Accueil > Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France > > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mercredi 23 juillet 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 29

Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Bouchard, directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (ministère des Affaires étrangères et du développement international).

–  Présences en réunion

Présidence
de M. Luc Chatel,

La séance est ouverte à seize heures vingt.

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui M. Christophe Bouchard, directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des Affaires étrangères et du développement international.

Monsieur le directeur, nous souhaitons avoir votre éclairage sur un phénomène récent, qui n’est qu’une partie du champ couvert par vos fonctions, et qui se traduit par le départ de nos forces vives, qu’il s’agisse de jeunes, de responsables d’entreprises ou de centres de décision.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Christophe Bouchard prête serment.)

M. Christophe Bouchard, directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire. La direction des Français à l’étranger est chargée du pilotage et de l’animation du réseau consulaire, c’est-à-dire de l’ensemble des postes – consulats généraux, consulats, sections consulaires –, chargés d’accompagner, dans le monde, sur les plans administratif, social et civique, les Français qui résident à l’étranger.

Si le ministère des Affaires étrangères recueille des statistiques sur l’évolution de cette communauté, il ne dispose pas de toutes les informations sur l’ensemble de ses composantes, qui sont très variées, et il n’a pas la possibilité d’établir toutes les distinctions possibles.

En 2013, 1,642 million de Français étaient inscrits au registre des Français établis hors de France. Ce chiffre ne couvre que partiellement l’ensemble de la population française à l’étranger, estimée entre 2 millions et 2,5 millions. La proportion de non-inscrits varie d’une zone géographique à l’autre. Elle est particulièrement importante dans les pays développés – Europe, Amérique du Nord –, où nos compatriotes n’éprouvent pas le besoin de s’inscrire de façon aussi impérative que dans des pays où la vie est plus difficile.

Ce chiffre de 1,642 million est en augmentation régulière depuis une vingtaine d’années et a même doublé depuis le milieu des années 1990. Sur les dix dernières années, la hausse moyenne est de 3,1 %. Elle est de 2 % en 2013 par rapport à 2012.

Le nombre des inscrits ne reflète que partiellement et imparfaitement l’évolution globale de la population française à l’étranger : outre les Français qui ne s’inscrivent pas, ceux qui s’inscrivent ont des motifs différents de le faire. Certains s’adressent à leur consulat dès leur arrivée quand d’autres, pour diverses raisons, décident de s’inscrire longtemps après, par exemple à l’occasion d’une formalité administrative, comme une demande de passeport, ou en fonction du calendrier électoral. Les années précédant les échéances électorales majeures – notamment l’élection présidentielle –, on observe, en effet, un mouvement d’inscriptions sur le registre, première étape avant l’inscription sur la liste électorale consulaire.

À titre de comparaison internationale, je rappelle que l’administration britannique estime entre 5 millions et 6 millions le nombre de ses ressortissants à l’étranger. Bien que les Allemands ne donnent, quant à eux, aucun chiffre, on estimait à 1,150 million le nombre de citoyens allemands vivant en 2012 au sein de l’Union européenne ; on considère qu’ils sont plus nombreux que les Français dans le reste du monde. Les autorités italiennes estimaient quant à elles à 4,3 millions le nombre d’Italiens vivant à l’étranger en 2012.

La répartition des Français à l’étranger est relativement stable. L’Union européenne et la Suisse attirent plus de la moitié d’entre eux – c’est en Suisse que vivent le plus grand nombre de nos ressortissants. L’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud représentent quelque 20 % de la totalité – 300 000 inscrits –, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, 15 % – un peu plus de 230 000 inscrits – et l’Afrique et l’Océan indien, 8,5 % – 130 000 personnes. Ils sont 125 000 en Asie et en Océanie et un peu moins de 20 000 en Europe orientale.

La population française est également assez concentrée : les dix premiers pays représentent 60 % du total : il s’agit de la Suisse – 163 000 Français inscrits en 2013 –, des États-Unis – 129 000 – et d’autres pays européens tels que le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne ou l’Espagne, dans lesquels quelque 100 000 Français sont inscrits.

L’augmentation de 2 % que j’ai évoquée est une moyenne : dans certaines zones et dans certains pays, l’augmentation est plus importante. C’est le cas de pays européens, du Golfe – les Émirats Arabes Unis –, de l’Asie – je pense notamment à la Chine ou à l’Asie du Sud-Est – ou encore de l’Océanie : l’Australie est un des pays où la population française a le plus augmenté récemment. Si les chiffres restent stables en Afrique subsaharienne, ils ont eu tendance à baisser ces dernières années en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Je terminerai par deux chiffres significatifs : de 2012 à 2013, la communauté française a augmenté de 8 % en Australie et de 5,9 % au Canada – le phénomène concerne notamment les jeunes.

En termes de classe d’âge, de 2011 à 2013, le nombre des Français de 18 à 40 ans inscrits au registre est demeuré stable, quand celui des 41 à 60 ans a augmenté de 7 % et celui des plus de 60 ans de 10 %. Ces derniers étaient 230 000 en 2013, ceux de 41 à 60ans, 430 000, et ceux de 18 à 40 ans, presque 400 000. Les moins de 18 ans étaient quant à eux 422 000. Des variations importantes existent selon les pays. La part de la population jeune et des familles est plus importante en Europe que dans d’autres régions du monde.

Il convient également, pour mieux distinguer le profil des Français vivant à l’étranger, de connaître la part des bi- et des multinationaux. Si elle est de 42 % dans le monde, ce taux varie selon les zones géographiques. Il est de 65 % en Afrique du Nord, de 70 % au Moyen-Orient et de 45 % en Afrique. Ces chiffres révèlent un ancrage profond et ancien des communautés françaises dans ces zones. Il s’agit de Français nés en France et installés depuis longtemps dans les pays d’accueil dont ils ont acquis la nationalité ou de natifs de ces pays possédant également la nationalité française pour des raisons historiques ou par mariage. En revanche, au sein de l’Union européenne, le nombre de binationaux français n’est que de 30 % et en Asie-Océanie de 20 % : nous avons donc affaire dans ces deux zones à une population expatriée au sens plus classique du terme.

Enfin, en 2013, nous avons enregistré environ 257 000 inscriptions sur le registre des Français établis hors de France et environ 225 000 radiations. Pour être plus précis, les inscriptions constatées se répartissent entre 107 000 inscriptions nouvelles (de personnes s’expatriant, ou déjà expatriées, éprouvant le besoin de s’inscrire) et 150 000 inscriptions qui sont le fait d’expatriés ayant changé de pays. Ces 150 000 inscriptions se sont traduites par autant de radiations, ce qui ramène le chiffre des radiations réelles à 75 000. Dès lors, le solde positif n’est plus que de 32 000 environ.

Le dispositif du ministère des Affaires étrangères est destiné à l’ensemble des Français résidant à l’étranger, quels que soient leurs profils. J’ai déjà évoqué les Français binationaux, notamment ceux nés à l’étranger de parents déjà français pour des raisons historiques – cette situation concerne entre autres pays les anciens territoires français. D’autres se sont installés depuis longtemps à l’étranger et ont fini par acquérir la nationalité de leur pays d’accueil – on en trouve notamment en Europe et en Amérique du Nord.

Les profils de ceux qui se sont installés récemment à l’étranger sont également très variés. C’est ainsi que plusieurs dizaines de milliers de jeunes partent à l’étranger un an, éventuellement renouvelable, dans le cadre des programmes vacances travail, une nouveauté des dix dernières années qui existe dans un nombre croissant de pays, où ces jeunes ont l’autorisation de travailler pour financer leur séjour. Pour certains d’entre eux, ces séjours débouchent sur une installation plus longue à visée professionnelle. Les consulats observent également, sans pouvoir mesurer ce phénomène de manière statistique, une augmentation du nombre des projets individuels : des personnes décident de s’installer par elles-mêmes à l’étranger, notamment en Europe, en Amérique du Nord ou en Océanie. En revanche, l’expatriation classique des salariés envoyés par leurs entreprises à l’étranger est en net recul.

Ces populations ont évidemment des besoins différents en fonction de leur profil. Nous accompagnons la mobilité de certains d’entre eux avant même leur départ, dans le cadre de la Maison des Français de l’étranger (MFE), qui est une structure d’information et d’appui aux Français qui souhaitent partir à l’étranger. Par-delà la diversité des profils, il est important pour le ministère des Affaires étrangères de maintenir un lien fort avec la communauté française à l’étranger. Cette tradition fait la spécificité de la France par rapport à d’autres pays qui estiment n’avoir qu’une responsabilité minimale – délivrance de papiers d’identité et assistance d’urgence – vis-à-vis de leurs ressortissants à l’étranger, surtout s’ils sont très nombreux. C’est parce que la France a toujours considéré que le lien entre ses ressortissants résidant à l’étranger et le pays d’origine doit rester important, qu’elle a développé un important réseau consulaire ainsi que toute une gamme de services consulaires plus large que celle de ses principaux partenaires.

La France est également attachée au maintien du lien civique, grâce à un système développé de représentation des Français de l’étranger. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’une réforme récente : ils sont désormais représentés non seulement par des sénateurs et des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, mais aussi par des députés et des conseillers consulaires. Plus que la plupart des ressortissants d’autres nations, les Français de l’étranger ont la possibilité de participer à la vie civique de notre pays, notamment en votant lors d’un nombre important de scrutins au sein des consulats.

L’accompagnement de la mobilité et le maintien du lien civique sont les deux axes principaux de notre action, en dépit de l’extrême diversité des situations des Français à l’étranger. C’est la raison pour laquelle, il convient sans doute de réaliser des progrès dans la connaissance sociologique des Français de l’étranger.

M. le président Luc Chatel. Le manque de données sur les Français de l’étranger est un sujet récurrent de nos auditions. Quel système de recensement faudrait-il prévoir pour disposer de statistiques plus fiables et plus précises en la matière ? Pourrions-nous nous inspirer de modèles étrangers ?

Le fait que vous ne puissiez nous donner aucun élément qualitatif sur les motifs qui incitent nos compatriotes à s’expatrier me surprend. Qu’est-ce qui pousse les Français à s’expatrier en plus grand nombre qu’il y a vingt ans ? Quelles sont les raisons de leurs décisions ?

Quelles sont également les attentes de nos compatriotes expatriés vis-à-vis du Gouvernement et des pouvoirs publics ? Est-il possible de comparer leurs attentes à celles d’autres expatriés d’autres pays ? Durant les auditions, la question de l’absence de véritable politique diasporique a été souvent évoquée. L’influence de nos compatriotes dans les pays où ils résident est-elle suffisante ? Quelles attentes ont-ils vis-à-vis de leur pays d’accueil ?

Dernière question : vous n’avez pas évoqué la proportion des retours. Qu’en est-il de ceux qui reviennent en France ? Observez-vous des évolutions significatives en la matière ? Quelle est notamment celle du solde entre les départs et les retours ?

M. Christophe Bouchard. Nos données sont précises et exactes lorsqu’elles portent sur ceux que nous sommes chargés de recenser : les ressortissants français inscrits dans nos consulats. Nous déclinons ces chiffres notamment par pays et par tranches d’âge, en fonction des renseignements obtenus lors de l’inscription sur le registre des Français établis hors de France. Ces données, qui concernent l’ensemble des ressortissants français inscrits, ne permettent pas de mesurer statistiquement les motivations, les profils ou les durées de présence. La direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire n’est ni chargée de ce travail statistique ni en mesure de le réaliser.

M. le président Luc Chatel. Il ne serait pourtant pas difficile, lorsque nos compatriotes s’inscrivent sur le registre, de leur demander la motivation de leur expatriation – regroupement familial, création d’une entreprise, contribution au développement international de l’entreprise à laquelle ils appartiennent, etc.

M. Christophe Bouchard. Ces informations, ou plutôt ces impressions, nous les obtenons, si je me réfère à mon expérience ancienne de chef de poste, par le contact quotidien que nous entretenons avec nos compatriotes expatriés. Aucune enquête systématique n’est menée à l’heure actuelle sur les motivations des expatriés et il n’existe pas d’outil statistique permettant de les connaître. Les seules données qui sont aujourd’hui récoltées sont d’ordre administratif : elles sont relatives notamment à l’état civil. Les critères d’âge ou de double nationalité nous permettent toutefois de savoir que, dans tel ou tel pays, une partie de la population s’est expatriée pour des raisons professionnelles, soit qu’elle n’arrive pas à trouver de travail en France, soit que l’expatriation entre dans le cursus professionnel. Certains expatriés, surtout les jeunes, ne savent pas s’ils resteront. J’ai servi plusieurs années aux États-Unis : une partie des jeunes, voire des moins jeunes, s’y installent pour des raisons professionnelles. Si leur projet est couronné de succès, ils resteront dix ou vingt ans. S’ils échouent, ils rentreront en France ou tenteront leur chance dans un autre pays.

Je tiens à souligner que certains pays ne cherchent même pas à savoir ce que deviennent leurs ressortissants à l’étranger : ils n’ont créé aucun système d’inscription sur un registre. C’est ainsi, je le répète, que les autorités allemandes ne sont pas en mesure de nous donner le moindre chiffre précis sur leurs expatriés.

Il serait évidemment possible, sinon de procéder à un questionnement systématique, du moins de conduire une enquête sociologique par sondage. Tel n’est pas le cas à l’heure actuelle.

M. le président Luc Chatel. Une telle enquête n’intéresserait-elle personne ? Ne serait-il pas intéressant de savoir, par exemple, pourquoi le nombre des Français partis en Australie ou au Canada a augmenté respectivement de 8 % et de près de 6 %, alors qu’il demeure stable dans d’autres régions du monde ?

M. Christophe Bouchard. Plusieurs facteurs ont pu jouer : une politique particulièrement accueillante sur le plan législatif – c’est le cas notamment de l’Australie ou du Canada –, la situation de l’emploi – c’est non seulement le cas de l’Australie ou du Canada, mais aussi des Émirats Arabes Unis –, ou la langue – c’est encore le cas du Canada. Le programme vacances travail incite également les jeunes à partir. En revanche, l’absence d’attraction économique ou le manque de sécurité jouent un rôle négatif, soit en dissuadant les Français d’aller s’installer dans tel ou tel pays, soit en conduisant ceux qui étaient sur place à repartir : je pense, pour des périodes précises, à certains pays d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne ou du Moyen-Orient.

La connaissance sociologique de la communauté française fait évidemment partie des préoccupations de tous nos chefs de postes, qui disposent d’éléments en la matière. En revanche, l’outil statistique permettant une analyse plus fine n’existe pas aujourd’hui.

Les raisons de l’expatriation sont très variées. Certains – notamment les jeunes – souhaitent diversifier leur expérience professionnelle ; d’autres cherchent à l’étranger un emploi dans des domaines qui, en France, connaissent des difficultés ; d’autres des opportunités dans des secteurs porteurs comme les services, l’hôtellerie, la restauration, le commerce – c’est le cas en Amérique du Nord, en Australie, dans les Émirats… On mentionnera également les professions spécialisées, notamment dans le bâtiment et les travaux publics. Qu’il s’agisse de se perfectionner ou de trouver un emploi, le motif professionnel existe donc bien.

Dans certains pays européens, l’aspect fiscal joue un rôle incontestable dans l’expatriation. Je mentionnerai à cet égard un phénomène nouveau, moins développé en France que dans d’autres pays : l’installation des retraités là où le coût de la vie sera moins élevé et où les prestations sociales seront plus favorables. Ainsi, certains pensionnés français s’établissent-ils au Maroc ; mais cette expatriation reste très limitée par rapport, par exemple, à celle des retraités allemands vers la Floride.

Enfin, il existe des motifs strictement personnels, pour ceux, par exemple, qui vont s’installer dans le pays de leur conjoint.

Certains resteront à l’étranger parce que leur nouvelle expérience professionnelle se sera révélée positive, parce qu’ils auront rencontré leur conjoint sur place, quand d’autres souhaiteront rentrer en France au bout d’un, deux ou trois ans.

Pour ce qui concerne les attentes des expatriés vis-à-vis de la France, on doit distinguer plusieurs cercles.

Un premier rassemble ceux qui veulent conserver un lien très fort avec la France. Ils considèrent être, en quelque sorte, des ambassadeurs de leur pays – plus exactement des ambassadeurs du savoir-faire français. Ils ont ce sentiment de diaspora, ce sentiment que ce qu’ils font contribue à l’image de la France, et cela se traduit par une relation très étroite avec le consulat et l’ambassade, mais aussi avec les associations, la chambre de commerce.

Ceux qui appartiennent au deuxième cercle, plus distendu, conservent un lien civique avec la France – ils participent aux élections, se sentent donc encore citoyens français à l’étranger.

Enfin il existe un cercle plus large – et de plus en plus large dans plusieurs pays. Aux États-Unis, au Canada, pays d’immigration où tout le monde ou presque a une origine étrangère, la majorité des expatriés ont progressivement perdu ce lien avec la France, ils se considèrent avant tout comme des Américains d’origine française et vont jusqu’à perdre la pratique du français. Dès lors, ils n’attendent plus grand-chose, sur le plan civique, de la France et ne votent plus – le taux de participation aux élections reste ainsi très modeste dans ces pays.

Dernier point, concernant les retours, il résulte du solde entre les 257 000 nouvelles inscriptions et les 225 000 radiations.

M. le président Luc Chatel. Automatiques ?

M. Christophe Bouchard. Non, justement, et c’est l’une des difficultés que nous souhaitons résoudre en réformant le système d’inscription pour le rendre plus souple et faire en sorte qu’il nous renseigne mieux sur la sociologie des personnes concernées. Pour l’heure, celles-ci ne font pas systématiquement la démarche de se désinscrire du consulat quand elles rentrent en France. La pratique veut qu’on attende cinq ans, puisque l’inscription est valable pour cette durée, pour vérifier, par courrier, que la personne est toujours là et souhaite donc maintenir son inscription. Il nous est arrivé de nous montrer assez souples, car, même en l’absence de réponse, nous attendions un certain temps avant de procéder à la désinscription. Or nous avons tendance à nous faire plus stricts désormais, notamment compte tenu du lien entre l’inscription au registre et l’inscription sur les listes électorales. Aussi les radiations peuvent-elles concerner des personnes parties l’année même ou bien d’autres qui sont parties auparavant. Reste que le flux est important puisqu’il concerne 257 000 personnes sur 1,6 million, à savoir près de 15 % d’arrivants et 15 % de partants. Ces données ne prennent pas en compte, bien sûr, les 400 000 à 900 000 Français à l’étranger inconnus de nos services. La réforme que j’appelle de mes vœux consisterait donc à simplifier les démarches administratives : pour les y encourager, les Français devraient pouvoir s’inscrire en ligne, sans avoir à se déplacer ni à imprimer de formulaires.

En même temps, dans certains pays, même la formule la plus souple et la plus simple n’empêcherait pas certains Français de ne pas comprendre l’intérêt de s’inscrire, car estimant ne plus avoir besoin de contact avec l’administration française – sans parler de ceux, même si leur nombre est assez réduit, qui, notamment pour des raisons fiscales, ne souhaitent pas être connus du consulat, imaginant que tous les fichiers sont interconnectés. Mais la raison principale demeure un manque d’intérêt, surtout au sein d’une population installée depuis longtemps. Il subsistera de toute façon toujours une part d’expatriés que nous ne connaîtrons pas. Et, compte tenu de nos tâches, de l’augmentation de cette population sans que nos moyens soient accrus en proportion, nous ne pouvons réaliser tout le travail statistique que vous évoquiez. Il faudrait pour ce faire qu’on mène une étude universitaire.

M. le président Luc Chatel. Comment interprétez-vous le fait que, parmi les personnes qui s’expatrient, le nombre de celles âgées de 41 à 60 ans soit en forte augmentation ?

M. Christophe Bouchard. Ce phénomène correspond à des projets professionnels répondant soit au désir d’enrichir son expérience, soit à une occasion qu’on souhaite saisir, à moins qu’il n’obéisse à des critères familiaux. Encore une fois, mon propos est davantage fondé sur des retours d’expérience que sur une étude statistique fine.

Mme Claudine Schmid. Vous avez parlé d’accompagnement à la mobilité via la Maison des Français de l’étranger. Or, sauf erreur de ma part, elle fermera définitivement le 1er août prochain. Est-ce exact ? Quelles sont les raisons de cette fermeture, alors qu’il est si important d’accompagner nos compatriotes ?

Vous avez également rappelé la nécessité de maintenir le lien avec notre communauté. Dès lors, pourquoi fermer de nombreux consulats ?

Ensuite, les quelque 225 000 radiations annuelles réalisées par les services consulaires font-elles suite à l’information, par les personnes concernées, qu’elles repartent en France, ou bien sont-elles automatiques du fait du non-renouvellement de l’inscription par des ressortissants qui, donc, ne rentrent pas nécessairement ?

Lorsque les Français renouvellent leur inscription, on ne leur demande pas quelle est leur activité. Aussi, un étudiant qui s’inscrit à l’âge de 18 ans sera toujours considéré comme tel à l’âge de 65 ans. Je m’étonne que cette information ne soit pas demandée : il conviendrait d’ajuster le dispositif.

Enfin, les services consulaires vous font-ils remonter des informations qui leur paraissent étonnantes à propos de la communauté française de leur ressort ? Dans l’affirmative, de quelle manière réagissez-vous ?

Mme Monique Rabin. Dans le cadre des préoccupations françaises actuelles, plutôt axées sur la présence économique de la France, je souhaite savoir si les consulats ont été amenés à développer ce volet.

M. Christophe Bouchard. La Maison des Français de l’étranger ne ferme pas ; nous voulons au contraire réformer et développer son action. Seule une de ses activités s’interrompt le 31 juillet : l’accueil physique des visiteurs rue de la Convention. À la demande, il y a un an et demi, de la ministre déléguée aux Français de l’étranger, une étude a été réalisée sur le rôle et l’efficacité de cette structure qui employait quatre agents du ministère. Un rapport a mis en évidence que certaines activités se révélaient décevantes en termes d’audience et d’impact, dont cet accueil du public qui concernait en moyenne six à huit personnes par jour – donnée qui ne nous semblait pas à la mesure du nombre de Français susceptibles de s’installer à l’étranger.

Nous avons donc décidé d’interrompre cette activité et, à partir de la rentrée, d’en développer d’autres, en particulier via internet, outil qui nous permettra de toucher beaucoup plus de monde. Certains ateliers d’aide à la confection de curriculum vitae, organisés deux fois par mois pour une moyenne de quinze personnes, seront désormais réalisés par le biais d’internet afin de toucher deux à trois plus de personnes, pour le même coût.

Le nom de la Maison des Français de l’étranger changera. Nous ne connaissons pas encore le nouveau, mais il pourrait être : Mission pour l’information sur l’expatriation. L’idée est bien qu’elle touche un plus grand public ; il convient donc d’en moderniser les méthodes de travail.

Mme Claudine Schmid. Nous étions bien informés : vous nous dites que cette organisation va changer de nom et d’objectif : elle ferme donc vraiment.

M. Christophe Bouchard. L’accueil du public n’était qu’une des activités de la Maison des Français de l’étranger dont la mission demeure : informer nos compatriotes qui souhaitent s’expatrier sur les questions administratives, sociales, fiscales, médicales… Seule une de ses activités, l’accueil de huit personnes par jour en moyenne rue de la Convention, cesse. C’est cette information qui a dû être diffusée auprès de vous. Mais les autres activités se poursuivront grâce à la refonte du site internet qui est en cours.

Quant au maintien du lien avec la communauté française à l’étranger et à l’évolution de notre réseau consulaire, il est exact que des postes ont été fermés dans certains pays alors que leur développement se révélait au contraire nécessaire dans d’autres, comme la Chine ou l’Inde. Depuis plusieurs années, donc, un certain nombre de consulats ont fermé en Europe – plusieurs ayant tout de même conservé des fonctions culturelles, économiques, politiques. Le réseau consulaire était dense en effet. Les ressortissants français en Belgique devront désormais se rendre à Bruxelles, alors qu’ils pouvaient auparavant aller à Anvers et à Liège. C’est moins pénalisant que s’ils vivaient aux États-Unis, où le réseau reste inchangé, en Chine ou en Australie, où il se développe.

En outre, au sein de l’Union européenne, la logique veut que les ressortissants européens vivant dans un autre pays que le leur aient de moins en moins besoin d’assistance consulaire.

En ce qui concerne les radiations, le chiffre de 225 000 englobe les personnes qui ont demandé à être retirées de la liste et celles qui, au moment du renouvellement quinquennal, n’ont pas répondu au consulat et sont automatiquement radiées. Si un Français quitte un pays étranger pour s’installer dans un autre pays, il reste sur le registre, mais son dossier est actualisé, notamment en ce qui concerne sa profession, même s’il est vrai que nous ne l’interrogeons pas sur ses motivations.

Enfin, je n’ai pas bien compris votre dernière question, Madame Schmid.

Mme Claudine Schmid. Je faisais allusion au nombre de Français demandant à être déchus de leur nationalité. J’ai cru comprendre que plusieurs postes avaient tiré la sonnette d’alarme.

M. le président Luc Chatel. Avez-vous des éléments chiffrés ?

M. Christian Bouchard. Nous suivons ce phénomène dont les proportions restent modestes par rapport à la population globale.

Mme Claudine Schmid. J’ai eu communication de données sur la perte de la nationalité française par décret – libération des liens d’allégeance. Mais qu’en est-il des demandes de radiation expresse, qui seraient encore plus nombreuses ? La question ne concerne pas vraiment notre commission d’enquête, mais le phénomène est significatif.

M. le président Luc Chatel. Je pense au contraire qu’il concerne notre commission d’enquête, car il y a peut-être un lien de cause à effet…

Mme Claudine Schmid. On compte 189 radiations par décret. Or plus de la moitié proviennent de Suisse : si, en 2010, on en dénombrait 4, deux fois plus qu’en 2011, elles sont passées à 63 en 2012 et à 113 en 2013, alors que les chiffres n’ont pas évolué ailleurs dans le monde. Il me semblait que nos postes en Suisse avaient tiré la sonnette d’alarme. Et je me suis rendu compte que le nombre de personnes ayant demandé à être libérées de leurs liens d’allégeance par radiation expresse était encore plus important. Quand les consulats s’en étonnent, le ministère s’en inquiète-t-il ? N’est-ce pas l’esquisse d’un mouvement ? À chacune de mes permanences, je rencontre un ou plusieurs de nos compatriotes prêts à faire cette demande. Je cherche donc à savoir combien passent à l’acte.

M. Christian Bouchard. Nous observons bien sûr cette évolution, mais on évoque ici le cas, pour la Suisse, d’un peu plus de cent personnes sur 163 000. Notre travail consiste à tâcher de nous occuper au mieux de ces derniers. Quant aux motivations des demandes de radiation, elles sont clairement, chez certains, d’ordre économique et fiscal, et, chez d’autres, plutôt d’ordre professionnel – pour accéder à telle ou telle profession, dans certains pays, il faut renoncer à sa nationalité d’origine, ce qui reste un phénomène marginal. Il revient sans doute davantage aux élus et aux associations d’interpréter les évolutions que vous mentionnez.

En outre, il va de soi que, dans un pays, la communauté française ou d’origine française constitue l’un des moyens sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour développer l’image de la France, mais aussi les affaires et les échanges économiques. Certains États préfèrent d’ailleurs raisonner en termes de personnes originaires du pays, car, même si elles ont perdu la nationalité, elles restent des vecteurs d’influence. Ce développement s’effectue via, certes, des projets individuels, mais aussi via les chambres de commerce, le réseau des conseillers du commerce extérieur, les associations, les groupes d’intérêt, les conseils des affaires économiques désormais actifs dans les postes…

Mme Monique Rabin. Les consulats mènent-ils une action en la matière ?

M. Christian Bouchard. Ils tâchent de fédérer ces initiatives, de mettre en rapport des entreprises françaises avec des contacts locaux, ce qui est plus facile quand, parmi ces derniers, se trouvent des patrons ou des cadres français. C’est aussi le travail d’Ubifrance qui aidera également une entreprise étrangère dans laquelle il y a des intérêts français à trouver un partenaire en France, un client, un distributeur. L’idée est que ceux qui restent à l’étranger peuvent aider les intérêts économiques français, soit parce qu’ils travaillent dans une entreprise française, soit parce que, même travaillant dans une entreprise étrangère, ils auront tendance à faire appel à des fournisseurs français. On doit aussi promouvoir le savoir-faire français à l’occasion de la création, sur place, de PME, de commerces, leurs détenteurs ayant là aussi tendance à acheter des produits français. Et, quand ils reviennent en France, il s’agit de faire profiter notre pays de leur expérience acquise à l’étranger.

M. le président Luc Chatel. Monsieur le directeur, je vous remercie.

L’audition s’achève à dix-sept heures trente.

*

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mercredi 23 juillet 2014 à 16 h 15

Présents. - M. Luc Chatel, Mme Monique Rabin, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Marc Goua

——fpfp——