haut de gamme de notre pays. Depuis plusieurs mois, notre commission d’enquête a eu l’occasion d’évoquer l’exil des jeunes, le départ de nos centres de décision et les questions fiscales. Si nous avons souhaité, messieurs, vous auditionner, c’est que nous avons eu vent d’un phénomène nouveau – le départ de personnes au patrimoine élevé – qui déstabilise le marché de l’immobilier.

Avant de vous laisser la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ».

(MM. Philippe Bogacki, Laurent Demeure, Émile Garcin, Philippe Boulet, Charles-Marie Jottras et Thibault de Saint-Vincent prêtent serment.)

M. Philippe Bogacki ayant réalisé une enquête sur le sujet qui nous occupe, je vous propose de lui céder la parole pour lancer le débat, à la suite de quoi les autres invités pourront donner leur point de vue. Enfin, nous ouvrirons la discussion.

M. Philippe Bogacki, éditeur du site et du magazine Lux-Residence. Permettez-moi tout d’abord de me présenter brièvement : travaillant dans la presse de prestige depuis une vingtaine d’années, j’ai créé un magazine en 2000, que j’ai revendu en 2003 au groupe Spir communication, filiale d’Ouest-France. Depuis onze ans, je gère les magazines et sites de prestige de ce groupe : Demeures et châteaux, Lux-Residence et Helvetissimo. Nous avons également créé il y a six ans un site d’immobilier de prestige, devenu depuis numéro un en Europe.

Nous avons effectué une enquête auprès de nos internautes. Environ 36 % des personnes y ayant répondu vivent à l’étranger ; 75 % d’entre elles ont plus de 50 ans et possèdent un patrimoine immobilier important. Nous avons aussi observé que les internautes français consultaient moins notre site qu’il y a deux ans : s’ils représentaient auparavant 85 % de notre audience, ils ne sont plus aujourd’hui que 64 %. Les internautes étrangers considèrent que les prix de l’immobilier français sont redevenus plus raisonnables et attractifs. Les lieux qui intéressent le plus les visiteurs de notre site sont la Côte d’Azur et le Var, puis la Provence, enfin Paris et l’Île-de-France. Ce n’est que dans une proportion nettement moindre que ces visiteurs s’intéressent aux chalets en montagne et aux autres régions. Il semble qu’ils aient confiance en l’avenir, s’agissant de l’acquisition d’un bien immobilier en France dans la mesure où les portefeuilles sont plus importants et où les prix ont diminué.

M. le président Luc Chatel. Ce qui nous intéresse, c’est d’appréhender le départ à l’étranger des forces vives de notre pays, c’est-à-dire de gens qui, soit du fait de leurs responsabilités professionnelles, soit de leur patrimoine, sont importants pour l’économie française. Constatez-vous dans l’exercice de votre métier des départs importants de propriétaires de maisons individuelles de grande taille ou de grands appartements parisiens ?

M. Philippe Bogacki. Je ne saurais vous répondre avec exactitude à cette question. J’ai néanmoins constaté qu’au Cap d’Antibes, où les agents immobiliers se voient demander avec insistance par les services fiscaux et autres d’enquêter sur la personnalité de leurs clients, nombreux sont ceux qui préfèrent mettre en vente leur maison pour aller voir ailleurs.

M. le président Luc Chatel. Monsieur Jottras, auriez-vous des informations à nous fournir sur le phénomène que je viens de décrire ?

M. Charles-Marie Jottras, président de Daniel Féau. Depuis plus de trente ans que j’exerce ce métier, nous voyons des gens partant à l’étranger nous confier à la vente leur résidence principale parisienne. Mais ce phénomène a évolué : nous avons tout d’abord connu une vague très importante d’exil fiscal dans les années 1980, à la suite de la création de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF). Depuis cette date, de nombreux patrons et rentiers sont partis selon un flux régulier. La dernière enquête de Challenge montre d’ailleurs, comme chaque année, que la résidence de la majeure partie des 500 fortunes professionnelles françaises ne se trouve plus en France. À l’exception des dirigeants opérationnels qui sont protégés par le statut d’outil de travail de leur patrimoine, les familles d’actionnaires détenant les sociétés ont quitté le pays. La vague de départs s’est réduite avec la création par la loi Dutreil de pactes d’actionnaires permettant la transmission et le maintien en France de sociétés familiales. Sans cette loi, la situation serait bien pire aujourd’hui.

Compte tenu du caractère polémique de la question de l’exil fiscal, nous avons réalisé une enquête, qui nous a permis d’observer que 25 % des mandats portant sur des biens d’une valeur de plus de 2 millions d’euros qui nous avaient été confiés au second semestre 2012 étaient liés à un départ à l’étranger, ce chiffre s’élevant à 44 % pour les biens d’une valeur supérieure à 7 millions d’euros. Afin que vous puissiez mesurer le phénomène de façon plus précise, je tiens à votre disposition un document retraçant l’évolution de notre stock de mandats sur les biens situés à Paris et à Neuilly au cours des années 2010-2014, en nombre et en valeur. Jusqu’à ces dernières années, le marché immobilier de luxe de Paris et de Neuilly se caractérisait par une quasi-pénurie structurelle, du fait que l’on ne construit plus de biens de qualité à Paris depuis fort longtemps.

M. le président Luc Chatel. Ce que vous appelez un « bien de qualité », est-ce un appartement de plus de deux millions d’euros ?

M. Charles-Marie Jottras. Ce montant correspond au coût moyen des appartements que nous vendons. Mais le coût d’un bien de qualité – appartement ou hôtel particulier parisien – se situe entre 1 million et 60 millions d’euros. Sur ce marché, l’offre se caractérise structurellement par une pénurie – ce qui explique que les prix aient augmenté pendant une quinzaine d’années. En tant qu’acteur dominant sur ce marché, nous disposions bon an mal an, avant 2012, d’un stock de 600 à 800 biens sous mandat. Au second semestre 2012, ce stock est monté à 1 148 biens, pour atteindre 1 317 biens au premier semestre 2013. Il a donc doublé au cours de ces deux années. En valeur, notre stock de vente moyen était de 3,7 milliards d’euros à la fin de 2011 et se situe autour de 5,4 milliards d’euros à la fin de 2013.

M. le président Luc Chatel. La valeur a donc suivi le volume ,

M. Charles-Marie Jottras. Tout à fait. Quant à la valeur médiane de notre stock de mandats, elle se situe entre 2,1 et 2,4 millions d’euros. Mais, depuis le deuxième semestre de l’année 2013, elle a baissé de 10 %, passant de 2,25 millions à 1,98 million d’euros. Cette évolution est révélatrice de la baisse des prix observée sur le marché du haut de gamme, et contraste avec celle du prix de vente moyen des appartements parisiens, qui s’élève à 430 000 euros. Cette baisse de 10 % est certainement liée à l’augmentation de notre stock, elle-même liée aux départs à l’étranger d’investisseurs et de financiers disposant d’un patrimoine important.

Enfin, à partir de 2012, l’évolution de la fiscalité des revenus du capital et des plus-values sur les valeurs mobilières a entraîné un changement dans la typologie des personnes qui quittaient le pays. Depuis les années 1980-1990, il s’agissait de rentiers et de personnes du deuxième ou du troisième âge qui vendaient leur entreprise en France et qui ne pouvaient rester dans le pays, sans quoi l’addition de l’impôt de solidarité sur la fortune et de l’impôt sur les successions risquait d’anéantir leur richesse en deux générations. Avec l’adoption du « pacte Dutreil », certains patrons sont restés, protégés à la fois par le statut d’outil de travail de leur patrimoine et par la possibilité de le transmettre à leur famille. Ce sont alors les actionnaires familiaux minoritaires, ou n’ayant pas conclu de pacte, qui sont partis. Mais il s’agissait toujours de gens riches : des investisseurs, des patrons, des chefs d’entreprise. Or, nouveauté depuis deux ans, nous voyons partir des gens beaucoup plus jeunes, beaucoup moins riches et beaucoup plus actifs. De nombreux business angels quittent aujourd’hui la France car ils y sont soumis à des taux marginaux d’imposition dépassant les 100 % de leurs revenus, comme l’ont illustré des études réalisées par Coe-Rexecode et l’Institut Montaigne. Quant aux jeunes, ils partent pour aller créer de la richesse ailleurs.

M. le président Luc Chatel. Je suppose que vous ne connaissez pas le patrimoine de vos clients et que vous ne disposez d’aucune enquête exhaustive sur les raisons de leur départ.

M. Charles-Marie Jottras. Si, car lorsqu’une personne quitte la France, son conseiller fiscal lui conseille toujours de commencer par vendre sa résidence principale.

M. le président Luc Chatel. Pourquoi ?

M. Charles-Marie Jottras. Parce que la résidence principale est le principal critère d’assujettissement à l’impôt en France.

M. le président Luc Chatel. Certes, mais cette personne pourrait aussi la mettre en location.

M. Charles-Marie Jottras. Les gens dont je vous parle étant en général propriétaires, leur conseiller fiscal commence toujours par leur demander de vendre leur résidence principale et, dans certains cas, leur résidence secondaire aussi. S’ils reviennent discrètement – parce qu’ils sont très malheureux d’être partis –, ils peuvent toujours louer, mais cela ne nous concerne plus. Quelqu’un qui quitte la France doit vendre son bien, et veut donc tout de suite signer un mandat afin de pouvoir prouver au fisc qu’il n’habite plus dans son ancienne résidence principale.

M. le président Luc Chatel. Monsieur de Saint-Vincent, souhaitez-vous compléter ces propos ?

M. Thibault de Saint-Vincent, président de Barnes. Je commencerai par me présenter brièvement. Comme Daniel Féau, Barnes est implanté à Paris mais possède aussi quinze agences en France, treize en Suisse, une à Londres, une à Bruxelles, une à Miami et une à New York. Nous sommes donc aux premières loges pour observer l’exil fiscal, ayant enregistré depuis juillet 2012 quelque 921 demandes de la part de Français souhaitant investir ou s’installer, y compris en location, à Londres – et 314 à Bruxelles, 947 en Suisse, 928 à Miami, 347 à New York.

M. le président Luc Chatel. En valeur absolue, ces chiffres sont-ils en forte évolution par rapport à ceux des années précédentes ?

M. Thibault de Saint-Vincent. Oui.

M. le président Luc Chatel. Dans quel ordre de grandeur ?

M. Thibault de Saint-Vincent. Les demandes ont pratiquement doublé. Dans notre agence de Londres, relativement petite puisqu’elle ne représente que 0,3 % du marché des Français, nous avons réalisé 11 ventes depuis deux ans à des Français expatriés, et leur avons offert 61 locations. Compte tenu de notre part de marché, nous estimons qu’environ 9 000 Français se sont installés à Londres, en achetant ou en louant. « Depuis cinq ou six ans », explique la directrice de notre agence londonienne, « nous observons à Londres un changement d’attitude quant à la durée du séjour des expatriés. Si la location d’une durée de trois à quatre ans était privilégiée jusqu’alors, nous sommes passés à la location pour une ou deux années avant d’entamer une procédure d’achat immobilier. Cela sous-entend le plus souvent que le retour en France est exclu ». S’agissant de Miami, ma directrice locale m’indique avoir discuté ces dernières semaines avec un assureur, deux comptables et deux avocats qui, tous, disent être absolument débordés, complètement pris de cours devant l’ampleur du phénomène, même comparé à 2013. Même retour en matière scolaire, les écoles françaises ne peuvent plus accepter d’élèves car elles ont fait le plein. À New York, le lycée français ne peut plus accepter qui que ce soit. À Londres, les écoles sont également submergées. Notez que plus le niveau socio-professionnel d’éducation et de culture des exilés est élevé, moindres sont les chances de les voir revenir car ils réussiront très bien dans ces villes.

Nous organisons des conférences afin d’informer les Français sur leurs possibilités d’installation et d’investissement à l’étranger, tout comme nous organisons aux États-Unis des conférences sur les modalités d’installation et d’investissement en France. La dernière que nous ayons organisée aux États-Unis s’est tenue à l’Alliance française en présence de 200 Américains. Dans l’autre sens, la dernière réunion que nous ayons organisée il y a quinze jours à Paris s’intitulait « Investir ou s’implanter au Portugal » et a attiré 140 personnes – retraitées pour la plupart – qui jugeaient plus intéressant de passer leur retraite au Portugal qu’en France. De nombreux pays déroulent le tapis rouge aux investisseurs et aux rentiers mais également aux forces vives et aux entrepreneurs. Le Portugal offre ainsi une exonération d’impôt sur le revenu pendant dix ans. À Bruxelles, lorsque vous détenez des biens immobiliers résidentiels, vous bénéficiez d’une exonération de revenus fonciers. Je rencontre donc des propriétaires qui décident de vendre tous leurs biens immobiliers parisiens destinés à la location résidentielle pour investir à Bruxelles. Ils deviennent résidents belges pour pouvoir bénéficier de cette exonération.

S’agissant du marché locatif, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové – ALUR – a fini d’achever le peu de propriétaires bailleurs privés qui restaient sur le marché en renforçant un droit des locataires déjà très protecteur. Aujourd’hui, lorsqu’un locataire ne paie pas ses loyers, il faut compter deux ans pour récupérer le bien – en mauvais état, de surcroît. Et s’il reste un loyer avant que le propriétaire ne fasse des travaux de remise en état du logement, ce loyer est taxé à plus de 50 %. La plupart des propriétaires bailleurs privés ont donc décidé de revendre leurs biens locatifs : un tiers des biens qui se libèrent ne sont plus remis en location par leur propriétaire, mais directement mis en vente.

La première raison qui motive le départ de nos clients n’est pas la fiscalité, souvent évoquée, mais bien l’idéologie dominante en France : dans notre pays, on considère depuis très longtemps que faire du profit, c’est un péché. Or, sans profit, une entreprise ferme. Le profit sert à embaucher, à investir, à développer une entreprise.

Je suis entrepreneur depuis toujours : après avoir attrapé le virus de l’entrepreneuriat à 14 ans, j’ai créé ma première société à 18 ans. En 2002, après avoir vendu à mes associés quinze agences immobilières de quartier, appelées Connexion, je suis parti vivre aux États-Unis. Car, en France, on venait d’instaurer les 35 heures. Et dans mes quinze agences, où je faisais quotidiennement passer des entretiens d’embauche, un jeune m’a un jour affirmé qu’il lui était compliqué de travailler après 18 heures ou le samedi parce qu’il souhaitait préserver sa vie de famille et ses loisirs. Sauf que, dans l’immobilier, on travaille de 9 heures à 21 heures, et très souvent le samedi. Si un jeune de 23 ans pense surtout à ses loisirs, ce n’est pas de sa faute : c’est qu’on lui a expliqué que le travail n’était pas une bonne chose et qu’il devait penser à se reposer. Cette idéologie dominante est la principale cause de découragement de ceux qui veulent partir.

De nombreux entrepreneurs, dirigeants de société, commerçants et restaurateurs quittent la France après avoir subi des contrôles fiscaux, la répression des fraudes et des braquages. Je connais notamment un restaurateur qui a récemment quitté Nice pour s’installer à Miami : il y a acheté une maison et un restaurant. Il a créé des emplois à Miami. Et comme il est travailleur et parce qu’il est aux États-Unis, il s’en sort.

Dans ce contexte, les chefs d’entreprise souffrent d’un manque de reconnaissance et sont considérés comme nuisibles. Ils préfèrent donc aller travailler ailleurs. En Angleterre, en Belgique, en Suisse et aux États-Unis, le chef d’entreprise est reconnu comme contribuant au développement de son pays. Lorsque je suis parti en 2002, j’ai expliqué à un jeune lors d’un entretien que, dans l’immobilier, on était payé à la commission et qu’il pourrait donc bien gagner sa vie à condition de réaliser beaucoup de ventes. Il a « eu un sourire qui voulait dire : « De toute façon, tu es le patron et moi l’employé, donc tu vas m’enfumer (sic). » Cela partait très mal…

Deuxième raison de cet exil : le manque de flexibilité du marché du travail, caractérisé par le déséquilibre de la relation employeur-employé et le coût exorbitant des charges sociales. Aux États-Unis, un jeune cadre qui touche 5 000 euros par mois après impôts coûte entre 7 500 et 8 000 euros à son employeur. En France, il lui en coûtera 15 000, c’est-à-dire le double. Aux États-Unis, lorsqu’on embauche une personne qui ne convient pas, elle quitte l’entreprise dans les trois jours sans aucun traumatisme et retrouve très vite un autre travail car l’entrepreneur n’est pas angoissé à l’idée d’embaucher. En France, chaque fois que vous embauchez un salarié ou qu’il a dépassé sa période d’essai, si une baisse de votre chiffre d’affaires vous contraint à vous séparer de cette personne pour ne pas mettre la clef sous la porte et en licencier cinquante autres, vous êtes assuré de vous retrouver aux prud’hommes. J’ai même perdu récemment un recours pour rupture abusive de la période d’essai !

Le poids fiscal est bien sûr aussi un facteur important car les impôts sont beaucoup plus élevés en France. L’instabilité du cadre juridique et fiscal est également souvent invoquée : les lois changent tous les un à trois ans et sont parfois rétroactives.

L’insécurité est souvent mentionnée par les gens résidant en région parisienne ou dans le sud de la France, du côté de Cannes, Nice et Marseille. Aux États-Unis, la dernière fois que l’alarme de mes bureaux, directement reliée au commissariat, a sonné parce que j’avais oublié de l’éteindre, la police est arrivée dans les cinq minutes !

Enfin, si tous les investisseurs, les rentiers et les retraités qui s’en vont ne sont pas des « forces vives », ils créent néanmoins beaucoup d’emplois, eux aussi. Il existe actuellement à Bruxelles un petit quartier où l’on compte cinquante maisons possédées par des Français et qui sont en cours de rénovation : cela représente environ 500 emplois pendant un an. Et ces Français vont investir dans des sociétés. J’estime qu’environ 20 000 personnes sont parties depuis deux ans – ce qui représente probablement près d’un million d’emplois. Cela est catastrophique pour la France.

M. Émile Garcin, fondateur et président de la société Émile Garcin. Mes collègues ayant présenté une synthèse réaliste du marché parisien, M. Boulet, notre directeur, et moi-même vous parlerons essentiellement des résidences secondaires du sud de la France – sujet qui, comme leur nom l’indique, est resté jusqu’à présent secondaire.

On n’acquiert une résidence secondaire qu’avec bonheur et énergie positive. Or le premier problème est survenu lorsque le gouvernement précédent a fait passer de 15 à 30 ans le délai au-delà duquel les plus-values sont exonérées. Les ventes se sont alors accélérées avant que la loi n’entre en application. Puis elles se sont écroulées. Viennent ensuite l’ISF et la CSG. Jusqu’à présent, les résidences secondaires situées à Saint-Tropez, à Saint-Rémy-de-Provence, dans le Lubéron et dans le Gard, étaient achetées à 50 ou 60 % par une clientèle étrangère. Mais, depuis deux ans, ce chiffre est tombé à 30 %.

Car les Anglais, Suisses, Belges ou autres séduits par un bien sont dissuadés de l’acheter par leur avocat fiscaliste, en raison de la législation française, dont on ne sait pas ce qu’elle sera dans deux ou cinq ans. À Genève, par contre, la stabilité est totale : on peut raisonnablement penser que les lois n’y auront pas changé dans dix ans.

Or, dans le sud de la France surtout, les résidences secondaires deviennent souvent, à terme, des résidences principales ; et, comme M. de Saint-Vincent le disait, le marché des résidences secondaires a diminué de moitié. De ce fait, beaucoup d’entrepreneurs – jardiniers, par exemple – ont perdu leur travail, notamment en Provence. Je peux citer une propriété où travaillent aujourd’hui dix salariés, pour à peu près 3 millions d’euros de masse salariale par an : les propriétaires anglais ont décidé de partir… C’est un cas particulier, mais il n’est pas isolé.

M. le président Luc Chatel. Mais ensuite, ces propriétés sont rachetées, j’imagine.

M. Émile Garcin. Cela reste à voir ! Cette semaine, j’ai vendu une propriété près d’Aix-en-Provence pour une dizaine de millions d’euros, mais elle possède un vignoble, qui permet d’éviter l’ISF. Les propriétés d’un certain niveau, en zone rurale, ne se vendent aujourd’hui que si un montage fiscal permet de ne pas payer l’ISF. Mais nous ne savons pas si cela restera possible !

M. Philippe Boulet, directeur des agences du sud de la France de la société Émile Garcin. Je travaille avec M. Garcin depuis quatorze ans, et j’ai constaté un changement de mentalité : aujourd’hui, nous passons énormément de temps à rassurer nos clients. Souvent, les charges sociales, la charge fiscale deviennent trop lourdes même pour des fortunes colossales, et les propriétaires sont amenés à réduire la voilure : ils licencient, et souvent déménagent. C’est un phénomène que nous constatons tous les jours.

De plus, les lois nouvelles nous ont vraiment mis des bâtons dans les roues. La durée d’exonération des plus-values a été ramenée de trente à quinze ans, puis portée à vingt-deux ans – sauf pour la CSG… Tout est complexe, et cette complexité est un frein à toute transaction. Souvent, les gens qui achètent des propriétés licencient. Je pense à des Belges qui ont acheté, mais qui n’ont gardé qu’un gardien et un jardinier, au lieu de deux gardiens et deux jardiniers auparavant : ils aiment notre pays, comme nous, mais ils ont été frappés par le coût exorbitant des charges et des impôts. Car pour qu’un gardien touche 2 000 euros par mois, il faut payer 4 000 euros par mois ! Et le prix des travaux de rénovation n’a pas diminué, en partie parce que beaucoup d’entreprises ont dû fermer.

Les entrepreneurs et les gens qui créent ont l’impression de ne pas être entendus : la démotivation est profonde. J’ai ainsi vendu récemment une propriété à un monsieur qui venait de vendre une société de télécommunications : il voulait recréer une société en France, mais quand il a vu les coûts, il s’est expatrié… Ce n’est pas une exception. Nous avons ainsi récemment vendu un hôtel particulier magnifique dans le centre d’Avignon : l’ancien propriétaire laissait les rênes de l’entreprise qu’il a créée – une société très performante – à son fils, pour la partie française, tout en s’exilant en Belgique, avec une grande partie de ses cadres. Un notaire local me citait le cas d’une entreprise de Saint-Rémy-de-Provence rachetée il y a quelques années par des Danois qui, désormais, voyant la lourdeur des charges et la difficulté de licencier, envisagent de délocaliser.

Nous voyons tous les jours la lourdeur du système. Elle tient à la fiscalité, mais pas seulement : elle tient aussi à la communication sur la fiscalité. L’incertitude est trop forte : le bouclier fiscal mis en place par le gouvernement précédent aurait pu aider, mais les clients qui auraient été susceptibles de revenir se sont méfiés.

Cela ne concerne pas que les héritiers, mais aussi des gens qui, à la force du poignet, ont créé des entreprises et ont, tous les jours, l’impression d’être pénalisés. Un banquier de la Deutsche Bank me parlait récemment de clients français qui, après la dernière élection présidentielle, avaient sorti leurs avoirs de France, par crainte des changements fiscaux, mais aussi à cause de la difficulté de créer des entreprises. Il faut aussi parler des normes : tous les jours, les entreprises ont un contrôle différent ; alors, certes, il faut protéger les employés, mais les entrepreneurs s’arrachent les cheveux.

M. Laurent Demeure, président de Coldwell Banker France. Coldwell Banker est une entreprise américaine, aujourd’hui présente dans cinquante-deux pays. Nous réalisons plus d’une vente immobilière sur dix aux États-Unis, et deux à trois ventes sur dix au-dessus d’un million de dollars. Nous disposons donc d’un bon point d’observation.

Je précise toutefois que nous n’établissons pas de statistiques sur les raisons pour lesquelles nos clients mettent en vente leur bien. J’ai donc, pour vous répondre, interrogé nos consultants. Par ailleurs, nous ne savons pas combien de personnes qui souhaitent partir finissent réellement par s’exiler. Enfin, il existe, aux États-Unis seulement, des statistiques sur les ventes aux étrangers. Toutefois, ces statistiques ne tiennent pas compte de la location, qui est pourtant importante pour le sujet qui vous occupe.

Nous constatons, comme nos collègues, une hausse du nombre de Français qui souhaitent vendre leur résidence pour partir à l’étranger. Beaucoup de Français, nous le voyons aussi, se sont installés à l’étranger. Ce phénomène existe depuis dix ans peut-être, mais il s’est accéléré depuis la fin de l’année 2011. Dans un premier temps ont été mis en vente des biens valant 7, 10 ou 15 millions d’euros : cela marquait le départ des gens qui possédaient un patrimoine important. Dans un deuxième temps, au premier semestre 2013, on a vu plutôt le départ de ceux qui sont en train de se constituer un patrimoine, des actifs qui ont du talent – ils vendaient des biens entre 3 et 7 millions d’euros. Depuis le deuxième semestre 2013, nous voyons des mises en vente entre 1 et 3 millions d’euros : ce sont des patrons de très petites entreprises, des professions libérales…

Selon nos consultants, 20 % à 50 % de leurs clients vendent aujourd’hui en raison d’un projet de départ à l’étranger. Nos bureaux à l’étranger – notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis – confirment voir plus d’acheteurs français. En France, le flux entrant ne compense pas le flux sortant : 80 % des clients français ou étrangers adressés par nos bureaux étrangers en 2012 et 2013 souhaitaient vendre leurs actifs français, en général pour des raisons fiscales – ISF, augmentation de l’imposition des plus-values.

Quant aux destinations préférées des Français qui s’expatrient, ce sont Londres, Bruxelles, Los Angeles, Miami, New York, Tel Aviv, Singapour... Ils choisissent ces villes pour leur dynamisme, à l’exception de Bruxelles où vont plutôt les investisseurs fonciers. Pour expliquer leur départ, ils évoquent la fiscalité du patrimoine, le droit du travail – mis en avant notamment par les chefs de très petites entreprises –, la perte d’attractivité de la France, mais aussi le coût de la vie. D’après la Banque mondiale, la France est au seizième rang mondial pour les revenus mais Paris est au deuxième rang mondial pour le coût de la vie. Le facteur fiscal est vraiment important : rappelons que la France est depuis dix ans en tête du Forbes Tax Misery Index – qui ne tient pas encore compte des dernières augmentations d’impôts !

Notre partenaire à Londres, Hamptons International, nous confirme que 5 % de leurs locations sont faites aujourd’hui à des Français ; au cours des dix dernières années, la population française y a augmenté de 75 %. Les Français comptent pour un tiers environ des 10 % de ventes faites à des non-résidents. Ils viennent chercher en Angleterre une fiscalité plus favorable – l’impôt sur les sociétés y est à 23 %, contre 33 % en France, et le régime fiscal des non résidents britanniques est très favorable, puisque les revenus non rapatriés au Royaume-Uni ne sont pas imposés. Les relations du travail sont aussi beaucoup plus simples, et non conflictuelles. Le régime de l’auto-entrepreneur est meilleur – la limite de chiffre d’affaires est à 79 000 livres, soit environ 100 000 euros, contre 32 500 euros en France. Londres, enfin, est une ville très attractive, très dynamique.

Quant aux États-Unis, notre site internet reçoit à peu près 2 000 visites par mois en provenance de France : la France est dixième, alors que sa population est la vingt et unième mondiale. Le volume des achats par les étrangers non-résidents aux États-Unis est de 33 milliards d’euros ; depuis 2010, les Français en représentent 2 % à 4 %. Les Français non-résidents ont donc acquis sur le territoire américain des biens pour 1,4 milliard d’euros. Pour les Français déjà résidents, le volume est à peu près similaire. Les Français, résidents ou non, ont réalisé environ 7 000 acquisitions l’an dernier. On estime aux États-Unis qu’une vente immobilière crée environ trois emplois : les Français auraient donc créé 21 000 emplois sur le sol américain l’année dernière.

Les acheteurs français se dirigent principalement vers la Floride, New York et la Californie. Sur les six premiers mois, notre site dédié spécialement à la Californie a enregistré 7 300 connexions issues de la France.

M. le président Luc Chatel. Pour remédier à ces problèmes, quelles solutions préconiseriez-vous, messieurs ?

M. Laurent Demeure. Le problème est culturel. À l’étranger, la France a une image fabuleuse ; nous sommes les premiers producteurs de luxe, que ce soit dans l’hôtellerie, la mode, la gastronomie… Mais nous sommes aussi l’un des très rares pays à dire aux clients de luxe que nous ne les aimons pas !

Or, pour créer de l’emploi, il faut une association du patrimoine et du talent ; le patrimoine va là où il est bien accueilli, et les talents le suivent… Il est donc important de faire revenir les investisseurs, en mettant en place une fiscalité du patrimoine qui incite à l’investissement et à la prise de risque.

M. Charles-Marie Jottras. Les solutions, tout le monde les connaît ! Il faut arrêter d’être les champions du monde toutes catégories de l’imposition des revenus comme du capital. Relisons les nombreuses études réalisées sur ce sujet, celle de Coe-Rexecode par exemple. Aujourd’hui, les business angels et les actionnaires minoritaires ne peuvent souvent pas échapper à une imposition supérieure à 100 % de leurs revenus.

À Paris, l’immobilier résidentiel rapporte environ 3 % avant impôt. Dans la tranche marginal supérieure d’impôt sur le revenu, l’imposition des deux tiers – les deux tiers de 3 %, c’est 2 %, il reste donc 1 % ; or dans la tranche marginale supérieure d’ISF, on est imposé à 1,5 % sur son patrimoine… Autrement dit, pour un contribuable qui est dans les deux tranches marginales les plus élevées, les impositions sont supérieures au revenu – et je n’ai même pas parlé de l’inflation. Le phénomène est similaire pour les obligations, et pour les dividendes : un actionnaire imposé aux taux marginaux de l’impôt sur le revenu, à la CSG/CRDS et à l’ISF paye plus de 100 % sur ses revenus du capital si ceux-ci sont de l’ordre de 3 à 4 %.

Pour avoir, aujourd’hui en France, des revenus nets d’impôts aux taux marginaux et couvrant l’inflation, il faut un rendement de l’ordre de 9 %, personne n’arrivant à de tels taux ! Comment investir dans de telles conditions ?

M. Thibault de Saint-Vincent. Il faut ajouter que cet actionnaire ne sera imposé ni au Portugal, ni au Maroc, et qu’il sera très peu imposé au Royaume-Uni. Nous sommes dans une économie ouverte, les gens comparent, et la France est perdante.

La solution, c’est de faire des lois efficaces. À propos de la loi ALUR, il est vrai, Mme Duflot a dit à un de mes confrères qu’elle ne cherchait pas à faire une loi efficace, mais une « loi de gauche » !

Je tire aussi la sonnette d’alarme à propos des résidences secondaires. La France est l’un des plus beaux pays du monde, et nous avons des propriétés de caractère magnifiques ! Mais elles sont grandes, elles ne sont pas aux normes, leur entretien est très cher. Si votre propriété de 600 à 700 mètres carrés s’appelle château, alors vous serez désigné comme le grand méchant loup – mais pour les moindres travaux, il faudra compter en centaines de milliers d’euros. Refaire la toiture, c’est 200 000 euros. De plus, ces propriétés sont souvent éloignées, les amis ne viennent pas tous les jours, et quand ils viennent, il pleut… Il faudrait décorer ceux qui les achètent ! Un cadre supérieur qui gagne très bien sa vie gagne autour de 100 000 euros par an ; or c’est ce que coûte une telle propriété, chaque année. Un salarié à l’année coûte au moins 50 000 euros. Des biens comme cela, il en existe par centaines, mais rien n’est déductible – sauf s’ils sont inscrits aux monuments historiques, mais alors il faut employer des sociétés qui coûtent quatre fois plus cher que les autres… Pour acheter ces biens, il faut donc gagner au moins 300 000 à 400 000 euros.

Aujourd’hui, ces propriétés meurent donc à petit feu. Elles sont souvent quasiment invendables.

Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est du bon sens et des lois efficaces.

M. Émile Garcin. Quel que soit le Gouvernement en place, les lois fiscales sont essentiellement électoralistes, et pas économiques. Tant que nous serons dans la lutte des classes, nous n’en sortirons pas ! Les bouddhistes le disent : ce qui compte, c’est la voie du milieu. Nous sommes toujours trop à droite ou trop à gauche, et les gens finissent par se décourager.

M. Thibault de Saint-Vincent. Moi qui vis à l’étranger depuis dix ans, je peux vous assurer que si la France est considérée comme un pays magnifique, elle est aussi considérée comme l’un des derniers pays communistes au monde ! Mais nous sommes comme l’ex-URSS, nous vivons différemment du monde entier tout en étant persuadés de faire mieux.

Nous nous vantons d’avoir une sécurité sociale extraordinaire, des hôpitaux qui accueillent tout le monde… J’ai un client, maintenant installé à Miami, qui possédait une pharmacie en banlieue parisienne : il n’en pouvait plus de remplir des cabas entiers de médicaments dont on sait bien qu’ils repartent au pays – mais s’il ne l’avait pas fait, un de ses confrères l’aurait fait à sa place ! C’est une réalité, et c’est ça qui tue notre pays.

M. Charles-Marie Jottras. La taxe à 75 % a, il faut s’en rendre compte, fait le tour du monde en une demi-journée. L’effet a été phénoménal – alors que nous savons finalement ce qu’il en est advenu.

M. Thibault de Saint-Vincent. Absolument. CNN montrait un billet de cent dollars dont il ne restait qu’un quart, puis François Hollande disant qu’il n’aimait pas les riches ! Tous les Américains ont vu cette séquence.

M. Charles-Marie Jottras. Il faudrait également évoquer le problème de la location haut de gamme, c’est-à-dire des loyers supérieurs à 4 000 euros par mois : sur ce marché, notre chiffre d’affaires a diminué de 35 % l’an dernier. La loi ALUR en est l’une des causes, mais le principal problème, c’est que le flux, auparavant régulier, de cadres étrangers qui venaient passer quelques années à Paris s’est presque complètement tari. Or ce sont eux qui louent des biens au-delà de 10 000 euros par mois.

M. Laurent Demeure. Nous constatons le même phénomène, et pas seulement sur le très haut de gamme. Notre taux de remplissage était de 100 %, il n’est plus que de 70 %. De moins en moins de cadres viennent travailler à Paris, à La Défense, par exemple.

M. Charles-Marie Jottras. Lorsque nous louons un appartement plus de 10 000 euros par mois, aujourd’hui, nous le louons à un footballeur – quand nous le louions auparavant à des patrons ou des cadres.

Nous voyons aujourd’hui le déplacement, discret, de nombreux centres de décision d’entreprises. Le patron est connu et reste en France, l’entreprise reste en France, mais les grands barons s’en vont, avec leurs équipes. Cela n’apparaît pas encore beaucoup, mais c’est un phénomène bien réel.

M. Thibault de Saint-Vincent. Je le confirme : nous connaissons plusieurs fonds d’investissement ou banques d’affaires qui conservent de petites structures légères à Paris mais déplacent leurs salariés par dizaines, voire par centaines, à Londres ou à New York.

M. Philippe Boulet. Nous constatons le même phénomène.

Quant aux solutions, nous en sommes tous d’accord, la fiscalité est trop lourde et ceux qui peuvent se déplacer pour y échapper le font ; mais il existe aussi un grand besoin de concertation : la loi ALUR a été faite sans aucune écoute des professionnels.

M. Thibault de Saint-Vincent. Je peux en témoigner également. La loi ALUR s’en prend aux agences immobilières et les oblige à réduire leurs honoraires : lorsqu’elle a été votée, beaucoup de nos commerciaux – payés à la commission – voulaient démissionner ! Ce sont des gens qui gagnent 1 500 à 2 500 euros par mois : ce ne sont pas des super-riches. Je ne savais plus que leur dire. Si nous nous en sommes sortis, c’est parce que mille agences ont déposé leur bilan l’an dernier, et qu’il y a donc moins de concurrence. Mais je préférerais, je vous l’assure, plus de concurrence, et pouvoir mieux payer mes commerciaux !

M. le président Luc Chatel. Vous avez dit que le stock avait beaucoup augmenté. Combien de temps faut-il aujourd’hui pour vendre ?

M. Charles-Marie Jottras. À Paris, les statistiques des notaires sur les ventes réalisées en 2012 montrent une diminution de 35 % pour les biens au-delà de 2 millions d’euros. Les prix ont baissé de 10 % à peu près.

Les délais sont extrêmement variables : si le vendeur accepte de s’adapter au marché, cela peut aller assez vite. Certains biens sont très recherchés, d’autres beaucoup moins.

M. le président Luc Chatel. Il semblerait que le stock de biens haut de gamme soit aujourd’hui très élevé.

M. Charles-Marie Jottras. Absolument. La villa Montmorency en est un très bon exemple : ce ne sont pas des étrangers qui y habitent – ils préfèrent le cœur de Paris – mais plutôt de grands patrons français, qui veulent une vie de famille tranquille, une qualité de vie presque provinciale dans Paris. Nous avions en moyenne, depuis trente ans, un à trois mandats ; en ce moment, nous avons quatorze maisons à vendre villa Montmorency.

M. Thibault de Saint-Vincent. Malheureusement, dans tous les plus beaux quartiers de Paris, les vendeurs sont des Français et les acheteurs le plus souvent des étrangers. Voulons-nous vraiment faire fuir les patrons français, qui habitent leur maison avec leur famille, et vendre les hôtels particuliers de Paris – ceux qui valent 30 à 50 millions d’euros – à des étrangers qui ne les occuperont que quelques semaines par an ? C’est ce que nous faisons depuis dix ans. Regardez le Champ de Mars le soir : dans les étages élevés, tous les appartements sont éteints ; ils sont inoccupés. Les seuls acheteurs de ces biens qui sont au-delà même du haut de gamme, aujourd’hui, sont étrangers.

M. Laurent Demeure. Il faut aussi souligner que les très riches ne sont pas les seuls, aujourd’hui, à s’exiler : deux personnes de mon entourage m’ont annoncé cette semaine leur départ à l’étranger.

L’audition se termine à onze heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du jeudi 17 juillet 2014 à 10 h 15

Présent. - M. Luc Chatel

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Yann Galut, M. Marc Goua

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