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Commission d’enquête sur la fibromyalgie

Mardi 31 mai 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 02

Présidence de Mme Sylviane Bulteau, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, du professeur Daniel Bontoux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, rhumatologue

– Audition, ouverte à la presse, du professeur Agnès Buzyn, présidente de la Haute autorité de santé

– Audition, ouverte à la presse, du professeur Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine et expert de l’Institut thématique multi-organismes Physiopathologie, métabolisme et nutrition pour le domaine ostéo-articulaire

– Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA FIBROMYALGIE

La séance est ouverte à neuf heures trente.

——fpfp——

La commission d’enquête sur la fibromyalgie procède à l’audition du professeur Daniel Bontoux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, rhumatologue.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je souhaite la bienvenue au professeur Daniel Bontoux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine et rhumatologue.

Je vous rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Avant de vous céder la parole, monsieur Daniel Bontoux, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Daniel Bontoux prête serment).

M. Daniel Bontoux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, rhumatologue. Pour commencer, je crois utile de me présenter. Je suis médecin rhumatologue, ancien interne et chef de clinique des Hôpitaux de Paris, professeur émérite à l’université de Poitiers et ancien chef du service de rhumatologie de ce centre hospitalier universitaire (CHU). J’ai présidé la société française de rhumatologie ainsi que l’Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR), une association d’utilité publique dédiée aux problèmes sociaux des rhumatisants au sein de laquelle se côtoient professionnels de santé et associations de malades. J’ai également dirigé la délégation interrégionale pour l’éducation et la promotion de la santé (DIREPS) du Grand Sud-Ouest.

Je suis, depuis près de quinze ans, membre de l’Académie nationale de médecine. C’est en cette qualité que j’ai participé, il y a dix ans, à l’élaboration d’un rapport sur la fibromyalgie, commandé par M. Xavier Bertrand, qui était alors ministre de la santé.

La fibromyalgie est un syndrome. Je sais que le terme fâche un peu. Nous y reviendrons mais je pense pouvoir vous montrer qu’il n’a rien de réducteur et que les patients n’ont pas de raison de s’en inquiéter ou de s’en offusquer.

Comme tous les syndromes, la fibromyalgie est constituée de plusieurs symptômes, à ceci près qu’ils présentent la particularité d’être exclusivement fonctionnels, subjectifs.

Le principal symptôme est la douleur. Celle-ci est constante, chronique, diffuse ; ses caractéristiques et son intensité varient d’une personne à l’autre. Deux autres symptômes sont, sinon constants, du moins très fréquents : des troubles du sommeil et une grande fatigue. De nombreux autres symptômes sont moins fréquents, je vous en cite les principaux : la céphalée, la dépression, l’anxiété et les troubles cognitifs – qui concernent principalement la mémoire. Contrastant avec cette assez riche symptomatologie fonctionnelle, l’examen physique des patients se révèle absolument normal, à l’exception de certains points douloureux à la pression – ce n’est pas là non plus très objectif. De même, la radiographie, l’échographie, la biologie sont normales ; la biopsie, si on avait la mauvaise idée d’en faire une, ne montrerait aucun signe anatomopathologique.

Pourtant, malgré cette intégrité physique, les patients décrivent un réel mal-être, des difficultés dans leur vie quotidienne et dans l’exercice de leur profession. Vous vous en doutez, la reconnaissance par la communauté médicale internationale d’un mal aussi peu défini, aussi insaisissable, qui ne s’observe pas, qui peut seulement être décrit par ceux qui en souffrent, n’a pas été sans difficulté. Elle n’a été possible qu’avec l’établissement de critères dont la dernière mouture, d’origine américaine comme les autres, fait l’objet d’un très large consensus. Ces critères ne sont toutefois pas parvenus à vaincre complètement les réticences de nombreux « fibrosceptiques » qui continuent à voir dans la fibromyalgie une construction de l’esprit, un habillage de troubles somatoformes.

D’autant que ces troubles sont toujours répertoriés dans la classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme syndromes somatoformes sous l’identifiant F45, alors même que cette classification reconnaît la fibromyalgie en tant que telle sous le code M79. Cela ne simplifie pas les choses.

Qui plus est, même pour les médecins les plus convaincus de la réalité de ce syndrome, les interrogations persistent, faute de comprendre les causes ou les mécanismes qui peuvent l’expliquer.

Il est admis, preuves à l’appui, que les personnes atteintes ont un abaissement du seuil de sensibilité à la douleur, c’est-à-dire qu’elles perçoivent comme douloureuses des stimulations qui ne sont pas perçues comme telles par d’autres. Malgré les connaissances que nous apporte en particulier l’imagerie cérébrale fonctionnelle, on ne connaît toujours pas le mécanisme de cette anomalie qui, par ailleurs, n’explique pas les autres troubles très importants du syndrome, comme les troubles du sommeil ou la fatigue.

Bref, malgré les nombreux travaux scientifiques relatifs à cette maladie, on n’est toujours pas en mesure de dire que la fibromyalgie correspond au dérèglement de telle fonction ou de tel système.

Il en résulte que le traitement de la fibromyalgie n’est pas très satisfaisant. L’effet des médicaments n’est jamais complet. Ils sont d’ailleurs utilisés le moins possible. Les meilleures ressources se trouvent dans la physiothérapie et dans l’aide que l’on peut apporter aux patients pour supporter les troubles.

Le très bon rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) sur le syndrome fibromyalgique chez l’adulte recommande d’aviser le patient dès la première consultation qu’on ne peut pas supprimer les troubles, qu’au mieux, on peut les réduire et de l’aider à supporter la maladie.

Dans ces conditions, les expériences des patients sont assez pénibles. Je ne vous apprends rien puisque vous vous faites l’écho de leur plainte dans vos circonscriptions ; c’est la raison pour laquelle, me semble-t-il, cette commission d’enquête a été créée.

Je résume les principales demandes des patients listées dans le rapport de la Haute Autorité que j’ai mentionné : l’égalité de la prise en charge selon les régions, l’écoute des malades par les médecins, des soins appropriés, une démarche claire pour établir le diagnostic, l’identification de l’impact de ce syndrome sur la vie quotidienne, la reconnaissance du caractère invalidant du syndrome, l’accompagnement psychosocial et une meilleure formation des professionnels de santé.

Toutes ces demandes me paraissent tout à fait légitimes. Elles ont obtenu des réponses, certaines qui sont satisfaisantes, et d’autres qui pourraient être améliorées.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, dans la limite de mes compétences, car la fibromyalgie est une affaire complexe. Personne ne peut s’estimer omniscient en la matière.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Le rapport auquel vous avez contribué en 2007 affirme : « Si l’accord paraît aujourd’hui général sur la réalité de ce syndrome douloureux chronique et même sur sa fréquence, des doutes persistent à s’exprimer sur la légitimité d’en faire une maladie. » Pouvez-vous nous expliquer la distinction entre un syndrome et une maladie ? Pour quelles raisons la fibromyalgie n’a pas été considérée par l’Académie de médecine comme une maladie ? L’OMS et les principaux pays occidentaux ont-ils pris une autre position ?

M. Daniel Bontoux. Nous qualifions la fibromyalgie de syndrome et non de maladie en nous appuyant sur les définitions qui sont données de ces deux notions.

L’Académie nationale de médecine a pour mission d’établir et de mettre à jour un dictionnaire des termes utilisés en médecine et en biologie. Ce dictionnaire précise que le terme maladie dans le langage médical courant correspond à un ensemble de symptômes anormaux résultant d’une même cause connue ; son identification aboutit à l’établissement d’un diagnostic et d’un traitement approprié quand il existe. Le syndrome est quant à lui un ensemble de symptômes qui ne constitue pas une entité ou un concept dont l’identification corresponde à une cause parfaitement connue. Les membres de l’Académie nationale de médecine se doivent de respecter ce qui est écrit dans le dictionnaire qu’ils établissent... La fibromyalgie, n’ayant pas de cause connue – peut-être en aura-t-elle un jour –, ne peut donc être considérée comme une maladie.

Il manque dans l’extrait que vous avez cité du rapport de 2007 la suite de la phrase : « avec les conséquences médicosociales qui peuvent en résulter. La raison en est le caractère subjectif des troubles invoqués, le fait qu’ils ne sont que statistiquement associés, le caractère artificiel et abusif des critères ». Ce propos visait à inviter à la prudence sur les conséquences médicosociales, non pas parce que ce n’est pas une maladie mais parce que c’est une maladie dont il est difficile d’apprécier la gravité. Toutefois, il est écrit plus loin dans le rapport que « les formes sévères du syndrome peuvent justifier à titre individuel, et après avis d’expert, la prise en charge qui convient aux maladies invalidantes ». Le fait d’être une maladie n’ouvre pas droit automatiquement à des avantages médico-sociaux. Inversement, dans les formes graves, ces avantages peuvent être attribués même s’il s’agit d’un syndrome. La distinction entre maladie et syndrome est sémantique et ne revêt pas une grande importance, d’autant qu’elle est appelée à évoluer : lorsqu’une cause aura été déterminée, la fibromyalgie pourra légitimement être qualifiée de maladie.

À titre personnel, j’ai, sans difficulté, franchi le pas. Je suis l’auteur d’un petit traité de rhumatologie qui a connu deux éditions, l’une en 2002, l’autre en 2014. La première consacrait trois pages à la fibromyalgie dans un chapitre relatif aux syndromes douloureux diffus au sein d’une partie intitulée diagnostic et conduite pratique. Dans la dernière édition, la fibromyalgie fait l’objet d’un chapitre de treize pages dans la partie relative aux maladies de l’appareil locomoteur. Cela ne me gênerait pas d’appeler la fibromyalgie une maladie, mais puisque l’Académie de médecine s’est prononcée en ce sens, je suis bien obligé de la considérer comme un syndrome.

M. le rapporteur. Quelle est la position de l’OMS ?

M. Daniel Bontoux. L’OMS classe la fibromyalgie dans la liste des maladies.

M. le rapporteur. Qu’en est-il dans les autres pays ? Je crois savoir que la Belgique l’a reconnue comme maladie.

M. Daniel Bontoux. C’est très possible, mais je n’ai pas connaissance des positions des autres pays.

M. le rapporteur. Depuis les derniers rapports de l’Académie nationale de médecine et de la Haute Autorité de santé, la recherche scientifique a-t-elle progressé ? Votre position a-t-elle évolué depuis 2007 ? Avez-vous connaissance de travaux importants récents que vous souhaiteriez nous indiquer ?

M. Daniel Bontoux. Beaucoup de travaux de recherche ont été menés sur la fibromyalgie. Les plus intéressants ont exploité les ressources de l’imagerie fonctionnelle cérébrale. Cette technique a déjà permis de valider l’hypothèse selon laquelle les patients atteints de fibromyalgie ont un abaissement du seuil de sensibilité douloureuse.

Lorsqu’on exerce une pression modérée sur les zones sensibles, les patients atteints de fibromyalgie répondent à cette stimulation alors que chez les sujets normaux, les centres de traitement de la douleur au niveau cérébral – l’insula, l’opercule – ne sont pas activés.

D’autres anomalies ont été constatées à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle : une hyperexcitabilité des neurones, une déficience des voies descendantes inhibitrices de la douleur périphérique, ainsi que des anomalies de la connectivité entre les aires de gestion de la douleur et les aires sensori-motrices.

La difficulté vient de ce que tous les travaux ne sont pas concordants. Les anomalies ne sont jamais observées de manière constante chez les patients. Quand elles le sont, nous ne savons pas toujours si elles sont une cause ou une conséquence. Malgré les progrès scientifiques, nous n’avons toujours pas d’explication claire et nette du phénomène. Ces différences observées chez les fibromyalgiques ont toutefois le mérite de suggérer une assise physiopathologique de ce syndrome, quel que soit le mécanisme exact. Il semble de plus en plus probable que la fibromyalgie relève d’une anomalie centrale cérébrale de la gestion de la douleur.

D’autres travaux orientent vers d’autres voies mais ils n’ont pas reçu de confirmation.

M. le rapporteur. Dans le rapport de la Haute Autorité de santé, il est écrit qu’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurances, à l’instar de la calvitie, du syndrome du côlon irritable, de la phobie sociale, de l’ostéoporose ou du dysfonctionnement érectile ». Qu’en pensez-vous ?

M. Daniel Bontoux. J’avais également noté ce passage. Je suis assez surpris ; je ne vois pas très bien quelle pression l’industrie pharmaceutique pourrait exercer pour faire « monter » la fibromyalgie. Aucun médicament n’a fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM).

En outre, je m’insurge de voir l’ostéoporose traitée de « nouvelle » maladie « fabriquée ». Cette maladie n’est ni nouvelle, ni fabriquée, ses conséquences médico-économiques sont considérables, elle représente un problème de santé publique majeur. Une telle affirmation me paraît insensée.

M. le rapporteur. Pour quelles raisons les femmes semblent plus atteintes par la fibromyalgie que les hommes ? Des hypothèses sont-elles émises pour expliquer cette asymétrie ?

M. Daniel Bontoux. Je n’en sais rien, je crois que personne ne le sait, pourtant la prédominance féminine est écrasante. On parle de 80 % de femmes mais, à mon avis, la proportion est plus importante encore. J’ai peine à me rappeler un homme fibromyalgique parmi mes patients.

La fibromyalgie ne donne pas lieu à un dérèglement des fonctions hormonales féminines. Il n’y a pas de raison de penser qu’elle est liée à un phénomène génétique. On ne voit pas pourquoi les femmes seraient particulièrement vulnérables aux accidents de la vie qui font partie des éléments déclencheurs.

M. le rapporteur. Quelles sont les différentes méthodes de diagnostic de la fibromyalgie ? Laquelle vous semble la plus pertinente ?

M. Daniel Bontoux. C’est l’une des faiblesses de cette maladie que de reposer essentiellement sur des signes fonctionnels, subjectifs. Le diagnostic est très souvent fait au jugé, à l’expérience, en rapprochant des douleurs qui durent depuis très longtemps, qui sont diffuses, et qui s’associent à des troubles du sommeil. Mais on ne peut pas s’en satisfaire.

Le meilleur moyen pour établir un diagnostic consiste à utiliser les critères de classification. Ces critères, qui font l’objet d’un consensus, ne font appel qu’à des déclarations du malade ; le diagnostic peut presque être fait sans examiner le malade. Il s’appuie, d’une part, sur la mesure de l’étendue de la douleur – le nombre d’endroits du corps où le patient dit ressentir des douleurs –, et d’autre part, sur une appréciation chiffrée suivant leur gravité des autres signes – troubles du sommeil, fatigue, troubles cognitifs ainsi que leur retentissement sur la vie quotidienne.

M. le rapporteur. J’ai rencontré un certain nombre de malades, qui rapportent tous que la fibromyalgie se déplace : ils peuvent avoir mal dans le dos un jour, dans la poitrine le lendemain, la hanche ensuite, etc.

M. Daniel Bontoux. Tout à fait. C’est la raison pour laquelle les critères de diagnostic ont été revus.

Auparavant, les critères décrivaient dix-huit sites douloureux à une pression de 4 kilos par centimètres carrés. Le diagnostic exigeait pour être établi onze points sensibles sur dix-huit. La maladie étant variable dans son intensité et dans son étendue, le patient pouvait être considéré fibromyalgique un jour et ne pas l’être le lendemain. C’est la raison pour laquelle les critères ont été modifiés : ils tiennent désormais compte des sites douloureux mais ils accordent aussi une très grande importance aux autres signes associés.

M. le rapporteur. Comment améliorer le diagnostic précoce de ce syndrome et éviter les situations d’errance médicale ? Selon vous, les médecins généralistes et les médecins de prévention sont-ils sensibilisés et suffisamment formés à ce syndrome ? On nous dit souvent que les patients apprennent très longtemps après que leurs douleurs, mises sur le compte du stress ou de l’anxiété, sont associées à la fibromyalgie.

M. Daniel Bontoux. Il n’est pas possible de faire un diagnostic extrêmement précoce, puisque la durée des troubles entre dans la définition de la maladie : le patient doit souffrir d’une douleur chronique, les troubles doivent durer depuis plus de trois mois.

Il est souhaitable de faire le diagnostic le plus tôt possible. J’ai lu quelque part qu’il est établi en moyenne au bout de sept ans, ce qui est vraiment trop long ; je ne crois pas que le délai soit de sept ans aujourd’hui, même si des patients errent sans diagnostic pendant un certain temps.

Comment y remédier ? Il faut que les praticiens auxquels se confient les patients, en particulier les généralistes qui sont souvent les médecins de premier recours, soient informés de la maladie et en connaissent au moins les grandes lignes. Les médecins sont-ils suffisamment formés ?

Les fibromyalgiques s’adressent dans presque tous les cas à des généralistes, à des rhumatologues ou à des algologues exerçant dans le cadre de consultations sur la douleur ou de centres de prise en charge de la douleur – comme il en existe, fort heureusement, beaucoup en France. Pour les deux derniers professionnels, la formation n’est pas un problème. La fibromyalgie est pour eux une pathologie très fréquente. Pendant leurs études et leurs stages de formation, dans le cadre du diplôme d’études spécialisées (DES) de rhumatologie et de ce qu’était le diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) d’algologie – qui va être transformé en une formation spécialisée transversale (FST) –, la fibromyalgie est bien enseignée. Dans leurs stages hospitaliers, les futurs rhumatologues et algologues sont bien exercés à la reconnaître et à la prendre en charge.

En revanche, pour les généralistes, c’est moins sûr. On ne peut pas leur demander d’être particulièrement compétents sur la maladie, tant ils ont de choses à connaître. Il faut au moins qu’ils soient informés de son existence, qu’ils connaissent les grandes lignes pour pouvoir l’identifier et qu’ils soient capables d’orienter les patients vers un rhumatologue ou un algologue. La formation des généralistes répond-elle à cette nécessité ? Je n’en suis pas absolument certain. Pour marquer l’esprit des étudiants de deuxième cycle sur un problème médical quelconque, il faut que celui-ci soit inscrit dans le programme de l’examen classant national (ECN) et fasse éventuellement l’objet d’une question lors des épreuves. Aujourd’hui, la fibromyalgie ne figure explicitement nulle part. La maladie est-elle enseignée dans les facultés ? Je sais que les rhumatologues ne l’enseignent pas aux étudiants de second cycle ; elle ne figure pas dans l’ouvrage de référence du comité français des enseignants de rhumatologie. En algologie, le sujet est traité de façon conséquente dans certaines facultés et pas dans d’autres. Pour faire mieux connaître la maladie des généralistes, il faut demander à l’ensemble des facultés d’aborder systématiquement cette maladie dans la préparation à l’examen classant national, voire d’en faire une question à l’examen, ce qui obligerait les étudiants à travailler un peu le sujet.

M. Jean-Pierre Decool. Ce n’est sans doute pas la seule pudeur masculine qui peut expliquer la faible représentation des hommes au sein des associations de malades. Cette maladie touche selon moi plus de 90 % de femmes. Il faudrait creuser l’hypothèse d’une cause liée au métabolisme féminin.

Parmi les médecins, deux écoles s’opposent : ce ne sont pas les anciens contre les modernes, mais ceux qui ne veulent pas y croire – et qui disent poliment aux députés de se mêler de leurs affaires – et ceux qui y croient. Je pense que ce n’est pas forcément une mauvaise chose que des gens comme nous qui ne sont pas médecins apportent un avis. Le sénateur Jean-Claude Etienne, qui était un éminent médecin, a dit un jour à des confrères : « lorsque deux millions de personnes dans un pays sont atteintes du même syndrome, on ne peut pas dire qu’il ne se passe rien ». On trouve de jeunes médecins qui acceptent au moins d’en parler et de soutenir les malades. Il y a peut-être des causes psychosomatiques, mais assurément des gens souffrent et nous ne pouvons pas y rester insensibles. Ne devrait-on pas faire en sorte que les malades trouvent une écoute harmonieuse dans la médecine française ?

M. Alain Ballay. À partir de vos observations, pouvez-vous établir une typologie des personnes atteintes de ce syndrome ? La personnalité peut-elle être en cause ? Sans aller jusqu’à parler de somatisation, certains patients manifestent-ils un mal de vivre ?

Avez-vous constaté que ce syndrome pouvait conduire à une inaptitude à un poste de travail ? Cette inaptitude résultait-elle de la douleur ou d’une réduction de la mobilité ?

M. Gérard Bapt. Quelle est la fréquence de la maladie ? À quel âge survient-elle ? Est-on vraiment certain d’en avoir terminé avec les recherches dans le domaine de l’immunologie ? Par référence à la myofasciite à macrophages, des cohortes ont-elles été réalisées, qui permettraient de retracer l’anamnèse médicale et les expositions tout au long de la vie des personnes concernées ?

M. Daniel Bontoux. Je suis d’accord avec M. Jean-Pierre Decool. Il n’est pas acceptable de dire à un député de « se mêler de ses affaires ». Ne pas vouloir l’entendre, c’est ne pas vouloir entendre les patients, car vous ne faites pas autre chose que d’essayer, avec les moyens qui sont les vôtres et qui sont importants, d’obtenir que les malades soient entendus. Refuser d’entendre les malades pour une raison dogmatique – parce qu’on ne croit pas à leurs plaintes –, ce n’est pas une attitude médicale raisonnable.

Quoi qu’on en pense, même si on est très sceptique à l’égard de ce syndrome – je respecte les sceptiques car ils ne manquent pas d’arguments –, on ne peut pas négliger ou mépriser un état dont se plaignent des millions de personnes dans le monde.

Il faut indiscutablement – c’est l’un des premiers éléments de la prise en charge si l’on veut obtenir un résultat – écouter les malades. C’est d’ailleurs l’une des difficultés auxquelles sont confrontés les généralistes : une consultation de vingt ou trente minutes ne suffit pas pour garantir l’écoute que réclame cette maladie.

S’agissant de la typologie, on constate chez un nombre important de patients, pas chez tous, des antécédents qui ne peuvent qu’être pris en considération. Il s’agit de traumatismes physiques, principalement ceux consécutifs à des grandes catastrophes comme celle du 11 septembre 2001 à New York, mais aussi de traumatismes psychologiques notamment liés aux différentes formes de violence subie pendant l’enfance ou l’adolescence.

On note une association claire avec la dépression ou l’anxiété, mais on ne connaît pas très bien le lien entre les deux. Les signes de la dépression peuvent survenir avant ou après les manifestations de la maladie. La dépression peut être l’origine de douleurs mais on sait aussi que des douleurs prolongées peuvent être génératrices de dépression. Il est donc difficile d’établir un profil psychologique des personnes destinées à souffrir d’une fibromyalgie.

Quant à l’inaptitude à l’activité professionnelle, c’est l’une des questions auxquelles il est le plus difficile de répondre, car on ne peut en décider que sur la foi des déclarations du patient. À ce jour, je n’ai pas de réponse. Je sais que certains médecins des caisses d’assurance maladie acceptent parfois des régimes particuliers pour ces patients. Il faudrait les entendre pour connaître les critères qui fondent leurs jugements et les inciter à harmoniser ces derniers. Les patients se plaignent précisément, à juste titre, des différences de traitement entre les régions.

La fréquence de la maladie est très difficile à connaître car il n’existe pas de recensement très clair. On estime que, dans le monde, la prévalence, c’est-à-dire le nombre de personnes affectées par la maladie à un moment donné, serait comprise entre 1 et 2 % de la population, ce qui est considérable.

Aucune base immunologique n’a été identifiée pour la fibromyalgie simple, mais celle-ci peut être associée aux grandes maladies immunitaires que sont la polyarthrite rhumatoïde et le lupus érythémateux. Lorsque les signes de la fibromyalgie accompagnent ceux des maladies que je viens d’évoquer, on considère qu’il ne s’agit pas d’une vraie fibromyalgie mais d’une maladie immunologique qui en emprunte les signes. Cela contribue à justifier l’emploi du terme de syndrome pour désigner la fibromyalgie, puisqu’un syndrome peut également être un ensemble de signes clairs répondant à des causes différentes, dont certaines sont des maladies connues.

M. Arnaud Viala. Les malades que nous recevons témoignent tous d’un état dépressif. Avez-vous connaissance de recherches sur l’antériorité de la dépression par rapport à l’apparition des troubles liés à la fibromyalgie ?

Compte tenu du nombre de femmes atteintes, des recherches ont-elles été menées sur une éventuelle corrélation entre la fibromyalgie et les méthodes contraceptives, en particulier la pilule ?

Mme Florence Delaunay. Pouvez-vous préciser la période et les facteurs de déclenchement du syndrome ? Ces questions ont-elles donné lieu à des études ?

Des études comparatives avec d’autres maladies à prévalence féminine ont-elles été menées et quels en sont les résultats ?

Mme Bérengère Poletti. Les personnes atteintes de fibromyalgie qui viennent nous voir attendent de nous un traitement social de leur maladie ; ils veulent que leur maladie soit reconnue, ils la considèrent à juste titre comme invalidante, ils souhaitent être accompagnés par la société.

Les députés ne cherchent pas à occuper le champ médical, mais le champ social afin d’aider ces personnes à obtenir une prise en charge et une reconnaissance de la maladie.

J’ai entendu parler de traitement par oxygénothérapie hyperbare. Quels en sont les résultats ?

Mme la présidente Sylviane Bulteau. J’ajouterai une dernière question : avez-vous connaissance de cas de guérison ?

M. Daniel Bontoux. L’association avec la dépression est fréquente. Chez certains patients, les troubles dépressifs ou anxieux précèdent les premières manifestations de la fibromyalgie tandis que, chez d’autres, ils surviennent après. Dans le cas de l’anxiété, la première hypothèse est majoritaire. La dépression survient quant à elle souvent dans un deuxième temps. Cela donne à penser, sous toutes réserves, que la maladie se développe sur un terrain anxieux tandis que la dépression est plutôt une conséquence du caractère pénible et interminable de la fibromyalgie – je schématise beaucoup car nous n’avons pas de certitudes à ce sujet.

S’agissant du lien entre fibromyalgie et contraception, je ne dispose pas d’éléments pour vous répondre.

Les traumatismes semblent être les principaux facteurs déclenchants, je l’ai dit. Quand ils se sont produits longtemps auparavant, ils ont probablement modelé la personnalité de telle sorte que les troubles fibromyalgiques surviennent plus tard.

La maladie se voit à tous les âges de la vie, mais davantage à la maturité de l’âge adulte. Elle est signalée chez l’enfant par la littérature scientifique sur le sujet.

Quant au traitement social, je souhaite faire une remarque importante sur la prise en charge des patients. On dispose, pour lutter contre la fibromyalgie, de médicaments antalgiques. Ce ne sont pas les antalgiques habituels, comme le paracétamol, et encore moins les morphiniques, mais des médicaments utilisés, à des doses plus faibles, dans le traitement de la dépression – ils agissent sur les mécanismes de transmission de la douleur dans les synapses nerveuses – et dans le traitement de l’épilepsie. Les résultats ne sont pas très satisfaisants. Le traitement par physiothérapie, balnéothérapie ou les cures thermales ont un réel intérêt pour la prise en charge des patients tout comme les mesures d’accompagnement social – ne serait-ce que le soutien psychologique, l’aide à la gestion du temps pour faire des activités, à se ménager des temps de repos ; tout cela est très important mais nécessite beaucoup d’écoute et de dévouement.

Quant à l’oxygénothérapie hyperbare, je n’ai aucune connaissance de son utilisation pour la fibromyalgie.

Enfin, c’est navrant, mais je ne pense pas qu’aujourd’hui on puisse guérir de la fibromyalgie.

M. le rapporteur. Je vous remercie pour vos réponses claires. Je vous serais reconnaissant de nous adresser par écrit les réponses aux autres questions que nous vous avions fait parvenir.

Nous n’avons pas évoqué les risques que prennent les patients en prenant des doses élevées de médicaments délivrés sans ordonnance qu’ils achètent de leur propre initiative, parfois sur internet, pour soulager la douleur.

M. Daniel Bontoux. Pour la fibromyalgie comme pour les autres maladies, vous avez raison de souligner les risques de l’achat de médicaments sur internet. C’est un problème de santé publique auquel il faudra apporter une réponse.

M. le rapporteur. Lorsque les malades sont capables de mettre un nom sur leur maladie, lorsque la fibromyalgie a été diagnostiquée, sachant qu’elle n’est pas mortelle, ils ressentent la maladie différemment.

Puis la commission entend le professeur Agnès Buzyn, présidente de la Haute autorité de santé.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Celles-ci sont donc ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Madame Buzyn, avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire qui sera suivie d’un échange de questions et de réponses, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Agnès Buzyn prête serment.

Mme Agnès Buzyn, présidente de la Haute Autorité de santé (HAS). Je vous remercie d’avoir sollicité la Haute Autorité de santé, qui a travaillé sur la fibromyalgie en 2009 à la suite d’une saisine du ministère de la santé.

Veuillez excuser l’absence du docteur Michel Laurence, responsable des recommandations à la HAS, dont j’avais proposé qu’il vienne m’assister lors de cette audition : il ne faisait pas partie de la HAS à l’époque où nos recommandations sur la fibromyalgie ont été formulées, de sorte que sa présence est apparue moins nécessaire que nous ne l’avions initialement pensé. Étant moi-même entrée à la Haute Autorité il y a deux mois seulement, je reprends ce dossier de façon assez théorique, car la mémoire de l’instruction de cette saisine ministérielle n’a guère été conservée au sein de l’organisme – sinon peut-être par le professeur Loïc Guillevin, qui présidait à l’époque la commission des bonnes pratiques et qui a été nommé depuis membre du collège de la HAS. C’est en relisant les documents qui m’ont été fournis que je me suis rendu compte qu’il pourrait éventuellement être utile que vous l’auditionniez.

La saisine de la Haute Autorité par le ministère date de fin 2007. Le collège de la HAS a décidé en 2008 de consacrer au syndrome fibromyalgique un rapport d’orientation qui a été rendu public en février 2010, après validation par le collège. Dans sa saisine, le ministère nous demandait d’étudier la possibilité d’adapter les recommandations européennes à ce sujet et de tenir compte du rapport produit par l’Académie de médecine en 2007. Au vu des incertitudes qui pesaient sur la définition de ce syndrome et sur la classification objective des malades, le collège de la HAS a souhaité publier un rapport d’orientation plutôt qu’un rapport de recommandation, lequel aurait nécessité d’identifier très clairement le syndrome, son diagnostic, les méthodes employées pour poser celui-ci.

Ce rapport d’orientation dresse un vaste état des données disponibles. Il comprend 142 références bibliographiques, qui devaient correspondre à l’époque à la totalité des publications scientifiques sur le sujet. Il analyse la littérature nationale et internationale. Il s’appuie également sur une enquête exploratoire de nature sociologique et sur une enquête relative aux pratiques des médecins, s’agissant notamment des traitements non médicamenteux ; il analyse des bases de données recensant la prescription de médicaments destinés à traiter le syndrome et explore des pistes de prise en charge pour tenter de contrôler les symptômes et de mieux adapter les traitements à chaque cas individuel.

Il en ressortait l’idée d’une prise en charge graduée en fonction de la gravité des symptômes : conduite à un premier niveau par le médecin généraliste, essentiellement en vue de promouvoir l’activité physique, elle serait relayée à un second niveau par une approche pluriprofessionnelle, éventuellement assortie d’une éducation thérapeutique. Il s’agissait de limiter au maximum la prise en charge médicamenteuse, au vu des effets secondaires voire de l’addiction que certains traitements peuvent entraîner. Le rapport reconnaissait qu’il était important d’apporter des solutions aux patients qui souffraient, même s’il était difficile de déterminer le cadre nosologique du syndrome.

Faute de données, la HAS n’a pas exploré l’effet sociétal et social de la fibromyalgie – arrêts de travail, invalidité – ni son coût, particulièrement celui qui découlerait d’un lien entre le syndrome et la consommation de médicaments, du fait des insuffisances du système d’information médicale.

Le rapport concluait que, même si des controverses subsistent quant à l’existence et surtout quant aux causes – organiques ou fonctionnelles – de ce syndrome, il faut proposer une prise en charge aux patients : on ne peut pas « laisser les patients sans réponse et les professionnels sans solution à proposer ».

Depuis, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a été saisi en vue d’une expertise collective, à laquelle, à ma connaissance, nous ne participons pas.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Pour quelles raisons l’Académie de médecine n’a-t-elle pas considéré la fibromyalgie comme une maladie dans son rapport de 2007 ? L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les principaux pays occidentaux ont-ils adopté une autre position ?

Mme Agnès Buzyn. Il semble que l’OMS ait reconnu la fibromyalgie comme une maladie à la suite des travaux de l’American College of Rhumatology qui décrivaient cliniquement l’entité et tentaient d’établir des critères diagnostiques fondés sur l’identification de points douloureux spécifiques. Cette description a été très contestée dans la profession et l’idée de points douloureux spécifiques a été remise en question depuis. C’est la raison pour laquelle, si l’OMS a acté la réalité de cette description, l’Académie de médecine, considérant quant à elle que les critères diagnostiques étaient trop fragiles et que l’on manquait de données biologiques ou anatomopathologiques permettant de mieux identifier les patients, n’a pas qualifié la fibromyalgie de maladie.

On définit une maladie comme une altération de l’état de santé dont on connaît la cause, ou du moins la physiopathologie. Or la fibromyalgie n’a pas de cause connue et est très difficile à décrire du point de vue biologique, physiopathologique ou anatomopathologique. Voilà pourquoi on parle plutôt de syndrome, c’est-à-dire d’un ensemble de symptômes.

M. le rapporteur. La recherche scientifique a-t-elle progressé sur le sujet depuis les derniers rapports de l’Académie de médecine et de la Haute Autorité de santé ? Votre position a-t-elle évolué depuis 2007 ? Avez-vous connaissance de travaux importants et récents que vous souhaiteriez nous indiquer ?

Mme Agnès Buzyn. Nous ne nous sommes pas ressaisis de la question de ce syndrome et de sa prise en charge. Cela étant, depuis 2010, ont été publiés sur le sujet 24 rapports ou recommandations et 176 revues systématiques ou méta-analyses, ce qui montre que le syndrome suscite un « bruit de fond » important et des efforts significatifs de recherche et d’analyse.

Les recommandations ciblent souvent la prise en charge, notamment la place des médicaments antalgiques et de l’exercice physique. Au moins trois recommandations multiprofessionnelles ont été développées en Allemagne, en Israël, au Canada, au Mexique et en Espagne ; elles valorisent une approche graduée de la prise en charge et soulignent la nécessité de bien informer les médecins de cette démarche. En première intention, il s’agit, comme le prônait la HAS, d’éviter le recours aux médicaments – un message important qu’il convient de diffuser à nouveau –, d’impliquer le patient dans son plan de soins et de mettre en avant les effets bénéfiques de l’exercice physique comme des thérapies cognitivo-comportementales, qui semblent produire des effets très bénéfiques sur les symptômes. Toutes ces recommandations mettent en garde contre l’emploi des antalgiques, dont les effets secondaires sont importants et qu’il faut réserver aux épisodes d’intense douleur ou de symptômes difficiles à contrôler, dans le cadre d’une prise en charge spécialisée et pluridisciplinaire.

M. le rapporteur. Dans le rapport publié en 2010 par la HAS, il est écrit que l’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l'espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance, à l’instar de la calvitie, du syndrome du côlon irritable, de la phobie sociale, de l’ostéoporose ou du dysfonctionnement érectile ». Pouvez-vous nous expliquer cette analyse ?

Mme Agnès Buzyn. J’ai moi-même été troublée en lisant ce texte, que je n’ai compris que dans un second temps. La HAS a été sensible au concept, connu depuis les années 1990, de disease mongering, qui pouvait selon elle s’appliquer à la diffusion de la notion de fibromyalgie dans l’espace public. Ce concept désigne la fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques ou de certains lobbies médicaux. Du côté des industriels, il consiste à transformer des maux ordinaires en problèmes médicaux, voire en maladies, à présenter des symptômes bénins comme graves, à traiter des problèmes personnels comme s’ils étaient médicaux et des risques comme des maladies. Ce concept assez général semble bien jouer un rôle dans l’approche marketing développée par l’industrie pharmaceutique. En faisant émerger de nouvelles maladies et en finançant des conférences à leur sujet, celle-ci s’ouvre de nouveaux marchés et de nouvelles perspectives d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de médicaments, selon un processus qui a été bien décrit.

Ont été citées en exemple de ce phénomène les pathologies que vous venez d’énumérer. Par construction, et peut-être par une forme de raccourci, on a fait apparaître parmi elles la fibromyalgie au même titre que la calvitie. L’idée était plutôt de rappeler que cette approche est maintenant conceptualisée par les industriels à des fins de marketing. On a vu ainsi émerger de nouveaux syndromes, érigés en maladies afin de développer de nouveaux médicaments pour répondre à des besoins spécifiques.

M. le rapporteur. Le rapport de la HAS souligne que la plupart des associations de malades « adhèrent à une conception en vertu de laquelle le syndrome fibromyalgique pourrait être un dérèglement de la perception de la douleur, dont la cause initiale est inconnue ». Qu’en pensez-vous ?

Mme Agnès Buzyn. Ce qui inquiète les associations de malades, c’est que l’on puisse prendre leurs troubles pour des pathologies psychiatriques, d’où leur recherche d’une cause organique. Mais, aujourd’hui, il n’existe pas d’argument scientifique en faveur d’un dérèglement de la douleur. En tout cas, les quelques articles publiés qui tentent de mettre en évidence des réalités biologiques sous-tendant le syndrome fibromyalgique manquent de robustesse scientifique ; ils portent souvent sur un très petit nombre de patients. Or, tant que nous n’avons pas de substratum ou d’explication biologique ou physiopathologique, il est difficile de considérer que le syndrome est lié à un dérèglement de la douleur ou à un autre facteur. Aujourd’hui, nous n’avons pas de piste.

Cela dit, il faut entendre les patients, qui ne veulent pas être considérés comme relevant de la psychiatrie, même si des dépressions sont souvent associées au syndrome fibromyalgique et qu’il faut les prendre en charge lorsqu’elles sont identifiées. Mais la dépression ne signifie évidemment pas que les patients ne ressentent pas les symptômes ni qu’ils relèvent de la psychiatrie. Selon mes équipes, les patients « voudraient ne pas être classés dans une maladie psychiatrique, au sens où ils disent “nous ne sommes pas fous” ». Il est évident que tel n’est pas le propos. Toutefois, ce n’est pas parce que ce dont ils souffrent n’est pas une maladie psychiatrique en ce sens-là qu’il en existe aujourd’hui un substratum biologique identifié.

M. le rapporteur. Les femmes semblent plus atteintes par la fibromyalgie que les hommes. Y-a-t-il des hypothèses permettant d’expliquer cette asymétrie ?

Mme Agnès Buzyn. De même qu’il n’existe pas d’hypothèses physiopathologiques qui fourniraient une piste d’explication, de même, nous ne disposons d’aucune hypothèse permettant de comprendre pourquoi les femmes sont effectivement plus touchées que les hommes – elles représentent 80 % des cas de fibromyalgie et il s’agit souvent de femmes jeunes, âgées de 30à 60 ans dans 90 % des cas.

M. Arnaud Viala. Madame la présidente, du point de vue de la méthode, il est difficile de prendre part aux travaux d’une commission d’enquête dont le rapporteur peut poser une rafale de questions avant que les commissaires n’aient la parole. Cela ne se passe pas ainsi dans l’autre commission d’enquête à laquelle je participe en ce moment. Il convient de répartir le temps de parole, à moins que la présidente et le rapporteur ne prétendent constituer à eux seuls la commission d’enquête !

Mme la présidente Sylviane Bulteau. C’est ainsi que nos travaux sont organisés…

M. Arnaud Viala. Vous êtes souveraine s’agissant de l’organisation de nos travaux, madame la présidente.

M. Gérard Bapt. Il est dix heures cinquante ; l’audition doit durer jusqu’à onze heures trente. Pour avoir participé à plusieurs commissions d’enquête, je trouve le temps dont nous disposons tout à fait raisonnable.

M. Arnaud Viala. Je ne crois pas vous avoir interpellé, monsieur Bapt. La présidente doit pouvoir me répondre !

M. Gérard Bapt. Je peux faire un point d’ordre, comme vous-même à l’instant !

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Chers collègues, nous ne sommes pas là pour polémiquer. Il y a des gens qui nous regardent et nous écoutent. Nous sommes réunis ici pour travailler tous ensemble sur un sujet difficile qui suscite beaucoup d’attentes. Le rapporteur intervient après la personne auditionnée ; vous avez tous eu la parole lors de notre première audition ce matin, vous l’aurez tous également au cours des auditions suivantes. C’est ainsi que nous allons travailler, monsieur Viala, jusqu’en septembre, et j’espère que vous pourrez, vous aussi, vous mettre dans l’heureuse ambiance qui a présidé à nos travaux ce matin. Vous avez la parole.

M. Arnaud Viala. Je crois comprendre que la HAS n’a pas travaillé sur la fibromyalgie depuis 2009. Pourquoi n’a-t-elle pas été saisie du problème ou ne s’en est-elle pas elle-même saisie, en particulier pour s’intéresser non seulement aux éléments d’appréciation des éventuels traitements symptomatiques, comme dans le rapport déjà publié, mais aussi aux causes de la maladie ?

M. Alain Ballay. Même si la douleur est une sensation subjective, a-t-on mesuré l’intensité de celle qui caractérise la fibromyalgie par des instruments tels que l’échelle Doloplus ?

Mme Bérengère Poletti. J’imagine que la HAS a procédé à des études de benchmarking, dans le domaine non de la recherche – car les chercheurs partagent leurs avancées ou leurs non-avancées concernant la maladie – mais de l’accompagnement social : d’autres pays sont-ils allés plus loin que nous, par exemple en considérant la fibromyalgie comme une affection de longue durée (ALD) ?

Mme Agnès Buzyn. En ce qui concerne les causes de la fibromyalgie, je rappelle que la HAS est une agence qui émet des recommandations de bonnes pratiques : nous ne finançons ni n’orientons la recherche. Les équipes de l’INSERM seront plus à même de vous répondre s’agissant des travaux de recherche qui ont été menés et de leur financement.

Pourquoi ne nous sommes-nous pas saisis de la question ? La HAS a un programme de travail très chargé. On lui reproche très souvent son manque de réactivité ; il est vrai que son programme s’étend sur deux à trois ans. Il est essentiellement prescrit par les saisines des ministères. Les autosaisines sont relativement peu nombreuses et ont rarement pour but la formulation de recommandations : nous nous saisissons de sujets d’actualité ou qui ont d’importantes conséquences financières pour la sécurité sociale sont importantes, ou nous relevons des risques de mauvaises pratiques pour les patients.

S’agissant de la mesure de la douleur, je ne suis pas une spécialiste, mais, d’après ce que je comprends, la fibromyalgie a été considérée comme faisant partie des syndromes qui doivent être pris en charge par le plan national de lutte contre la douleur. Les patients qui en souffrent font partie de ceux que l’on peut référer en vue d’une prise en charge spécifique de la douleur. Dès lors qu’ils intègrent donc cette filière, leur douleur doit pouvoir être mesurée.

En ce qui concerne le benchmarking, celui dont je dispose remonte à 2010, date de publication du rapport. La prise en charge en ALD est un système spécifiquement français.

Mme Bérengère Poletti. Je songeais à une prise en charge équivalente dans d’autres pays.

Mme Agnès Buzyn. Elle ne semblait pas concerner la fibromyalgie en 2010. Je n’ai malheureusement pas procédé à une comparaison actualisée en vue de cette audition. Cela nécessiterait un travail relativement lourd de la part des services de la HAS.

M. Frédéric Reiss. Il existe dans nos régions des associations qui s’occupent des fibromyalgiques, regroupées au sein du Centre national des associations de fibromyalgiques. Leur but est de faire reconnaître la maladie, d’autant que les patients souffrent de l’errance diagnostique. Mais, une fois le diagnostic posé, la prise en charge est disparate selon le régime de protection sociale dont on relève : c’est un gros problème. Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, la formation des médecins dans ce domaine a-t-elle progressé au cours des dernières années ?

M. Renaud Gauquelin. Les médecins-conseils de la sécurité sociale font régulièrement valoir l’absence de cause identifiée de la fibromyalgie pour justifier sa non-prise en charge en ALD ou en ALD hors liste. Pourtant, beaucoup de maladies dont on ne connaît pas la cause – la maladie d’Alzheimer ou la sclérose en plaques, entre autres – bénéficient d’une prise en charge à 100 % sur tout le territoire.

Parvenir à une prise en charge homogène est l’un des objectifs de notre commission d’enquête – dont la visée ne saurait être médicale, même si plusieurs d’entre nous exercent des métiers de la santé dans la vie civile. Car la disparité territoriale de la prise en charge est très mal vécue par les malades, au point que l’on peut se demander si elle n’aggrave pas leur pathologie.

Mme Agnès Buzyn. Certains patients qui souffrent de douleurs très fortes ont obtenu une inscription en ALD hors liste. À l’époque du rapport, il était prévu de saisir l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) pour qu’elle étudie les moyens de former et d’informer les médecins de l’assurance maladie. Je ne sais pas où en sont ces travaux. Quoi qu’il en soit, ces questions ne sont pas du ressort de la HAS.

Vous dites que d’autres maladies dont on ignore la cause sont prises en charge en ALD, mais la fibromyalgie a pour autre spécificité l’absence de tout signe objectif. C’est une difficulté majeure qui la distingue de tous les autres syndromes connus en médecine et qui se caractérisent par un syndrome inflammatoire ou par des signes anatomocliniques ou biologiques. Voilà pourquoi l’Académie de médecine ne souhaite pas aujourd’hui la qualifier de maladie. Nous parlons d’un syndrome que l’on identifie par l’élimination de toutes les causes organiques connues.

En ce qui concerne l’errance diagnostique, nous avions l’impression qu’elle avait un peu diminué après la publication du rapport d’orientation du collège de la HAS, qui a fait mieux connaître le syndrome aux médecins. Mais le phénomène est pointé dans tous les pays du monde. Il s’explique par le fait que le diagnostic doit être posé par élimination, en l’absence de signes objectifs permettant de se prononcer fermement, ce qui laisse les médecins quelque peu démunis. Cette errance ne peut être réduite que par une meilleure connaissance du syndrome, ainsi que par l’observation des recommandations internationales : celles-ci s’accordent pour promouvoir l’attention à la souffrance des patients et une prise en charge graduée qui ne saurait commencer par la prescription de médicaments et qui nécessite une très forte implication de la part du malade.

Cela suppose assurément d’améliorer la formation des médecins. Mais la HAS ne joue aucun rôle dans leur formation initiale à l’université. Je ne saurais donc vous dire si le syndrome leur est enseigné aujourd’hui.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous auditionnerons les représentants de l’UNCAM et, sans doute, ceux des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) afin d’évoquer les problèmes de disparité territoriale.

Mme Annie Le Houerou. Existe-t-il des listes de praticiens et de services spécialisés auxquels il serait possible de référer les patients pour limiter l’errance diagnostique ?

Je crois par ailleurs savoir qu’un nombre croissant de jeunes enfants sont diagnostiqués. Dispose-t-on de résultats récents concernant l’apparition du syndrome chez les enfants et les difficultés particulières que pose leur prise en charge ?

Mme Agnès Buzyn. Il n’existe pas à ma connaissance de liste de médecins telle que celle que vous évoquez. Compte tenu de la prévalence de la pathologie en France, un médecin généraliste voit un à trois patients par an en moyenne, quand les rhumatologues en voient trente à quarante au cours de la même période. La rhumatologie peut donc être considérée comme la spécialité médicale la plus souvent confrontée à ces douleurs chroniques, parfois prises pour des douleurs articulaires ; ce sont par conséquence les rhumatologues qui sont le plus à même de reconnaître le syndrome. C’est d’ailleurs l’American College of Rhumatology qui a, le premier, identifié l’entité.

Quant à une liste de services spécialisés, je n’en connais pas non plus. En tout cas, il n’en existait pas en 2010.

En ce qui concerne les enfants, au moment de la publication du rapport, les cas décrits étaient rarissimes et considérés comme totalement exceptionnels. Six ans plus tard, je ne peux répondre à votre question, qui appellerait une enquête auprès des pédiatres.

M. le rapporteur. Des recommandations de bonnes pratiques ont-elles été édictées ? Ont-elles été diffusées auprès des professionnels de santé et des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) ?

Mme Agnès Buzyn. Les recommandations et rapports de la HAS sont rendus publics et très largement diffusés auprès des médecins, généralistes et spécialistes. La Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) en tient compte ; nous avons d’ailleurs signé un accord-cadre en vertu duquel nous travaillons très souvent de concert pour identifier les meilleures pratiques en matière de prise en charge des patients.

Il était prévu qu’à la suite du rapport l’UNCAM établisse un guide de procédure destiné aux médecins-conseils, afin de diffuser ces recommandations aux médecins ; la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) devait se charger du guide de procédure destiné aux MDPH. Je ne sais pas du tout si ces projets ont été suivis d’effets. Quoi qu’il en soit, pour que les recommandations soient diffusées aux médecins et aux MDPH, il faut évidemment que les tutelles s’emparent du sujet.

M. le rapporteur. Une approche multiprofessionnelle est-elle souhaitable, notamment en vue de développer l’éducation thérapeutique du patient ?

Mme Agnès Buzyn. Effectivement, il est important, en particulier dans les cas les plus sévères, d’adopter une approche pluridisciplinaire, associant prise en charge de la douleur, promotion de l’activité physique, éducation thérapeutique du patient et thérapies cognitives et comportementales. C’est ce que recommandait le rapport. Cela suppose que le patient soit référé à des équipes hospitalières, car il est plus difficile à un médecin généraliste d’organiser cette prise en charge pluridisciplinaire sur le territoire.

M. le rapporteur. Les programmes nationaux de lutte contre la douleur présentent-ils un intérêt pour la prise en charge des patients atteints de fibromyalgie ?

Pour quelles raisons le programme national douleur 2013-2017 n’a-t-il pu entrer en vigueur ?

Mme Agnès Buzyn. C’est à la direction générale de la santé (DGS) qu’il faudrait poser cette dernière question.

Pour le reste, le rapport préconisait de permettre aux patients de recourir plus tôt aux structures de prise en charge spécifique de la douleur, de façon à leur éviter l’errance diagnostique ainsi que la surmédicalisation, avec les risques d’effets secondaires que l’on connaît. En outre, ces structures, très souvent confrontées aux douleurs chroniques, sont en mesure de proposer des programmes d’éducation thérapeutique. Pour ces différentes raisons, elles nous paraissent indiquées pour accueillir les patients atteints de fibromyalgie.

M. le rapporteur. Atteint d’un cancer de l’œil peu courant, qui touche environ 350 personnes par an, j’ai accepté de subir des prélèvements afin d’alimenter la recherche scientifique. Ce type de démarche est-il proposé aux fibromyalgiques ? N’est-ce pas ainsi que l’on pourrait mieux comprendre leur maladie ?

Mme Agnès Buzyn. En tant que présidente de la HAS, je ne peux répondre aux questions qui concernent la recherche. Il faudrait interroger les sociétés savantes les plus susceptibles de prendre en charge ce type de patients, en médecine de la douleur et en rhumatologie, ainsi que l’INSERM pour connaître les programmes de recherche consacrés à cette maladie – ou plutôt à ce syndrome. Il conviendrait également de se tourner vers la direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour s’enquérir de l’existence de financements d’essais cliniques ou de recherches cliniques dédiés à cette pathologie.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous entendrons l’INSERM en juillet.

Le professeur Bontoux, que nous avons auditionné avant vous, nous a expliqué que c’est principalement l’abaissement du seuil de perception de la douleur qui peut amener au diagnostic de fibromyalgie. Vous nous dites quant à vous qu’il n’existe pas d’explication scientifique permettant de valider cette hypothèse d’un dérèglement de la perception de la douleur. Comment comprendre cette apparente contradiction, assez grave du point de vue des malades qui nous écoutent ?

Mme Agnès Buzyn. Vous l’avez compris, je ne suis pas spécialiste de ce syndrome. Mais ce que j’entends, c’est que, pour un spécialiste, l’abaissement du seuil de sensibilité à la douleur est une hypothèse. Ce que je dis en tant que scientifique, c’est que je n’ai rencontré dans la littérature aucune publication qui expliquerait pourquoi ces malades ont un seuil plus bas de perception de la douleur. Cela signifie non pas que cette hypothèse est fausse, mais que nous n’avons aujourd’hui aucun substratum biologique permettant d’en expliquer le fondement ou de la corroborer. Je ne sais pas ce que vous a dit le professeur qui m’a précédée à cette place, mais c’est ce que j’ai compris de tous les documents qui m’ont été donnés. Je m’excuse de vous présenter un rapport de 2010 depuis lequel la HAS n’a pas revu la littérature sur le sujet ; j’ai toutefois pris connaissance des textes scientifiques qui ont été publiés depuis et j’ai l’impression que, pour l’instant, il n’existe que des pistes de recherche, non des explications avérées – abstraction faite d’un ou deux papiers portant sur un nombre très réduit de personnes, et dont le niveau de preuve est donc considéré comme peu élevé.

M. Jean-Pierre Decool. Nous n’aurions que des pistes de recherche, dites-vous. Le professeur que nous avons entendu avant vous a rappelé que 2 millions de personnes étaient atteintes du syndrome dans notre pays. Alors que l’on parle de la fibromyalgie depuis de nombreuses années, ces patients ne sont pas soutenus de manière harmonieuse. Au-delà des constats, au lieu de se contenter d’attendre que la recherche progresse, ne pourrait-on confier une mission spécifique de recherche à un établissement de santé dédié ? Je songe par exemple à l’hôpital maritime de Zuydcoote, où se pratique la chirurgie réparatrice et où certains médecins regardent de très près le syndrome fibromyalgique. Car pendant que nous attendons, les patients continuent de souffrir – même si des causes psychosomatiques sont envisageables.

À dire vrai, moi-même, qui suis profondément cartésien, je ne croyais pas à la réalité de ce syndrome, jusqu’au jour où j’ai été invité à participer à un congrès mondial sur la fibromyalgie en compagnie du champion cycliste Bernard Thévenet, dont le kinésithérapeute, lui-même atteint, est venu exposer son cas.

Mme Agnès Buzyn. Je suis désolée, mais cette question sort du champ de compétence de la HAS. Je puis en revanche vous répondre en tant que professeur de médecine qui a fait beaucoup de recherches cliniques.

La recherche ne peut pas être prescriptive auprès d’une équipe non spécialisée. Elle se finance par la qualité des projets déposés, des hypothèses émises, des outils dont disposent les équipes. Donner de l’argent à telle ou telle personne, quelles que soient ses qualités médicales, en lui demandant de travailler sur un sujet donné, si elle n’a pas l’expertise scientifique nécessaire ou les bonnes hypothèses à poser, c’est jeter cet argent par les fenêtres. Il faut se conformer à ce qu’est la recherche internationale aujourd’hui : partir d’hypothèses un tant soit peu robustes et financer le travail des équipes qui sont le plus à même d’aboutir à un résultat, quel qu’il soit.

À titre personnel, comme médecin hospitalier, je ne serais donc pas favorable à ce que l’on donne une somme à une équipe pour qu’elle travaille sur la fibromyalgie si elle n’a pas démontré sa compétence par des publications scientifiques de qualité.

M. Jean-Pierre Decool. Mais si c’était le cas ?

Mme Agnès Buzyn. Encore faudrait-il que son projet soit évalué par des pairs. La règle qui prévaut dans la recherche actuelle est de ne financer que les projets qui ont des chances d’aboutir. C’est ce que l’on appelle l’excellence scientifique. Dans ce domaine, il est très facile de faire du saupoudrage et de ne parvenir à aucun résultat. Quel que soit le problème, aussi prévalent soit-il dans la population, il faut s’assurer que l’argent public investi dans la recherche va à des projets susceptibles de produire des résultats scientifiquement valides.

Je ne sais pas si l’équipe dont vous parlez pourrait répondre à un appel d’offres concernant la fibromyalgie. Mais si l’on veut proposer des pistes de recherche sur cette maladie, c’est ainsi qu’il faudrait procéder : en lançant un appel à projets spécifique, en voyant s’il existe des équipes à même d’y répondre correctement et en faisant évaluer leur projet par des pairs. Sur certains sujets, les équipes françaises n’ont pas la compétence requise pour répondre à un appel à projets compétitif. C’est peut-être le cas s’agissant de la fibromyalgie ; je ne saurais le dire. Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que fonctionne le monde scientifique.

M. Alain Ballay. Le professeur que nous avons auditionné avant vous faisait état de causes traumatiques – physiques ou psychologiques – à l’origine du mal. Les services antidouleur s’intéressent-ils à cette cause ?

A-t-on offert aux personnes atteintes du syndrome la possibilité de se tourner vers les médecines dites parallèles ?

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je rappelle que nous auditionnons ensuite le professeur Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine, qui intervient donc au cœur du soin prodigué aux malades et pourra répondre plus spécifiquement à ces questions.

Mme Agnès Buzyn. Le risque de dérive vers des médecines parallèles, voire sectaires, fait partie des raisons pour lesquelles ces patients doivent être correctement pris en considération et en charge. Nous devons y être très attentifs : c’est lorsqu’un besoin médical ne trouve pas de réponse que sont proposées des médecines parallèles parfois tout à fait inoffensives, mais parfois déviantes, dont le coût financier, notamment, peut être très élevé pour les patients. Il est donc très important de répondre à la demande, quelle que soit la réalité objective qui sous-tend le syndrome ; c’est pourquoi la HAS avait souhaité établir ce rapport d’orientation.

Pour nous, cette réponse doit, je le répète, être graduée et, pour les patients les plus sévèrement atteints, prendre la forme d’une prise en charge pluridisciplinaire, notamment psychologique. En effet, un substratum psychologique est souvent rapporté par les études, notamment un traumatisme dans l’enfance, ainsi qu’un facteur de dépression. Ce qui me ramène au problème de l’abaissement du seuil de perception de la douleur, à propos duquel je n’ai peut-être pas été assez explicite. En effet, la dépression peut accroître la sensibilité à la douleur, ce qui crée un cercle vicieux : une douleur chronique s’installe, entraîne une dépression, laquelle aggrave le sentiment douloureux en abaissant le seuil de sensibilité à la douleur. Au total, la prise en charge pluridisciplinaire ne passe pas nécessairement par la prescription de médicaments, sauf dans les cas les plus graves.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Merci, madame.

La commission procède enfin à l’audition du professeur Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine et expert de l’Institut thématique multi-organismes Physiopathologie, métabolisme et nutrition pour le domaine ostéo-articulaire

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous accueillons notre dernier intervenant de la matinée, le professeur Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l'hôpital Saint-Antoine et expert de l'Institut thématique multi-organismes Physiopathologie, métabolisme et nutrition (ITMO PNN) pour le domaine ostéo-articulaire.

Nos auditions sont publiques, ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole, monsieur le professeur, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Francis Berenbaum prête serment.)

M. Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l'hôpital Saint-Antoine et expert de l'Institut thématique multi-organismes Physiopathologie, métabolisme et nutrition (ITMO PNN) pour le domaine ostéo-articulaire. Merci de m’avoir invité à parler de ce sujet.

En guise d'introduction, j’aimerais replacer la fibromyalgie dans un contexte général pour que vous puissiez la situer. La fibromyalgie fait partie du grand groupe des maladies dites musculo-squelettiques ou ostéo-articulaires, où l’on rassemble toutes les pathologies de l’appareil locomoteur : les pathologies articulaires, osseuses, musculo-tendineuses et rachidiennes.

Parmi les pathologies osseuses, on trouve l’ostéoporose. Dans les maladies articulaires, on classe les rhumatismes inflammatoires comme la polyarthrite rhumatoïde ou les spondylarthrites, et l’arthrose qui est un rhumatisme plus mécanique. Les maladies musculo-tendineuses, que l’on nomme aussi rhumatismes abarticulaires, touchent les éléments situés autour de l’articulation : tendinites, troubles musculo-squelettiques (TMS) et syndrome du canal carpien, qui sont bien connus de la médecine du travail. Enfin, il y a tout ce qui concerne la colonne vertébrale, le rachis, c’est-à-dire les pathologies rachidiennes où l’on rassemble les lombalgies et les cervicalgies.

Où se situe la fibromyalgie ? En fait, elle appartient à différents registres, notamment aux pathologies tendineuses – les patients évoquent des douleurs articulaires qui viennent en réalité de la périphérie des articulations – et à celles de la colonne vertébrale.

Deux mots-clés – douleur et handicap – sont toujours associés à ces pathologies qui conduisent inévitablement à une consommation de médicaments antidouleur : elles représentent l’une des premières causes de prises d’antalgiques. Aux États-Unis, on estime que nombre de dépendances aux opioïdes ont démarré par des traitements donnés contre des douleurs articulaires ou musculo-tendineuses. Le chanteur Prince, qui est décédé récemment par overdose d’opioïdes, prenait initialement ces traitements pour une arthrose de la hanche.

La revue The Lancet a effectué l’an dernier un classement mondial de plus de trois cents maladies, en fonction du fardeau qu’elles représentent en termes d’incapacité. Les lombalgies figurent à la première place, les cervicalgies à la quatrième, les symptômes musculo-tendineux à la dixième, l’arthrose à la treizième. Voyez l’impact prépondérant des maladies musculo-squelettiques ou de l’appareil locomoteur en matière de handicap. On parle de maladies ou de leurs conséquences, une problématique que l’on retrouve pour la fibromyalgie. Est-ce une maladie ou des conséquences aboutissant à des symptômes que sont les douleurs du rachis lombaire, du rachis cervical ? Quoi qu’il en soit, l’impact est considérable en termes d’incapacité.

Ces maladies ostéo-articulaires ont aussi un impact économique majeur. Selon la ligue européenne contre les rhumatismes (EULAR – European league against rheumatism), ces maladies touchent 120 millions d'Européens, soit un résident sur quatre ; elles constituent la première cause d'incapacité et l'une des raisons principales d'absentéisme, d’arrêt de travail allant jusqu’au chômage et de retraite précoce forcée. Ces coûts indirects associés aux coûts directs – médicaments, consultations médicales, hospitalisations – aboutissent à un fardeau économique estimé à 240 milliards d'euros par an, supporté en majeure partie par les États eux-mêmes. Le coût spécifique de la fibromyalgie est très difficile à déterminer car rarement individualisé mais, aux États-Unis, il a été évalué à environ 10 000 dollars par patient et par an.

Il y a une quinzaine d'années, la découverte des biothérapies pour rhumatismes inflammatoires a permis une prise en charge efficace des patients. En dehors de cela, nous n’avons quasiment que des traitements purement symptomatiques, médicamenteux ou non, pour toutes ces maladies dont nous ne connaissons pas l’origine.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Depuis les derniers rapports de l'Académie de médecine et de la Haute Autorité de santé (HAS), la recherche scientifique a-t-elle progressé sur le sujet de la fibromyalgie ? Avez-vous connaissance de travaux importants récents sur ce sujet que vous souhaiterez nous indiquer ? Peut-on notamment attendre des résultats des travaux de recherche physiopathologique sur les voies neurologiques de la douleur ?

M. Francis Berenbaum. Je vais essayer de simplifier ce qu’est la physiopathologique d’une maladie, pour ne pas entrer dans des détails passionnants mais compliqués.

Si vous vous cognez, vous allez avoir mal, fort heureusement : dans le cas contraire, vous ne cesseriez de vous cogner et de vous blesser ; la douleur est aussi un mécanisme de défense qui nous permet de vivre. Au bout d’un certain temps, vous n’avez plus mal parce que votre cerveau – par les voies descendantes centrales – va envoyer des signaux d’inhibition à l’endroit où se manifeste le problème. C’est une première piste de recherche dans le cadre de la fibromyalgie, qui donne lieu à de nombreux travaux. Il s’agit de comprendre si ces mécanismes d’inhibition sont ou non altérés. Si vous avez moins d’inhibitions, vous n’appuyez plus sur la pédale du frein et, du coup, la douleur persiste.

La deuxième piste de recherche prend le problème dans l’autre sens. Quand vous vous cognez, vous avez mal, mais si vous touchez un peu, vous n’avez pas mal. C’est ce que l’on appelle la voie ascendante : la sensation d’inconfort varie en fonction des signaux de douleur. Pour des raisons que l’on ignore, dans certains cas la personne appuie trop sur l’accélérateur et les signaux de douleurs sont trop forts par rapport à l’importance de la pression ou du contact.

Une troisième piste de recherche se rapporte à ce que l’on appelle la neuro-inflammation. Lors d’un stress – mécanique ou psychologique –, il va y avoir localement, en périphérie, un relargage de molécules de l’inflammation qui vont ensuite activer la douleur. On se situe alors en périphérie et non plus dans les voies centrales.

Voici sommairement tracés les grands axes de recherches sur les mécanismes de la douleur qui pourraient aboutir à ces symptômes ou à cette maladie que l’on nomme fibromyalgie. Peut-être y a-t-il aussi un terrain génétique ? Des recherches ont été entreprises très récemment pour explorer cette possibilité. Outre la douleur, il faut aussi prendre en compte d’autres éléments, en particulier les troubles du sommeil. Il n’est pas exclu que certaines anomalies du sommeil aient des conséquences sur la perception de la douleur. Nous avons tous pu constater que nous ressentions les choses différemment après une mauvaise nuit.

M. le rapporteur. Où ces recherches sont-elles effectuées ?

M. Francis Berenbaum. Elles sont effectuées pour l’essentiel au Canada et aux États-Unis, et un peu en Grande-Bretagne et en Allemagne. De rares équipes françaises s’y intéressent parce qu’elles travaillent plus globalement sur la douleur : un pan de leurs recherches pourra alors concerner la fibromyalgie. La France est en retard dans ce domaine.

M. le rapporteur. Quel sera le champ de l'expertise collective menée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui est en cours de lancement ?

M. Francis Berenbaum. Cette expertise collective a été diligentée par la direction générale de la santé (DGS). J’ai eu quelques informations par le docteur Sophie Nicole, de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), qui pilote cette expertise avec Laurent Fleury, responsable du pôle expertise collective à l’INSERM. La convention entre la DGS et l’INSERM vient seulement d’être finalisée.

L’expertise va s’appuyer sur une analyse de la littérature, c'est-à-dire de plus de 1 000 documents, selon des thématiques définies. Le programme scientifique sur le syndrome fibromyalgique se divise en quatre axes principaux : enjeux sociétaux, économiques et individuels en France et à l’étranger ; connaissances médicales actuelles ; physiopathologie de la douleur chronique ; problématique spécifique en pédiatrie, secteur sur lequel il commence à y avoir une bibliographie et des références.

Le rapport devrait être rendu fin 2017 et publié en 2018.

M. le rapporteur. L'effort de recherche sur les maladies ostéo-articulaires est-il important en France ? Comment est-il financé et organisé ?

M. Francis Berenbaum. L’effort de recherche global, pour le domaine ostéo-articulaire ou musculo-squelettique, est dramatiquement peu important. En France, il n’y a pas encore eu de prise de conscience du fardeau que représentent ces maladies, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, aux Pays-Bas ou en Angleterre. La recherche existante est soutenue essentiellement par l’INSERM, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les universités. Ces grandes entités hébergent des équipes qui travaillent dans le domaine, et elles paient donc les salaires, l’eau, l’électricité, certains grands appareils, etc. C’est un vrai effort mais, comme vous le savez, on s’oriente de plus en plus vers un soutien sur projet par l’intermédiaire de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et du programme Horizon 2020. Or le choix des projets s’appuie évidemment sur la qualité scientifique de ces derniers, mais aussi sur la perception de l’impact de la maladie dont ils traitent. Si la perception de l’impact des cancers, des maladies cardio-vasculaires ou des maladies neurologiques dégénératives est, à juste titre, très importante, elle est toujours moindre en ce qui concerne les maladies osseuses et articulaires, malgré les chiffres que je vous ai cités. La prise de conscience est sans doute freinée par une certaine inertie.

J’aimerais insister sur autre point : les problèmes ostéo-articulaires et les handicaps locomoteurs rendent l’activité physique très difficile. Pourtant, vous connaissez tous les plans qui existent pour promouvoir l’activité physique dont les effets bénéfiques sont soulignés pour quasiment toutes les pathologies : action sur le diabète et les autres facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, etc. On oublie de dire que certains patients aimeraient bien bouger plus, mais qu’ils ne peuvent plus le faire parce qu’ils sont atteints de pathologies ostéo-articulaires. Il faut vraiment prendre le problème à bras-le-corps.

La Société française de rhumatologie (SFR), la Fondation Arthritis, l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) et des associations de patients sont à l’origine d’une initiative baptisée « Ensemble contre les rhumatismes ». Toutes ces entités contribuent d’ailleurs au financement de la recherche. Peut-être faudrait-il lancer un plan pour répondre aux grands besoins qui existent dans le domaine ? Si nous voulons avancer, c’est vraiment fondamental de soutenir la recherche.

Mme Florence Delaunay. Ma première question porte sur l’évolution de cette maladie. Est-elle évolutive et, si oui, comment peut-on décrire son évolution ?

Ma deuxième question concerne la prévention, sujet que vous venez d’effleurer. Peut-on déterminer des terrains propices, comme pour le diabète ? Les traitements reposent sur une bonne hygiène de vie : activité physique, etc. Peut-on mettre en place des actions de prévention, notamment dans les entreprises, comme il en existe pour les problèmes musculo-squelettiques ?

M. Alain Ballay. Tout d’abord, professeur, je voulais vous remercier pour votre intervention. Vous avez parlé de TMS qui se produisent lorsqu’il y a répétition de gestes. Pensez-vous que la répétition de gestes pourrait expliquer ce genre de douleurs, sans provoquer de TMS ?

Dans le cadre des prises en charge que vous effectuez pour la fibromyalgie, avez-vous recours à un outil de mesure de la douleur comme l'échelle Doloplus ? Qu’observez-vous en matière d’intensité de la douleur et qu’en déduisez-vous pour les traitements ?

Savez-vous dans quelle mesure les patients atteints de fibromyalgie ont recours à des médecines parallèles ?

M. Frédéric Reiss. La présidente de la HAS nous a parlé de réponse graduée et elle conseille d’éviter la prise de médicaments. Vous insistez vous-même sur l’activité physique. Connaissez-vous le protocole FibroQualLife, créé par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, pour améliorer la qualité de vie des patients atteints de fibromyalgie grâce à de l’activité physique ?

En tant que rhumatologue, que pensez-vous des cures thermales comme réponse à la fibromyalgie, alors que des travaux de l'Association française pour la recherche thermale (AFRETH) semblent conclure à des effets bénéfiques pour les patients ?

M. Francis Berenbaum. Pathologie chronique, la fibromyalgie évolue sur de nombreuses années, mais d’une façon extrêmement variable et hétérogène d’un patient à l’autre, peut-être parce qu’il s’agit d’un syndrome. Nous devons essayer d’établir des phénotypes, c'est-à-dire différents profils de patients selon que leur douleur ou symptôme est associé à des rhumatismes inflammatoires, à des problèmes psychologiques ou autres. Lorsque l’on reçoit un patient en consultation, il est impossible de prévoir le degré de handicap dont il sera affecté.

Qu’en est-il de la prévention de la fibromyalgie ? En prévention primaire, c'est-à-dire avant l’apparition du premier symptôme, nous n’avons quasiment rien. La prévention secondaire repose essentiellement sur le retour à l’activité physique, ce que l’on peut appeler parfois le réentraînement à l’effort. Avec certaines équipes spécialisées, on essaie de casser le cercle vicieux propre à ces maladies ostéo-articulaires : le patient a mal, il bouge moins, il a encore plus mal. L’objectif est de faire baisser la douleur d’un cran, de la rendre supportable, puisqu’il n’est pas possible de la faire disparaître totalement. C’est là où toutes les approches non médicamenteuses – et parfois également médicamenteuses – peuvent présenter un intérêt.

Venons-en aux liens entre TMS et fibromyalgie, une très bonne question. Du point de vue physiopathologique, le patient ressent la douleur plus tôt qu’il ne le devrait, quel que soit le mécanisme. On peut dès lors imaginer qu’un terrain fibromyalgique va favoriser les TMS parce que la personne ressent la douleur et va consulter plus tôt. J’aurais donc tendance à répondre par l’affirmative à votre question, monsieur Ballay, même si cela ne veut pas dire nécessairement qu’il y a un lien direct entre TMS et fibromyalgie. Tout ce qui peut permettre de réduire la fréquence des TMS devrait avoir un impact sur le retour au travail des patients atteint de fibromyalgie.

Comment fait-on pour mesurer la douleur ? Pour établir le diagnostic, nous nous appuyons de plus en plus sur un questionnaire très simple qui tient en une page et que je peux mettre à votre disposition. Ce questionnaire spécifique, validé, qui présente une très bonne sensibilité, permet de se faire une idée sur l’existence d’une fibromyalgie. Une fois que le patient est diagnostiqué, nous évaluons la douleur au moyen d’échelles visuelles analogiques, et d’autres outils plus ou moins spécifiques à la maladie.

Combien de patients se tournent vers les médecines parallèles ? Sûrement plus que les médecins ne le pensent. Nous ne voyons pas ceux qui y recourent, qui sont souvent de grands déçus de la médecine allopathique, et pour cause : nous avons des traitements symptomatiques peu efficaces ou entraînant des effets indésirables. À mon avis, énormément de gens se tournent vers les médecines parallèles. Quand elles n’ont pas d’effet indésirable et que les patients ont l’impression d’aller mieux, pourquoi pas ? Quand elles ont des effets indésirables, c’est un vrai problème et nous pouvons être amenés à récupérer ces patients.

La réponse doit-elle être graduée ? Oui. Une fibromyalgie n’est pas nécessairement très handicapante. Certains de mes patients fibromyalgiques continuent à travailler et à avoir une vie normale en apparence. Cependant, les douleurs chroniques entraînent souvent une souffrance psychologique : les personnes n’osent plus en parler pour ne pas lasser leur entourage personnel ou médical. Certaines formes de fibromyalgie sont particulièrement handicapantes, d’autres le sont beaucoup moins.

L’activité physique représente une approche thérapeutique particulièrement intéressante et des programmes comme celui que vous avez cité, monsieur Reiss, se mettent en place. On m’a parlé notamment d’un essai thérapeutique à base de tai chi à l’hôpital Cochin. Dans le cadre du congrès européen de rhumatologie, qui va se tenir la semaine prochaine, l’EULAR va présenter ses nouvelles recommandations de prises en charge de la fibromyalgie. Les approches non médicamenteuses – activités physiques, méthodes cognitives multicomportementales ou autres – sont vues de manière très positive et placées au premier plan. Le recours aux médicaments n’intervient que dans un deuxième temps, en cas d’échec des approches non médicamenteuses.

Quant aux cures thermales, elles peuvent jouer un rôle positif parmi ces thérapeutiques non médicamenteuses, pour une raison simple qui n’est pas liée à la qualité de leurs eaux ou de leurs boues : pendant trois semaines, les patients vont pratiquer une activité physique adaptée et encadrée par des professionnels et, si nécessaire, bénéficier d’une kinésithérapie. Autrement dit, les conditions sont réunies pour casser le cercle vicieux précédemment évoqué et aborder le problème de la meilleure façon qui soit.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Ces méthodes non médicamenteuses sous forme d’activités physiques ou de cures thermales soulèvent un important problème de fond, celui de la prise en charge. Un établissement de santé de mon département a mis en place des programmes « sport-santé », pour utiliser un raccourci, qui ne sont pas pris en charge. De même, la création de la commission d’enquête a suscité des témoignages sur la non-prise en charge de soins spécifiques à la fibromyalgie à l’occasion de cures thermales.

M. Francis Berenbaum. C’est tout à fait juste. Certains de mes patients, souffrant d’un handicap important, ont pu être pris en charge à 100 % dans le cadre de ce qui a été déclaré comme une « dépression » et non pas comme une « fibromyalgie ». Dans les cures thermales, les prises en charge concernent les arthroses handicapantes, poly-articulaires, etc. Il faut contourner, ce qui est un peu dommage.

M. Vincent Ledoux. Merci, monsieur le professeur, pour cet exposé extrêmement intéressant et complet qui nous a permis de mieux appréhender le sujet. Je constate que vous employez le mot « maladie » alors que la présidente de la HAS a utilisé le terme de « syndrome » en prenant beaucoup de précautions et en précisant qu’il fallait en rester à cette dénomination puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie. Quant à moi, pour connaître certaines personnes qui en sont atteintes, j’aurais tendance à parler de maladie.

Je voudrais revenir sur la recherche dont on nous dit qu’elle est peu orientée sur cette maladie faute de substratum solide et d’objectifs. Or d’autres pays ont commencé à s’intéresser aux causes de cette maladie. Quelles sont les raisons du retard français ?

Pour que le patient aille mieux avec sa maladie, on lui recommande de faire du sport. Que pensez-vous du sport sur ordonnance ? Pour ma part, je trouve qu’il n’est pas mauvais que les médecins généralistes puissent s’emparer de cette notion et adapter les pratiques sportives aux pathologies et aux ressentis de leurs patients. Je pense aussi aux pratiques culturelles. Dans mon école de musique, une personne atteinte de cette maladie m’interroge sur la pratique du piano ou des percussions. Les enseignants sont un peu démunis et peu préparés à adapter la musique à une pathologie. Existe-t-il des recommandations sur la pratique artistique comme approche thérapeutique complémentaire ?

M. Gérard Bapt. Avec les éléments que vous avez donnés, je comprends le lien qui est fait avec les infections rhumatologiques ou la dépression. Les études pharmaco-épidémiologiques fondées sur le Système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (SNIIRAM) et le Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) ne seront certainement pas opérantes. En revanche, compte tenu de la fréquence de la maladie – 1 % à 2 % de la population, soit au moins un million de personnes –, il pourrait y avoir des études de cohortes, notamment de femmes, afin d’essayer de trouver des anamnèses ou des données d’exposition tout au long de la vie. Est-ce que cela a été envisagé ? N’y aurait-il pas des possibilités de financement en la matière ?

M. Gilles Lurton. Les deux précédents intervenants nous ont dit que les personnes atteintes de fibromyalgie étaient en grande majorité des femmes. Avez-vous des renseignements sur les âges des patients ?

M. Bernard Accoyer. Certains groupes d’activistes entretiennent une polémique sur le lien qui existerait entre la fibromyalgie et les sels d’alumine, un adjuvant très précieux contenu dans les vaccins. Que pensez-vous de cette campagne ?

M. Francis Berenbaum. La fibromyalgie est-elle un syndrome ou une maladie ? Si la question se pose à chaque fois, c’est parce que nous n’avons pas encore de réponse. En tant que médecin, je suis frappé de voir arriver des patients qui ne se connaissent pas les uns les autres et qui décrivent des symptômes comparables. Ils se plaignent d’abord d’avoir mal partout puis, quand on les interroge plus précisément, ils mentionnent des troubles du sommeil et les autres symptômes que vous connaissez. Ces symptômes sont-ils liés à une ou plusieurs maladies ? On ne sait pas.

J’aime à rappeler l’histoire de l’ulcère à l’estomac que l’on a très longtemps expliqué par des raisons psychosomatiques – plus psycho que somatiques d’ailleurs – avant de découvrir qu’une bactérie, l’helicobacter pylori, était en cause dans un très grand nombre de cas. On a donné des antibiotiques aux patients qui avaient cette bactérie et, comme par miracle, on a vu s’effondrer le nombre d’ulcères.

C’est mon avis personnel de médecin que je donne ici, et je rappelle qu’Yves Lévy, le président-directeur-général de l’INSERM, viendra s’exprimer au nom de l’Institut. Pour ma part, je constate que les médecins ont tendance à dire que la clé du mystère se trouve dans la tête du patient quand ils ne comprennent pas quelque chose. Ils invoquent ensuite des causes psychosomatiques, c’est-à-dire qu’ils font intervenir un peu le corps, au fur et à mesure que des éléments nouveaux apparaissent. Une fois qu’on a trouvé des causes, on les traite, et le côté « psycho » perd de son importance pour devenir plutôt une conséquence.

Ce scénario va-t-il se produire pour la fibromyalgie ? Quoi qu’il en soit, depuis une vingtaine d’années, un nombre croissant de travaux relève davantage du domaine somatique, ce qui n’empêche pas d’essayer de comprendre l’impact psychologique de la fibromyalgie. Est-ce une maladie, un syndrome, des symptômes dus à un stress psychologique ? Je ne le sais pas mais je constate que des patients décrivent des éléments tout à fait homogènes.

Pourquoi la recherche est-elle plus avancée dans d’autres pays dans ce domaine ? Le problème est peut-être plus prégnant aux États-Unis parce que c’est une source de consommation importante d’opioïdes forts. Les maladies liées à la douleur constituent un vrai problème de santé publique en Amérique du Nord, ce qui est moins le cas en Europe. Quant aux Pays-Bas, ils ont décidé d’investir dans la recherche sur les maladies ostéo-articulaires et musculo-squelettiques depuis une quinzaine d’années, et développent des projets nationaux et européens.

Le sport sur ordonnance, j’y suis assez favorable. Le but n’est évidemment pas de se faire payer sa licence sportive par la Sécurité sociale dès l’âge de vingt ans. On est en train d’imaginer un cadre pour les patients qui en ont vraiment besoin, ceux, par exemple, dont la fibromyalgie est suffisamment handicapante pour entraîner des conséquences professionnelles. Dans ce cas, l’activité physique doit être graduée et individualisée. La pratique artistique peut aussi aider le patient dans la mesure où l’aspect psychologique – facteur initiateur ou aggravant – n’est pas à écarter. Les activités manuelles ou artistiques, qui peuvent modifier le ressenti de la douleur, sont à encourager. Comme on le constate pour les cancers, les activités du patient influent sur l’intensité de douleurs qui sont pourtant organiques.

En ce qui concerne l’âge des patients, le pic de fréquence se situe entre trente et cinquante ans, c'est-à-dire en plein milieu de la vie active. En fait, quand on interroge bien les patients, on découvre que des signaux d’alarme ont pu apparaître au cours de l’adolescence, voire de l’enfance, concernant cette sensibilité particulière à la douleur. On retrouve parfois des lumbagos, des lombalgies, des douleurs cervicales, etc. Fort heureusement, tous les enfants ou adolescents qui ont mal au dos ne vont pas avoir une fibromyalgie, mais on retrouve parfois ce genre de problèmes dans l’histoire des patients qui souffrent de cette maladie. C’est assez classique.

Quant aux sels d’alumine et aux vaccins, c’est une affaire très compliquée. Actuellement, je pense que l’on peut dire avec assez de certitude que l’on n’a pas de preuve de l’existence d’un lien de causalité entre les vaccinations avec sel d’alumine et la fibromyalgie. On en revient toujours à la grande difficulté de faire la différence entre association et causalité. On peut faire les plus belles études d’association sans apporter jamais la preuve formelle du lien de causalité. Il y a quelques mois, j’ai participé à un groupe d’experts de l’INSERM qui s’était intéressé au lien qui existe entre les sels d’alumine et ces douleurs musculaires un peu diffuses, ces sortes de myosites qui ne s’accompagnent pas toujours d’inflammation dans les muscles. Une étude est prévue mais elle n’a pas encore démarré faute de soutiens financiers. Cet aspect est peut-être plus lié à des douleurs musculaires qu’à la fibromyalgie, même si des ponts sont parfois établis entre myosite et fibromyalgie.

Monsieur Bapt, vous m’avez interrogé sur l’intérêt de faire des études de cohortes. Quand il s’agit répondre à des questions médicales avec précision, ce type d’études peut être d’une grande utilité, à partir du moment où des prélèvements biologiques sont effectués au début sur les cohortes. Nous n’avons actuellement aucun marqueur de la fibromyalgie, de patients souffrant de cette façon diffuse, ce qui nous complique bien la vie. Ce genre d’études pourrait notamment permettre de suivre l’évolution des patients atteints de fibromyalgie et d’effectuer des comparaisons avec un groupe de contrôle constitué de malades souffrant d’arthrose ou d’autres pathologies ostéo-articulaires. Les prélèvements biologiques – de sang, par exemple – effectués en début d’étude fourniraient une masse d’informations précieuses quelques années plus tard, peut-être sur les aspects génétiques actuellement étudiés par certaines équipes dans le monde. Je suis tout à fait favorable à ce genre d’approche par cohortes surtout si les études s’accompagnent de prélèvements biologiques.

M. le rapporteur. Certains médecins pensent qu’il faudrait remonter à l’origine de la maladie – accident, forte grippe, décès d’un proche, etc. – pour trouver les causes et les soigner. S’il s’agit du décès d’un proche, je ne vois pas très bien comment on peut ramener la personne à la vie, mais il est peut-être possible de trouver d’autres solutions…

Quel impact le syndrome fibromyalgique a-t-il sur la vie sociale et personnelle des personnes que vous soignez dans votre service ? Leur prise en charge par les caisses d'assurance maladie est-elle normalisée et fluide ?

À certains égards, cela me fait penser à la situation dans laquelle s’est trouvé le monde industriel à l’époque où les ordinateurs ont été installés massivement dans les usines pour commander les machines. Pendant une période, il y a eu des dysfonctionnements : les machines se mettaient en route toutes seules, accéléraient, etc. Dans certains cas, on a même soupçonné les salariés de sabotage, avant de s’apercevoir que le phénomène était dû à de l’électricité statique qui venait endommager les installations. Ne peut-on imaginer quelque chose de cet ordre pour la fibromyalgie, sachant que le corps humain est un peu plus compliqué à régler qu’une machine ? La connaissance de cette maladie est relativement récente. Ne peut-on pas imaginer qu’elle soit liée à notre mode de vie, aux matériels que l’on utilise ? Ne faudrait-il pas chercher dans cette direction ?

M. Francis Berenbaum. Faut-il remonter à un stress originel ? Pour beaucoup de pathologies, on soupçonne l’existence d’un élément déclencheur qui a fait basculer la personne dans la maladie ou le syndrome. Pour moi, cela relève pratiquement du vœu pieu. Si je demande aux gens qui sont dans cette salle s’ils ont subi un stress au cours des six derniers mois, il y en a peu qui vont me répondre par la négative.

M. Bernard Accoyer. Surtout pas dans cette salle ! Nous vivons plus que des stress !

M. Francis Berenbaum. Notre vie est faite de stress réguliers, dont l’intensité est variable et aussi relative dans la mesure où elle est ressentie de manière différente par les uns et les autres. Quand on creuse, on trouve toujours un stress, comme on l’a constaté lors d’enquêtes sur des polyarthrites rhumatoïdes ou spondylarthrites. Lors d’une analyse des peurs et des croyances des patients, on s’est aperçu que ceux-ci répondaient très souvent par l’affirmative quand on leur demandait s’ils pensaient qu’un stress était à l’origine de leur maladie. En fait, il est impossible de prouver que ce stress a provoqué la maladie.

La manière de considérer l’apparition des maladies non transmissibles chroniques a d’ailleurs évolué. On ne considère pas que le patient est passé brutalement d’un état à un autre, qu’il était en bonne santé la veille du jour où il est tombé malade : il y a un état dit préclinique dans presque toutes ces maladies. Peut-être le stress est-il l’élément déclencheur, un peu comme la goutte qui fait déborder le vase, mais ce n’est pas en revenant à lui qu’on réglerait le problème. Le processus s’est probablement étalé sur plusieurs années.

L’impact sur la vie professionnelle et personnelle est très variable d’un patient à l’autre, mais il est en général très important pour les patients qui viennent consulter. Toutes les maladies qui touchent le système ostéo-articulaire ont un impact sur la vie sociale parce qu’elles sont souvent visibles : on ne marche plus ; on sort moins ; on voyage moins ; on ne peut plus aller chercher ses petits-enfants à l’école ; on peut moins rester debout pour faire la cuisine ; on peut moins passer de temps avec ses proches, etc.

Il faut aussi tenir compte d’un biais : nombre de personnes ne vont sans doute pas voir le médecin ou le spécialiste parce que le niveau d’intensité de la douleur est supportable ; les gens qui fréquentent les services de rhumatologie hospitaliers sont ceux qui subissent les impacts les plus forts sur leur vie professionnelle et personnelle. D’où l’importance des centres antidouleur des hôpitaux, où sont mises en place des approches multidisciplinaires, où l’on prend le temps de chercher aussi des solutions non médicamenteuses. Les centres antidouleur dotés de programmes spécifiques pour la fibromyalgie, comme ceux qui existent à l’hôpital Saint-Antoine et à l’hôpital Cochin notamment, visent à réduire les effets de la maladie sur la vie sociale et professionnelle des patients.

M. Bernard Accoyer. Veuillez m’excuser, madame la présidente, monsieur le professeur, mais je voudrais revenir sur la question que je vous ai posée concernant les sels d’alumine.

Votre modestie de scientifique – en science, on n’est jamais sûr de rien à 100 % – vous conduit à ne pas affirmer avec assez de force ce que toutes les études montrent : l’absence de lien avéré entre les sels d’alumine, utilisés comme adjuvant dans les vaccins depuis la nuit des temps, et les fibromyalgies que vous appelez maladie et que d’autres nomment syndrome. Ceux qui conduisent cette polémique anti-vaccination arguent d’un tel lien, en contestant à longueur de temps certaines données qui font l’objet d’un consensus scientifique très largement partagé. Ils font beaucoup de mal puisque la couverture vaccinale est en train de devenir médiocre, et que certaines maladies réapparaissent dans notre pays. J’aurais aimé que vous soyez plus clair. De temps en temps, nous avons besoin d’une voix scientifique plus claire, j’allais dire plus courageuse.

M. Francis Berenbaum. Si je ne me suis pas étendu sur le sujet, c’est tout d’abord parce que je pense qu’il faut faire attention à ne pas basculer de la myosite à macrophage, l’entité qui a été définie pour ce problème des vaccinations au sel d’alumine, à la fibromyalgie. Ce n’est pas la même entité. En revanche, je suis extrêmement clair sur un point : la balance bénéfices-risques de la vaccination ne se discute même pas. Comme vous, je suis désolé de voir la couverture vaccinale se rétrécir. C’est un très gros problème. On parle toujours des trains qui n’arrivent pas à l’heure et, en ce qui concerne la vaccination, pratiquement tous les trains arrivent à l’heure. Que ce soit clair : il n’y a pas le moindre doute sur le fait que la balance bénéfices-risques des vaccins penche largement vers les bénéfices. Encore une fois, la myosite à macrophage n’est pas la même chose que la fibromyalgie.

M. Bernard Accoyer. Les militants font un amalgame entre les deux entités, ce qui est classique pour des gens qui fonctionnent sur le mode sectaire.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Les membres de notre commission d’enquête pourraient être intéressés par une visite du centre antidouleur de votre hôpital, professeur, si vous acceptiez de les recevoir. Quoi qu’il en soit, je vous remercie de votre contribution.

La séance est levée à midi vingt-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 31 mai 2016 à 9 heures 30

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Alain Ballay, M. Gérard Bapt, Mme Sylviane Bulteau, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Pierre Decool, Mme Florence Delaunay, M. Renaud Gauquelin, M. Jean Grellier, M. Vincent Ledoux, Mme Annie Le Houerou, M. Gilles Lurton, Mme Bérengère Poletti, M. Frédéric Reiss, M. Arnaud Viala

Excusés. - Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Denis Jacquat